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INTERVIEW MARC HENGEN
« L’indispensable outil de gestion patrimoniale »
Président du comité de direction et administrateur délégué de l’ACA, l’Association des Compagnies d’Assurances et de Réassurances, Marc Hengen revient sur les multiples facettes de l’assurance-vie luxembourgeoise.
Matic Zorman (archives) Salomé Jottreau Photo Illustration Qu’est-ce que l’assurance-vie ? À qui s’adresse-t-elle ? Si l’on reprend le sujet de manière très générale, l’assurance-vie recouvre des facettes très différentes. Historiquement, ce type de contrat permet à une personne de s’assurer ellemême ou d’assurer un tiers contre le risque de décès pendant une période donnée. C’est toujours le cas aujourd’hui, par exemple lorsque vous signez un contrat d’assurance solde restant dû dans le cadre d’un crédit hypothécaire conclu avec votre banque. Après le décès, un deuxième grand risque couvert est celui de l’invalidité suite à une maladie ou un accident, lorsqu’une personne voit ses facultés physiques amoindries ou est tout simplement en incapacité de travailler. On parle dans les deux cas d’assurances risque et prévoyance et les acteurs de l’assurancevie jouent un grand rôle dans ces domaines en servant une clientèle locale et frontalière.
Dans les portefeuilles de produits de nos membres, on retrouve donc des contrats de pension complémentaire, des produits d’assurance prévoyance-vieillesse (art. 111 et 111 bis LIR) bien connus pour leur déductibilité fiscale, des assurances solde restant dû…
La particularité de ces contrats réside dans le fait qu’ils incluent toujours trois intervenants : en premier lieu, le preneur d’assurance, qui est la personne en relation avec l’assureur, ensuite l’assuré, et enfin le ou les bénéficiaire(s). Ce système unique, organisé selon le principe qu’on appelle de « stipulation pour autrui », est aussi devenu aujourd’hui un outil pour assurer sa propre succession, avec l’avantage de pouvoir identifier un ou plusieurs bénéficiaires au terme du contrat, que ce soit en cas de vie ou de décès.
Mais, audelà de ces aspects traditionnels, l’assurancevie revêt aujourd’hui une tout autre dimension. C’est devenu un outil de gestion patrimoniale très sophistiqué à destination d’une clientèle internationale. Avec des sommes investies bien supérieures à celles que l’on connaît pour les contrats classiques.
D’où vient ce succès de l’assurance-vie luxembourgeoise à l’international ? Le Luxembourg a toujours été spécialisé dans la gestion patrimoniale. Cela est étroitement lié à l’histoire de la place financière et à l’essor des banques privées, amenées à gérer des fonds de plus en plus importants et à diversifier les véhicules d’investissement.
Dans le cas de l’assurancevie, les clients payent généralement une prime unique, souvent assez importante, et confient cette somme à l’assureur dans une perspective de gestion et de transmission de patrimoine. En cela, le travail peut se rapprocher de celui de banquier privé, même s’il reste typiquement une activité d’assureur. Les banquiers privés qui proposent des contrats d’assurancevie de ce type sont d’ailleurs aussi des courtiers en assurance. Au fil du temps, le Luxembourg s’est notamment spécialisé dans le choix des sousjacents, soit les différents supports d’investissement que comprend un contrat d’assurancevie. Plus la mise de départ est élevée, plus le choix de ces sousjacents est large. Audelà du million d’euros, il est aujourd’hui possible de créer un fonds dédié pour un seul client, répondant à tous ses besoins et rencontrant ses souhaits.
MARC HENGEN
Président du comité de direction et administrateur délégué de l’ACA « Le secteur de l’assurance-vie a connu une croissance exceptionnelle de plus de 30 % sur la première moitié de l’année 2021 par rapport à la même période l’année précédente. »
Pour Marc Hengen, le Luxembourg a toujours été spécialisé dans la gestion patrimoniale.
Quels sont les atouts qui ont permis au pays de se démarquer de la concurrence ? Aujourd’hui, les acteurs du marché servent dans une très large mesure des personnes qui résident dans d’autres pays, essentiellement en Europe, selon le principe de la libre prestation de services. Le premier atout vient justement de cette capacité à diversifier les supports d’investissement, les sousjacents dont nous parlions juste avant. Il en résulte des contrats très sophistiqués, quand il ne s’agit pas tout simplement de produits construits sur mesure pour le client.
L’autre atout de la place luxembourgeoise réside dans sa capacité à offrir des réponses à des personnes au profil complexe. Prenons l’exemple d’un preneur d’assurance résidant en France, avec un assuré en Espagne et des bénéficiaires dans d’autres pays du globe… Les assureurs basés au Luxembourg ont développé au fil du temps de grandes compétences pour répondre à ces situations juridiquement compliquées. Ce know-how profite également à de grands groupes internationaux qui ont décidé de faire de notre pays leur centre de compétences pour ce type de produits. L’expertise luxembourgeoise en la matière n’est plus à prouver. Enfin, le Luxembourg offre une protection et une sécurité uniques en Europe pour les souscripteurs d’un contrat d’assurancevie auprès d’une compagnie d’assurances luxembourgeoise. Ce régime de protection unique des souscripteurs est connu sous le nom de « triangle de sécurité ».
Pouvez-vous nous rappeler comment fonctionne ce « triangle de sécurité » ? En pratique, les actifs liés aux contrats d’assurance-vie (appelés « provisions techniques ») sont déposés, séparément des autres engagements de la compagnie et de la banque, auprès d’une banque dépositaire préalablement approuvée par le Commissariat aux Assurances. Ce dernier contrôle chaque trimestre le cloisonnement des
actifs. En cas de défaillance de l’assureur, l’autorité de contrôle peut bloquer les comptes auprès de la banque dépositaire pour protéger les droits des souscripteurs.
Par ailleurs, les souscripteurs disposent également d’un super privilège qui leur octroie la qualité de créanciers privilégiés de premier rang de la compagnie d’assurances sur la masse des actifs représentatifs des provisions techniques. Ce privilège du souscripteur, qui l’emporte sur tous les autres créanciers, doit permettre aux clients de récupérer en priorité les créances relatives à l’exécution de leurs contrats d’assurance en cas de défaillance de la compagnie d’assurances. Ces dispositions sont uniques en Europe et contribuent à notre succès.
Comment évolue le marché aujourd’hui ? Le marché de l’assurance-vie a souffert ces derniers temps. On parle d’une régression de près d’un tiers du chiffre d’affaires pour les acteurs présents au Luxembourg. Bien sûr, c’est la crise sanitaire qui nous a touchés de plein fouet. À cela s’ajoute une crise boursière. Même si elle s’est étendue sur une période relativement courte, de mars à mai 2020, des pertes impressionnantes ont été constatées dans certains secteurs. Cela dit, les clients ont continué à nous faire confiance. Nous n’avons pas assisté à une vague de rachats de contrats ou à des résiliations. L’un des principaux freins au développement du marché est tout simplement lié à l’impossibilité de se déplacer. Lorsqu’on traite avec une clientèle internationale, il est difficile de signer de nouveaux contrats quand tout est à l’arrêt… Cela dit, la reprise semble bien amorcée et nous espérons plutôt retrouver dès la fin de cette année les très bons niveaux de 2019. Le Luxembourg reste une Place attractive pour les grands acteurs de l’assurancevie. Les arrivées se sont multipliées ces dernières années. Certes, nous avons assisté à quelques regroupements de portefeuilles, mais cela ne les détruit pas.
Ainsi, le secteur de l’assurancevie a connu une croissance exceptionnelle de plus de 30 % sur la première moitié de l’année 2021 par rapport à la même période l’année précédente. La collecte nette, c’estàdire l’encaissement diminué des rachats, est positive et s’élève à plus de 4,8 milliards d’euros. Comment les principes de finance durable et d’investissement responsable viennent-ils impacter le marché ? La prise en compte des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance, ndlr) constitue une vraie demande de la part de nos clients, qui exigent plus de transparence par rapport aux investissements consentis avec l’argent qu’ils nous confient. Tous les assureurs font évidemment partie du scope de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) dont le but est, précisément, de fournir une meilleure information par rapport à ces critères ESG, et ce sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Les acteurs ont pris leurs responsabilités afin de se mettre en conformité avec les niveaux d’exigence attendus. Cela a évidemment un coût. Au cours de ces dernières années, notre secteur a été touché, comme d’autres, par de nombreuses nouvelles réglementations. Il a fallu s’adapter. Bien sûr, cela occasionne de la complexité, cela demande plus de moyens humains et matériels, avec pour conséquence des coûts plus élevés. À l’avenir, la taille critique des activités d’un assureur augmentera pour qu’il puisse assumer ce coût. On devrait par ailleurs voir plus de sociétés rechercher des synergies. Mais les produits distribués gardent tout leur attrait.
Comment envisagez-vous l’avenir pour le secteur de l’assurance-vie au Luxembourg ? Avec optimisme. Le Luxembourg est une place d’assurance et de réassurance performante, qui est capable d’attirer toujours plus d’acteurs internationaux de renom. Une tendance veut que les activités financières internationales ou transfrontalières soient considérées comme plus à risque que d’autres. Le vrai challenge pour le Luxembourg est de démontrer que ce n’est pas le cas et que l’assurancevie reste un véhicule de première importance pour assurer sa gestion patrimoniale, en toute transparence. Dans ce domaine, nous pouvons compter sur le soutien de Luxembourg for Finance pour promouvoir la place financière et le domaine des assurances luxembourgeois en dehors de nos frontières.
Auteur M. P.