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À SUIVRE SUR LES MARCHÉS

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LAURA ZUCCOLI

LAURA ZUCCOLI

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À suivre sur les marchés

Pour Vincent Juvyns, executive director et global market strategist chez J. P. Morgan Asset Management, l’économie mondiale est désormais sur de bons rails grâce à des mesures de relance. Malgré les attentes limitées en termes de performances sur les marchés, de nombreuses opportunités subsistent.

Quelles seront les grandes tendances sur les marchés pour l’année prochaine et au-delà ? La première chose, en prise directe avec les évolutions macroéconomiques, c’est que nous allons assister à une remontée des taux longs en 2022 et 2023. Cela a déjà commencé. Nous nous attendons, d’ici à la fin de l’année 2022, à ce que le 10 ans américain se situe entre 2 % et 2,5 % et à ce que le 10 ans allemand soit devenu positif. Les taux courts eux, a priori, devraient rester à leurs niveaux d’aujourd’hui jusqu’à la fin 2022. Il y a une pentification de la courbe qui s’opère alors que les grandes banques centrales se désengagent du marché obligataire graduellement en ralentissant l’expansion de leurs bilans.

Pour les investisseurs et les épargnants, sur la partie « sans risque » de leur portefeuille, 2022 sera une annus horribilis. Cela fait 10 ans que l’on se plaint des taux zéro. Mais l’inflation était en même temps aux alentours de 1 %. L’actuelle remontée est synonyme pour les épargnants d’une substantielle perte de pouvoir d’achat. 2022 sera sûrement, de ce point de vue, l’une des pires années de la décennie.

« Prendre du risque sur les actions »

Tout d’abord, une remontée des taux n’est pas a priori quelque chose de positif pour les marchés actions, qui seront déjà freinés par leurs valorisations et par la baisse attendue des croissances bénéficiaires qui, portées en 2021 par des effets de base postpandémiques importants, vont passer de 50 % cette année à un niveau compris entre 8 % et 10 % l’an prochain. Un niveau qui reste quand même légèrement supérieur à ce qu’on a pu voir ces 10 dernières années.

Si le potentiel de hausse est limité, les actions devraient quand même performer positivement.

Historiquement, on observe que la hausse des taux longs ne serait un problème que si ceuxci dépassaient les 3,5 %. On en est encore loin.

Quant à l’inflation, les actions en sont mieux protégées que le cash et les obligations, car l’évolution des prix à la consommation est due pour une large part aux prix de vente des entreprises, d’où une certaine protection des chiffres d’affaires des entreprises à l’inflation.

Donc il faut s’attendre à une baisse du rendement des actions ? Il faut moins attendre des marchés actions en 2022 qu’en 2021. Ce que l’on a vécu ces deux dernières années était exceptionnel. En 2020, les actions sont devenues plus chères

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Coincés entre des taux courts bas et des taux longs qui remontent – tout comme l’inflation –, que peuvent faire les épargnants ? Pour les investisseurs, il n’y a pas beaucoup d’autres choix que d’aller prendre du risque sur les marchés actions.

C’est le niveau que pourrait atteindre, voire dépasser, l’indice CAC 40 d’ici 2022, selon différentes analyses. Ce qui serait un record pour l’indice phare de la Place de Paris qui a atteint un sommet historique à 7.227 points le 16 novembre avant de dévisser avec l’apparition du variant Omicron. La pandémie n’a pas dit son dernier mot sur les marchés boursiers.

dans l’espoir que 2021 apporterait une certaine normalisation économique. Cette année, on a eu cette normalisation économique qui s’est traduite par une croissance bénéficiaire qui devrait atteindre 50 % d’ici la fin de l’année. L’année prochaine sera une année de retour à la normale dans laquelle des éléments comme le dividende seront plus importants dans la contribution au rendement total des actions.

Si les marchés actions devaient avoir une croissance bénéficiaire de 10 %, compte tenu de leur relative cherté, la performance sera une fraction de cette croissance bénéficiaire. Pour 10 % de croissance bénéficiaire, la performance des marchés actions tournera autour de 5 % à 6 %.

Dans ces conditions, l’essor du marché non coté est-il à même d’offrir aux investisseurs les niveaux du rendement auquel ils ont été habitués ces dernières années ? Il est clair qu’un portefeuille diversifié – 60 % actions, 40 % obligations – aujourd’hui devrait donner moins de rendement dans les 10 années à venir que ces 10 dernières années. Chez J.P. Morgan AM, on pense que le rendement annuel moyen de ce type de portefeuille dans les 10 à 15 ans sera de 2,8 %. C’est évidemment bien maigre comme perspectives. Il est certain que les classes d’actifs réels et les classes d’actifs privés ont quelque chose à apporter dans la construction des portefeuilles.

Alors que nous revoyons nos perspectives de rendement des actifs des marchés publics à la baisse, nos perspectives de rendement des marchés privés et des marchés alternatifs sont revues à la hausse.

Par exemple, toujours sur 10 à 15 ans sur le private equity, on table sur un rendement annuel en euros de 6,8 %, de 5,6 % sur le direct lending et de 4,8 % sur le core real estate.

Notre message, c’est que les alternatifs permettent d’augmenter l’espérance de rendement et/ou de réduire la volatilité d’un portefeuille diversifié. Ce qui était quelque chose d’optionnel par le passé est devenu quelque chose de nécessaire aujourd’hui.

Outre l’alternatif, quelles autres thématiques d’investissement devraient retenir l’attention des investisseurs ? La Chine me semble être une bonne option. Ce marché représente aujourd’hui 17,5 % du PIB mondial, pourtant la Chine ne représente encore qu’une très faible part des marchés d’actions et obligataires mondiaux. Respectivement 7,5 % et 10 % au total. Donc ce sont des marchés qui vont encore se développer.

Ajouter de la Chine à un portefeuille permet réellement d’augmenter l’espérance de rendement sans détériorer la volatilité de ce portefeuille. Dans tous les cas de figure, ajouter jusqu’à 10 % de Chine augmente significativement l’espérance de rendement d’un portefeuille sans en augmenter la volatilité.

Au vu du contexte politique et économique, notamment lorsque l’on voit les pénuries d’énergies qui ont récemment touché ce pays, mettre de la Chine dans son portefeuille ne revient-il pas aussi à augmenter le profil de risque ? Non. La croissance de la Chine va baisser, c’est une certitude. Nous nous attendons pour les 10 à 15 prochaines années à 4,2 % de croissance annuelle, donc une baisse substantielle par rapport à ce qu’on a pu connaître ces dernières années.

Mais la Chine monte en gamme dans la chaîne de valeur. La composition sectorielle des indices chinois a changé. L’époque des entreprises paraétatiques inefficientes est révolue. Les entreprises chinoises aujourd’hui sont productives, innovantes et performantes. Dans le même temps, la Chine développe son marché intérieur pour en faire un élément de développement. Avec succès. Le Single Day de début novembre a dépassé les 85 milliards de ventes. Plus que les Black Friday, Cyber Monday et autres. La société de consommation chinoise est bien présente.

En ce qui nous concerne, la croissance ralentit, mais sa qualité augmente. Nous sommes assez à l’aise avec cette dynamique sousjacente.

C’est vrai, aujourd’hui la Chine paye ses choix énergétiques. Elle essaie de se désengager petit à petit du charbon, ce qui a donné lieu aux différentes pénuries énergétiques récentes. Je voudrais quand même rappeler que la Chine, même si c’est le plus gros pollueur au niveau mondial, est sans doute l’un des pays qui bénéficieront le plus de la transition énergétique.

VINCENT JUVYNS

Executive director et global market strategist

J. P. Morgan Asset Management « L’ESG est moins un thème d’investissement qu’une tendance de fond. »

Pourquoi ? Parce que c’est le pays qui produit l’essentiel des batteries utilisées dans les véhicules électriques, l’essentiel des panneaux solaires. C’est aussi un pays qui s’est engagé à la neutralité carbone d’ici 2060 et qui investit énormément. En 2020, la Chine a créé plus de capacités éoliennes que le monde réuni dans son ensemble.

Enfin, l’élément central qui fait que la Chine n’ajoute finalement pas de risque dans un portefeuille est que ce marché n’est quasiment pas détenu par des investisseurs étrangers. Autrement dit, la Chine est décorrélée des autres grands marchés.

Et qu’en est-il des thématiques ESG ? C’est une thématique de plus en plus présente. On constate que la moitié des flux financiers – au moins déjà en Europe – se dirigent vers des fonds ESG. Le marché des obligations vertes a dépassé les 1.000 milliards de capitalisations. Et la transition énergétique accélère le mouvement.

Pour moi, l’ESG est moins un thème d’investissement qu’une tendance de fond.

Face à un tel engouement, n’y a-t-il pas un risque de bulle ? Je ne le crois pas. Sur la partie spécifiquement liée au climat, toutes les entreprises apportant des solutions climatiques à la transition énergétique ont vu leurs cours s’envoler ces dernières années tant la demande et les besoins d’investissements sont grands. Mais si les valorisations sont élevées – le MSCI Global Renewable s’échange à un price earning d’à peu près 30 –, on reste loin des niveaux stratosphériques atteints au début des années 2000 dans le secteur IT.

Sur l’ESG de manière plus large, la tendance de fond ne peut pas s’arrêter. Ce n’est pas quelque chose qui est décidé par l’industrie financière, c’est quelque chose qui est déterminé par la société dans son ensemble. Aujourd’hui, Monsieur et Madame ToutleMonde sont plus sensibles aux thématiques ESG, globalement. Monsieur et Madame Consommateurs privilégient des produits et des services qui répondent à ces critères. Monsieur et Madame ToutleMonde électeurs privilégient les partis politiques qui tiennent compte de ces critères. Et Monsieur et Madame ToutleMonde investisseurs privilégient les produits financiers responsables. Donc, pour l’industrie financière, c’est un no-brainer.

Bien sûr, la situation est imparfaite, notamment par rapport au manque d’harmonisation des législations de par le monde. Mais l’engouement va continuer à forcer le changement en termes de régulation et d’homogénéisation de celleci.

De la stagflation au tapering

Pour Vincent Juvyns, certains mots- clés vont rythmer les conversations ces prochains mois.

Le premier d’entre eux est « Covid ». L’économiste se dit désagréablement surpris par l’évolution récente de la situation. « Peu de spécialistes dans leurs perspectives de 2022 ont inté gré le fait que la pandémie devienne endémique. » Pour lui, les restrictions sanitaires vont se renforcer, c’est inévitable. « Nous ne sommes pas débarrassés du motclé ‘Covid-19’ à l’entame de 2022. »

Le deuxième de ces mots est « marge ». « Partout en Europe et dans le monde, on voit monter une contestation sociale. Les travailleurs demandent des augmentations salariales. Il est à parier que l’impact sur les marges de ces augmentations de salaire sera un thème fort sur les marchés l’an prochain. »

Le troisième est « stagflation », la summa divisio des analystes en ce moment. Vincent Juvyns se range dans le camp de ceux qui ne croient pas à ce scénario. S’il s’attend à une inflation forte en 2022, il espère également une forte croissance qui viendra soutenir la conjoncture et donc éviter ce scénario emblématique des années 70.

« Et n’oublions pas le tapering. 2022 sera l’année du tapering (réduction progressive de la politique d’assouplissement monétaire, ndlr) aux ÉtatsUnis et on en parlera évidemment beaucoup. »

D’abord d’éviter les faux amis que sont cash et obligations souveraines, qui sont vraiment des classes d’actifs qui, avec certitude, vont détruire du pouvoir d’achat.

Ensuite, le courage : il existe mille et une raisons de reporter ou d’hésiter par rapport à un investissement sur les marchés financiers – les interrogations par rapport aux valorisations, à l’inflation, aux marges et à la pandémie pour ne citer qu’elles. Mais l’inflation et la hausse des taux étant là, ce sont les actifs risqués qui offrent la meilleure protection. Il faut donc bien diversifier sa prise de risque sur les marchés.

Et puis, si 2021 fut une année « facile » à bon nombre d’égards – les marchés affichaient de fortes performances avec peu de volatilité –, je m’attends pour 2022 à l’inverse, à des marchés qui apportent moins de performances et plus de volatilité. Il faudra donc du courage pour aller sur les marchés, mais le voyage en vaut la peine parce que c’est la seule manière d’éviter de perdre assurément de l’argent avec des actifs sans risque.

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