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INTERVIEW DE JACQUES VANDIVINIT

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AIDES ÉTATIQUES

AIDES ÉTATIQUES

« Sur les friches, on peut créer de très nombreux logements »

Quand il s’agit de créer des logements, l’assainissement du sol constitue une étape fondamentale du processus.

Le Fonds du logement transforme aujourd’hui deux friches industrielles dans le pays, qui permettront de créer plusieurs milliers d’unités de logement. Son directeur, Jacques Vandivinit, nous explique les opportunités et les défis que représentent ces chantiers.

Romain Gamba Photo

BIO EXPRESS

Formation Né en 1977, Jacques Vandivinit est diplômé en économie et est également titulaire d’un master of business administration, international marketing and strategy délivré par l’Université de Birmingham.

Carrière Avant de devenir directeur du Fonds du logement en 2019, Jacques Vandivinit est passé par la société SES, avant de multiplier les expériences professionnelles chez Luxair, Millicom International Cellular, et Mpulse. Entre 2011 et 2019, il était director consulting au sein de PwC Luxembourg. Le Luxembourg a un riche passé industriel, qui a laissé des traces dans le pays, notamment à travers un certain nombre de friches. Comment le Fonds du logement s’implique-t-il dans la revalorisation de certains de ces terrains ? Aujourd’hui, nous avons lancé des projets de création de logements sur deux friches industrielles : celle de Neischmelz, à Dudelange, et celle de Wunne mat der Wooltz, à Wiltz. Le premier site est un ancien laminoir d’Arcelor, avec un bâtiment principal d’une longueur de 600 mètres, sur un site d’une superficie totale de 32 hectares. Quatre plans d’aménagement particulier (PAP) encadrent ce chantier, qui permettra de créer 1.575 logements à vendre ou à louer, deux crèches, des commerces… À Wiltz, le projet est de taille un peu plus modeste : 1.000 logements, une école et des bureaux seront créés sur une superficie de 25,5 hectares.

Quels sont les défis à relever pour créer du logement sur une ancienne friche industrielle ? Que l’on parle de Dudelange ou de Wiltz, les défis sont à peu près similaires. Il y a tout d’abord la nécessité de dépolluer les sols pour permettre de vivre en toute sécurité sur ces sites. Les terres des anciennes friches industrielles contiennent souvent des huiles et des hydrocarbures, ainsi que, dans une moindre mesure, certains métaux lourds, comme du plomb. Souvent, ce volet implique de creuser pour récupérer la terre et la faire traiter par des organismes privés spécialisés. Sur un site gigantesque comme celui de Dudelange, c’est plus simple, car on peut tout faire sur site. Mais ce n’est pas toujours possible. Pour limiter les risques pour les personnes amenées à vivre sur le site à terme, nous ne construisons donc jamais en sous-sol sur d’anciennes friches, sauf là où les analyses de sol indiquent qu’il n’y a aucun danger. À ce premier défi s’ajoute celui de la préservation de bâtiments classés. À Dudelange, par exemple, la structure métallique du bâtiment est protégée. Nous devons donc veiller à la préserver dans le projet final. Ces différents défis expliquent la durée nécessaire pour mener à leur terme des projets de transformation des friches industrielles. Il nous faudra ainsi 15 à 20 ans pour boucler le projet de Dudelange.

Comment la coordination des différentes parties impliquées se déroule-t-elle ? C’est un autre défi de taille. Entre les entreprises impliquées, les communes, le législateur, les acteurs en charge de la protection du patrimoine et nos propres services, on compte une cinquantaine de partenaires qui doivent travailler en parfaite harmonie. En tant que promoteur, nous prenons en charge ce rôle de coordinateur, en veillant à orienter le projet dans la direction souhaitée. Nous nous occuperons également de la gestion des bâtiments, de leur vente ou location. La particularité du Fonds du logement est que nous proposons des logements à prix abordables. Nous devons donc également maîtriser les coûts à chaque étape pour pouvoir remplir notre mission sociale. Or, avec les événements qui se sont déroulés ces dernières années, et la hausse des prix des matériaux qui a suivi, garantir des prix accessibles au plus grand nombre est devenu plus difficile encore.

Y a-t-il une réglementation précise qui encadre la transformation de friches industrielles au Luxembourg ? La transformation de sites industriels commence par une procédure de cessation des activités de l’entreprise qui occupait le site. Les terrains sont ensuite acquis, généralement par l’État, comme ça a été le cas à Dudelange. Ensuite, un arrêté doit être voté pour autoriser la réutilisation du site et donner un cadre précis au processus de rénovation. Ce texte nous détaille les étapes précises à suivre pour transformer le site. Quand il s’agit de créer des logements, l’assainissement du sol constitue, comme nous l’avons dit, une étape fondamentale du processus. Mais la procédure comporte aussi un volet environnemental. À Dudelange, le site est à l’arrêt depuis 2006. La nature a donc eu le temps de reprendre ses droits. Or, la faune et la flore qui ont investi le site doivent, dans certains cas, être protégées. Concrètement, nous devons par exemple déplacer certains animaux présents à Dudelange sur d’autres sites, ce qui implique de trouver les terrains adéquats. Un autre impératif est de respecter la loi de financement qui a dû être votée pour ce projet, qui dépasse le plafond des 40 millions d’euros.

Quel regard portent les habitants et les acteurs politiques locaux sur les projets de rénovation de friches industrielles ? Les considèrent-ils comme une menace par rapport à un patrimoine historique, ou comme une bonne chose pour leur environnement de vie ? De manière générale, l’attitude des partenaires locaux est plutôt enthousiaste. À Dudelange, la rénovation de la friche Neischmelz permettra de connecter deux quartiers existants, Italie et Schmelz. Aujourd’hui, entre ces deux zones, il y a un site sans vie, qui n’est pas particulièrement agréable d’un point de vue esthétique. Nous allons y créer plusieurs centaines de logements, avec la volonté d’y promouvoir une réelle mixité sociale. En outre, en concertation avec la commune, nous profitons de l’occasion pour améliorer la mobilité dans la zone, en créant certaines routes, en augmentant la fréquence des trains et des bus, etc. La revalorisation de la rivière, aujourd’hui canalisée en souterrain, fait également partie du projet et contribuera à offrir un meilleur cadre de vie à l’ensemble des habitants, tout comme la création d’une nouvelle place. Il y a donc un intérêt très fort des acteurs locaux, ici à Dudelange, comme dans d’autres endroits où nous cherchons à transformer un ancien site industriel. C’est d’autant plus vrai à Dudelange, où la commune gérera 50 % du site, notamment les espaces verts, les voiries, etc.

Au-delà des demandes résidentielles, les associations ou institutions sont-elles nombreuses à vouloir rejoindre des sites nouvellement transformés comme celui de Dudelange ? De nombreux acteurs étatiques nous ont en effet fait part de leur volonté de rejoindre le nouveau quartier qui sera créé à Dudelange. On peut citer la police, l’Administration des contributions directes, la bibliothèque de la ville… Le ministère de l’Éducation souhaiterait également y créer des logements pour les jeunes en difficulté. Nous pensons qu’il y a une place pour de très nombreux acteurs et services sur ce site. Notre rôle est d’arbitrer la distribution des espaces afin de répondre au mieux aux besoins locaux.

Aujourd’hui, on ne peut plus construire, que ce soit sur des friches industrielles ou ailleurs, sans prendre en compte le volet environnemental et énergétique.

Quelles sont vos ambitions, à ce niveau, sur les friches de Dudelange et de Wiltz ? Au niveau de l’énergie, l’installation de panneaux photovoltaïques et solaires est prévue dans chacun des projets. À Dudelange, nous envisageons aussi l’utilisation de la géothermie profonde, qui permettra de chauffer non seulement le site, mais aussi tout le quartier. L’ambition est donc de se passer totalement d’énergies fossiles. De manière plus générale, la transformation de friches industrielles permet aussi d’avoir un impact positif sur l’environnement : nous rendons plus propres des sites qui sont déjà bétonnés, ce qui vaut évidemment bien mieux, d’un point de vue environnemental, que d’aller construire sur un terrain naturel, comme une pâture ou une forêt.

Nous avons beaucoup évoqué les défis représentés par la construction sur des friches industrielles. Quelles sont les opportunités que cette construction présente pour un acteur comme le Fonds du logement ? Pour le Fonds du logement, les petits projets sont très intéressants, mais ils ne permettent de créer qu’un nombre réduit de logements. Avec la transformation de friches industrielles, nous avons l’opportunité de faire du volume. Or, nous avons l’ambition de passer de 100 logements créés actuellement chaque année à 150 ou 200 dans les prochaines années. Les projets comme ceux de Wiltz et de Dudelange nous permettent d’atteindre plus rapidement l’objectif fixé. En outre, pour des acteurs publics comme le Fonds du logement, les friches peuvent s’avérer intéressantes d’un point de vue financier. Souvent, les terrains ont en effet déjà été acquis par l’État, et nous pouvons ensuite les reprendre pour un prix acceptable. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de vous rappeler combien les prix des terrains « normaux » sont devenus inaccessibles aujourd’hui pour une institution comme la nôtre, comme pour la majorité des particuliers.

Ces prix en hausse sont responsables d’une véritable crise du logement au Luxembourg. La transformation des friches constitue-t-elle une piste que l’État devrait mieux exploiter pour trouver des solutions à cette crise ? Ce n’est pas réellement mon rôle de dire à l’État ce qu’il devrait faire. Et même si on devait inciter l’État à aller dans ce sens, il faut bien constater qu’il n’y a plus tellement de friches industrielles qui ne sont pas exploitées au Luxembourg. Ce qui est clair, par contre, c’est que les demandes pour des logements abordables sont en hausse significative du côté du Fonds du logement. Nous nous concentrons surtout sur la location. En quelques mois, nous sommes passés de 4.000 dossiers en attente d’une location à 6.500. À cela s’ajoutent les 7.000 prospects qui se sont présentés à nous l’an dernier pour acquérir un logement. Chacune de ces demandes de location est analysée par notre commission, qui octroie un certain nombre de points à chaque ménage en fonction de différents critères : les revenus, la salubrité du logement actuel, etc. Nous décidons aussi parfois de louer à certaines asbl qui, ainsi, pourront mieux aider ce même public. C’est notamment ce que nous faisons avec l’association Stëmm vun der Strooss, qui vient en aide aux personnes défavorisées dans le pays.

« Construire sur un site déjà bétonné comme une friche vaut mieux, d’un point de vue environnemental, que d’aller construire sur un terrain naturel. »

Le Fonds du logement est-il en quête d’autres friches industrielles, comme celles de Dudelange ou de Wiltz, pour y créer de nouveaux projets immobiliers ? Considérant les défis spécifiques liés à ce type de terrains, nous ne cherchons plus aujourd’hui à acquérir d’autres friches industrielles. Nous avons déjà énormément de travail avec Wiltz et Dudelange, et notre équipe, qui est aujourd’hui active dans 60 communes luxembourgeoises, pourrait difficilement s’occuper d’un autre dossier de ce genre.

Quels sont les autres projets majeurs sur lesquels planche aujourd’hui le Fonds du logement ? Un projet important vient d’être lancé à Mamer et devrait nous occuper au cours des 5 à 8 prochaines années. Il faut tout y créer, notamment les infrastructures routières, le passage des tuyaux et câbles dans le sol, etc. Je reste très prudent sur la durée du chantier, considérant la pénurie actuelle de matériaux qui pourrait retarder considérablement le déroulement des travaux. 150 unités de logement seront créées sur ce site. Le même nombre de logements devrait être créé sur l’ancienne cité Syrdall, à Biwer. À Echternach, un autre projet en cours devrait contribuer à la création de 200 logements. À Eisenborn, nous transformons actuellement un ancien couvent. C’est un projet complexe, car il a une dimension patrimoniale importante. Mais il nous permettra de créer 30 logements supplémentaires. En outre, dans le cadre du Pacte logement 2.0, des moyens ont été mis en œuvre par l’État pour récupérer des terrains, qui seront mis à disposition des communes. Si celles-ci n’en veulent pas, nous pourrions y créer de nouveaux projets. Ce qui est clair, c’est qu’en tant qu’acteur public à finalité sociale, nous devons construire pour répondre à la demande croissante en logements à loyer abordable. Nous continuerons évidemment à faire le maximum pour atteindre nos objectifs en la matière.

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