3 minute read
Le carpe diem créole ou l’évolution du confort
Texte : Corinne Daunar
CREDIT PHOTO FONDATION CLEMENT ET JARDIN DE BALATA
Advertisement
Le carpe diem créole ou l’évolution du confort
Les intérieurs créoles se sont longtemps développés d’un point de vue pratique, où l’utilitarisme était maître. Pourtant, à mesure de sédentarisation, cette société nouvelle reconstitue les codes européens, autant qu’elle dessine, en parallèle, les particularismes d’une hiérarchie sociale purement coloniale. Et parmi ces marqueurs, c’est l’expression, à mesure, de formes inédites du luxe et du confort qui prend en ampleur.
Des prémices fort peu commodes
Aux prémices de la colonisation, les cases qui constituent les premières habitations des nouveaux conquérants sont rudimentaires ; le confort lui, est superflu et bien peu accessible. Propriétaires, engagés et premières cohortes d’esclaves logent dans des baraquements semblables, que de modestes aménagements et quelques meubles rustiques rendent plus commodes. Les maisons, simples, se dressent derrière des parois de bois tressé ou de torchis et ne renferment souvent que des espaces uniques. C’est seulement à mesure de temps que ces habitats se différencient et s'emparent, peu à peu, de nouvelles marques de confort. Quelques auvents, des pièces ajoutées, une extension de l’existant, les années, comme les deniers, font leurs œuvres sur les bâtis de maîtres. Les constructions suivantes intègrent parfois un étage plus étroit, le « belvédère » ; les problématiques d’aération, de protection contre la chaleur ou les affres du climat sont de plus en plus prises en compte.
L’irruption du confort
Le confort, en d’autres termes, intègre les réflexions de constructeurs, au-delà de l’unique portée fonctionnelle du logis. L’évolution de la société créole participe aussi de cet essor des nouvelles formes d’habiter : la population croissante, la fondation de foyers pérennes, l’agrandissement des exploitations et des familles supposent des intérieurs plus agréables. Plus encore, dans une France en miroir, les enjeux de luxe et d’élégance font leur chemin chez les colons et propriétaires du XVIIIe siècle et des suivants. Dans le courant du XVIIIe, une conception originale de la maison commence à diffuser sur les îles d’Amérique : le modèle à corridor central, qui établit tout à la fois l’intimité de l’intérieur et la praticité de nouveaux espaces de vie. Les salles à manger s’inaugurent dans les galeries couvertes et désormais protégées de jalousies ou caillebotis, des salons d’apparat ou de réception s’installent dans les plus riches demeures. Les vérandas, balcons et autres
terrasses accueillent volontiers les chaises à bascules et banc de réflexion, et se positionnent tout autant dans cette recherche du temps suspendu. Les matériaux et techniques d’Amérique (Louisiane) permettent la réalisation de structures plus légères, plus ouvertes, mieux adaptées que les massives reproductions de logis normands ou bretons.
Le mobilier, vecteur pluriel de montée en confort
Et cet enjeu de la commodité se confond aussi dans l’agrément dont dispose le logis : de retour aux premiers temps de la colonisation, les meubles sont de facture très rudimentaire et, rarement, importés de métropole. Côté chambre, à l'origine unique espace de la maison, l’aménagement est extrêmement simple et le confort tout relatif. Les célibataires dorment dans des hamacs de coton, à l’instar des Indiens Caraïbes qui les ont précédés, et seuls les couples mariés bénéficient d’une couche à la française.
Des décennies plus loin, la pièce s’est enrichie de lourds lits tournés en bois précieux et baldaquins ingénieux (parfaits pour tendre une moustiquaire). À chaque époque, son dessin particulier et ses marqueurs de mode, que les meubles d’appoint, console de chevet, marche-pied, coffre à linge, suivent également. Au salon, où l’on reçoit, où l’on se montre, le pas est immense entre les premières planches posées sur tréteaux et leurs chaises de bois blanc quelque peu branlantes, et les majestueuses tables de courbaril ou d’essences rares, dont les pieds travaillés et les assises assorties doivent faire montre de l'élégance et de l’aisance des occupants. Les meubles, de plus en plus, engagent cette fonction de démonstration sociale, où la seule praticité n’est plus la priorité.
C’est la rencontre des modèles importés, des réalisations sur plan par les artisans locaux, de la spécialisation des ateliers et de la capacité pécuniaire d’une clientèle exigeante qui compose alors l’intérieur créole, dans cette rencontre du luxe et de l’utilitaire.