GÉOPOLITIQUE Entretien avec HAÏDAR EL ALI moins le capitaine qui ne va jamais en prison ! Par conséquent, nous devons changer les lois pour les adapter à ces nouvelles pratiques de pêches non déclarées et parfaitement illégales.
tout autant menacée par la grande pêche industrielle, et le démersale profond, qui concerne surtout le merlu et la grande crevette, ressource plus marginale et pêche moins pratiquée au Sénégal. Ces quatre grandes ressources sont toutes gravement menacées par la pêche industrielle dont les techniques de masse restent non sélectives. Celles-ci ont été généralisées à une époque où la ressource était très abondante, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Si on continue à pratiquer les techniques actuelles de pêche, ces ressources vont tout simplement disparaître et plonger les pays de toute l’Afrique de l’Ouest dans une totale misère. Par conséquent, il est urgent d’agir, tant sur les périodes de repos biologiques que sur les tailles marchandes afin d’affiner et de différencier les « types » de pêche. À terme, nous n’échapperons pas à la mise en place de zones d’exclusion totale où la pêche sera absolument interdite. >>
■ Quels risques la pêche industrielle fait-elle peser sur l’éco-
nomie et la population du Sénégal ?
Ministre de la Pêche atypique et peu diplomate, Haïdar El Ali est d’abord un homme de cœur et de convictions, un vieux militant écologiste, le « Cousteau africain » qui a consacré sa vie à la protection de l’environnement et des ressources naturelles de l’Afrique. Luttant contre la déforestation, pour le reboisement de la mangrove, cette conscience africaine tire le signal d’alarme : la pêche illégale menace la sécurité alimentaire du Sénégal sans compter la perte qu’elle génère de près de 230 millions d’euros par an.
Répartition et évolution de la population ouest-africaine
N
Mauritanie
Population par pays en millions
Mali Niger
300
Sénégal Tchad Gambie
dans la majorité des cas, ce bateau commence par dissimuler sa véritable identité, ensuite après les vérifications d’usage et une fois le pavillon et l’armateur identifié, le pirate n’encoure qu’une amende financière. La plupart du temps, les amendes sont beaucoup plus faibles que les dégâts occasionnés. À bord de l’Oleg Naïdenov, se trouvait pas moins de 1 000 tonnes de poisson… Sans compter qu’on ne peut saisir que les engins de pêche, mais pas le bateau et encore
Monsieur le Ministre, quelles leçons peut-on tirer de l’arraisonnement par votre Marine nationale du chalutier russe Oleg Naïdenov, en décembre dernier, dans la ZEE sénégalaise ? ■
La première des grandes leçons qu’on doit tirer de cette affaire exemplaire concerne les vides juridiques de la législation sénégalaise en matière de pêche illégale. Lorsqu’un pirate des pêches est arraisonné dans les eaux sénégalaises,
Guinée Bissau
150
Guinée
Bénin
100
Nigéria
Sierra Leone Libéria
Nigéria
250 200
Burkina Faso
Propos recueillis par Richard Labévière
2050
« LA PÊCHE INDUSTRIELLE RISQUE DE PLONGER LES PAYS D’AFRIQUE DE L’OUEST DANS LA MISÈRE »
1. L’épithète démersal s’applique à un poisson vivant près du fond sans pour autant y vivre de façon permanente. Le terme a été construit au XIX e siècle à partir du latin demersus, participe passé du verbe demergere qui signifie plonger. Les poissons démersaux sont divisés en deux grands types : benthiques qui vivent constamment sur le fond de la mer et benthopélagiques qui flottent juste au-dessus du fond de la mer. La faune démersale vit en pleine eau mais à proximité immédiate du benthos et s’en nourrit. Outre des poissons, la faune démersale comprend aussi des animaux invertébrés (crustacés, céphalopodes). 2. Dans le monde, sardine, sardinelle, anchois, maquereau, chinchard, hareng et autre petit poisson pélagique tiennent une place considérable dans l’équilibre alimentaire de nombreuses populations parmi les plus pauvres. Ces espèces qui représentent les volumes les plus importants dans les captures de toutes les mers du globe, sont aussi les espèces les plus convoitées par l’industrie minotière.
2007
M. Haïdar El Ali, ministre sénégalais de la Pêche et des Affaires maritimes depuis 2013. Ancien ministre de l’Écologie et de la Protection de la Nature entre 2012 et 2013. Directeur de l’Oceanium de Dakar (photo : Nicolas Hellio-Vaningen).
Il faut répondre en analysant la ressource. Les eaux sénégalaises sont riches de quatre types de ressources. Nous avons d’abord les espèces démersales 1 côtières, très ciblées par les navires industriels qui utilisent des techniques ravageuses pour l’habitat de ces poissons. Leurs chaluts très puissants fonctionnent comme des bulldozers qui retournent les cailloux, déstructurent les massifs et les plis des fonds marins. Après leurs passages, l’environnement marin est totalement et durablement perturbé. Une fois leur forfait accompli, ces mêmes bateaux rejettent à la mer des tonnes de poissons morts, tous ceux qui n’ont pas grande valeur commerciale, pour ne pas encombrer leurs frigos. À terme, il s’agit, bien-sûr, de tout mettre en œuvre pour éradiquer ce genre de pêche. 2 La seconde ressource de nos eaux est le petit pélagique qui constitue l’essentiel de la pêche artisanale avec 350 000 tonnes par an. Ce type de poissons garantit actuellement la sécurité alimentaire du Sénégal et de l’ensemble de la sousrégion. Cette dimension vitale de notre sécurité alimentaire est aussi victime de la pêche industrielle illégale. Les bateaux usines vont ensuite la vendre à des industriels qui la transforment en farines pour la nourriture des animaux d’élevage des pays soit disant « développés ». Il y a ensuite le grand pélagique comme le requin et le thon, ressource
Togo Côte d'Ivoire
50
Ghana
1950
Ministre sénégalais de la Pêche
0
Cameroun
Cap-Vert
© Club du Sahel et de l'Afrique de l'Ouest/OCDE
Sources : Nations unies
Les enjeux alimentaires sont vitaux pour l’Afrique en général et l’Afrique de l’Ouest en particulier dont la population va encore croître d’ici 2050.
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MARINE&OCÉANS N° 242 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014
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