Le temps et la Mer

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L’AIR DU TEMPS

La mesure du temps est présente sur “ les navires depuis que la navigation existe ”

Au commencement étaient le temps et la mer…

Propos recueillis par Lormel du Plessis

Photo : DR

Entretien avec CONSTANTIN PÂRVULESCO * commence l’histoire de la relation entre l’horlogerie et la mer ?

La mesure du temps est présente sur les navires depuis que la navigation existe, tout d’abord avec les sabliers, pour mesurer la durée des quarts, puis la vitesse en nœud. Elle ne prendra son essor qu’avec la navigation astronomique proprement dite à la fin du XVIIIe siècle ou une heure précise de référence, en relation avec l’observation de la culmination du Soleil, permet alors enfin de calculer la longitude. La navigation antique se limitait le plus souvent au cabotage ou à une navigation à l’azimut corrigée par l’observation des étoiles adaptée à la Méditerranée, mais absolument inefficace sur les grands océans que les navigateurs commencent a explorer à la suite de Cabot, Colomb, Magellan, Vasco de Gama et tant d’autres.

Chronomètre de marine de Glashütte de la production des années 80 pour la Wolksmarine avant la chute du Mur de Berlin.

■ Outre

la nécessité pour les marins de toujours mieux s’orienter, n’y a-t-il pas déjà, très tôt, derrière cette recherche scientifique et technique, un fort enjeu économique ?

Photo : S.R

Chronomètre de marine de Julien Le Roy en service sur les vaisseaux de la Marine imperiale.

Montre à l’effigie du Kaiser Guillaume II, signée Lange & Söhne, chef d’œuvre de l’horlogerie de luxe allemande des années 1890.

■ Qui

sont les premiers grands horlogers, les premiers « maitres du temps », à s’intéresser aux besoins des marins ?

Photo : A. Lange & Söhne Photo : Collection L. Le Roy

L’enjeu économique et humain est tel que l’amirauté britannique avec le Longitude Act, en 1714, fixera une prime de 20 000 livres, l’équivalent de plusieurs de nos millions d’euros, à qui trouvera le moyen d’une navigation sûre grâce à la détermination de la longitude avec une précision inférieure au demi-degré. En effet, avec l’intensification du trafic maritime intercontinental à la fin du XVIIe siècle, les naufrages, suite à des erreurs d’estime, sont de plus en plus fréquents, des cargaisons sont perdues, l’or des Indes et de l’Amérique, les épices, les porcelaines et les étoffes précieuses sombrent dans les profondeurs. Les navires s’éventrent sur les récifs et les pertes humaines, en raison des équipages de plus en plus nombreux, deviennent préoccupantes. L’amiral Cloudesley Shovell, lui-même, naviguant par temps de brouillard au nord des îles Scilly avec sa flotte, fit naufrage en 1707 et 2 000 hommes périrent en mer.

Tous les horlogers de la fin du XVIIIe siècle vont s’attacher à mettre au point des chronomètres capables de conserver l’heure du port de référence malgré les variations de température et les mouvements du navire. Ce sera George Harrison qui, à la suite de nombreux

Photo : Collection Musée maritime

■ Quand

Astrolabe de navigation portugais signé Nicolas Ruffo vers 1645, découvert dans une épave.

déboires avec l’amirauté, emportera finalement le prix, en 1761, après une vie entière consacrée à la résolution des problèmes de la chronométrie. Thomas Cook puis La Pérouse embarqueront ses chronomètres à leur bord et apporteront la preuve de leur efficacité. Après lui, Graham et Arnold en Angleterre, Leroy, Breguet et Berthoud en France s’attacheront à la mise au point de chronomètres de marine suffisamment précis et surtout reproductibles en manufacture pour subvenir aux >> besoins des marines militaires et commerciales.

* Constantin Pârvulesco

Écrivain voyageur, initié à l’art horloger dans les années 60 par un grand-oncle restaurateur de Breguet à Paris, chroniqueur à La Revue des Montres, Heure Suisse et Hors lignes, Constantin Pârvulesco a publié chez divers éditeurs et en plusieurs langues, plus d’une demi douzaine d’ouvrages sur l’horlogerie dont L’Heure en mer, une histoire de chronomètres (E.T.A.I, 2010), mais aussi sur le monde maritime avec notamment La Belle plaisance (E.T.A.I), Barques de pêches de nos côtes (E.T.A.I), Gondoles symboles de Venise (Éditions du May), ou encore Sauveteurs en mer (Éditions Larivière) consacré à l’histoire de la SNSM.

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L’AIR DU TEMPS LES MONTRES ET LA MER

La belle histoire des horlogers et la mer

■ Les réalisations des grands horlogers ont été utilisées pendant très longtemps par les différentes marines, jusqu’à quand et qu’en est-il aujourd’hui ?

par Jean-Stéphane Betton

’est dès la première moitié du XVIIIe siècle qu’un artisan anglais de génie – John Harrison – inventa et développa un mécanisme pour des horloges embarquées à la mer, suffisamment fiables et précises pour permettre de résoudre de façon satisfaisante, selon la méthode chronométrique de transport du temps, le problème posé alors par le calcul de la longitude. Ce gardetemps devait être insensible aux mouvements de tangage ou de roulis du navire et bientôt même, indifférent à la gravitation ellemême. C’était l’instrument révolutionnaire que tous les navigateurs au long cours attendaient. Les innovations technologiques contenues dans ces premiers chronomètres de marine ont rendu possible le développement ultérieur des montres bracelets.

C

■ Qui sont aujourd’hui les grands horlogers encore très liés

trie que l’on connaît ?

À partir du début du XIXe siècle, toutes les grandes maisons horlogères vont consacrer une partie de leurs efforts à ce fabuleux et prestigieux marché des commandes officielles. Les Anglais avec des noms comme Mercer, les Allemands avec A. Lange de Glashütte, Wempe de Hambourg, Ulysse Nardin ou Locle en Suisse, Breguet à Paris, Jurgensen à Copenhague, Hamilton aux États-Unis pour ne citer que quelques uns des plus connus, vont produire des séries de chronomètres de toutes tailles et des montres de pont pour équiper toutes les grandes marines du monde. Certains horlogers produisent entièrement leurs mouvements, d’autres finissent, assemblent et règlent des ébauches fournies par des grossistes. La fabrication d’un chronomètre de marine est largement manuelle et la qualité des réglages est primordiale. Des concours de chronométries sont organisés en Suisse, en France et en Angleterre sous l’égide des grands observatoires nationaux qui garantissent la précision des garde-temps. Bientôt, dès la fin du XIXe siècle, ce sont plusieurs chronomètres qui sont installés à bord.

La production d’instruments de plongée professionnelle Panerai des années 50.

Ce lien originel unissant les horlogers et la mer ne s’est, par la suite, jamais démenti, comme en témoigne l’engagement de nombreuses marques prestigieuses auprès de toutes les marines du monde, à la guerre, au commerce ou même à la voile sportive et à la plaisance. Abraham-Louis Breguet met au point, en 1815, un chronomètre de marine à double barillet remarquablement précis qui équipera les derniers voiliers de la marine de guerre française bientôt remplacé par les premiers bâtiments à vapeur. Mariant la technologie et le luxe, c’est la même maison Breguet qui réalisa, en 1810, la première montre bracelet pour la Princesse Caroline Murat, Reine de Naples. En 1927, la firme Rolex qui avait mis

Le chronomètre H5 de Harrison datant de 1722 avait une dérive d’un tiers de seconde par 24 heures.

au point les premières montres de poignets véritablement fiables, sort le premier modèle waterproof afin de résoudre les problèmes mécaniques liés à l’humidité et à la poussière. Bientôt apparaissent les premiers prototypes de montres capables de conserver le temps sous l’eau, avec les premières unités spéciales de nageurs de combat italiens, ces fameux hommes-torpilles du Prince Valerio Borghese qui s’illustreront en Méditerranée et en Mer noire, entre 1941 et 1943, sous la fière devise Memento Audere Semper… Souviens-toi d’oser toujours !, du poète Gabriele d’Annunzio. Pour eux, la firme italienne Panerai commence, à cette époque, à mettre au point les premières montres bracelets résistantes à l’eau salée avec un cadran luminescent Radiomir réalisé à >>

Photo : DR

■ Comment cette expertise horlogère devient-elle l’indus-

MÉCANIQUE DE PRÉCISION ET BEAUTÉ

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Abraham Breguet, l’horloger des rois et de l’empereur, conçoit et réalise aussi bien des chronomètres de marine de grande précision que des montres mêlant beauté, luxe et technologie, dont la première montre bracelet pour Caroline Murat, reine de Naples (photo).

Photo : DR

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De nombreuses maisons horlogères utilisent le prestige de leur passé mais en réalité, la précision des horloges électroniques a fini par supplanter les mouvements mécaniques et la production de chronomètres de marine mécaniques est devenue anecdotique. Songeons cependant que ce sont des mécaniques quasi indestructibles et que seule la perte du navire en mer peut mettre fin à sa carrière. Les derniers à produire encore des chronomètres de marine, en quantité appréciable, seront les Soviétiques. Cependant, quelques anciennes maisons de fournisseurs officiels de la Marine, comme Auricoste, continuent à livrer les unités de la Royale en systèmes de garde-temps, mais électroniques à présent. L. Leroy et Patek Philippe ont également signés des chrono■ mètres électro-mécaniques dans les années 50.

Photo : Collection Panerai

Photo : DR

au milieu maritime ?

Montre de plongeur démineur soviétique de la manufacture Kirova de Moscou. En bas, chronomètre de poche IWC pour la Marine allemande, catégorie de precision de 2e classe.

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Depuis presque trois siècles, le travail des horlogers reste un art indissociablement lié à l’aventure humaine sur les océans. Embarquement.

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Photo : DR

La qualité extraordinaire de la production de chronomètre de marine était telle, qu’il n’était pas rare, dans les années 50, avant l’abandon progressif de la navigation astronomique remplacée par la radio, le radar et le GPS, de trouver, à bord d’unité civile ou militaire, des pièces datant du XIXe siècle et en parfait état de fonctionnement après plus de cent ans de service continu en mer. Les horlogers de la marine étaient les seuls habilités pour la révision régulière et l’entretien de ces pièces de haute précision et les carnets d’entretien qui les accompagnent attestent de leur longue histoire. Avec la généralisation de l’emploi de la radio, un top horaire très précis devenait possible sur toute la surface des mers, et une simple montre à seconde centrale devenait suffisante pour faire le point. Les chronomètres ne seront plus conservés à bord que par habitude et par sécurité en cas d’interruption de réception radio. Le GPS donnera le coup de grâce à la navigation astronomique devenue obsolète. Cependant, il reste évident qu’en cas de conflit, il est impensable de devoir la sécurité de la navigation de ses unités à un système possiblement sous contrôle de l’ennemi.

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L’AIR DU TEMPS LES MONTRES ET LA MER >> partir d’une substance à base de radium lisible la nuit. Mais la première véritable montre de plongée militaire est sans doute la Fifty fathoms de la firme suisse Blancpain (lire encadré), une montre étanche jusqu’à 50 brasses, comme son nom l’indique en anglais, soit un peu plus de 90 mètres de profondeur. Elle fut produite à partir de 1953 à la demande du capitaine Robert Maloubier, le père des nageurs de combat français, qui vient de nous quitter au printemps 2015 (voir M&O n°247).

Blancpain Ocean Commitment epuis plus de soixante ans, l’histoire de Blancpain est étroitement liée à l’univers de la plongée. Tout débute en 1953 lorsque la Manufacture développe la première montre de plongée moderne: la Fifty Fathoms. À l’instar des plus grandes réussites, la Fifty Fathoms est le résultat d’une passion, celle de Jean-Jacques Fiechter, alors Président de Blancpain, et de sa collaboration avec le capitaine Robert « Bob » Maloubier, cofondateur du corps des nageurs de combat de l’armée française. Plus d’un

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Ci-contre : le capitaine Bob Maloubier, fondateur des nageurs de combat français, lors d’une plongée avec, à son poignet gauche, la Fifty Fathoms de Blancpain à la conception de laquelle il avait contribué.

mécaniques devenaient soudain des antiquités, témoins magnifiques d’une technologie complètement dépassée. L’ÈRE DU QUARTZ PUIS DES SMARTPHONES

En 1974, une entreprise japonaise d’électroniques – Casio – surtout connue pour ses calculatrices compactes professionnelles, enfonce un coin terrible en lançant la Casiotron. C’est la première montre bracelet numérique indiquant l’heure, le jour, le mois et l’année en cours. 1983 est pour Casio l’année de la G-Shock, conçue autour d’un concept dit des trois dix ou triple ten : une batterie pour dix ans, une résistance à la pression de dix bars et une

capacité de survie à une chute de dix mètres. Le résultat : une robustesse à toute épreuve, une précision à quartz, un prix défiant toute concurrence pour une montre bracelet massive qui va devenir, dans les années 90, le produit phare de l’entreprise. La G-Shock devient rapidement la montre de tous ceux qui opèrent en conditions extrêmes : militaires des forces spéciales, sous-mariniers, ingénieurs, techniciens, ouvriers des plateformes de l’industrie pétrolière en mer, skippers et marins à la voile de la course au large (lire article page 46). Ce tsunami technologique nippon provoque une déferlante meurtrière qui met en péril la survie des plus anciennes et des plus véné-

rables maisons horlogères suisses. Bientôt plus personne n’aura besoin d’une montre pour savoir l’heure. IPhone, Smartphone et autres tablettes électroniques qui encombrent nos vie en nous géolocalisant au passage, nous renseignent aussi accessoirement sur l’heure qu’il est avec infiniment plus d’exactitude que le plus performant mouvement mécanique du meilleur chronomètre de la plus prestigieuse des maisons suisses. Les montres mécaniques sont désormais des bijoux d’horlogerie que seuls, par une obstination curieuse ou par un souci de distinction aristocratique quelque peu surannée, certains passionnés arborent encore à leur poignet. C’est ce

que comprennent, avant tout le monde, dès les années 80, des hommes d’affaires comme le libanais Nicolas Georges Hayek ou le sud-africain Johann Peter Rupert. À partir de 1983 et 1988, ils s’emploient à constituer des groupes de luxe puissants comme le Groupe Swatch ou le Groupe Richemont qui, à force d’économies d’échelles, de marketing et de publicité, vont mettre en valeur le prestige de certaines grandes marques, et permettre ainsi de sauvegarder le savoir-faire des horlogers suisses. En dehors de ces grands groupes, il reste très peu d’entreprises horlogères indépendantes au monde qui soient capables de maitriser tout le processus de fabrication de leurs

Photo : Blancpain

Collection Fifty Fathoms, modèle Bathyscaphe Chronographe Flyback.

Photo : DR

Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les chronomètres et les montres vont rester des objets rares, symboles du génie humain, alliant des mécaniques de précision de plus en plus complexe à la beauté des œuvres d’art. C’est bien sûr aux États-Unis, pendant la seconde guerre mondiale, que l’industrie horlogère va entrer dans l’ère de la production de masse. La firme Hamilton qui jusque-là produisait des horloges essentiellement à l’usage des chemins de fer, va se lancer avec succès dans la fabrication, en grande série, de chronomètres et de montres pour l’armée et la marine de guerre, équipant ainsi sousmarins alliés et grands navires de combats de surface, jusqu’aux célèbres Liberty ship. Ces cargos de la liberté sortaient des chantiers d’outre-Atlantique à une cadence qui dépassait les capacités de destruction des meutes sous-marines allemande de l’Amiral Doenitz. En livrant, à partir de 1942, plus de 23000 chronomètres de son modèle 22, qui reste l’un des plus performant jamais fabriqué, Hamilton a marqué l’histoire de l’horlogerie militaire. C’est encore lui qui, le 6 mai 1970, a failli mettre fin à toute l’industrie horlogère en présentant à New York la première montre du monde à affichage numérique. Avec l’ère du quartz, les montres et les chronomètres

Photo : Ernest H. Brooks, Edition Fifty Fathoms 2008

GUERRE ET PRODUCTION DE GRANDES SÉRIES

demi-siècle plus tard, force est de constater que la Fifty Fathoms répond toujours aux besoins des plongeurs actuels. En effet, l’ensemble des caractéristiques déterminées par Blancpain en 1953 est quasi identique à la norme NIHS 92-11 (ISO 6425) introduite en 1996 pour les montres de plongée. Ce lien historique se traduit aujourd’hui par la volonté de protéger et de faire connaître au plus grand nombre l’univers fascinant du monde sous-marin en apportant depuis plusieurs années un soutien financier important à des expéditions scientifiques majeures comme les Pristine Seas Expeditions, de National Geographic, dirigées par le Dr Enric Sala, qui ont notamment permis d’assurer la protection de plus de 2 200 000 kilomètres carrés d’étendues marines à ce jour, le Projet Gombessa de Laurent Ballesta, sans oublier l’apnéiste Gianluca Genoni, le World Ocean Summit et le Ocean Innovation Challenge organisés par The Economist, le Hans Hass Fifty Fathoms Award, la Fondation Albert II de Monaco, ainsi que des photographes sous-marins de renom. Tous ces partenariats sont désormais réunis sous le nom Blancpain Ocean Commitment (que l’on peut traduire par l’Engagement de Blancpain pour l’Océan).

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Illustration : DR

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« Face à la logique utilitaire qui emmène le monde, porter une montre mécanique ou faire le point en mer au chronomètre et au sextant ne constituent peut-être désormais qu’un plaisir d’esthète ou une sorte de défi singulier lancé à la vulgarité de l’époque… » Jean-Stéphane Betton

mécanismes et de produire toutes leurs pièces de A à Z. Cela reste l’apanage de quelques marques prestigieuses comme Rolex et Breitling ou encore comme Raketa en Russie. Cette marque a survécu au naufrage de l’Union Soviétique et perpétue aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, dans son usine de Petrodvorets, le savoir-faire de ses ouvriers et une tradition horlogère ininterrompue depuis Pierre le Grand. Ce n’est par hasard si c’est là, face au palais impérial de Peterhof que baignent les eaux froides du golfe de Finlande, non loin de l’île de

Cronstadt, arsenal de la marine russe en Baltique, que se situe le point de départ de presque toutes les grandes entreprises maritimes de la Russie depuis trois siècles. Face à la logique utilitaire qui emmène le monde, porter une montre mécanique ou faire le point en mer au chronomètre et au sextant ne constituent peut-être désormais qu’un plaisir d’esthète ou une sorte de défi singulier lancé à la vulgarité de l’époque mais pourtant ces mécaniques continuent bel et bien de faire rêver les hommes… comme l’ap■ pel du large !

ZRC Grands Fonds 300, la renaissance d’un mythe RC réédite la mythique Grands Fonds 300 créée, dans les années 60, avec et pour la Marine nationale française. La Maison avait alors travaillé avec les horlogers Pastre et Digne – installés à Toulon et spécialisés dans les relations commerciales avec la Marine nationale –, à la conception et à l’élaboration d’une montre de plongée accessible et performante qui deviendra la mythique Grand Fonds 300. Suite au référencement de la première montre, la Marine nationale avait expliqué à ses concepteurs que la couronne à 3 H posait un problème car trop vulnérable lors des manipulations subaquatiques. Elle avait demandé à ZRC de « trouver une solution » pour que la couronne soit protégée sans pour autant gêner les mouvements du poignet et surtout, qu’elle ne puisse pas s’ouvrir sous l’eau. L’équipe s’était alors remise au travail et avait crée la fameuse couronne à 6 H, reliée au boîtier par un système exclusif de canon taillé dans la masse, faisant de la Grands Fonds la première mais également l’unique montre équipée d’un boitier 100 % monobloc, qui plus est usiné dans un acier spécifique renforcé au magnésium et parfaitement antimagnétique : une nécessité absolue pour les plongeurs démineurs de la Marine nationale. ZRC avait développé une anse escamotable exclusive et spécifique à l’entre-corne, permettant le passage de la couronne ainsi que la rotation du bracelet en position fermée uniquement, rendant impossible la mise à l’eau si la couronne n’était pas vissée à fond. L’originalité du bracelet résidait dans ses deux maillons extensibles permettant de porter la montre sur la combinaison de plongée sans autre forme de réglage. Les aiguilles MAGNUM, ultra luminescentes, assuraient une parfaite lecture en immersion. Montre

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révolutionnaire par bien des aspects, la ZRC Grands Fonds – qui équipa les Pompiers de Paris et l’équipe de France de ski nautique – fut surtout LA montre de la Marine nationale à travers l’école de plongée de Toulon, le 3e Groupe de plongeurs démineurs deToulon et le Commando Hubert. Montre de plongée conçue par des plongeurs, elle fut également adoptée par des unités non militarisées – mais soutenues par la Marine nationale –, dont la célèbre Calypso du Commandant Cousteau qui lui fit faire le tour du monde et forgea sa réputation. Dans sa préface d’un ouvrage dédié par ZRC à la Grands Fonds 300, le capitaine de corvetteThomas Garcia, alors commandant du groupe de Plongeurs démineurs de la Méditerranée, explique son plaisir de voir cette montre rééditée : « La maitrise de la plongée, écrit-il, passe par la maîtrise du temps, donc par la montre de plongée. Celle-ci résume, à elle seule, l’exigence et la technicité d’un plongeur démineur. Elle est l’outil indispensable sans lequel nous ne pourrions pas plonger, hier comme aujourd’hui. Si cette montre est de qualité, elle représente et incarne alors l’excellence, ce vers quoi nous essayons tous de tendre quotidiennement durant nos missions. C’est pourquoi, associer de nouveau la ZRC Grands Fonds 300 au monde de la plongée militaire, domaine d’excellence reconnu de la Marine nationale, prend tout son sens aujourd’hui. À l’heure où le Groupe de plongeurs démineurs de la Méditerranée fête son soixantième anniversaire, nous accueillons, avec fierté et émotion, l’une des premières montres utilisée par les plongeurs démineurs. Elle nous accompagnera, dès cet été 2015, durant les campagnes de déminage le long des côtes Méditerranéennes. »

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La montre G-Shock a été conçue pour “ résister au temps, pour rester indestructible…”

« Le design de la G-Shock, totalement axé sur la protection contre les chocs, est la base de la conception de chaque boîtier de montre. » Xavier de La Croix

Propos recueillis par Erwan Sterenn

XAVIER DE LA CROIX Directeur division Horlogerie de Casio France

« Des unités du monde entier sont de gros utilisateurs de nos montres G-Shock en raison de leur fiabilité et de leur robustesse. » Xavier de La Croix

observation permit à l’équipe de concevoir une montre présentant une structure creuse dans laquelle flottait le module. Après avoir réalisé plus de 200 prototypes expérimentaux, ils parvinrent à créer une structure hyper-résistante aux chocs. Le premier modèle DW5000 G-Shock fut lancé en 1983, deux années après le début du développement. Depuis, G-Shock n’a jamais cessé d’évoluer sans pour autant se départir de sa structure de base initiale. Conçue pour résister au temps. Conçue pour rester indestructible. ■ Dans toute sa gamme, G-Shock a conçu la Gulfmaster, une montre exclusivement dédiée au milieu maritime. Quelles en sont les spécificités ?

La G-Shock Gulfmaster possède des fonctionnalités et un design conçus pour répondre à des attentes maritimes et faire face à toutes les forces de la nature. Les fonctionnalités comme la boussole numérique, l’affichage des tendances en termes de pression atmosphérique, de marées et de phase de la lune permettent de s’orienter dans des environnements difficiles. De plus, deux diodes LED blanches illuminent les aiguilles et l’écran LCD. Leur utilisation, associée au revêtement phosphorescent, permet une lisibilité exceptionnelle dans des environnements sombres. La Gulfmaster offre non seulement un design exclusif, mais également un raffinement technologique d’exception : une boussole numérique, un thermomètre, un altimètre, un baromètre, un affichage des phases de la lune, un indicateur des marées et les technologies solaires et radio-pilotées. Toutes les fonctions sont accessibles avec la couronne électronique afin de régler facilement et intuitivement les différentes fonctionnalités de la montre. ■ G-Shock a conçu une montre pour les pilotes de la Royal

Photo : Casio

Air Force.Travaillez-vous avec les unités de l’armée française y compris, bien sûr, la Marine nationale ?

Nous avons effectivement conçu une G-Shock spécialement destinée à répondre aux exigences pointues des pilotes de la RAF. Elle se distingue par son boîtier unique équipé d’un thermomètre pour contrôler la température dans le cockpit, d’une fonction enregistreur de bord et d’un bouton pour indiquer instantanément l’heure UTC. Cette montre résiste à 20 G. En raison de

la fiabilité et de la robustesse de nos montres technologiques, les armées dans le monde entier sont de gros utilisateurs de nos montres G-Shock en mission et nous travaillons, en France, avec de nombreuses unités comme le GIGN, le Raid, ou les Forces spéciales. Nous travaillons aussi, de façon permanente, avec la Marine nationale puisque nous équipons ses plongeurs avec la G-Shock G 2900F-1VER. ■ Quel

processus mettez-vous en œuvre pour répondre aux attentes d’unités aussi exigeantes pour lesquelles une montre est d’abord et avant tout, un outil de travail et quelle garantie leur apportez-vous ?

Les unités et les soldats apprécient depuis très longtemps la qualité, la fiabilité et la robustesse de nos montres. Cette robustesse est l’ADN de G-Shock, la montre la plus robuste de tous les temps. Des idées révolutionnaires comme le boîtier « creux », la protection intégrale et la protection spécifique à chaque pièce importante ont contribué à la robustesse de la G-Shock et ont fait de ce concept de montre antichoc une réalité, ce qui a révolutionné la vision que le public avait des montres. Dans un souci d’amélioration permanente, la G-Shock n’a pas cessé d’évoluer depuis son lancement. Aujourd’hui encore, elle reste à l’image de ses concepteurs capables d’imposer leurs idées novatrices, animés par une passion sans compromis et fidèles à leurs convictions inébranlables. Des technologies uniques en matière de solidité et de résistance aux chocs font des montres G-Shock des championnes de la robustesse.

Les points de contact entre le boîtier, spécialement conçu, et le module sont peu nombreux. Ce dernier peut donc bouger, ce qui le protège des chocs. Le module de la GShock ne nécessite pas de gaine de protection, ce qui la rend plus légère et représente un gain de place. Le cadre est conçu pour éviter que les boutons et l’affichage n’entrent en contact avec les surfaces planes. La G-Shock est de ce fait protégée contre les chocs en cas de chute, et ce, sous tous les angles. Ce design, totalement axé sur la protection contre les chocs, est la base de la conception de chaque boîtier de montre G-Shock. Le cadre qui protège intégralement les boutons et l’affichage, est uniquement composé de résine. Pour les modèles fabriqués à partir de métaux plus fragiles, la résistance aux chocs est renforcée par une couche de protection supplémentaire entre le cadre et le boîtier. Le bracelet fait fonction d’amortisseur. Les proportions polyuréthane/résine permettent de répondre aux normes les plus exigeantes. Grâce à ce savant dosage, la matière n’est ni trop souple, ni trop dure, pour un équilibre idéal ■ entre robustesse et confort de port.

■ Plus précisément ?

Assemblage de la G-Shock dans l’usine mère de Casio, à Yamagata, au Japon, lieu de naissance des modèles haut de gamme de la marque.

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Photo : Casio

■ La robustesse et quelque part la légende de la montre GShock se sont construites, il y a plus de trente ans, sur une étonnante équation baptisée triple 10. Qui est derrière ce concept et cette volonté de concevoir une montre indestructible à une époque où la montre était encore, en l’état de la technologie, un accessoire extrêmement fragile ? Née à une époque où les montres étaient en effet généralement considérées comme des instruments fragiles, G-Shock a vu le jour grâce au rêve d’un jeune ingénieur qui souhaitait créer « une montre qui ne se casse pas, même en cas de chute ». Il s’agissait de Kikuo Ibe, responsable de la conception des montres chez Casio à l’époque. Une solide équipe de projet a été formée en 1981, composée d’à peine trois membres, pour faire du rêve d’Ibe une réalité. Ils se sont mis à l’œuvre en ciblant une conception « Triple 10 » : résistance aux chutes de 10 mètres, résistance à une pression de 10 bars et durée de vie de 10 ans pour la pile. Atteindre leur objectif s’est avéré particulièrement difficile. Épuisés physiquement et psychologiquement après des mois de travail acharné, ils craignirent que le projet ne les conduisit à une impasse. Ce fut précisément à ce moment là qu’Ibe observa des enfants jouant dans un parc. « Aucun impact n’atteint l’intérieur d’un ballon, » pensa-t-il. Cette

Photo : Casio

Photo : Casio

Entretien avec


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Le chronomètre H4 de Harrison. « Jusqu’à sa mort en 1776, Harrison ne cessa d’améliorer et de miniaturiser les modèles de ses horloges dont le fonctionnement ne devait être influencé ni par la pesanteur ni par les mouvements du navire. » Jean-Stéphane Betton

ou l’enjeu de la garde du temps à bord des navires

Photo : DR

Les premières et grandes navigations des Européens ont très vite soulevé la question de la longitude. Comment déterminer la position est-ouest d’un navire sur le globe par rapport à un méridien de référence et obtenir un point précis en mer ? Récit.

epuis longtemps, au moyen de l’astrolabe, les marins savaient mesurer exactement leur latitude, c’està-dire leur position nord-sud sur un cercle imaginaire par rapport à l’équateur. À condition de bien saisir le passage du Soleil au méridien céleste du lieu, c’est-à-dire à l’heure de midi précise localement, cet instrument antique, utilisé par les savants d’Alexandrie depuis le IIe siècle avant JésusChrist, permettait de relever la hauteur d’angle de l’astre à sa culmination par rapport à l’horizon. De là, les marins en déduisaient immédiatement la distance qui les séparait de l’équateur. Ce relevé quotidien de la méridienne nécessitait à coup sûr un peu d’expérience et de précautions pour

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Les premières grandes expéditions maritimes des Européens ont très vite soulevé la question du calcul de la longitude.

Depuis longtemps, au moyen de l’astrolabe, les marins savaient mesurer exactement leur latitude, c’est-àdire leur position nord-sud. Ici, un astrolabe arabe du XIIIe siecle.

ne pas se brûler les yeux, mais il s’est pourtant révélé, pendant des siècles, comme le moyen le plus simple et le plus sûr de connaitre sa latitude en mer. En plus de l’astrolabe, il existait d’autres instruments de mesure angulaire comme le bâton de Jacob au moyen-âge, puis le quartier de Davis apparu sur les navires anglais vers 1595. De nuit, en relevant la hauteur de l’étoile polaire sur l’horizon, il était également théoriquement possible de déterminer une latitude. Valable dans l’hémisphère nord, cette méthode restait cependant imprécise car l’étoile polaire ne se confond pas exactement avec le pôle céleste. Passé l’équateur en se fixant sur la Croix du Sud, elle devenait quasi inopérante à cause

des corrections compliquées qu’elle impliquait et qui n’étaient pas à la portée de la plupart des capitaines. Lors des longues traversées, la longitude était donc obtenue le plus souvent à l’estime, par la tenue quotidienne d’un journal de bord rigoureux qui notait soigneusement le cap et la vitesse du navire. L’estime de la longitude était recalée à chaque nouvelle latitude méridienne mesurée. Ainsi, grâce à l’astrolabe et à la boussole, les marins et les savants cartographes de la Renaissance ont su dessiner des portulans – les premières cartes nautiques à décrire avec assez de précision le tracé des côtes et surtout l’emplacement des ports et des mouillages –, élargissant ainsi considérablement la connaissance géographique de la Terre. L’ENJEU DE LA GARDE DU TEMPS

Depuis Ptolémée, au second siècle de notre ère, la question de la mesure de la longitude avait

Photo : Musée Dupuy de Toulouse

Photo : DR

par Jean-Stéphane Betton

fait l’objet de bien des recherches et de méditations. Même si le fameux géographe antique était parvenu à nommer et à déterminer la position, en latitude et en longitude, de plus de 8 000 points sur une carte du « monde connu » de l’époque, ses calculs de longitude restaient pourtant entachés d’approximations considérables. Les ouvrages du XVIIe et XVIIIe siècles indiquaient plusieurs méthodes pour calculer les longitudes, notamment par l’observation des différentes phases des éclipses par rapport au méridien de Paris1, répertoriées dans des recueils astronomiques publiés par l’observatoire. Bougainville s’y essayera difficilement lors de son voyage autour du monde, au large de Rio de Janeiro, en juillet 1767. Cette méthode de calcul de la longitude scientifiquement fondée sur un phénomène naturel exceptionnel, outre le fait qu’elle nécessitait l’emploi de lunettes et d’optiques puissantes, n’était pas d’une utilité pratique satisfaisante pour résoudre la question quotidienne du point à bord. La réalité c’est que la mesure précise de la longitude est restée longtemps quasiment impossible à obtenir en l’absence de chronomètres de marine suffisamment performants pour conserver la

mesure exacte du temps en mer. En effet, la Terre effectue une rotation sur elle-même en 86 164 secondes, c’est-à-dire à une vitesse de 464,99 mètres par seconde à l’équateur. Un retard mécanique d’une seule seconde de la montre correspond déjà à 46 mètres d’incertitude en longitude sur la carte par rapport à un méridien de référence. 100 secondes, c’est 4 600 mètres… 3 minutes, c’est plus de huit kilomètres… Sabliers et clepsydres à eau se révélaient insuffisamment précis. Quant aux horloges à balancier ou pendules montées sur cardan, elles étaient incapables de résister aux mouvements de gite ou de tangage des voiliers et s’arrêtaient sans cesse. Ainsi la garde du temps en mer devint au XVIIIe siècle un enjeu crucial pour des puissances maritimes comme la France et l’Angleterre. LA « RÉVOLUTION » HARRISON

John Harrison, (1693–1776), inventeur anglais du chronomètre de marine. Cet artisan ébéniste et horloger autodidacte a contribué à révolutionner l’art de la navigation maritime et à résoudre enfin, de manière pratique et satisfaisante, la question du calcul de la longitude à bord des vaisseaux.

En 1714, le Parlement anglais adopta le Longitude Act qui établit un Board of Longitude au sein de l’Observatoire de Greenwich, chargé d’octroyer une récompense de 20 000 esterlins2 pour celui qui découvrirait un moyen sûr de déterminer la longitude avec une marge d’erreur d’un demi-degré seulement après 42

1. Lire : Méridien, Méridienne : textes, enjeux, débats et passions autour des Méridiens de Paris et de Greenwich. De Anita McConnell et Jean-Pierre Martin (Éditions Isoete – 2013). 2. Monnaie d’argent ayant circulé en France capétienne et en Angleterre, y compris sur les vastes possessions françaises des Plantagenets, rois d’Angleterre, (Normandie, Anjou, Saintonge, Poitou, Aquitaine, Guyenne) et demeurée monnaie anglaise après son interdiction en France par Saint Louis, qui avait réintroduit la monnaie d’or sur le territoire du royaume de France (source Wikipedia).

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MARINE&OCÉANS N° 248 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2015

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Le calcul de la longitude

jours de mer, soit une incertitude de 50 kilomètres. Cette commission, composée d’hommes d’État, d’officiers de marine, de savants illustres comme Isaac Newton ou Edmond Halley, allait devenir un brillant foyer de recherche scientifique au XVIIIe siècle et le lieu d’affrontement entre savants astronomes et artisans horlogers. Pour n’être pas en reste, en 1716, le régent Philippe d’Orléans offrit, lui aussi, un prix de 100 000 livres tournois. En 1731, l’apparition de l’octant à double réflexion d’Hadley, précurseur du sextant, permettait des mesures angulaires infiniment plus précises qu’auparavant avec l’astrolabe, le bâton de Jacob ou même le quartier anglais de Davis. Cette précision nouvelle, fruit des progrès de l’optique, ouvrait l’ère de la détermination de la longitude par les distances lunaires. Les astronomes crurent triompher pour un temps mais n’obtinrent pourtant pas les prix promis car leur méthode n’était pas utilisable à tout moment par les navigateurs ni adaptée aux longues distances. C’est l’invention d’un artisan ébéniste et horloger autodidacte, l’Anglais John Harrison qui allait >>


L’AIR DU TEMPS LES MONTRES ET LA MER

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Le capitaine anglais James Cook. « Cook et La Pérouse furent les grands précurseurs du calcul de la longitude par la méthode chronométrique. » Jean-Stéphane Betton

Montre à complications et équation de temps de Ferdinand Berthoud.

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>> progressivement révolutionner l’art de la navigation maritime et résoudre enfin, de manière pratique et satisfaisante, la question du calcul de la longitude à bord des vaisseaux. En 1736, Harrison met au point pour la première fois une horloge à longitude. Elle est embarquée sur l’HMS Centurion entre l’Angleterre et Lisbonne. Il ne s’agissait pas encore du long voyage transatlantique requis pour remporter le prix mais il devenait enfin possible de déterminer la différence entre l’heure solaire et l’heure du méridien de référence. Harrison obtint néanmoins une bourse de 500 livres pour poursuivre son travail. La question du calcul de la longitude allait désormais être résolue par le transport de chronomètres de plus en plus performant. Jusqu’à sa mort en 1776, Harrison ne cessa d’améliorer et de miniaturiser les modèles de ses horloges dont le fonctionnement ne devait être influencé ni par la pesanteur ni par les mouvements du navire. H1, H2, H3 et H4 en 1759, à chaque fois Harrison améliore sa technologie. Enfin la H5 lui vaudra en 1773, à 80 ans, au terme de plus de 40 ans d’essais et d’erreurs corrigées, 8 750 livres – une partie seulement du prix – et la reconnaissance du roi Georges III.

derniers voyages autour du monde et après lui le Français Jean-François de La Pérouse. Le dernier chronomètre d’Harrison utilisait un balancier rapide couplé à un ressort spiral (à spires Ndlr) qui résolvait pratiquement toutes les difficultés liées aux mouvements du navire. Il ressemblait à une grosse montre de poche de douze centimètres de diamètre et préfigurait déjà nos montres bracelets mécaniques. En France, Pierre Le Roy et puis Ferdinand Berthoud, horloger du Roy, mirent également au point, de leur côté, des montres de marine de grande précision. En 1748, Pierre Le Roy avait inventé l’échappement à détente, une innovation fondamentale et caractéristique des montres modernes. Bien que membre de la Royal Society, jamais Berthoud ne fut autorisé à examiner la montre de son confrère anglais, John Harrison. Il parvint cependant, grâce à des informateurs, à la protection de Louis XV et du Secrétaire d’État à la Marine, à améliorer le modèle britannique. Yves Marie de Kerguelen, lors de sa navigation dans les mers australes, s’était vu confier le chronomètre numéro 8 de Berthoud. Au XVIIIe siècle cependant, ces chronomètres demeuraient encore

LA VICTOIRE DES HORLOGERS SUR LES ASTRONOMES

James Cook embarquera l’une de ses horloges lors de ses deux

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des technologies artisanales, extrêmement couteuses et donc rares. C’étaient des objets exceptionnels dans la compétition que se livraient les puissances maritimes qui gardaient jalousement les secrets de leur fabrication. La méthode purement astronomique du calcul de la longitude par les distances lunaires, utilisée par Bougainville et qui ne nécessitait pas de moyens de conservation du temps, resta donc encore longtemps en vigueur. Cook et La Pérouse furent les grands précurseurs du calcul de la longitude par la méthode chronométrique. Mais, ce n’est qu’à partir de 1825 que la Royal Navy commença à équiper systématiquement ses vaisseaux de chronomètres. À partir de ce moment, la méthode chronométrique supplanta la méthode astronomique définitivement moins précise. De progrès en progrès, les chronomètres de marines allaient peu à peu acquérir au XXe siècle, juste avant l’irruption des appareils électroniques, une dérive inférieure à un dixième de seconde par 24 heures… soit la possibilité pour un navire de localiser sa position avec une approximation inférieure à un mille après trente jours de mer ! ■


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