Trimaran MACIF

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Entretien avec

Photo : VPLP

XAVIER GUILBAUD*

Le trimaran MACIF est le premier d’une nouvelle “génération de multicoques entièrement conçue pour un solitaire ” Propos recueillis par Erwan Sterenn ■ Vincent Lauriot Prevost annonçait il y a quelques mois, parlant du nouveau trimaran de François Gabart, un bateau « pas révolutionnaire mais très polyvalent ». Qu’en est-il au résultat ? L’idée, depuis le début, de ce projet, en concertation avec François Gabart et son équipe, fut de partir d’une géométrie de plateforme connue (trimaran avec bras en X) tout en l’optimisant dans les moindres détails. Nous avons cherché à faire un bateau à la fois léger pour être performant dans les petits airs ou les zones de transition et puissant pour attaquer quand les conditions le permettent. Nous avons ainsi pu gagner plus de deux tonnes par rapport à une plateforme comme Groupama 3.

Vincent Lauriot Prevost et Xavier Guilbaud (à droite), architectes du nouveau trimaran MACIF de François Gabart.

■ Quelles

sont les autres innovations ou les originalités de ce nouveau bateau ? Ce bateau est le premier d’une nouvelle génération de multicoques de 100 pieds à être entièrement conçu pour un solitaire dès le premier trait de crayon. Frank Cammas a ouvert la voie en 2010 en remportant la route du Rhum sur son trimaran de 31.50 m, conçu pour faire le tour du monde en équipage ! Le bateau avait alors été adapté pour un solitaire mais il restait lourd et puissant pour un seul homme ! Fort de cette expérience, nous avons défini avec François le moment de redressement et donc la puissance qu’il se sentait de pouvoir exploiter en solitaire et nous avons ensuite dessiné

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le bateau autours de cette contrainte. La longueur a été définie sur des critères de performances et pour assurer un bon passage dans les mers du sud, la largeur a été adaptée en fonction de la masse du bateau et de la puissance cible fixée en début de projet. Grace à notre forte implication sur les bateaux de la coupe de l’America, nous avons cherché à pousser plus loin le mode « vol » en y adaptant de grands foils en V sur les flotteurs, ceci afin de développer plus de portance pour soulager le bateau tout en assurant suffisamment de stabilité pour pouvoir le faire au large en solitaire. ■ Pouvez-vous, en quelques exemples concrets, nous donner la mesure de ce que représente

le maniement d’un tel bateau par un homme seul ? L’élément déterminant pour un solitaire est sa capacité à exploiter sa monture. Le marin doit en effet être en mesure de développer suffisamment de puissance avec ses bras et ses jambes pour manipuler et border ses voiles. Ainsi, nous définissons des charges maximums cibles dans les écoutes, ce qui amène à finaliser un plan de voilure et une puissance de bateau. Franck Cammas sur la route du Rhum 2010 avait exploité environ 65 % de la puissance de son bateau. Nous avons cherché ici à donner à François Gabart la capacité à exploiter 80 à 90 % de la puissance de sa machine à sa mise à l’eau avec une courbe de progression sur trois ans l’amenant petit à petit à partir autour du monde en 2019 avec près de 100 % de sa puissance exploitable. Les manœuvres les plus dures physiquement sur un bateau de cette taille sont les envois de gennaker, les empannages et les renvois de ris. Le marin devra décomposer ces manœuvres et anticiper au maximum les changements de forces et d’orientation du vent afin de ne pas se retrouver dans le rouge. ■ Quelle est la part du skipper et du bateau dans la victoire ? Il s’agit d’un couple bateau / skipper et il est important que le marin se sente en adéquation avec les choix architecturaux pris s’il veut espérer jouer la gagne. Il ne sert à rien, par exemple, d’aller chercher de la puissance à tout prix si son skipper ne peut l’exploiter. Notre rôle, en tant qu’architectes, est d’imaginer et de créer ce que le skipper ressent. Les échanges sont nombreux en début de projet pour parvenir à comprendre la manière de naviguer du marin et ainsi définir les limites du projet et son cahier des charges. ■ Il est arrivé à votre cabinet d’être à l’origine de la conception d’une dizaine de bateaux sur la ligne de départ de grandes courses océaniques. Comment êtes-vous organisés et comment travaillez-vous ? Nous sommes une équipe d’une

dizaine de personnes à Vannes dont cinq architectes et trois ingénieurs. Selon les projets et les phases de conception ou de construction, nous sommes entre deux et trois personnes à travailler sur un projet. Nous partons du principe que toute information liée à la sécurité ou la fiabilité des bateaux est partagée entre toutes les équipes en toute transparence. C’est comme ça que nous progressons et assurons que les bateaux sont plus fiables aujourd’hui. Pour les sujets liés à la performance des bateaux, c’est un peu différent : les données d’entrée, hypothèses ou analyses venant de chez nous sont en général partagées, les données ou retour d’expérience venant des équipes sont elles confidentielles et propres à chaque projet. ■ La France est-elle toujours leader dans la conception et la construction de ces Formule 1 des mers ? Y-a-t-il une concurrence et si oui, comment gardez-vous votre avance ? La France et les marins français ont toujours été très attirés par les courses en solitaire tel que le Vendée Globe et la Route du Rhum mais également par les multicoques océaniques, véritables libellules des mers. Nous avons donc une petite avance en effet mais attention, les Anglo-saxons arrivent et apprennent vite ! Depuis l’été 2013 où la coupe de l’America a été courue en catamaran à foils en baie de San Francisco, les choses ont changés ! Cette coupe a en effet ouvert la voie à une nouvelle génération de bateaux ultra-performants et nous a donnés les moyens de développer des outils d’analyses et de prédictions de performance. Il y a encore un fossé entre ces bateaux volant sur mer plate entre trois bouées et un bateau capable de faire le tour du monde en solitaire ! Pour garder notre avance, nous devons nous remettre en question en permanence et développer sans cesse de nouveaux outils. Travailler sur des projets « haut de gamme » permet de progresser rapidement grâce à des moyens plus impor-

Photo : VPLP

VOILE ENTRETIEN

« Nous avons une petite avance dans la conception des multicoques océaniques mais attention, les Anglo-saxons arrivent et apprennent vite ! » Xavier Guilbaud

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tants et ceci est très vertueux. L’innovation appelle l’innovation… ■ Quelles sont les retombées, encore aujourd’hui, pour monsieur tout le monde, pour le simple plaisancier, d’un programme comme celui de ce nouveau trimaran de François Gabart ? Le monde de la course a toujours déteint sur le monde de la plaisance tout comme dans le monde de l’automobile ou de l’aéronautique. Les recherches que nous menons sur les formes de coques, les géométries d’appendices, les plans de pont, les configurations de plan de voilure ou encore les optimisations de structure sont autant de sujets transposables au monde de la plaisance. Au fil des années, nous avons, par exemple, repositionné les mats sur nos catamarans de croisières afin de reculer les masses et améliorer le rendement du plan de voilure. Nous retrouvons également des étraves inversées pour améliorer les entrées d’eau et limiter le tangage… ■ * Xavier Guilbaud,

architecte naval, est en charge, cette année, du bureau breton du cabinet VPLP (fondé en 1983 par Marc van Peteghem et Vincent Lauriot Prevost), en remplacement de ce dernier parti rejoindre, aux États-Unis, l’équipe d’Artemis pour la Coupe de l’America. Le cabinet VPLP, mondialement connu pour ses monocoques et multicoques de course (Groupama 3, Hydroptère, Maxi Banque populaire V, BMW Oracle…), et de croisière (dont la série des Lagoon), compte 16 collaborateurs répartis entre Paris et Vannes.


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