« Eurofab » : une opération secrète sous très haute surveillance...

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Carnets secrets

« Eurofab » : une opération secrète sous très haute surveillance...

Le Pacific Sandpiper, de la compagnie Pacific Nuclear Transport Ltd. (PNTL)

Après le 11 septembre 2001, la sécurité des navires transportant des matières nucléaires pouvant être détournées à des fins de fabrication d'armes de destruction massives (ADM), va être renforcée. C'est dans ce contexte de menace terroriste, qu'en 2003 les Etats-Unis vont arrêter le projet EUROFAB qui prévoit d'acheminer en France 140 kilos de plutonium militaire pour les transformer en combustible MOX (1). L'opération est réalisée en septembre 2004 sous très haute surveillance, avec semble-t-il la participation d'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) américain. Auparavant, un SNA serait entré en Manche le 15 janvier 2004 pour surveiller le « Pacific Sandpiper » qui se rend de Cherbourg au Japon avec des matières nucléaires. Ce jour-là, le « Bugaled Breizh » est en pêche au Sud du cap Lizard. Explications. Par Joseph Le Gall *

I. Le projet « Eurofab » Dans le prolongement des traités START I et START II portant sur le désarmement nucléaire, le projet dénommé EUROFAB (pour FABrication en EUROpe) s'inscrit dans le cadre du programme d'élimination du plutonium militaire russe et américain déclaré en excès des besoins de défense. Les Etats-Unis et la Russie ont signé en septembre 2000, un accord politique portant sur la réduction de part et d'autre de 34 tonnes de plutonium militaire (PuO2) en excès. Le Département américain à l'Energie a choisi en 2002 d'éliminer sous forme de combustible MOX l'ensemble de ses stocks excédentaires (programme « Mox for Peace »). Une fois transformé en combustible, le plutonium sera « brûlé » dans des réacteurs nucléaires civils de la compagnie d'électricité Duke Power. * Capitaine de frégate (H), ancien officier de renseignement (DPSD)

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(1) Le MOX (Mixed OXides) est un combustible nucléaire composé d'environ 7% de plutonium et de 93% d'uranium appauvri. Le caractère potentiellement proliférant de son contenu en plutonium impose des précautions supplémentaires en termes de sécurité nucléaire. Certaines ONG, dont Greenpeace, affirment que que le commerce international du combustible MOX et le retraitement nucléaire associé présentent un risque de prolifération nucléaire.


Pour démontrer la faisabilité de leur projet, les États-Unis ont décidé de confier à la COGEMA (Compagnie générale des matières nucléaires, devenue AREVA) la fabrication d'assemblages test, à partir du plutonium américain. En 2003, l'autorité nucléaire américaine a choisi la société PNTL (Pacific Nuclear Transport Ltd) (2) pour effectuer en 2004 le transport jusqu’en France de leur plutonium de qualité militaire.

Photo : Le Los Alamos National Laboratory, au Nouveau Mexique, où était stocké le plutonium militaire devant être recyclé par la COGEMA (las.org).

II. La sécurité du transport maritime de matières nucléaires 2.1. Des normes de sécurité drastiques Le transport de matières nucléaires dans le monde est régi par une série de directives précises découlant de conventions internationales et des travaux d’institutions internationales comme l’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ; en premier lieu par la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, déposée auprès de l’AIEA. Ces directives sont mises en œuvre – souvent plus rigoureusement que ne l’exigent les directives mêmes – par les sociétés nucléaires des pays concernés et par les différents organismes nationaux de sécurité avec lesquels elles collaborent. Aux Etats-Unis, il s'agit de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), au Royaume-Uni de l’Office for Civil Nuclear Security (OCNC) et en France de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN). La Convention impose à chaque État exportateur d’obtenir l’assurance que les matières nucléaires seront protégées pendant le transport international conformément aux niveaux énoncés à l’annexe I de la Convention qui définit les niveaux minimaux de protection, tant au plan sécurité que sûreté Les navires sont équipés en particulier : • d'une structure double fond et double coque permettant de minimiser les dommages et de garantir la sûreté en cas d'accident, • de systèmes redondants de navigation, de communication, de production électrique et de refroidissement, • d'un système anti-incendie complet de détection et d’extinction disponible en cas d'urgence, • d'un dispositif de secours pour la production d'électricité, • de deux moteurs et de deux hélices • d'un système de mesure des radiations, • de systèmes de navigation et de suivi par satellite.

Un dispositif d'intervention d'urgence a été mis en place; il couvre le monde entier et assure la disponibilité d'une équipe d'intervention et de sauvetage 24h/24 (Source et photo : AREVA).


Les emballages sont soumis à une série de tests permettant de valider leur résistance et de garantir leur niveau de sûreté. Les tests réglementaires de l'AIEA, simulant les conditions accidentelles de transport, comprennent deux types d'épreuves de chute : une chute libre de 9 mètres sur une surface indéformable et une chute de 1 mètre sur un poinçon en acier. L'emballage, après avoir subi ces épreuves de chute, est soumis à un test de feu enrobant de 800°Celsius pendant 30 mn, puis à un test d'immersion jusqu’à 200 mètres. A l'issue de ces épreuves, l'emballage doit conserver la totalité de son étanchéité et de ses fonctions de confinement afin de maintenir le niveau de rayonnement extérieur dans les limites internationales admises. Emballage de transport de MOX (AREVA)

Pour ce type de cargaison hautement sensible, la réglementation internationale prévoit des navires disposant de capacités défensives importantes avec des gardes dotés d'armes de gros calibres et une escorte. Ainsi, pour les longs voyages océaniques, la compagnie PNTL utilise deux navires armés de canons à tir rapide de 30 mm, dont un seul transporte les matières nucléaires. Les équipages font l'objet de contrôles de sécurité pour éviter toute tentative d'infiltration d'agents dormants. A bord, est mis en place un système à deux clefs ; une personne seule ne peut donc avoir accès à des zones sensibles sans l’autorisation d’un officier dûment habilité. Chaque transport maritime de matières nucléaires sensibles fait l'objet d'un plan spécifique de sécurité adapté et d'une préparation minutieuse. Sont étudiés les modes opératoires susceptibles d'être utilisés par des acteurs voulant détourner ou entraver d’une façon ou d’une autre une cargaison. Des contre-mesures sont élaborées. Pour des raisons évidentes de sécurité, ces mesures de protection ne sont pas révélées.

2.2. La menace terroriste En 2003, quand est décidé le transfert de plutonium militaire vers la France, nous sommes deux ans après les évènements du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis ont pris conscience qu'ils avaient gravement sous-estimé les moyens d'Al-Qaïda. Dès lors, la menace d'un attentat nucléaire ou radiologique (bombe sale) par des terroristes est devenue une obsession pour le président américain, George W. Bush. Des directives sont données aux agences de renseignement américaines, ainsi qu'à l'autorité de sûreté nucléaire, la Nuclear Regulatory Commission (NRC) afin de se prémunir contre le terrorisme nucléaire. Le président américain George W. Bush craignait une action d'Al-Qaïda contre des installations ou des transports nucléaires (DR) -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(2) Créée en 1975, la Société britannique PNTL (Pacific Nuclear Transport Ltd) est spécialisée dans le transport maritime des matières nucléaires. Elle dispose d'une flotte de 3 navires spécialement conçus à cet effet, gérée par la compagnie James Fisher and Sons, située à Barrow. Le groupe français Areva participe pour 12,5 % dans PNTL, le reste du capital étant réparti entre British Nuclear Fuels Limited (BNFL) (62,5 %) et Overseas Recycling Committee (25 %). PNTL a effectué plus de 170 transports maritimes de matières nucléaires au cours des trente dernières années. Le Pacific Sandpiper, le Pacific Teal et le Pacific Pintail ont depuis été retirés du service et remplacés par trois autres navires : Pacific Heron (2008), Pacific Egret et Pacific Grebe (2010). Le Pacific Sandpiper a été retiré du service en juin 2011, après 25 ans de service et 1,2 millions de milles parcourus, durant lesquels il a transporté plus de 500 conteneurs de combustibles nucléaires irradiés et de résidus vitrifiés entre l'Europe et le Japon.


Lors d'une réunion organisée par l' Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) sur le terrorisme nucléaire, un expert a révélé qu'il y avait eu de nombreux cas de sabotage et d'attaques dans des pays qui exploitent des installations nucléaires. Il a été confirmé que des réseaux terroristes ont tenté à plusieurs reprises d'obtenir des matières nucléaires. (Source : Rapport du Directeur général de l'AIEA, Conseil des gouverneurs).

Le plutonium est un élément essentiel des armes nucléaires. Huit kilos suffisent pour construire une bombe. Le plutonium inclus dans un combustible MOX neuf peut être séparé de l'uranium par voie chimique simple et peut être utilisé directement dans une arme nucléaire. C'est pourquoi, les mesures de protection physique les plus strictes doivent s'appliquer à ce type de transport. Comme il est difficile de fabriquer de l'uranium et du plutonium de qualité militaire, les transports de telles matières constituent d'évidentes cibles potentielles (Source : Dr. Frank Barnaby, Physicien nucléaire britannique, analyste de défense et spécialiste du nucléaire militaire).

Au plan maritime, les attaques menées au large du Yémen contre l'USS Cole le 12 octobre 2000, puis contre le pétrolier français Limburg, le 6 octobre 2002, ont démontré la vulnérabilité des navires face à des attaques suicides. Les autorités américaines vont prendre des mesures face au risque d'une attaque terroriste majeure en mer contre des navires marchands transportant des cargaisons dangereuses (hydrocarbures, explosifs, matières nucléaires, etc.), action dont l'impact médiatique serait retentissant.

En haut, à droite, l'USS Cole après son attaque suicide par une embarcation bourrée d'explosifs qui causa la mort de 17 marins de la Navy, 50 autres étant blessés, dont certains grièvement (US Navy). Ci-dessus le pétolier Limburg, lui aussi victime d'un attentat suicide (afcan.org). On peut imaginer les conséquences d'une attaque similaire contre un navire transportant du plutonium militaire américain...


A l'époque, les services de renseignement américains estimaient que le réseau Al-Qaïda possédait une flotte d'environ 15 navires de haute mer susceptibles de servir de bateau-base pour ce type d'actions... Dans ce contexte, le projet de transport de plutonium militaire par voie maritime, depuis Charleston, jusqu'à Cherbourg, va susciter des inquiétudes au sein des agences nationales américaines de sécurité et soulever de nombreuses questions en matière de sécurité et de sûreté. L'un des scénarios envisagés était une possible interception en mer du navire transporteur et sa prise de contrôle par des terroristes embarqués sur autre bateau, après que celui-ci aurait simulé un appel de détresse. Pour les navires transportant des matières nucléaires, un strict protocole doit être appliqué avant d'accepter à bord des personnes qui seraient victimes d’une urgence maritime.

(Photo : Marine nationale)

III. L'opération « Eurofab » 3.1. Les « yeux et les oreilles » d'un SNA Pour Washington, le transfert de plutonium militaire vers la France devait s'effectuer dans des conditions optimales de sûreté et de sécurité. En raison des craintes que suscitait ce projet chez des membres du Congrès et certains experts, il a été procédé au préalable à une évaluation poussée des risques et à des simulations face à une possible action d'un groupe terroriste. Le Pentagone aurait demandé à l'US Navy de préparer un plan secret de protection autour du Pacific Teal et du Pacific Pintail, les deux navires de PNTL, prévus pour assurer le transport du plutonium depuis la base navale de Charleston (Caroline du Sud), jusqu'à Cherbourg. Un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) aurait reçu mission d'assurer une protection discrète du convoi durant la traversée de l'Atlantique, jusqu'en Manche. Photos : un SNA de classe Los Angeles à immersion périscopique - opérateur sonar à bord du SNA USS Newport News (SSN 750) de classe Los Angeles (US Navy)


Dès janvier 2004, un SNA aurait été chargé d'une première mission de surveillance et de protection autour d'un autre navire de PNTL, le Pacific Sandpiper, devant appareiller de Cherbourg avec des matières nucléaires à destination du Japon (voir encadré). En escortant le navire depuis la Manche , jusqu'au canal de Panama, il s'agissait probablement pour le sous-marin et son équipage de s'entraîner avant l'opération « Eurofab ». Veille périscopique à bord d'un SNA américain (US Navy)

3.2. Greenpeace s'invite dans l'opération Dans son plan de protection, l'US Navy devait aussi connaître les intentions de Greenpeace. Les services de renseignement américains savaient que l'organisation écologiste voulait organiser une importante campagne de protestation contre ce transport de plutonium militaire, et qu'elle était bien renseignée. En effet, en 2003, il était apparu que celle-ci avait connaissance d'informations sensibles concernant ces transports ; elle a ainsi été en mesure d'anticiper les mouvements des navires de PNTL, les dates, les horaires et les itinéraires empruntés par les convois de plutonium. Grâce à ces informations, les bateaux de Greenpeace étaient régulièrement en Manche lors de ces transports, à l'arrivée ou au départ de Grande-Bretagne ou de Cherbourg. En surveillant le Pacific Sandpiper, le SNA américain a probablement cherché à observer le dispositif de Greenpeace et la présence éventuelle en Manche du M/V Esperanza, le plus important navire de l'organisation, doté d'un hélicoptère et de moyens modernes de navigation et de transmissions par satellite. Le Pacific Sandpiper, a appareillé de Cherbourg le 19 janvier 2004 à 16h25, cette fois sans la présence d'un navire de Greenpeace. Le M/V Esperanza, dernier né de la flotte de Greenpeace, long de 72 m, est un ancien navire russe de recherche et de lutte contre l'incendie construit en Pologne en 1984. Adapté pour la navigation dans les glaces, et entièrement transformé en 2000, il est entré en service au sein de l'ONG en 2002 (Greenpeace)


Manutention d'un conteneur sur le Pacific Sandpiper à Cherbourg (AREVA)

Le Pacific Sandpiper. Ici, dansun autre port (Photo : recyclingships.blogspot.com).

Dans un communiqué publié le 20 janvier, la COGEMA a indiqué que le navire se rendait bien au Japon, via le canal de Panama, avec à son bord des résidus vitrifiés (3), pour une arrivée prévue dans la première quinzaine de mars 2004. ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------(3) Les déchets issus du combustible nucléaire lors de son utilisation en réacteur ne représentent que 3 à 5 % du combustible usé. Contrairement au plutonium et à l'uranium qui sont recyclés du fait de leur grande valeur énergétique (1 gramme de plutonium équivaut à 1 tonne de pétrole), ces déchets ne sont ni réutilisables ni recyclables. Après avoir été séparés lors des opérations de traitement, ils sont vitrifiés, c'est-à-dire incorporés dans une matrice de verre particulièrement stable. Ce verre est coulé dans un conteneur en acier inoxydable mesurant 1,34 mètre de hauteur et 0,43 mètre de diamètre, et s'y solidifie. Son poids est d'environ 500 kg. Les conteneurs sont transportés dans un emballage spécifique agréé par les Autorités françaises et japonaises. Cet emballage, conçu pour assurer la sûreté du transport, pèse de l'ordre de 100 tonnes et mesure 6,6 mètres de longueur pour 2,4 mètres de diamètre. Il s'apparente aux emballages de transport de combustibles usés. Chaque emballage contient 20 ou 28 conteneurs.


Ce n'est que neuf jours plus tard, le 28 janvier, depuis Porto Rico, Etat libre américain dans les Caraïbes, que des organisations pacifistes et écologistes vont dénoncer le transit du Pacific Sandpiper entre Porto Rico et la République Dominicaine, et surtout son passage par le canal de Panama, début février.

Photos : à gauche, le Pacific Sandpiper passant de nuit le canal de Panama – à droite, débarquement d'un conteneur du Pacific Sandpiper, à son arrivée au Japon (DR)

L'expérience japonaise Lorsqu’il développa son industrie nucléaire, le Japon décida de faire retraiter son combustible irradié en France et au Royaume-Uni. Il fallait pour cela transférer le combustible irradié depuis le Japon jusqu’en Europe et prévoir de renvoyer au Japon : le plutonium séparé, le combustible MOX et occasionnellement les déchets de haute activité. A cette fin, il a été créé en 1975, la compagnie Pacific Nuclear Transport Limited (PNTL) dotée de navires spécialisés de haute protection. Si la plupart du combustible irradié emprunte les voies les plus directes par le Pacifique et le Canal de Panama pour aller en France ou au Royaume-Uni, le combustible MOX qui est ensuite renvoyé au Japon suit un itinéraire plus long puisqu’il contourne la pointe de l’Afrique du Sud, traverse l’océan Indien et passe au nord par la mer de Tasmanie. Ce deuxième itinéraire passe très peu près des terres parce que le MOX qui contient du plutonium est particulièrement sensible sur le plan de la sécurité. Les cargaisons de déchets de haute activité peuvent emprunter l’un des trois itinéraires possibles. Les résidus vitrifiés sont les premiers déchets conditionnés à être renvoyés. Plusieurs transports maritimes de résidus vitrifiés ont déjà été effectués, depuis 1995, entre la France et le Japon. Les conteneurs sont chargés sur le site de La Hague dans des emballages spéciaux. Le transport de combustibles usés et de résidus vitrifiés est réalisé par l'un des navires de PNTL, comme le Pacific Sandpiper en janvier 2004. Nota : Selon les termes de l'accord de coopération du nucléaire civil entre les États-Unis et le Japon, tout plan de transport de plutonium est soumis à l'approbation américaine.

3.3. Le Pacific Teal et le Pacific Pintail sous haute protection Le 16 juin 2004, après avoir examiné attentivement le rapport de sécurité concernant le projet Eurofab, la Nuclear Regulatory Commission (NRC) a délivré l'autorisation d'exportation. Certains membres démocrates du Congrès américain se sont inquiétés des conditions de transfert vers la France de plutonium de qualité militaire. Jim Turner (Photo DR), repésentant Démocrate du Texas, membre de la Commission de la sécurité intérieure, a adressé une lettre au Secrétaire à l'Energie Spencer Adams afin d'obtenir des assurances supplémentaires sur ce transport hautement sensible. Un autre représentant, Ed Markey, a lui aussi fait part de ses inquiétudes. Le Département de l'Energie a répondu que le transport par voie maritime avait été minutieusement préparé en collaboration avec les services de sécurité (Source : matinternet.ca).


Le 6 août 2004, une délégation américaine (membres du Congrès ou équipe d'inspection ?) s'est rendue dans le port de Barrow pour vérifier le dispositif de sécurité et de sûreté à bord du Pacific Teal et du Pacific Pintail, avant qu'ils n'appareillent pour Charleston. Les responsables de PNTL leur ont expliqué que les deux navires répondaient à la classification maximale « Irradiated Nuclear Fuel 3 » de l'OMI, et qu'à ce titre ils bénéficiaient de toutes les normes de sécurité requises : double coque, double système de propulsion et de gouvernail, structures de renfort interne anti-collision, moyens de navigation et réseau de transmission de données par satellite, en liaison 24h/24h avec un centre de coordination à terre.

Le Pacific Teal et le Pacific Pintail, dans le port de Barrow (Grande-Bretagne) quelques jours avant leur appareillage pour Charleston. On peut voir sur cette photo, que les navires sont équipés de moyens de détection et de transmissions par satellite, en particulier le Pacific Pintail (DR)

PNTL leur a indiqué que le plutonium serait transporté dans des emballages sécurisés conçus selon les normes de l'AIEA. Il a également été précisé que le transport se déroulerait sans escale, et qu'en cas de graves avarie en mer, des équipes expérimentées seraient prêtes à intervenir à tout moment, de jour, comme de nuit...D'ailleurs, pour chaque transport de plutonium, il existe un scénario des possibles situations d'urgence. Les membres de la délégation ont pu constater que les deux bateaux étaient équipés de moyens d'auto-défense, en particulier de canons de 30 mm, pour faire face à d'éventuelles attaques en mer, et que des gardes armés civils britanniques, spécialistes de la protection des installations et matières nucléaires, étaient embarqués à bord. Trois jours plus tard, le 9 août, le haut fonctionnaire de défense au ministère français de l'Industrie, a publié un décret visant à empêcher la communication d'informations classifiées sur cette opération hautement sensible. Par un arrêté du 24 juillet 2003, les informations concernant toutes les matières nucléaires, leur transport et leurs installations sont protégées par le secret de défense. Cette mesure, visait directement Greenpeace, toujours à la recherche d'informations pour l'organisation de manifestations. Le 02 septembre, dans un communiqué, Greenpeace a signalé que le Pacific Teal et le Pacific Pintail étaient sur le point de quitter le port de Barrow-in-Furness pour Charleston, avec les équipes de sécurité à bord.


Le 20 septembre, les deux navires sont arrivés de nuit dans le port militaire de Charleston, sous la protection de l'armée et de la police américaines. Après avoir chargé les 140 kg de plutonium militaire, ils ont appareillé le même jour sous haute protection, pour Cherbourg. En haute mer, ils auraient été rejoints par un SNA de l'US Navy. Des pacifistes et antinucléaires américains manifestent lors de l'appareillage du Pacific Teal et du Pacific Pintail (photo) de Charleston, près du pont Ravenel Bridge sur la rivière Cooper, qui relie Charleston à Mount Pleasant (Greenpeace).

Le jour même de l'appareillage de Charleston des deux navires de PNTL, Greenpeace va donner ordre au M/V Esperanza de rejoindre la Manche et Cherbourg. Le 2 octobre 2004, le navire de Greenpeace va jeter l'ancre au sud de Weymouth (Dorset), avant de patrouiller entre Guernesey et Start Point. Le 3 octobre, une flotille de petits bateaux dont certains en provenance d'Irlande, va manifester en rade de Cherbourg contre l'arrivée du plutonium militaire américain.

Le M/V Esperanza a participé à plusieurs campagnes de protestation contre le transport maritime de plutonium

Le Pacific Teal et le Pacific Pintail n'arriveront à Cherbourg que le 6 octobre 2004, sous la protection d'un important service de sécurité (Marine nationale, commandos Marine et Gendarmerie maritime). Les 140 kg de plutonium militaire seront débarqués sans incident et transportés au centre nucléaire de La Hague, avant d'être acheminés ultérieurement à Cadarache pour être recyclés en combustible MOX. En mars 2005, le MOX issu du plutonium américain a été acheminé au centre de La Hague en vue de son chargement pour les Etats-Unis. Le 22 mars, les conteneurs ont été chargés à bord des des deux mêmes navires de PNTL, le Pacific Teal et le Pacific Pintail.


Chargement d'un conteneur MOX (Areva)

Là encore, les opérations de transfert et le chargement vont se dérouler sous la protection d'un impressionnant dispositif de sécurité (trois hélicoptères de la Marine Nationale et de la Gendarmerie, des bateaux militaires et les embarcations légères -ETRACO - du commando Marine JAUBERT). Les deux navires vont appareiller dans la nuit. Après 18 jours de traversée, le Pacific Teal et le Pacific Pintail sont arrivés à Charleston le 5 avril, à 22H00, heure locale. Les quatre assemblages de combustible MOX débarqués ont ensuite été acheminés vers la centrale nucléaire de Catawba, propriété de l'électricien Duke. Ultérieurement, le MOX issu de l'excédent de plutonium militaire américain sera fabriqué dans un centre de retraitement construit à Savannah River (Caroline du Sud) (4).

IV. Un lien avec le naufrage du Bugaled Breizh ? En mars 2011, les juges d'instruction Robert Tchalian et Jacky Coulon, désormais en charge de l'enquête sur le naufrage de Bugaled Breizh, ont adressé une commission rogatoire internationale aux Etats-Unis sur l'éventuelle présence de l'un de leur SNA en Manche le 15 janvier 2004, jour de la disparition du chalutier breton. Washington a répondu qu'aucun de ses sous-marins ne se trouvait en Manche ce jour-là. Dans un courrier daté du 5 septembre 2012, joint en annexe à son rapport adressé aux juges d'instruction, l'expert sous-marinier Dominique Salles (voir encadré) indiquait être « en mesure de mettre en doute la réponse des Etats-Unis...». Auparavant et faisant référence à l'opération "Eurofab", il révélait : « Pour les américains, il était de la plus haute importance que ce transfert s'effectue avec toutes les garanties en matière de sûreté et de sécurité. Dans cette perspective, un SNA de l'US Navy aurait été chargé d'assurer une mission de renseignement autour du Pacific Sandpiper devant appareiller de Cherbourg avec des déchets nucléaires vitrifiés à destination du Japon. Cette mission avait avant tout un caractère d'entraînement, afin de préparer l'opération "Eurofab" prévue en septembre ». SNA américain de classe Los Angeles en surface (US Navy) ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------(4) Une joint venture, Shaw Areva MOX Services, a été créée par Areva et le groupe américain Shaw, sous l'autorité du Ministère de l'énergie américain (DOE) pour la construction d’une usine de fabrication de combustible MOX (Mixed Oxide) sur le site de Savannah River, en Caroline du Sud. Cette usine de haute technologie fabriquera dès 2014 du combustible MOX à partir de plutonium américain d’origine militaire, déclaré en excès par rapport aux besoins de Défense des Etats-Unis. Ce combustible sera utilisé dans les centrales nucléaires civiles.


Dominique Salles avait alors fait connaître pourquoi, selon lui, un SNA américain se serait trouvé en Manche le 15 juin 2004 : « Le Pacific Sandpiper devait appareiller de Cherbourg le 19 janvier 2004. Or, il faut environ trois jours à un SNA pour préparer sa mission sur une zone telle que la Manche. Le SNA américain devait donc arriver sur zone pour le 16. Sa mission étant secrète, il ne devait pas se faire repérer par les frégates de lutte anti-sous-marine de l'OTAN participant à l'exercice Aswex 04 qui débutait le 16 à 00h00. Aussi, pour éviter de rencontrer ces bâtiments durant leur transit de Devonport vers la zone d'exercice, le SNA serait arrivé dès le 15 janvier à l'aube au Sud du cap Lizard ».

La frégate anti sous-marine Primauguet participait à l'exercice Aswex 04 (Marine nationale)

Un expert sous-marinier au service de la Justice En septembre 2006, le juge d’instruction Richard Foltzer, alors en charge du dossier, a estimé très important d’examiner avec toute la compétence et la technicité nécessaires l’hypothèse d’un sous-marin qui se serait pris dans l’une, voire dans les deux funes (cables d'acier) du train de pêche du Bugaled Breizh (Photo DR). Pour cela, il va nommer en qualité d'« expert sous-marinier » le contre amiral (2s) Dominique Salles , ancien commandant de l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). En 2008, dans son premier rapport remis aux juges Richard Foltzer et Muriel Corre, l'expert a indiqué que « la cause hautement probable du naufrage est celle d'une croche avec un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) ». Le 27 novembre 2009, la chambre d’instruction de la Cour d'appel de Rennes a ordonné un complément d’expertise afin que soit vérifiée la thèse d'une possible implication d'un SNA dans le naufrage du chalutier breton. Il a été demandé à l'expert de définir « s’il s’est produit un événement particulier ou (…) s’il existait des raisons objectives justifiant la présence dans la zone du naufrage d’un ou de plusieurs sous-marins nucléaires d’attaque appartenant à l’une ou l’autre des nations détenant ce type de bâtiment », à savoir la Russie, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France (5). Le CA (2s) Dominique Salles est issu de la promotion 1971 de l'Ecole navale. De spécialité « Armes sous-marines », il a effectué une carrière opérationnelle exclusivement sousmarine [sous-marins classiques et nucléaires (SNA et SNLE)]- commandements à la mer du sous-marin Agosta (1987/1988) et du SNLE L'Inflexible (équipage « bleu » 1997/2000) spécialiste « sous-marins » de l’équipe permanente d'analyse auprès de l'OTAN, à Northwood, en Grande Bretagne (1988 /1991) - Chef de la section "entretien des sous-marins" au sein de la division "opérations / logistique" à l'Etat-major de la Marine (1993/1997) - Chef de la mission militaire française auprès de l'amiral commandant régional de l' OTAN Est-Atlantique et commandant en chef de la Fleet (Royal Navy) à Northwood (2000/2003) - Commandant de l'escadrille des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (2003/2006) - Admis en 2ème section en 2006 (Source : AGASM). ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------(5) Le 31 mai 2010, dans Le Télégramme, édition des Côtes d'Armor, Pascal Bodéré a écrit : « ...En novembre 2009, à la demande des parties civiles, la cour d’appel de Rennes a fixé une mission complémentaire à l’expert : dire s’il existe « un événement particulier ou des raisons objectives » pour qu’un SNA ait navigué en Manche le 15 janvier 2004. Pour l’expert, un SNA américain se trouvait là. Un événement particulier ? L’expert dit non. Une raison objective ? Il dit oui, et étaye son propos : en octobre 2004, les États-Unis devaient acheminer du plutonium de qualité militaire en excédent au port de Cherbourg. Compte tenu des risques d’une telle opération, les États-Unis auraient voulu contrôler l’efficacité des moyens de protection de ce transport. Or, la seule opération similaire, avant octobre 2004, se tenait le 19 janvier 2004. À cette date, le Pacific Sandpiper quittait Cherbourg à destination du Japon avec, à son bord, 132 conteneurs de déchets issus du centre deretraitement de La Hague...»


V. Conclusion Dans le contexte de la menace terroriste de l'après 11 septembre 2001, le transfert de plutonium militaire des Etats-Unis en France, dans le cadre du projet Eurofab, était une opération à haut risque qui nécessitait des mesures de sécurité hors normes. En effet, les attaques suicides menée contre l'USS Cole le 12 octobre 2000, puis contre le pétrolier français Limburg, le 6 octobre 2002, ont fait prendre conscience aux autorités américaines de la vulnérabilité des navires transportant des cargaisons dangereuses, lorsqu'ils se trouvent près des côtes. Afin d'anticiper toute menace, la CIA et les autres agences de renseignement américaines ont été mises en alerte. Il revenait à la Navy d'assurer la protection du Pacific Teal et du Pacific Pintail, les deux navires spécialisés prévus pour transporter le plutonium, là où ils sont vulnérables, c'est à dire près des côtes. Pour ce type d'opération, la marine américaine disposait d'un outil particulièrement adapté : le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), capable de maîtriser de vastes espaces maritimes en toute discrétion et doté de senseurs pour le renseignement. Un autre navire de la compagnie PNTL, le Pacific Sandpiper, devait quitter Cherbourg le 19 janvier 2004 avec des déchets nucléaires recyclés à destination du Japon. Pour l'US Navy, il s'agissait là d'une opportunité pour préparer l'opération Eurofab prévue en septembre 2004. Aux questions soulevées par des membres du Congrès, le Département américain de l'Energie a clairement répondu que le transport par voie maritime avait été minutieusement préparé en collaboration avec les services de sécurité. En septembre 2012 l’expert sous-marinier Dominique Salles a précisé être « en mesure de mettre en doute la réponse des Etats-Unis à la commission rogatoire internationale du 10 mars 2011, dans laquelle Washington affirmait qu'aucun de ses sous-marins ne se trouvait en Manche le 15 janvier 2004 » (voir l'article publié dans MARINE & Océans n° 239 avril – mai – juin 2013).

Un SNA américain surveillait-il le Pacific Sandpiper en Manche, entre le 15 et le 19 janvier 2004, en préparation de l'opération « Eurofab » ? (US Navy - DR)

Sources : Areva – AIEA – ASN – WISE-Paris / Large & Associates - Nuclear Control Institute Washington, D.C. - Ron Smith « La sécurité maritime et les cargaisons nucléaires », co-Directeur du programme International Relations and Security Studies de l’Université de Waikato à Hamilton (Nouvelle-Zélande) – Greenpeace - autres (dans le texte).


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