"Chine, les cinq piliers de la puissance maritime"

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GÉOPOLITIQUE

Syrie Jordanie

Corée du Sud

Pakistan

mer de Chine

Myanmar

Inde

Oman

Érythrée Djibouti

Tokyo

Iles Senkaku

Népal

Arabie Qatar Saoudite

Soudan

Japon océan Pacifique

Iran

Koweit

Égypte

Corée du Nord

Tianjin

Chine

Afghanistan

Irak

Israel

Tadjikistan

Pékin

Vietnam

Thaïlande

den e d'a Golf

Taïwan orientale

Iles Paracels Première Chaîne des îles

mer d'Arabie

Yémen

Hong Kong

Cambodge Sri Lanka

Éthiopie

Iles Spratleys

Isthme de Kra Kedah Bachok

Détroit de Malacca

océan Indien

a dépendance de la Chine à la liberté de navigation dans le détroit de Malacca par où transitent 85 % de ses importations constitue le centre de gravité de son développement économique, et donc de sa stabilité sociale et politique. Le détroit de Malacca relie l’océan Indien à la mer de Chine méridionale, antichambre de l’océan Pacifique. Long d’environ 900 km, il se poursuit par le détroit de Singapour, au sud de la Cité-État où il n’a que 2,8 km de large. Seuls les navires ayant un tirant d’eau inférieur à 20 mètres peuvent l’emprunter, ce qui correspond à un tonnage de port en lourd inférieur à 300 000 tonnes. C’est, avec environ 70 000 navires par an, le détroit le plus emprunté au monde. Un navire y passe toutes les huit minutes. Ce chiffre est en augmentation permanente en raison des besoins croissants cumulés de la Chine, du Japon, de Taiwan et de la Corée du Sud. Deux autres détroits permettent de le contourner, ce qui rallonge toutefois les routes de façon significative. Le premier est le détroit en eaux profondes de Lombock. Le second celui de la Sonde que seuls des navires de moins de 100 000 tonnes de port en lourd peuvent emprunter. Seul 1 % du trafic destiné à la Chine transite par ces deux passages. Le détroit de Malacca est contrôlé par la Malaisie, Singapour et l’Indonésie et échappe donc totalement à ses principaux bénéficiaires de la zone Asie-Pacifique. C’est ce constat qu’exprimait l’ancien président chinois Hu Jintao, le 23 novembre 2003, lorsque évoquant le «dilemme de Malacca», il précisait les menaces pesant sur le détroit, la piraterie, le terrorisme maritime et le risque de fermeture par des puissances rivales. Hugues EUDELINE

L

Philippines

Sumatra

Indonésie Détroit de la Sonde

Le « dilemme de Malacca »

île de Guam

Malaisie

Tanzanie

le Kazakhstan, l’Afghanistan et le Tadjikistan. Elle cherche également à faire un corridor énergétique maritime et continental en créant ou en modernisant une série de ports pour en faire des terminaux hydrocarbures d’où partent des pipelines à travers la Birmanie ou la Thaïlande. La Chine cherche également à mener à bien trois projets maritimes. Le premier consiste à courtcircuiter le détroit de Malacca en soutenant le percement d’un ca-

Brunei

Somalie Kénya

Seconde Chaîne des îles

Java

Papouasie Nouvelle Guinée

CARTE : DR

PHOTO : US NAVY

Turkménistan

Turquie

Région du Xinjiang

e iqu ers

* Hugues EUDELINE. Ancien élève de l’École navale (EN 72), Hugues Eudeline est MSc en Management et docteur en Histoire. Consultant international, il se consacre à des recherches sur la géopolitique et la géostratégie de la puissance et de la violence maritimes. Capitaine de vaisseau dans la réserve opérationnelle, il est rattaché au Centre d’études stratégiques de la Marine. Il est membre de l’Académie européenne de géopolitique et membre correspondant de l’Académie Royale de Marine suédoise.

soutenir les flottes de pêche qui participent à l’approvisionnement du pays en poisson. Acquérir de l’espace stratégique dans le Pacifique. Desserrer l’étau stratégique qui la contraint dans le Pacifique est un second impératif absolu. Outre la nécessité de réparer une injustice historique, cet objectif explique la priorité donnée par le gouvernement chinois à la reprise de l’île de Taiwan, qui fait partie de la liste de ses intérêts vitaux, et l’importance accordée au différend avec le Japon concernant les îles Diaoyu (Senkaku pour les Japonais). Il s’agit également pour la Chine d’ouvrir l’accès aux routes arctiques sans

Azerbaïdjan Arménie

P lfe

qu’elle contrôle, et qui sont autant de points d’appui indispensables au soutien de ses bâtiments de guerre et de ses flux marchands 1. La présence, depuis 2008, de ses forces navales dans cet océan, dans le cadre de la lutte contre la piraterie, lui permet d’effectuer des actions relevant de la diplomatie navale, de contrer l’influence des autres marines en montrant son pavillon et son savoir-faire, et de

Ouzbékistan

go

L

e premier impératif pour la Chine sur la voie de la puissance maritime est d’accroître sa présence en océan Indien. À défaut de pouvoir contrôler directement le détroit de Malacca, elle doit en effet pouvoir intervenir de part et d’autre de ce qui est, pour elle, une artère vitale (lire encadré). Sa présence navale dans un océan Indien qui revêt une importance stratégique pour de nombreux pays, en particulier en raison des flux énergétiques qui transitent en provenance du golfe Persique, se heurte cependant à une forte animosité de l’Inde. La Chine a conclu des accords importants avec plusieurs pays de la région pour y implanter des terminaux de conteneurs ou des ports

L’exportation de ses produits manufacturés, la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques et l’accès à de nouvelles ressources imposent à l’usine du monde d’être une puissance maritime. À charge pour elle de remplir cinq impératifs fondamentaux. Explications.

Mongolie Kirghizie

Géorgie

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de la puissance maritime

Kazakhstan

Ukraine

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Chine Les cinq piliers

passer par les détroits japonais, de donner de l’espace stratégique à ses SNLE, de contrer la présence des marines japonaise, coréenne et américaine. Le Pacifique sera l’espace de confrontation principale avec les forces américaines et leurs alliés si elle devait se produire. Il s’agit d’interdire l’accès aux zones « chinoises ». Initialement, les stratèges chinois avaient prévu d’interdire l’accès de la première chaîne d’îles qui va des Ryukyu aux Philippines. C’est à présent la seconde ligne qui est prise en compte. Elle va du Japon aux îles Marianne, Guam et Palau. Développer des routes commerciales alternatives à Malacca. Le blocage du détroit de Malacca est, pour la Chine, un risque majeur qu’à défaut de pouvoir supprimer, elle veut pouvoir limiter. Pour cela, elle développe des flux continentaux reliant par des gazoducs et des oléoducs, les zones de production d’Asie centrale au Xinjiang, une de ses cinq régions autonomes, située à son extrême ouest, qui possède une frontière commune avec huit pays, la Mongolie, la Russie, l’Inde, le Pakistan, le Kirghizistan,

rR me

Marins du navire hôpital Daishandao (AHH 866). Les besoins croissants de la Chine lui imposent d’être une puissance maritime.

Par HUGUES EUDELINE *

Kamtchatka

Russie

nal dans l’isthme de Kra et / ou la construction d’un oléoduc traversant la péninsule de Kedah, à Bachok, en Malaisie, le Trans Peninsular Pipeline Project (TPP). Le deuxième projet consiste à ouvrir progressivement la route maritime Arctique vers l’Europe du Nord 2 qui évite ce détroit. Dès le mois d’août 2013, un premier petit cargo chinois 3 l’empruntait. Ce passage >> Ci-dessus, en ocre, tracé de la route maritime des importations énergétiques de la Chine via le détroit de Malacca. En vert, les nouvelles limites fixées par la Chine pour définir son pré-carré stratégique. Elles sont désormais établies à la hauteur de la seconde chaîne d'îles situées au large de ses côtes.

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1. L’ensemble de ces points d’appui constitue ce qui a été appelé le « collier de Perles » par les Américains. Selon Laurent Amelot, auteur d’un mémoire de recherche à l’Université Paris Sorbonne en 2012 sur la présence chinoise dans l’océan Indien, l’expression « théorie du collier de perles » trouve son origine géopolitique dans le rapport « Energy Futures in Asia », un document interne rédigé par la société de consultants Booz Allen & Hamilton pour le compte de l’Office of Net Assessment, une structure du ministère de la Défense américain pilotée par le ministre Donald Rumsfeld en personne. 2. La Chine a une activité diplomatique intense en Arctique. En avril 2013, elle a signé un accord de libre-échange avec l’Islande, premier du genre avec un pays européen. Du 14 au 15 mai 2013, elle a été admise en tant qu’observateur au sein du huitième conseil de l’Arctique à Kiruna en Suède. Outre l’intérêt que propose à long terme le passage du Nord-Ouest pour sa navigation commerciale, la Chine voudrait pouvoir exploiter les ressources en hydrocarbures et en métaux stratégiques, dont les terres rares, du Groenland. La Chine mène également des expéditions scientifiques en océan Arctique. Elle dispose pour cela du brise-glaces Xue Long et, depuis 2004, d’une installation arctique sur l’île Svalbard, en Norvège. 3. Le 8 août 2013, le Yong Shen, un cargo de 19 000 tonnes et 160 mètres de long, appareille de Dalian à destination de Rotterdam.


>> du nord-est qui n’est accessible qu’en été permet de relier Tianjin, située à 120 km de Pékin à l’embouchure du fleuve Hai He, le plus grand fleuve de Chine septentrionale, à Rotterdam en trente-trois jours au lieu de quarante-huit jours par la voie traditionnelle. Cependant, même si le réchauffement climatique se poursuivait au rythme actuel, il ne pourrait pas être utilisé couramment avant une vingtaine d’années. Pour terminer, et bien que ce ne soit pas la route maritime la plus utilisée par la Chine, tant s’en faut, un projet de creusement d’un canal au Nicaragua vient d’être annoncé 4. Concurrent de celui de Panama, il est proposé par une entreprise de Hong Kong en échange d’une concession d’ex-

ploitation de cinquante ans. (…) Bien que le gouvernement chinois ne soit pas directement partie prenante dans cette affaire, il est peu vraisemblable qu’il n’en soit pas l’acteur principal en sous-main. Si ce projet était mené à bien, il serait une preuve de plus de la volonté de concurrencer les États-Unis qui avaient terminé le creusement du canal de Panama. Construire une marine de guerre équilibrée et puissante. La Chine a besoin de disposer d’une marine de guerre équilibrée 5 et puissante sur laquelle elle puisse s’appuyer, ainsi que de forces de garde-côtes nombreuses et diversifiées. Riche d’une histoire multimillénaire à laquelle elle attache beaucoup d’importance et où elle puise toujours ses éléments de réflexion, elle tire

Le 11 septembre 2013, le cargo Yong Sheng de l’armement chinois Cosco a rallié Rotterdam depuis le port Chinois de Dalian au terme d’un voyage de 33 jours au lieu de 48 jours, via le canal de Suez.

les leçons de son passé maritime pour éviter de répéter des erreurs de méthodologie qui lui ont coûté cher en ne lui permettant pas de s’opposer à des adversaires, tous venus de la mer au XIXe siècle. Si ses excédents commerciaux lui permettent de dégager des ressources financières importantes, elle sait qu’une flotte pour être efficace demande du temps pour développer des doctrines d’emploi adaptées à ses objectifs et beaucoup d’entraînement pour que les différents moyens opérationnels apprennent à coopérer. Lord Kitchener aurait dit qu’il fallait soixante-dix ans pour constituer une marine de premier rang. En 1949, la Marine de la République populaire de Chine était presque inexistante. La priorité était donnée aux forces terrestres. Trente ans plus tard, en 1982, Jean Labayle-Couhat, l’auteur de l’ouvrage de référence Flottes de combat, notait que la Marine chinoise était une marine de défense côtière et qu’elle le resterait encore longtemps. Il soulignait cependant le lancement de son premier SNLE l’année précédente. En 1992, elle était au 10e rang des marines mondiales. En 1996, Bernard Prézelin écrivait en exergue de son édition 1994 : «Si l’on ne tenait compte que

À la conquête des fonds marins utre les ressources énergétiques qu’elle veut pouvoir exploiter le long de ses côtes et en mer de Chine méridionale bien que cellesci soient souvent situées dans des zones contestées par ses voisins, la Chine lorgne aussi vers les ressources halieutiques, mais également génétiques dont l’exploitation est au cœur des biotechnologies et pourrait avoir des répercussions considérables dans le domaine médical et cosmétique (…). Pour toutes ces raisons, elle a entamé un programme d’exploration des océans et a, en particulier, mis en service en 2010 le petit sous-marin d’exploration en eaux profondes Jiaolong pouvant plonger à 7 000 mètres et, en 2013, le submersible autonome inhabité (UUV) Qianlong-1 capable d’atteindre 6 000 mètres. Le 17 décembre 2013, M. Hu Zhen de la China Shipbuilding Industry Corporation, chargé du développement technologique du programme

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PHOTO : DR

PHOTO : DR

GÉOPOLITIQUE CHINE,LES 5 PILIERS DE LA PUSSANCE MARITIME

Le Jiaolong, capable de plonger à 7 000 mètres, illustre les ambitions de la Chine dans l’exploration et demain, l’exploitation des océans.

de submersibles au ministère des Sciences et Technologies, annonçait le lancement d’un programme de nouveau submersible habité capable de plonger à 4 500 mètres de profondeur et de mener des recherches scientifiques sur la plupart des fonds marins de la planète (…). Seuls 5 % des océans ont été explorés de manière systématique et 750 000 espèces resteraient à découvrir (…). La Chine, qui a pris la mesure de cet eldorado que constituent les fonds marins et sait leur importance pour son avenir, entend bien, là encore, y imprimer sa marque. En 2011, le Jiaolong a symboliquement planté le drapeau national au fond de la mer de Chine méridionale. Hugues EUDELINE À lire : «La Chine enregistre des records de plongée et nourrit des ambitions dans l’exploration des profondeurs marines», sur www.lemonde.fr

PHOTO : CHINESEMILITARYREVIEW.BLOGSPOT.COM

La Marine chinoise s’est dotée de capacités amphibies. Ici, trois LPD type 071 (Yuzhao-classe).

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du tonnage proprement dit, la marine chinoise serait la quatrième du monde avec un peu plus de 400000 tonnes de navires de combat. Ces chiffres doivent cependant être nuancés, car la flotte chinoise est pour de nombreuses années encore essentiellement une force côtière, exception faite de quelques unités plus importantes. Mais cette marine affiche de plus en plus des ambi-

tions océaniques, notamment en mer de Chine où se trouvent les fameux archipels des Spratley et des Paracels revendiqués par plusieurs pays riverains de cette mer. » En 2012, avec 919 280 tonnes, elle occupait le troisième rang mondial et était en passe de détrôner la Russie. Plus circonspect, Bernard Prézelin écrivait alors que le rythme élevé des constructions

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neuves démontrait « s’il en était encore besoin la volonté impérieuse des dirigeants chinois de faire de leur pays une grande puissance navale. Ils ont bien pris conscience d’une part de l’importance des voies de communication maritimes pour la bonne marche de leur économie, d’autre part de la raréfaction à venir des ressources énergétiques terrestres et donc de la nécessité d’aller les chercher dorénavant au fond des mers où elles se trouvent en quantité » (lire encadré). La Marine de guerre chinoise compte 255 000 hommes dont 25 000 dans l’aéronavale, 28 000 dans la défense côtière et 8 000 dans le corps des fusiliers marins. Elle dispose, à ce jour, d’un porteavions admis au service actif en 2012. Pour accélérer la mise au point du système d’armes, une plateforme d’essais a été construite à terre, au centre d’expérimentation navale de Wuhan. Elle permet d’entraîner les pilotes à l’appontage et au décollage. Les avions utilisés sont les intercepteurs J 15, copie chinoise du Su 33 russe. Le porte-avions a été admis au service actif le 25 septembre 2012 avec pour port base Qingdao. Il semblerait que des accords de formation aient été établis avec un autre membre des BRICS, le Brésil, qui met en œuvre l’ancien porte-avions français Foch. La >> 4. Nicaragua : le Congrès approuve la concession d’un futur canal interocéanique – 14 juin 2013 – www.marine-oceans.com. 5. Une marine de guerre est dite équilibrée lorsqu’elle comprend toutes les composantes nécessaires pour mener les différents types d’opérations en mer ou à partir de la mer, offensives et défensives. Il s’agit de groupes d’actions aéronavales permettant d’effectuer de la projection de puissance, de forces sous-marines d’attaques, d’une composante de dissuasion nucléaire, de moyens logistiques adaptés à sa taille, de forces de guerre des mines, de moyens de débarquement de forces, de forces spéciales pour l’action en mer, d’une aéronautique navale composée d’avions de patrouille maritime, d’hélicoptères adaptés aux différents types de lutte et logistiques, d’avions de guet aérien, de chasseurs et d’avions d’assaut, etc.


GÉOPOLITIQUE CHINE,LES 5 PILIERS DE LA PUSSANCE MARITIME >> Chine a annoncé la construction de deux autres porte-avions de conception nationale. Dans le domaine de la lutte sous la mer, la Marine chinoise souffre de retards et a des difficultés à produire des sous-marins silencieux, ce qui ne lui permet pas encore de disposer d’une véritable capacité de frappe nucléaire en second. Pourtant, elle progresse lentement mais sûrement, à son rythme, dans tous les domaines, n’hésitant pas même à innover en développant un système anti porte-avions original basé sur l’utilisation de missiles balistiques 6. Les forces sousmarines chinoises stratégiques sont constituées de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et d’un sous-marin classique lanceur d’engins qui sert probablement à la mise au point des missiles. Les forces sous-marines d’attaque comprennent six SNA et 56 sousmarins classiques. La Chine a construit une nouvelle base protégée pour ses sous-marins nucléaires dans l’île d’Hainan, seul endroit permettant un accès rapide aux grands fonds de la mer de Chine méridionale ce qui lui donne une raison supplémentaire, s’il en fallait, de contrôler cette mer. Sauf rupture géopolitique et/ou économique qui pourrait la priver des ressources nécessaires à l’accomplissement de cet objectif (lire encadré), la Chine parviendra à se doter d’une grande marine, sans

Menaces sur l’avenir elon un long et passionnant article de Béatrice Mathieu intitulé « Les six périls qui menacent la Chine », paru en juillet 2013 sur www.lexpansion.lexpress.fr, la Chine communiste de 2013 est le pays le plus inégalitaire de la planète. Les 10 % les plus riches concentrent plus de 52 % des revenus. Quant aux salaires des ménages urbains, ils étaient trois fois supérieurs à ceux des ruraux en 2012, contre un rapport de 1 à 2 en 2002. Pour Yves Zlotowski, directeur des études économiques de la Coface cité dans ce même article, «au sein des mégapoles, les inégalités entre les citoyens officiels et les migrants, privés de tous les avantages sociaux accordés dans le système du hukou [enregistrement et contrôle de la population], deviennent explosives ». Si les manifestations sont sévèrement réprimées par le pouvoir, la contestation grandit. À Shenzhen, cœur du miracle économique, on dénombre aujourd’hui une grève chaque jour. Sans compter la menace générée par les dettes chinoises soulignée par le financier Georges Soros et rapportée par Béatrice Mathieu dans ce même article. « En avril 2013, écrit-elle, lors du sommet économique de Boao, sur l’île d’Hainan, Georges Soros a prédit au géant asiatique une crise de la dette comparable à celle qui a balayé la Grèce. Officiellement, la dette publique chinoise atteint 17 % du produit intérieur brut. C’est sans compter les monceaux de dettes contractées indirectement par les collectivités locales auprès des grandes banques d’État, pour orchestrer les différents plans de relance depuis 2008. Leur dette atteindrait aujourd’hui presque 36 % de la richesse nationale, et pourrait rapidement monter à 60 %. » De quoi obérer la construction de la puissance maritime chinoise… Source : www.lexpansion.lexpress.com

À lire : «Les six périls qui menacent la Chine», sur www.lexpansion.lexpress.fr

n mars 1996, suite à un déploiement de force de la Chine populaire dans le détroit de Taïwan laissant croire à des préparatifs d’invasion de la République de Chine (Taiwan), les États-Unis déploient en Asie deux groupes aéronavals axés autour des porte-avions USS Independence et USS Nimitz. Ce message explicite de soutien à Taïwan met fin à la démonstration de force de Pékin qui n’est pas en position de combattre une menace de ce niveau. Cette intervention, qui rappelle celle des porte-avions américains pendant la guerre de Corée, a définitivement convaincu la Chine de se doter de porte-avions malgré les difficultés de mise en œuvre que représentent ces bâtiments de combat extrêmement complexes. Hugues EUDELINE

garantie toutefois de la voir se hisser à la hauteur de celle des ÉtatsUnis son principal rival. Développer une diplomatie navale. Pendant des décennies, la Marine chinoise est restée confinée dans ses eaux. En quelques années, elle a relancé une diplomatie navale nécessaire à l’affirmation de son statut de puissance maritime. La première escale effectuée par un de ses bâtiments de guerre dans un port étranger a eu lieu en 1985. Puis en décembre 2008 elle a, pour la première fois, envoyé une flottille de trois bâtiments en océan Indien pour participer à la lutte contre la piraterie. Lorsque le 16 février 2013 une nouvelle force navale appareille de Qinhai vers l’océan Indien, elle part pour la 14e mission de ce type. Elle est composée de deux frégates et d’un pétrolier ravitailleur 7, preuve s’il en fallait de l’évolution des capacités logistiques de cette marine qui a appris à durer. À cette date, la marine chinoise a déjà escorté

5 046 navires et en a secouru ou assisté plus de cinquante. Elle ne se limite pas à l’océan Indien. En février 2011, au moment où commencent les opérations de l’Otan contre la Libye, Pékin entreprend d’évacuer les 35 860 Chinois qui s’y trouvent et dépêche en Méditerranée orientale la frégate lance-missiles Xuzhou pour protéger cette opération d’évacuation outre-mer. C’est une nouvelle Première dans l’histoire de la Marine de la République populaire de Chine. Autre symbole, du 16 avril au 29 septembre 2012, le bâtiment école Zheng He fait, dans le cadre d’une campagne d’instruction, une circumnavigation comptant quatorze escales de représentation. La Chine a de fait clairement pris en compte l’importance des « opérations militaires autres que la guerre 8 ». Le Livre blanc 2013 de l’Armée populaire de libération (APL), dans son chapitre un, intitulé « Nouvelles situations, nou-

veaux défis et nouvelles missions », les décrit précisément pour ce qui concerne l’outre mer : « assurer les missions de réaction d’urgence et de sauvetage, la protection des navires marchands à la mer, l’évacuation des ressortissants chinois et contribuer à la sûreté des intérêts chinois à l’étranger ». Imitant en cela les États-Unis qui disposent de deux navires-hôpitaux, la Chine s’est également dotée d’une unité de ce type, l’Arche de Paix, qui effectue, sur les différents continents, des missions d’aide médicale, appelées « Missions harmonieuses ». La

Ci-dessus, le navire école chinois Zheng He, 310 membres d’équipage dont 110 stagiaires de l’École navale de Dalian, en escale à Papeete entre le 2 et le 6 août 2012. Ci-dessous, le navire-hôpital chinois, Arche de Paix, en escale à La Havane (Cuba), le 23 octobre 2011.

PHOTO : WWW.NEWS.CN

L’acte de naissance des porte-avions chinois

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PHOTO : ECPAD

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première s’est déroulée du 31 août au 15 novembre 2010. Elle a conduit le navire principalement en Afrique, dans le golfe d’Aden, à Djibouti, au Kenya, en Tanzanie, aux Seychelles et au Bangladesh. La deuxième, du 16 septembre au 30 décembre 2011, s’est déroulée dans les eaux américaines, à Cuba, à la Jamaïque, à Trinidad et Tobago et au Costa Rica. Le 11 juin 2013, l’Arche de Paix a réalisé une troisième mission dans huit pays d’Asie et dans le golfe d’Aden. Il s’agit bien là de missions de représentation, de diplomatie navale. Pourtant, l’image favorable que ces missions donnaient de la Chine a été largement écornée quand celle-ci a retenu son aide aux Philippines après que le pays ait été frappé, le 8 novembre 2013, par le cyclone de catégorie 5 Haiyan. Ayant avec les Philippines un différend maritime particulièrement conflictuel, la Chine n’a débloqué, dans un premier temps, qu’une somme de 200 000 dollars quand les États-Unis envoyaient sur place une cinquantaine de bâ-

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timents et d’aéronefs. Après bien des tergiversations, ce n’est que le 20 novembre que Pékin décida d’envoyer l’Arche de Paix et de porter le montant de son aide à 1,6 million de dollars. Un acte dans le droit fil de ses ambitions pour devenir une nouvelle puissance maritime du XXI e siècle. ■

6. Ce missile DF 21-D, surnommé « tueur de porte-avions » est un missile balistique de portée intermédiaire d’une portée de 1 000 à 3 000 km. Des informations récentes (janvier 2014) de source américaine font état d’un véhicule hypersonique destiné à contrer le système antimissile que les États-Unis et leurs alliés mettent en place à partir de croiseurs Aegis. Une fois la phase balistique terminée, une navette hypersonique propulserait la tête militaire vers son objectif, ce qui, outre le fait de fausser les calculs d’interception, allongerait significativement la portée de l’arme. 7. Un pétrolier ravitailleur garantit l’autonomie des bâtiments en gazole, carburéacteur, eau douce, vivre, munitions. Il effectue des allers-retours dans le point d’appuis (base navale d’un pays allié ou avec lequel existent des accords de défense) le plus proche pour compléter ses approvisionnements. 8. En anglais Military Operations other than War (MOOTW).


GÉOPOLITIQUE

La Marine chinoise peut-elle rattraper la Marine américaine et si oui, à quelle échéance, ou ne resterat-elle plutôt qu’une force à haut potentiel de nuisance ? Analyse. Par HUGUES EUDELINE *

elon certains analystes indiens, la Chine pourrait égaler les États-Unis en termes de budget de la défense à la fin des années 2030 et au plan opérationnel en 2050. Est-ce crédible ?

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Il est difficile de prévoir l’avenir aussi longtemps à l’avance. La politique de défense que mène le gouvernement chinois depuis une dizaine d’années montre une continuité de l’action vers cet objectif. Le budget de la défense chinoise ne cesse de croître à un rythme supérieur (12,2 % en 2014) à celui déjà important de l’économie (7,5 % en 2013). Il ne représenterait que le quart, environ, de celui des forces armées américaines, mais le chiffre réel pourrait être supérieur à celui qui est annoncé, et pour être précis, il faudrait y ajouter, au moins en partie, le budget de la Deuxième Armée chargée des missiles. Cette année, pour la première fois dans l’histoire du pays, les dépenses d’équi-

Ningbo, Chine, novembre 2012. Le secrétaire à la Marine des États-Unis, Ray Mabus, en visite à bord de la frégate Xu Zhou (FFG 539) de la classe Jiangkai II. « Il est fort peu probable que la Chine connaisse aussi longtemps une croissance économique lui permettant de poursuivre l’effort financier nécessaire pour concurrencer l’US Navy. » Hugues EUDELINE

* Hugues EUDELINE. Ancien élève de l’École navale (EN 72), Hugues Eudeline est MSc en Management et docteur en histoire. Consultant international, il se consacre à des recherches sur la géopolitique et la géostratégie de la puissance et de la violence maritimes. Capitaine de vaisseau dans la réserve opérationnelle, il est rattaché au Centre d’études stratégiques de la Marine. Il est membre de l’Académie européenne de géopolitique et membre correspondant de l’académie Royale de Marine suédoise.

pement de la Marine et de l’armée de l’Air chinoise seront supérieures à ceux de l’armée de Terre, ce qui montre que la réalisation est en accord avec la volonté politique. Est-ce suffisant ? Faire une marine est un processus long et complexe, qui demande des ressources humaines et budgétaires importantes. Faire une marine efficace demande, en outre, qu’elle soit équilibrée dans ses composantes (projection de puissance, projection de forces, logistique, lutte contre les mines, lutte sous la mer et au-dessus de la surface…), entraînée au niveau individuel, par services, en équipage… Il faut aussi que tous les bâtiments sachent coopérer de façon complémentaire et coordonnée dans les conditions difficiles du combat. Selon certains experts, il faudrait vingt ans pour rendre opérationnel un groupe aéronaval doté de bâtiments et d’avions de qualité. Se mesurer à des alliés suffisamment fiables. Une marine ne s’acquiert pas sur étagères comme l’ont mis en évidence les échecs successifs des flottes chinoises face aux Français et aux Japonais au XIXe siècle (lire encadré). Autant que des bâtiments et des avions de qualité en nombres suffisants, il lui faut acquérir un savoir-faire qui demande une organisation rigoureuse de la préparation et de l’analyse du retour d’expérience. Pour pouvoir évaluer sans se tromper ses capacités militaires, il lui faut aussi pouvoir se mesurer à des alliés suffis a m m e n t f i a b l e s, p o u r q u e l’échange d’informations ne soit pas biaisé par la protection du secret, mais également efficaces dans les différents domaines de lutte. La Chine qui est une île, au sens géopolitique du terme, ne dispose

u XIXe siècle, refermée sur elle-même, la Chine n’est pas préparée à une confrontation avec les puissances industrialisées. Minée par d’incessantes révoltes qui privent son trésor du revenu des impôts et font beaucoup plus de victimes que les guerres avec les étrangers1, elle subit l’humiliation du démembrement d’une partie de son territoire par les Occidentaux et les Japonais2. Sur mer, la Marine chinoise subit une série de défaites écrasantes. Les premières sont la conséquence du contentieux franco-chinois à propos de la suzeraineté sur l’Annam. L’amiral Courbet qui commande les forces en Indochine anéantit l’escadre chinoise – 4 petits croiseurs, 2 avisos, 3 des 5 canonnières, 7 canots à vapeur porte-torpilles et 11 jonques de guerre – le 23 août 1884 à Fou Tchéou, sur la rivière Min. Le 2 octobre 1884, il prend le port de Kelung à Taïwan et, le 16 février 1885, il parachève sa victoire en détruisant avec des canots à moteur portant une torpille au bout d’une hampe, une frégate et une corvette à Sheï-Poo. Quelques années plus tard, le Japon écrase une flotte chinoise, une première fois, en 1894, à la bataille navale de Yalu, puis en 1895 en prenant la base navale Qing de Weihaiwei. La Chine disposait alors d’une flotte neuve, moderne, théoriquement plus puissante. Ces défaites sont en particulier dues à la corruption et au manque de préparation, des problèmes récurrents en Chine. Pour le gouvernement actuel qui a pris en

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Les ambitions mesurées de la Marine chinoise

Les enseignements de l’histoire

Combat naval de Fou-Tchéou, 23 août 1884. La Chine du XXIe siècle tente de tirer les leçons de son histoire maritime (peinture de Vignaud, XIX e siècle).

compte les leçons de cette histoire maritime, ces défaites successives sont, entre autres, le résultat d’une infériorité tactique, d’un commandement inadapté, d’un manque d’entraînement et de problèmes logistiques. Il ressort que l’argent ne suffit pas, qu’une marine ne s’improvise pas. Elle est le fruit d’un long processus de maturation, de prise en compte de l’expérience et de la pratique intensive de la mer. Hugues EUDELINE 1. S. C. M. Paine. The Sino-Japanese War of 1894-1895 (Cambridge University Press, 2003, pages 25-26). 2. Le sac du Palais d’Eté (Yuanming Yuan) par les troupes anglaises et françaises le 6 octobre 1860, pendant la deuxième guerre de l’opium est considéré en Chine comme le symbole de l’agression étrangère et de l’humiliation. Cet ouvrage extraordinaire qui s’étendait sur 350 ha au nord-ouest de Pékin recelait d’inestimables trésors. Un groupe de négociateurs britanniques et leurs petites escortes sont arrêtés pendant les pourparlers. Emprisonnés, une vingtaine de soldats britanniques français et indiens sont torturés et tués dans des conditions épouvantables. En représailles, Lord Eglin, le commandant des troupes, ordonne la destruction du Palais d’Été. Victor Hugo, horrifié, s’en fait l’écho dans la lettre au capitaine Butler. Un second sac, opéré en 1900 par l’armée alliée, parachève les destructions.

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pas de ce type d’alliés. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles elle copie systématiquement son adversaire de référence, la Marine des États-Unis d’Amérique. Cela ne lui permet cependant pas de comparer l’efficacité technique et tactique de ses unités. C’est, en particulier, le cas dans le domaine des sous-marins ou la Marine chinoise a du mal à constituer une force au standard occidental. C’est une des raisons pour laquelle elle tente de développer des systèmes d’armes innovants capables de remettre en cause la supériorité américaine, tel le missile balistique anti porteavions DF-21D qui auraient une portée de 1 500 km et des têtes manœuvrantes. La Marine chinoise dispose aujourd’hui d’une flotte nombreuse et en croissance permanente, à vocation plutôt régionale. Se contenter d’un potentiel de nuisance suffisant. Il est encore difficile d’évaluer la qualité de ses équipements et de ses systèmes d’armes. Les capacités de son industrie maritime civile de haute technologie permettent de douter que ceux-ci puissent concurrencer rapidement ceux de l’US Navy. À l’échéance 2050, tout est possible. Il est cependant fort peu probable que la Chine connaisse aussi longtemps une croissance économique lui permettant de poursuivre l’effort financier nécessaire. Plutôt que de vouloir dépasser en puissance la Marine américaine, il est plus probable qu’elle se contentera d’un potentiel de nuisances suffisant pour que ses adversaires évitent de contrecarrer ses objectifs, comme cela se produit actuellement en mer de Chine méridionale dont elle a, de facto, pris le contrôle. Quant à la Marine des États-Unis, elle restera technologiquement très évoluée et suffisamment nombreuse pour disposer des moyens nécessaires à sa politique mondiale de libre échange dont bénéficie la Chine ■ en premier lieu.


GÉO-ÉCONOMIE Les grandes dates de l’histoire des terres rares

Terres rares Haro sur le monopole chinois L’Organisation mondiale du commerce (OMC), saisie par les États-Unis, l’Union européenne et le Japon, a désavoué la Chine, fin mars 2014, pour ses quotas en matière d’exportation de terres rares, un éventail de dix-sept métaux indispensables à l’industrie du XXIe siècle. La France pourrait trouver son indépendance dans ce domaine dans les profondeurs de son immense espace maritime. Explications. Par DAVID WEBER *

es terres rares sont un sujet dont le grand public a pris conscience avec l’émergence en 2011, du différend en mer de Chine entre le Japon et la Chine à propos des îles Senkaku, revendi-

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quées par les deux puissances et actuellement sous administration nippone. De provocations en incidents maritimes, le ton est monté et Pékin a mis sous embargo l’exportation de ses terres rares vers le pays du soleil levant, provoquant une panique des industriels

* David WEBER, University of Abertay, HEC management, Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN), s’intéresse depuis de très nombreuses années aux aspects géostratégiques de l’accès aux énergies et aux ressources naturelles. Son parcours professionnel l’a fait voyager autour du monde et son expérience de près de 20 ans à la direction de grands groupes industriels et de création de sociétés innovantes lui donne une expertise reconnue sur des questions complexes liées aux problématiques d’approvisionnements stratégiques. Il est l’auteur de Terres rares, avenir industriel et future richesse de l’Europe ?, publié aux Éditions du Net. En savoir + : www.terresrares.fr

nippons dont les usines ont du s’arrêter, faute de composants fabriqués à partir de ces fameuses terres rares (lire encadré page 35). Ces terres ne sont en fait pas rares du tout puisque, pour certaines d’entre elles, leur présence dans l’écorce terrestre est sensiblement égale à celle d’autres métaux mieux connus comme le cuivre. Leur rareté provient de la combinaison de deux facteurs principaux : une substitution très difficile et une production très concentrée géographiquement. La Chine représente encore, à elle seule, 87 % des plus ou moins 135 000 tonnes de la production

mine d’Ytterby près de Stockolm (Suède), un minéral noir inconnu qui prendra le nom d’Ytterbium. 1885 Carl Auer, baron de Welsbach, chimiste autrichien, met au point le manchon à incandescence à partir de nitrate de cerium. C’est la première utilisation d’une terre rare. 1972 Les scientifiques chinois mettent au point des techniques d’extraction par fusion et des techniques d’affinage des terres rares. La mine de Bayan Obo (Mongolie intérieure) devient progressivement le plus grand site d’extraction de terres rares au monde. 1998 Les États-Unis ferment leur dernière mine de terres rares, à Mountain Pass (Californie), en raison d’importations chinoises bon marché et d’un incident au terme duquel des centaines de milliers de litres d’eau radioactive se sont déversés dans la nature. 2006 Les exportations chinoises de terres rares atteignent un sommet (57 400 tonnes) en raison du boom des ordinateurs portables, des téléviseurs à écran plat, des smartphones, et de la forte croissance des technologies vertes (véhicules électriques, énergie éolienne). 2010 Devant l’accroissement de la demande en terres rares, le groupe minier Molycorps est autorisé à relancer la production sur le site américain de Mountain Pass. 2011 Ouverture en Australie de la mine de Mount Weld (Australie occidentale), le plus grand gisement de terres rares hors de Chine exploité par la société australienne Lynas Corp avec pour objectif l’extraction de 20 000 tonnes par an. 2012 Les États-Unis, l’Union européenne et le Japon portent plainte, en mars, contre la Chine pour ses quotas d’exportation de terres rares qui léseraient les pays importateurs et seraient contraires aux règles internationales. 2013 en octobre, le gouvernement groenlandais lève à une voix de majorité l’interdiction qui pesait sur l’extraction de terres rares. Selon les compagnies minières, le Groenland abriterait l’un des plus grands gisements de terres rares hors de Chine. 2020 Selon les experts, la consommation mondiale de terres rares pourrait atteindre les 240 000 tonnes d’ici 2020 en raison de la forte demande en éoliennes, voitures électriques et appareils électroniques grand public qui contiennent tous des terres rares contre 107 000 tonnes en 2006 et 120 000 tonnes en 2012. Source : www.future.arte.TV Très bons dossier et documentaire sur le sujet des terres rares.

Ci-dessous, le site de Mountain Pass aux États-Unis (Californie) exploité par le groupe minier Molycorp. Fermé en 1998, il a été rouvert en 2010.

PHOTO : DAVID WEBER

PHOTO : DR/SOURCE : WWW.LEBLOGALUPUS.COM

1787 Carl Axel Arrhenius découvre la première terre rare dans la

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mondiale en 2013 et un peu moins de la moitié des réserves mondiales. Les États-Unis, l’Australie, l’Inde et la Malaisie sont aujourd’hui les seuls pays produisant un peu de terres rares bien que plus de quatre cents projets d’exploration soient identifiés au niveau mondial. Les projets les plus avancés, laissant augurer une exploitation rentable, sont développés au Groenland, en Australie, aux États-Unis et en Mongolie. Un besoin estimé à 200000 tonnes d’ici trois ans. Ces métaux sont indispensables aux industries hightech, environnementales et de défense du XXIe siècle car leurs principales propriétés (aimantation, supra-conduction, catalyse, amplification de couleur ou encore absorption du son), sont pour ainsi dire sans équivalent. Du smartphone à l’éolienne, en passant par les missiles, les moteurs de voiture ou la simple pierre à briquet, les terres rares sont omniprésentes et le seront encore bien davantage dans les années à venir. Le besoin en terres rares est estimé à près de 200 000 tonnes d’ici trois ans, à la double condition qu’aucun substitut crédible ne soit trouvé et que l’économie chinoise continue à croître d’au minimum 8 % par an… Le revers de ces métaux est lié à leurs conditions d’exploitation et de transformation. L’environnement et les populations paient en effet un tribut insupportable à leur extraction : paysages défigurés, propagation de fines poussières de métaux radioactifs, pollution des sols et des cours d’eau par les puissants solvants et acides qui entrent dans l’étape de lixiviation, procédé permettant de séparer le minerai. Un des enjeux majeurs de l’industrie des terres rares réside ainsi dans sa capacité à développer de nouveaux procédés de séparation métallurgique sans hypothéquer ni le rendement, ni les règles environnementales, sur l’ensemble du cycle de production, de la mine au produit final. La Chine, le plus grand producteur mondial, a récemment été >>


Page de droite : la France a bon espoir de pouvoir un jour exploiter des gisements de « métaux critiques » (Cobalt, terres rares…) dans les profondeurs de son domaine maritime grâce aux travaux d’exploration menés par l’Ifremer. Le Parc éolien en mer de Sheringham Shoal, au large du comté de Norfolk, au Royaume-Uni. Les alternateurs des éoliennes à forte puissance contiennent jusqu’à 600kg de néodyme dont l’utilisation accroît considérablement les capacités électromagnétiques des aimants.

Compagnie nationale des mines de France, annoncée en février 2014 par M. Arnaud Montebourg, qui aura la possibilité d’investir dans des sociétés et des projets d’exploration en France (en métropole et outre mer) et à l’étranger. « Cette nouvelle compagnie minière, confie le ministre, avec laquelle nous rechercherons notamment du lithium, métal fondamental pour les batteries des véhicules électriques, contribuera à protéger nos intérêts nationaux. » Missions françaises d’évaluation prometteuses. Mais la France devrait aussi pouvoir compter sur son domaine maritime, le second plus vaste au monde, sur lequel le soleil ne se couche jamais. Outre le bloc qui lui a été attribué par l’Autorité internationale des fonds marins en zone Clarion-Clipperton, au centre de l’océan Pacifique, pour l’exploration des champs de nodules polymétalliques (qui contiennent peu de terres rares mais surtout du manganèse et du fer), ses fonds marins pourraient en effet lui réserver de bonnes surprises concernant les « métaux critiques » : terres rares, platinoïdes, cobalt, etc. Surtout si l’on se réfère aux 80 milliards de tonnes de terres rares qui reposeraient au fond du Pacifique selon les calculs réalisés par les équipes du professeur Yasuhiro Kato, de l’Université de Tokyo, à l’issue d’une vaste campagne d’exploration me-

née, en 2011, dans la zone économique exclusive japonaise. Les missions d’évaluation menées ces dernières années côté français par l’Ifremer dans le cadre du programme Remima (REssources MInerales MArines), notamment dans la zone de Walliset-Futuna, semblent prometteuses.

Si c’est un fait avéré pour le cobalt, les terres rares ne devraient pas être en reste. Certaines zones d’exploration, comme leurs résultats, sont d’ailleurs gardés jalousement secrets, à dessein. Les techniques d’extraction en grande profondeur de « métaux critiques » (dont font partie, rap-

pelons-le, les terres rares) sont encore au stade du prototype mais ne semblent pas constituer un frein majeur. La France dispose de tous les moyens techniques pour réussir, et vue l’étendue de son domaine maritime, la ressource est très certainement disponible sur quelques zones très ciblées. L’inconnue majeure réside dans les conséquences de cette exploitation sur l’environnement sous-marin et dans la volonté politique française et/ou européenne de s’y lancer de façon volontariste et ambitieuse. Chiche? ■

Utilisation des terres rares Lanthane : comme d’autres terres rares il est utilisé pour des alliages magnétiques, dans des composés supraconducteurs, comme composant des phosphores des tubes cathodiques, comme « dopant » dans les cristaux pour lasers, comme composé fluorescent étudié pour les marquages anti-fraude. Cérium : utilisé comme colorant du verre, dans les phosphores pour tubes cathodiques et également pour améliorer l’absorption des rayons X par la dalle des mêmes tubes. Praséodyme : utilisé en pierres à briquet, colorant, aimants, amplificateur optique. Néodyme : utilisé dans les tubes cathodiques, entre dans la composition des photophores rouges; en électronique : composition isolante pour les condensateurs « céramique »; accroît les capacités électromagnétiques des aimants utilisés pour les alternateurs des éoliennes. Prométhium : composés luminescents. Samarium : des condensateurs céramiques utilisent un diélectrique à base d’oxydes de lanthane, de néodyme ou de samarium. Europium : lasers, réacteurs nucléaires, éclairage, géochimie, phosphores rouges des tubes cathodiques. Gadolinium : substance phosphorescente dans des tubes cathodiques. Terbium : substance phosphorescente pour tubes cathodiques : activateur des photophores verts pour tubes cathodiques. Dysprosium : dans les minidisques, on utilise comme matériau d’enregistrement un alliage d’un métal ferromagnétique (fer, cobalt, nickel) avec des terres rares (terbium, gadolinium et dysprosium). Holmium : laser, teinture du verre, magnétisme, composé supraconducteur.

PHOTO : DR

commande de ses missiles, a choisi une stratégie d’intégration verticale, « de la mine à l’aimant ». Le Japon ne dispose pas, pour sa part, de ressource terrestre économiquement exploitable mais les eaux de sa zone économique exclusive pourraient contenir des boues à forte teneur en terres rares, notamment celles dites lourdes, les plus critiques à ce jour car les moins présentes en quantité et les plus demandées par l’industrie. Entre politique de stockage, partenariats internationaux via des prises de participation (en Inde, au Canada, en Afrique…) et prospection tous azimuts, le Japon fait feu de tout bois pour sécuriser l’approvisionnement de ce rouage essentiel de son économie, susceptible, s’il venait à en manquer, d’impacter 40 % de son activité industrielle et de lui coûter plusieurs point de PIB. L’Union européenne, de son côté, a placé les terres rares sur sa liste de « métaux critiques » laissant toutefois chaque État membre libre de mener sa propre politique en la matière. L’Allemagne, à l’instar du Japon, multiplie les partenariats (notamment avec la Mongolie). La France fait de même avec le Kazakhstan dans le cadre d’un partenariat stratégique sur les terres rares et les métaux rares signé en septembre 2011. Elle soutient également la reprise d’une activité minière à travers la nouvelle

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>> désavouée par l’OMC – saisie par l’Europe, les États-Unis et le Japon – pour sa politique de quotas à l’exportation de terres rares. Elle s’abritait derrière le paravent environnemental pour justifier l’étranglement du marché et la fermeture sur son territoire de plus d’une centaine de mines. Si l’argument écologique est en partie justifié, il dissimule une autre réalité plus inavouable. Ayant constaté que ses clients avaient pris conscience de leur dépendance à son égard et (ré)-activaient leurs propres filières de production, la Chine a décidé de tout faire pour conserver la maîtrise d’un marché aujourd’hui encore monopolistique mais qui sera demain oligopolistique. La réorganisation de la filière autour de quelques grands acteurs, la fermeture de mines illégales qui contribuaient, pour une part sensible, à des exportations officieuses à prix cassés, la politique de constitution de stocks stratégiques ainsi que la création d’une bourse chinoise de cotation des terres rares indiquent sa ferme volonté de contrôler ce qui apparaît comme étant plus qu’une simple famille de métaux, un des éléments de son soft power. Face à ce défi chinois, les grandes puissances industrialisées disposent d’atouts différents. Dans un contexte où le prix des terres rares peut varier du jour au lendemain avec un facteur 20, la capacité et le temps nécessaire à sécuriser une filière d’approvisionnement plus ou moins « nationale » sont, pour elles, des éléments clés de leur indépendance stratégique. Les États-Unis ont relancé, début 2010, en Californie, la production sur le site de Mountain Pass, fermé en 1998, avec pour objectif de finaliser la construction d’une unité de séparation, maillon clé du processus de production, dans le cadre d’un projet opportunément baptisé Phoenix. La société exploitante, Molycorp, soutenue par le gouvernement fédéral américain échaudé de devoir commander… en Chine les composants de

PHOTOS : IFREMER

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L'Europium, utilisé, entre autres, pour les lasers ou les réacteurs nucléaires.

Erbium : les amplificateurs optiques à base de fibres dopées erbium sont devenus un élément standard des réseaux de télécommunications optiques longue distance. Thulium : source de rayonnement, composant pour micro-onde, source de chaleur. Ytterbium : aciers inoxydables, ion actif pour cristaux laser. Lutécium : émetteur de rayonnement β (béta). Scandium : éclairage, marqueur, alliages d’aluminium. Yttrium : photophores rouges des tubes cathodiques, laser YAG, alliages supraconducteurs, briques réfractaires, piles à combustible, aimants. Source : www.geowiki.fr

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