"Chine, les cinq piliers de la puissance maritime"

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GÉOPOLITIQUE

Syrie Jordanie

Corée du Sud

Pakistan

mer de Chine

Myanmar

Inde

Oman

Érythrée Djibouti

Tokyo

Iles Senkaku

Népal

Arabie Qatar Saoudite

Soudan

Japon océan Pacifique

Iran

Koweit

Égypte

Corée du Nord

Tianjin

Chine

Afghanistan

Irak

Israel

Tadjikistan

Pékin

Vietnam

Thaïlande

den e d'a Golf

Taïwan orientale

Iles Paracels Première Chaîne des îles

mer d'Arabie

Yémen

Hong Kong

Cambodge Sri Lanka

Éthiopie

Iles Spratleys

Isthme de Kra Kedah Bachok

Détroit de Malacca

océan Indien

a dépendance de la Chine à la liberté de navigation dans le détroit de Malacca par où transitent 85 % de ses importations constitue le centre de gravité de son développement économique, et donc de sa stabilité sociale et politique. Le détroit de Malacca relie l’océan Indien à la mer de Chine méridionale, antichambre de l’océan Pacifique. Long d’environ 900 km, il se poursuit par le détroit de Singapour, au sud de la Cité-État où il n’a que 2,8 km de large. Seuls les navires ayant un tirant d’eau inférieur à 20 mètres peuvent l’emprunter, ce qui correspond à un tonnage de port en lourd inférieur à 300 000 tonnes. C’est, avec environ 70 000 navires par an, le détroit le plus emprunté au monde. Un navire y passe toutes les huit minutes. Ce chiffre est en augmentation permanente en raison des besoins croissants cumulés de la Chine, du Japon, de Taiwan et de la Corée du Sud. Deux autres détroits permettent de le contourner, ce qui rallonge toutefois les routes de façon significative. Le premier est le détroit en eaux profondes de Lombock. Le second celui de la Sonde que seuls des navires de moins de 100 000 tonnes de port en lourd peuvent emprunter. Seul 1 % du trafic destiné à la Chine transite par ces deux passages. Le détroit de Malacca est contrôlé par la Malaisie, Singapour et l’Indonésie et échappe donc totalement à ses principaux bénéficiaires de la zone Asie-Pacifique. C’est ce constat qu’exprimait l’ancien président chinois Hu Jintao, le 23 novembre 2003, lorsque évoquant le «dilemme de Malacca», il précisait les menaces pesant sur le détroit, la piraterie, le terrorisme maritime et le risque de fermeture par des puissances rivales. Hugues EUDELINE

L

Philippines

Sumatra

Indonésie Détroit de la Sonde

Le « dilemme de Malacca »

île de Guam

Malaisie

Tanzanie

le Kazakhstan, l’Afghanistan et le Tadjikistan. Elle cherche également à faire un corridor énergétique maritime et continental en créant ou en modernisant une série de ports pour en faire des terminaux hydrocarbures d’où partent des pipelines à travers la Birmanie ou la Thaïlande. La Chine cherche également à mener à bien trois projets maritimes. Le premier consiste à courtcircuiter le détroit de Malacca en soutenant le percement d’un ca-

Brunei

Somalie Kénya

Seconde Chaîne des îles

Java

Papouasie Nouvelle Guinée

CARTE : DR

PHOTO : US NAVY

Turkménistan

Turquie

Région du Xinjiang

e iqu ers

* Hugues EUDELINE. Ancien élève de l’École navale (EN 72), Hugues Eudeline est MSc en Management et docteur en Histoire. Consultant international, il se consacre à des recherches sur la géopolitique et la géostratégie de la puissance et de la violence maritimes. Capitaine de vaisseau dans la réserve opérationnelle, il est rattaché au Centre d’études stratégiques de la Marine. Il est membre de l’Académie européenne de géopolitique et membre correspondant de l’Académie Royale de Marine suédoise.

soutenir les flottes de pêche qui participent à l’approvisionnement du pays en poisson. Acquérir de l’espace stratégique dans le Pacifique. Desserrer l’étau stratégique qui la contraint dans le Pacifique est un second impératif absolu. Outre la nécessité de réparer une injustice historique, cet objectif explique la priorité donnée par le gouvernement chinois à la reprise de l’île de Taiwan, qui fait partie de la liste de ses intérêts vitaux, et l’importance accordée au différend avec le Japon concernant les îles Diaoyu (Senkaku pour les Japonais). Il s’agit également pour la Chine d’ouvrir l’accès aux routes arctiques sans

Azerbaïdjan Arménie

P lfe

qu’elle contrôle, et qui sont autant de points d’appui indispensables au soutien de ses bâtiments de guerre et de ses flux marchands 1. La présence, depuis 2008, de ses forces navales dans cet océan, dans le cadre de la lutte contre la piraterie, lui permet d’effectuer des actions relevant de la diplomatie navale, de contrer l’influence des autres marines en montrant son pavillon et son savoir-faire, et de

Ouzbékistan

go

L

e premier impératif pour la Chine sur la voie de la puissance maritime est d’accroître sa présence en océan Indien. À défaut de pouvoir contrôler directement le détroit de Malacca, elle doit en effet pouvoir intervenir de part et d’autre de ce qui est, pour elle, une artère vitale (lire encadré). Sa présence navale dans un océan Indien qui revêt une importance stratégique pour de nombreux pays, en particulier en raison des flux énergétiques qui transitent en provenance du golfe Persique, se heurte cependant à une forte animosité de l’Inde. La Chine a conclu des accords importants avec plusieurs pays de la région pour y implanter des terminaux de conteneurs ou des ports

L’exportation de ses produits manufacturés, la sécurisation de ses approvisionnements énergétiques et l’accès à de nouvelles ressources imposent à l’usine du monde d’être une puissance maritime. À charge pour elle de remplir cinq impératifs fondamentaux. Explications.

Mongolie Kirghizie

Géorgie

e

de la puissance maritime

Kazakhstan

Ukraine

oug

Chine Les cinq piliers

passer par les détroits japonais, de donner de l’espace stratégique à ses SNLE, de contrer la présence des marines japonaise, coréenne et américaine. Le Pacifique sera l’espace de confrontation principale avec les forces américaines et leurs alliés si elle devait se produire. Il s’agit d’interdire l’accès aux zones « chinoises ». Initialement, les stratèges chinois avaient prévu d’interdire l’accès de la première chaîne d’îles qui va des Ryukyu aux Philippines. C’est à présent la seconde ligne qui est prise en compte. Elle va du Japon aux îles Marianne, Guam et Palau. Développer des routes commerciales alternatives à Malacca. Le blocage du détroit de Malacca est, pour la Chine, un risque majeur qu’à défaut de pouvoir supprimer, elle veut pouvoir limiter. Pour cela, elle développe des flux continentaux reliant par des gazoducs et des oléoducs, les zones de production d’Asie centrale au Xinjiang, une de ses cinq régions autonomes, située à son extrême ouest, qui possède une frontière commune avec huit pays, la Mongolie, la Russie, l’Inde, le Pakistan, le Kirghizistan,

rR me

Marins du navire hôpital Daishandao (AHH 866). Les besoins croissants de la Chine lui imposent d’être une puissance maritime.

Par HUGUES EUDELINE *

Kamtchatka

Russie

nal dans l’isthme de Kra et / ou la construction d’un oléoduc traversant la péninsule de Kedah, à Bachok, en Malaisie, le Trans Peninsular Pipeline Project (TPP). Le deuxième projet consiste à ouvrir progressivement la route maritime Arctique vers l’Europe du Nord 2 qui évite ce détroit. Dès le mois d’août 2013, un premier petit cargo chinois 3 l’empruntait. Ce passage >> Ci-dessus, en ocre, tracé de la route maritime des importations énergétiques de la Chine via le détroit de Malacca. En vert, les nouvelles limites fixées par la Chine pour définir son pré-carré stratégique. Elles sont désormais établies à la hauteur de la seconde chaîne d'îles situées au large de ses côtes.

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MARINE&OCÉANS N° 243 - AVRIL-MAI-JUIN 2014

MARINE&OCÉANS N° 243 - AVRIL-MAI-JUIN 2014

1. L’ensemble de ces points d’appui constitue ce qui a été appelé le « collier de Perles » par les Américains. Selon Laurent Amelot, auteur d’un mémoire de recherche à l’Université Paris Sorbonne en 2012 sur la présence chinoise dans l’océan Indien, l’expression « théorie du collier de perles » trouve son origine géopolitique dans le rapport « Energy Futures in Asia », un document interne rédigé par la société de consultants Booz Allen & Hamilton pour le compte de l’Office of Net Assessment, une structure du ministère de la Défense américain pilotée par le ministre Donald Rumsfeld en personne. 2. La Chine a une activité diplomatique intense en Arctique. En avril 2013, elle a signé un accord de libre-échange avec l’Islande, premier du genre avec un pays européen. Du 14 au 15 mai 2013, elle a été admise en tant qu’observateur au sein du huitième conseil de l’Arctique à Kiruna en Suède. Outre l’intérêt que propose à long terme le passage du Nord-Ouest pour sa navigation commerciale, la Chine voudrait pouvoir exploiter les ressources en hydrocarbures et en métaux stratégiques, dont les terres rares, du Groenland. La Chine mène également des expéditions scientifiques en océan Arctique. Elle dispose pour cela du brise-glaces Xue Long et, depuis 2004, d’une installation arctique sur l’île Svalbard, en Norvège. 3. Le 8 août 2013, le Yong Shen, un cargo de 19 000 tonnes et 160 mètres de long, appareille de Dalian à destination de Rotterdam.


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