A la Une - Amiral Bernard Rogel

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SPÉCIAL EURONAVAL Entretien avec l’amiral Bernard Rogel Chef d’état-major de la Marine nationale française

“ La Marine

■ Comment voyez-vous l’évolution des grands programmes en

cours, notamment Fremm et Barracuda ?

Sous-marinier de spécialité, l’amiral Bernard Rogel totalise 27000 heures de plongée à bord de SNA ou de SNLE. Après une carrière dense partagée entre unités, cabinets et états-majors, il est, depuis septembre 2011, le « patron » de la Marine nationale française.

Propos recueillis par Bertrand de Lesquen garantit cette LPM à notre pays ? Je dis cela parce que l’on n’est pas là dans une question de format et de périmètre. On est dans une question d’ambition pour notre pays, spécialement d’ambition maritime, mais pas seulement car si la Marine agit sur la mer, elle agit aussi à partir de la mer ce qui nous place dans une stratégie de défense globale. Nous sommes désormais dans un projet – je le répète régulièrement à mes marins qui se posent un certain nombre de questions – que j’appelle « Horizon marine 2025 ». Pourquoi horizon ? Parce que les marins ont la fâcheuse habitude de ne pas se limiter à un trait de côte mais de toujours regarder un peu plus loin pour anticiper ce qui va se passer. À l’horizon 2025, nous aurons toujours une marine de dimension mondiale qui continuera à assurer ses missions dans tout le spectre, de la défense à la sécurité, une marine présente sur tous les océans pour servir les intérêts stratégiques de la France, une marine parmi les premières en termes de crédibilité, dotée d’outils très modernes et efficaces. Les programmes Fremm, Barracuda, NH90 ont été confirmés, le programme Rafale se poursuit, on est donc bien dans cette phase de modernisation qui a été engagée avec l’arrivée du porte-avions Charles de Gaulle d’abord, puis des BPC. Il est vrai que le format sera plus resserré par rapport à celui que l’on a actuellement, ce qui obligera les autorités politiques et

■ Peut-on craindre une surprise budgétaire dans l’application de la Loi de programmation militaire (LPM) ?

Nous sortons d’un exercice qui s’appelle le Livre blanc qui a mis en équation les ambitions de la France avec ses réalités budgétaires. Le Livre blanc a réaffirmé la vocation mondiale des intérêts stratégiques de la France, sa vocation de puissance mondiale, pas seulement de puissance régionale. C’est sur cette base qu’ont été bâtis un format et un modèle d’armée. Les autorités politiques réaffirment avec force que cette LPM sera tenue. Je ne vois donc aucune raison d’en douter. Nous travaillons, dans ce cadre, à la mise en œuvre de ce modèle, à la préparation de l’avenir. Pour autant, le costume est taillé au plus juste. Cela veut dire qu’en fonction des ambitions qui ont été fixées, le format qui a été défini, le format militaire, est à son niveau de juste suffisance. ■ Pas de surprise donc à attendre pour le budget 2015 ?

Je n’ai aucune raison de penser que ce sera le cas. ■ Pouvez-vous

nous résumer ce que garantit cette LPM à la

Marine ?

Je n’aime pas beaucoup, pardonnez-moi, cette expression de « garantir à la Marine ». Je préférerai que la question soit : Que

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L’amiral Bernard Rogel avec le capitaine de vaisseau Pierre Vandier, commandant du porte-avions Charles de Gaulle. « Avec les programmes en cours, on est bien dans la phase de remplacement indispensable des anciennes unités engagée avec l’arrivée du Charles de Gaulle puis des BPC. » AMIRAL ROGEL

La période budgétaire difficile a obligé à l’étalement de certains programmes dont ceux que vous venez d’évoquer. Pour autant, l’on est bien dans une phase de remplacement indispensable des unités vieillissantes. Je rappelle que les SNA de type Rubis auront entre 35 et 40 ans au moment de leur désarmement, que les frégates de type F70 sont, comme leur nom l’indique, déjà anciennes alors qu’elles avaient été construites pour durer…25 ans. Cet étalement des nouveaux programmes va toutefois nous poser des défis d’ordre technique et humain. Il va nous falloir en effet conserver des spécialistes sur les anciens bâtiments tout en devant commencer à structurer les modernes. Pour prendre le cas des Fremm, on ne fera pas naviguer des bateaux de tonnage équivalent aux frégates F70 avec 100 personnes de moins à bord sans changer la structure interne des ressources humaines de la Marine. C’est donc bien un challenge.

Août 2014. Revue navale au large des côtes varoises. « Eu égard aux ambitions fixées par le Livre Blanc, le format militaire qui a été défini est à son niveau de juste suffisance. » AMIRAL ROGEL

■ Vous employez souvent les mots de « différenciation » et de « mutualisation » pour l’organisation de cette marine en renouvellement ? Que voulez-vous dire précisément ?

puis dire, et de disposer pour les opérations de haute intensité, de frégates de premier rang beaucoup plus puissantes. C’est encore, en matière de surveillance maritime, mettre en œuvre, pour les missions de sécurité, des avions de surveillance maritime quand on utilise, pour les missions de défense, des avions beaucoup plus sophistiqués de patrouille maritime. Ce principe de différenciation est très présent dans la Marine depuis longtemps. On est juste en train de l’affiner un peu plus. La «mutualisation», c’est ce que j’ai expliqué tout à l’heure. On ne pourra plus tout faire en même temps. On devra prioriser les missions en fonctions des urgences. C’est, pour faire simple, remplacer le «et» par le «ou».

La « différenciation » est, en réalité, quelque chose que l’on fait depuis très longtemps dans la Marine. Cela consiste à adapter le choix des bâtiments à la mission, à mettre en œuvre, par exemple, pour l’exercice de notre souveraineté dans nos zones économiques exclusives, des frégates de surveillance qui sont des bâtiments armés mais construits aux normes civiles, si je « À l’horizon 2025, nous aurons toujours une marine de dimension mondiale capable d’assurer ses missions dans tout le spectre, de la défense à la sécurité. » AMIRAL ROGEL

■ Les contraintes budgétaires vous imposent

de sévères réductions d’effectifs. Comment gérez-vous cela ?

PHOTO : MARINE NATIONALE

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nationale et les industriels français forment une équipe qui rend notre outil de défense très crédible. ”

le chef d’état-major des armées à faire des choix en conduite. Si l’on peut encore aujourd’hui conduire un certain nombre d’opérations de manière concomitante, il faudra, demain, savoir définir des priorités à l’image de ce que l’on a déjà fait pendant la crise libyenne, en 2011. Ayant dû tenir les opérations plus de six mois, nous avons été obligés d’abandonner temporairement certaines autres missions pour se concentrer sur celle-là.

La réduction des effectifs est ma principale préoccupation, je dis bien préoccupation, pas inquiétude, avec un objectif fixé par cette LPM à 24 000 emplois pour l’ensemble du ministère, qui s’ajoutent aux 54 000 déflations de la LPM précédente. Cela devient un vrai challenge pour les armées et en tout cas un vrai défi dans les années à venir. La Marine prendra sa part, avec une difficulté particulière que je souligne souvent. La Marine est composée de nombreuses spécialités, de micro-filières – électronique, informatique, nucléaire… – toutes nécessaires pour faire naviguer un bateau. Il faut donc que je sois extrêmement vigilant sur ma capacité à >>

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L’AMIRAL BERNARD ROGEL c’est tout à fait important. Nous parlions du moral des marins... quand je vois la Marine que je quitterai l’année prochaine, et celle dans laquelle je suis entré, pardonnez-moi, mais je n’ai pas de raisons d’avoir le moral en berne.

■ Cela serait-il forcément versus hélicoptère de combat et avion

de combat ? Cela ne pourrait-il pas être complémentaire ?

Bien sûr, cela peut être complémentaire. Je ne suis pas de ceux qui voient tous les avions et les hélicoptères remplacés par des drones. Je ne suis pas dans le combat des drones contre le reste, il s’agira de trouver un équilibre.

■ Où en est-on en matière de drones ?

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On a récemment expérimenté un drone à voilure tournante sur l’Adroit 1. On est en phase de réflexion notamment pour le 2 programme Batsimar de patrouilleur de haute mer pour lequel on voit bien que le drone pourrait offrir une extension et des capacités plus importantes. Le drone est moins vital sur les grands bâtiments de combat qui disposent d’hélicoptères armés pour des missions de lutte anti-sous-marine ou de lutte antisurface. Le nouvel hélicoptère Caïman possède des capacités remarquables. Le patrouilleur de haute mer assure des missions de sécurité qui exigent toujours plus de moyens. Un bâtiment en mission contre le narcotrafic doit pouvoir disposer d’un outil lui permettant de faire de la reconnaissance, un avion de surveillance maritime ou un hélicoptère aujourd’hui, un drone peut-être demain. C’est l’objet de notre réflexion. Le premier intérêt du drone est de décupler la capacité d’information. Le second est de pouvoir se substituer, dans des zones à risques, à un hélicoptère avec des pilotes à bord. Je pense pour ma part, et c’est ma conviction, qu’il nous faudra des drones à voilure tournante sur nos futurs patrouilleurs de haute mer.

« En entrant dans la Marine, vous trouvez le bénéfice, non seulement de servir votre pays, mais également d’en sortir valorisés. » AMIRAL ROGEL

>> les conserver. Si demain je n’arrive plus à fournir assez d’atomiciens pour mes bâtiments à propulsion nucléaire, ceux-ci resteront à quai. Or les atomiciens ne se comptent pas par milliers. Je cite également souvent l’exemple des officiers d’appontage sur porte-avions que l’on compte sur les doigts d’une main. Ne pas mettre en danger ces micro-filières sera mon premier challenge. Nous serons aidés dans ces réductions d’effectifs, si je puis dire, par le fait que les bateaux modernes ont des équipages beaucoup plus resserrés que les bateaux plus anciens. La Marine réfléchit à la définition exacte des équipages de Fremm. Ils comprendront entre 100 et 120 personnes quand on en compte encore entre 250 et 300 sur les frégates plus anciennes de même tonnage. La réduction d’effectifs va se faire naturellement comme cela. Et puis, pour le reste, nous continuons à travailler sur une évolution des structures de la Marine.

d’une armée techniquement difficile. C’est vrai que nous utilisons du matériel à haute technicité, que l’on est exigeant et que cela peut faire peur à certains. Mais finalement, cette École des mousses est bien la preuve que si vous venez dans la Marine, vous y trouverez le bénéfice non seulement de servir votre pays mais également d’en sortir valorisé. Je vais vous faire une confidence, mon pire et mon meilleur indicateur aujourd’hui, c’est que plus de 80 % des marins qui quittent la Marine trouvent un travail en moins d’un an.

■ 2014 est l’année d’Euronaval. Comment travaillez-vous avec

les industriels français de défense ?

Je travaille avec les industriels en permanence puisque de la qualité de leurs équipements dépend notre crédibilité et réciproquement. Nous entretenons des liens très étroits avec les industriels auxquels nous apportons notre retour d’expérience, la Marine française étant une marine très employée en opérations. Je n’ai pas peur de parler d’une équipe « France » composée d’industriels efficaces et d’une Marine efficace qui participent à la crédibilisation de notre outil de défense. ■ Cette Marine que vous décrivez, cette Marine de capital ships

dotée de porte-avions, de bâtiments de projection, de frégates de premier rang, de sous-marins, de missiles de croisière navals… cette Marine n’est-elle pas finalement la garantie pour la France de garder son siège au Conseil de sécurité des Nations unies. N’est-ce pas là l’attribut de puissance par excellence ?

Oui, c’est un des atouts mais ce n’est pas le seul. Je crois que l’on a la chance aujourd’hui de disposer, en France, d’un système de défense équilibré. Vous savez, je crois beaucoup au concept de boîte à outils. J’ai été sous-chef d’état-major « Opérations » à l’état-major des armées avant de prendre mes fonctions actuelles, et j’ai pu mesurer combien il était important de >>

■ On

parle là de drones de surveillance, d’observation, de reconnaissance. À quand des drones armés dans la Marine française ?

On n’est pas encore dans cette logique. ■ Mais pourrait-on y venir ?

■ En terme de recrutement, est-on toujours sur un chiffre de l’ordre de 3 000 personnes par an ?

On est toujours sur cette base-là. ■ Les trouvez-vous facilement ?

La réponse est globalement oui. Nous avons des recrutements très réguliers et de qualité. J’insiste là-dessus. Les jeunes gens qui se présentent pour entrer dans la Marine ont les qualités morales et intellectuelles requises. Nous sommes cependant parfois en concurrence avec certains secteurs comme l’aéronautique parce que l’aviation civile marche bien aujourd’hui. Toutefois, la capacité de la Marine à pouvoir garantir à ceux qui veulent la rejoindre qu’ils en sortiront avec un diplôme valorisable dans le civil est très bien reçue. Ma grande fierté aujourd’hui, c’est l’École des mousses. Elle forme des jeunes qui ont quitté le système scolaire en troisième et que l’on va rendre à la société civile comme technicien supérieur. Je suis encore plus fier de constater que c’est parmi ces jeunes que l’on trouve le plus fort taux de fidélisation avec des jeunes gens décidés à faire une carrière complète chez nous. On a de la Marine l’image

■ Revenons au renouvellement de la Marine. Où en est le programme du missile de croisière naval (MdCN) ?

Il se déroule normalement. Les premier missiles seront embarqués sur la Fremm Normandie. Certains n’en ont pas encore pris conscience mais l’arrivée du MdCN va créer une vraie rupture stratégique. Cet outil va donner à la Marine une nouvelle dimension. Elle pourra non seulement contrôler la mer mais aussi décupler sa capacité à agir de la mer vers la terre. Et ça,

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ral des marins. Pourquoi ? Y-a-t-il des inquiétudes à avoir sur ce point ?

Mon discours ne change pas. Vous avez beau avoir les meilleurs équipements, si vous ne disposez pas, pour les mettre en œuvre, de marins dotés de forces morales importantes, les forces armées ne seront pas crédibles. Nous avons besoin de marins bien dans leur tête et dans leur peau pour faire leur métier, de marins envers qui on exprime de la reconnaissance au regard des missions difficiles et contraignantes qu’ils remplissent. Un marin, qui ne peut pas entretenir son bateau dans des conditions satisfaisantes ou qui ne peut plus prendre la mer pour une raison quelconque, n’aura pas le sentiment de pouvoir remplir sa mission dans de bonnes conditions. Il aura même le sentiment de ne pas avoir la reconnaissance de la Nation. Ce moral est donc particulièrement important. Aujourd’hui, je ne vois pas de problème de moral sur les unités qui naviguent.

1. Patrouilleur mis à la disposition de la Marine nationale par DCNS jusqu’en 2015. 2. Bâtiment de surveillance et d’intervention maritime.

Cette réflexion, drone armé versus hélicoptère de combat et avion de combat, est du ressort de l’état-major des armées.

■ Vous avez attiré l’attention sur la nécessité de veiller au mo-

« Nous avons besoin de gens bien dans leur tête envers qui on exprime de la reconnaissance au regard des missions difficiles et contraignantes qu’ils remplissent. » AMIRAL ROGEL

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>> pouvoir disposer de différents outils pour répondre rapidement à l’ensemble des sollicitations et gérer les crises. Saluant au passage la réactivité de nos armées et l’efficacité de nos industriels, je trouve assez remarquable aujourd’hui, dans un budget contraint, que l’on parvienne à conserver l’ensemble de notre boîte à outil. C’est elle qui est importante pour un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nationsunies. L’outil de puissance maritime est important mais il en est un élément. Quand je vois aujourd’hui la manière dont on

■ Pour

revenir à l’activité, je dirais « normale », de la Marine, pourriez-vous expliquer au Français qui part chaque matin travailler ce que, dans le même temps, la Marine fait, pour lui ?

La Marine est sur beaucoup de fronts en même temps. C’est d’ailleurs une de ses particularités. Nous sommes une armée d’emploi qui opère en permanence dans le domaine de la défense comme dans celui de la sécurité. Aux Français qui se posent cette question, je pourrais proposer un instantané sur une journée : lorsqu’une de nos unités intercepte aux Antilles une nouvelle cargaison de drogue, le porte- avions, lui, est disponible à Toulon, prêt à partir, sur ordre, en mission. Dans le même temps, d’autres unités assurent la sécurité en mer, contrôlent la pêche illégale ou l’immigration, assurent des missions de renseignement – aujourd’hui dans quatre zones du monde différentes – ou se préparent à évacuer nos ressortissants partout là où l’on en aura besoin. La Marine veille. Elle est prête. Elle agit 24 h/24 h et sept jours sur sept. Nous avons une trentaine de bâtiments et entre 3 à 5 000 marins à la mer chaque jour. ■ On sait les moyens de la Marine très contraints outre-mer pour y surveiller les zones économiques exclusives…

PHOTOS : MARINE NATIONALE

C’est une de mes préoccupations. Si l’on ne protège pas notre territoire maritime très convoité, il sera pillé par les uns et par les autres. Aujourd’hui nous avons une difficulté à renouveler nos patrouilleurs outre-mer au rythme où on l’aurait souhaité. Grâce à l’action déterminée du ministre de la Défense, la Marine a obtenu que les bâtiments de transport léger soient remplacés par des bâtiments multimissions qui n’auront pas les même capacités militaires mais qui permettront tout de même – en attendant la mise en œuvre du programme Batsimar – d’assurer des missions de surveillance et un soutien général dans les zones concernées. Pour le reste, nous allons prolonger autant que l’on pourra les patrouilleurs de type P400 pour arriver à faire la jonction avec le programme Batsimar. Celui-ci ne pourra toutefois pas être repoussé indéfiniment au risque de nous mettre en grande difficulté dans l’affirmation de notre souveraineté dans notre ZEE.

Ci-dessus, l’amiral Bernard Rogel et le CV Matthieu Devron commandant la frégate anti-sous-marine Latouche-Tréville, avec le général d’armées Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, en visite à la base navale de Brest, le 7 mai 2014. À droite, mars 2013, unité de légionnaires à bord du BPC Tonnerre. « Quand je vois la manière dont on est capable d’agir, au claquement de doigt, dans un contexte interarmées, c’est tout à fait rassurant. » AMIRAL ROGEL

est capable d’agir, au claquement de doigt – comme nous l’avons fait lors de l’évacuation de nos ressortissants de Libye en juillet dernier – pour monter une opération impromptue, en connectant les tuyaux des uns et des autres très rapidement, c’est tout à fait rassurant. C’est là aussi une des puissances de la France.

■ Quand pensez-vous voir aboutir le programme Batsimar ?

À l’horizon 2020-2025. Je rappelle cependant, et on l’oublie souvent, que nous avons six frégates de surveillance déployées dans nos zones économiques exclusives. Ce n’est donc pas le désert comme le disent certains. Sachant que l’on ne va pas mettre un patrouilleur tous les 10 nautique carré – j’en serais ravi mais cela n’aurait pas beaucoup de sens – nous fonctionnons comme la Gendarmerie sur le territoire national. Nous plaçons des radars fixes dans des zones d’intérêt particulier – à Saint-Denis de la Réunion, à Papeete, à Nouméa – là où l’on sait devoir donner régulièrement des coups de projecteurs, et des radars mobiles ailleurs. Le seul problème est qu’il faut savoir pérenniser les radars fixes et pouvoir disposer d’un nombre suffisant de radars mobiles pour être dissuasif. Surtout si l’on considère l’augmenta-

■ Et si la France devait demain intervenir sur plusieurs fronts à

la fois, la Marine, en l’état, pourrait-elle le faire ?

Je ne sais pas ce que seront les décisions politiques de demain. Ce qui est certain, c’est que l’on sait réagir vite. On l’a prouvé à plusieurs reprises dans les années passées. Ensuite, cela dépendra des opérations qui nous sont demandées. Il est sûr, qu’à l’image de la Libye en 2011, l’on devra faire des choix dans l’ensemble de nos missions. Mais ce n’est pas insurmontable.

Ci-contre, l'amiral Rogel (à droite) et le VAE Joly commandant la zone méditerranée, avec le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, à Toulon, en octobre 2014. « Si l’on ne protège pas notre territoire maritime, il sera pillé. Grâce à l’action déterminée du ministre de la Défense, on a obtenu que les bâtiments de transport légers outre-mer soient remplacés par des bâtiments multimissions dans l’attente de l’arrivée des bâtiments de surveillance et d’intervention maritime. » AMIRAL ROGEL

tion régulière de la pêche et de l’immigration illégales, du narcotrafic, de la pollution… qui ne vont pas se réduire car le phénomène de maritimisation auquel on assiste, signifie aussi l’augmentation des trafics par la mer auxquels la France sera d’autant plus confrontée qu’elle dispose de la deuxième zone économique exclusive au monde. Ce capital donne des droits en termes d’exploration et d’exploitation des ressources qui s’y trouvent mais il donne également des devoirs en termes de protection et de préservation. La question est donc bien : aura-t-on dans vingt ans les moyens d’y faire face ?

PHOTOS : MARINE NATIONALE

ENTRETIEN AVEC

■ On constate une présence de plus en plus impor-

tante de la Marine chinoise en océan Indien. Comment appréciez-vous cette monté en puissance ?

C’est ce que j’appelle la tectonique des puissances. Il ne faut pas faire preuve d’aveuglement. On voit monter de nouvelles puissances maritimes et la Chine en fait incontestablement partie mais il y a aussi la Russie, l’Inde, le Brésil… La flotte chinoise n’est plus une flotte régionale. Sa présence en Méditerranée – elle a déployé deux frégates au large de la Syrie au printemps dernier – le montre et est tout à fait nouvelle. Elle est également très présente bien sûr en océan Indien où nous collaborons de façon excellente dans la lutte contre la piraterie mais où elle s’affirme aussi militairement, par la présence de sous-marins en particulier. On a souvent décrit la Chine comme une puissance en devenir. Je peux vous affirmer que c’est aujourd’hui une puissance à part entière et qu’elle va continuer à s’affirmer, compte tenu des enjeux maritimes à venir dont elle a très clairement pris conscience.

encore fondamentalement continental dans son esprit, même s’il y a aujourd’hui une prise de conscience très claire de beaucoup d’acteurs et de décideurs sur les enjeux de la mer. ■ Nous sommes dans votre magnifique bureau de l’hôtel de la Marine. Quand allez-vous le quitter et que va devenir ce lieu ?

L’état-major de la Marine aura déménagé à Balard le 1er septembre 2015. On ne quittera pas cet Hôtel de la Marine sans un pincement au cœur et sans émotion parce que c’est notre maison depuis plus de deux siècles. C’est un lieu ou l’on a nos racines. Pour autant, on ne peut pas refuser le progrès. Il est bien évident que la fonctionnalité de l’état-major sera bien plus grande dans le nouvel espace de Balard qu’ici. Il est aujourd’hui prévu, c’est le projet en cours, que nous donnions les clés de l’Hôtel de la Marine au Centre des monuments nationaux qui valorise le patrimoine de la France comme par exemple l’Arc de triomphe. Que ce soit cette institution qui ait été chargée de mettre en valeur cet Hôtel, de l’ouvrir au public, de restituer l’histoire du ministère de la Marine qui fut aussi celui des colonies est une bonne chose qui facilitera psychologiquement notre départ. ■

■ Vous parlez des enjeux maritimes à venir, la France a-t-elle aujourd’hui une véritable vision sur ces sujets ?

C’est une question fondamentale. Nous avons reçu, ces dernières années, quelques signaux positifs illustrant une certaine prise de conscience, à commencer par l’excellent rapport du sénat sur la maritimisation 3. Il y a aussi eu la constitution d’une famille maritime française à travers la création, en 2006, à l’initiative de M. Francis Vallat, du Cluster maritime français, et l’organisation concomitante des Assises de la Mer qui se tiennent désormais chaque année et rassemblent tous les acteurs de la mer. Je suis entrée dans la Marine nationale il y a maintenant trentehuit ans. À cette époque, il y avait le monde de la pêche, le monde de la plaisance, le monde du commerce et puis la Marine nationale, et je n’ai pas le sentiment qu’ils se parlaient beaucoup. Aujourd’hui, ils forment une famille capable d’expliquer et de défendre l’importance des enjeux maritimes pour la France. Il faudra qu’elle continue à le faire parce que notre pays reste

3. «Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des océans», Rapport d'information de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard, fait au nom de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du sénat, n° 674 (2011-2012) - 17 juillet 2012.

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