Entretien avec JEAN-LOUP VELUT

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PÊCHE Entretien avec JEAN-LOUP VELUT Secrétaire général de la Coopération maritime

Notre mission “ est que la pêche PHOTO : DR

artisanale soit audible et entendue ” Propos recueillis par Erwan Sterenn

La Coopération maritime est une association Loi de 1901 qui fédère l’essentiel du mouvement coopératif maritime français. Ce mouvement coopératif maritime est né à la fin du XIXe siècle, en Bretagne et en Vendée. Il regroupe environ cent cinquante structures coopératives et filiales de coopératives présentes sur tout le littoral, très différentes de nature, entre les coopératives d’avitaillement, qui historiquement ont été les premières à se constituer, les armements coopératifs, les organisations de producteurs, les centres de gestion qui regroupent environ 1 300 navires, les caisses régionales du Crédit maritime, les mutuelles et assurances maritimes, les cultures marines. Bref, le panel est complet et nous sommes d’ailleurs les seuls à embrasser une telle variété de structures opérationnelles dans la filière, représentant un chiffre d’affaires global d’environ 800 millions d’euros. Notre mission théorique est simple : faire en sorte que la pêche artisanale soit audible et entendue. Mais cette mission est en fait compliquée parce que nous sommes

entourés de beaucoup de mal-entendants et de mal-comprenants et que nous devons, sur ce dossier, faire face à une véritable stratégie de création de contrevérités par des organisations dont on sait qu’elles ne sont pas toutes aussi désintéressées qu’elles en ont l’air.

de pêche. Nous construisons par ailleurs un partenariat fort avec la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME).

■ Comment assurez-vous la défense et la représentation institutionnelle de la pêche artisanale ?

La Coopération maritime a une vocation opérationnelle. Elle se doit donc de créer des outils et de les mettre à la disposition de la pêche artisanale, dans un contexte de crise. Ces outils sont-ils efficaces ?

Nous défendons la pêche artisanale d’abord au niveau national, dans le cadre de toutes les structures où nous la représentons : France Agrimer, France Filière Pêche qui est née dans les locaux de la Coopération maritime, le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM), la société centrale du Crédit maritime colocalisée avec nous rue du rocher à Paris, le Cluster maritime français, le Conseil supérieur de la coopération, l’Institut de développement de l’économie sociale (IDES), Coop fr., l’Institut maritime de prévention (IMP), le fond de garantie coopératif Solidea… Et la liste n’est pas exhaustive. Nous défendons également la pêche artisanale à Bruxelles, notamment à l’occasion des négociations annuelles sur les quotas

Nous disposons dans la boîte à outils de la Coopération, de plusieurs moyens importants. Le premier, majeur, est la Coopération maritime conseil et services (CMCS). Cette filiale à 100 % de la Coopération nous sert d’abord à prendre des participations dans des structures que nous estimons stratégiques pour le secteur. C’est le cas du gazole pêche. C’est la raison pour laquelle nous sommes à 49 % dans Sobad Marine, à Douarnenez, en partenariat avec Total qui y est à 51 %. Le gazole pêche est aujourd’hui une micro niche qui n’a de chance de survie qu’en s’adossant à la plaisance. Pour cette raison, le développement actuel de la Sobad, notamment en Méditerranée, est très nettement axé vers la reprise de stations pour la plaisance, afin

Caseyeur dans la rivière du Trieux.

Philippe Mérabet Président de la Coopération maritime «Le contexte de crise dans lequel survivent nos structures s’est encore aggravé» Réélu le 10 décembre 2013, Philippe Mérabet est reparti pour un troisième mandat de trois ans à la tête de la Coopération maritime qui fédère l’essentiel des structures coopératives de la pêche artisanale française. lus que d’habitude, notre préoccupation principale, notre inquiétude majeure tient aux négociations de fin d’année à Bruxelles sur les Totaux admissibles de captures (TAC) et les quotas. Serons-nous bien défendus ? Nos quotas sontils bradés d’avance ? Quelle indépendance aura notre ministre vis-à-vis des oukases des environnementalistes du ministère de l’écologie ? Autant de questions aujourd’hui sans réponse. Or le contexte de crise dans lequel survivent nos structures s’est encore aggravé. Nous n’avons pas aujourd’hui le sentiment d’aborder ces négociations en positions de force. Les études scientifiques ou prétendues telles voudraient encore nous voir reculer. Nous travaillons pourtant avec ces scientifiques. Ils savent que globalement l’état de la ressource s’est amélioré grâce à nos efforts et pourtant ils demandent toujours plus. Notre deuxième inquiétude est celle du recul général du maritime dans les priorités gouvernementales. Il n’y a plus aujourd’hui de véritable ambition maritime pour la France. Chacun comprend bien que la gestion des crises successives du secteur suffit à occuper à temps plein les politiques et les équipes administratives. Mais si la vision disparaît, c’est avec elle toutes nos chances de survie, de modernisation, de développement qui s’envolent. Nous avons vraiment besoin aujourd’hui d’une vision pour le maritime.

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■ On entend souvent parler, sur le littoral, de la Coopération maritime, mais bien peu savent exactement de quoi il s’agit…

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Commissaire général de la Marine (2S), ancien adjoint du préfet maritime de la Méditerranée, Jean-Loup Velut anime depuis deux ans, à Paris et sur l’ensemble du littoral, l’action très diversifiée de la Coopération maritime pour la promotion et la défense de la pêche artisanale française.

de mieux sécuriser le devenir du gazole pêche. CMCS est également dans Ouest sécurité marine (OSM) à Pornic, qui est le plus grand espace européen dédié à l’entretien du matériel de sécurité maritime. OSM négocie actuellement un partenariat avec le groupe britannique Survitec. CMCS nous sert aussi de base pour la défiscalisation ISF. Nous sommes les seuls à disposer de cet outil via une filiale spécialisée dans la défiscalisation bleue «SE@NERGY DEV’ISF», outil qui nous permet d’apporter des fonds propres à nos projets coopératifs. CMCS nous sert enfin à porter des projets pour la filière pêche. Le dernier en date est le projet Pasamer (Palangre Automatique Sabre et Merlu) que nous portons avec la Scapêche (Lorient) et l’Institut maritime de Bergen. Il concerne la sélectivité. Deux autres projets en cours mér i t e n t d ’ ê t r e s o u l i g n é s. I l s s o n t emblématiques de notre souci d’économiser l’énergie. Le projet SOIP (Système d’Optimisation et d’Innovation à la Pêche) est un projet de 1,4 million d’euros, financé par France Filière Pêche, et monté avec les Docks de Keroman >>

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PÊCHE ENTRETIEN AVEC

JEAN-LOUP VELUT développement du réseau des Coopératives maritimes et de leurs filiales, les Comptoirs de la mer.

L’Armement coopératif artisanal vendéen, la solidarité des gens de mer réé en 1967 par des patrons armateurs voulant se regrouper pour acheter ou construire des bateaux, et bénéficier d’un accompagnement en gestion/comptabilité et droit social, l’Armement coopératif artisanal vendéen (Acav) est le plus ancien armement coopératif du littoral. Il s’est développé, notamment en Vendée, berceau de la coopération maritime et a reçu le 12 septembre 2013, à Port en Bessin, le trophée « Dynamique Coopération maritime » des mains de Philippe Mérabet, président de la Coopération maritime. Faciliter l’accession à la propriété des bateaux L’Acav se présente sous forme de SA Coopérative maritime à capital variable. Son conseil d’administration, composé uniquement de professionnels (10), se réunit régulièrement. L’armement assure la gestion et la comptabilité des navires sur ses deux ports d’implantation, les Sables d’Olonne et l’île d’Yeu. Il peut accompagner ses adhérents sur les aspects techniques, juridiques et sociaux, en particulier ceux concernant le droit du travail maritime. Son rôle est aussi de faciliter l’accession à la propriété, «mettre le pied à l’étrier des jeunes patrons pécheurs » étant l’une des raisons d’être de l’Acav. L’Acav élabore avec la banque un plan de finance- L’Acav, c’est aujourd’hui soixante-dix-huit bateaux ment, avec un seuil de renta- en gestion (90 % des bateaux des Sables d’Olonne bilité qui diffère selon l’activité et de l’Île d’Yeu, les deux ports dans lesquels l’armement est implanté) et dix navires en copropriété. du navire de pêche. Cela passe souvent, au départ, par une copropriété du navire dans laquelle le co-armateur patron pêcheur prend, par exemple, 20 % et l’Acav 80 % par financement sur fonds propres et prêt bancaire, donnant par là même à la banque une certaine confiance et crédibilité. Le but est de transmettre la propriété du navire au co-armateur sous dix à quinze ans, par vente régulière des parts Acav. L’accompagnement consiste aussi en un amortisseur de crise. En effet, selon les années, le résultat net peut évoluer fortement, notamment en cas de gros soucis mécaniques ou de mauvaises pêches par exemple. Dans ce cas l’Acav peut reprendre du capital ou attendre pour vendre ses parts dans le navire. Mutualiser les risques Les remontées d’une partie des résultats des navires vers l’Acav permettent une mutualisation des risques entre navires et constituent, là encore, un amortisseur de crise, permettant aux co-armateurs de faire face plus facilement aux difficultés conjoncturelles pouvant impacter négativement le fonctionnement du navire. Ces dernières années ont montré l’utilité de conserver des fonds propres solides afin de reconvertir, si besoin, une partie des navires vers d’autres techniques de pêche plus rentables, responsables et durables. L’Acav se situe ainsi pleinement dans le cadre de l’économie sociale et solidaire.

Sortie de chalutier à l’île d’Yeu.

>> et l’Ifremer. Il mobilise cinquante navires de pêche sur les trois façades et porte sur l’optimisation du réglage des trains de chalut. Ses premières conclusions seront présentées lors du forum France Filière Pêche en novembre 2014.

Autre projet important : les Certificats d’Économie d’Energie (C2E) mis en place en partenariat avec Total et l’Ademe, à partir de dispositifs concernant le lubrifiant ou le carénage des navires de pêche. Nous sommes les seuls à

Le succès des Comptoirs de la mer, filiales des Coopératives maritimes d’avitaillement vec plus de 14 000 sociétaires, 500 collaborateurs et environ 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, le réseau Coopératives maritimes-Comptoirs de la mer continue de se développer sans renier ses origines et ses fondamentaux. Les 48 coopératives d’avitaillement, nées pour certaines il y a plus de cent ans, sont des acteurs incontournables de l’économie du littoral en assurant aux pêcheurs la fourniture des différents matériels et équipements professionnels, le carburant et l’huile, sans oublier de nombreux services à terre. Avec la baisse régulière de l’activité dans le monde de la pêche et l’engouement des non-professionnels pour leurs produits, les Coopératives se sont diversifiées à travers l’ouverture de filiales dédiées au grand public : La Coopérative et le Comptoir de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. les Comptoirs de la mer. Marginale au début, cette activité est devenue au fil du temps indispensable au maintien de nombre de Coopératives et services associés. La part du « grand public » dans le chiffre d’affaire des Coopératives (hors carburant) est désormais supérieure à 50 %. Avec 58 Comptoirs de la mer sur la façade Manche-Atlantique et bientôt plus de 60, le réseau continue de se développer. Les Comptoirs proposent aux nombreux clients locaux ou de passage un large choix de produits comme la mode, la pêche, le nautisme, l’accastillage, les loisirs ou les produits alimentaires. Comme l’indique la communication externe du réseau, « En achetant aux Comptoirs de la mer, vous soutenez la pêche artisanale française. » PHOTO : DR

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travailler sur ce dispositif de certificats d’économies d’énergie au profit des navires de pêche. Il sera opérationnel fin 2014. Quelles sont aujourd’hui les priorités de la Coopération maritime ?

Ce que nous faisons au quotidien tourne pour l’essentiel autour de trois items : les outils financiers pour le renouvellement de la flottille ; l’accès des jeunes aux responsabilités et à la propriété des navires ; la réorganisation du marché dans un cadre économique plus équitable pour la pêche artisanale. C’est ainsi que nous militons pour la mise en place de fonds interrégionaux et multisectoriels par façade maritime, à l’imitation du fonds Littoinvest qui vient d’être mis en place en Pays de Loire, fonds monté avec EDF, le comité régional des pêches, et plusieurs structures liées à la Coopération maritime : le Crédit maritime, l’Acav et l’OP 85. Nous encourageons également la mise en place de fonds de garantie coopératifs, tels Solidea dont nous sommes membres fondateurs depuis 2014 pour nos coopératives d’avitaillement, un fonds adossé aux Siagi. Nous plaidons aussi pour le renforcement d’outils spécifiques de défiscalisation ISF s’appuyant sur les amendements coopératifs à la loi Tepa, que nous avons portés en leur temps. Ils nous permettent d’aider au renouvellement de la flottille de pêche ainsi qu’au

■ Vous êtes donc plutôt optimiste concernant le devenir de la pêche artisanale française ?

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Plus exactement nous sommes réalistes. Mais il faut savoir que nous faisons face à une véritable idéologie du non renouvellement de la flottille. Une certaine écologie extrême développe une stratégie d’influence efficace pour une écologie sans l’homme. Ce qu’on appelle la Deep Ecology, l’écologie profonde, considère qu’il faut diminuer drastiquement l’activité humaine en mer. Pour cette Deep Ecology, le pêcheur est un grand prédateur qui met en danger l’équilibre et l’avenir de la planète. À l’idéologie, nous avons beau opposer le principe de réalité selon lequel la pêche joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire de l’humanité, rappeler que la pêche européenne est sur-contrôlée et sur-réglementée, qu’elle ne représente que 6 % de la pêche mondiale et 14 % de la consommation, que le problème est donc surtout ailleurs. Nous ne sommes pas suffisamment entendus. Nous sommes pour notre part convaincus que la véritable écologie est celle qui met l’homme, au centre de la réflexion, en le considérant comme un acteur intelligent et responsable de l’écosystème mer et littoral. L’économie sociale, l’économie coopérative est aussi une écologie sociale reposant sur des logiques de territoire, capitales pour un véritable développement durable auquel nous som■ mes tous attachés.

En savoir plus : www.cooperationmaritime.fr

Une stratégie gazole pour la pêche avec Sobad Marine ar CMCS, l’une de ses filiales, la Coopération maritime est entrée en 2012 pour 49 % au capital de la Société bretonne d’avitaillement et de distribution (Sobad), devenue en 2014 Sobad Marine, avec Total qui dispose de 51 %. Sobad Marine assure une grande partie de l’approvisionnement en gazole des flottilles de pêche sur l’ensemble du littoral métropolitain. Son implantation principale, à Douarnenez, est constituée d’un dépôt de 12 000m3 de capacité. Pour la Coopération maritime, ce partenariat avec Total permet de sé-

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curiser l’approvisionnement des navires de pêche en qualité et en quantité. La raffinerie Total de Donges est la seule en France à produire du gazole pêche (GOP). Ce produit coloré en bleu pour des raisons fiscales, comme la couleur rouge en agriculture, a certaines spécifications techniques, comme celle d’un point éclair à au moins 60°. Des développements sont en cours dans trois stations de plaisance en Méditerranée, à Cogolin, Mandelieu et Beaulieu, ainsi qu’à Boulogne-sur-Mer.

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