NUMÉRO SPÉCIAL DÉFENSE ET SÉCURITÉ
Les océans par où transite l’essentiel des communications et du commerce mondial et d’où sont extraits nombre de ressources stratégiques, constituent un espace propice à l’action terroriste et, d’une manière générale, à une guerre asymétrique menée par des groupes terroristes contre de grandes puissances. Explications. Par HUGUES EUDELINE *
Le VLCC français Limburg, attaqué le 6 octobre 2002.
e terrorisme 1 maritime s’exerce en particulier contre les navires de commerce et les infrastructures portuaires, touristiques, industrielles et minières qui toutes participent à l’économie. Il vise également les bâtiments de guerre qui ont le caractère de cibles emblématiques et ce, à un double titre : d’abord, à des fins de propagande en raison de leur puissance de feu et de leur technologie, sans commune mesure avec celle des moyens terroristes mis en œuvre ; ensuite du fait du caractère de représentation de la souveraineté que l’usage 2 leur confère. Les principaux mouvements terroristes font preuve d’une extraordinaire inventivité, d’un remarquable esprit d’innovation – tant tactique que technique – ainsi que d’une capacité à planifier très soigneusement leurs opérations majeures qui rendent la lutte antiterroriste particulièrement difficile sur mer. Outre celle qui pèse sur les points de passages obligés que sont les canaux et les détroits, la menace contre les infrastructures portuaires est particulièrement préoccupante. Le gigantisme naval touche tous les types de navire et impose de faire sans cesse des travaux d’agrandissement, de modernisation des terminaux et d’approfondissement des chenaux d’accès, ce qui limite fortement le nombre de ports accessibles à ces très grands
PHOTO : MERETMARINE.COM
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navires. L’indisponibilité prolongée d’un petit nombre d’entre eux à la suite d’actes de terrorisme stratégique aurait des conséquences importantes sur le débit des flux correspondants. L’inventaire, proposé ci-dessous, des différentes attaques qui ont pu être menées dans le monde, ces trente dernières années, par les mouvements terroristes, donne la mesure de l’importance que ceux-ci attachent aux cibles maritimes 3. ■ 1. Il n’existe pas de définition universellement partagée du terrorisme. Celle qui est retenue ici est la suivante : « Entente, préparation, financement, désinformation, menaces ou actes de violence destinés à déstabiliser durablement l’opinion publique pour contraindre un pouvoir et atteindre des objectifs politiques ». Voir Hugues Eudeline, Le dossier noir du terrorisme : la guerre moderne selon Sun Tzu. Le Bouscat : l’Esprit du Temps, novembre 2014. 2. L’usage généralement accepté est que les navires de l’État naviguant sous le pavillon de l’État auquel ils appartiennent sont considérés comme une extension du territoire national. Ce n’est cependant pas un statut juridique. 3. La liste de toutes ces actions de terrorisme maritime ne saurait toutefois être exhaustive, certains États comme Israël étant très discrets sur les attaques dont ils font l’objet sur mer, ce qui rend difficile le recoupement des informations. Elle n’en constitue pas moins une sélection significative. À titre d’exemple, les tigres tamouls du LTTE ont effectué plus de 150 actions maritimes dont beaucoup correspondent plus à des actions de guerre navale qu’à du terrorisme. Elles n’apparaissent pas toutes ici. Le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) a également effectué de nombreuses opérations dans le golfe de Guinée. Seules quelques-unes sont répertoriées. Avec cette nébuleuse, se pose également le problème de la différentiation des actes de terrorisme, relevant de l’action politique, de ceux de la simple piraterie très développée dans la région.
Radioscopie du terrorisme Hugues Eudeline analyse le phénomène du terrorisme contemporain partout à travers le monde. Il en fait une radioscopie minutieuse qui permet d’en dégager les stratégies, les organisations, les comportements et d’en comprendre les moindres manifestations quotidiennes.
* Hugues EUDELINE.
■ LE DOSSIER NOIR DU TERRORISME LA GUERRE MODERNE SELON SUN TZU Hugues Eudeline (novembre 2014, 236 pages, Éditions Esprit du temps).
Ancien élève de l’École navale (EN 72), Hugues Eudeline est MSc (Master of science) en Management et docteur en Histoire. Consultant international, vice-président du think-tank maritime Téthys, il analyse plus particulièrement le terrorisme dans son ensemble et la violence maritime dans toutes ses composantes. Au cours de sa carrière, il a commandé deux sous-marins, dirigé l’état-major de l’amiral commandant les sous-marins d’attaque et celui du Groupe école d’application des officiers de Marine. Capitaine de vaisseau dans la réserve opérationnelle, il collabore avec le Centre d’études stratégiques de la Marine. Il est membre de l’Académie européenne de géopolitique et membre correspondant de l’Académie royale de Marine suédoise.
10 juillet 1990 Trois embarcations des Black Sea Tigers (mouvement des tigres tamouls) effectuent le premier attentat suicide confirmé de l’histoire maritime en se faisant exploser au contact du SLNS Edithara P 715. Cet ex-petit porteconteneur de 2 700 tonnes est le plus gros bâtiment de la Marine sri-lankaise. Il est gravement endommagé devant Valvettithurai. Outre les 4 Black Sea Tigers, six marins sri-lankais sont tués. 29 août 1993 Le P 464, premier des patrouilleurs rapides Dvora de construction israélienne, livré à la Marine sri-lankaise, est coulé devant Point Pedro par les Tigres tamouls. 15 membres d’équipage dont 5 officiers sont tués. Il s’agit du premier bâtiment de combat coulé au large par une embarcation suicide. 16 juillet 1995 le bâtiment auxiliaire de la Marine sri-lankaise (SLN) Edithara P715, réparé après l’attaque subie en 1990, coule dans le port de Kankesanthurai du fait d’une mine posée par des plongeurs du LTTE.
Liste des actions terroristes menées contre des cibles civiles 22 janvier 1961 Le paquebot portugais Santa Maria est détourné par un groupe de 70 membres du DRIL (Directoire révolutionnaire ibérique de libération), opposants à Antonio de Oliveira Salazar. La prise d’otages des six cents passagers prend fin le 2 février 1961 quand le groupe se rend à la Marine brésilienne. 8 août 1968 Le cargo britannique Caribbean Venture est sérieusement endommagé par une explosion sous-marine alors qu’il est au mouillage à Miami. L’action est revendiquée par le groupe de Cubains opposants au régime castriste El Poder Cubano. 1971 Attaque du Anzoteque par un groupe vénézuélien d’opposition.
3 janvier 2000 Une première attaque d’Al-Qaeda par embarcation suicide est menée dans un port contre le destroyer lance-missiles USS The Sullivans. C’est un échec. L’embarcation trop lourdement chargée d’explosifs coule avant d’arriver au contact de la coque. Cette tentative passée inaperçue, l’embarcation est renflouée. 12 octobre 2000 Une embarcation chargée d’explosifs explose au contact de la coque de la frégate USS Cole, tuant, outre les deux shahîd 1 (terroristes suicides), 17 marins, et en blessant 39 autres. Le coût des réparations se serait
élevé à 287 millions de dollars. C’est la première attaque maritime réussie d’AlQaeda. 7 novembre 2000 Un patrouilleur israélien est attaqué par une embarcation suicide au large de la bande de Gaza à partir de laquelle le Hamas mène son ■ combat contre l’État hébreu. 1. Il s’agit du terme courant du Coran désignant « celui qui meurt en combattant pour Dieu » de préférence au terme de martyr « l’homme supplicié pour sa foi » qui a une acception résolument non violente dans la religion catholique ou à celui de kamikaze très spécifique à la culture japonaise. (Amir-Moezzi, 2007). PHOTO : US NAVY
Menace terroriste sur les mers
Liste des actions terroristes menées contre des objectifs militaires
Le navire semi-submersible M/V Blue Marlin portant le USS Cole (DDG-67) endommagé.
1971 Des combattants palestiniens attaquent un pétrolier israélien dans le détroit de Bab-el-Mandeb. 1971 Tentative d’attentat de l’Ira contre le paquebot britannique Queen Elizabeth II. D’autres attaques sont menées contre les ferries Ulster Queen et Duke of Argyle, entre 1972 et 1980. 4 mars 1973 Le navire grec Sanya, transportant 250 passagers américains, saute et coule dans le port de Beyrouth sans perte de vie humaine. L’action est revendiquée par l’organisation palestinienne Septembre noir. 3 janvier 1974 Le transbordeur Laju est détourné dans le port de Singapour par quatre membres du Front populaire de libération de la Palestine et de l’Armée rouge japonaise. 2 février 1974 Le cargo grec Vory est détourné dans le port de Karachi par trois membres du Muslim International Mujahideen. 1975 Une bombe explose à bord du pa-
quebot soviétique Maxim Gorki en escale à Porto Rico. Le 12 mai 1975 Le porte-conteneurs américain SS Mayagüez est intercepté et détourné par des patrouilleurs, armés par des Kmers rouges dans le golfe du Siam. La libération des membres d’équipage donnera lieu à une opération militaire particulièrement coûteuse en hommes et en équipement. 1976 Quatre navires battant pavillon grec (Tina, Eko, Riri, Spiro) et transportant des armes destinées au Fatah palestinien, sont détruits par des mines posées par des plongeurs agissant probablement pour le compte des Chrétiens libanais. 30 avril 1978 Le navire Don Carlos est détourné par des membres du Moro Islamic Liberation Front philippin. Ses passagers sont pris en otage. Janvier 1980 Les autorités américaines sont informées, par l’appel téléphonique d’un certain Patriotic Scuba diver, que des mines ont été mouillées dans la >>
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MARINE&OCÉANS N° 246 - JANVIER-FÉVRIER-MARS 2015
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