REPORTAGE
JOSEF AJRAM Ironman et star de la Bourse madrilène, ce Catalan s’apprête à enchaîner sept triathlons en sept jours sur les sept îles de l’archipel espagnol des Canaries.
TRADER ET TRÈS DUR > PAR MATHILDE BAZIN-RETOURS
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’HABIT NE FAIT PAS le moine. Encore moins le trader. Ni costume ni cravate pour Josef Ajram, un ovni au pays de la finance. Tatouages, piercings et casquette Red Bull, il a plutôt le look d’une rock star un brin révoltée. « Dans ce monde, ta crédibilité est déterminée par tes bons résultats, pas par ton apparence, assure Raza Pérez, directeur d’Activo Trade, la société de courtage par laquelle passe Josef pour ses opérations boursières. C’est quelqu’un qui a su se créer un personnage de tradertriathlète suscitant la curiosité. » À 35 ans, Josef Ajram est un fou d’action, financière comme sportive. Quand ce Catalan d’origine syrienne par son père ne boursicote pas depuis chez lui, il enchaîne les courses de l’extrême. Marathon des Sables, Paris-Roubaix,
Ultraman, Titan Desert… Le semi-pro avale les kilomètres, plus de 3 500 à pied par an, et 20 000 à vélo. « C’est un ultrarésistant qui sait ce qu’il veut et ce qu’il aime », apprécie Carles Tur, son entraîneur depuis 2007. Du 16 au 22 septembre, Josef sera aux Canaries pour le Red Bull 7 Islands : sept triathlons en sept jours sur les sept îles que compte l’archipel espagnol, au large du Maroc. Soit 294 km à pied, 1 260 à vélo et 26,6 à la nage. « Lorsque j’ai abandonné l’an dernier, j’ai vécu ma pire journée de sportif, reconnaît-il. C’est un challenge très, très difficile. » Encore plus après sa récente défaite au Swiss Olympic Gigathlon. En juillet dernier, Josef devait relier la Suisse d’est en ouest, soit six jours non-stop de natation, roller, course à pied, vélo et VTT. Plus de 1 000 km et un dénivelé de 18 600 m qui ont eu raison de lui au bout de quarante-huit heures. Josef a rencontré la souffrance dès son premier Ironman, en 2004 : « Je ne m’étais pas vraiment préparé. J’ai mis 12 h 30 (pour effectuer un marathon, 180 km à vélo et 3,8 de natation). En franchissant la ligne d’arrivée, je me suis dit : “Tu t’es entraîné, tu as dépensé de l’argent pour t’acheter un vélo et venir en Autriche, et tu as terminé.” J’ai alors compris que ce que je n’arrivais pas à accomplir dans ma vie, c’était parce que je ne le voulais pas. Qu’importe le temps que tu mets. Un Ironman est quelque chose de mythique et d’incroyable qui t’apportera confiance et assurance. » Josef Ajram était déjà déterminé lorsqu’il a commencé à « jouer à un jeu qui n’en est pas un », en Bourse. « J’avais
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Avec ses piercings et ses tatouages, Josef Ajram – ici lors du Red Bull 7 Islands, aux Canaries, en 2012 – n’a pas le look du trader classique.
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Au début pourtant, il y a l’échec à la « selectividad », l’examen d’entrée à l’université espagnole. Puis, après deux ans d’études en administration et direction d’entreprise, Josef lâche tout. « Mes parents sont pédiatres et voient l’avenir professionnel par le diplôme. Ils ont donc été très surpris et inquiets, raconte son frère, Jacinto. Surtout après avoir payé des cours privés. » Mais la Bourse fascine Josef et le vélo démange ce fan de Miguel Indurain, quintuple vainqueur du Tour de France, de 1991 à 1995. Entre les livres spécialisés et les simulations au crayon à papier, l’autodidacte est vite repéré par une société de courtage. Et pour se rendre au travail, il pédale. « Petit, je passais l’été en Syrie. À Damas, mon grand-père paternel me prêtait une vieille bicyclette et je partais à l’aventure ! » se souvient-il. « Josef excelle en selle, glisse Carles Tur. Son point faible, c’est la natation. Son arme fatale, le mental. » Pour Javier Guerrero, son coach nutrition, « la tête représente 70 % du travail, mais il faut connaître parfaitement son corps ». Il faut apprendre à développer sa capacité pulmonaire, savoir bien réguler sa fréquence cardiaque et gérer les collations pendant l’épreuve. « Sur une journée, tu te “nourris” de glucose comme pour n’importe quel marathon, explique Josef. En revanche, sur une semaine, il faut ménager ton
« SEPT IRONMAN EN UNE SEMAINE, C’EST CARRÉMENT DU SUICIDE ! » Josef Ajram
L’an dernier, cet admirateur de Miguel Indurain avait dû abandonner dès la deuxième journée du Red Bull 7 Islands, victime de la température caniculaire qui sévissait aux Canaries.
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600 euros sur mon compte. C’est drôle, car j’ai d’abord perdu à cause de la France ! En 1996, il y a eu une grève des routiers français et mes actions Continental ont chuté à pic. » À l’époque, le gamin du quartier barcelonais d’Eixample est encore loin de devenir la star des plateaux télé qui rassure sur la crise et le professeurprophète qui promet à ses élèves que « gagner en Bourse, c’est possible ». Aujourd’hui, les marques se l’arrachent : BlackBerry, Nissan, Biotherm… Car avec ce corps tatoué de records personnels, tant sportifs que financiers, l’homme ne passe pas inaperçu. « Son discours fait que les gens s’identifient facilement à lui, remarque Nacho Gomez, son manager. Sa philosophie de vie est très appréciée. » « Il fait mieux que tous nos politiques et c’est un très bon sportif. Il a tout compris », peut-on entendre parmi les lecteurs venus le rencontrer au Salon du livre de Madrid, en juin. Entre travail et plaisir, la frontière est infime. « Le sport extrême m’aide à déconnecter et à déstresser de la Bourse, explique Josef. L’un m’a d’abord permis de payer les folies de l’autre. Mais si je fais tout ça, c’est parce que j’aime ça. »
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estomac et manger des choses plus naturelles comme de la banane, un sandwich jambon-avocat ou encore une part de pizza. » Mais à force de tirer sur la corde, peutelle se briser ? « Un médecin considère qu’un marathon, c’est très dur. Alors un Ironman ou, mieux, sept Ironman en une semaine, c’est carrément du suicide ! » s’amuse Josef, qui toujours cherche la limite. Sans doute ne la trouvera-t-il jamais. « Chez moi, l’ennui est un mot interdit, garantit le premier Espagnol à avoir remporté l’Epic 5 de Hawaii (cinq triathlons en cinq jours sur cinq îles) en 2011. Pour être heureux et se sentir motivé, il faut se fixer des objectifs et les gravir petit à petit, comme les marches d’un escalier. » Parfois, l’escalier se monte aussi à deux, telle la Transalpine Gore-Tex de 2009. « Entraînement, entraînement. Son obsession était que je sois au top, se rappelle Roberto Palomar, rédacteur en chef du quotidien sportif Marca. Moi, je n’étais pas du tout préparé à ça. Notre duo était très déséquilibré et Josef a su s’adapter à mon rythme pour que nous terminions ensemble. Même reliés par une corde ! Ma dernière chronique se termine d’ailleurs par : “Josef Ajram était d’abord mon chef. Ensuite, mon collègue. Plus tard, mon ami. Aujourd’hui, c’est mon frère.” » MATHILDE BAZIN-RETOURS