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ENTRETIEN DES VIOLENCES QUI STOPPENT LES CHANTIERS

Que ce soit à Majicavo Koropa ou à Tsoundzou, les délinquants de l’île débusqués par l’opération Wuambushu s’en prennent régulièrement aux engins de chantier. Ces actes ont des conséquences bien réelles sur l’activité des professionnels du secteur, comme nous l’explique Bertrand Garin, architecte et responsable du chantier du stade de Tsoundzou, victime des violences ayant frappé le village, lundi.

Mayotte Hebdo : Vous avez posté sur les réseaux sociaux votre réaction à chaud quant aux dégâts occasionnés par les délinquants sur votre chantier. Quel est aujourd’hui le bilan de vos pertes ?

Bertrand Garin : La problématique est diverse vis-à-vis des incidences. Aujourd’hui, nous nous réconfortons que sur le chantier du stade de Tsoundzou, les dégâts ne soient que matériels. Mais des engins de chantier que la Colas utilisait ont été brûlés. Je ne peux en estimer clairement le coût, mais une partie appartenait à des sociétés de locations de matériels de chantier, qui ont déjà mis en avant qu’elles ne loueraient plus les engins s’ils étaient détachés sur ce site. L'entreprise va donc devoir trouver des solutions rapides pour pallier cela, afin de ne pas entraver la suite des travaux. Nous avons également dédoublé les frais de gardiennage, et effectué des retraits de matériel en urgence, histoire que ceux-ci ne soient pas endommagés. On parle ici de tractopelles, camions mais surtout de la foreuse, car il n’y en a que deux sur l’île. Si cette dernière avait été endommagée, les travaux des pieux n’auraient pas pu s’achever et le chantier aurait pris beaucoup de retard. Ces actions de repli ont aussi un coût, malheureusement, sans compter que le matériel était déjà programmé ailleurs à la suite de ce chantier, d’où d’autres frais d’immobilisation. Pour finir, ce chantier, comme beaucoup d’autres, était approvisionné de nuit, et ces approvisionnements ont stoppé pour deux raisons : les caillassages de nuit dans la zone de Majicavo, où se trouve ETPC, et l’insécurité sur le site de Tsoundzou. Le chantier est aussi à l’arrêt pour cela, puisque les livraisons de jour, avec les embouteillages que l’on connaît et subit, est inimaginable. En gros, on peut malheureusement déjà dire que la livraison du stade annoncé en fin d’année ne sera pas possible, et que l’ensemble de ces aléas aura un coût qui ne pourra être estimé qu’à la reprise de l’activité.

M.H. : Comment ça se passe, dans ces circonstances, niveau assurances, et sous quel délai estimez-vous retrouver du matériel et reprendre le chantier ?

B.G. : Dans le cadre des incendies, ce sont les assurances des entreprises qui prendront en charge cela, selon un coût défini via des argus, des amortissements… En fonction des pertes non remboursées, les entreprises pourraient faire un mémoire en réclamation à la fin du chantier qu’il faudra instruire, analyser, et sur lequel il faudra statuer pour savoir ce qui pourrait être pris éventuellement en charge par le maître d’ouvrage. Pour ce qui est du remplacement du matériel, vu les propos que l’on m’a rapporté des loueurs, je ne pourrais pas me prononcer. Je pense cependant que les entreprises déshabilleront d'autres chantiers d'engins pour les mettre sur mon chantier. En tout cas, je l’espère.

M.H. : Que pensez-vous des premiers jours de l’opération Wuambushu, et de ses conséquences sur la population, mais aussi et surtout sur les entrepreneurs et acteurs du BTP ?

B.G. : Il y a 30 ans que je suis à Mayotte, j’ai vu les choses changer. Mayotte, avant, c’était l’île aux parfums, l’île aux sourires ! Si, en journée, la vie se déroule quasiment normalement, hormis les embouteillages, on ne traîne plus au bureau aussi longtemps, on va moins au restaurant en soirée. J’avais l’habitude de quitter le bureau vers 20h30, 21 heures. Maintenant, je quitte Kawéni vers 19 heures, 19h30. J’ai même quitté ma résidence de Hajangoua il y a quelques années pour m’installer sur Mamoudzou, bien que ce soit aussi à cause des bouchons.

Pour le BTP, Wuambushu ou pas, la problématique des attaques ici ou là perturbe considérablement les chantiers, leur approvisionnement, mais pas seulement. L’un des exemples phares de ces incidences est mon chantier sur la PMI de Koungou. Il a été attaqué à trois ou quatre reprises, et les entreprises qui y travaillaient ont exercé leur droit de retrait, ce qui n’a pas permis de finir le chantier en temps et en heure. Il ne l’est toujours pas d’ailleurs, puisqu’avec le retard, les entreprises honorent maintenant leurs engagements suivants, et ne viennent que ponctuellement sur ce chantier.

Après, il y a l’énorme problématique des embauches. Avec tout ce qui est relayé dans la presse et sur les réseaux sociaux, les entreprises, architectes, ingénieurs et autres ne trouvent personne à embaucher. Il y a à Mayotte une forte pénurie de personnel, et, comme il est impossible d’embaucher des étrangers, c’est compliqué. Donc au final, c’est la population qui en subit les conséquences, car les projets ne sortiront pas de terre aussi vite que prévu, et les prix, par ricochet, augmenteront encore.

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