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EN PETITE-TERRE, LA PEUR DES ADULTES ET LA RAGE DES JEUNES

Lancée en début de semaine par l'État français pour lutter contre le banditisme qui gangrène les quartiers informels, l'opération Wuambushu marque les esprits de tous à Mayotte, en Grande-Terre comme en Petite-Terre.

Chacun est à l'affût du moindre détail qui pourrait annoncer une évolution de la situation, tant la crainte des conséquences éventuelles de cette affaire inquiète tout le monde. Partisans et adversaires de l'initiative du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, ont tous la gorge nouée, lorsqu'il s'agit d'évoquer la probabilité d'un pire à venir.

Bien que confrontée au quotidien à cette violence régulière, de la part des jeunes venant de ces zones de non-droit que sont les bidonvilles des agglomérations de Mamoudzou, Koungou et Petite-Terre, la population locale ne sait plus trop quoi penser de la tournure prise par l'opération Wuambushu. Depuis l'annonce de l'arrêt du premier décasage initialement prévue à à Anjouan, nous avons nos vies ici et à cause de ces jeunes irrespectueux, la cohabitation risque d'être de plus en plus difficile avec les Mahorais. C'est la politique entre nos chefs et les dirigeants français qui nous mène dans cette impasse. Le souci c'est qu'ici, c'est la France qui gouverne et si elle décide vraiment de nous expulser, les Comores seront bien obligées de nous récupérer. Que peuvent-elles faire d'autres ? »

Majicavo Koropa, au lieu dit « Talus 2 », sur une décision de justice, l'inquiétude et la tension sont de nouveau palpables chez les Mahorais et tous ceux qui aspirent à un retour de la quiétude dans le département. Très nombreux sont ceux qui ne savent que penser réellement de cette affaire. « Ira-t-elle vraiment jusqu'à son terme, ou nos autorités vont-elles se dégonfler en cours de route comme c'est le cas chaque fois qu'il est question de Comoriens ? » , interroge Hadidja Abdallah, assise sur un banc à la jetée Issoufali, sur le rocher de Dzaoudzi. Il faut dire que l'annonce de cet arrêt du tribunal judiciaire de Mamoudzou a douché plus d'un habitant de l'île, nombreux d’entre eux ignorant les rouages de l'appareil judiciaire français. Habitués à des démonstrations régulières de la toute-puissance de l'État ici lorsqu'il s'agit de régler certaines situations, y compris hautement sensibles, nombre de personnes ne comprennent pas qu'une opération commandée par les plus hautes autorités parisiennes puisse être stoppée par la décision d'un seul magistrat.

« Chaque société produit aussi ses bœufs, ses idiots »

Mariama Mwépva est Grande-Comorienne, elle habite le quartier de La Vigie, dans les hauteurs de Labattoir. Âgée d'une soixantaine d'années, elle ne cache pas ses craintes à l'auditoire. « Le fond du problème dans tout ça, c'est que les personnes comme nous qui avons fui la misère et l'injustice dans les autres îles, allons être amalgamés avec les fous furieux qui dénient aux Mahorais le droit d'être chez eux et de profiter des bienfaits du système français, regrette-t-elle. Nous ne prenons pas toute la mesure de cette affaire. Si Mayotte n'est plus une bouée de sauvetage pour les Comores, qu'allons-nous advenir ? Là-bas, il n'y en a que pour les riches, leurs familles et les politiciens, qui ne pensent pas au peuple » . Si elle accepte de s'exprimer, c'est parce qu'elle vit les mêmes actes de violence et d'insécurité perpétrées par les délinquants de La Vigie que les Mahorais. « Nous avons déjà été prévenus que l'opération Wuambushu va s'étendre là où nous vivons et des jeunes envisagent de s'opposer aux bulldozers ce jour là, continue-t-elle. L'autre souci, c'est comment vont réagir les Mahorais en représailles à ça. Ce n’est vraiment pas facile, que Dieu nous vienne en aide parce que beaucoup de mes voisins ne savent pas où aller. »

Autre décor, Zardeni, quartier du bord de mer de Labattoir où une opération de décasage pourrait se produire. Abdallah, quinquagénaire au torse nu, y réside dans une case en tôle ondulée, sous une bananeraie, entre cocotiers et grands manguiers. Ici, l'accueil est moins crispé, le quartier est moins sujet à tension, et une voirie bien dessinée rend la zone accessible aux forces de l'ordre. Des numéros laissés à la hâte avec de la peinture fluorescente sont visibles sur les portes et les côtes en tôle des cases. « Des autorités sont venus nous dire il y a quelques semaines que nous avions un mois pour nous trouver des logements ailleurs parce que nos cases vont être détruites, explique Abdallah. Pourtant cette zone n'est pas un foyer de grande délinquance, comme partout ailleurs à Labattoir nous avons subi la peur des petits bandits de Marigot. C'est dramatique que la faute d'une minorité devienne un jugement collectif. Selon moi, la première chose à faire dans un pays qui vous accueille, c'est respecter les lois. Malheureusement, chaque société produit aussi ses bœufs, ses idiots. »

Dans le fameux quartier de La Vigie, des cases numérotées constituent un futur chantier de décasage. Les riverains sont peu loquaces, voire soupçonneux. « Mais vous croyez quoi ? Qu'on va se laisser faire ? Ici on est aux Comores, ce sont les Français qui doivent partir. Ici c'est nous la loi » , lance un jeune homme vêtu d'un survêtement aux couleurs rouge et jaune. Un avis que ne partage nullement un groupe d’adultes, assis en contrebas, sur une place à palabre. « Pauvre petit écervelé, lui répond l’un d’eux. La vérité est que tout le monde a peur ici. Peur de la forme que va prendre ces destructions, peur de ne savoir où aller. Nous ne resterons pas longtemps

Autre site probable de décasage, les abords de la petite plage du cimetière chrétien, à la limite des communes de Pamandzi et Labattoir. Moins de dix maisons construites sur la zone des pas géométriques (ZPG) sont identifiées par des numéros à la couleur phosphorescente. Les habitants vaquent à leurs occupations et ne prêtent aucune attention aux passants. Rares sont ceux qui acceptent de commenter l'opération en cours. L'endroit a en effet la réputation d'être un lieu de relâche des kwassas transporteurs de marchandises de contrebande et de clandestins provenant d'Anjouan. Ici aussi, la démolition des cases inquiète moins les riverains que la réaction des jeunes délinquants des deux communes, qui viennent régulièrement en découdre sur la plage, à coups de cailloux, de bâtons et autres barres de fer. Anissat relate que cette scène s’est encore déroulée mardi dernier, dans l'indifférence générale : « Ce sont des gamins de 14 ans qui jouent aux voyous au lieu d'aller à l'école. Où est-ce que tout ça nous mène ? On a du mal à croire qu'en moins de dix ans la vie soit devenue impossible à Mayotte. On parle en mal de notre île partout dans le monde, sur toutes les chaînes de télévision. Je comprends les autorités, il faut que ce Wuambushu aille jusqu'au terme de sa durée de deux mois. Il nous faut retrouver le calme, le sommeil et la sécurité. Aucune population ne mérite de subir ce que vit Mayotte en ce moment »

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