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LITTÉRATURE LISEZ MAYOTTE JEUNESSE (3/4) : L’ENFANT HÉROS ET LE ROI MALÉFIQUE

AGRÉGÉ DE LETTRES MODERNES ET DOCTEUR EN LITTÉRATURES FRANCOPHONES, CHRISTOPHE COSKER EST L’AUTEUR DE NOMBREUX OUVRAGES DE RÉFÉRENCE SUR LA LITTÉRATURE DE L’ÎLE AUX PARFUMS, NOTAMMENT UNE PETITE HISTOIRE DES LETTRES FRANCOPHONES À MAYOTTE (2015) DONT IL REPREND, APPROFONDIT ET ACTUALISE, DANS CETTE CHRONIQUE LITTÉRAIRE, LA MATIÈRE.

En 2001, Noël Jacques Gueunier publie le troisième des quatre volumes de Contes comoriens en dialecte malgache de l’île de Mayotte sous le titre « Le Coq du roi » Après « L’Oiseau chagrin » , il s’agit donc d’un nouveau recueil dédié à un oiseau, cette fois-ci plus familier étant donné qu’il s’agit du roi de la basse-cour. Il est à noter qu’au coq se substitue parfois un autre animal domestique : le chat. Le canevas de base des contes à venir est le suivant. Il se compose de quatre étapes. La première est celle de la dévoration d’un groupe humain par un monstre. La deuxième est la fuite d’un membre féminin du groupe qui donne bientôt naissance à un fils. Troisième étape : c’est cet enfant qui vient à bout du monstre et ressuscite la population restée vive dans le corps du monstre. La quatrième étape est la récompense du jeune héros qui devient le chef du groupe libéré.

Le thème central de ces contes est la dévoration :

« C’est le roi qui a eu la fantaisie d’élever chez lui alors qu’il n’était encore qu’un petit chat ou un petit coq ; en grandissant cet être d’apparence inoffensive révèle sa vraie nature, et le roi est ainsi à l’origine de l’irruption du monstre parmi les humains, si bien que la dévoration et l’anéantissement du village, ou du royaume entier, qui s’ensuivent, apparaissent comme la punition de sa faute. »

(p. X)

Et cette faute paraît être l’introduction d’un élément étranger au village. Ayant souvent refusé les sages conseils l’invitant à ne pas introduire cet élément étranger, il devient lui-même autre, abusant de son pouvoir et versant dans la tyrannie. La dévoration se fait progressive. Le monstre du roi dévore d’abord les petites gens avant de s’en prendre au souverain luimême. On peut ainsi voir dans le roi et le monstre qui est son double une allégorie des méfaits du pouvoir.

Cette maléfique figure du pouvoir se trouve donc discrédité, ce qui ouvre la voie d’un changement. La femme enceinte qui a échappé à la dévoration met au monde un fils qu’elle élève le plus souvent dans une grotte. L’enfant ayant grandi, la mère lui raconte le drame qui a frappé le village est l’enfant comprend que sa mission est de tuer le monstre et de restaurer l’ordre. Il se met alors en quête d’une arme et se bat contre les animaux qu’il rencontre avant de vaincre le monstre dévorateur dans un combat qui s’apparente au murenge, c’est-à-dire à une forme de boxe. Une épreuve de l’ordre de l’ordalie permet ensuite au roi de reconnaître le sauveur.

Selon les versions, il peut s’agir de soulever le sabre qui a tué le montre ou de s’asseoir sur une sagaie qui devient coussin pour le vainqueur. Le roi donne alors sa fille en mariage au héros.

Le thème de la dévoration est donc le chiffre du pouvoir et de la richesse, les deux termes étant étymologiquement apparentés en Europe. C’est la raison pour laquelle la dévoration est d’abord tournée vers autrui, premier exercice du pouvoir, avant de se retourner contre celui qui s’en croit le maître et en devient la victime. Dans le recueil, cette situation est exemplifiée par le personnage de Tourment – tabu en langue vernaculaire :

« Elle est une ogresse femme d’intérieur, qui fait une cuisine raffinée, ne prendrait jamais son repas sans avoir fait une toilette soignée, et parfume sa demeure de fleurs des bois qu’elle répand artistement sur son lit (selon un usage des bonnes maisons mahoraises). En somme, elle est ogresse pour qu’il soit permis aux enfants de la voler sans scrupules, et finalement de profiter de la triste fin à laquelle sa colère et sa stupidité la mène. » (p. XIX)

En effet, elle n’a plus de l’ogresse que la queue. Et c’est cette queue dont elle imagine qu’elle la vole. Elle décide donc d’y mettre le feu et périt dans l’incendie. Ainsi cet ensemble de contes a-t-il une portée sociale critique, ce qui explique que Noël Jacques Gueunier en voit le prolongement dans le canevas carnavalesque réversible de la princesse faite esclave et de l’esclave faite princesse. Pour une raison ou une autre, une princesse se sépare de ses atours. Sa servante les récupère et usurpe son identité. La princesse connaît alors le déclassement de Cendrillon jusqu’à ce que son rang soit reconnu et lui soit rendu. La princesse se soumet d’abord, mais chante souvent son malheur avant que sa distinction ne soit reconnue.

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