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L’impact sur les sociétauxenjeux
Le Billet De La R Dactrice En Chef
Selon Alain-Gérard Slama, l’idée de responsabilité, soit une des valeurs clés des sociétés démocratiques, c’est l’évidence. Elle est la condition du respect de la dignité de la personne humaine […], elle est garante enfin de la confiance à l’égard des institutions administratives et politiques, sur le plan intérieur comme dans le vaste champ des relations internationales.
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Cette conscience collective générale se reflète actuellement à travers un phénomène qui mérite toute notre attention : le nombre de groupes d'intérêt augmente, diverses collaborations nationales et même outre-mer se concrétisent, sans oublier plusieurs organismes communautaires qui se renouvellent constamment. En définitive, la responsabilité, NOTRE responsabilité se conçoit de manière de plus en plus rythmique, rapide, décisive, imbriquée dans nos choix, qui nous renvoie finalement à une mission intrinsèquement liée à la construction et au maintien de notre environnement : insuffler des idées, mettre sur la table des propositions, sensibiliser les citoyennes et citoyens et, davantage, porter à bras-lecorps des chan gements importants qui placent l’Humain au centre de nos préoccupations.
C’est donc à travers ce balayage optique que ce numéro prend tout son sens et nous dévoile quelques facettes du rôle névralgique des juristes dans un environnement où les tendances s’orientent de plus en plus vers des comportements et décisions également responsables. Ainsi, nous avons tenté, concernant ce vaste sujet complexe, d’apporter modestement quelques réponses avec la contribution généreuse de nos collaboratrices et collaborateurs experts selon leurs champs d’expertise respectifs. Rien ne peut se faire sans le droit, il se trouve au début et au cœur du fil de nos vies et de notre évolution.
Le droit devient dès lors, un puissant vecteur de valeurs, de cohésion et de solidarité sociale, tant par les protections qu’il offre que par les obligations qu’il impose. Dans les faits, la responsabilité qui découle du travail des juristes non seulement fait le lien entre l’individu et la société à laquelle il appartient, mais également garantit une aide et un soutien à la population dans une perspective profondément visionnaire, celle du mieux-être, une cause noble hautement transcendante. Par conséquent, nous sommes véritablement portés par la responsabilité de bâtir une justice équitable et moderne, un rôle de chef d’orchestre synchronisé qui consiste à conseiller, accompagner et surtout anticiper des solutions par rapport à des enjeux stratégiques.
Nous donnons par le fait même un sens propre à la protection des données personnelles, à notre exercice démocratique, au comportement des marchés financiers, à l’éveil des consciences concernant la transition énergétique et la santé, aux dimensions internationales dans un monde bouleversé par certains conflits, aux enfants que nous chérissons tant, à notre patrimoine sous toutes ses formes, à la terre nourricière et à la force de l’entrepreneuriat innovant, pour ne citer que ces exemples.
Notre profession nous renvoie à un don de nous-mêmes. Elle s’enracine dans la construction d’un développement collectif résonnant dans chacun de vos écrits, lesquels se transmutent dans les fibres de chaque personne, qui, en posant des gestes, peut mesurer leurs impacts concrets : c’est la belle responsabilité qui nous incombe.
La défense d’intoxication extrême et son admissibilité Une controverse sans fin
La défense d’intoxication extrême a défrayé la chronique en mai dernier après la décision unanime de la Cour suprême de déclarer l’article 33.1 du Code criminel inconstitutionnel1.
Rappelons que cet article adopté en 1995 visait à limiter l’accès à cette défense en empêchant que des personnes qui commettent des infractions d’intention générale impliquant l’intégrité physique d’autrui puissent alléguer leur état d’intoxication extrême pour se déresponsabiliser de leurs gestes. Plusieurs ont dénoncé l’invalidation de cet article, craignant qu’elle ouvre les valves à une vague d’excuses frivoles, et ont célébré la volonté du législateur de colmater la brèche en adoptant une version amendée du même article.
À première vue, la nouvelle version adoptée le 23 juin dernier répond à la principale critique formulée par la Cour suprême à l’égard de l’ancienne loi : désormais, le risque de se retrouver dans un état d’intoxication extrême et de porter préjudice à autrui devra être objectivement prévisible, ce qui n’était pas le cas auparavant. Suivant l’ancienne version de l’article 33.1, il suffisait à la poursuite de démontrer que l’accusé avait eu l’intention de s’intoxiquer pour prouver qu’il s’était écarté de façon marquée de la norme de diligence attendue dans la société canadienne. C’est donc dire que même un individu qui était incapable de prévoir qu’il se retrouverait dans un état d’intoxication extrême jusqu’à perdre la raison ou le contrôle de ses actes pouvait être tenu responsable d’un crime commis dans cet état.
Est-ce à dire que les débats entourant l’admissibilité de la défense d’intoxication extrême viennent de connaître leur dénouement ultime? Il y a lieu d’en douter. D’une part, les personnes souffrant de toxicomanie sont surreprésentées parmi celles qui sont susceptibles de connaître un épisode de psychose toxique. Or il n’est pas déraisonnable de penser que les personnes aux prises avec de graves problèmes de dépendance sont souvent dans l’incapacité d’éviter de créer les risques potentiels qui découlent de leur consommation. La capacité d’éviter de créer un risque étant un prérequis pour la commission d’une infraction de négligence2, on peut prédire que des accusés chercheront un jour à contourner l’application du nouvel article 33.1 en faisant valoir leur dépendance aux drogues.
Un autre problème qui pourrait surgir éventuellement concerne la difficulté de départager l’origine interne ou externe d’une psychose lorsqu’un individu consomme des drogues tout en ayant d’importants troubles mentaux sous-jacents. L’arrêt Bouchard-Lebrun 3 a mis en place un cadre analytique pour surmonter cette difficulté, mais il n’est pas sûr que celui-ci soit pleinement satisfaisant. La prochaine remise en question de l’article 33.1 pourrait ainsi venir du fait qu’il est scientifiquement extrêmement ardu de départager une psychose toxique que toute personne ordinaire est susceptible de vivre en raison des propriétés chimiques inhérentes à une substance qu’elle ingère d’une psychose contemporaine à un état d’intoxication qui s’avère en fait le premier épisode d’un trouble mental majeur qui sera découvert beaucoup plus tard. Une étude parue en 2018 a par exemple estimé qu’environ un tiers des psychoses toxiques seront suivies d’un diagnostic de schizophrénie ou de troubles bipolaires, et ce, souvent plusieurs années après4. D’aucuns pourraient soutenir que le fait de fermer l’accès à la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux à cette catégorie d’individus vulnérables constitue une violation de la Charte si grave qu’elle ne saurait se justifier dans une société libre et démocratique. ◆
Droit international des investissements
S’adapter aux réalités économiques
Avec la mondialisation sans cesse croissante des activités économiques et l’importance grandissante des investissements directs étrangers, il devient impératif d’aborder la question de la responsabilité des investisseurs étrangers dans le régime du droit international des investissements.
Par Lukas Vanhonnaeker, professeur adjoint
Le droit international des investissements est constitué d’un réseau de plus de 3 300 accords bilatéraux et multilatéraux sur les investissements directs étrangers (qu’il s’agisse de traités d’investissement ou de chapitres sur les investissements dans des accords de libre-échange). Depuis ses origines « modernes » qui remontent au traité bilatéral d’investissement conclu entre l’Allemagne et le Pakistan en 1959, le droit international des investissements n’a cessé de s’adapter aux réalités économiques ainsi que de répondre aux préoccupations exprimées à son égard.
Initialement, la nécessité d’un cadre réglementaire de l’investissement direct étranger, ancré dans le droit international coutumier, a conduit à la conclusion de traités d’amitié, de commerce et de navigation et, par la suite, de traités d’investissement. Le développement de ce régime fut l’expression de la nécessité de répondre aux incertitudes et insuffisances du droit international coutumier concernant la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux investisseurs étrangers et à leurs investissements. Ainsi, dès le début, les traités d’investissement ont eu pour vocation de libéraliser les investissements directs étrangers et de satisfaire de cette manière les besoins des pays développés et des pays en développement. Cet objectif se décline par ailleurs dans la volonté de protéger les investisseurs étrangers et leurs investissements ainsi que de stimuler le développement économique des pays où ces investissements sont réalisés. Plus récemment, cela s'est concrétisé de façon explicite dans certains traités par l’objectif de garantir la protection des seuls investissements responsables, et donc de les promouvoir. Cette nouvelle orientation est la conséquence des critiques sévères exprimées relatives aux déséquilibres parfois considérés comme inhérents aux traités d’investissement qui ne créent traditionnellement que des droits en faveur des investisseurs et des obligations à charge des États.
Cette tentative de responsabiliser les investisseurs étrangers se traduit dans la pratique conventionnelle par l’inclusion de nouvelles clauses dans les traités d’investissement. La politique canadienne en matière d’investissements directs étrangers adopte une telle position, comme l’illustre le préambule du modèle canadien d’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers de 2021, qui « réaffirm[e] l’importance de promouvoir la conduite responsable des entreprises ».
En termes de dispositions, diverses clauses visant à garantir le comportement responsable des investisseurs étrangers sont de plus en plus souvent incluses dans les traités d’investissement, allant des dispositions relatives à la lutte contre la corruption et à la responsabilité sociale des entreprises aux obligations imposées aux investisseurs et visant à garantir le respect, par exemple, de l’environnement et des droits de l’homme.
Cette tendance du droit de l’investissement vers une plus grande responsabilisation des investisseurs étrangers doit être saluée à la fois à la lumière du nombre toujours croissant de telles opérations et de leurs impacts potentiels sur les communautés locales ou l’environnement. Compte tenu de la tendance relativement nouvelle qui consiste à responsabiliser les investisseurs dans les accords internationaux en matière d’investissement, le futur seul nous dira dans quelle mesure il sera donné effet à ces nouvelles clauses. ◆