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Indemnisation du préjudice corporel La solidarité sociale et les victimes d’accidents automobiles

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AU-DELÀ DU DROIT

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Afin de remédier à certains problèmes d’injustice sous le régime de responsabilité, le législateur québécois a adopté en 1978 la Loi sur l’assurance automobile

Par Patrice Deslauriers, professeur titulaire

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Afin de remédier à certains problèmes d’injustice sous le régime de responsabilité alors en vigueur (longs délais, coûts élevés, engorgement des tribunaux, incertitude relative aux recours civils et règlements au rabais) et à la suite des recommandations du rapport Gauvin, le législateur québécois a adopté en 1978 la Loi sur l’assurance automobile qui met en place un régime d’indemnisation public unique en son genre accordant une sécurité financière aux victimes. Son entrée en vigueur marque un certain abandon de la conception individualiste des accidents de la route vers une conception sociale centrée autour de l’indemnisation des victimes par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Le régime étatique mis en place par la Loi est caractérisé par la disparition de la faute comme fondement de la responsabilité pour le préjudice corporel. Ce principe codifié à l’article 5 de la Loi prévoit que la victime qui subit un préjudice corporel causé par une automobile bénéficie de la couverture de la Loi, et ce, sans égard à sa responsabilité dans l’accident. Ainsi, le fait qu’une victime ait contrevenu à une loi ou à un règlement, ou ait commis une faute ou même un acte criminel n’aura pas d’incidence sur son droit à l’indemnisation.

Les accidents de la route sont encadrés par un régime enraciné dans la solidarité sociale. Ce « compromis social par lequel l’ensemble des automobilistes assument collectivement les conséquences financières des préjudices corporels causés par les accidents d’automobile » a toutefois pour corolaire l’interdiction pour la victime d’intenter un recours en responsabilité civile contre l’auteur du préjudice. À cet égard, les tribunaux se sont montrés inflexibles pour préserver l’intégrité du régime.

Il est bien établi que la Loi doit recevoir une interprétation large et libérale1. Une telle interprétation est en symbiose avec sa nature remédiatrice2 qui ne vise pas à imputer une faute à l’auteur du préjudice, mais plutôt à garantir une indemnisation adéquate des victimes, et ce, dans les meilleurs délais. Les tribunaux sont guidés par la « vocation sociale »3 de la Loi dans leur exercice d’interprétation. C’est pourquoi la jurisprudence retient un lien plausible, logique et suffisamment étroit entre le préjudice corporel et l’accident automobile. Ainsi, la Loi s’appliquera même si l’automobile n’a pas été « une cause active de l’accident » 4. Constituent ainsi des accidents au sens de la Loi, un cycliste qui heurte un camionremorque arrêté sur le bord de la route avec le moteur en marche 5, le choc entre le train d’atterrissage d’un avion et le pare-brise de l’automobile 6, l’arbre qui tombe sur la voiture7, le débarquement et l’embarquement du véhicule 8 , l’action de déneiger son automobile9 ou les soins médicaux négligents prodigués postérieurement à l’accident10

En conclusion, même si le régime mis en place il y a près de 45 ans n’est pas parfait, comme le soulignait le P r Gardner : « Les résultats observés depuis plus de 30 ans sont probants et expliquent le large consensus qui se dégage autour du maintien de cette loi essentielle11 »◆

1 Westmount (Ville) c. Rossy, 2012 CSC 30, par. 26 et 28.

2 Productions Pram inc. c. Lemay, 1992 CanLII 3306 (QC CA), p. 5.

3 Lamarre c. Lemieux, 2022 QCCA 1166, par. 21.

4 Westmount (Ville) c. Rossy, préc., note 1, par. 52.

5 A.R. c. Québec (SAAQ) 2018 QCTAQ 07118, par. 43.

6 Productions Pram inc. c. Lemay, préc., note 2, p. 7.

7 Westmount (Ville) c. Rossy, préc., note 1, par. 53.

8 Toupin c. El-Ad Group (Canada) inc., 2018 QCCS 810, par. 27.

9 Hôtel Motel Manic inc. c. Pitre 2018 QCCA 895, par. 42 et 45.

10 Godbout c. Pagé 2017 CSC 18, par. 30.

11 Daniel Gardner, « L’interprétation de la portée de la Loi sur l’assurance automobile : un éternel recommencement », (2011), 52:2, C. de D., préc., note 3, p. 195.

Qui répond de la circulation virale des contenus sur Internet?

Sur Internet, les informations se répandent comme des virus. Les mots, les images peuvent être mis en ligne par toute personne possédant un appareil connecté.

Par Pierre Trudel, professeur titulaire

Ils sont reçus par des usagers qui se trouvent en mesure de les partager avec d’autres qui peuvent à leur tour les repartager. Ce phénomène de viralité peut se répéter à l’infini.

La diffusion initiale peut être tout à fait licite. Par exemple, un humoriste qui dans un spectacle se moque d’une personnalité publique. Le propos relève de la caricature et dans la mesure où celui-ci respecte les limites raisonnables associées à ce genre d’expression, il n’est pas a priori fautif. Mais si ce même extrait est capté et diffusé en ligne de manière à harceler une personne, comment appliquer les règles de responsabilité?

Le locuteur initial n’est pas toujours en mesure d’identifier les risques associés à la viralité des rediffusions licites ou non de ses propos. En somme, il manque un régime prévisible et équitable protégeant à la fois les locuteurs et les personnes visées par des propos qui circulent de manière virale. Il faut un cadre de responsabilité reflétant les dynamiques des plateformes opérant selon des modèles d’affaires fondés sur la valorisation de l’attention des usagers connectés.

Les processus algorithmiques

Dans les environnements en ligne, l’information est aiguillée en fonction des préférences individuelles. Celles-ci sont calculées au moyen de processus algorithmiques traitant les masses de données générées par les activités connectées. Ces processus induisent une circulation de l’information en fonction de ce qui attire l’attention ou de ce qui conforte chacun des individus. À cet égard, ils rendent attrayants les partages et repartages d’information susceptibles de générer des clics, ceux qui attirent l’attention des usagers.

Actuellement, au Québec, l’article 22 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information dispose que les intermédiaires – comme les plateformes de réseaux sociaux – peuvent être responsables d’un propos à la condition qu’ils aient connaissance de son caractère délictueux.

La plupart des intermédiaires n’ont pas connaissance du caractère illicite des contenus. Il est irréaliste d’exiger qu’ils effectuent une surveillance de tous les propos diffusés sur leur plateforme. Mais en contrepartie de cette possibilité de valoriser l’attention des internautes, les plateformes ne devraient-elles pas être tenues d’identifier les risques associés aux activités dommageables susceptibles d’y survenir? Un tel régime permettrait d’assurer la mise en place de mesures conséquentes afin de limiter la diffusion virale de propos diffusés de façon licite, mais repris dans un but malveillant.

Limiter les conséquences dommageables de la viralité requiert le renforcement des obligations de transparence des intermédiaires d’Internet qui génèrent de la valeur au moyen des processus algorithmiques. Lorsque ces processus jouent un rôle aussi crucial dans la circulation virale de l’information, il paraît approprié de les conditionner à des devoirs accrus d’imputabilité. La mise en place de régulations afin d’assurer l’imputabilité des entreprises faisant usage d’algorithmes permettrait de compléter le cadre juridique de la responsabilité pour la circulation virale des propos et images diffusés en ligne sans induire des pratiques pouvant mener à la censure arbitraire.

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