2 minute read
Assumer notre responsabilité envers la réconciliation
Si nous souhaitons assumer pleinement notre responsabilité envers la réconciliation, nous devons enseigner aux apprenties et apprentis juristes que cohabitent au Canada non seulement les systèmes juridiques de droit civil et de common law, mais aussi ceux des nations autochtones. Par Karine Millaire, professeure adjointe
Advertisement
Àcompter de l’hiver 2023, tous les étudiantes et étudiants au baccalauréat en droit devront suivre une nouvelle formation obligatoire en droit des Premiers Peuples. Prévue au programme dès la première année, celle-ci permettra de revoir la façon traditionnelle et colonialiste d’enseigner les fondements du droit comme excluant les normes et règles juridiques produites par les nations autochtones. Ce cours est une réponse concrète à l’appel à l’action 28 de la Commission de vérité et réconciliation, laquelle a demandé aux facultés de droit « d’exiger que tous leurs étudiants suivent un cours sur les peuples autochtones et le droit », incluant notamment l’histoire des pensionnats et le droit produit par les Premiers Peuples eux-mêmes.
L’enseignement du droit des Autochtones doit dépasser le bassin des étudiantes et étudiants qui choisissent une telle formation présentée comme « optionnelle ». Prendre au sérieux la responsabilité de la réconciliation implique de reconnaître que des connaissances et compétences de base sur les systèmes juridiques autochtones font partie intégrante des fondements du droit que chaque juriste se doit d’apprendre. Les juristes canadiens et québécois en particulier sont déjà familiers avec la coexistence des traditions juridiques de droit civil et de common law au pays. La nécessité de maîtriser le langage et la rationalité de chaque système juridique pertinent pour la résolution d’un différend ou l’analyse de besoins concrets n’est plus à démontrer. De même, aux fins de comprendre le contexte normatif global lorsque les droits et intérêts des Autochtones pourront être en jeu, les juristes doivent développer le réflexe de considérer les règles et normes issues des ordres juridiques autochtones, lesquels produisent également du « droit ».
L’approche pédagogique traditionnelle doit aussi être repensée dans un objectif de décolonisation. Plutôt que de mesurer l’assimilation de connaissances au cours d’examens, nous privilégierons une approche collaborative où les étudiantes et étudiants seront évalués quant à leur capacité de contribuer à différentes communautés de travail formées de grands et petits groupes ainsi que de communiquer analyses et réflexions critiques. De plus, ceux-ci seront mis en contact avec les savoirs et l’expérience provenant des personnes aînées et des communautés elles-mêmes.
Le cours innovera également quant à son contenu. Il est certes incontournable d’aborder le droit positif ayant permis la mise en œuvre des politiques d’assimilation génocidaires au Canada ainsi que l’inadéquation persistante entre le droit étatique et les besoins des populations autochtones. Cela explique la surreprésentation de ces dernières dans le système de justice pénal et la discrimination systémique dans les institutions publiques. Toutefois, la décolonisation doit nous mener à insister sur le droit produit par les ordres juridiques autochtones plutôt que sur le droit colonial sur les Autochtones. Nous nous attarderons en outre à la façon dont ce droit non étatique peut être réconcilié et pris en compte par le système juridique étatique. Nous étudierons des cas concrets touchant différentes nations en matière de gouvernance du territoire, de protection de la jeunesse ou encore de systèmes de « justice » alternatifs au système étatique.
Enfin, l’apprentissage des systèmes juridiques autochtones mène à une ouverture afin d’envisager autrement notre rapport fondamental entre « droit » et « responsabilité ». Le mode de gouvernance occidental et la pensée libérale façonnent des sociétés de « droits » et « libertés ».
La pensée autochtone nous amène à voir que les rapports de droit sont plutôt tissés par les relations et les responsabilités que nous avons envers les autres et l’Île de la Tortue. C’est dans cet esprit qu’il nous faut assumer la pleine responsabilité de la réconciliation et enseigner la valeur égale du droit des Autochtones au sein de notre système juridique global. ◆