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LE PALÉOPHONE DU COLONEL GILLIANE GILL

Par Bruno Lagabbe

Ce disque m’a été offert par Matthias, il vient directement de l’appartement de Gilliane Gill. Matthias habitait au début de ce siècle le 18 e arrondissement de Paris. Il m’a raconté à peu près cela : il entend sur le palier du bruit, des voix… C’est la police, les pompiers, des voisins. On discute, l’heure est grave, quelqu’un est mort ! C’est Gilliane, elle est morte depuis plusieurs jours déjà ! Son compagnon, amoureux désespéré, fou de chagrin n’a pu se résoudre à se séparer d’elle. Elle est couchée, habillée, sur le lit dans la chambre. Les voisins dérangés par l’odeur ont alerté la police… Par la suite, l’appartement a été vidé.

Dans le bric-à-brac resté sur le palier, il y avait une poignée de 45 tours…

Matthias me demande de choisir entre deux disques, je délaisse Chatte douce, le rose, et je prends le bleu avec Les morts vivants. Je suis estomaqué :

Que tu sois jaune, blanc, rouge ou noir

Ton corps pue déjà la charogne

Que tu sois belle, en robe du soir

Ton corps pue déjà la charogne

Que tu sois prince ou balayeur

Truand, procureur, honnête homme

Ton corps pue déjà la charogne

Mort aux vaches, ministre, mineur

Ton corps pue déjà la charogne.

Car on est tous des morts vivants

Logés à la même enseigne

Du plus petit jusqu’au plus grand

On crèvera tous mais oui ma chère

Asticots entrez dans la danse

Surtout aiguisez bien vos dents

Sur cette chair tiède foutue d’avance.

Crève la faim ou cousu d’or

Ton corps sera une charogne

Les chiens près des tombes le soir

Se disputeront ta charogne

La vermine viendra lentement

Manger de baisers ta chair tendre.

La dernière fois que j’ai vu bouger Gilliane Gill, elle portait une pile de draps et regardait des scènes érotiques par un trou de serrure. Elle était Madame Raymonde, lingère chez une maquerelle dans La Bonzesse, film tourné par François Jouffa en 1973.

Gilliane est une habituée des petits rôles dans les comédies olé olé, entre 1973 et 1983, on aperçoit sa silhouette replète dans La Maison des filles perdues, La Chatte sur un doigt brûlant, Je t’aime moi non plus, Si ma gueule vous plaît…

Son portrait est sur la pochette de ses deux 45 tours, la même photo en noir et blanc sur fond de papier peint à fleurs, rose pour l’un, bleu pour l’autre. Habillée à la mode 1900 : chignon, fourrure sur corsage en dentelle, on la surprend un poudrier à la main.

Te pénétrant comme un amant ah !

Il faudra bien te laisser prendre !

Car on est tous des morts vivants.

On est tous condamnés d’avance

Asticot aiguise bien tes dents

Hum… ah ! ah ! ah !

Et mes sincères condoléances !

— GILLIANE GILL : LES MORTS VIVANTS, paroles et musique : Gilliane Gill, Orchestre Michel Carley, 1974

45 tours, J.B.P. Records 29 rue Royale, Lyon, 8 tracks Scully Dolby system gravure stereo, n°444 lepaleophone.blogspot.com

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