numĂŠro 9
07.2010
gratuit
ours
sommaire numéro 9
Directeurs de la publication et de la rédaction : Bruno Chibane & Philippe Schweyer Rédacteur en chef : Emmanuel Abela emmanuel.abela@mots-et-sons.com u 06 86 17 20 40 Direction artistique et graphisme : starHlight Ont participé à ce numéro : REDACTEURS Olivier Bombarda, Benjamin Bottemer, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost, Nathalie Eberhardt, Magali Fichter, Virginie Joalland, Kim, Christophe Klein, Nicolas Léger, Coline Madec, Guillaume Malvoisin, Stéphanie Munier, Adeline Pasteur, Nicolas Querci, Marcel Ramirez, Matthieu Remy, Catherine Schickel, Christophe Sedierta, Fabien Texier. PHOTOGRAPHES Vincent Arbelet, Pascal Bastien, Christophe Urbain. CONTRIBUTEURS Bearboz, Dupuy-Berberian, Christophe Fourvel, Sophie Kaplan, Christophe Meyer, Henri Morgan, Nicopirate, Julien Rubiloni, Denis Scheubel, Louis Ucciani, Vincent Vanoli, Henri Walliser, Sandrine Wymann. RELECTURE Caroline Châtelet, Stéphanie Munier. PHOTO DE COUVERTURE Elise Boularan, Lapsus Prompta #16 www.eliseboularan.com Retrouvez entretiens, photos et extensions audio et vidéo sur les sites novomag.fr, facebook.com/novo, plan-neuf.com, mots-et-sons.com et flux4.eu Ce magazine est édité par Chic Médias & médiapop Chic Médias u 10 rue de Barr / 67000 Strasbourg Sarl au capital de 12500 euros u Siret 509 169 280 00013 Direction : Bruno Chibane u bchibane@chicmedias.com 06 08 07 99 45 Administration, gestion : Charles Combanaire
Édito
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FOCUS La sélection des spectacles, festivals, expositions et inaugurations à ne pas manquer 8 Une balade d’art contemporain : Exposition Richard Deacon au MAMCS à Strasbourg
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RENCONTRES Mathieu Amalric se souvient de René Nicolas Ehni et de ses vacances en Alsace
MAGAZINE Le parcours d’Arto Lindsay en quatre morceaux choisis 36 Joël Kermarrec pratique avec délectation la peinture, la sculpture, l’écriture, le coq-à-l’âne surréaliste et la digression 38 Le festival # à Dijon croise les dialogues culturels contemporains 40 Le Festival Premiers Actes affronte les coupes budgétaires avec panache 42 Le théâtre est-il encore le lieu d’une jeunesse ? 44 Théâtre du Jarnisy, compagnie de la Valise et compagnie Flex reçoivent une aide de la région Lorraine pour jouer à Avignon 46 Voir Naples et écrire... 48 le couple d’illustrateurs Icinori sont des « tueurs » 50 David Sala est un sculpteur d’images 52 L’itinérance est à l’honneur au Musée de l’Image d’Epinal 54
médiapop u 12 quai d’Isly / 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 euros u Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer u ps@mediapop.fr 06 22 44 68 67 – www.mediapop.fr
CHRONIQUES
IMPRIMEUR Estimprim
La vraie vie des icônes 6 : Michael Jackson, traits creusés, projet de gravure, par Christophe Meyer 57 Songs To Learn and Sing : Painting and kissing de Hefner par Vincent Vanoli 58 Chronique de mes collines : Le Druide de Gyp par Henri Morgan 59 Tout contre la BD, par Fabien Texier 60 Mes égarements du cœur et de líesprit : égarement #53, par nicopirate 62 La stylistique des hits : l’oxymore, par Matthieu Remy et Charles Berberian 63 Bestiaire n°4 : Balaenae Contemporaneae par Sophie Kaplan 64 Modernons : Amerika 2000, par Nicolas Querci 65 Cinérama 3, par Olivier Bombarda 66 Top challenge 1, par Julien Rubiloni 68 AK47 : Karlito’s Way, par Fabien Texier 69 Le monde est un seul / 8 : Éloge du sourire de Ricardo Darín (entre autres), par Christophe Fourvel 70 Cachez tout ce que je ne saurais voir… par Henri Walliser et Denis Scheubel 71
Dépôt légal : mai 2010 ISSN : 1969-9514 u © NOVO 2010 Le contenu des articles n’engage que leurs auteurs. Les manuscrits et documents publiés ne sont pas renvoyés. ABONNEMENT novo est gratuit, mais vous pouvez vous abonner pour le recevoir où vous voulez. ABONNEMENT France 6 numéros u 40 euros 12 numéros u 70 euros ABONNEMENT hors France 6 numéros u 50 euros 12 numéros u 90 euros DIFFUSION Vous souhaitez diffuser novo auprès de votre public ? 1 carton de 25 numéros u 25 euros 1 carton de 50 numéros u 40 euros Envoyez votre règlement en chèque à l’ordre de médiapop ou de Chic Médias (voir adresses ci-dessus). novo est diffusé gratuitement dans les musées, centres d’art, galeries, théâtres, salles de spectacles, salles de concerts, cinémas d’art et essai, bibliothèques et librairies des principales villes du Grand Est.
Novo ouvre ses colonnes à des interventions régulières ou ponctuelles
selecta
Nos chroniqueurs sont en vacances. Rendez-vous à la rentrée…
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édito par philippe schweyer
L’AUTOROUTE DES VACANCES
Sur l’autoroute des vacances, la radio passe une chanson de Dominique A : La route est une mer qu’aucun rouleau n’agite, les péages comme des îles balisent notre fuite, dans un camion… Quelques kilomètres plus tard, je m’arrête pour faire le plein. Le macadam brûlant irradie l’atmosphère. Entre les voitures, remplies à ras bord, flotte un parfum de gasoil et de crème à bronzer. A l’intérieur de la station service, routiers et touristes se frôlent sans se voir. Dans quinze jours, je les retrouverai de l’autre côté de la six voies, encore plus bronzés. Assise derrière sa caisse, une femme encaisse. Elle ressemble vaguement à Gena Rowlands dans Love Streams. Ses cernes racontent une vie pas facile, pourtant elle reste digne. L’espace d’une milliseconde nos regards se croisent. Rien ne se passera entre nous, ou plutôt si, quelque chose vient de se passer de l’ordre de l’indicible. Je me dis qu’il faudrait collecter ces moments de flottement où tout semble possible. Peut-être dans un carnet ? Réaliser une immense carte pour garder la trace de nos trajectoires, de nos croisements, de nos évitements ? Et si l’autoroute était vraiment notre dernier terrain d’aventure ? Une heure plus tard, alors que je prends mon mal en patience dans un embouteillage, le visage de la femme de la station service s’efface doucement de ma mémoire. Je voudrais être un ordinateur pour tout stocker. Conserver chaque instant, chaque pensée, chaque regard. Et puis la voiture devant moi redémarre et j’oublie tout. Je ne veux plus être un ordinateur. Je veux sentir le sable chaud sous mes pieds, le soleil dans mes cheveux. Je n’ai plus qu’un seul but : voir enfin la mer. L’an prochain, je repasserai par la station service. Entre temps, j’aurais scruté en vain des milliers de visages. Rien ne se sera passé et ce sera très bien comme ça. J’aperçois une mouette et je baisse la vitre pour respirer l’air iodé à pleins poumons. À la radio, Dominique A chante de plus belle : Ne nous attendez pas, nous n’reviendrons jamais, et triangle à la main, dans le camion teinté, nous boirons tout l’or noir plutôt que d’arrêter, et passerons sans le voir dans un feu de forêt, dans un camion…
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agencetandem - Après réflexion n° 10, F. Morellet, 2004, atelier de l’artiste, courtesy F. Morellet et Galerie Art Attitude Hervé Bize Nancy © ADAGP, Paris 2010.
12 juin ••• 11 octobre 2010 ����� ������������� �’��� ������ �� ������������ épinal
1 place lagarde | 03 29 82 20 33 | www.vosges.fr
focus
1 ~ AMERICA DESERTA Exposition au Parc Saint Léger jusqu’au 5/9 à Pougues-lesEaux. Visuel : Test nucléaire «Baneberry», le 18 décembre 1970. Le tir supposé souterrain a échoué laissant un nuage radioactif se déployer dans l’atmosphère. Photo courtesy of National Nuclear Security Administration / Nevada Site Office. www.parcsaintleger.fr 2 ~ CINé PLEIN AIR L’association Ciné 68 propose une cinquantaine de projections en plein air dont Easy Rider le 31/7 dans les jardins du cinéma Bel Air à Mulhouse. http://pleinair.cine68.free.fr 3 ~ Vent des forêts Depuis 13 ans, le Vent des forêts invite des artistes à exposer dans un territoire rural au cœur de la Meuse, avec la volonté de nouer des liens entre création, nature et population. www.leventdesforets.com 4 ~ BASQUIAT Expo à la fondation Beyeler jusqu’au 5/9 (voir Novo 8) + Rétrospective Felix GonzalesTores jusqu’au 29/8. www.beyeler.com 5 ~ OROZCO Expo au Kuntsmuseum de Bâle jusqu’au 8/9 (voir Novo 8)
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6 / SKETCHES OF SPACE Mudam invite huit artistes (dont Simone Decker) à investir ses espaces avec des projets conçus pour l’occasion qui mettent en valeur différentes approches de la notion d’espace. www.mudam.lu 7 ~ ART DE HAUTE-ALSACE L’exposition estivale du Musée des Beaux-arts de Mulhouse propose de porter un regard approfondi sur le paysage artistique haut-rhinois entre 1919 et 1939. Visuel : Robert Breitwieser, Portrait du Docteur Wetzel, 1932. 8 ~ Du SENSIBLE Une exposition (du) sensible jusqu’au 19/9 à la Synagogue de Delme. www.cac-synagoguedelme.org 9 ~ MATTHEW BARNEY Exposition événement au Schaulager tout près de Bâle jusqu’au 3/10. www.schaulager.com
12 ~ SECRET SEVENTIES Le cinéma Star à Strasbourg propose une rétro définitive sur le cinéma américain des 70’ jusqu’au 27/7. www.cinema-star.com 13 ~ GIRLS + THE FEELING OF LOVE Concert gratuit programmé par Musiques Volantes dans le cadre de Metz en fête au Cloître des Trinitaires le 15/7. www.lestrinitaires.com 14 ~ AFTER M010 Ceux qui ont raté Mulhouse 010 peuvent se rattraper en feuilletant le catalogue en ligne sur www.mediapop.fr. Mention spéciale à Joey Villemont pour son stand sur lequel Loïc (alias Nature Boy) interprétait de jolies chansons de Nirvana (voir photo). www.joeyvillemont.net
10 / ARCHIFOTO Concours international de photographie d’architecture jusqu’au 31/7. www.archifoto.org
15 ~ MISTER G. En se mettant en scène dans ses propres images, vêtu d’un pardessus passe-partout, Gilbert Garcin emprunte la démarche d’un Chaplin ou d’un Tati. Galerie de l’Arsenal à Metz du 10/7 au 3/10. www.arsenal-metz.fr
11 ~ LE LIT CIVILISE Exposition réalisée à quatre mains par Mathieu Boisadan et François Genot jusqu’au 31/7 à l’espace apollonia à Strasbourg. www.apollonia-art-exchanges.com
16 ~ CHEF-D’œuvre ! Un chef-d’œuvre existe une fois pour toutes : Exposition jusqu’au 5/9 chez Faux Mouvement à Metz. www.faux-mouvement.com
17 ~ CARROUSEL Grande exposition monographique du jeune artiste vidéaste japonais Hiraki Sawa organisée par le Frac FrancheComté, les Musées du centre de Besançon, l’Iufm de FrancheComté et le Centre d’art mobile jusqu’au 26/9 au Musée des Beaux-arts et Musée du Temps à Besançon (voir Novo 8). www.frac-franche-comte.fr 18 ~ UCKANGE En réveillant le fantôme du haut-fourneau U4 à Uckange, Claude Lévêque provoque avec « Tous les Soleils » des émotions visuelles et sensibles. www.valdefensch-tourisme.com 19 ~ JUSTE DE PASSAGE Exposition collective jusqu’au 22/8 au 19 à Montbéliard. www.le-dix-neuf.asso.fr 20 ~ A-mateur Exposition des œuvres de Vincent Schueller du 6/7 au 4/8 à la galerie Le Truc à Mulhouse. (Visuel : Peinture pour Psychorigide, acrylique sur bois, 66 x 42 cm, 2010). www.letruc.fr 21 ~ INVENTION Les péripéties de l’invention jusqu’au 17/7 chez Interface à Dijon. www.interface.art.free.fr
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22 ~ apichatpong weerasethakul Le Frac Champagne-Ardenne présente My Mothers’s garden, un court métrage réalisé par la Palme d’or du dernier festival de Cannes (voir visuel). A Reims du 9/7 au 1/8. www.frac-champagneardenne.org 23 ~ HANDMADEHIGHTEC Le CIAV propose de découvrir le résultat d’une rencontre du 3ème type entre verriers traditionnels et nouvelles technologies de l’éclairage. www.ciav-meisenthal.com 24 ~ FAKE TALES OF AMERICA La maison d’édition internationale French Fourch publie le carnet de voyage mythomane de Mathieu Lambert aux USA. www.mathieulambert.fr 25 ~ SYLVIE AUVRAY Des objets, des jouets perdus, des tableaux de lapins géants… Le glossaire plastique de Sylvie Auvray recouvre davantage qu’une part d’enfance un peu oubliée. Au Consortium à Dijon jusqu’au 26/9. www.leconsortium.com 26 ~ DE DEGAS À PICASSO La collection de Jean Planque à l’Espace d’art contemporain Fernet Branca à Saint-Louis jusqu’au 24/10. www.museefernetbranca.fr
27 ~ THE GOLDEN AGE RELOADED La fascination de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle à la Villa Vauban, musée d’art de la Ville de Luxembourg jusqu’au 31/10. www.villavauban.lu 28 ~ chef d’œuvres ? À travers une sélection exceptionnelle de près de huit cents œuvres, l’exposition d’ouverture du Centre PompidouMetz interroge la notion de chef-d’œuvre, son histoire et son actualité. Visuel : Andreas Gursky 99 Cent, 1999. www.centrepompidou-metz.fr 29 ~ CHALON DANS LA RUE 24e festival transnational des artistes de la rue du 21 au 25/7. www.chalondanslarue.com 30 ~ talents contemporains La Fondation François Schneider à Wattwiller lance la 1ère édition des Talents Contemporains qui récompenseront chaque année sept artistes (montant global : 300 000 euros) www.fondationfrancoisschneider.org 31 ~ JARDIN D’EDEN Emmanuel Perin au Jardin des Faïenciers à Sarreguemines jusqu’au 31/10. www.sarreguemines-museum.com
32 ~ BACKSTAGE RODEO Les quatre jeunes rockers seront en concert à Metz Plage le 27/7 avant la sortie de leur double EP « Are You Electric ? » (un disque rouge et un disque blanc) le 27/9. www.backstagerodeo.com 33 ~ HABIT DE FACADE Exposition photographique de Christian Glusak au Musée Historique de Mulhouse jusqu’au 2/9. http://artethumeur.free.fr 34 ~ RêVES DE ROBOTS Exposition au Musée Tinguely à Bâle jusqu’au 12/9. Visuel : Jon Kessler, Global Village Idiot, 2009. www.tinguely.ch 35 ~ PETItDEMANGE / AUGUSTE B. Fernande Petitdemange éclaire les sujets « indignes » du musée Bartholdi à Colmar jusqu’au 31/12. www.musee-bartholdi.com 36 ~ MÉTÉO CAMPAGNE Concert de Muna Zul, un trio de mexicaines, dans le cadre du festival Météo Campagne le 19/8 devant le château de Hombourg (68). www.festival-meteo.fr
37 ~ LES USTENSIBLES Inscriptions ouvertes pour le festival du film d’animation qui aura lieu le 2/10. www.ustensibles.fr 38 ~ A BOUT DE SOUFFLE 50 ans après sa sortie le premier film de Godard revient sur les écrans dans une version restaurée. Qu’est ce que c’est dégueulasse ? 38 ~ JOAN MIRO Rétrospective jusqu’au 14/11 au Musée Frieder Burda à Baden-Baden. www.museum-frieder-burda.de 39 ~ FESTIVAL NATALA Premier festival de ciné-concerts, d’images mises en musique et de musiques mises en images. Du 8/7 au 18/7 au parc du Natala à Colmar. Programme complet (Panimix, La Tofaïe, Einkaufen, Clues, Bal Pygmée…) sur www.hiero.fr 40 ~ LES NUITS DU RAMADAN 4e édition du rendez-vous proposé par la Filature avec une série de spectacles aux couleurs de l’Orient (notamment Hobb Story sous-titré Sex in the (Arab) City) et la participation d’associations locales pour découvrir les saveurs et les traditions du monde. A Mulhouse du 16 au 18/9. www.lafilature.org
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par stéphanie munier
photo : philippe laurençon
focus Bancs publics, festival de la Région Franche-Comté, du 1er au 23 juillet bancspublics.franche-comte.fr
Patrimoine festif Cette 6e édition a pour thème le patrimoine et les lieux de travail. Sa programmatrice, Ghislaine Gouby, directrice de la Culture au Conseil Régional de Franche-Comté, nous en parle.
Comment s’est fait le choix de ce thème ? La Franche-Comté a un patrimoine industriel extrêmement important, cela nous a donc paru comme un thème extrêmement intéressant, à aborder artistiquement sous des angles différents. Comment avez-vous sélectionné les sites, des acteurs à part entière de la thématique ? On a respecté l’histoire de la région, ses lieux patrimoniaux forts, et essayé de voir comment ils résonnent aujourd’hui. La Saline de Salinsles-Bains s’est imposée d’office puisqu’elle venait d’obtenir le classement mondial au Patrimoine de l’Unesco. La Saline d’Arc et Senans s’inscrivait
aussi totalement dans la thématique. Peugeot est bien sûr l’une des usines les plus emblématiques de la région. Quant à la Maison du Peuple, c’est le lieu du rassemblement des syndicats, des loisirs des ouvriers. Nous avons par ailleurs pensé aux lieux de travail de la ruralité avec le musée de Nancray. Enfin, aller sur le lieu de travail d’un artiste, en l’occurrence celui du cirque Pagnozoo, me paraissait aussi être partie intégrante de la manière dont on pouvait aborder la notion du travail et de ses lieux. Et les artistes ? La volonté était de travailler sur l’axe du cirque et de la musique. Pour les projets de cirques, le cirque Pagnozoo et la Compagnie l’Enjoliveur avaient fait des créations d’excellente facture. Juliette s’est imposée comme une artiste « d’engagement », la bonne personne pour faire à la fois le travail de création à Arc et Senans et ce travail dans l’usine Peugeot dont on étudie le report (pour cause de décès accidentel de l’un des salariés, NDLR). On a envie de voir ce que ça produit artistiquement pour les salariés, et émotionnellement pour les artistes. L’accent est mis sur les transports en commun, Bancs Publics ne cherche pas seulement à démocratiser l’accès au spectacle, les questions environnementales vous tiennent aussi à cœur ? On essaie de faire utiliser le train, le bus, les navettes mises à disposition. Ça marche plutôt pas mal, il y a beaucoup de gens qui font du covoiturage ou qui prennent les transports en commun. Sur la question de la démocratisation, une étude nous montre que sur tous les spectacles de cirques de l’an dernier, pour plus de 86% des gens venus en famille, c’est la seule sortie de l’année. Parmi ceux qui viennent à Arc et Senans, 60% ne voient que ça, ou au maximum un autre spectacle dans l’année. De ce point de vue, on est parvenus à remplir nos objectifs. D
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par stéphanie munier
focus Nuit Bleue #9, Voyage en utopie sonore, 10 juillet de 21h à 7h, Saline royale d’Arc et Senans www.nuit-bleue.com
Plus belle la nuit Rendez-vous annuel des amateurs de sonorités étranges, synthétiques et expérimentales, cette rencontre nocturne, peut-être bien la dernière, est une véritable immersion dans la musique acousmatique.
Installation de Brane Project ©Louis-Alexis Fontaine
L’ensemble architectural unique et grandiose de la Saline royale d’Arc et Senans est investi, l’espace d’une nuit par des orchestres de hautparleurs. Pour Nicolas Waltefaugle, bénévole et membre de l’association Elektrophonie pendant six ans, c’est l’alliance entre l’architecture du lieu, vecteur d’utopie, et la musique électro-acoustique qui fait de cette rencontre un si beau moment : « Il existe une très belle cohérence entre la Saline, qui résonnait comme une coquille vide, et les sons, inspirés par le monde du travail, qui pourraient être les mêmes que ceux qu’on entendait autrefois. La Nuit Bleue permet à la Saline de se remplir autrement, de façon immatérielle, grâce aux installations sonores et lumineuses. C’est la manière la plus belle et la plus cohérente de combler la résonnance perdue de ce lieu ». Que ce soit à Arc et Senans, à la Chapelle de Ronchamp ou dans des abbayes du X siècle, la démarche d’Elektrophonie, l’association qui organise la manifestation, a toujours été de choisir des lieux porteurs, avec une identité forte. Des lieux, comme la Saline royale, dont la charge poétique est incontestable.
Les visiteurs, invités à s’installer sur des transats, des matelas, ou à s’allonger sur l’herbe, profitent d’instants sonores allant de l’accompagnement au rêve à des moments d’éveil auditif. « Le programme est vaste et riche, il est plus intéressant de l’expérimenter par petites touches. » Chaque voyageur peut donc composer son propre cheminement acoustique, au fil des concerts, en utilisant des casques haute-fidélité ou des prothèses modifiant la perception auditive. Certaines d’entre elles permettent d’inverser les sons – gauche et droite, avant et arrière - ou jouent sur la perception des conversations. Le paysage auditif qui en résulte se retrouve radicalement métamorphosé et le visiteur explore une toute nouvelle dimension de l’écoute, parfois en 3 dimensions, au cœur d’un dispositif symphonique. « Il faut profiter du lieu dans son entier, surtout cette année où pour la première fois les deux bernes de la Maison du Directeur sont occupées. Mais il faut aussi explorer des endroits plus obscures, fantomatiques, et profiter des installations qui sont proposées à l’extérieur, même si on prend le risque de se faire piquer son matelas ! » D
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par adeline pasteur
par louis ucciani
Dessins contemporains / Collection Florence et Daniel Guerlain, jusqu’au 20 septembre au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie, Besançon
Galerie Jean Greset, 5 rue Rivotte à Besançon jusqu’au 17 juillet www.jeangreset.com
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L’Art selon Guerlain Florence et Daniel Guerlain prêtent une remarquable collection d’environ 200 dessins contemporains au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Besançon, à admirer tout au long de l’été. Tout comme son grand-père Jacques Guerlain, célèbre parfumeur, qui admirait les Impressionnistes, Daniel cultive un goût prononcé pour les artistes de son temps, et plus spécialement les dessinateurs. Voici vingt-cinq ans qu’il collectionne, avec sa femme, des œuvres uniques sur papier, réalisées par des artistes du monde entier. Sur les 900 dessins en leur possession, 200 sont exposés tout l’été au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Besançon, avec quelques thèmes dominants : le corps, sa présence, son absence, mais aussi la notion d’espace, de plan, liée au métier d’architecte paysagiste de Daniel Guerlain. Les visiteurs pourront donc admirer, entre autres, les dessins sur papier ciré de Sandra Vásquez de la Horra (Prix 2009 de la Fondation créée par les deux collectionneurs), les encres et gouaches de Silvia Bächli ou Jean Michel Alberola, les aquarelles de Javier Perez ou Pat Andrea, les esquisses au fusain de Chloe Piene, ou encore les techniques éclectiques et singulières d’Eduardo Arroyo, Carole Benzaken, Matt Bryans, ou Tony Oursler. 41 artistes au total sont représentés. D
Visuel : Silvia Bächli Photo : André Morin, Florian Kleinefenn 2006 SB2838 - 44 x 31 Courtesy galerie Nelson Freeman, Paris/New York
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La Forme et la Couleur des mots Après avoir présenté les dessins de Matthieu Messagier à la Galerie Agnès b. à l’automne dernier, le Centre d’art mobile s’associe à la Galerie Jean Greset de Besançon, pour montrer dans sa région d’origine, cette production graphique des plus étonnantes. Dans la lignée des poètes dessinateurs de Victor Hugo à Antonin Artaud, de Jack Kerouac à Bob Dylan, Matthieu Messagier livre une vision de ce lieu d’où naissent les mots du poète. On y voit des formes hésitantes naître de la couleur. Issues de mines de crayon ou de vernis cosmétiques, voire de son propre sang, ou encore d’encres diverses, ces couleurs tracent les images d’un univers à la fois étrange et féerique : l’univers du poétique. Contemporains de ses derniers poèmes parus chez Flammarion (Poèmes sans tain, 2010), les dessins de Matthieu Messagier éclairent la poésie de notre époque en lui donnant une visibilité qui vient percuter le monde convenu des images ambiantes. De même que ses poèmes anticipent la langue du futur, et donnent la vérité du lisible, ses dessins livrent une vérité au visible. Cette double vérité enfouie dans ce que l’époque nomme culture, trouve les failles et dévoile à la fois l’origine et le sens qui nous porte. Les dessins du poète nous montrent ce lieu forcément étrange et merveilleux d’où vient ce qui rend notre vie digne d’être vécue, à savoir l’art et la poésie, et ce qui rend définitivement misérable le monde de la piètre culture d’animation. D
par adeline pasteur
par stéphanie munier
Nouvelle Vague - Jusqu’au 19 septembre Musée des Beaux-arts de Dole
La Muse républicaine, Artistes & pouvoirs 1870 / 1900 Du 14 juillet au 14 novembre, à la Tour 46, à Belfort
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Le déferlement de la Nouvelle Vague Sept jeunes artistes de Franche-Comté ont été choisis pour une exposition estivale au musée des Beaux-arts de Dole, intitulée « Nouvelle Vague ». L’occasion de découvrir des talents déjà très prometteurs, autour de disciplines artistiques variées. « Nouvelle Vague » apparaît comme le premier volet d’une manifestation plus large dédiée à la création émergente, impulsée par le musée dolois, qui cultive depuis longtemps ce rôle de « catalyseur » de la création contemporaine. Derrière ce titre évocateur se cachent donc sept jeunes artistes franc-comtois, qui se distinguent par leur talent, leur inventivité et leur audace. Comme l’explique Anne Dary, conservatrice en chef des musées du Jura, « cette exposition leur offre l’occasion de se confronter au regard du public et de mesurer leur travail à l’institution muséale. » Ainsi, le public pourra découvrir Marguerite Bobey, véritable performeuse qui, pour une fois, reste en retrait au profit d’œuvres en images, mots et vidéos ; Charlotte Guinot-Bacot, qui propose des supports virtuels afin de mieux s’interroger sur le réel ; Thomas Henriot et ses dessins spectaculaires, empreints des cultures de ses multiples voyages ; ou Rodolphe Huguet et ses sculptures qui perturbent notre rapport aux éléments naturels. La Nouvelle Vague, c’est aussi Gérald Mainier et ses toiles denses aux accents de Courbet, Hugo Schüwer-Boss et ses détournements de nos références modernes, et enfin Maxime Vernier et ses œuvres multiformes, mêlant sons et matières. D
Maxime Vernier, Châssis, 2008.
Aux armes ! Alors que certains s’inquiètent déjà du devenir de la France en 2012 et d’une hypothétique VIe République, la Ville de Belfort se penche sur les représentations graphiques liées à la IIIe République. Délicate articulation entre la toute fin de la monarchie – marquée par la défaite contre la Prusse et le délitement d’une partie du territoire français –, et l’avènement d’une forme nouvelle de régime, plus démocratique et plus moderne, la IIIe République a marqué les esprits des artistes de l’époque. Ses répercussions sur la production artistique sont extrêmement fortes, et prennent des formes multiples. Un nouvel « imaginaire républicain » est né de cette influence, objet de cette exposition proposée à la Tour 46. L’allégorie de la figure républicaine est au centre de cette étude à laquelle se sont essayés Courbet, Rodin, Carrière, Dalou, Injalbert, ou encore Puvis de Chavannes. De l’allégorie de la mère nourricière (reprise il y a très peu de temps encore par l’imaginaire publicitaire) à la guerrière révolutionnaire, la figure de Marianne côtoie des portraits de personnalités politiques ou culturelles qui ont marqué cette page de l’histoire de France. La Muse républicaine s’inscrit dans le cadre de la série d’expositions intitulée Utopies & Innovations organisée par la Métropole RhinRhône. La Ville de Belfort adhère à cette démarche avec sa statue de Bartholdi, Le Lion, érigée pour commémorer la résistance des belfortains pendant la guerre de 1870, année qui marque la naissance de la III e République. Dépasser les utopies et se plonger dans l’innovation, tout un programme ! D
Jules-Louis Machard, Après, XIXe siècle Huile sur toile, 46,5 x 29,8cm, 1988.3.1 Coll. Musée des Beaux-arts de Dôle, acquisition en 1988, cliché Jean-Loup Mathieu.
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par guillaume malvoisin
photo : karel sust
focus Du 10 juillet jusqu’au 18 septembre, à l’espace multimédia gantner, à Bourogne Set avec F.M. Einheit, le 26 août à La Friche D.M.C., dans le cadre du festival Météo à Mulhouse In Bus with eRikm, une promenade dominicale programmée par eRikm dans les centres d’art de la région : Espace Multimédia Gantner à Bourogne, CRAC Alsace à Altkirch, la FABRIKculture à Hégenheim, La Kunsthalle à Mulhouse
Paradoxal landscapes : la géographie selon eRikm Monographies de fragments laissés au hasard. Plus justement à son contrôle. eRikm, prince de l’interaction du sonore et du visuel, révise et rejoue les lois de l’incident de parcours. Compte-rendu avec MoNo, l’expo à l’espace Gantner de Bourogne. Preuve par l’exemple au festival Météo de Mulhouse.
À l’heure où d’aucuns tentent péniblement de raviver le Golem de Rabbi Loew en version footbalistico-médiatique, les images et paysages décrits par eRikm sonnent étrangement auguraux. Le trublion son et lumière des espaces contemporains aurait donc joué d’avance avec la décrépitude des images ? Il faut lire l’envers et les interstices de ces paysages vidéo-sonores pour s’en convaincre. Compositeur, vidéaste, musicien improvisateur, plasticien, l’homme de l’Est, adopté par Marseille, est aussi un virtuose des platines et des arts sonores. Arpentant à loisir la technosphère, eRikm convoque, défroque et recompose ce médium inépuisable qu’est l’image, le confrontant s’il le faut à la plus fine des trouvailles musicales. Fervent croiseur de fer, il
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a côtoyé Luc Ferrari, Christian Marclay, Akosh S., Mathilde Monnier ou encore FM Einheit. La transversalité semble être sa devise, en résulte une aussi délicate qu’imparable tension où l’intime et le politique, le savant et le populaire donnent matière au débat. Détails fournis sans notice avec Staccato, Lux Payllettes ou encore Simulacres Série. Hasard des calendriers – ben tiens... –, eRikm est présent à l’espace multimédia Gantner de Bourogne pour une sorte de rétrospective incongrue appelée MoNo et au festival Météo de Mulhouse pour un set en compagnie de F.M. Einheit. La conjonction de ces deux évènements est loin d’être fortuite à y regarder de plus près. Si le gros de l’œuvre d’eRikm se fournit dans la reconversion de données audiovisuelles tirées sans scrupules du patrimoine, c’est leur friction qui fait acte. Il faut deux silex pour l’étincelle. Et la ritournelle, chère à Guattari, découvrant les plumes de l’oiseau lors de son chant, aura besoin d’une liaison Mulhouse /Bourogne pour laisser apercevoir une portion congrue de l’intimité du travail d’eRikm. Du moins de cette énergie viscérale qui l’attache à la mémorisation, à l’héritage et au détournement. eRikm fait œuvre de ses régénérations, puisant au savoir et à l’expérience, s’amusant comme un sale gosse à provoquer tout court-circuit salvateur. D
par stéphanie munier
par stéphanie munier
Festival Entre cour et jardins Du 27 août au 5 septembre à Dijon et Barbirey-sur-Ouche, les 11 et 12 septembre en Champagne www.ecej.fr
Scènes de rue, festival des arts de la rue, du 15 au 18 juillet, Mulhouse www.mulhouse.fr
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Jardins à l’anglaise Entre cour et jardins est un festival singulier où la nature est un élément à part entière de la création artistique. Cette année sont programmées des performances inédites sélectionnées par Sophie Claudel, ancienne attachée culturelle de l’Ambassade de France à Londres. « C’est toujours la nature qui prend le dessus, la part de l’imprévu est toujours très importante » explique Sophie Claudel qui programme le festival Entre cour et jardins pour la première fois cette année. Une programmation tournée vers la scène londonienne que la dijonnaise connait bien : « Ce sont des performances à l’anglaise, très différentes de ce qu’en France on appelle performance, des formes très peu vues ici ». Elle a choisi de présenter la compagnie Station House Opera, une mise en bouche d’Entre cour et jardins qui a été choisie comme ouverture du festival Dièse, le performer Graeme Miller et la jeune londonienne Spartacus Chetwynd, en collaboration avec le Consortium. Mais les dijonnais seront également bien représentés, puisque quatre étudiants, lauréats du concours de l’Ecole Nationale des Beaux-arts de Dijon présenteront leur travail : « Cela leur permet de travailler dans des conditions professionnelles. En sortant du cercle de l’école, on obtient des choses très étonnantes ». La programmation du festival se fait également sonore, notamment avec un concert-performance d’Antoine Dumont. Son Mur du son, installation d’enceintes de récupération formant un mur de 5 mètres sur 3, promet d’être « une expérience aussi physique que sonore ». Des beaux moments en perspective pour un festival hors du commun qui envisage les magnifiques jardins qui l’accueillent comme des espaces scénographiques à part entière. D
In the middle of our street L’art est dans la rue, on le suit. Placé sous le signe de la pluridisciplinarité et de l’accès à la culture pour tous, Scènes de rue nous offre trois jours de sauteries artistiques dans le centre-ville de Mulhouse. Nos conseils pour ne surtout rien manquer. On se prépare à Scènes de rue comme on se prépare à faire les soldes, ou à la Coupe du monde de football. La veille on repère le terrain, on va se coucher tôt, pour être en forme, fi du feu d’artifice. Le matin, on mange des pâtes, pour les sucres lents, on met des chaussures confortables (crampons et stilettos sont déconseillés), quelques pompes pour s’échauffer, et surtout on n’oublie pas sa bouteille d’eau. Jeudi c’est entraînement. Et NON on ne boycotte pas, on file voir le trampoline burlesque, parce que c’est marrant, et on ne manque pas non plus la projection des Temps modernes (même si ça nous rappelle le boulot). Le vendredi c’est grasse mat’, c’est légal, les réjouissances ne démarrent qu’à 15h. Et mieux vaut être bien reposé, car c’est un marathon artistique qui nous attend. Théâtre, fanfare, cirque, marionnettes, conte, humour… Artistes confirmés et émergents donneront sans compter. On pense aussi à s’hydrater, c’est important, et on court à la Cour de Lorraine profiter de l’espace bar et détente du collectif de plasticiens les Ustensibles. Le samedi on pense à son sandwich (ou on retourne voir les Ustensibles), et on ne manque sous aucun prétexte la Compagnie Carabosse et son Installation de feu qui sera au festival ce que la 3e démarque est aux soldes. Le dimanche c’est vélo, normal, avec la Compagnie de l’Escarboucle, et théâtre. Et l’après-midi on pourra recommencer à lire Novo. Vivement dimanche. D
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par philippe schweyer
focus Exposition de Mathieu Dufois jusqu’au 19 septembre au Musée des Beaux-arts de Mulhouse 03 89 33 78 11
Arrêts sur mirages Lauréat du prix de la jeune création de Mulhouse 008, Mathieu Dufois a passé son adolescence à décortiquer des films télécommande à la main. Depuis, l’image cinématographique lui inspire des milliers de dessins qui se retrouvent à leur tour dans ses films. Pour Novo, il pose son crayon et sa caméra le temps de répondre à quelques questions.
6 ~ Ce que tu es le seul à avoir vu dans Fenêtre sur cour ? Au tout début du film, lorsque l’on découvre cette grande façade d’immeubles, dans le renfoncement d’une des fenêtres du troisième étage, on peut y voir un jet de flash lumineux. Je pense qu’il doit s’agir d’une ampoule ou d’un spot qui a dû cramer au moment même de la prise de vue. J’aime ce détail, cet imprévu, ce défaut qui nous rappelle l’aspect faux et mensonger du cinéma, et que derrière cette puissance d’illusion, tout soit minutieusement préparé, réglé et construit.
1 ~ Un mot pour définir ton travail ? Vestiges.
7 ~ Ce qui a changé pour toi depuis ta participation à Mulhouse 008 ? Avant j’achetais un crayon à 1€20, maintenant je prends celui à 1€80.
2 ~ Pourquoi le dessin plutôt que la photo ? Lorsque je scrute une image photographique, il me faut avoir des révélations en décelant des choses enfouies et implicites. La pointe du crayon est l’outil qui me permet de mieux creuser et de dépasser la limite d’analyse et de perception de l’oeil.
8 ~ Ce que les autres voient dans tes dessins et tes vidéos (et que tu ne voyais pas) ? Un aspect tortueux. J’admets l’ambiance sombre et lugubre dans mon travail, mais tortueuse, non.
3 ~ A quoi penses-tu le plus souvent en dessinant ? À tout sauf à ce que je suis en train de faire.
9 ~ Ce que les autres ne voient pas dans tes dessins et tes vidéos (et que tu aimerais qu’ils voient) ? J’aimerais simplement qu’ils voient les films qui m’ont servi à réaliser mes pièces.
4 ~ Ce qui t’inspire ? Ce qui te laisse de marbre ? La matérialité d’un objet rongé par le temps / Un I-Pad. 5 ~ D’où vient ta fascination pour le cinéma américain des années 50-60 ? Tout a commencé grâce à Monsieur Jean-Pierre Dionnet et son « Cinéma de Quartier », qu’il présentait sur Canal+ en programmant des vieux films de Cinéma Bis. A travers le visionnage de ces films de tous les genres possibles, Dionnet m’a contaminé de sa dévotion pour le cinéma ; il m’a transmis cette sensibilité de l’image et m’a fait subir des états émotionnels dont je ne soupçonnais pas l’existence (je n’avais alors que 12 ans). Dès lors je me suis mis à découvrir quelques segments de l’histoire du cinéma dont l’œuvre d’Hitchcock. Mais ce n’est finalement que depuis une poignée d’années que j’ai réellement découvert le cinéma américain des années 50-60.
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10 ~ Le logiciel qu’il faudrait inventer pour réaliser ton idée la plus folle ? Une machine à capteur ultra sensoriel capable de donner une matérialisation aux ondes spectrales qui nous entourent. 11 ~ Peux-tu commenter le visuel que tu as choisi pour illustrer cet entretien ? Un des derniers plans du film GraphitoScope qui montre le personnage écroulé de fatigue après avoir réalisé la maquette en papier. C’est un moment important du film car le doute s’installe chez le spectateur. Et si tout ce qui a précédé n’était que songe ? C’est également le visuel qui pourrait illustrer la réponse à la question 3. En dessinant je suis comme plongé dans un état de léthargie, comme si je découvrais la forme finale de mes œuvres lors de mon réveil avec les mains noircies de crayon. D
par sylvia dubost
par stéphanie munier
Romances sans paroles Du 9 juillet au 29 août à la Kunsthalle de Mulhouse www.kunsthallemulhouse.fr
Peau d’âne, du 14 juillet au 28 août à 15h Le gros, la vache et le mainate, opérette barge, du 4 au 28 août à 20h30 Théâtre du Peuple, à Bussang www.theatredupeuple.com
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Triste époque ?
Ménagerie
L’exposition d’été de la Kunsthalle nous invite non pas à la détente et à la légèreté, mais à profiter du temps de cerveau disponible pendant les vacances pour songer à notre place dans le monde.
Au lieu de prendre des vacances bien méritées et d’abandonner son public aux mains d’une programmation télévisuelle toujours plus aboutie et édifiante, le Théâtre du Peuple nous propose une saison d’été fraîche et pétillante. Deux créations inédites, décalées et animalières.
Romances sans paroles, commissionnée par Ami Barak et Sandrine Wymann, se veut une « exposition-miroir », le reflet d’une époque. Dans un monde de plus en plus difficile à cerner, les artistes cherchent, comme nous, leur place. Et selon Romances sans paroles, ils empruntent deux grandes directions. Les premiers interrogent la question de la limite : sous un amoncellement de tuyaux, de bassines et de cartons, Daniel Firman évalue ainsi le point de rupture et d’équilibre de l’être humain. Le Chapelet de Mircea Cantor, fil de fer barbelé dessiné à l’encre de Chine à même le mur, évoque l’emprisonnement, la surveillance, l’impossibilité de circuler, frontière infranchissable, privation de liberté. D’autres posent la question aujourd’hui cruciale de l’identité et du territoire. Pascal Auer invente le sien, à travers son label Parasite Rec : un territoire fictif et virtuel, qui possède ses propres règles et sa propre organisation. L’Américain d’origine indienne Jimmie Durham propose une série de reliques symboliques qui fondent et affirment son identité. Le Happy End gonflable et quelque peu ironique de Laurie Franck confirme la vision mélancolique et désenchantée que les 17 artistes invités livrent ici du monde. L’installation de Roman Signer, coupelle remplie d’eau reliée à un tuyau posé au sol qui lui insuffle de l’air à chaque passage et fait se mouvoir la surface du liquide, laisse planer l’espoir que l’homme peut encore agir sur le monde, même involontairement. D
La première est Peau d’Âne, écrite et mise en scène par Olivier Tchang Tchong, et interprétée par 30 comédiens professionnels et amateurs, une mixité auquel tient ce théâtre unique, « pour tous », et par tous ! La seconde, Le gros, la vache et le mainate, opérette barge, est une comédie musicale écrite par Pierre Guillois et mise en scène par Bernard Menez. Objet hybride situé à mi-chemin entre cabaret et opérette, sa succession de numéros tisse la trame d’une histoire mystérieuse. Et en guise de récréation, un numéro d’effeuillage masculin viendra ponctuer tours de chants, danses et sketches. En plus des spectacles sont également proposés des répétitions publiques, des visites guidées, des débats, une performance interactive de Pierre Terzian, une grande lecture publique… Et comme on ne peut pas vivre de didascalies et d’eau fraiche, un pique-nique dans le parc c’est bien mieux qu’un MacDo. Vous n’avez plus aucune excuse pour regarder Intervilles. D Mais les plus joueurs peuvent tenter de gagner des places pour la première de Peau d’Âne et pour Le gros, la vache et le mainate, opérette barge, en envoyant très vite un gentil e-mail à la rédaction (ps@mediapop.fr) !
Gathering – Daniel Firman, 2000. Plâtre, vêtements, chaussures, son, lumière, objets divers en plastique, métal…, 270 x 160 x 200 cm, Collection FRAC Bourgogne © Daniel Firman, Photo : Frac Bourgogne
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par emmanuel abela photo : romain laurent
focus Festival Bêtes de Scènes, du 9 au 12 juillet au Noumatrouff à Mulhouse www.noumatrouff.com Dernier album : 16 Pièces, Motown / Universal
Géométrie variable Pour ses 20 ans, le festival soul, groove et électro Bêtes de Scène s’offre une programmation de choix. Parmi les têtes d’affiches, au même titre que Morcheeba, DJ Food, Daedelus ou Shantel, la formation hip hop très souriante Hocus Pocus. Échange avec 20syl, compositeur et chanteur du groupe.
Ce plaisir communicatif sur scène explique-t-il le succès que vous rencontrez aujourd’hui ? C’est l’un de nos atouts. Et puis, voir arriver sur une scène, dans un cadre hip hop, un orchestre complet avec une grosse énergie, ça ne s’est pas beaucoup vu en France avant nous. Nous avons donc marqué les esprits. C’est drôle, mais la pochette de votre dernier album révèle deux ou trois choses : la composition géométrique est aventureuse, ouverte, et en même temps équilibrée et sobre. On a le sentiment qu’elle définit parfaitement la musique que vous produisez, en constante recherche tout en s’appuyant sur une profonde tradition… Oui, c’est ce que nous avons essayé de retranscrire avec cette pochette. Nous avions envie de créer un nouvel univers et nous présenter sous un nouveau jour. Mais nous avons également insisté sur la dimension intemporelle : on pourrait aussi bien imaginer une pochette de jazz sortie chez Blue Note dans les années 60 que celle d’un groupe électro aujourd’hui. J’aime quand ça n’est pas immédiatement identifiable. Depuis 15 ans, vous avez tout connu, des années galères jusqu’à la reconnaissance de ces dernières années. Cette reconnaissance favorise-t-elle un regain de liberté ou au contraire vous met-elle davantage la pression ? Nous n’avons jamais eu le sentiment de galérer, nous avons toujours fait ça pour le plaisir. Quand nous jouions dans les MJC, nous n’imaginions pas jouer sur une grande scène, et nous acceptions les concerts qui nous étaient proposés au fur et à mesure avec beaucoup d’enthousiasme. Ce qui explique la durée d’Hocus, c’est peut-être cette passion.
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La formation a été étoffée, et on vous sent dans une approche de plus en plus jazz… Il est vrai que chaque fois que nous avons les moyens, nous faisons venir plus de musiciens pour alimenter le spectacle : des cuivres, à terme des choristes ou d’autres instruments. Ça nous permet d’enrichir les arrangements et de faire évoluer nos compositions. Après la dimension jazz, nous aimerions l’explorer sans forcément nous appuyer sur un nombre croissant de musiciens, mais plutôt dans sa version épurée, en nous appuyant sur la qualité des harmonies et du jeu. Il m’est arrivé de fantasmer un concept-album en quatuor, piano, contrebasse, batterie et voix. Ça ne serait pas forcément un album d’Hocus Pocus à proprement parlé, mais ça pourrait se faire. Pour revenir à la pochette qui fait figurer un puzzle de 16 Pièces, quelle serait éventuellement la pièce manquante ? La pièce manquante, ça serait l’absence de C2C [collectif de quatre DJ’s nantais, ndlr] et les battles de DJ’s, même si on a fait des clins d’œil sur l’album avec DJ Atom et DJ Pfel. Généralement, on consacrait un morceau à C2C, mais là nous avons un album en préparation avec le collectif, c’est pour ça qu’on n’a pas voulu trop en dévoiler sur 16 Pièces. Cette pièce complémentaire arrivera en 2011. D
par emmanuel abela photo : chriss laputt
par emmanuel abela
Les Plasticines, en concert le 13 août, à la Foire aux Vins de Colmar www.foire-colmar.com
The Undertones et Buzzcocks, en concert le 31 juillet Festival Léz’Arts Scéniques www.lezartssceniques.com
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Fiction romance Les Plasticines restent un groupe de scène vraiment très engageant, dans le plus pur esprit de leurs modèles punk, Siouxsie, les Raincoats ou les Slits. Leur passage à la Foire aux Vins devrait confirmer une tendance à la très nette réévaluation de leur talent. Il y a un enthousiasme communicatif chez les Plasticines. Il est amusant de constater à quel point la parole circule entre elles : le point de vue de Marine est complété par celui de Louise, et Katty enchaîne, avant que toutes trois n’éclatent de rire. En trois ans, il paraît évident qu’elles ont gagné en maturité, et pourtant Dieu sait si elles n’ont pas été épargnées par la critique. Le doute s’est-il installé pour autant ? « Non, nous répond Katty, après la première tournée, nous sommes allées à l’étranger, en Suède, en Italie, aux États-Unis et en Amérique du Sud. Après cela, nous nous sommes reposées et nous avons pris du temps pour écrire de nouvelles chansons. Nous ne savions pas comment nous allions le sortir, mais nous avions de quoi enregistrer. » La rencontre avec le célèbre producteur Butch Walker (Avril Lavigne, Pete Yorn, Weezer…) a été déterminante. « Il nous a poussé parfois à faire des choses que nous n’imaginions pas être en capacité de faire », nous explique Louise. Aujourd’hui, les Etats-Unis semblent sous le charme. « Nous sommes très fières d’avoir été les premières à tourner dans un épisode de Gossip Girl, non seulement en tant que jeunes françaises, mais aussi en tant que groupe de filles. » Elles succèdent ainsi à Sonic Youth ou MGMT... Cette aventure ne crée pas pour autant la moindre vocation chez elles par rapport à la télé ou au cinéma. Seule l’idée d’une série qui leur serait consacrée, sur le modèle des cartoons autour des Beatles, pourrait éventuellement les séduire. On a beaucoup de plaisir à les voir ainsi s’extasier : loin des sarcasmes, on sent chez elles une force de conviction nouvelle. Avec une grande lucidité, mais avec ce brin de candeur qui les rend décidément attachantes, elles sont aujourd’hui prêtes à conquérir la Terre entière. D
Une percée dans le brouillard The Undertones et Buzzcocks, deux parcours voisins autour d’une passion commune pour un rock urgent et l’écriture pop héritée de la génération précédente. Le premier n’a quasiment pas cessé de tourner, le second vient de se reformer. Ils sont tous deux programmés au festival Léz’arts Scéniques. Comme eux, on déteste les voitures rapides, comme eux on rêve de romance, y compris sous la forme de fiction. Comme pour eux l’adolescence était marquée par l’ennui, mais comme pour eux nous resterons à jamais des orgasm addicts. Nul autre groupe n’a su mieux retranscrire nos émois que les Buzzcocks, ni symboliser le punk dans ce qu’il avait de plus sensible. En une poignée d’albums, ce groupe a su faire évoluer un son capté dans l’urgence vers une forme élaborée, arty, inspirée par les esthètes british, ouvrant ainsi la voie à la new wave dans ce qu’elle avait de plus romantique. Que ça soit Howard Devoto – de son vrai nom Howard Trafford, étudiant en philosophie –, qui abandonne le groupe dès le premier EP pour fonder Magazine ou Pete Shelley, guitariste et chanteur du groupe, ils ont tous deux inscrit leurs démarches dans la filiation de David Bowie, Roxy Music et même Peter Hammill, renouant avec une tradition dans l’écriture pop qui remonte aux british bands des années 60, très loin de l’éructation primale de leurs amis Sex Pistols. Leur influence reste aujourd’hui déterminante sur bon nombre de jeunes groupes britanniques. Il en va de même pour les Undertones, dont la capacité à combiner urgence et qualité mélodique reste aujourd’hui inégalée ; en témoigne l’hymne qu’ils ont composé à tout juste 20 ans, Teenage Kicks, considéré par le célèbre programmateur de la BBC, John Peel, comme le morceau de sa vie. D
Dernier disque : About Love, Because Music
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par sylvia dubost
focus Raphaël Zarka jusqu’au 5 septembre au Frac Alsace à Sélestat http://frac.culture-alsace.org
Inventaire Artiste résolument urbain, Raphaël Zarka, prix Ricard en 2008, répertorie et observe les formes construites. Il en révèle deux fort surprenantes au Frac Alsace.
Rhombus Sectus, 2009 Film Super 16 transféré en HD, 12’ Courtesy Galerie Michel Rein, Paris et Motive Gallery, Amsterdam Photographie de tournage : Raphaël Zarka
Au commencement, il y avait le skateboard. Du haut de cette planche à roulettes qu’il monte en amateur, Raphaël Zarka observe nos espaces construits. C’est elle qui va déterminer sa pratique artistique. Pour Zarka, les skateurs, se servant de l’architecture et du mobilier urbain, en révèlent les formes bien plus que l’usage quotidien. Le skateboard le lance dans le repérage des formes, qu’il reproduit, photographie et filme. Zarka agit en collectionneur, faisant sienne cette phrase de Borgès : « C’est presque insulter les formes du monde que de penser que nous pouvons inventer quelque chose ou que nous ayons besoin d’inventer quoi que ce soit. » De l’exposition du Frac, qui distille les œuvres avec parcimonie, on retient surtout les deux vidéos, Rhombus Sectus (2009) et Gibellina Vecchia (2010), dans lesquelles il observe avec une extrême lenteur et sous toutes les coutures, deux constructions stupéfiantes : la bibliothèque nationale de Minsk et la sculpture géante Il Grande Cretto d’Alberto Burri. La première, verrue architecturale dominant la capitale biélorusse, reprend la forme du rhombicuboctaèdre, figure géométrique rare à 26 faces, emblématique de la perfection mathématique, que l’on retrouve
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dans le traité De Divina Proportione (1509), écrit par Pacioli et illustré par Léonard de Vinci et que Zarka, en érudit, s’est mis à pister dans le monde entier. Il filme celle-ci en plan fixe, de jour comme de nuit, de près comme de loin, en proposant presque autant de vues que ce rhombicuboctaèdre de 72 mètres de haut, auquel il semble impossible d’échapper où que l’on soit dans la ville, possède de faces. Mais jamais Zarka ne pénètre à l’intérieur. C’est la forme qui l’intéresse, pas l’usage… contrairement au Grande Cretto, dont il observe, avec la même lenteur hypnotique, comment les habitants et visiteurs l’investissent. Ce labyrinthe de béton de 300 mètres sur 400, qui recouvre en l’épousant un flanc de colline verdoyant aux abords de Gibellina en Sicile, renferme les ruines de l’ancien village, détruit par un tremblement de terre en 1968. Un gigantesque pan de terre comme craquelé par la sécheresse, auquel l’homme invente des usages et dont il redessine au quotidien les formes… comme les skateurs avec nos bancs publics… D
par emmanuel abela
focus Shannon Bool & Julien Bismuth, Mind The Gap, exposition jusqu’au 12 septembre au Crac Alsace, à Atkirch www.cracalsace.com
Elle et lui Shannon Bool et Julien Bismuth vivent tous deux à l’étranger – elle à Berlin, lui à New York –, accordent tous deux une importance particulière à la littérature et à la philosophie. Ils exposent tous deux au CRAC Altkirch.
Schneeigel, photogram 21cm x 21cm 2009
The funniest-saddest Sculpture in the World, 2008 2 socles en bois, scénario imprimé, affiches, performance. Courtesy Layr Wuestenhagen, Vienne
Elle, Shannon Bool
Lui, Julien Bismuth
Média : collages, peintures, installations, sculptures.
Média : textes, dessins, collages, sculptures, installations, performances, vidéos.
Démarche : Shannon Bool s’appuie sur l’histoire de l’art et la littérature, effectue des choix iconographiques en fonction de leur charge psychologique, incluant dans ses pièces des figures historiques, bibliques ou mythologiques. Elle a la conviction intime que les sujets ont été épuisés, mais elle compte sur notre regard pour appuyer une interprétation nouvelle, et multiplie pour cela les techniques – les photogrammes, la soie comme support de ses peintures, etc. –, tout en s’accordant la possibilité de l’ornement. Un usage à mettre en parallèle avec les peintures de Gustave Moreau. « Ce que j’aime chez Gustave Moreau, c’est sa manière précise mais excessive d’utiliser les ornements pour créer un monde fantastique. Il essayait toujours de négocier entre extravagance loufoque et émergence des valeurs et idées bourgeoises sur le bon goût, ce qui produit une tension magnifique. » D
Démarche : L’approche de la performance de Julien Bismuth est très construite, scénarisée : Cet ancien étudiant de Paul McCarthy et Richard Jackson à l’UCLA se distingue en cela de la “tradition” du performer qui se lance sans avoir la garantie du résultat obtenu. Cet artiste qui accorde une importance particulière à l’écriture montre le scénario ou le mode d’emploi pour la performance, qui deviennent partie intégrantes de l’œuvre et alimentent un répertoire à interpréter. Certaines pièces exposées, les objets activables, ne constituent que des « supports pour les gestes et les paroles de l’acteur ou de l’actrice. » Au Crac, il présente également des interventions sculpturales, « des pièces très simples, des sortes de saynètes sculpturales, des objets qui interviennent, qui agissent, plus ou moins visiblement, dans le champ du regard du spectateur. » D
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par emmanuel abela
focus Arte Summer of the 60’s, tous les jeudis soirs, du 1er juillet au 26 août L’intégrale du Prisonnier, les samedis du 24 juillet au 28 août arte.tv/summer
Les sixties magnifiées On croit tout savoir sur les sixties, mais très loin des rétros nombrilistes de certaines chaines, Arte offre tout l’été avec Summer of the 60’s une série de programmes qui permet d’avoir une vision claire des bouleversements d’une période essentielle.
Les années 60, âge d’or des baby-boomers, arrivés en âge de penser, fumer et baiser, bref de refaire le monde en s’attachant à des figures leaders qui les entrainent à leur suite. Et quels leaders ! Bob Dylan, Allen Ginsberg, The Beatles, The Rolling Stones, Jean-Luc Godard, Jim Morrison, etc., la liste serait longue de toutes ces personnalités majeures qui façonnent une décennie exceptionnelle en termes de création. Et puis, quel chemin parcouru en quelques années dans tous les domaines, la musique, les arts plastiques, le cinéma, la photographie, la mode, la BD, le design ou l’architecture !
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Arte, dont les programmes “Summer of” pimentent des étés parfois sans saveur, n’avait pas épuisé la somme des documents innombrables sur la période lors d’un premier été 60’s en 2007, 40 ans après le Summer of Love, et remet ça avec une recette qui a fait ses preuves lors des éditions précédentes, les remarquables Summer of 70’s et 80’s : la présentation de Philippe Manœuvre et une programmation d’exception qui mêle films de fiction, concerts, documentaires et rétrospectives thématiques. Les choix sont d’une extrême cohérence, et offrent un panorama complet d’une période qui commence à la fin de la décennie précédente : le rock’n’roll, Elvis Presley – sublime en 1957 ou lors du célèbre show qui marque son come-back en 1968 –, James Dean, les Beatles en concert, Brigitte Bardot, l’avènement du folk-rock au Newport Folk Festival, le jazz dans sa version cool, la british blues invasion, les mods et les rockers, Neil Young, Françoise Hardy, Janis Joplin, autant d’instants marquants qui alimenteront nos disques durs. À signaler la diffusion de Pierrot Le Fou de Jean-Luc Godard – à l’heure où l’on redécouvre À Bout de souffle au cinéma dans sa version restaurée, cinquante ans après sa sortie –, One+One avec les Rolling Stones – Mick Jagger a beau se poser la question de savoir de quoi parle le film, la construction de Sympathy for the Devil à laquelle on assiste reste culte –, l’emblématique Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy et l’intégralité des 17 épisode The Prisoner, la série de Patrick McGoohan, qui a fait récemment l’objet d’une remake. La version originale garde toute sa force d’évocation ; elle continue de nous mettre en garde contre le danger du totalitarisme dans nos sociétés à la démocratie de façade. En cela, elle reste malheureusement d’actualité. « Je ne suis pas un numéro. Je suis un homme libre ! », hurle le prisonnier. Mick Jones, une décennie plus tard, avait beau affirmer « I don’t wanna be the prisoner » dans l’un des plus beaux morceaux punk du Clash, la série nous rappelle que nous sommes tous des numéros 6 potentiels. D
par sylvia dubost
focus Liquidation-tischwelten2 Jusqu’au 3 octobre au CEAAC à Strasbourg www.ceaac.org
Vide-grenier.org Manfred Pernice amasse de la vaisselle et raconte l’histoire de la région à travers les objets du quotidien.
Courtesy Galerie Neu, Berlin, photo : Klaus Stöber
Que d’inventaires, décidément ! Les artistes cesseraient-ils définitivement de tenter d’inventer de nouvelles formes ? Ou estce seulement un hasard de calendrier (voir l’article sur l’exposition de Raphaël Zarka, page 21) ? Dans sa proposition pour le CEAAC, l’artiste allemand Manfred Pernice a choisi lui aussi de travailler sur l’existant, et transforme le rez-de-chaussée du centre d’art en brocante vaisselière. Regroupés a priori par provenance, des assiettes, des verres, des cruchons, des marmites, objets pour la plupart anciens, disposés sur des socles créés spécialement. Manfred Pernice œuvre à la fois en historien et en sculpteur.
Sans cesse en déplacement, comme la plupart des artistes contemporains, toujours entre deux expositions et résidences, il fait de ce mode de vie et de création, où l’artiste doit s’adapter rapidement à de nouveaux environnements de travail, la base du sien. Chaque proposition (ou presque) d’exposition s’appuie sur le territoire ou, comme c’est le cas ici, sur le lieu même où elle sera présentée. En 1900, le bâtiment de l’actuel CEAAC fut, selon les dires de ses propriétaires (les entreprises Neunreiter et Fils) le plus grand magasin de porcelaine d’Alsace-Lorraine. Une région qui, depuis le XIXe siècle, compte un très grand nombre de manufactures de verre, porcelaine et céramique, dont quelques-unes sont encore en activité, mais dont la plupart on fermé. Pernice s’est lancé dans une opération de récolte, réunissant des ensembles cohérents de porcelaine provenant de différents endroits, et pas nécessairement de la région. Y ajoutant commentaires et documents (comme des lettres et cartes postales de Baccarat), il propose une petite histoire de l’objet usuel, une histoire du quotidien, dont les éléments constituent autant d’indicateurs de celle, politique et culturelle, de la région. Et en présentant les (très belles) pièces de la manufacture de Strehla ou les dernières créations de Baccarat comme dans un magasin de vente en gros, il suggère, évidemment, que tout doit disparaître… D
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par stéphanie munier
par stéphanie munier
Eté cour, été jardin, du 20 juillet au 28 août, Taps Scala et Taps Gare, Strasbourg www.strasbourg.eu
Festival Interférences, les 10, 11 et 12 septembre Parc de la Citadelle, Strasbourg www.festival-interferences.fr
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Vous reprendrez bien un peu de Taps ? Les Taps Gare et Scala nous promettent une programmation estivale fraiche, légère et culturelle, parfaite pour accompagner une boule de glace. Il y en a pour tous les goûts cet été au programme des Taps : spectacles jeune public, contes, concerts, musique, chant et lectures musicales sont à découvrir. Au Taps Scala, le ton est donné : « voix en portées » se concentre sur les modes d’expressions vocales et musicales avec les soirées concerts, les mercredis classiques et les lectures musicales qui auront lieu tous les samedis. Ces lectures s’articulent autour de textes pour la plupart poétiques, de Lamartine, René Char, Dostoïevski, Franz Bartelt, Gilles Verdet, etc., lus par des comédiens accompagnés d’un ou plusieurs musiciens. La charge lyrique naturelle des textes se trouve renforcée par la diction des lecteurs et l’ornementation musicale. Avec les mercredis classiques, le romantisme et Robert Schumann sont à l’honneur pour le bicentenaire de la naissance du compositeur. Parmi les artistes invités on retrouve le quatuor AMA et sa création a capella, Miroir(s), parcours polyphonique dans lequel Renaissance et Romantisme se font écho. Les soirées concerts du mardi sont un véritable voyage à travers le monde, où jazz, répertoire yiddish, rock, chanson française et musique traditionnelle africaine se rencontreront. Le Taps Gare sera entièrement dédié aux enfants dès 3 ans. Les spectacles s’enchaineront tous les mardis sur les thèmes de la magie, de la musique, de l’environnement ou encore de la nuit. « La scène aux enfants », jamais trop jeunes pour découvrir le théâtre ! D
Illustration : Diz&Dard – French Co
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Get up and dance Fans de punk, métal, hardcore, scratch, mix et hip-hop ont rendez-vous pour trois jours de concerts détonants. Une programmation éclectique et internationale pour ce festival qui fête son deuxième anniversaire ! Le Festival Interférences reçoit du beau monde. L’américain DJ Q-BERT, grand maître du turntablism (« l’art de créer de la musique grâce aux platines et aux disques vinyles »), meilleur scratcheur du monde et invité d’honneur du samedi, évolue depuis déjà plus de quinze ans sur les platines internationales. Quant à Mad Professor, rien de moins que le mixeur de Massive Attack et Depeche Mode, il est le chef de file du dub anglais depuis les années 80 et le créateur du label Awira. Ces grands noms des scènes urbaines seront accompagnés de groupes internationaux, comme les Inner Terrestrials, formation punk ska reggae londonienne au message humaniste ; nationaux – avec Eklips, beatboxer parisien qui présente son « Crazy show » avec DJ Nelson, vice champion du monde DMC 2009 – ; mais aussi de nombreuses formations locales, parmi lesquelles on retrouve Skannibal Schmitt (un big-band punk amateur de ska), Absurdity (des métalleux récemment signés sur le label Believe) ou encore Cold Steel et son hardcore passionné. Des animations autour du graff, des jeux et des projections de courtsmétrages accompagnent les concerts, et pour tous ceux qui aimeraient faire partie de la programmation 2011, de nombreux ateliers de scratch, beatbox, MAO (musique assistée par ordinateur, pour les intimes), slam, et percussions seront proposés gratuitement. D
par stéphanie munier
par stéphanie munier
Paris-Karlsruhe-Berlin. Vents d’est et d’ouest Collection Würth et prêts Du 4 juin 2010 au 9 janvier 2011 à Erstein www.musee-wurth.fr
François Morellet, Mes images, exposition du 12 juin au 11 octobre MDAAC, Epinal www.vosges.fr
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Blowing in the wind Axel Heil met en lien les productions artistiques nées des échanges entre Paris, Karlsruhe et Berlin : 170 œuvres d’une cinquantaine d’artistes, réalisées entre 1904 et 2010. Artiste reconnu, auteur, producteur, professeur à l’Académie des Beaux-arts de Karlsruhe, Axel Heil s’intéresse depuis longtemps déjà à la scène artistique de l’Allemagne du sud-ouest. Sa position centrale d’observateur in situ lui a offert la possibilité de mettre en place une exposition étonnante aux multiples angles d’accroche. Il y révèle les premières conclusions des recherches qu’il mène depuis des années sur ce thème. Cette exposition est née de l’observation des échanges artistiques continus qui ont eu lieu entre Paris, Karlsruhe et Berlin. De Karlsruhe vers Paris ou Berlin et vice versa, ces nombreux croisements ont nourri un renouveau profond de l’œuvre de ces artistes-voyageurs, et le développement à travers les époques d’un profil artistique sans commune mesure dans cette région de l’Allemagne. Les échanges entre artistes de renommée internationale, attirés par le prestige de l’Académie des Beauxarts, ont donnés à Karlsruhe un profond dynamisme et un éclat certain. Les influences, palpables, qui en résultent, sont également au cœur de cet accrochage. Parmi les artistes qui forment cette impressionnante rétrospective, on retrouve Lambert Maria Wintersberger, Lothar Quinte ou encore David Hardy, dit le Suisse-Marocain, ancien étudiant de l’Académie. D
Morellet fait de la figuration C’est un accrochage totalement inédit que propose le Musée départemental d’art ancien et contemporain d’Epinal. Plus de 50 œuvres qui posent un regard nouveau sur le travail de l’artiste. Ce qu’on connaît généralement de François Morellet, c’est son travail sur l’abstraction géométrique – précisément autour du carré – et son utilisation de séries mathématiques ou aléatoires. Cet artiste abstrait et minimal, adepte de la rigueur constructiviste, nous montre ici une nouvelle facette de sa personnalité artistique, pleine d’humour, ironique et décalée. Selon le souhait de Morellet, cette exposition est centrée sur le détournement de l’image, avec une sélection de peintures, dessins, installations et pièces lumineuses qui mettent en avant un aspect plus figuratif de sa production. Bien que l’abstraction soit au centre de sa démarche artistique depuis 1950, l’image a toujours lié une grande partie de l’œuvre de François Morellet. Sa Projection sur un écran déformé par le spectateur – projection de la Joconde de Léonard de Vinci sur une toile flottante déformée à l’aide d’un ventilateur – en est un exemple. Au fil de l’exposition, on retrouve certaines pièces rarement exposées depuis leur création, associées à des œuvres connues et à une installation imaginée spécifiquement pour le musée. Pour accompagner cette exposition, le musée propose un concert exceptionnel. Drumming de Steve Reich, une œuvre majeure de l’un des pères du minimalisme, qui semble avoir été composée pour faire écho au travail de François Morellet. D
Rainer Küchenmeister Sans titre (Figuration gelb/ultramarin), 1970 Aquarelle et encre de Chine sur carton 45 x 30 cm Collection Würth, Inv. 10955 © Rainer Küchenmeister Photo : droits réservés
Lunatique couleurs hasardeuses n° 3, F. Morellet, 1996, atelier de l’artiste, courtesy F. Morellet et Galerie Art Attitude Hervé Bize Nancy © ADAGP, Paris 2010
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par emmanuel abela
par stéphanie munier photo : jean-claude kanny – Moselle tourisme
Fables de l’Imaginaire, un dialogue en Meuse entre patrimoine et art contemporain, jusqu’en décembre www.fraclorraine.org
Du Pater Europae aux Pères de l’Europe : Histoire du Prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle (1950-2010), du 19 mai au 30 août Robert Schuman bibliophile, du 11 septembre au 31 octobre Maison Robert Schuman à Scy-Chazelles www.cg57.fr
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À la lisière du fantasme Confronter visuellement le patrimoine à l’art contemporain, voilà une démarche qui révèle le lien intime qu’on entretient à la création à travers les siècles, tout en nous transportant dans un univers à la lisière du fantasme. Comme dans les plus beaux contes, le voyage que nous propose Fables de l’Imaginaire sous la forme de quatorze propositions imaginées par le 49 Nord 6 Est – Fonds Régional d’art contemporain en collaboration avec les partenaires culturels locaux n’exclut pas les situations incongrues : comme dans les plus belles associations maniéristes, symbolistes ou surréalistes, le bizarre et le merveilleux alimentent la poésie d’un itinéraire troublant. Bar-Le-Duc, Commercy, Étain, Lahaymeix, Montmedy, Saint-Mihiel, Sampigny, Stenay, Vaucouleurs et Verdun, autant de villes pour une typologie diversifiée de lieux et d’espaces : des musées, des collèges, une chapelle, une citadelle, accueillent de la photographie, de la vidéo et des installations issues des collections du Frac Lorraine, afin que le public puisse se les approprier différemment. Les regards entre les collections se croisent, les décalages se créent, les associations visuelles se multiplient, les ponts sont jetés entre les artistes, les périodes et les styles. Ainsi, les portraits de Suzanne Lafont rencontrent-ils les peintures classiques des collections permanentes du Musée Barrois à Bar-Le-Duc, ainsi les vidéos d’Édith Dekyndt investissent-elles l’espace de l’Office du tourisme, ainsi les pièces en céramique Les Îles de François Génot trouvent-elles naturellement leur place dans le Musée de la Céramique et de l’Ivoire de Commercy, et ainsi de suite… D
Rencontres européennes La Maison Robert Schuman, lieu fondateur de la politique européenne, est aujourd’hui un lieu culturel et pédagogique qui n’a pas perdu de vue sa vocation première. La Maison Robert Schuman accueille une rétrospective consacrée au Prix Charlemagne, qui récompense depuis 60 ans les personnalités politiques qui ont œuvré pour l’Europe. Six espaces permettent de retracer l’histoire de cette distinction, depuis ses origines jusqu’à son développement actuel. Sont présentés des portraits des lauréats du prix, des documents d’archive : télégrammes, discours… La remise de cette médaille à Robert Schuman en 1958 est plus particulièrement mise en lumière. Pour célébrer le 14 juillet, un concert-promenade est proposé, à l’auditorium et dans les jardins, ainsi qu’à la Chapelle Saint-Quentin. Les jeunes musiciens du centre de formation Acanthes, ainsi que les élèves et stagiaires du Conservatoire de Metz permettront aux visiteurs de découvrir la Maison Robert Schuman sous un angle musical. Une visite horticole du potager, reconstitué selon la structure de l’ancien jardin, aura lieu le 25 juillet. L’occasion de découvrir l’exposition Caricatures, dédiée aux dessins humoristiques autour de l’Europe depuis la Révolution française. L’exposition Robert Schuman bibliophile rendra enfin hommage à la passion du père de l’Europe pour les livres. Des ouvrages et des autographes rares et précieux seront présentés, dont un incunable de la fin du XVe siècle et un poème écrit de la main de Verlaine. D
Bibliothèque de Robert Schuman
Fables de l’imaginaire, juin - déc 2010 / Meuse François Génot, Junga N°6, 2010. Prod. Frac Lorraine Citadelle de Montmédy © F. Génot
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L’espace, la ligne, la surface et la structure Par sandrine wymann et bearboz
Le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg consacre une exposition The Missing Part à Richard Deacon, l’un des artistes emblématiques de la dite génération des « sculpteurs anglais ». Ce groupe d’artistes, aujourd’hui reconnu comme fondateur d’une nouvelle ère de la sculpture, est généralement présenté comme issu d’une triple conjoncture : un enseignement britannique original et riche à la fin des années 60, une décentralisation française au début des années 80 qui leur a donné de nombreuses opportunités d’exposition et enfin leur propension à élargir, dépasser la notion de sculpture. Ainsi a-t-on vu les Richard Long, Barry Flanagan, Tony Cragg, Hamish Fulton ou David Trelmett exposer aux quatre coins de la France et s’imposer dans un paysage artistique où l’intérêt pour la sculpture résultait d’une approche nouvelle : elle prenait la valeur à la fois d’un processus, d’une performance et d’un objet. A partir de 1982, les tout nouveaux Fonds Régionaux d’Art Contemporain (FRAC) les ont accompagnés non seulement en leur consacrant plusieurs expositions thématiques ou monographiques mais également en les accueillant dans leurs lieux de production attenants.
Nombreux sont ceux qui ont fréquenté et travaillé dans les ateliers de l’Abbaye de Fontevraud, ateliers du FRAC Pays de la Loire, haut lieu de résidence d’artiste avant même que ce principe de séjour et de travail ne prenne l’ampleur qu’on lui connaît actuellement.
De 1969 à 1970, Richard Deacon a fréquenté la célèbre Saint Martin’s School à Londres et ses années de formation ont posé les conditions d’une nouvelle sculpture. L’exposition strasbourgeoise fait la part belle aux documents qui retracent cette période d’apprentissage. Ils révèlent un Deacon performeur, organisé, pour lequel le matériau avait déjà une importance première. Sur les toits de l’école, en deuxième année, il a organisé une performance dans laquelle il prenait un engagement officiel envers les matériaux. Pendant ce même temps, il écrivait des manifestes, étudiait, photographiait sur les thèmes de la ligne, la surface, l’espace et la structure. En 1969 il a réalisé à Taunton I don’t want (to be alone anymore) une performance sculpture. Une série de photographies, présentées dans l’exposition, retrace une marche à travers la ville de plusieurs personnes portant les parties constitutives d’une sculpture reliées par une corde. La sculpture était déjà chez le jeune Deacon de 20 ans un objet en mouvement, un tout fait de pleins et de vides, unitaire et multiple.
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The Missing Part, Richard Deacon du 5 juin au 19 septembre 2010, au MAMCS – www.musees-strasbourg.org
Si l’approche rétrospective de The Missing Part permet au visiteur de mieux mesurer la complexité de l’art du sculpteur et surtout l’envergure de sa réflexion, d’autres salles consacrées aux dessins, aux études et à des pièces de taille modeste font état du travail de recherche et de questionnement de l’artiste. Chez Richard Deacon, la sculpture passe par des phases qui lui permettent de définir des formes, des tracés. Une première série datée de 1995-1996 réunit un ensemble de dessins à la mine de plomb et à l’encre sur papier. Les formes produites sont organiques, multiples et répétitives. À la recherche d’une essence, d’une évidence qui le mène plus souvent au vide qu’au plein, à l’absence qu’à la matière, Richard Deacon définit à travers ses séries une sorte de vocabulaire simple et mesuré, en témoigne cette autre suite de 2004-2005, «Alphabet». Dans ces dessins au graphite sur papier, il énumère feuille après feuille des modules géométriques d’une construction plus ou moins complexe et tracés à la règle.
La nature lui souffle formes, couleurs et mouvements et ainsi l’ensemble des sculptures, rassemblées dans une même grande salle du musée, apparaissent comme un aboutissement. Toutes et chacune se regardent comme les pièces à travers lesquelles il ose défier l’ordre naturel, en dépit de ce qu’il impose. Richard Deacon ne se refuse rien. Ni la marqueterie, ni l’orfèvrerie.
Son travail préalable, ses préparations et études lui permettent d’engager une construction d’une précision remarquable. Dans chacune des œuvres le processus d’élaboration, les éléments de sa fabrication sont apparents. L’artiste les revendique, les soigne et les peaufine : les sculptures de Deacon sont imposantes et magistrales, leurs détails sont rigoureux et soignés. Minutieusement assemblés, travaillés, modelés, les matériaux semblent toujours être menés à leurs limites physiques. Des années après ses premières performances qui se déroulaient dans des périmètres définis, les sculptures délimitent à leur tour un espace, mais dans un cas comme dans l’autre, le jeu comme la forme, cernent un vide que l’artiste revendique en tant que matière, au même titre que le bois, le métal, le plastique ou la terre glaise. Le petit journal qui accompagne l’exposition révèle que c’est l’artiste lui-même qui a procédé à l’installation de ses œuvres. Regroupées pour la majorité dans une même salle, elles semblent ensemble, comme à l’échelle individuelle, jouer de cet immense espace et lui imposer un mouvement, une forme, une perturbation. Richard Deacon sculpte le vide, fait apparaître la part manquante, “the missing part”.
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Rencontre à l’occasion de la venue de Mathieu Amalric au cinéma Star à Strasbourg, le 18 juin.
UN HOMME, UN VRAI par philippe schweyer
photos : pascal bastien
Rencontre avec Mathieu Amalric, réalisateur de Tournée, film fiévreux et mélancolique récompensé à Cannes par le Prix de la mise en scène. Découvert en 1995 dans Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) après un premier rôle dans Les Favoris de la lune de 0tar Iosseliani, Mathieu Amalric occupe une place à part dans notre panthéon cinématographique. Acteur atypique, il a réussi, sans trop forcer, à susciter du désir bien au-delà du cinéma d’auteur français (Spielberg est venu le chercher pour jouer dans son Munich et on lui a offert le rôle du méchant dans le dernier James Bond). D’un film à l’autre, c’est lui que l’on guette dès qu’il entre dans le plan. Acteur presque malgré lui, il est resté ce garçon au regard halluciné, à l’élocution précise, capable de faire basculer un film par sa seule présence. Pourtant, malgré une série de rôles marquants, notamment chez Desplechin et les frères Larrieu, Mathieu Amalric ne cesse de répéter qu’il se sent davantage réalisateur qu’acteur. Après Mange ta Soupe (1997), Le Stade de Wimbledon (2001) et La Chose publique (2003), il s’affirme un peu plus dans ce rôle-là avec Tournée qui rappelle le meilleur cinéma des années 70 et sur lequel plane l’ombre de Cassavetes, maître absolu dans l’art de mélanger amour, ivresse, fantaisie, tabagie, petites trahisons et grosses dépressions. Interprète pour la première fois d’un de ses films, Mathieu
Amalric s’est résigné à incarner lui-même Joachim Zand, producteur de télévision reconverti dans l’organisation de la tournée d’une troupe américaine de New Burlesque (du striptease chorégraphié mêlant humour, satire et sens de l’excès). Au-delà des numéros exécutés à la perfection par des filles plantureuses comme on en a trop peu vues au cinéma depuis Fellini, la réussite de Tournée réside dans la maestria avec laquelle Amalric filme la fuite en avant d’un personnage au bord du gouffre, comme l’était peut-être Humbert Balsen, producteur regretté dont Amalric évoqua la disparition lors du dernier festival de Cannes. Plus rock et plus subversif qu’on ne l’imaginait, Amalric se souvient à juste titre qu’il faut faire un film comme on fait un casse. Au-delà des paillettes et du show, sa comédie masque une invitation sérieuse à davantage de désobéissance (non à la musique d’ambiance qui casse l’ambiance, non aux uniformes qui formatent les esprits !). Au final, en filmant au plus près des corps non formatés et en incarnant un personnage au bord de la rupture, Mathieu Amalric appuie, avec doigté, exactement là où ça fait mal. Et ça fait du bien !
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Photo : Nicolas Guérin / Le Pacte
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Joachim Zand, votre personnage, est constamment en déséquilibre. S’il s’arrête, on a l’impression que toute sa vie va se casser la gueule. Est-ce que ça faisait partie des objectifs du film de montrer ça ? Oui, il y avait ça dans L’Envers du music-hall, le texte de Colette que je traînais depuis longtemps et ça résonne également avec la vie de producteurs que j’ai pu croiser. Il y a aussi des choses plus intimes, comme d’être complètement attiré par le mouvement et en même temps de toujours espérer trouver une maison pour se construire sa famille, qui n’est pas forcément celle que l’on a.
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Dès le générique, le film est boosté par la musique des Sonics… On a écrit en écoutant des choses très rock. On a notamment beaucoup écouté les White Stripes, des musiques pour se donner du rythme. Ensuite, j’ai demandé à toutes les filles de me donner des CD de ce qu’elles écoutaient pendant qu’elles s’échauffaient. Elles s’échauffent pendant deux heures : ce sont vraiment des professionnelles ! C’est comme les Américains, on croit que ça se fait tout seul, mais il faut deux heures d’échauffement pour arriver à faire le spectacle. Alexander Craven/Roky Roulette (le seul strip-teaser sur bâton à ressort du
monde !) m’a donné un disque avec plein de chansons dont celle des Sonics (Have Love Will Travel) qui est la musique que l’on entend au début sur le générique. Toutes les autres musiques sont celles dont les filles se sont inspirées pour faire leurs numéros. La façon dont Joachim devient insupportable pour ses amis rappelle votre personnage dans Un Conte de Noël, le film d’Arnaud Desplechin. Une fois de plus vous vous faites casser la figure ! J’ai un goût pour ça. Même si vous faites un gros plan, vous jouez avec tout le corps.
« C’est parce que l’on formate les corps, que l’on va finir par formater l’esprit. »
Ça raconte un truc qui m’amusait beaucoup : le sentiment de passer son temps devant des guichets derrière lesquels il y a des gens en uniforme. Des nomades traversent la vie des sédentaires… Quelles traces ça laisse ? C’est comme lorsque l’on est enfant et qu’il y a un cirque qui passe. J’aime ce cliché de vouloir partir avec le cirque qui vient de passer. La rencontre de votre personnage avec la caissière de la station-service est troublante. On a tous vécu des moments en suspension comme celuilà. Un regard suffit à nous faire croire que la vie peut basculer, mais rien ne se passe… C’est comme dans la chanson de Brassens Les Passantes ou le poème de Baudelaire (À une passante). Le poème de Fargue, en fait. Je pense que c’est aussi lié à ce qu’est l’aventure aujourd’hui. C’est compliqué pour nous. Avant il y avait les chevaliers, les auberges, la guerre, le cheval était fatigué, il y avait des gros poulets… Mais qu’est-ce qu’il nous reste comme croisades et comme westerns ? En fait, il ne nous reste pas grand-chose, il nous reste l’autoroute ! C’est pour ça qu’il y a beaucoup de gens qui rêvent de devenir routiers, alors que c’est vraiment le métier le plus terrible qui soit.
C’est toujours physique de jouer avec tout le corps. C’est ce qui m’amuse d’ailleurs. Je n’arrive plus à faire la différence entre la tête et le corps. C’est aussi ce qui me touche chez les strip-teaseuses du film. C’est parce que l’on formate les corps, que l’on va finir par formater l’esprit. Dans le film, il y a une hôtesse de l’air, une caissière de station-service, une caissière de supermarché, le personnel de l’hôtel… Beaucoup de personnages sont en uniforme et en même temps c’est un film sur des filles qui se mettent à poil.
Votre personnage est constamment borderline, mais c’est la caissière du supermarché qui pète un plomb. Est-ce que cela peut arriver que des gens tout d’un coup se disent : « Ça y est, il faut que je fasse mon show moi aussi » ? J’ai ressenti ça en allant voir les shows des filles. La contagion que provoquent ces shows est spectaculaire. Beaucoup de femmes nous disaient que le spectacle devrait être remboursé par la sécurité sociale ! Pour le film, je voulais que ça vire. Parce que ça me fait rigoler et que je voulais que l’histoire d’amour commence très mal. L’admiration qui vire en colère, j’ai pu remarquer ça assez souvent. Et évidemment, tout de suite il y a le mot pute qui arrive. Les filles adorent jouer avec ça. Elles déstabilisent énormément les hommes avec ça. Parce que les hommes ne savent pas très bien comment les attraper, comment les comprendre… C’était intéressant pour mon
personnage de savoir comment exister au milieu de ces femmes. Il fallait forcément accentuer ses reflexes de virilité masculine. Il est en danger, donc il en rajoute. Oui il a vu trop de films américains des années 70. Oui il croit que s’il faut parler aux filles, c’est classe de le faire au micro parce que Cosmo Vitelli fait comme ça [dans Meurtre d’un bookmaker chinois de Cassavetes]. J’ai assumé totalement. Et la moustache, c’est pour ressembler à Paulo Branco [le producteur avec lequel Mathieu Amalric a travaillé comme assistant sur des films de Tanner et Monteiro et dont il dit que le courage, la folie et la résistance sont des boussoles pour lui, ndlr]. C’est lui qui devait jouer. Ce n’est que trois semaines avant le tournage que l’on a décidé que ça serait moi, ce qui m’a protégé pour être le personnage. Comme ça m’a aidé de me vieillir un peu, de me blanchir légérement les cheveux et de mettre les costumes… Dans quelle mesure Jean-François Bizot a-t-il lui aussi inspiré votre personnage de producteur ? Je ne l’ai pas bien connu contrairement à Philippe di Folco qui a beaucoup travaillé à Nova. C’était terrible parce qu’il est mort pendant qu’on écrivait le film. Philippe me racontait comment il était. Pas provocateur, mais cash ! Il était capable de prendre des risques… Ce qui est une manière de réussir sa vie. Votre personnage essaye en vain de lutter contre les musiques d’ambiances omniprésentes qui pourrissent la vie de tout le monde. Oui, ceux qui les subissent n’ont pas le contrôle. Ulysse, l’assistant, est plus vrai que nature… C’est le fils de Nicolas Klotz, le réalisateur de La Question humaine, qui joue le rôle. J’ai toujours eu envie qu’il y ait un eunuque dans le film, un jeune homme asexué. Les filles se moquent de lui jusqu’à la scène où il joue de la guitare. Je m’identifiais énormément à Ulysse, en repensant à ce moment assez déséquilibré qui commence vers douze ou treize ans où les jeunes filles grandissent beaucoup plus vite que nous. Ulysse est un très bon musicien. Il fait aussi les musiques des films de son père avec Syd Matters. Dans le film, vous allez à Bordeaux et vous vous retrouvez sur l’Ile d’Aix. Ce n’est pas très cohérent… Non, ce sont les autres qui sont à Bordeaux. Ils ont pris le train. Tout est cohérent, j’ai même les horaires de train !
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On passe directement du port de La Rochelle au théâtre de Rochefort… On a mélangé deux villes, oui ! Imagine pour les gens de Nantes et Saint-Nazaire, c’est pareil. L’extérieur qui est à Saint-Nazaire et l’intérieur qui est à Nantes. L’intérieur du Royal le club du Havre, on l’a tourné à Nantes… L’affiche de Christophe Blain est très réussie. Il faut s’occuper de l’affiche à l’avance. Avec Jean Labadie (le distributeur), on fait le film ensemble. Il adorait Tomi Ungerer, mais il n’était pas sûr de l’idée du dessin. Moi j’avais envie de demander à Christophe de faire quelque chose. Pourquoi laisser tomber l’affiche ? Pourquoi est-ce que tout le monde s’occupe de l’affiche deux semaines avant la sortie ? Ensuite, on a des conneries dont personne n’est content et tout le monde dit que c’est la faute du distributeur, qu’il n’y avait pas le temps. Au bout d’un moment, on sait comment fonctionne la machine. Qu’il faut s’occuper de la bande-annonce… Même le dossier de presse, c’est moi qui l’ai écrit. C’est ce que j’aime dans le cinéma, tous ces métiers artisanaux… Dans Tournée, il y a une apparition de André S. Labarthe en patron de cabaret. Dans votre premier film Mange ta soupe, vous aviez confié un rôle à l’écrivain d’origine alsacienne René Nicolas Ehni. Comment l’avez-vous connu ? L’histoire de la carte postale dans Tournée, ça vient de René. C’est un souvenir d’enfance avec René à Eschentzwiller. Vous connaissez Eschentzwiller ? Oui bien sûr ! Bernwiller aussi… J’ai passé plein de temps là-bas. Mes parents m’envoyaient chez René en vacances et c’était dément. C’est comme si je vivais Honkytonk Man ! Des parents qui envoient leur gamin chez René Nicolas Ehni, c’est étonnant… J’ai vécu des trucs déments. Je raconte ça dans le film : toute l’histoire de la carte postale. Quand je dis « N’écris pas ça, écris des choses à toi, ce que t’as vu », c’est René qui m’a fait ça. La transmission elle est là. Parce que je mettais « Cher papa j’ai bien dormi, il fait beau » il me disait « Shiessa ! Mais qu’est-ce que c’est ça ! Ecris des choses à toi ! » Et il l’a mis dans son roman, celui où l’on voit le tableau de Jean-Paul en couverture avec le clocher d’Eschentzwiller. En découvrant la liste des choses que j’avais vues sur la carte postale, il m’a dit : « Ah c’est magnifique, c’est beau… ». Il m’a appris à regarder avec les yeux et à ne pas faire ce que tu crois que tu dois faire. Obéir, désobéir. Comme le truc de la musique dans le film. Le truc de la musique, c’est parce que Joachim fait des tests pour voir jusqu’à quel point les gens sont capables d’obéir. Aujourd’hui c’est tellement dur… Tu ne peux pas prendre le risque de désobéir. Et pourtant les gens continuent à le prendre. Quand on tournait dans les hôtels Mercure, ce n’était pas du tout l’ambiance que
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« Il faut faire chaque film comme un casse. Faire de la politique sans le dire… » l’on montre dans le film. C’était le boxon intégral ! Ils étaient contents d’être avec ces femmes et ils pleuraient quand on partait ! Êtes-vous resté en contact avec René Nicolas Ehni ? Ça fait un moment que je ne l’ai pas vu. Il est en Crète… C’est une figure de mon enfance que je ne peux pas oublier ! Dans la lettre d’intention que j’avais envoyée au CNC, je parlais de René. Dans le scénario, le tout premier personnage s’appelait René. René aussi est une source… Il était locataire de mes parents rue Broca, là où je suis né à Paris. Il vivait avec Jean-Paul, un très beau blond. Et il y avait aussi un singe, je me souviens… Après, mon père qui était correspondant pour Le Monde est parti à Washington. J’avais cinq ans. C’était René qui habitait là. Je parle des années 70. Et comme il n’a jamais payé le loyer, ils sont devenus amis. J’ai relu La Gloire du Vaurien : ça tient totalement la route. Babylone vous y étiez, nue parmi les bananiers est très étonnant. Il y a quelques années, vous avez collaboré avec l’artiste contemporain Martin Le Chevallier… Ah oui, pour Le Papillon, une œuvre interactive que je n’ai jamais vue. J’avais 43 vies. À tourner, c’était très chiant. Ce n’est pas un chaleureux le mec, mais ce qu’il fait est très intéressant. Il est pile dans les bonnes questions. Il n’est pas sympathique, mais on s’en fout. Malgré lui, je pense que les intellectuels sont les gens avec lesquels on s’amuse le plus. Ce sont des gens curieux, des gens marrants. Bien sûr ils sont parfois inhibés, mais on peut être inhibé et chaleureux. Dans le film, il y a une symétrie entre le personnage d’Evie, qui n’arrive pas à montrer ses seins, et la caissière qui devient brutalement haineuse parce que vous ne voulez pas qu’elle vous montre les siens. Ça, je peux le vivre. Rarement tout de même. J’ai aussi vu ça au cinéma, mais je ne me souviens pas dans quel film. J’ai vraiment
vécu la contagion que provoquent ces numéros. Je suis allé voir plein de shows et à chaque fois je regardais les gens à la sortie. Notamment des femmes à Nantes qui découvraient cet univers et qui sortaient de là dans un état incroyable. Des femmes qui ont les corps que l’on arrive à peu près à avoir dans la vie. Ce qui est beau, c’est que maintenant que je suis en tournée avec le film, j’écoute les débats et au café j’écoute les gens. Et le film, les gens l’inventent. Et on est très surpris. Les distributeurs sont très surpris, les exploitants sont très surpris. Il y a énormément de jeunes aux projections. Des jeunes filles m’ont dit un truc auquel je n’avais jamais pensé. Elles m’ont dit que si ça leur faisait tellement de bien, c’était parce qu’elles étaient d’une génération qui n’a connu que Photoshop. Tous les corps que l’on nous montre sont lissés, parfaits. Tu as l’impression d’être dans la série Le Prisonnier ou dans le Truman Show. Tout d’un coup elles se disent qu’elles savaient bien que ce n’était pas la vraie vie ! Mais elles n’ont connu que ça. Forcément tu imagines le diktat inconscient qui en découle. J’ai essayé de raconter ce que ça coûte aux femmes que l’on voit dans le film de garder ce corps-là. Il y a une misère sexuelle terrifiante. D’où la scène des toilettes. Il y a une solitude absolue. Elles sont parfois très mal mariées. Je le sentais. Je le sentais en tant que femme… Quand je me fais femme, je le sens. Ce n’est pas très compliqué. Et puis, c’est pareil pour les garçons maintenant. On a les revues qu’il faut et ça ne se limite pas au corps. Pour les hommes, la torture c’est de lire Management ou Capital ! On n’est pas obligé de lire ça, non plus… C’est là devant toi en permanence ! Tu n’as pas besoin de le lire. Tu essayes de ne pas le lire, mais c’est tout le temps là (Il sort une page de Libé pliée en quatre de la poche de sa veste). Tout à l’heure, je lisais ce texte du directeur de France Télécom : “L’entreprise doit avoir l’ambition du bien-être”. Tu l’as lu ça ? Mais c’est fascinant ! Ça fait peur… C’est pareil que ce qu’on demande aux femmes pour leurs corps. Les hommes, on les touche dans la tête. Il faut faire chaque film comme un casse. Faire de la politique sans le dire… i
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météo, festival du 12-28 août, à Mulhouse www.festival-meteo.fr
Arto Lindsay et Jean-François Pauvros, le samedi 28 août au Noumatrouff dans le cadre du festival météo
Il n’est pas évident de retracer le parcours d’Arto Lindsay, le guitariste généreux qui a participé aux projets jazz les plus avant-gardistes depuis la fin des années 70. Une tentative cependant en quatre morceaux choisis.
Notebook for Arto par emmanuel abela
photo : anja-jahn
Egomaniac’s Kiss Il est sans doute l’un des membres éminents de la scène no wave new-yorkaise. En tant que fondateur du trio DNA, Arto Lindsay impose ses stridences aux côtés d’Ikue Mori à la batterie et Robin Crutchfield aux claviers sur la célèbre compilation No New York, initiée et produite par Brian Eno en 1978. Outre le fait qu’elle révèle cette scène au monde entier, cette sélection de quatre groupes – Contortions, Teenage Jesus and the Jerks et Mars – publiant chacun quatre morceaux a un impact considérable sur les artistes des années 80, parmi lesquels les chefs de file Sonic Youth et Blonde Redhead – dont le nom est justement emprunté à un morceau de DNA. Ce groupe formé fin 77 n’a sorti qu’une poignée de singles et fait des apparitions, notamment sur les compilations des Disques du Crépuscule, mais il reste emblématique d’une génération d’artistes pop en rupture, prêts à en découdre d’un
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point de vue sonique, qui privilégient les formes courtes, extrêmes et sensibles. Arto Lindsay, à la maigreur effrayante, s’impose comme une figure incontournable, dont le jeu de guitare évacue le groove – ou le décompose en fragments épars – pour atteindre une forme de noirceur expressive et reconnaissable entre mille.
Incident on South Street Au début des années 80, Arto Lindsay rejoint les Lounge Lizards des frères John et Evan Lurie, et enregistre à leurs côtés un album marquant. L’album produit par Theo Macero fait la part belle au jazz traditionnel, tout en lui ouvrant des voies nouvelles. Pour l’occasion, il associe sa guitare – pour des (non-)soli décapants – à la batterie d’un autre artiste pop d’exception, le batteur Anton Fier, connu pour sa contribution au premier album des Feelies. Souvenons-
nous, les bien nommés Crazy Rhythms ! À ses côtés, il participe également aux trois enregistrements des Golden Palominos, entre 1982 et 1986, une super-formation à géométrie variable qui a compris des participations exceptionnelles de Fred Frith, Bill Laswell, John Zorn, mais aussi Carla Bley, Richard Thompson, Peter Blegvad et même John Lydon, pour des résultats parfois inégaux. Certains de ces musiciens avec lesquels il joue sur ses projets d’envergure vont constituer les membres d’un réseau fidèle : John Zorn notamment, l’associe à ses reprises de Ennio Morricone, ou des pièces avant-gardistes telle que Spillane – dont Arto Lindsay signe le texte – ou l’exigeant Locus Solus.
Beija me Comme bon nombre d’artistes newyorkais, Arto Lindsay explore le funk blanc, dans une version décharnée, mais non dénuée de sensualité, marchant sur les traces des Talking Heads dès les premiers enregistrements des Ambitious Lovers, un projet personnel qu’il développe avec le clavier Peter Scherer. À la fin des années 80, il se rapproche de Caetano Veloso – dont il produit le sublime Estrangeiro –, et n’hésite pas à placer quelques ballades brésiliennes, y compris sur Der Mann im Fahrstuhl, la pièce que compose Heiner Goebbels sur un texte de Heiner Müller. Lui, qui est né aux EtatsUnis, mais qui a grandi au Brésil, devient l’un des producteurs les plus appréciés dans le pays, au même titre que David Byrne, qui manifeste les mêmes affections musicales et avec lequel il collabore régulièrement. « Le Brésil était proche. Il me semble naturel
d’écouter et d’aimer tout type de musique, les Beatles, le folk jusqu’à John Cage. C’est sans doute pour cela que je suis ce que je suis. », affirme-t-il avec emphase en introduction de son album Noon Chili en 1997, non sans faire un joli clin d’œil aux Os Mutantes, dont l’esprit d’ouverture et d’aventure constitue un modèle pas si éloigné.
Neural Highways Malgré une suite d’enregistrements de chansons jazz, qui nous font apprécier la dimension câline d’une voix feutrée – très loin de l’éructation des débuts –, Arto Lindsay ne semble pas assagi pour autant. En témoigne cet enregistrement de l’automne dernier, avec le guitariste Marc Ribot, le rappeur Mike Ladd et le producteur Seb El Zin, sous le nom d’Anarchist Republic
of Bzzz : toute la force subversive, voire crypto-terroriste, de l’esprit no wave s’y trouve concentrée, les guitaristes dressant une muraille de barbelés soniques autour de la parole acide, avec un phrasé typically “spoken word” du rappeur. La compression est telle qu’on se trouve plongé au cœur du New York de la fin des années 70, à cette époque où les cultures se mêlaient, rock, hip hop, arts graphiques – superbe pochette signée Kiki Picasso, dans le plus pur style Bazooka – et politique. Ce n’est sans doute pas un hasard si Arto Lindsay retrouve le guitariste Jean-François Pauvros pour un dialogue qui s’annonce particulièrement mordant. Les deux hommes se connaissent bien, ont déjà enregistré ensemble en 1985 sur le disque Le Grand Amour, avec Terry Day et Ted Milton. Et nul autre, en France n’a su apporter meilleure réponse continentale aux groupes new-yorkais de l’époque, si ce n’est Jean-François Pauvros au sein de Catalogue, avec le trompettiste Jac Berrocal. i
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Phylactères, pieds de nez, pieds de table & autres piètements Jusqu’au 19 septembre à La Chaufferie à Strasbourg www.esad-stg.org
Chiron, petit ! par sylvia dubost
photo : pascal bastien
Artiste érudit et fumeur incorrigible, Joël Kermarrec pratique avec délectation la peinture, la sculpture, l’écriture, le coq-à-l’âne surréaliste et la digression savante. Il est l’invité de l’ESAD. Extraits d’une conversation presque informelle et réjouissante autour de la question de la transmission, de Pinocchio et de Tarzan.
Vous voilà à nouveau exposé dans une école… Vous semblez toujours revenir à cette question de transmission. L’idée de transmission, je ne suis pas sûr que ça puisse se faire aussi mécaniquement à travers l’école. Plutôt que transmission, je préfèrerais passage, parce que ça a un double sens. C’est-à-dire que c’est tant le mien – ici, je passe – que le passage un peu comme un Chiron, celui qui peut apprendre certaines choses aux gens, mais ne demande aux autres que d’apparaître. Il n’y a pas de transmission objective, il n’y a pas de pédagogie. C’est pour cela que je me permets toujours un mauvais mot, en parlant des « pédagogisants », qui sont figés dans les attitudes, qui posent des questions mais ne s’en posent pas, puisqu’ils ont la chose « à » transmettre. C’est toujours à sens unique, l’enseignement, en principe. Alors la transmission je ne pourrais pas vous en parler si ce n’est que je ne formalise pas et je ne formule pas. En réalité cela passe par la pratique et avec l’auditeur, que j’appelle le tiers inclus, et non pas le tiers exclu d’une démonstration logique. Ce tiers inclus c’est toujours l’inconnu qu’il y a entre ce que je pense et ce que je fais. Transmettre, oui… mais quoi donc ?
Pourtant vous avez longtemps enseigné… Ce qui se transmet ce sont des modes d’analyse et de réflexion, et non pas des sujets de réflexion. C’est-à-dire les moyens d’une réflexion, mais pas ce que l’on doit penser. Un jour je n’ai parlé pendant une heure et demie que de l’opposition qu’il y avait entre Pinocchio et le golem. C’est-à-dire entre le Pinocchio moral, d’une morale incarnée donc christique – Pinocchio apparaît d’ailleurs à peu près en même temps que la contre-réforme – et le golem qui interdit l’image. Le rabbin Levy en fabrique un, lui met Emet [vérité, ndlr] au front… et il n’y a que désastre, donc il doit le détruire. On ne peut donc pas y voir de morale incorporée, celle du golem, par contre il y a une morale incarnée, celle de Pinocchio. Là sont déjà mis en place les moyens d’une transmission possible. Pinocchio, par sa conscience, c’est-à-dire son libre-arbitre, accepte la règle morale et décide d’être humain. Ce que le golem ne peut pas : c’est son écriture au front qui décide, non pas le libre-arbitre. Vous racontiez ça à vos élèves ? Oui. Leurs peintures avaient merdé [rires, ndlr]. Donc je leur avais flanqué deux heures là dessus. Je leur avais même parlé de Tarzan je crois.
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Et vous leur racontiez quoi, sur Tarzan ? Ben vous savez… je parle des dessins de Hogarth. Sa naissance, le décès de ses parents, la cabane dans la forêt… il est tout nu, non ? Oui… Alors dans le dessin, regardez s’il a des aréoles. Y’a pas ! Il a un thorax bien lisse. Et comme il est gamin, il grimpe aux arbres, on le voit de dos. En principe un mâle, on devrait lui voir les couilles qui pendent, non ? Il vole dans les arbres, il nage… il n’y a que quand il croise quelques tribus d’indigènes qu’il a les pieds bien campés au sol, qu’il regarde les gens en face. Ça veut dire que la stabilité, c’est quand il donne la leçon. Sinon, le reste du temps, il gère la forêt. Et pour gérer la forêt, il est obligé de tuer un noir qui a un pagne en peau de panthère et un couteau. Et à partir de là, on ne le verra plus s’il est asexué ou non, on verra le pagne. C’est le passage à l’homme, le passage initiatique. Il tue son noir. Il ne faut quand même pas oublier que Hogarth était un admirateur d’Arnaud Brecker [sculpteur du IIIe Reich, ndlr]. Tous ses corps sont des corps mécaniques. Lorsque j’enseignais dans des lieux très amusants
où il ne fallait pas parler d’histoire de l’art, je parlais de Tarzan. Et de Tarzan je passais à Michel Ange, à Fernand Léger, à Oskar Schlemmer… que des « mécaniques » non ? Il ne fallait pas parler d’histoire de l’art ? Non ! C’était bourgeois ! Remarquez, maintenant ils n’ont plus d’arguments politiques, ils ont des arguments d’ignorance et de fatigue…
C’est trop compliqué pour les étudiants, c’est ça ? Ce n’est pas que c’est compliqué, mais ils en ont rien à foutre, ils trouvent tout sur internet… Mais ils n’ont pas l’outil critique pour trier.
Pensez-vous que l’artiste est le meilleur enseignant en école d’art ? Je ne vois pas ce que viendrait y foutre un crétin à la pensée IUFM. Pour moi c’est une insulte, surtout dans le milieu de l’art. Les profs de dessin… Grands dieux ! i
Et ça c’est votre rôle, justement ! Ça n’est que ça. Non pas donner la leçon, mais expliquer qu’il existe différentes possibilités en fonction de ce qu’ils vont décider ou croire.
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Dièse, festival du 15 au 21 juillet à Dijon www.festivaldiese.com - www.dijon.fr
Vous avez demandé la pluridisciplinarité ? Tapez # par guillaume malvoisin
Depuis 5 ans, la Ville de Dijon affiche en début d’été le petit symbole d’altération. Familier et peu commun à la fois, le dièse intrigue et offre richesse à toute harmonie. Le festival du même nom en conserve le principe : croiser les dialogues culturels contemporains avec le public du jour.
De sons et d’images Pluridisciplinarité, signe des temps. Pas le moindre festival qui ne lui consacre une ligne. La Ville de Dijon lui consacre une programmation complète : le festival Dièse. Du 15 au 21 juillet, la culture estivale prend des couleurs résolument actuelles, alliant surprises et soins du spectateur. Dièse est encore un gamin, tout juste cinq ans. Dièse n’a pas l’âge de raison, tout est encore permis. Et si le grand écart des jeux de l’enfantDièse tient sans mal, ceci est dû sans doute à l’implication savante d’acteurs culturels locaux. La ville rendue à ses artistes, belle idée mise en chantier par un sérieux décloisonnement.
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Le bureau d’information posé à l’Hôtel de Vogüé s’en fait le premier écho avec l’habillage proposé par la scénographie visuelle et sonore de Pascale Houbin et Art Danse CDC Dijon Bourgogne. Le geste du travailleur y croise celui du danseur. Friction salutaire. Exception londonienne, les anglais de Station House Opera ne sont pas du cru mais feront l’ouverture grâce à leur petite catastrophe grandeur nature : un jeu de leur Dominoes géant. On connait les obsessions sonores de GULS Productions. Chaque soir, à 18h00, vous pourrez voir Du Monde Autour, rendez-vous sans fards de concerts et de gastronomie. Dans le genre plat qui secoue l’estomac, le concert de Projet Vertigo est recommandé, le lundi 19. Non content d’occuper les soirées, GULS vous invite pour Une Nuit à L’Hôtel à faire valser vos
habitudes. Clubbing sans fil et casqué ! On nomme ce genre de gourmandise : Silent Disco. Contorsions vidéo-sonores toujours, les musées sont investis. Les Beaux-Arts prennent donc la tangente avec Les BeauxArts « Hors les Murs » initié par Entre Cour et Jardins. De mur, il est aussi question chez les arrière-petits-fistons de Spector le grand. Le Collectif RAS et Antoine Dumont repeignent le Mur du Son à leurs couleurs. 50 enceintes pour un son sculpté et massif proche de la transe. Derrière les murs, cherchez la femme. Femme Parfaite pour le Grenier Neuf et Les Nuits Claires. Au cloître des Bernardines, bouleversements sociaux et imagerie féministe/féminine prennent les atours d’une performance labyrinthe où dénouer les fils de l’éternel féminin équivaut à tordre
le cou à quelques idées reçues. La Cie Le Nadir a pour sa part choisi son camp : Shoot the girl first qu’ils clament. Dans leur déluge d’acrobaties intenses et spectaculaires, la cible pourrait ne pas être celle annoncée.
D’images et de sons Signes des temps, nous disions. Le patrimoine est revisité, l’héritage recomposé. Par bonheur, l’irrévérence et
la transgression semblent être encore de mise. Pour ce Dièse 2010, deux preuves par l’exemple. Addictive TV et les Ciné-concerts de Scènes Occupations. Montant des sets énergétiques et surprenants, Addictive TV allie la technique à la créativité de Moscou à São Paulo, et fait trembler des lieux aussi divers que le Centre Pompidou (Paris), le cinéma bfi IMAX à Londres, ainsi que le Razzmatazz (Barcelone) et le Womb (Tokyo). Partout
où les crypto-sauvageons du mix passent, la moindre réticence rétinienne trépasse. Vjing ébouriffé où chaque grain du patrimoine est remis au goût du jour, avec sauce piquante, montage serré et beats sévères. C’est nerveux, instinctif et interplanétaire. Les cocos du combo invités par Why Note (qui s’en étonnerait) remixent non seulement les images de leurs films cultes, concerts fétiches ou autres dégelées clippées mais c’est sans vergogne qu’ils passent sous leurs manettes jeux vidéo (remix des Sims3, jeu vidéo le plus vendu au monde) ou images publicitaires. Après avoir officiellement pénétré le temple d’Hollywood, Addictive TV sévit façon blockbusters plumitifs avec Iron Man, Fast&Furious et Slumdog Millionaire. Record sur le gâteau, c’est la Chine qui s’ouvre à leurs platines. Les électro-pirates prennent d’assaut en direct les transmissions des Jeux Olympiques de Beijing pour la télévision, explorant de nouvelles formes de programmes TV pour l’Europe. Après les Jeux Olympiques d’Hiver à Vancouver, Dijon aura des allures de villégiature pastorale. Autre cas de détournement d’habitudes caractérisé, Scènes Occupations refond encore davantage ses cinéconcerts. Si on a pu assister à une relecture des grands écrans de l’époque muette (on se souvient d’Ozu, de Caliglari, de Dreyer ou encore du fascinant Le Vent de Sjöström), cette année complète le mouvement initié par Oliver Mellano et son Duel façon guitare solo, sec et abrasif. Hormis Le Golem joyeusement malmené par un Mister Hyde, les autres images du cru 2010 détournent le principe admis. L’animation se fait une place plus grande avec les inventions contemporaines du Philharmonique de la Roquette. Travaillant en lien direct avec des réalisateurs, l’accompagnement tiendra davantage de la création. Les trois musiciens de la Roquette initient un espace de musique étendu, mêlant la scène à l’image, le bruitage à la composition.
Furieux mélange. Deux autres invités jouent la carte du tragique. Tragi-comique pour le Mad Max accompagné par Montgomery, les Rennais rejouant la post-apocalypse de George Miller. Désertification, violence, dynamite et nucléaire, un rien d’actuel dans ce mélange. Tragédie antique, avec Séville 82, Red (chant, guitare), Tessier (saxs) et Marinescu (batterie) jouent les pythies de l’Agora. C’est en Espagne, c’est en 1982. C’est la Coupe du Monde de football (tiens donc ?). Pierre angulaire dans l’imaginaire de tout trentenaire, cette demi-finale France-Allemagne a quelque chose d’un passé qui ne veut pas se passer de ses tristes ancêtres d’épidaure. On connait le goût fantomatique d’un musicien génial tel que Red. Ses élucubrations sonores si puissantes sur scène devraient rouvrir quelques plaies et en exorciser d’autres. Immanquable. i
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Premiers actes Du 24 ao没t au 12 septembre dans les vall茅es de Haute-Alsace http://premiers-actes.eu
Co没te que co没te par sylvia dubost
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photo : flore bleiberg
Alors qu’il est en plein développement, Premiers actes affronte des coupes budgétaires drastiques. Mais le festival de théâtre le plus prometteur de la région aura bien lieu… en dépit d’une situation délicate, emblématique de ce que traverse actuellement le secteur de la culture. L’an passé, pour sa deuxième édition, le festival avait bénéficié d’un écho étonnant pour une manifestation aussi jeune. Des journalistes et professionnels, si difficiles à attirer en « province », s’étaient déplacés jusque dans les vallées vosgiennes pour de jeunes metteurs en scène européens. Au bout de deux ans seulement, Premiers actes avait réussi à se créer une légitimité, avec un projet qui flirte pourtant avec les
marges. Réunies autour de Thibaut Wenger, enfant du pays et élève de l’Insas à Bruxelles, les compagnies venues de toute l’Europe partagent des préoccupations sociales, la volonté de s’ancrer dans le monde et d’y agir, avec le plus souvent des moyens restreints mais un indéfectible désir de dire. Certaines travaillent dans des squats, d’autres avec des quartiers difficiles. Le temps d’un été, elles ont transformé les vallées de Haute-Alsace (Orbey, Munster, SaintAmarin), abandonnées économiquement et culturellement, en territoire de production et de création théâtrale. L’idée était d’investir des lieux abandonnés et symboliques de la mutation de la région (friches textiles, anciennes brasseries, anciens thermes, ferme…) et d’en faire à la fois des lieux de diffusion et de création, où les équipes artistiques s’installent en résidence pour créer leur spectacle, en lien plus ou moins direct avec un territoire et son passé, avec ses habitants bien évidemment. Le public, essentiellement urbain lors de la première édition, est devenu plus local, preuve que les habitants de la région se sentent concernés par un événement qui ne se voit surtout pas comme un énième festival d’été où l’on enfile les spectacles, mais comme un projet réellement ancré dans un territoire. Il était même question que le QG de Premiers actes, l’ancienne chaufferie des usines textiles de Wesserling, fermées depuis 2003, devienne un lieu de création permanent, si les collectivités parvenaient à ressembler les financements… Il n’en est évidemment plus question aujourd’hui. Acculées par des budgets que la réforme des collectivités territoriales rend impossibles à boucler, toutes les tutelles ont diminué leurs subventions. S’ajoute à cela une erreur d’appréciation. Alors que chaque spectacle était produit indépendamment, la DRAC conseille à Premiers actes de plutôt demander une aide au festival. Résultat, le montant global obtenu équivaut au budget
d’un seul spectacle… L’un des mécènes met la clé sous la porte : tout cumulé, le budget 2010 est divisé par deux par rapport à celui de l’an passé. « Certains voulaient annuler, raconte Thibaut Wenger, directeur artistique de Premiers actes. Mais je sentais que l’impact d’une annulation serait nul… » Consciente que cette édition serait plus compliquée à financer que les autres, l’équipe avait évidemment pris les devants, en privilégiant les projets de compagnies françaises et des pays limitrophes et en faisant supporter une partie des coûts de production des spectacles par les écoles de théâtre, dont beaucoup de membres du réseau sortent cette année. Elle avait néanmoins dû abandonner un important projet de création, avec une grosse distribution. Mais après l’annonce du budget, Thibaut Wenger a tenu à ne rien déprogrammer, et plutôt à faire des coupes un peu partout, en supprimant des postes, des budgets techniques et artistiques, en diminuant le nombre et la durée des résidences. « Je ne sais pas trop comment cela va être interprété, confie-t-il. On pourrait prendre cela comme : « Donnez-nous moins, on arrive toujours à faire quelque chose… » ». Vaille que vaille, Premiers actes aura bien lieu. Avec une programmation certes plus réduite (dix spectacles au lieu de 14 l’an passé) mais d’autant plus séduisante qu’elle fait, involontairement, écho à cette situation. « Lorsque l’on commence à programmer, on ne sait pas de quoi le festival va parler. Cette année, au fur et à mesure du choix des projets, on s’est rendu compte qu’une grande partie de cette édition tourne autour du besoin de croire encore en quelque chose, en quelque chose d’autre. » Aussi Premiers actes ne lâche pas l’affaire et prépare le festival 2011. « Pour nous, une troisième édition, c’est plutôt un début qu’une fin. On reçoit beaucoup de projets, on commence vraiment à se structurer. » Parallèlement, avec les complices des Belges de la Sociétas Péridurale, qui gère une friche dans un quartier difficile de Bruxelles, et de MASKéNADA, « installée » dans un squat, Premiers actes travaille à la mise en place de Baal3, une plateforme de production et de diffusion d’œuvres de jeunes metteurs en scène, dans un réseau d’opérateurs non-institutionnels. « Pendant 24 mois, on co-produira huit projets qui croisent les problématiques socio-culturelles et les ressources de nos partenaires. » Manière aussi de réinterroger un mode de fonctionnement, « calqué sur l’institution », qui, dans l’état actuel des choses, doit peutêtre évoluer… i
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La Meglio Gioventù par guillaume malvoisin
photo : vincent arbelet
Sous le titre de son premier recueil poétique, Pasolini cachait ses revendications paysannes, sensuelles et fondamentalement revêches. Qu’est-ce qui signe la jeunesse si ce n’est la capacité à prendre à partie le monde pour le secouer d’écarts, de dissonances et de certitudes mal étayées ? À Dijon, le Théâtre Dijon Bourgogne signait en mai dernier une des plus belles éditions de Théâtre en Mai. La jeunesse y était fêtée, occasion heureuse. Le théâtre est-il encore le lieu d’une jeunesse politique ?
L’assaut poétique « Je crois qu’il sont en train de nous dresser à disparaître. » Plantée sur un corps en forme d’oxymore, la comédienne Silvia Calderoni résiste encore à la fin programmée de son personnage. Antigone est au cœur du projet des trois contests de la compagnie Motus. Dressés à disparaître, comme une alarme adressée aux jeunes comédiens. Marc Sussi dirige lui le Jeune Théâtre National et donne la parole à la jeunesse issue des écoles de théâtre. Parole qu’il consolide de ses épaules contre toute disparition annoncée. Antigone et les sorties d’école. Deux appuis possibles pour tester la solidité des convictions de la jeune génération. La meilleure jeunesse à l’épreuve du plateau.
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L’éternelle révoltée qu’est Antigone s’est vue tailler un costume d’incendie et de cendres. Motus, mené par l’œil frondeur et attentif de Daniela Nicoló et Enrico Casagrande, offre aux idéaux du jour, la lueur des luttes et des utopies d’hier : « On a commencé en décembre 2008 avec une sorte de laboratoire avec plusieurs jeunes artistes. La question posée était : comment peux-tu imaginer Antigone aujourd’hui ? On a toujours besoin d’un lien avec la jeunesse. Nous voulions comprendre une génération qui n’est pas la nôtre. Nous avons étudié la figure d’Antigone comme celle d’une fille qui a dit non au pouvoir. C’est cette question très petite qu’on a développée en ouvrant plusieurs fenêtres jusqu’au premier contest. » Cette forme-même de contest amène au théâtre les codes actuels issus de la rue ou du hip-hop, très proches aussi de ceux aperçus dans les écoles des monastères
bouddhistes. Le débat est roi et chaque contest du projet Syrma Antigone prend le parti imparable du mélange de dialogues venu de chez Brecht et de conversations improvisées sur le vif entre les comédiens. T héâtre d ’une liber té irréductible, intergénérationnelle. À ce titre le second contest est révélateur. Too Late ! est celui qui transforme l’indignation d’Antigone en revendication anachronique, porteuse alors d’une puissance réactive saisissante. Ceci étant dû autant au choix amoureux des Motus pour leurs jeunes comédiens qu’au champ de ruines, idéologique et théâtral (véritable appauvrissement des spectacles précédents), qu’ils les laissent envahir. Les idéologies d’hier agissent comme une initiation fondée sur l’empêchement et l’erreur de ceux qui vivaient là, avant. C’est d’une fumée qu’émerge la jeunesse de Too Late ! La guerre a frappé et dévasté (ici
l’ex-Yougoslavie, plus tard la guerre intime de Baader-Meinhof). S’élève la conscience politique de ce qu’il nous faut rejouer de l’ancienne génération. Celle qui a livré les combats dont Vladimir Aleksic n’avait saisi que la beauté des couleurs et des explosions. Les images construites par la compagnie Motus, d’une humanité tremblante, convoquent le cri politique comme l’assaut poétique, chaque comédien se dissolvant, avec une fraternité hors d’âge, dans l’assemblée des spectateurs.
Résistance politique Au théâtre ou ailleurs. Comment accepter, pour une génération au pouvoir, de passer le relais et la parole à celle qui suit et qu’elle a formée ? À considérer le théâtre comme une université pratique de la République et de la nation (cf. Antoine Vitez), il faut dès lors donner accès à l’ébouriffé, à l’échevelé et au mal peigné : à la jeunesse. Marc Sussi, directeur du JTN, résume la nécessité d’une telle action par une formule laconique et
hautement inflammable : « La jeunesse, on en parle beaucoup mais on fait peu de place à sa parole. » S’appuyant sur un combat farouche contre l’Académie, Sussi prend à contre-pied l’inculture supposée de la jeune génération pour la restituer dans une sorte d’éternité historique que personne ne pourrait circonscrire : « Ce qui fonde mon action au JTN, c’est d’établir un lieu où la jeunesse peut prendre la parole. On parle beaucoup du vieillissement de la population, c’est acté comme une bonne chose. On parle aussi d’un manque de maturité chez les jeunes gens mais c’est toujours bizarre de prendre sa propre jeunesse comme référent. C’est peut-être un moyen de garder les rennes du pouvoir. Il faut aussi se demander si notre génération a la capacité d’entendre la jeunesse d’aujourd’hui. ». Pour Théâtre en mai, Mireille Brunet et François Chattot montent au devant de ce regard et embarquent Marc Sussi dans un songe fédérateur : « Il y a des bandes qui se forment à la sortie des écoles de théâtre, il faut laisser faire, cela contredira toujours l’étanchéité des théâtres. » Et de fait, les spectacles présentés ont pour terrain
commun la dénonciation politique, les tuteurs ici se nomment Pasolini ou encore Eschyle... Pas forcément tombés de la dernière averse en matière de contestation. Ce souci se retrouve clairement dans les revendications des jeunes collectifs face au contexte théâtral. Créer une petite bande pour s’enclaver et résister soit mais ce geste peut avoir un revers tranchant. S’enfermer dans l’entre-soi d’une revendication confortable. « Cette prise de parole, c’est aussi le problème de ces jeunes gens. Il faut qu’ils inventent le lieu de leur parole. S’ils ont quelque chose à dire, il faut qu’ils construisent le lieu où ils peuvent être entendus. Ceci leur appartient. L’audace et l’invention qui devraient nécessairement être des moteurs artistiques sont castrés. Le JTN ne se pose pas en résistance mais nous dépendons beaucoup du contexte théâtral. Si celui-ci veut retourner à l’académie, nous n’aurons pas la puissance de lutter. » Entre l’attrait du sacro-saint diplôme et la liberté irréductible, quelle est le visage des luttes et des idéaux de la jeunesse à venir ? i
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Festival d’Avignon Off, du 8 au 31 juillet – www.avignonleoff.com Francis Albiero, Compagnie Flex – http://albiero.free.fr Compagnie la Valise – www.lavalise.org Théâtre du Jarnisy – www.jarnisy.com
En passant par la Lorraine... par caroline châtelet
Après les compagnies Mamaille et l’Escabelle en 2009, trois équipes artistiques - Théâtre du Jarnisy, compagnie de la Valise et compagnie Flex - reçoivent cette année une aide spécifique de la région Lorraine pour jouer à Avignon du 8 au 31 juillet. Avignon, un passage obligé, peut-être, mais qui se vit dans une plus grande sérénité lorsque les risques sont partagés...
Avignon, c’est compliqué. Tout le monde vous le dira : compagnies, artistes, public désorienté face à la pléthore de spectacles proposée durant un mois. D’autant que si on désigne la manifestation par ‘’le’’ festival d’Avignon, il en existe deux parallèles, le In créé en 1947 par Jean Vilar et le Off, né en 1966 de l’impulsion de jeunes compagnies permanentes avignonnaises. De leur terreau respectif, il ne reste pas grand chose aujourd’hui et si tous deux ne cessent de convoquer leurs pères fondateurs et leur mémoire, c’est, peut-être pour se persuader de la pérennité d’une filiation, à défaut d’éprouver sa réalité... Tandis que le In, versant officiel, propose une quarantaine de spectacles entre noms prestigieux et épopées théâtrales, l’offre du Off atteint le millier de spectacles. Et, tandis que le In se vit selon le schéma classique, le Off se déroule dans une inversion totale des rapports de création. Les compagnies, venues jouer en masse dans l’espoir de se vendre, doivent assumer la totalité de leurs frais, de la location du théâtre à leur communication et leur technique. Ce qui s’apparente à une vaste entreprise de déplacement d’argent public vers le secteur privé permet, dans le meilleur des cas, de décrocher des dates pour des saisons
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futures et dans le pire, oblige à mettre la clé sous la porte. Histoire oblige, les tentatives de structuration du Off sont elles-mêmes un peu anarchiques, car allant à l’encontre de sa naissance en réaction à l’institution. Pourtant, de-ci, de-là, des tentatives se font jour : réunion de théâtres identifiés en collectifs, fédération de compagnies, spécialisation de certains lieux selon des thématiques, location d’espaces par une région afin d’y présenter ses artistes. Autant de volontés de se différencier dans ce monstre polymorphe, machine digérant tout ce que le théâtre peut produire de gestes et de comportements... À ce titre et de façon indirecte, le soutien initié par la région Lorraine depuis deux ans participe d’une meilleure visibilité des artistes lorrains. Si de nombreuses régions ont mis en place des aides à leurs poulains régionaux, il s’agit pour le conseil régional de prolonger un soutien existant au long cours. Comme l’explique le chargé de mission spectacle vivant et arts plastiques Pierre-Aimé Albrecht, « il est apparu que pour certains types de manifestations - Avignon et les festivals nationaux d’arts de la rue -, les besoins étaient spécifiques. Les compagnies se rendant à Avignon prenant un risque financier important, le vice président Thibaut Villemin a
eu l’idée de créer un dispositif particulier. » En préférant un support réel au saupoudrage, la région apporte aide financière et aide en nature conséquentes à trois projets par an [une compagnie pouvant présenter plusieurs projets, ndlr]. Et pour cette deuxième année, ce qui étonne d’emblée est la richesse et la diversité des univers retenus : tandis que le théâtre du Jarnisy propose avec la Dégustation une adaptation d’un texte philosophique sur le vin, Francis Alberio joue le solo clownesque le Fruit et la compagnie la Valise présente cinq pièces marionnettiques, les Seaux, les Reliquats,
l’Aurore, Infinité et la Pierre, la poudre et le reflet. Un éclectisme révélateur pour PierreAimé Albrecht « de la richesse de la création artistique en Lorraine », et qui rappelle au passage qu’il y a belle lurette qu’Avignon ne se limite plus au théâtre stricto senso. Mais pour l’administratrice de la Valise Claire Girod, cette diversification incessante du festival est également symptomatique « des soucis de diffusion en France... Quelle alternative pour proposer ses spectacles ? En ‘’rue’’ existent trois grands festivals, en marionnettes il y a Mirepoix – mais il ne dure que quatre jours -, mais en cirque ?
Et en clown ? » Avignon seul proposant cette durée d’exploitation, les trois équipes, quoique conscientes des risques encourus, espèrent chacune se faire connaître en dehors de la Lorraine. Avignon, unique solution rappelle Claire Girod « pour réussir à avoir une visibilité lorsqu’on s’attaque à un quasi-nouveau réseau ». Et, si chacune développe son propre univers artistique, toutes partagent et soulignent le facteur déterminant du soutien de la région dans leur décision de jouer à Avignon. Ainsi de Francis Albiero qui évoque un effet bénéfique de l’aide, permettant aux équipes « de réfléchir sur du moyen terme et non plus dans l’urgence ». On en vient alors à s’interroger sur de possibles évolutions de cette aide, certaines régions, telles la Champagne-Ardenne, louant un lieu uniquement pour leurs artistes. Mais là, Pierre-Aimé Albrecht souligne les contradictions supposées d’une telle démarche de la part de la région Lorraine. En effet, « en dehors de raisons financières et logistiques – la région préférant accompagner les scènes de son territoire et ne disposant pas d’agence culturelle -, la Lorraine n’est pas un programmateur de salles. Pour pouvoir programmer dans un théâtre à Avignon pendant trois semaines, il faut avoir huit à dix projets à proposer. Nous ne voudrions pas arriver à une relation où la région demanderait aux compagnies de créer des spectacles en vue de jouer dans son lieu à Avignon. » Une façon pertinente de pointer certaines dérives actuelles, où les collectivités se prennent pour des opérateurs culturels, oubliant parfois que « ce n’est pas à la collectivité d’exiger d’une compagnie de faire une création. Son rôle est de les aider à tourner et présenter leur travail. » Et que lorsque cette confusion des genres s’exprime à Avignon en particulier, elle le fait dans un espace marqué par une inversion permanente de tous les rôles. Avignon, ville où le théâtre et ses alentours marchent sur la tête... i Articles sur les spectacles des compagnies à découvrir pendant le festival d’Avignon sur www.flux4.eu
Compagnie La Valise
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Livres autour de Naples : Gomorra. Dans l’empire de la camorra, Roberto Saviano, éd. Gallimard, La Porte des Enfers, Laurent Gaudé, Actes Sud, Les Îles, Jean Grenier, éd. Gallimard
Voir Naples et puis écrire... par caroline châtelet
Soit, la déclinaison est facile, tant « Vedi Napoli e poi muori » est adapté à l’envi. Mais on oublie souvent que la phrase de Goethe se joue de la proximité phonique entre le verbe « mourir » et la ville « Morire » nichée au pied du Vésuve, une homophonie rappelant aux napolitains la menace silencieuse du volcan. Une violence sourde, qui s’éprouve en arpentant cette cité à la vitalité contradictoire, où l’urgence à vivre semble exacerbée par son côtoiement de la mort. Voir Naples pour l’écrire, même...
Mardi 15 : Arrivée pour participer au jury du Fringe2Fringe, festival « Off » se tenant parallèlement au Napoli Teatro Festival du 4 au 27 juin. Sur la route de l’hôtel nous croisons, entre autres affiches du Napoli Teatro, celle du Tigre bleu de l’Euphrate. Cette création du directeur artistique de la Mousson d’été – festival prévu du 24 au 30 août à l’Abbaye des Prémontrés à Pont-à-Mousson - et nouveau directeur du théâtre de la Manufacture de Nancy Michel Didym jouait là du 10 au 13, avant une tournée estivale en Lorraine. Jeudi 17 : Discutant avec mes collègues membres du jury, mon pressentiment se confirme : aucun de mes interlocuteurs ne sait ce que je fais ici, française non italophone au sein d’une équipe pas plus francophone qu’anglophone... Vague sensation d’être un petit objet décoratif. Face à ce sentiment d’inutilité, écrire prend une dimension essentielle, devenant, pour reprendre les termes de Diane Scott dans son Carnet critique, « le moyen de supporter le spectacle ». Comme si s’acquitter au mieux de sa tâche permettait de contrer le désarroi, tout en résistant à la prolifération d’offres que réunit un festival.
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Samedi 19 : Après plusieurs déceptions, un spectacle intéressant : Sangue, rencontre mystique entre Jeanne d’Arc et Gilles de Rais. Cette proposition au lyrisme étonnant et à l’esthétique aboutie m’enthousiasme, bien qu’elle me fasse toucher directement aux limites de mon travail ici : saisir l’ensemble des éléments présents sur un plateau est une chose, évaluer dans son intégralité son propos – ici ses convictions religieuses – en est une autre... Lundi 21 : Un peu partout dans le monde, la fête de la musique bat son plein. Et à Naples ? « Niente » m’explique Roco, vacataire du festival. LA fois où la fête de la musique a eu lieu ici, les ambulances ne circulaient pas tellement il y avait foule. Ce soir, me suis « empêchée » d’aller voir un spectacle, réalisant qu’il s’agissait juste d’occuper quelques heures. Travers de l’effet festival et de sa boursouflure d’offres, qui amène à une consommation compulsive, réponse au désœuvrement. Résister à cela, c’est, peut-être, respecter encore le théâtre ?
Mardi 22 : Après Madonne di Beslan, création sur des écrits d’Anna Polikovskaïa, une remarque - anodine pour lui et totalement incongr ue pour moi -, d’Annibale sur le terme « madone » m’amène à reconsidérer mes réticences face à Sangue. Les napolitains vivent avec une omniprésence du sentiment religieux et si la croyance a, certes, toujours à voir avec cela, leur quotidien est constitué de références au sacré. Une seule promenade dans cette ville cernée d’églises, de petits autels édifiés pour les morts et de noms de rue religieux suffit pour s’en persuader. Difficile, parfois, de faire la part des choses entre les convictions réelles et l’influence de l’environnement...
« Il est vrai que certains spectacles, la baie de Naples par exemple, les terrasses fleuries de Capri, de Sidi-Bou-Saïd, sont des sollicitations perpétuelles à la mort. Ce qui devait nous combler creuse en nous un vide infini. » Jean Grenier, les Îles Jeudi 24 : Suite à la représentation de Coso, création chorégraphique troublante par sa capacité à travailler les questions de l’obsession et de la disparition, découverte d’une scène à la beauté folle. Tandis qu’un concert de musique électronique sis dans une cour intérieure se termine, des musiciens entament dans la rue une tarentelle. Durant près d’une heure les danses s’enchaînent, beats technos et sonorités entêtantes de l’accordéon cohabitant en pleine nuit, sans aucune répression policière ou récriminations du voisinage. Ce paradoxe et, surtout, le naturel avec lequel il est vécu m’a ‘’révélé’’ cette nuit-là l’intensité particulière des films de Pasolini et leur capacité à mêler violence et contrastes... Vendredi 25 : Vu le dix-huitième épisode de Bizarra, pièce fleuve de l’auteur Rafaël Spregelburd. Sorte de théâtre-novela, cette saga argentine se joue quotidiennement, chaque soir débutant par un ‘’résumé des épisodes précédents’’ et se clôturant sur une question laissée en suspens. Ma
compréhension de l’italien étant loin d’être parfaite, je me prends à rêver d’une création de cette épopée échevelée par les Lucioles, compagnie française connue pour monter les textes de l’argentin (et ayant présenté La Estupidez et La Paranoïa au Maillon et au Théâtre national de Strasbourg en 2008 et 2009). Samedi 26 : Buvant un café avec Hélène, chargée de production du Théâtre Dijon Bourgogne, je croise son directeur François Chattot et la comédienne Martine Schambacher – qui jouera dans L’Affiche à Dijon en novembre prochain. Lui est ici en tournée avec l’équipe du Hamlet-Cabaret mis en scène par Matthias Langhoff. Vu au Trianon, théâtre historique napolitain, mon dix-septième et dernier spectacle. À la fin de la représentation, les artistes annoncent la mise en liquidation prochaine du théâtre. Adele du Fringe2Fringe m’explique que les tutelles prétextent la crise financière pour diminuer les aides. Sentiment inquiétant de déjà vu, doublé de la certitude angoissante que tout cela ne fait que commencer...
Dimanche 27 : Ultime promenade. Je croise une fois encore François Chattot et Martine Schambacher : « Il n’y a que nous ici », me diront-ils en riant. Eh oui, il n’y a que nous dans la vieille ville, les napolitains préférant le dimanche se baigner aux abords du Castel Nuovo, legs des angevins. Quittant l’historique quartier espagnol où je logeais, je saisis ce qui y a changé : ces ruelles, au sujet desquelles mon ami me faisait remarquer à quel point la représentation qu’en donnaient les cartes postales était en-dessous de la vérité, ont repris depuis vendredi un aspect paisible. C’est que suite à la défaite de l’Italie au mondial, les innombrables drapeaux flottant aux fenêtres et les sirènes incessantes ont disparu. Naples, seule ville dont l’excès de réel dépasse toutes les représentations, les plus clichés soient-elles... i
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Icinori www.icinori.com
Les Tueurs par fabien texier
Une certaine détermination, un goût de la liberté, des claques qu’on prend devant leurs boulots… Pas tout à fait sortis des Arts Décos de Strasbourg, le couple d’illustrateurs qui forme le collectif/éditeur/ studio Icinori sont bien des « tueurs », tant par les qualités graphiques de leurs œuvres que par l’intelligence de leur démarche…
Des presque-quasi célébrités graphiquement assermentées, le studio Helmo, Junkie Brewster, me l’ont rapporté les yeux ronds : « Y’a un collectif d’illustrateurs avec un nom bizarre aux arts décos, c’est des tueurs ! » Avec un nom genre japonais ? Un couple ? C’est Icinori, une sacrée paire de claques ! Il aura fallu les originaux des Noceurs de Brecht Evens exposés à Fumetto pour retrouver une excitation semblable à celle qu’a suscitée la découverte de leurs œuvres sérigraphiées.
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L’un, Raphaël Urwiller, est diplômé cette année de l’ESAD, l’autre, Mayumi Otero, vient de boucler sa quatrième année. Un Alsacien, une Parisianno-hispano-nippone : une formation d’ingénieur abandonnée pour lui, une vocation pour la peinture détournée pour elle. R.A.S. dans leurs bios respectives assurent-ils, pas mécontents d’être abrités derrière leur identité collective. Signalons tout de même un père peintre et le compagnonnage avec les gravures de Goya et les estampes japonaises d’une part, l’illustration germanique (alsacienne) et le Retable d’Issenheim de l’autre. Leur histoire commence vraiment à l’ESAD où Mayumi qui en peinture aurait « fini par faire des croûtes » a été séduite par l’illustration et son compère d’aujourd’hui. Leur travail va dès lors se mêler au sein d’Icinori, microéditeur, studio de création et « centre d’expérimentation ». Ils annoncent la couleur, un rien désinvoltes : « C’est un projet dont nous sommes responsables, mais doté d’une vie propre, il n’est pas nous. À tout moment, s’il nous fait chier, on peut lui tirer une balle dans la tête, ça autorise une certaine légèreté. » Leurs travaux de pure commande peuvent
apparaître sous leurs seuls noms propres, mais ils ont signé ensemble des illustrations pour le magazine Le Tigre, ou les pochettes de CD et vinyles d’Indica Ritual et Norse Horse. Curieux, ils ont forcé la porte de tous les ateliers où on les a laissé entrer, sollicité les avis de différents professeurs quelles que soient leurs disciplines. Ils n’oublient pas de donner au passage un coup de chapeau à leur responsable d’atelier, Guillaume Dégé. Hasard ou influence, ils partagent la même admiration pour Willem et Killoffer… Croisé à la sortie d’une exposition à laquelle ils participaient, le maître s’était rengorgé : « T’as vu ces boulots d’élèves, c’est quelque chose maintenant ! » On ne peut guère prétendre qu’il n’y ait eu que des bras-cassés, sortis précédemment de l’atelier d’illus’, mais les travaux d’Icinori ne manquent pas d’impressionner. À leur catalogue essentiellement des livrets de faible pagination, sans reliure (dépliants), à l’exception du numéro 0 de leur revue FRUI, tirée à 100 exemplaires, des posters… Une variété de styles issue des expériences que tentent les deux illustrateurs, mais aussi recherchée pour
Gourdin, illustrations pour un livre sérigraphié – Icinori
elle-même. « C’est aussi pour ne pas devenir complètement schizos que nous avons fait appel à d’autres auteurs : Clémence Pollet et Brecht Vandenbroucke… Nous intervenons beaucoup sur leurs propositions, nous ne trouvons d’intérêt aux collaborations que si l’échange qui s’instaure nourri notre propre travail. » Même si l’œuvre de l’un passe toujours par les mains de l’autre, on peut parfois distinguer leur signature graphique : combinaison de gravure alsaciennes, allemandes et estampes japonaises, chinoises pour Mayumi, imagerie populaire du XIXe siècle (les illustrations des boîtes d’allumettes notamment), et un travail en couleurs limitées (trois couleurs) qui évoque « forcément » Blexbolex. Côté influences plus ou moins diffuses, les Icinori considèrent avec une relative sérénité les apports, les recettes qu’ils réemploient dans un travail encore en train de se construire :
Paul Cox, Gary Panter, Moolinex, la presse « crade » des 70’s, l’underground japonais de la revue Garo, l’art contemporain : « en Alsace, on a un bon triangle Ungerer-Art BaselUnterlinden ». Raphaël chasse et stocke en vrac des images de tous types (photo, planches anatomiques, vieux dessins…) sur son ordinateur ce qui ne manque pas de créer des clashs et des rapports inattendus entre elles. Le duo insiste d’ailleurs sur l’importance de l’outil informatique dans la recomposition de ses images, entre leur naissance et leur finalisation : « L’idée doit venir de la main, le recul aussi, même si les troisquarts du travail sont réalisés sur ordinateur, il faut se garder de son effet hypnotisant. Il y a aussi des techniques de PAO/DAO, comme celle des calques, que nous reproduisons à la main. » Si dans ce travail très formel, le sens et la narration ne sont pas absents, le récit
est assez limité, il ne s’agit pas pour autant d’un trait de caractère définitif. « Icinori est encore essentiellement un centre d’expérimentation graphique, un peu narratif. Il est conçu comme une démarche d’apprentissage, un outil à utiliser pour des projets cohérents. Le but n’est pas de se cantonner à la suractivation graphique comme peut le faire le Dernier Cri. » Des livres d’illustration-jeunesse sont en préparation, et devraient être proposés finis aux éditeurs, un peu effrayés jusqu’ici par la propension d’Icinori à explorer des voies multiples. Le champ de la bande dessinée qu’ils connaissent bien, et ont déjà abordé, ne sera investi réellement qu’à plus long terme, le temps d’en forger les outils. « Et puis il faut avouer que le rapport frigo/liberté est aussi bien meilleur en jeunesse ! Nous irons plus tard vers le mainstream : un peu comme ces groupes à la MGMT, qui, venus de la noise, ont évolué vers la pop et font ensuite des allers-retours. Dans le sens inverse, ça ne marche pas. » i
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Exposition David Sala, Centre Culturel Franco-Allemand de Karlsruhe, du 1er juillet au 30 août www.ccf-ka.de
Sala-mix par stéphanie munier
David Sala est un sculpteur d’images. Illustration, peinture, photographie, esquisses, écriture – il est l’auteur d’une bande dessinée, One of Us, dont le deuxième tome sort le 23 juin –, ce Strasbourgeois d’adoption ne manque pas de talent(s).
Dans vos illustrations de l’album jeunesse La Colère de Banshee, il y a des références à l’enluminure, à l’œuvre de Gustav Klimt. Oui, c’est très proche de l’enluminure. Klimt c’était voulu dès le début. Dès les premières lignes du texte, l’auteur parle d’une fée avec une robe dorée. Il m’a semblé intéressant d’y aller franco. On a tous en tête les peintures de Klimt, alors autant lui faire un hommage appuyé. Le côté Klimt, préraphaélite, les miniatures, me plaisait bien. Klimt fait partie de mes influences majeures, sur ce livre comme sur d’autres. Des fois c’est un peu plus discret, mais là vraiment je trouvais que c’était le bon endroit. On est très proche du tableau, on le voit dans les huiles présentées dans l’exposition. Elles sont travaillées en volume, grattées… Ça reste de l’illustration. Le but est de servir le texte, même si parfois je m’en détache un peu. Pour moi la peinture reste un acte très personnel. On doit faire un
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travail de recherche plus graphique. Là je me suis beaucoup appuyé sur le texte, et je me suis efforcé de restituer ce que je ressentais du texte, donc on est bien dans l’illustration, même si au niveau de la technique, comme c’est de la peinture à l’huile, il a un lien. Mais je pense que le lien s’arrête là. Quand on regarde vos autres illustrations, on est dans un style et dans une technique complètement différents. Vous êtes dans le renouvellement permanent ? Je m’y efforce. Je trouve intéressant d’explorer d’autres pistes, de ne pas m’arrêter à ce que je sais faire. J’essaie d’être cohérent avec chaque univers. Quand je travaille en bande dessinée j’essaie de me faire un peu peur. Mais ce qui est drôle c’est que je me suis plus fait peur en jeunesse, parce que ma formation est de faire de la bande dessinée et l’illustration adultes. La jeunesse c’est assez récent. Je souhaitais vraiment changer complètement. En général j’utilise beaucoup la lumière, les
contrastes, et là sur La Colère de Banshee j’ai surtout travaillé sur les aplats. Je ne joue pas sur un savoir-faire, j’essaie de prendre des risques. C’est plus stimulant pour moi et j’imagine que pour le lecteur c’est plus agréable aussi. Selon ce que je lui propose il y aura un univers adapté. Ma dernière bande dessinée a été faite sur ordinateur par exemple. Vous changez donc aussi de méthode de travail ? Oui, selon le sujet il me semble que je ne peux pas toujours adopter la même technique. Quand je commence un livre je me pose la question de savoir comment réussir à traduire l’esprit. Souvent la technique vient après. J’adapte ma technique au texte et au récit. C’est plus déconcertant parce que je ne peux pas
me jouer d’habitudes, mais au final j’ai l’impression d’être plus sincère dans ce que je fais. Vous préférez le travail à la main ou à l’ordinateur ? Je pré fère travailler à la main. L’ordinateur, c’est moins ma technique. J’aime bien le contact avec la peinture, le pinceau. Je commence à travailler sur un nouveau projet, reprendre les pinceaux après avoir passé un an sur un ordinateur est un vrai plaisir. J’emploie la même technique que pour Banshee, mais dans un univers différent. Qu’est-ce qui vous inspire ? La dernière exposition que j’ai pu voir, de Lucian Freund, est assez incroyable. Cette exposition m’a surpris. Il y a aussi Klimt,
Egon Schiele. Je suis assez influencé par les peintres. J’aime aussi la photographie. Certains photographes sont fascinants, comme Antoine d’Agata par exemple. C’est très lié à l’image. Je suis moins influencé par les dessinateurs. La photographie, la vie, m’inspirent plus. J’essaie toujours d’être le plus sincère possible dans mes travaux. Dans vos photographies, qui sont en noir et blanc, il y a aussi un travail sur l’ombre et la lumière comme dans certaines de vos illustrations. Oui, à chaque fois c’est un nouveau plaisir parce qu’on se rend compte qu’on peut dire d’autres choses en changeant de méthode, de technique. C’est assez plaisant, et c’est très intéressant artistiquement. Même si je me rends bien compte que le
chemin est encore très long. Comme je ne vois que mes erreurs, ça me pousse toujours à être un peu plus exigeant. Vous travaillez aussi sur des sujets très sombres. Souvent oui. Je trouve que la vie est parfois assez sombre. Ce qui ne veut pas dire que je sois particulièrement sombre dans la vie de tous les jours. C’est un peu comme les rêves et les cauchemars. On traite de choses qui nous angoissent et qui nous font peur. Parfois, pour d’autres livres, comme pour Banshee, j’explore une partie plus lumineuse. Mais c’est un ressenti, c’est ce que je vois, ce que j’entends tous les jours. C’est une manière d’extérioriser. Peut-être que je suis un peu pessimiste… i
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Sur les routes, du 12 juin au 11 novembre 2010 Musée de l’Image d’Epinal
Des errances par stéphanie munier
L’itinérance est à l’honneur au Musée de l’Image d’Epinal, avec l’exposition Sur les Routes, une mise en connivence entre images des collections du musées et œuvres contemporaines. Le Juif errant et la cantinière y côtoient notamment L’Homme qui marche, portrait de Alberto Giacometti par Cartier Bresson et certains clichés d’Hamish Fulton. La conservatrice Martine Sadion nous raconte les raisons de cette exposition.
Pourquoi ce choix du cheminement ? Notre musée est le Musée de l’Image. Nous allons donc aussi bien interroger nos images que l’image mentale que l’on peut trouver chez certains personnages. Nous pouvions interroger certaines figures-types qui marchent : le Juif errant, le colporteur, le soldat, le conscrit, la cantinière. De grandes figures qui sont dans l’imaginaire de tout le monde, et qui font aussi partie de l’imagerie. Comment s’est faite la sélection des œuvres présentées ? On par t tou jours d ’une ima ge de nos collections, puis, au plaisir des rencontres, quelques fois avec des artistes contemporains qui nous intéressent, on forge l’exposition. Pour les œuvres du musée – des images bien sûr, mais aussi des tableaux – on a déterminé cinq types majeurs. Nous avons commencé par le Juif errant, et, à partir de cette figure, nous avons choisi des variations. J’aime l’idée
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du destin qui les a jetés sur les routes. À l’origine, ce sont des gens sédentaires, comme nous, et par un geste malheureux, un tirage au sort malheureux, ils ont été jetés sur les routes. On travaille surtout sur l’imaginaire de ces personnages. Sur leur histoire, mais aussi sur ce que nous en avons fait. Par exemple, le Juif errant est ce personnage qui marche toujours et qui, au XIX e siècle, devient le soldat napoléonien qui marche toujours. Il y avait des liens entre ces personnages qui nous intéressaient. Et en ce qui concerne les œuvres prêtées ? Nous nous sommes penchés sur les artistes de la marche. Hamish Fulton, ça va de soi, son œuvre est le constat d’un mouvement, d’une marche. Il y a ensuite des gens que j’apprécie, comme Jacqueline Salmon, qui a fait un très beau travail sur les lônes, ou Gérard Collin-Thiébaut, avec une variation
sur les soldats. Sans oublier Cartier Bresson et son portrait de Giacometti à côté de sa sculpture de l’Homme qui marche. Vous mettez en relation images anciennes et œuvres modernes, doit-on y voir une confrontation ou une mise en parallèle ? Cette exposition est plus un moment de connivence, elle n’est pas littérale. Il faut se garder de la trop riche similitude des thèmes. Ce sont souvent des personnages qui marchent, mais, dans l’art contemporain du moins, ça peut être aussi des sensations, des marques… Il y a une photographie de Claire Chevrier, une toute petite route avec une ouverture. Ça se passe en Ossétie, c’est l’idée du migrant par la faute de la guerre, c’est très beau. Sa photographie, parce qu’elle représente un chemin qui ne va nulle part, avec une ouverture dans la falaise qui amène à une ouverture sur la lumière, me fait penser à l’idée du bout de la route.
Corinne Mercadier, photographie, 2007 – Galerie Les Filles du Calvaire, Paris
Comment expliquez-vous cette fascination des artistes pour ces personnages de voyageurs ? Pour les artistes contemporains, le sujet ne se situe pas là. Il faut plutôt parler de la fascination des gens pour ces personnages qui marchent. L’histoire fait que les gens qui marchent sont toujours ramenés à la sédentarisation. Mais je trouve qu’il y a une fascination pour ces gens qui sont autres, qui ont su garder la liberté de leur lien. Le nom de l’exposition est Sur les routes, peut-on y voir un clin d’œil au roman de Jack Kerouac, Sur la route ? Oui complètement. Là aussi ce sont des images. Je suis persuadée que tout le monde connait le roman de Kerouac, Sur la route, mais beaucoup ne l’ont jamais lu. Nos titres d’expositions ont toujours un lien soit avec la poésie, soit avec la littérature. Ce sont des phrases très communes, mais
qui ne sont pas si simples. Nos images non plus ne sont pas si simples, les images type Epinal sont des images assez complexes qui racontent une société. Peut-on voir un parallèle entre le destin de ces marcheurs du XIXe siècle et celui des migrants actuels, souvent jetés sur les routes pour les mêmes raisons que leurs prédécesseurs ? C’est quelque chose qui nous intéresse, et j’ai chargé une photographie de le dire, celle de Claire Chevrier. On parle très peu des populations déplacées. On ne l’oublie pas, mais on a été obligés de faire une sélection. Les migrants de la guerre n’ont pas été traités, et pourtant il y avait des choses à dire. Peut-être que l’on fera Sur les routes 2, auquel cas on reviendra sur ces personnages-là. i
Sur la route – Jack Kerouac Le rouleau authentique et brut du roman de Kerouac sort enfin en version française. Moins policée, moins morale, il décrit le voyage de Jack Kerouac et de Neal Cassidy, tel que l’avait imaginé son auteur, en 1951. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun, éd. Gallimard
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entre cour et jardins
festival jardins
de spectacles en
du 27 août au 5 sept. 2010
Art de Haute-Alsace L’Entre-deux-guerres
Musée des Beaux-Arts de Mulhouse Exposition du 5 juin au 19 septembre 2010 Gérard Chaillou
Tous les jours (sauf mardis) Entrée libre
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À L’OMBRE D’UN DOUTE 08 MAI - 29 AOÛT 10 I. ABALLÍ, ART ERRORISTE, N. BEIER & M. LUND, M. DE BOER, M. BONVICINI, DÉCOSTERD & RAHM, DECTOR & DUPUY, E. DEKYNDT, S. FRITSCHER, D. GARCÍA, T. HESSE, A. V. JANSSENS, J. KOVANDA, I. KRIEG, C. MCCORKLE, L.MOTTA, T. MOURAUD, N. THOENEN & M. GUSBERTI, M. GARCIA TORRES, K. SANDER, I. WILSON ---------------------------------------------------------------
49 NORD 6 EST -
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Dijon Barbirey-sur-Ouche www.ecej.fr réservations : infos@ecej.fr - 03 80 67 12 30
La Chaufferie galerie de l’école supérieure des arts décoratifs de strasbourg
Exposition 5, rue de la Manufacture des Tabacs, Strasbourg www.esad-stg.org/chaufferie
09.07 J 29.08.10 Pascal AUER ¦ Mircea CANTOR ¦ Matthew DAY JACKSON ¦ Jimmie DURHAM Daniel FIRMAN ¦ Laurie FRANCK ¦ Federico GUZMAN ¦ Bertrand LAVIER Jérémy LEDDA ¦ Mathieu MERCIER ¦ David RENAUD ¦ Reiner RUTHENBECK Jean-Michel SANEJOUAND ¦ Joe SCANLAN ¦ Roman SIGNER ¦ Marie VERRY ¦ Claire WILLEMANN
Tél. +33 (0)3 69 77 66 47 ¦ kunsthalle@mulhouse.fr www.kunsthallemulhouse.com
Phylactères, pieds de nez, pieds de table & autres piètements JOËL KERMARREC Du 18 juin au 19 septembre 2010
Daniel Firman, Gathering, 2000, Plâtre, vêtements, chaussures, son, lumière, objets divers en plastique, métal 270 x 1 60 x 200 cm, Collection FRAC Bourgogne © Daniel Firman, Photo : Frac Bourgogne Conception : médiapop + star★light
La vraie vie des icônes / 6 Par Christophe Meyer
Michael Jackson, traits creusés, projet de gravure Michael Jackson, traits creusés est un chantier de gravure centré sur la figure de Michael Jackson. L’un des objectifs de ce travail en progression est de réaliser, par la gravure en taille d’épargne une danse macabre ayant en mémoire tampon l’iconographique des danses macabres rhénanes, de la revitaliser par des images multiples en un équivalent clip visant à réinsérer, dans notre actualité crépusculaire, des fantômes. Le choix de la figure de Michael Jackson comme forme de travail pour ce projet de gravure s’est imposé à moi, suite à un accident de skateboard m’ayant réduit à l’inactivité sinon celle d’assister, médusé, devant l’écran de mon ordinateur, au phénomène causé par son décès de figure « royale » de ce que l’on nomme popculture. L’intrication entre sa personne, son image médiatique et ses apports créatifs sont interdépendants et ont projeté une série d’avatars, au sens ou nous entendons ce concept, ou nous nous reconnaissons tous, également, depuis le développement des identités virtuelles. Certains artistes se sont ainsi constitués un avatar, une image identifiante : Andy Warhol, lunettes sécu/ perruque blanche, a sa poupée mannequin jouet, stéréotype fétiche ludique. Karl Lagerfeld jouant de son personnage inscrit dans la haute couture, dans l’art contemporain et la consommation de masse, s’est construit une image en silhouette qui vaut logo. Authentiques icônes de la marchandise pop-culturelle contemporaine, il ne m’intéresse pas de les déconstruire, mon média choisi, la gravure, ne me le permettant pas de la même façon que la figure de MJ m’y pousse. La mise en scène dans ses clips, par Michael Jackson lui même, d’obsessions récurrentes m’intéressant (doubles ambivalents : homme-loup, ange démoniaque, mort-vivant, danse macabre, félins chargés chat noir, panthères), comme ses apparences physiques successives sont graphiques et en analogie avec le travail de la gravure, de la plaque noire à l’évanouissement dans le blanc de la forme, qui
se taille. Les différents états du travail sont les constats/images arrêtées d’un flux, d’un mouvement de ce travail en cours. Le cœur du travail est l’adéquation juste entre un sujet et un flux. La danse macabre est ici une projection dynamique, en équivalence aux figures et pas de danse de Michael Jackson jouant au corps-mort-vivant-mécanisé, secoué et ramené à la vie par des spasmes génésiques. Ainsi, d’une façon certaine, je taille : pulsion, entaille, encrage, impression. Michael Jackson, traits creusés, dessins, gravures, textes, une exposition jusqu’au 17 août à La Boutique au 10, rue Ste Hélène à Strasbourg
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Songs to learn and sing Par Vincent Vanoli
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Chronique de mes collines Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation.
Le Druide de Gyp
Il y a des vide-greniers même dans ma campagne. J’ai déniché, pour un euro, Le Druide (1885), de Gyp, dans une collection de romans populaires des années 1920, où le roman est, je ne sais pourquoi, retitré Geneviève. Gyp est une comtesse de Martel, née de Mirabeau. Cette spécialiste du roman mondain régna sur les lectures des veuves d’officiers et des épouses d’administrateurs coloniaux des années 1880 à la Grande Guerre. Le Druide est fichu n’importe comment. On patauge dans des histoires de maîtresses et des représentations aux Variétés durant trente pages d’un intérêt déclinant. Il est aussi beaucoup question de lettres anonymes. Et puis, sans que rien ne l’annonce, le personnage focal, Meg, se fait vitrioler par une inconnue. On devine alors, à un soudain réalisme qui était absent jusque là, que Gyp nous raconte son propre vitriolage (la romancière prétendait que c’était un coup de la maîtresse d’Octave Mirbaud).
Pour le coup, le roman devient franchement incohérent, mais aussi fort amusant, tant il est évident que Gyp règle dans sa littérature ses comptes avec sa rivale dans la vie. On apprendra donc de l’actrice « Geneviève Roland » (qui s’appelle en réalité madame Blaireau) que c’est « une ancienne artiste sans aucune notoriété des théâtres d’opérettes », qu’avant cela elle exerçait la profession de grue, qu’elle a très vraisemblablement empoisonné son premier mari, et qu’elle est tellement bête qu’elle s’accable elle-même devant le juge d’instruction, en répondant à des questions qu’on ne lui a pas posées et qu’elle ne peut pressentir que parce qu’elle est coupable. D’un autre côté, Gyp perd son lecteur dans des minuties du dossier qui ne sont compréhensibles que pour elle, par exemple des accusations de lesbianisme ayant circulé dans une feuille de chantage, et dont « Meg » démontre par des échafaudages de raisonnements qu’elles ne peuvent émaner que de la vitrioleuse. Dans le roman, les lettres anonymes puis le vitriolage sont dus à une jalousie de femme, mais une jalousie qui se trompe de cible. Ce n’est pas Meg que va épouser l’amant volage, mais la belle-sœur de celle-ci. Mais curieusement notre romancière se montre aussi peu bavarde sur le sujet des lettres anonymes qu’elle est prolixe sur le sujet de la couleur du manteau de la vitrioleuse ou sur les racontars que sème la vitrioleuse, et on garde un peu l’impression que, dans la vie, ce serait plutôt Gyp qui aurait écrit les lettres à sa rivale. On est, avec Gyp, dans une littérature de toquée, dont nos Christine Angot et nos Amélie Nothomb, que tout le monde trouve si modernes, sont les lointaines héritières. Gyp a sur ses descendantes l’avantage d’appartenir à une époque complètement révolue, ce qui dépayse le lecteur. Et puis Gyp avait l’amour des bêtes. C’est du moins ce que raconte Jules de Goncourt dans le Journal des Goncourt (15 mars 1894). Ce trait la rapproche d’autres hystériques des lettres de la Belle Époque, madame Rachilde ou Colette. Je n’ai pas l’impression que les héritières modernes de Gyp s’intéressent beaucoup aux bêtes.
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Tout contre la bande dessinée Par Fabien Texier – Illustration : détail de la seconde page de l’intervention de Jean-Yves Duhoo extrait du catalogue de l’exposition MM/MMX, paru à L’Association.
« Ce n’est pas que de la bande dessinée : c’est de l’histoire » Propos cité par Jochen Gerner dans Contre la bande dessinée, l’Association
Double anniversaire orageux : L’Association et Shampooing, une déjà ancienne histoire de désamour, mais avec quelles perspectives ? Dès les années 90, on s’écharpait déjà pas mal lors des réunions de l’Asso comme en témoigne à l’époque une planche de Trondheim où, lors d’une réunion des fondateurs, son personnage réclame l’édition d’œuvres plus ludiques, détournant les genres pour les faire évoluer. Un collègue lui rappelle alors en ricanant que justement, il l’a fait, et publié chez… Dargaud. Menu, dont l’œuvre personnelle s’est alors effacée, s’est affirmé comme la cheville ouvrière de la maison. Un conflit entre Marjane Satrapi et David B. provoque le premier grand départ d’un associé : le best-seller n’est pas sacrifié pour retenir un des fondateurs. Réputé aussi tyrannique et aussi ingérable qu’attachant, « M le Menu »* et sa politique intransigeante éloignent nombre de fondateurs et auteurs historiques. Peu de révélations depuis (Ruppert et Mulot, Aude Picault dénichée chez Warum, Dominique Goblet enfin accouchée), mais un indispensable travail de rééditions, traductions, théorie, soutien à des auteurs aux marges de la bande dessinée (Henriette Valium, Kiki et Loulou Picasso)… Menu, c’est aussi une intégrité qui ne se démentira jamais : comme ce refus de publier Chroniques Birmanes, la « suite » rabougrie de Shenzen et Pyongyang par Guy Delisle… qui fera de belles ventes chez Shampooing. C’est que Trondheim fait feu de tout bois tant dans le domaine éditorial que dans ses créations. Sa collection donne l’impression d’avoir imposé une nouvelle norme nourrie tant par les auteurs reconnus des indépendants que par la blogosphère ou la micro-édition. Elle assure une alternative populaire au traditionnel 48CC, mais manque singulièrement de vision et de souffle. Winshluss y a publié son moins bon livre, Aude Picault y a enlisé un Transat pourtant superbe par moments, Trondheim lui-même y publie de Petits riens qui ne valent pas grand chose pour un auteur de sa trempe… Parallèlement, le projet Donjon qu’il mène avec Sfar chez Delcourt, fascinante entreprise de démontage/remontage de l’heroïc-fantasy, a versé dans ce qu’elle dynamitait : la série à rallonge qui se dégrade avec son fan-club, ses produits dérivés… Ironie de l’histoire alors que l’auteur Trondheim semble tourner en rond en dépit des multiples expériences auxquelles il se livre (scénario d’un Spirou, strips pour smartphone), Menu revient avec parcimonie mais bonheur à la création, notamment avec ses Lock Groove Comix.
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À Sierre L’Asso montrait pour la première fois, à l’initiative du Sismics, l’exposition XX/MMX (ses vingt ans en 2010) : une petite centaine d’auteurs invités à puiser dans leurs archives une page publiée chez cet éditeur et à y répondre d’une manière ou d’une autre en 2010 par une autre. Le premier diptyque, signé Menu, fait allusion à la situation des « transfuges » partis s’amuser avec les dinosaures de l’édition et bien abîmés par l’expérience. Le principe est décliné par le gotha des indépendants venus ajouter leurs têtes à l’hydre mais aussi à de nouveaux venus. Jetons quelques noms : Baudoin, Zograf, Fabio, Ott, Malher, Gerner, M.-A. Mathieu, Vanoli, Blanquet, Sury, Guibert, Rabaté, Sattouf, Sapin, Sardon, Willem, B. Jacques, Berberian, Peeters, Woodring, Hagelberg, Max, Parrondo, Satrapi, Lundkvist, Blexbolex, Sommer, El Don Guillermo, Moizie, Carlé, Picard etc. David B, Killoffer et Trondheim manquent à l’appel (Blutch, Delisle et Sfar autres poids lourds non fondateurs sont également absents).Menu nous assure que tous les auteurs de L’Asso
ont été conviés à participer mais que certains ont refusé par principe, d’autres par manque de temps. À l’arrivée un très beau catalogue accompagné de textes de Pacôme Thiellement, Anne Baraou et Christian Rosset, mais pour l’exposition un système de présentation dans l’espace qui laisse un peu à désirer, et des trous béants dans cette rétrospective au parfum oubapien. Depuis le début de l’année Trondheim s’est livré à des attaques ad hominem contre le patron de L’Asso dans le magazine spécialisé Casemate et annonce sur le forum du site de Donjon : « Les 4 fondateurs susnommés (David B. Stanislas, Killoffer et lui-même NDLR), avec l’appui d’autres auteurs qui le souhaiteront, vont donc faire un livre, ailleurs, pour remettre les choses, et certaines personnes, en place. Et dire tout le bien qu’ils pensaient de la vraie Association. Et non de la Faussiation. » Des déclarations auxquelles Killoffer et Stanislas critiques mais toujours en bons termes avec Menu ne souscrivent pas… Sur le site personnel de Lewis Trondheim L’Association est prévu pour janvier chez Shampooing. Alors que dans les générations suivantes d’auteurs on considère parfois Menu bien isolé, une vision dissidente de l’histoire de l’illustre maison ne manquerait pas d’intérêt. Mais publié chez Delcourt et envisagé par certains comme un règlement de comptes, ce projet, s’il aboutit, ne peut que pourrir un contexte éditorial déjà malsain.
Cet épisode, peut-être anecdotique, nous semble en tous cas marquer définitivement la fin du cycle artistique et économique enclenché dans les années 90 dans la bande dessinée. Qu’en surgira-t-il ? Les collectifs de (micro) édition semblent toujours plus nombreux et plus actifs, Mattt Konture ou Baladi continuent d’œuvrer avec ferveur dans le fanzine, Ruppert et Mulot expérimentent toujours, consolidant leur influence sur la création (leur expo de phénakistiscopes à Sismics a mis tout le monde d’accord). … Au-delà de sa basique dimension stockage-accessibilité, la « révolution » numérique se pare des plus beaux atours du piège à cons, jusqu’à aujourd’hui du moins… Dans la garde rapprochée de Menu à Sierre on aura cru remarquer l’importance nouvelle prise par les auteur(e)s : Julie Doucet, Fanny Dalle-Rive, Aude Picault, Aurélie WilliamLevaux, ou Nine Antico. Des pistes à suivre.
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Mes égarements du cœur et de l’esprit Par Nicopirate Égarement #53 Heidi
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La stylistique des hits Par Matthieu Remy – Illustration : Dupuy-Berberian
L’oxymore
L’oxymore – les snobs s’amusent toujours à dire « oxymoron » comme s’ils savaient le grec sur le bout des doigts – est sans doute la figure de style dont l’économie intime est la plus simple à comprendre pour le néophyte et l’amateur de chanson. D’abord parce qu’elle sonne immédiatement. Ensuite parce qu’elle ne tarde pas à résonner en nous, se faisant l’écho d’une réalité complexe dont tout un chacun – y compris le moins sensible aux pouvoirs de la poésie – a pu expérimenter un aspect une fois dans sa vie. L’oxymore, c’est donc l’association de deux entités contraires dans un même ensemble syntaxique. L’exemple le plus connu vient de Corneille et de sa « sombre clarté » ou encore de Nerval qui évoque le fameux « soleil noir de la mélancolie ». Réalité complexe, donc, dotée d’une sorte d’évidence dans sa complexité : on n’est pas étonné que la mélancolie ait de l’éclat, ou qu’une lumière comporte quelque chose de funeste. L’oxymore peut ainsi servir une idéologie des plus dégueulasses, qui consiste souvent à nous faire comprendre que la noirceur est incluse dans ce qui se voudrait sans tache. Elle peut être soupçon nihiliste ou instrument d’un relativisme abjectement apolitique mais bien utilisée, elle est surtout là pour travailler contre l’univocité et suggérer une échappatoire comme le montre Catherine Fromilhague : « Voir presque ensemble deux faces opposées d’un même objet, c’est à la fois affirmer le caractère hétérogène d’une réalité où s’expriment des conflits – d’essence baroque -, et montrer
qu’on peut les transcender ; l’oxymore révèle là sa différence avec l’antithèse, et on a pu opposer le caractère tragique de l’antithèse, et la dimension paradisiaque d e l ’ox y m o re q u i h a r m o n i s e l e s contraires ». Récemment, en littérature, cela donne cet exemple généreux dans le formidable Quai de Ouistreham de Florence Aubenas du « rire chic et déluré » d’une petite paysanne. En chanson, et chronologiquement, on en trouve une très belle dans Comme ils disent de Charles Aznavour : « Je pense à mes amours sans joie si dérisoires/A ce garçon beau comme un Dieu/Qui sans rien faire a mis le feu à ma mémoire/ Ma bouche n’osera jamais/Lui avouer mon doux secret mon tendre drame ». Dans un ensemble plutôt pathétique, l’oxymore vient soudain dédramatiser, tout comme elle allège le contenu de My favourite mistake de Sheryl Crow, écrite à propos de Clapton par son ancienne petite amie. L’erreur n’est pas seulement une erreur, elle est aussi un bon souvenir, et tant mieux. D’autant que l’oxymore peut aussi permettre de bousculer les préjugés, en cherchant par exemple la beauté dans le difforme, comme le suggère Beautiful freak de Eels. Figure de style de l’écart, elle permet pourtant de rapprocher, de réconcilier et, effectivement d’harmoniser. En nous apprenant que la réalité est avant tout dialectique, et que la synthèse pour l’interpréter viendra du sens dans lequel on voudra bien faire pencher le balancier du style. Charles Aznavour – Comme ils disent Sheryl Crow – My favourite mistake Eels – Beautiful freak
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Herbier n°4 : Balaenae Contemporaneae Par Sophie Kaplan
« Oh, Achab, cria Starbuck, il n’est pas trop tard, même maintenant, le troisième jour, pour renoncer. Vois, Moby Dick ne te cherche pas. C’est toi, toi qui la cherches follement. » Moby Dick, Herman Melville
En moins d’un an, d’aucuns – parmi lesquels on compte autant de spécialistes reconnus que de curieux avertis - ont pu observer à deux reprises aux bords du Rhin une présence extraordinaire et inexplicable : celle du plus gros mammifère vivant au monde. Le premier spécimen (observé à la Kunsthalle de Bâle au printemps 2009) se trouvait à l’état de squelette, le second (observable à l’École des arts décoratifs de Strasbourg depuis avril dernier), à l’état de fossile en bois de cagettes. La première hypothèse avancée pour expliquer cette présence a été de type scientifique. Peu d’entre nous le savent et, les cailloux mis à part, personne ne s’en souvient, mais il fut un temps où la plaine du Rhin Supérieur était un fond marin. C’était il y a un peu moins de 250 millions d’années, au début du Mésozoïque. Les baleines de Strasbourg et de Bâle auraient donc pu être des reliques de cette ère géologique. Cependant, s’il est avéré que cette dernière a effectivement vu naître les plus gros animaux jamais poussés sur terre 1, l’apparition des premières baleines ne remonterait, elle, qu’à
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50 millions d’années, soit près de 15 millions d’années après la fin du Mésozoïque. L’hypothèse naturaliste a donc été rapidement rejetée par les spécialistes reconnus (et les curieux avertis). Actuellement, l’hypothèse la plus largement retenue est de type artistique. Après enquête, il apparait en effet que le spécimen dit de ‘la Kunsthalle de Bâle’2 fait en réalité partie d’une installation de l’artiste anglaise Lucy Skaer 3. Intitulée Leviathan Edge, l’œuvre se compose de très grands dessins sur papier et d’un squelette de baleine placé derrière plusieurs pans de mur qui en empêchent à la fois l’accès et la vision complète. Dans les dessins au graphite, des images de squelettes de baleine se superposent à des séries de quadrillages abstraits, ce qui confère à l’ensemble une impression de flottement et donne au visiteur la sensation irréelle que « la baleine bouge au-dessous de lui » 4. Comme dans ses autres oeuvres, et selon un mode opératoire proche de l’archéologie, Skaer active ici la charge symbolique qui se cache derrière les images existantes. La vue de la baleine dite ‘des Arts décos de Strasbourg’ est également fragmentaire. Sa queue dépasse rue de la Manufacture des Tabacs, sa tête rue de l’Académie, mais le reste de son corps, abrité derrière un mur 5, se dérobe au regard du passant. La baleine des Arts décos est l’œuvre de six étudiants de première année. Fille d’un éléphant et sœur d’un rhinocéros 6, elle est née en huit jours et a tout de suite atteint sa taille adulte, soit une quinzaine de mètres. Toute jeune encore, elle réussit néanmoins le tour de force d’aborder des questions aussi diverses et fondamentales que celles de la reproduction du réel à l’échelle du réel ou encore de l’In Situ et de l’œuvre d’art dans l’espace urbain. Avec elle, mythe et fiction trouvent une place de choix au cœur de l’École et de la Cité. 1 - Le Jurassique étant en effet l’une des grandes périodes du Mésozoïque. 2 - Le squelette appartient en fait aux collections du Museum d’Histoire Naturelle de la ville, auquel il a été emprunté. 3 - Cette installation était présentée dans le cadre de la très belle exposition personnelle de Lucy Skaer, A Boat Used as a Vessel, Kunsthalle Basel, 05/04-14/06/2009. 4 - Lucy Skaer. 5 - Il s’agit du mur d’enceinte de l’École des arts décoratifs. 6 – « L’éléphant » est le titre du workshop initié par les artistes et professeurs Patrick Lang et Benoît Decque lors de la semaine « hors limites » organisée aux Arts décoratifs fin mars 2010. Ce titre a été choisi en référence au travail de volume et de sculpture que le workshop entendait développer et qu’il a, de fait, développé en d’énormes proportions ! Le même workshop a également été l’occasion de réaliser un rhinocéros qui sera prochainement tiré en béton et exposé dans les rues de Guebwiller. Photo : La baleine, 2010, bois récupéré et vis, installation à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (tous droits réservés ESAD)
Modernons Par Nicolas Querci Un but : dénoncer les exactions du moderne.
Amerika 2000 Un matin, Erwan Mc Gregor Samsa, modeste intermittent du spectacle et militant de son état, découvrit avec stupeur qu’il s’était changé en cafard pendant la nuit. Une horrible carapace noirâtre avait recouvert son corps façonné par la bière. De fines pattes crochues lui avaient poussé qui l’encombrèrent pour se servir de l’écran tactile de son iPhone. De quoi était-il coupable ? Ses soupçons le portèrent alternativement vers la centrale nucléaire qui menaçait ruine, puis vers les antennes relais des opérateurs de téléphonie mobile. Erwan Mc Gregor Samsa eut tout juste le temps de revenir de sa surprise pour se blottir dans un coin quand sa demi-sœur vint l’avertir que le déjeuner l’attendait sur la table de sa famille recomposée. Ce n’est que lorsqu’elle s’approcha de la fenêtre pour évacuer l’odeur de cannabis qu’elle aperçut le gros insecte, qu’elle prit tout d’abord pour une sculpture en résine. Une fois assurée qu’il s’agissait bien de son frère, elle le ramena de force à table où les convives se comportèrent comme si de rien n’était. Sa mère ne voulait pas croire qu’elle avait pu engendrer un pareil monstre. On mettrait sûrement ça sur le compte de son divorce ! Mais la mère moderne reprit le dessus pour aider son fils à surmonter cette épreuve. En affectant de mener une vie normale, Erwan Mc Gregor Samsa dut se rendre à l’évidence que les infrastructures existantes n’étaient pas du tout adaptées pour les gens de son espèce. C’est en lançant un comité de soutien pour attirer l’attention sur son infirmité qu’il se rendit compte que son cas n’était pas totalement isolé : cafards, scarabées, fourmis, etc. ils étaient quelques centaines dans le même cas. Dès lors un nouvel horizon s’ouvrit. Erwan Mc Gregor Samsa étala sa misère sur les plateaux télé ; il devint l’emblème de la lutte contre les discriminations ; il fut au centre de performances artistiques débridées ; les créateurs de mode se l’arrachaient ; sa biographie connut un succès immense et fut adaptée au cinéma. Grâce à lui la société avait fait un bon énorme dans le sens du vent de la tolérance zéro. Erwan Mc Gregor Samsa nous a quittés la semaine dernière, emporté par la félonie d’un grand fabricant d’insecticide, inquiet de voir la cause des insectes gagner du terrain, et qui a versé du poison dans sa pitance.
cinérama 3 Par Olivier Bombarda
« Je ne veux parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma on parle de tout, on arrive à tout. » Jean-Luc Godard
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La véritable mission du cinéphile aux intentions de « passeur » : ouvrir son petit sac violet du festival de Cannes pour y retrouver, bien après la fin de la manifestation, les tracts des différents films vus. Puis enfin calfeutré chez lui par un temps d’orage, s’assurer qu’au coup de tonnerre du battage médiatique et de la mauvaise humeur, succèdera l’éclair. *
« Il est possible de tirer un profond plaisir de toute chose si l’on veut bien y consacrer un peu de temps afin d’en savoir plus. » Francis Ford Coppola * La 22 mai la Galice est en liesse : son fils prodigue, Oliver Laxe, avec son premier film Todos vós sodes capitáns a remporté un prix à Cannes ! La petite équipe de Zeitun Films (qui se résume au réalisateur, son frère et trois amis espagnols) n’en croit pas ses yeux face à Google qui répète inlassablement le même communiqué de sa victoire. Pouvait-elle imaginer que le Prix FIPRESCI de la critique internationale de la Quinzaine des réalisateurs générerait un tel enthousiasme ? « L’effet Cannes » a parfois du bon, ici faire sortir du lot un film réalisé avec trois sous et mettre en lumière un beau sujet : des enfants issus des rues de Tanger retrouvent leur dignité grâce à l’apprentissage d’une caméra et de l’art de filmer. L’amour du cinéma mais aussi certaines désillusions baignent ce long métrage noir et blanc admirable. *
« Dans les silences, on peut dire tant de choses. » Michelangelo Antonioni *
« Il y a le visible et l’invisible. Si vous ne filmez que le visible, c’est un téléfilm que vous faites. » Jean-Luc Godard
En guise d’argumentation critique pendant le festival de Cannes, Le Figaro cède aux charmes de la vidéo « zapping » sur le web. Plans serrés de trognes de journalistes rougies par le soleil sur fond de plage (le verre de champ’ pas loin) pour un exemple navrant de vulgarité au sujet d’un film : « L’assommante agonie d’un paysan qui a le diabète et qui voit revenir tous les fantômes de son passé, le film est interminable, plein de visions inintéressantes » (...) « Je vous recommande surtout, pour bien rigoler, une recette de poisson-chat qui se glisse dans une mare entre les cuisses d’une princesse défigurée, là je crois que Maïté et Julie Andrieu devrait s’en inspirer ». Le film ? La Palme d’Or 2010 attribuée quelques jours plus tard par le Jury présidé par Tim Burton à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures d’Apichatpong Weerasethakul... *
« Les êtres vivants sont héritiers de leurs action. » Bouddha * Ha Ha Ha, le dernier opus d’Hong Sangsoo semble s’esclaffer du Prix Un Certain Regard attribué par Claire Denis et son Jury. Libre, généreux, centré sur les péripéties et les chassés-croisés amoureux, Ha Ha Ha se moque comme s’il était l’héritier naturel d’un certain type de films français des années 60 à la suite d’une étrange métempsychose coréenne. Les deux héros du film, Jo Munkyung et Bang Junshik peuvent tranquillement continuer à se saouler en évoquant leurs souvenirs de femmes, aucune amnésie n’est à signaler de leur côté. * Mathieu Amalric est en tournée pour des avantpremières dans les salles françaises. Sans cesse il semble ne pas croire au prix de la mise en scène qu’il a remporté récemment à Cannes avec son dernier beau film Tournée. Timide, il est pourtant vaillant lorsqu’il s’agit de répondre au public. En fin de séance et comme dans un rêve éveillé, il signe des autographes. Il a un mot pour chacun et paraît toujours étonné qu’on lui parle encore sur le trottoir devant le cinéma. À la fin, il est tout seul. Somnambule, il propose alors au dernier chaland qui passe d’aller boire un verre : « Allons ! Que diable ! C’est ma tournée ! »
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Top challenge 1 Par Julien Rubiloni
Pour le plaisir de vous surpasser et accélérer vos neurones, attribuez le bon texte à la photo.
Texte 1 « Qu’ils viennent voir nos conditions de vie ! Et voir nos enfants comme ils sont jetés dans nos allées, squattant les balcons, sans logements, sans nourritures, sans eau, sans électricité. C’est ça une vie ? Ca c’est un blocus, c’est le plus grand des blocus ! Que le monde vienne nous voir, qu’il vienne voir comment nous vivons. Nous sommes abandonnés. Nous ne pouvons pas aller jouer, ni rire, ni apprendre, ni regarder des programmes pour enfants. Tu allumes la télé, tout le pays n’est que deuil et sépultures. Et pan et meurt ! La guerre, les tanks et les incursions. Il n’y a pas de programmes pour enfants qui pourraient nous instruire. Il n’y a pas de dessins animés pour que nous puissions nous divertir, de programmes pour tuer l’ennui. Il n’y a que des blessés, des morts et des larmes. Nous sommes ici sans nourriture, sans logement, ni eau et sans… sans rien tout simplement. Nous sommes abandonnés et jetés. Regardez les autres peuples comme ils sont aux conforts. Ils jouent, ils rigolent et sont joyeux. » Texte 2 « La place est belle, tu as vu la pierre de taille ? J’ai entendu dire qu’ils la nettoyaient chaque matin et que, de toute façon, le chewing-gum n’adhérait pas au sol. La municipalité l’a fait venir de Chine, c’est éclatant. Et comme les drapeaux ressortent bien sur la pierre blanche et les dorures. Ils sont l’âme protectrice de toute cette place. Tu veux que je te dise, la nouvelle génération ne mérite pas un tel honneur, mais soyons d’accord, le maire a bien fait son boulot. Oui, de notre temps, il y avait du respect, de la confiance, on se sentait chez nous. Tu as changé de chaussures ? Elles me paraissent bien confortables. J’ai fait les soldes avec Jacqueline. »
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Texte 3 Incarnation passagère / je me mure en statue / je suis pierre, feuille, ciseau Rends-moi utile Je me penche à la fenêtre / il n’y a personne / juste de quoi manger (Un homme essuie sa semelle gauche sur le dos du trottoir) Passes-moi l’aspirateur que je m’éponge un peu / pulvérises-moi Ici la mer ferme à 16h / et le dimanche ? Nostalgie de la guerre / les sapins pleurent (Et dire que ces ânes parlent tout bas) Les oiseaux de combat / les pommes de terre Conscience / inconscience / pertes blanches Je me rue dans tes brancards (Un trognon, deux mégots, cinq sangsues) Connaissez-vous l’histoire / des doigts de la main Chacun se pose / hommes, femmes / chiens Où sont les traîtres ? (Il n’en est plus question)
AK-47 par Fabien Texier
« Il est douloureux pour moi de voir des criminels en tout genre faire feu avec mon arme (…) À la base, je l’ai créée pour la sauvegarde de notre Mère Patrie » Mikhaïl Kalachnikov
Karlito’s Way Un journaliste-animateur matinal et hydrocéphale sur France Info le 22.06, de mémoire : « Les dessins de Karl Lagerfeld illustrent Libé, avec lui les dessins de presse ont enfin du sens. » Killoffer, Gerner & co., arrêtez de pourrir nos grands quotidiens avec vos inepties ! Page 5 du programme de Fous d’image, manifestation strasbourgeoise qui accouple belle expo d’illustration, Trente-six comparses, à la médiathèque Malraux, tournois de pokemon, vidéo expérimentale coréenne, animation culturelle, peinture romantique : « Lié à l’éphémère, le dessin de presse à peine vu est déjà oublié. » Transmis à Tomi U. et aux blaireaux du New Yorker. Un blog d’énarque (oh oui ! oh oui !), sur un mode admiratif : « Très bonne la BD Quai d’Orsay de Blain et Lanzac. Je ferais mieux de faire de la BD plutôt que de me faire chier à tenir un blog. » Allez Christophe Blain, tu arriverais à nous tenir un blog du tonnerre si tu bossais un peu ! Quand on regarde les beaux dessins de Karlito, on se dit qu’effectivement, lui ce n’est pas un manchot ! Et puis il passe à la télé, lui… Il a de grosses lunettes, un accent bizarre, et il connaît Carlita en plus… La classe américaine ! Rien de neuf sous le soleil : un pingouin filmé par TF1 sera toujours plus respecté qu’un dessinateur. Le problème ne viendrait-il pas de l’indifférenciation qui règne dans la plupart des manifestations de bande dessinée et d’illustration : le côtoiement du pire, du meilleur, et de ce qui n’a rien à voir ?
Le monde est un seul / 8 Par Christophe Fourvel
Éloge du sourire de Ricardo Darín (entre autres)
Voir certains films peut rendre vraiment heureux. Ils distillent en nous un plaisir qui n’est pas volatile, très éloigné de la distraction si en vogue. Ils sont porteurs de promesses, d’avenir. Ils parviennent à affiner notre regard sur le monde sans nous ennuyer ni avoir l’air de nous donner une leçon. Car il existe aussi, à l’opposé, des leçons cinématographiques magistrales qui m’ont grandi ou ébloui sans pour autant me rendre heureux. C’est en pensant à ces films, je crois, que j’ai voulu écrire des livres qui parlent de cinéma : par gratitude pour ces moments qui s’invitent dans notre vie et lui donnent une chance d’être à la fois plus exigeante et plus belle, plus émue et plus joyeuse. J’ai vraiment été heureux ces dernières années, en regardant entre autres, deux films argentins. Les Neuf Reines et récemment El Secreto de sus ojos, un peu paresseusement traduit par Dans ses yeux. Et je sais à quel point ma jubilation tient en la présence dans ces deux films de l’acteur Ricardo Darín et de ses sourires. Les Neuf Reines est une histoire de petits malfrats de Buenos Aires pendant la dernière et violente crise économique qui a littéralement éreinté le pays au tout début de cette décennie. Ricardo Darín est Marcos, un salopard céleste comme il existe des clochards célestes, même si c’est plus difficile à imaginer. Dans El Secreto de sus ojos, il est Benjamin Esposito, un employé du tribunal de justice de Buenos Aires durant quelques-unes des pires années qu’a vécues le pays, avant et pendant la dernière dictature militaire. Déjà, les deux films font aimer un pays où la misère et l’injustice prennent plaisir à jouer sur plusieurs registres pour pouvoir frapper plus souvent. Ricardo Darín sera donc pour nous le porteño, le type de la capitale chargé de manière implicite de faire affleurer l’âme argentine dans un grand éventail de sourires. Il sourit
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par ruse, par désespoir, par nostalgie et face à ses défaites. Il sourit magnifiquement pour séduire bien sûr, pour taquiner, pour mentir, pour dire qu’il s’est mal comporté, pour reconnaître son impuissance, pour finir d’injecter son venin sous la peau de ses ennemis. Ricardo Darín sourit comme la mélodie issue d’un bandonéon ou d’un tango, devant la comédie du temps qui passe. Le sourire est une expression qui me convainc bien mieux que le rire avec lequel, au fond, il n’a pas grand-chose à voir. Plus nuancé, plus sensuel, il révèle la vérité profonde des êtres. Le sourire existe aussi en littérature. Il est alors une forme d’élégance et d’intelligence habillant le constat de notre irréductible petitesse. De beaux sourires rayonnent dans les notes du poète Jean-Luc Sarré que les éditions suisses La Dogana éditent et rééditent (pour une partie) ce printemps. Un sourire au hasard : Constituer une cave de vins de garde me semble le comble de l’optimisme. Ou encore : Je ressortis de ce cabinet de consultation un peu moins mortel que je n’y étais entré. Le sourire efface tout, dérobe tout. Ainsi encore, dans Paludes, d’André Gide, un livre qui m’a rendu heureux il y a une vingtaine d’années, ce sourire qui dit son étonnante superiorité sur la beauté du monde organique. Un air presque tiède soufflait ; au-dessus de l’eau, de frêles gramens se penchaient que firent ployer des insectes. Une poussée germinative disjoignait les marges de pierres ; un peu d’eau s’enfuyait, humectait les racines. Des mousses, jusqu’au fond descendues, faisaient une profondeur avec l’ombre : des algues glauques retenaient des bulles d’air pour la respiration des larves. Un hydrophile vint à passer. Je ne pus retenir une pensée poétique et, sortant un nouveau feuillet de ma poche, j’écrivis : Tityre sourit.
Les Neuf Reines est un film de Fabián Bielinsky (2000) Dans ses yeux est un film de Juan José Campanella (2009) Comme si rien ne pressait (carnets 1990-2005) de Jean-Luc Sarré, est publié aux éditions La Dogana Paludes d’André Gide est disponible dans la collection Folio/Gallimard photo : Ricardo Darín, fumant entre deux sourires (Dans ses yeux)
Sur la crête Henri Walliser + Denis Scheubel
Cachez tout ce que je ne saurais voir Exhibez tout ce que je rêve d’avoir Le corps de l’autre est souvent loin quand il souffre. Il nous concerne soudain quand il choque. L’hystérie contre la sensualité et l’hystérie contre la pudeur ne seraient-elles pas un peu les mêmes ? Elles sont assises sur les mêmes socles. À nous de savoir lesquels. Une œuvre d’art est-elle une œuvre d’art quand elle peut dévoiler la beauté, la laideur sans provoquer la rage des spécialistes ? Les limites ont l’air toujours aussi faciles à poser. Les frontières toujours aussi difficiles à définir.
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JACK DANIEL’S et OLD NO. 7 brand sont des marques déposées. ©2009 Jack Daniel’s. RCS BOBIGNY : 414 749 200
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*Ce n’est ni un scotch, ni un bourbon, c’est du Jack. Chaque goutte est filtrée sur 3 mètres de charbon de bois d’érable. C’est ce qui fait de Jack un Tennessee Whiskey.
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Jonathan Knowles, photographe, imagine Desperados Red
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