NOVO HORS-SÉRIE N°21 (septembre 2021)

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Biennale de la photographie de Mulhouse 2020

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THIS IS THE END

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Hors-série NOVO Nº 21



3 Ours Directeur de la publication et de la rédaction Philippe Schweyer Direction artistique et graphisme Starlight Ont participé à ce numéro hors-série Rédacteurs Dominique Bannwarth, Nicolas Bézard, Caroline Châtelet, Sylvia Dubost et Michel Poivert. Traduction Tatjana Marwinski Couverture Geert Goiris, Floating Jacket, 2018. Courtesy Galerie Art Concept Ce numéro hors-série est édité par Médiapop 12 quai d’Isly – 68100 Mulhouse Sarl au capital de 1000 € Siret 507 961 001 00017 Direction : Philippe Schweyer ps@mediapop.fr – 06 22 44 68 67 www.mediapop.fr Imprimeur OTT (67) Dépôt légal : septembre 2020 ISSN : 1969-9514 – © Novo 2020 NOVO est édité par CHICMEDIAS et MÉDIAPOP www.novomag.fr

THIS IS THE END BPM 2020 Journées d’ouverture 11 — 12 — 13.09.2020 Vendredi 11 septembre 14h / Quai des Cigognes, Berges de l’Ill Visite avec les photographes Jessica Auer et Guillaume Collignon 16h / Parvis du Chrome (à coté de la gare) et Canal Rhin-Rhône Ouverture de l’exposition des Écoles Supérieures d’Art du Grand Est 18h-22h / Musée des Beaux-Arts * Ce noir tout autour qui paraît nous cerner Visites de l’exposition avec Nolween Brod, Isabelle Giovacchini, Gert Goiris, Jean-Baptiste Grangier, Madeleine Millot-Durrenberger, Alain Willaume et la commissaire Anne Immelé

18h-22h / Musée des Beaux-Arts * Tout le jour il fait nuit noire Visites de l’exposition avec les photographes Thérèse Verrat et Vincent Toussaint et la commissaire Virginie Huet Samedi 12 septembre 11h / La Filature Visites avec le photographe Christophe Bourguedieu 12h30 / Chapelle Saint Jean Vernissage de l’exposition avec l'artiste Serges Lhermitte 14h / Musée des Beaux-Arts Visites de l’exposition avec Thérèse Verrat et Vincent Toussaint Visites de l’exposition avec Nolwenn Brod, Isabelle Giovacchini, Jean-Baptiste Grangier * 14h-18h / Bibliothèque Grand’Rue Le livre comme espace photographique : Une après-midi dédiée aux modes d’édition de la photo contemporaine. En lien avec l’exposition imaginée par Pascal Amoyel, la BPM propose des rencontres avec des photographes et éditeurs. Au programme de l’après-midi : Présentation de livres, projections et discussions, signatures, autant de témoignages de la vitalité et de la diversité des éditions photographiques, avec un focus sur des livres en lien avec This Is the End, thématique de la BPM 2020. 14h-17h / Patio Bibliothèque Grand’Rue Découverte d’ouvrages en présence des auteurs. Focus sur les diplômés de l’Écal, Lausanne proposition d’Ange-Frédéric Koffi : Noé Cotter, Matthieu Croizier, Alexandra Dautel, Line Petitguyot. Focus sur la Régio, proposition de Marie-Paule Bilger : Patrick Bogner, Guillaume Chauvin, JeanJacques Delattre, Françoise Saur, Dana Popescu, Sandrine Rummelhardt. Focus sur des photographes édités par Médiapop (Philip Anstett, Pascal Bastien, Francis Kauffmann et Ayline Olukman) & Présentation du Prix Jeunes Talents vfg, Zurich. 15h-17h / Salle de conférence Bibliothèque Grand’Rue PARLONS LIVRES PHOTOS Modérateur : Nicolas Bézard 15h Alain Willaume, pour Coordonnées 72/18, éditions Xavier Baral 15h30 Geert Goiris, pour World Without Us, Roma 16h Ayline Olukman pour La Mue, Médiapop Éditions 16h30 Thomas Boivin pour A short Story, auto-édité

17h / Galerie de la Bibliothèque Grand’Rue Vernissage de l’exposition, suivi d’une visite par Pascal Amoyel (commissaire) et d’une présentation des livres d’Olivier Kervern, Antoine Seiter et Jean Marquès par les auteurs. 19h / Kohi coffee shop Vernissage de l’exposition de Thomas Boivin Dimanche 13 septembre 11h / Le Séchoir Visite de l’exposition, en présence des photographes et du commissaire Mickaël Roy 14h-18h / Parcours de découverte des installations extérieures 14h / Chalampé, devant la Bibliothèque Présentation de l'installation de Lynn Alleva Lilley 15h / Ottmarsheim, devant la piscine Aquarhin Rencontre avec Jessica Auer 16h / Hombourg, devant le presbytère et rue Principale Rencontre avec Geert Goiris suivie à 17h du verre de l’amitié.

AUTRES RDV 22 août / 17h / La Filature Visite avec Christophe Bourguedieu suivi du vernissage. 2 septembre / 18h / KM0 Le O(FF)20 de Mulhouse Art Contemporain – FAUDA de Fahd El Jaoudi 4 septembre / 18h30 / Le Séchoir Vernissage de l’exposition Pour tout le sel de la terre 18 septembre / 19h / Kunsthaus L6 Freiburg Vernissage de l’exposition THE AND 22 novembre / 15h / Musée des Beaux-Arts Lecture de Gérard Haller sur des photographies d’Alain Willaume 19 et 20 septembre / Journées du patrimoine 19 septembre / 14h -18h / Chapelle Saint Jean Visites de l’exposition de Serge Lhermitte 19 septembre / 14h30, 15h30, 16h30, 17h30 / Musée des Beaux-Arts Concert Nuit noire, Sarah Frick, soprane et Sandrine Weidmann pianiste. 19 septembre / 15h / Le Séchoir Visite commentée avec Mickaël Roy 20 septembre / 15h / Musée des Beaux-Arts Rencontre avec Madeleine Millot-Durrenberger 20 septembre / 17h / Le Séchoir Table ronde « Le Bassin potassique : perceptions et représentations d’un territoire contrasté »

* Réservation obligatoire à accueil.musees@mulhouse-alsace.fr ou https://sorties.jds.fr/



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Infos pratiques EXPOSITIONS CE NOIR TOUT AUTOUR QUI PARAîT NOUS CERNER Nolwenn Brod, Isabelle Giovacchini, Geert Goiris, Jean-Baptiste Grangier, Raymond Meeks, Giovanna Silva, Alain Willaume Photographies de la collection de Madeleine Millot-Durrenberger : Manuel Alvarez-Bravo, John Baldessari, Patrick Bailly-Maître-Grand, Zolt-Peter Barta, Hervé Bohnert, Sophie Calle, Rudolf Schäfer Commissariat d’exposition : Anne Immelé 11 septembre — 10 janvier Musée des Beaux-Arts 4 Place Guillaume Tell, 68100 Mulhouse Ouvert tous les jours, sauf mardis et jours fériés : 13h-18h30 Renseignements : 03 89 33 78 11

TOUT LE JOUR IL FAIT NUIT NOIRE Thérèse Verrat et Vincent Toussaint Commissariat d’exposition : Virginie Huet Centre Culturel Français de Fribourg HORS LES MURS Musée des Beaux-Arts 4 Place Guillaume Tell, 68100 Mulhouse Ouvert tous les jours, sauf mardis et jours fériés de 13h à 18h30 Renseignements : 03 89 33 78 11

COMME DES TOURBILLONS DE POUSSIÈRE Absalon, Arnaud Claass, Pascal Convert, François Deladerrière, Emmet Gowin, Paul Graham, Richard Kalvar, Olivier Kerven, Géraldine Lay, Benoit Linder, Jean Marquès, Nicolas Nixon, Louis Perreault, Antoine Seiter, Issey Suda, Johan Van Der Keuken Commissariat d’exposition : Pascal Amoyel 11 septembre — 7 novembre Bibliothèque Grand-Rue Mulhouse 19 Grand Rue, 68100 Mulhouse Ouvert du mardi au vendredi de 10h à 12h et de 13h30 à 18h30 Les samedis de 10h à 17h30 Renseignements : 03 69 77 67 17

AVANT LA NUIT Christophe Bourguedieu Commissariat d’exposition : Anne Immelé 28 août — 13 septembre La Filature 20 Allée Nathan Katz, 68090 Mulhouse cedex Ouvert du mardi au samedi de 13h30 à 18h30 Les dimanches de 14h à 18h Les soirs de spectacles, entrée libre Renseignements : 03 89 36 28 28 POUR TOUT LE SEL DE LA TERRE Bernard Birsinger, Stéphane Spach, Dominique Bannwarth, Jacky Naegelen & Sylvain Scubbi Commissariat d’exposition : Mickaël Roy 4 septembre — 20 septembre Le Séchoir 25 Rue Josué Hofer, 68200 Mulhouse Au dernier étage. Ouvert tous les samedis & dimanches de 14h à 18h et sur rendez-vous au 03 89 46 06 37 THE AND Irène de Andres, Julius Brauckmann, Lorraine Hellwig, Daniel Kurth, David Meskhi, Barbara Probst, Laura Schawelka Commissariat d’exposition : Maria Sitte et Ann-Katrin Harr 18 septembre — 1er novembre Kunsthaus L6 Freiburg (DE) Lameystraße 6, 79108 Freiburg im Breisgau Ouvert les jeudis et vendredis de 16h à 19h Les samedis et dimanches de 11h à 17h Renseignements : + 49 761 503 87 04 CARNET DE MULHOUSE Thomas Boivin 4 septembre — 31 octobre Kohi coffee shop 4 rue des Franciscains, 68100 Mulhouse Du mardi au vendredi de 9h à 18h30 Samedi de 10h à 18h30 Dimanche de 11h à 19h Renseignements : 06 15 38 05 03



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Infos pratiques INSTALLATION À LA POURSUITE... DES COURBES Serge Lhermitte 11 septembre — 20 septembre Chapelle Saint-Jean 19B Grand Rue, 68100 Mulhouse Ouverture les 11, 12, 13 septembre de 10h à 18h Du 16 au 18 septembre de 14h à 18h et sur rendez-vous au 06 99 73 81 80

EXPOSITIONS DANS L’ESPACE PUBLIC WORLD WITHOUT US Geert Goiris À partir du 15 juin Commune de Hombourg Photographies en extérieur Devant le presbytère Rue Principale

DEEP TIME Lynn Alleva Lilley À partir du 15 juin Commune de Chalampé Photographies en extérieur Bibliothèque Municipale, Avenue Pierre Emile Lucas

NIAGARA FALLS Jessica Auer À partir du 15 juin Commune d’Ottmarsheim Photographies en extérieur Devant la piscine Aquarhin

DÉAMBULATIONS ENTROPIQUES Guillaume Collignon À partir du 29 juin Mulhouse Photographies en extérieur Quai des Cigognes. Sur les berges de l'Ill

RE-CREATIONAL-SPACES (2005-2020) LOOKING NORTH Jessica Auer À partir du 29 juin Mulhouse Photographies en extérieur Quai des Cigognes. Sur les berges de l'Ill POINT CARDINAL II Écoles Supérieures d’Art du Grand Est 2 septembre — 30 octobre Mulhouse Photographies en extérieur Affichages urbains des écoles d’art du Grand Est En partenariat avec JC Decaux Parvis du Chrome et le long du canal (face au Musée de l’Impression sur Étoffes)

Les partenaires de l’édition 2020 de la BPM La Biennale de la Photographie de Mulhouse est organisée par l’association l’Agrandisseur, membre du réseau Versant Est. Président : François Diserens Coordination technique et administrative : Jean-Yves Guénier Direction artistique : Anne Immelé Commissaire associé : Pascal Amoyel Commissaires invités : Virginie Huet, Ann-Katrin Harr, Maria Sitte, Mickaël Roy Les partenaires financiers : La Ville de Mulhouse, la Région Grand Est, le conseil départemental du Haut-Rhin La DRAC Grand Est pour le volet éducation à l’image Les communes de Chalampé, Hombourg et Ottmarsheim Les partenaires culturels à Mulhouse : Le musée des Beaux-Arts de Mulhouse, les bibliothèques-médiathèques de Mulhouse, Mulhouse Art Contemporain, la Filature - scène nationale, le Séchoir, Motoco, Le LAC du Lycée Stoessel, le Kohi, la Librairie 47° Nord, le cinéma Bel Air En Allemagne : Kunsthaus L6, le CCFF - Centre Culturel français de Freiburg. Dans le Grand Est : Le Cri des Lumières (Lunéville), la HEAR - Haute École des Arts du Rhin, L’ESAL - École Supérieure d’Art de Lorraine (Metz), l’ENSA - École Nationale Supérieure d’Art de Nancy, l’ESAD - École Supérieure d’Art et Design de Reims, La Chambre (Strasbourg). Partenaires et prêteurs pour l’édition 2020 : Tendance Floue, galerie VU, la Fondation des artistes, la galerie Art Concept, le Frac Alsace, le Frac Paca, la coll. Madeleine Millot-Durrenberger, coll. privée Partenaire privé : JC Decaux Les partenaires média : Novo, L’Alsace


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Alain Willaume, Chutes du Niagara 2003. Courtesy Alain Willaume / Tendance Floue

L’imminence de la fin Par Nicolas Bézard

En sept années d’existence, la Biennale de la Photographie de Mulhouse s’est imposée comme un rendez-vous culturel majeur dans le Grand-Est. Sa directrice artistique Anne Immelé nous parle de l’identité de la manifestation qui pour sa quatrième édition convoque un imaginaire des confins et des fins de cycle et d’époque.


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Quel regard portez-vous sur l’évolution de la Biennale de la photographie de Mulhouse? Un regard très positif. La Ville de Mulhouse et la Région Alsace nous soutiennent fortement et nous avons renforcé nos liens avec les équipes du Musée des Beaux-Arts, de l’espace d’exposition de la Bibliothèque-Médiathèque, de même qu’avec La Filature et Mulhouse Art Contemporain. Un lien de confiance s’est créé, au fil des éditions, avec les principaux acteurs mulhousiens de la culture. Nous bénéficions d’une synergie générée par des lieux tels que Le Séchoir ou Motoco, qui sont des partenaires actifs de la BPM, sans oublier Médiapop qui depuis le début nous accompagne. Enfin la part de production d’œuvres est en augmentation. Qu’est-ce qui distingue la BPM des autres événements nationaux dédiés à la photographie ? Un esprit, présent depuis le départ, à la fois éclectique et exigeant, ouvert sur la diversité des usages de la photo dans le champ contemporain. Nous avons toujours voulu penser la photographie dans ses multiples contextes, qu’ils soient esthétiques, technologiques ou historiques. Ce qui nous différencie, c’est peut-être une alchimie propre à notre programmation, un positionnement affirmé. Notre singularité est de penser la photographie mais aussi l’exposition en tant que médium et de mélanger des auteurs reconnus à d’autres qui sont prometteurs et/ou peu montrés en France. C’est en outre, au-delà du socle de recherche sur lequel repose l’événement, faire confiance à l’intuition. Prendre le temps de développer des projets et des expositions sur un temps long, ce que le format bisannuel rend possible. L’enjeu des échanges avec les photographes est une motivation forte, qui se traduit par les journées de rencontre avec le public du festival. La dimension transfrontalière apporte une singularité de plus, avec une présence de la BPM en Allemagne grâce au Centre Culturel Français de Freiburg et au Kunsthaus L6. Dès le départ il nous a semblé important d’avoir des lieux d’exposition ne se cantonnant pas à Mulhouse, mais rayonnant au-delà de la ville avec des photographies exposées dans l’espace public à Hombourg, Chalampé et Ottmarsheim. Déjà amorcée en 2018, cette tendance « hors les murs » s’accentue cette année avec des images visibles sur les berges de l’Ill, avec toujours à l’esprit l’articulation entre espace public et lieu d’exposition institutionnel. Comment s’opère le choix des commissaires et des artistes exposés ? En 2013, le choix était surtout lié à mes travaux universitaires dans le champ de l’exposition photographique. C’est par ce biais que j’ai pu inviter des auteurs comme Raymonde April, Vincent Delbrouck ou Isabelle Le Minh et réfléchir à la manière dont on organise la photographie au sein

de séquences, d’agencements ou de constellations. Mais dès la deuxième édition sont venus vers nous des artistes ou des commissaires qui souhaitaient nous faire des propositions. Esthétique ou humaine, la rencontre est donc ce qui motive en priorité nos choix de programmation. Au fil des éditions vous avez su créer un lien de fidélité avec certains artistes et commissaires, c’est le cas de Pascal Amoyel par exemple. Invité lors de la BPM 2016 en tant que photographe, Pascal Amoyel est intervenu en 2018 en qualité de commissaire d’exposition associé – ce qu’il sera à nouveau pour cette nouvelle édition. Nous partageons des sensibilités et des interrogations sur la relation que noue le médium photographique avec le réel, et sa place dans l’espace d’exposition. Cette année nous pourrons également compter sur des curateurs nous ayant fait des suggestions. C’est le cas de Virginie Huet, qui a co-dirigé le festival Photo Saint Germain et nous a proposé le très beau travail du duo Thérèse Verrat et de Vincent Toussaint au CCFF. Pour le volet allemand, nous avons invité les jeunes commissaires Maria Sitte et Ann-Kathrin Harr. Enfin le commissaire mulhousien Mickaël Roy interroge l’anthropocène au regard de problématiques locales. Nous avions aussi invité Océane Ragoucy et Laura Morsch-Kihn, pour une programmation de projections, auxquelles nous avons dû renoncer en raison de la crise du Covid-19. Leitmotiv cette année, This Is the End renvoie de manière troublante à la période que l’humanité est actuellement en train de connaître, toute à la fois faite d’inquiétudes et de remises en question nécessaires. Les choses se sont brutalement accélérées depuis que le thème a été choisi il y a deux ans. À l’origine, il se voulait une résonance avec un fond imaginaire qui n’était pas particulièrement ancré dans ce que nous vivons aujourd’hui, en un écho au titre de The Doors, The End, rendu célèbre par le film de Francis Ford Coppola Apocalypse Now. Nous souhaitions d’abord l’associer à l’univers du rock et du punk, qui ont été aussi des manières d’adopter une attitude critique face à l’institution et à la société de consommation. Mais l’actualité nous a rattrapé, d’abord avec les visions effrayantes des incendies en Australie, puis évidemment avec la question de la contagion et le virus du Covid-19 qui nous renvoie à des situations extrêmes que l’on a pu voir dans des films mettant en scène la fin du monde. L’autre fondement de la thématique 2020 est le désir de ruine qui traverse l’histoire de l’art, du romantisme à Bunker Archéologie de Paul Virilio. D’une certaine façon, nous le questionnions déjà dans la précédente édition de la BPM par le biais de l’exposition Zone avec la série de Kazuma Obara sur les conséquences invisibles de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.


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l’exploitation du gaz de schiste en Afrique du sud, mais aussi dans l’exposition conçue par Mickaël Roy qui réunit un corpus de photos documentaires réalisées dans les mines de potasse en Alsace depuis les années 80. Engendré par le capitalisme, le tourisme a lui aussi profondément impacté le paysage. Cet aspect est très présent dans les séries de Jessica Auer, photographe canadienne qui s’est intéressée à la conséquence du tourisme sur des sites naturels américains ou européens. Des préoccupations faisant écho à celles de Guillaume Collignon, qui observe dans les Alpes ce même phénomène d’aménagement spectaculaire du paysage au profit d’un tourisme de masse. Enfin, l’exposition présentée au Kunsthaus L6 interroge la problématique de l’hyper consommation vers le champ des images. Elle se demande dans quel circuit celles-ci sont produites en vue de devenir des objets de publicité, de marchandisation ou d’optimisation de sa propre identité virtuelle sur les réseaux sociaux. Manuel Alvarez Bravo, Après l’émeute, Ouvrier gréviste assassiné, 1934. Coll. Madeleine Millot-Durrenberger

Beaucoup d’artistes sont habités par ce sujet. Un travail particulièrement emblématique de cette édition est celui de Geert Goiris. Ses photos ont pour sujet la représentation d’un monde humain parvenu à son terme, dans une approche marquée par la disparition massive des espèces vivantes. Des images qui évoquent l’imminence de la fin, mais qui se rapportent aussi à une échelle de temps considérable. On retrouve cette interpénétration des temporalités chez Lynn Alleva Lilley dont les images mêlent l’instant présent et l’âge lointain dont témoignent les fossiles. Cette impasse invoquée par l’intitulé, c’est aussi celle de nos modèles économiques, et plus largement de nos modes de vie encore très portés sur la consommation. Pour le philosophe anglais Mark Fisher, il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme ! Toute cette édition est traversée par la question du capitalisme et de ses conséquences sur les paysages, sur les corps, sur le travail, sur les images elles-mêmes. Le corps au travail est présent dans l’œuvre de Christophe Bourguedieu. Pas sous une forme illustrative mais comme une présence sourde, implicite, notamment dans les photographies issues de ses séjours à Saint-Nazaire, à ClermontFerrand ou à Marseille. Sur un mode plus plasticien et ouvertement installatif, Serge Lhermitte investit ce monde du travail par le biais de mises en scène. Son projet réalisé sur le site des usines Michelin sera montré pour la première fois. La problématique du paysage transformé par le capitalisme se retrouve dans plusieurs expositions : celle dont j’assure le commissariat au Musée des Beaux-Arts à travers la série d’Alain Willaume sur

Peut-on également voir en This Is the End quelque chose qui toucherait à l’essence même de la photographie, essence que Roland Barthes, dans La chambre claire, a qualifié de mortifère ? Cette dimension éminement mélancolique est très présente. Certaines des photos retenues pour la BPM témoignent d’un rapport très frontal avec la mort. Je pense par exemple à cette image édifiante de Manuel Alvarez Bravo qui montre un ouvrier gréviste assassiné. Elle sera visible dans l’exposition intitulée Ce noir tout autour qui paraît nous cerner, au Musée des Beaux-Arts, et dialoguera avec d’autres photographies issues de la collection Madeleine Millot-Durrenberger en lien avec cette question de la représentation du trépas. Mais l’affirmation This Is the End peut aussi renvoyer au temps révolu d’un passé heureux. Cette thématique peut aussi se libérer de cette charge d’irrévocable, en témoigne la proposition que nous a faite Pascal Amoyel, qui creuse cette idée d’énergie, de passage, de mouvement des images. Une autre facette est abordée dans l’expositionrécit pensée par Virginie Huet. Celle-ci invite à s’immerger dans l’œuvre de Thérèse Verrat et Vincent Toussaint. La fiction et l’immémoriel s’y rejoignent dans un mouvement qui va de la caverne originelle au cosmos, idée que l’on retrouve dans l’exposition au Musée des Beaux-Arts articulée autour de trois âges : passé, présent et futur. This Is the End appelle enfin une poétique des limites et des Finis terræ au sens géographique du terme, autant de motifs essentiels chez Alain Willaume et sous une autre forme dans l’installation que présentera Jean-Baptiste Grangier.


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La Biennale donne une visibilité à des auteurs rares, pour certains encore peu exposés. Au chapitre des découvertes notables cette année, on compte celle de Nolwenn Brod. À la BPM nous aimons mettre en avant ce type d’univers très singuliers. C’est le cas de celui de Nolwenn Brod. Dans sa série intitulée « Le temps de l’immaturité », la photographe nous met en présence de jeunes adultes pris dans le mouvement trouble de ce qui va advenir. La lumière de ses images apparaît comme filtrée, chargée en émotion, avec une dimension cinématographique que la scénographie de l’exposition viendra encore accentuer. Christophe Bourguedieu est un auteur qui compte dans le paysage de la photographie française contemporaine. Une exposition lui sera consacrée à la Filature. Pouvez-vous nous en parler ? Depuis la grande rétrospective qui s’était tenue au Point du Jour à Cherbourg en 2014, les photographies de Christophe Bourguedieu n’avaient plus fait l’objet d’une exposition en France. En 2002, nous avions travaillé ensemble sur son exposition à la Filature, et présenté à cette occasion ses séries américaines et finlandaises. Il a beaucoup photographié en France depuis. La tentation était donc forte de le voir revenir à Mulhouse avec un corpus qui ferait lien avec l’esprit de cette édition. C’est en découvrant ses photos de Saint-Nazaire que j’ai eu l’idée de l’accueillir en résidence à Mulhouse pour qu’il puisse travailler sur la ville. Cela a été rendu possible par un partenariat que nous avons passé avec Mulhouse Art Contemporain. En tant que commissaire, je me suis particulièrement impliquée dans la création de cette exposition qui amènera un éclairage inédit sur l’œuvre de Christophe Bourguedieu. C’est la première fois qu’il ne montrera pas des ensembles d’images liés à un territoire précis. Tout l’espace de la galerie sera ainsi mis à contribution pour offrir une vision large, monographique, qui remettra en perspective ses travaux dans différentes villes françaises. Les images faites à Mulhouse, moins inquiètes, seront présentées dans une pièce à part. Elle ouvriront une parenthèse au milieu d’un ensemble qui suscite un sentiment discret mais bien palpable d’effondrement. Un petit mot de l’image retenue pour l’affiche de cette édition 2020. Celle-ci interpelle. Il s’agit d’une photographie de Geert Goiris montrant un jeune adulte qui flotte dans une eau lourde, sombre. Elle est assez caractéristique du travail de ce photographe belge, car même s’il y a une part de documentaire dans son approche, il cherche d’abord à s’adresser à l’imaginaire du spectateur. La charge expressive de cette image est puissante. Ce jeune homme fait penser à une sorte de naufragé et on ne sait pas très bien comment interpréter son

Thérèse Verrat et Vincent Toussaint, La Brigue, 2015

attitude. Se questionne-t-il ? Est-il en proie à l’ennui ? Attend-il quelque chose ? L’ambiguïté de cette incarnation me semble intéressante dans le sens où il s’agit d’une mise en scène. Nous ne souhaitions pas mettre en avant une photo qui serait en prise avec l’actualité, car notre positionnement n’est pas celui du photoreportage. Mais cette image résonne tout de même, et de manière forte, avec le présent immédiat. Elle est finalement significative de ce qui, à la Biennale de la Photographie de Mulhouse, nous préoccupe au premier chef : se distancier légèrement du réel afin de le questionner plus intensément encore. THIS IS THE END BPM 2020 www.biennale-photo-mulhouse.com


Nolwenn Brod, Agata, Lodz, 2018. Courtesy Agence VU.


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Un grand voyage vers la nuit Par Nicolas Bézard

De quoi nos temps troublés sont-il le symptôme ? À quoi ressemblerait le paysage d’un monde exténué ? Déployée dans l’espace du Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, l’exposition Ce noir tout autour qui paraît nous cerner offre une multiplicité d’approches et de regards autour de ces questions brûlantes d’actualité.

Elle est minuscule sur cette photographie, et pourtant on ne voit qu’elle. Une silhouette humaine – un homme ou une femme – debout sur un improbable plongeoir suspendu au dessus du vide. On se demande ce qu’elle fait là, au bord des chutes du Niagara qui disent – qui hurlent – l’effondrement symbolique du monde. Sur sa frêle planche de salut, la silhouette semble hésiter. Va-t-elle se laisser aspirer par le gouffre rugissant, à l’image des gerbes d’écume qui l’entourent ? Ou bien prendre son envol, s’arracher à l’attraction de ce néant qui la menace ? Cette hésitation entre l’imminence d’une fin et l’éventualité d’un devenir est au cœur de l’exposition collective proposée par Anne Immelé au Musée des Beaux-Arts. La parabole qu’en offre Alain Willaume est vertigineuse, la vision de cette ombre acculée rappelant avec force le point de non-retour atteint par une humanité qui vacille aujourd’hui sur ses certitudes. Il fallait donner une forme à ce parcours, tisser un lien entre les imaginaires puissants d’Alain Willaume, de Geert Goiris et de Raymond Meeks, la poésie immersive de Nolwenn Brod, les recherches plasticiennes d’Isabelle Giovacchini, la sensibilité documentaire de Giovanna Silva ou les paysages mentaux de Jean-Baptiste Grangier. Évocateur sans être directement narratif, l’angle trouvé par la commissaire d’exposition est celui d’une scansion en trois temps, trois parties qui se répondent au fil des salles : Ce qui fut, Le temps présent et Les visions du futur. Si certains des univers présentés sont facilement rattachables à un de ces « âges », d’autres en revanche prennent un malin plaisir à

naviguer en dehors des lignes de la chronologie. C’est le cas de celui d’Alain Willaume, dont le pouvoir allégorique transcende les contextes et les époques, le fameux « ici et maintenant » de la photographie, pour toucher à un universel humain où la mémoire de ce qui a été et la prémonition de ce qui nous attend s’entremêlent. Force d’ambiguïté « Le photographe », explique Alain Willaume, « est quelqu’un qui est dans un rapport critique avec son temps, qui pose des questions et fait voir l’interférence entre réel et irréel. C’est quelqu’un qui doute mais aussi qui s’engage. La vision du photographe est par nature puissante, et les informations portées par une image sont par essence incertaines : il est donc crucial que le photographe soit digne de confiance. » Cette éthique de l’image et de celui qui lui donne jour est prégnante dans la série Échos de la poussière et de la fracturation. Celle-ci parle de quelque chose d’invisible – ce gaz de schiste que renferme le sous-sol du désert du Karoo, en Afrique du Sud – et de la menace, pas encore concrète mais néanmoins palpable au moment où le photographe s’est rendu sur place (2012), de son extraction et du désastre écologique que cela pourrait induire. Le sursis qui pèse sur les paysages de cette région flotte littéralement dans les atmosphères captées par Willaume. Il est rendu tangible par les panaches de poussières soulevées par des véhicules sillonnant les pistes, mais aussi par le traitement formel des images, leur noir et blanc sans noir ni blanc pur, tout en gris moyens, comme


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si elles étaient proches de l’évanouissement. Outre le fait qu’elle anticipe – c’est souvent le cas chez cet auteur – une réalité à venir, cette séquence fascine par sa puissance d’évocation, cette facilité qu’elle a de renvoyer à autre chose qu’à ce réel, vers cette zone de l’inconscient où confluent toutes les images qui, vécues ou fantasmées, nous constituent. Le cinéma est ainsi convoqué – tel regardeur pensera à Mad Max, tel autre aux films de Ford, de Wenders ou d’Antonioni. Une femme debout face à la plaine désertique, les mains dans le dos légèrement courbé, et c’est l’aura d’un Sud Faulknerien qui resurgit. Le propre de ce travail, cependant, est de ne jamais nous imposer un imaginaire, de laisser la porte ouverte à toutes les rêveries possibles. Une force d’ambiguïté présente dans la sélection de photographies de la collection Madeleine Millot-Durrenberger, issue d’une large période de production et d’artistes divers mais qui tous manifestent un intérêt pour la vanité et le mementomori. Les portraits réalisés par Rudolf Schäfer dans une morgue de Berlin-Est nous troublent par la douceur, la tranquillité qui émerge des traits des personnes défuntes. Une évanescence que l’on peut opposer à la manière très directe avec laquelle Manuel Alvarez Bravo a photographié, en 1934, un ouvrier assassiné pendant une grève. Contribuant à l’effet de sidération suscité par cette image devenue très célèbre, la frontalité est également, en terme de cadrage, l’approche privilégiée par Giovanna Silva. Dans sa création – de loin la plus impliquée de toutes en terme de reportage – la photographe italienne dresse une typologie fantôme du Bagdad de l’ère post Saddam, ou du moins de ce qu’il en reste – palais ruinés, vestiges de structures militaires – et revisite ainsi, à la lumière d’un pays qui réapprend à vivre, le mythe de l’ancienne Babylone. Une archéologie du futur De belles correspondances se font jour entre l’univers d’Alain Willaume et celui du belge Geert Goiris, autre artiste structurant de cette exposition. Les images extraites de son livre World Without Us s’inscrivent dans une communauté de préoccupations évidente avec celles du photographe français. L’importance du paysage, l’attirance pour des territoires extrêmes sans repère ni coordonnée, le calme, le silence du regard, la part de solitude mais aussi d’ambivalence ou d’irréel que renferment leurs clichés, sont autant d’arguments plaidant en faveur d’un dialogue fécond entre ces deux œuvres. Présent dans de nombreuses collections à travers le monde, le travail de Goiris est une méditation qui prend pour sujet l’effondrement de la civilisation humaine rappelée à son insignifiance par des forces cosmiques ou telluriques qui la dépassent. L’histoire qui se lit en filigrane dans sa

série est celle d’une humanité disparue ou réduite à quelques traces ou présences fantomatiques, dans un monde qui a recouvré sa sauvagerie primitive. Mégapoles comme balayées par le souffle d’une explosion atomique, conglomérat de matières et d’objets qui semblent avoir fusionné sous l’effet d’une chaleur extrême, tornades en formation dans un ciel tourmenté, les photos de Geert Goiris filent la métaphore post-apocalyptique et délivrent des visions qui séduisent autant qu’elles inquiètent. Si une forme de narration visuelle s’établit presque


Isabelle Giovacchini, Quand fond la neige, 2014 - 2017

naturellement à la découverte de ces dernières, tout un pan du cinéma d’anticipation ou du film catastrophe revenant à la surface, Goiris ne conçoit pas pour autant ses expositions ou ses livres « comme des formes d’expression à sens unique, mais comme des conversations avec le public ou les lecteurs. » Ses images manifestent une affinité pour les textures, aussi bien minérales que végétales, le goût pour les détails qui prolifèrent et finissent par faire motif, surface. Autre trait distinctif de cette œuvre la rapprochant de celle du photographe des

pénombres qu’est Alain Willaume : le traitement de la lumière. « J’essaye de m’adapter aux qualités particulières de la lumière qui se présente à moi », explique Geert Goiris. « Certaines possèdent une qualité de tension palpable. Imaginez-vous debout dans un champ lorsqu’un orage approche. Votre système nerveux va analyser une multiplicité de phénomènes transmis par nos yeux, nos oreilles et notre épiderme : la température qui chute, le vent qui forcit, l’air qui se charge d’électricité. Si je prends en photo cette scène et que je vous la montre, seuls


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Giovanna Silva, Narratives/Relazioni-Baghdad, 2012

vos yeux seront stimulés. Cependant la mémoire stockée dans votre système nerveux reconnaîtra la lumière et l’atmosphère, et elle se reconnectera alors avec les parties absentes mais mémorisées de la sensation réelle. » Jouant avec le trouble généré par une cognition défaillante ou perturbée, les images de Goiris expriment une certaine mélancolie de ce qui n’est pas encore advenu. Une archéologie du futur qui enregistre les traces de collision entre le temps éphémère des hommes et celui, géologique, colossal, du monde terrestre. Les temporalités se télescopent également à la prise de vue, puisque le photographe travaille à la chambre et reste très attaché au principe de l’image argentique, qui pour lui implique une différence conceptuelle majeure : « Dans la photographie analogique, quelque chose est « encapsulé » dans le film. Une trace laissée par la lumière se transforme en état solide, concret. Le matériau en lui-même est présent dans l’image. L’appareil photo que j’utilise a été construit dans les années 1980, tout comme la plupart de mes objectifs. à partir de ce matériel, j’expose une pellicule qui a été produite il y a quelques mois, mais qui a des propriétés identiques aux films des années 1940. Ensuite, je pointe l’appareil vers un bâtiment des années 1970, ou je fais le portrait d’une personne vivant en 2020. » L’esthétique née de cette addition d’anachronismes est un voyage en soi, un fructueux paradoxe qui prend à rebrousse-poil les normes

d’efficacité actuelle pour nous amener à réfléchir sur l’essence-même du médium photographique. Une réflexion que prolonge Isabelle Giovacchini avec sa série Quand fond la neige, s’inspirant des histoires, avérées ou légendaires, autour des lacs de montagne : villages engloutis sous les eaux, créatures qui vivraient en leur sein, noyades et malédictions. Dans les images créées par l’artiste, les étendues d’eau trouble qui alimentent cette mythologie fonctionnent comme des écrans de projection de multiples fantasmes. Par son choix de transformer en négatifs, à l’aide d’une simple imprimante de bureau, des paysages prélevés dans la photothèque du Parc National du Mercantour, Giovacchini assume un geste radical qui consiste à malmener la photographie en la détachant de sa valeur indicielle. Poudreuses et dotées d’une véritable qualité de présence, ses photographies, réalisées sans appareil photo, ne sont plus des empreintes, mais la matérialisation d’une absence originelle. Cette dernière prend la forme symbolique d’un effacement – celui des lacs en question, au profit de béances blanches obtenues par l’application sur les tirages d’un produit qui en supprime le sel d’argent. À l’issue de ce processus qui interroge le modus operandi de la photo, une étendue liquide en vient à remplacer une autre et du vide, à prendre l’aspect trompeur de la neige, offrant un joli pied de nez à l’aphorisme shakespearien dont s’inspire le titre : « Quand fond la neige, où va le blanc ? »


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À mi-chemin des récits dystopiques de Goiris et de Willaume et de l’approche plasticienne de Giovacchini, Les Mondes Anciens de Jean-Baptiste Grangier se présentent sous la forme d’une constellation d’œuvres inspirées par les romans d’anticipation. Une image évoque la flore étrange d’un monde extraterrestre. Une autre, insérée dans un caisson de plexiglas, reproduit une carte de navigation partiellement brûlée. Chaque fragment réactive quelque chose de la fascination enfantine pour les grandes explorations : celles des illustres navigateurs du passé comme celles qui restent à accomplir au-delà de notre système solaire, vers un monde potentiellement plus habitable que celui dont nous aurons bientôt épuisé les ressources. Au bord de la lumière En tant que curatrice, Anne Immelé aime mettre en avant des propositions qui regardent vers d’autres disciplines que la photographie. Cette exposition le confirme puisque les images des auteurs précédemment évoqués se réfèrent au cinéma, à la littérature, à l’oralité de mythes fondateurs, aux arts plastiques. Consciemment ou non, ces champs de création ont stimulé leurs imaginaires. Une émulation que l’on retrouve encore dans l’œuvre considérable – et si peu montrée en France – de Raymond Meeks, photographe américain et poète de la lenteur du quotidien, des vertiges adolescents et des instants suspendus, à l’image de l’envol de corbeaux dans un des livres d’artiste fabriqué de sa main que l’on peut découvrir, au titre inspiré d’un poème d’Edgard Alan Poe : Nevermore. Perméabilité aux grands textes et regard sensible porté sur la jeunesse trouvent également matière à s’exprimer chez Nolwenn Brod, dans une séquence photographique qui saisit les présences de jeunes gens habités par la question de ce qui va advenir. Intitulée Le temps de l’immaturité en référence au premier ouvrage de l’écrivain Witold Gombrowicz, cette tentative de faire le portrait d’une jeunesse polonaise aux prises avec des incertitudes politiques, sociales, relationnelles ou introspectives, bénéficie d’une scénographie originale – l’éclairage de la salle où les tirages sont exposés est modifié par des filtres jaunes apposés aux fenêtres. Le dispositif favorise l’immersion du visiteur tout en exacerbant le message d’intimité délivré par les images. Ce temps, c’est aussi celui du passage de l’ombre à la clarté, de la chambre à la rue, de l’adolescence à l’âge adulte, de la réalité à la fiction. Tantôt crue, tantôt chargée d’une émotion et d’une tension palpable, la lumière sépulcrale captée par Nolwenn Brod sculpte les corps languides ou partiellement dénudés, souligne l’ambiguïté des sourires, recouvre les regards d’un voile d’intranquillité. Ainsi, au terme de ce parcours, devant ces visages qui nous interrogent, nous interpellent, comme s’ils savaient mieux que nous-

Jean-Baptiste Grangier, Baikonur, série Les mondes anciens, 2019

mêmes ce qui nous attend, ce sont les mots du poète Gérard Haller consacrés aux photographies d’Alain Willaume qui reviennent nous hanter, salutaires compagnons de miséricorde dans ce grand voyage vers la nuit : « C’est dans le noir. Ils regardent. On les voit mal d’abord, on a du mal à les discerner – et peut-être ont-ils peur, eux-mêmes, de s’avancer au bord de ce noir tout autour qui paraît les cerner. Cependant c’est là qu’ils se tiennent : au bord de la lumière. » CE NOIR TOUT AUTOUR QUI PARAIT NOUS CERNER Nolwenn Brod, Isabelle Giovacchini, Geert Goiris, Jean-Baptiste Grangier, Raymond Meeks, Giovanna Silva, Alain Willaume Photographies de la collection de Madeleine Millot-Durrenberger : Manuel Alvarez-Bravo, John Baldessari, Patrick Bailly-Maître-Grand, Zolt-Peter Barta, Hervé Bohnert, Sophie Calle, Rudolf Schäfer Commissariat d’exposition : Anne Immelé Musée des Beaux-Arts de Mulhouse 11 septembre 2020 — 10 janvier 2021


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This is The Beginning Par Nicolas Bézard

Au cœur de cette exposition collective qui offre un contrepoint poétique à l’affirmation “This is The End”, l’idée qu’une photographie n’est pas que fixation des formes et arrêt du temps, mais qu’elle ouvre un passage vers un devenir autre. Entretien avec son maître d’œuvre, le photographe et curateur Pascal Amoyel.

Louis Perreault, Les affluents, 2015-2019


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Le titre, Comme des tourbillons de poussière, est évocateur. Il suggère à la fois d’idée d’une temporalité (celle du passage), d’un processus d’élévation vers d’autres formes, d’autres forces, d’une matière initiale. En quoi un processus analogue est-il à l’œuvre dans la photographie ? Je constate que j’effectue chaque fois un trajet identique entre le début et la fin de la conception d’une exposition : je lance une multiplicité de pistes, retourne la thématique pour libérer son envers, puis aboutis à une exposition sur la photographie. Celles de la Biennale montrent différents travaux sur le thème « This is The End ». Cela m’ouvrait la possibilité d’une approche inverse, oblique, qui s’attache au cœur même du photographique, à savoir la manière dont cette « fin » est présente au sein du processus photographique. En s’originant dans une disparition, la photographie n’a-t-elle pas en propre de faire apparaître simultanément, en elle, présent et passé, apparition et disparition, « l’englouti et l’épargné »? Alors comment cela pourrait-il être la fin ? Le temps de la photographie n’est-il pas plutôt celui d’un devenir ? Cette notion de passage articule l’exposition. Pouvez-vous nous parler des images qui vous ont mis sur la voie de cette réflexion ? Les premières œuvres auxquelles j’ai pensé sont Bataille d’Absalon, et les dernières minutes de Vacances prolongées de Johan van der Keuken. Cela m’a paru étonnant, puisqu’il s’agit de films, mais j’ai décidé de les conserver et de voir où cela menait. J’ai ensuite convoqué End of an Age, livre de Paul Graham dont le séquençage est construit sur le passage de la fin de adolescence au début de l’âge adulte. La question du mouvement s’est imposée, et celle du temps. Par nature, la photographie arrête le mouvement spatial, qu’elle transforme en mouvement temporel. Toute photographie porte en elle le temps où elle a été réalisée, qu’elle noue au temps de sa vision, puisqu’une image se regarde toujours au présent. Les temps s’y fondent et s’y relancent sans arrêt, dans un mouvement infini, une suite infinie de passages et de bascules. Dans l’extrait d’où provient le nom de l’exposition, Henri Bergson propose que « les vivants (...) contrefont même si bien l’immobilité que nous les traitons comme des choses plutôt que comme des progrès, oubliant que la permanence même de leur forme n’est que le dessin d’un mouvement. Parfois cependant se matérialise à nos yeux, dans une fugitive apparition, le souffle invisible qui les porte ». On ne saurait mieux parler de photographie.

Olivier Kervern, Tokyo, 2015

Vous avez choisi de rassembler un ensemble d’images hétéroclites en ce qui concerne leur provenance historique ou géographique et leur attachement à une esthétique. La photographie à laquelle je suis sensible est celle qui parle le langage de la photographie pour montrer le monde. Ce corpus est formé de travaux de photographes conscients des maigres moyens du processus photographique (fonctionnement mécanique de l’appareil, jeux d’oppositions binaires, incomplétude, regard borgne, etc...) mais qui savent pertinemment que, paradoxalement, la photographie tire sa grande force de la combinaison de ses faiblesses mêmes. Je présente une photographie directe, sans emphase, volontairement rétive aux discours théoriques ou sociologiques, et à la grandiloquence pseudo-politique. Comme disait Jean-Pierre Melville après Herman Melville, réussir une œuvre classique est infiniment plus courageux que de faire un coup. Cela implique aussi d’avoir des spectateurs humbles et curieux, prêts à adopter la grille de lecture propre à la photographie : certes accueillir ce que montre l’image, mais surtout être attentif à la manière dont elle le fait, et à la distance que le photographe tient par rapport à ce qu’il montre, parce que son travail est là, précisément. J’aime que l’on puisse croire à ce que montre l’image, avant de réaliser qu’elle est le fruit d’une série de choix du photographe. Et oublier que l’on se trouve devant un simple bout de papier, avant de se le rappeler. Ce va-et-vient participe au plaisir que procurent les photographies.


Antoine Seiter, J. 2008-2020


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Ces images semblent travaillées par la question du fragment, de la notation en apparence anodine mais qui révèle la présence d’une dissonance, d’un déséquilibre dans la perception des choses. Exactement, c’est une photographie pour laquelle, me semble-t-il, la vie a l’épaisseur d’un fragment. Mon bon professeur Arnaud Claass aimait à déclarer que le mystère naît de l’observation la plus directe et la plus fidèle du monde. Il ne s’agit pas d’un mystère dans les choses que la photographie aurait à dévoiler, comme le propose une conception romantique de la représentation qui continue malheureusement de sévir dans les esprits de nombreux critiques et « experts » de la photographie. Existe en revanche un mystère des choses, de leur pure présence, de leur être-là, sous nos yeux, dans la lumière et dans le temps. Là réside l’aspect poignant de la photographie : la façon dont nous regardons ce qui se tient devant nous, suspendu dans le temps. Ce déséquilibre, ou cet équilibre toujours instable, cette condensation du temps toujours aussitôt pulvérisation, peut s’exprimer dans une image isolée, ou dans la manière dont est construit un ensemble de photographies. Votre exposition affirme l’importance du livre comme expérience et lieu privilégié de la photographie. La forme livre entretient un rapport singulier à la temporalité. Le passage du temps s’y déploie dans le vide et les silences, dans l’intervalle entre les images, que permet à la fois l’espace d’attraction-écart de la double page, et le feuilletage, simple fait de tourner les pages. Comme dans une photographie, le temps du livre oscille constamment entre fin du mouvement et reprise. Comme des tourbillons de poussière est construite sur le passage entre le livre et le mur, sur la manière dont les temporalités de la photographie se répondent d’une forme à l’autre. Dans l’espace de l’exposition, le mouvement du corps du spectateur, celui de ses yeux, donne à exister le temps de l’entre-deux. Comme des tourbillons de poussière Absalon, Arnaud Claass, Pascal Convert, François Deladerrière, Benoît Linder, Emmet Gowin, Paul Graham, Richard Kalvar, Olivier Kervern, Géraldine Lay, Jean Marquès, Nicholas Nixon, Louis Perreault, Antoine Seiter, Issei Suda, Johan van der Keuken Commissariat d'exposition : Pascal Amoyel Bibliothèque Grand’rue 11 septembre — 7 novembre

Jean Marquès-Avó e o fogo, 2018


Amalia, Mulhouse, 2019

La puissance brute d’une apparition Par Michel Poivert

L’exposition présente les photographies réalisées par Christophe Bourguedieu à Mulhouse en 2019 dans le cadre d’une résidence organisée avec Mulhouse Art Contemporain. Elles sont mises en relation avec des photos issues de séries précédentes. Le poids du passé sur les édifices et les corps, le pressentiment d’un drame sous-tendent cette exposition inédite.


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L’exposition propose des ensembles appartenant à différents corpus constitués depuis de nombreuses années, mais aussi à des travaux inédits, ou sauf erreur l’unité de lieux y est respectée. Cette logique des œuvres réalisées à partir de séjours ou de voyages reste-elle implacable alors que les images semblent pouvoir interagir avec une grande liberté ? Cela signifierait-il alors que les lieux sont avant tout déterminant pour toi ? La sélection originale a été faite par Anne Immelé avant que nous la reprenions pour l’adapter à la forme de la galerie. J’étais curieux de voir ce qui en sortirait et en fin de compte, même si un lien direct a été créé entre un lotissement de Marseille et les chantiers de Saint-Nazaire, chaque bloc est finalement issu du même projet. De toute évidence, les lieux d’origine prescrivent une certaine unité. C’était à prévoir puisque j’y travaille toujours en fonction de conditions particulières, comme la lumière ou l’espace. C’est une question de matière de l’image, de rapports de distance et de netteté différents, de climats. Avec l’exposition à la Filature, il y a aussi la thématique, qui appelle une relative narration et resserre encore cette logique. Or je crois malgré tout qu’elle peut être contournée, si l’on accepte de structurer ces photos autrement, en particulier dans des systèmes de correspondances ou de distensions. D’ailleurs, tu relèveras dans l’exposition des motifs récurrents (les rideaux), la présence insidieuse d’animaux ou encore des constructions qui se répondent, par des jeux de symétrie ou des inversions, suggérant tous la possibilité d’autres modes d’organisation et de lecture.

En effet certains motifs comme le rideau semblent jouer un rôle d’amorce ou bien de stase comme pour calmer des tensions, je note ainsi une ponctuation de ces phrasés photographiques par les corps masculins souvent aux prises avec l’adversité (moteur, sac de sable, guitare dans un autre genre) ou dans une forme de relâchement. En plus des unités de lieu, peut-on parler de registre de personnages qui incarneraient la thématique de l’exposition ? Tu parles de ces mécanos, l’un à Marseille, l’autre à Saint-Nazaire, et du petit boxeur des quartiers nord, encore à Marseille. Les corps sont apparus sous cette forme active dans mes photos quand j’ai commencé à travailler exclusivement en France, avec, j’imagine, l’intuition qu’ils représentaient une certaine condition, une idée du travail, de l’appartenance à la collectivité. Sans que ce soit calculé, il ne s’agit d’ailleurs que d’hommes, exerçant des activités physiques, comme les visions intemporelles d’une certaine masculinité sans complications. Curieusement, on ne voit pas leur visage. Ce sont de toute évidence des figures,

des archétypes, l’« adversité » que tu mentionnes me rappelant le fameux « héros moderne » et ses exploits dérisoires… Il est sans doute question avec eux de courage ordinaire et d’une conception idéalisée de la place de chacun dans un monde qui n’idéalise plus grand-chose. Alors oui, ces hommes incarnent directement un thème que, très consciemment, nous avons voulu en prise avec une réalité sociale contemporaine, même si c’est de manière elliptique et par une réduction, comme par un naturalisme théâtralisé.

On a toujours plus ou moins trois registres d’image : personnages, détails et vues d’architecture ou plutôt de lieux. Est-ce que cette typologie constitue une sorte de gamme minimale pour composer un univers, ou le représenter (un peu comme la basse, la guitare et la batterie dans un groupe de pop ou de rock) ? Ce minimalisme du vocabulaire va de pair avec l’extrême concentration de chaque scène ou situation, qui forment pourtant, indépendamment les unes des autres, des images « fortes »… Même s’il est objectivement approprié, le terme de typologies me semble décalé pour désigner ce que je conçois plus comme des valeurs de plans. Disons d’abord que les choses se sont décidées « comme ça », au milieu des années 90, intuitivement et sans doute contre une certaine photographie documentaire qui cherchait à produire de l’information par la précision et l’accumulation. Il est possible aussi que des images de cinéma m’aient influencé, celles de certains classiques ou de films plus tardifs (les premiers Wenders, Tanner ou Akerman, Godard dans les années 80), qui ont toutes cette particularité de tenir dans un rectangle ramassé proche du 4:3 actuel. L’action se concentre dans ce cadre étroit qui propose un rapport physique différent, plus proche, plus évidemment sensoriel. Le motif central y acquiert très vite un statut double, à la fois ensemble et détail. Ton analogie avec la musique est éclairante. J’en établissais déjà une mais plutôt du côté des textures alors que tu parles de registres, en particulier de celui auquel on choisit de se limiter dans un système finalement très codifié. Le mien est en effet réduit, en partie par la force des choses (un matériel lourd dont j’accepte les limites) et comme tu l’as compris parce que je tiens à une certaine concentration expressive. C’est un périmètre souvent inconfortable, dans lequel l’enjeu est de produire de nouvelles variations alors qu’on a l’impression d’en avoir fait vingt fois le tour.


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Venons-en à ce qui peut, dans les relations entre les photos, mais aussi parfois en une seule image, produire une métaphore sans enfreindre ce réalisme théâtralisé dont tu parlais. Je pense au vaisseau Capital qui forme l’horizon mais aussi au rôle que vient jouer ton «bestiaire»; que penser de ce rat qui fend l’eau dessinant ainsi une ligne de fuite ? La photo du bateau a un caractère plus panoramique qui la met à part. Difficile de ne pas saisir ce cargo alors qu’il arrivait au large de la ville ouvrière sur laquelle je travaillais. La crique au premier plan me rappelait le Brésil, où je ne suis jamais allé, et le titre « Capital, Saint-Nazaire, 2017 » était si tentant que je me suis mis à courir sur le chemin côtier pour trouver le meilleur point de vue. On voit souvent dans mes photos des objets, « meubles ou immeubles » pour reprendre une terminologie juridique. Un avion, une voiture, un ancien téléphone, ou un bâtiment industriel, une maison de bois. Ils emplissent l’image, anonymes, et ont pour fonction presque suffisante d’« être là ». Encore une fois, ce n’est pas calculé, mais dès le début, il s’est agi à travers eux de retrouver un état de surprise qui se perd dans la vie courante. M’arrêter sur cette maison ou ce téléphone à touches, c’est prolonger la stupéfaction hagarde qui nous saisit face à ce qui est et dont la banalité nous arrête, un soir de vacuité. On trouve dans le cinéma muet et chez des cinéastes comme Bresson ou Franju de tels plans dont l’étrangeté tient par la durée et les variations de distance sur lesquelles joue le montage. En photographie, l’effet résulte en partie de la circulation entre les images mais la fixité forcée et le caractère irrésolu de ces scènes sans action provoquent une perplexité toute particulière. Les animaux jouent un peu le même rôle que les objets tout en se prêtant plus évidemment à la projection. Dès que je l’ai vu et sans y réfléchir plus, le chien blanc de La Montagne (Clermont-Ferrand, 2012) m’est apparu comme le gardien d’une forêt magique, alors que le cheval aveuglé par un masque ajouré présentait des airs de chevalier vaincu. Quand de telles intuitions se trouvent validées par la sélection, le reste du projet en bénéficie mécaniquement. Le bestiaire, c’est ce qui vient te frapper, c’est la puissance brute d’une apparition. Comme avec ce ragondin albinos, créature mythique autant que petit délinquant sournois, les temps et les récits se superposent.

Il s’agirait alors d’intuitions métaphoriques… en tous les cas on comprend bien que tu ne te situe pas dans une volonté de générer - fut-ce à partir de la vie courante - des idées générales. Revenons sur les références répétées au cinéma, aux cinéastes. C’est bien de « plans » dont tu parles et l’image étendue qu’ils contiennent, je me demande, pure curiosité, comment tu regardes les films (extraits répétés, visionnage complet, souvenirs entretenus, photos de plateau, etc. ). N’y a-t-il pas dans ta photo cette quête de l’image suspendue, extraite d’un continuum, quelque chose de tenu en raison même du fait que l’image est un « still » (film still, video still, still life…) ? Ce sont peut-être plus la musique ou la littérature qui m’aident à définir les images à venir. Prenons deux livres marquants, Moins que zéro (Ellis) et Bruit de fond (DeLillo). Longtemps après les avoir lus, je garde en tête leur expressivité particulière, qui tient à une certaine précision de l’énonciation, à une manière détachée de poser des faits produisant une puissance de très basse intensité, un flottement hyperréaliste. Cette texture de l'écriture m’aide à envisager celle des images. C’est une relation d’équivalences qui définit du même coup de possibles structures, empiriquement. Le cinéma vient donc plutôt au moment de voir les photos déjà produites, pour éclairer des intuitions de forme. Il ne s'agit pas nécessairement de références nobles, ni même très intimes. Il y a évidemment les films que j’aime, mais aussi d'autres que je choisis pour un détail ou une qualité spécifique, hors de toute question de goût ou de jugement moral. Ils m'aident le plus souvent à comprendre l'économie visuelle du projet en cours, la manière dont les informations se concentrent et circulent. Et puis il y a les images elles-mêmes. Ces dernières années, je retrouve un certain plaisir à observer le travail des chefs opérateurs des années 70, des types aux compétences techniques très sophistiquées qui savaient aussi creuser les zones les plus sombres de l’image (« le pied de courbe ») dans les extrêmes limites du support. Il se joue dans cet usage de la lumière naturelle une vibration quasi sacrée que je regarde avec la même mélancolie que celle qui nous saisit face à ce qu’on appelle aujourd’hui « l’argentique ». J’y vois une langue presque morte dont je prolongerais l'usage. Il se trouve aussi que je pense souvent aux promesses de la matière numérique, sans pour autant savoir que conclure de tout ceci.


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Christophe Bourguedieu, Saint-Nazaire, 2017

AVANT LA NUIT Christophe Bourguedieu Commissariat d’exposition : Anne Immelé La Filature 22 août — 13 septembre Une co-production avec Mulhouse Art Contemporain et Le Cri des Lumières, Lunéville



Geert Goiris, BROKEN, 2012. Courtesy Galerie Art Concept


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Geert Goiris Visions de l'ultime Par Nicolas Bézard

Geert Goiris, Sound Melted, 2016 Courtesy Galerie Art Concept


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Drapées de mystère, les photographies de Geert Goiris nous transportent dans des endroits lointains, abandonnés, des paysages hostiles, sans repère ni coordonnée, des lieux qui semblent avoir quitté l’orbite de la civilisation humaine. Trois images du photographe belge sont actuellement visibles dans l’espace public, à Hombourg.

De quelle fin parlent vos « mondes sans nous » ? Nous assistons à l’extinction des espèces, à la perte de la biodiversité et à une accélération de la virtualisation du monde. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, le corps humain pourrait devenir inutile, remplaçable. Une sorte de point de non retour de la logique moderniste. Depuis les révolutions industrielles et l’ère du charbon, la notion clé du modernisme est celle de manipulation. La recherche d’énergies fossiles et la pollution ont changé notre habitat au-delà du reconnaissable, et il semblerait que nous approchions du stade où les humains eux-mêmes deviennent obsolètes. Votre point de vue ressemble à celui d’un explorateur spatial qui photographierait les différentes planètes qu’il découvre avec un mélange d’impassibilité et d’innocence. Je suis fasciné par la grande tradition romantique des récits d’exploration, ce point de vue de l’étranger conscient qu’il regarde une chose sans pouvoir la comprendre. La combinaison d’admiration et d’innocence inspire l’humilité et l’émerveillement. La nature spéculative de la science-fiction m’attire tout autant. La science-fiction peut être un mécanisme pour les fantasmes d’évasion, mais quand elle est vraiment «spéculative», elle fait naître des champs de possibilités qui remettent en question notre situation actuelle et proposent des alternatives. Vos paysages résistent à l’immédiateté de la perception. On pourrait croire qu’un coup d’œil rapide suffit à identifier ce qu’ils montrent, mais en les parcourant plus attentivement, notre regard est interpellé par quelque chose qui ne passe pas, un accroc dans la trame du réel. Cette rupture dans la fluidité du temps et de l’espace confère à vos photographies leur pleine puissance expressive, et fait de leur contemplation une véritable expérience du regard. Merci pour cette lecture généreuse de mon travail. Dirk Lauwaert, qui était un brillant conférencier sur l’esthétique de la photographie lorsque j’ai étudié à Bruxelles, parlait du déficit d’informations des photos : l’image ne contient ni d’avant, ni d’après. Elle ne transmet aucune information sur ce qui se passe en dehors du cadre

retenu par le photographe. Ce néant produit par l’appareil photo lorsqu’il rompt quelque chose du continuum temporel et spatial demande à être comblé par l’imagination du spectateur. Vous photographiez la réalité en poussant à un point si extrême le souci de précision du rendu et des détails que c’est l’effet inverse qui se produit. Au lieu d’aller vers l’hyperréalisme, vos images font surgir de l’irréel, de l’opacité. Ai-je raison de dire que dans votre photographie, le trop plein de réel brise le réel et ouvre une dimension purement imaginaire ? C’est un effet de l’utilisation d’un appareil photo. L’instrument utilisé pour faire l’image laisse toujours une trace de ce processus, un résidu. Cela change notre compréhension du monde. Paradoxalement, comme vous le signalez, l’utilisation d’un appareil photo haute définition avec des objectifs développés pour rendre une image sans distorsion ni défaut optique, donne une image assez éloignée de la perception humaine. Cette esthétique transforme notre façon habituelle d’observer et de nous connecter au monde. Même s’il a été conçu pour en donner une vision objective, il agit comme un élément de distanciation. Installation de trois photos ANDREA, 2011 BROKEN, 2012 POLAR LINE, 2002 dans l'espace public à Hombourg. à partir du 29 juin. Ce noir tout autour qui parait nous cerner au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse. 11 septembre — 10 janvier 2021


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Geert Goiris Endzeitvisionen Von Nicolas Bézard

Geert Goiris geheimnisvolle Fotografien entführen uns in entfernte Regionen, in einsame, finstere Landschaften ohne Bezugspunkte, ohne Koordinaten, an Orte, die die Umlaufbahn der menschlichen Zivilisation scheinbar verlassen haben. Zurzeit sind drei Bilder des belgischen Photographen im öffentlichen Raum in Hombourg zu sehen.

Geert Goiris, CCTS, 2009, coll. Frac Alsace


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Welche Endzeitvision schildern Ihre Bilder in „Welten ohne uns“? Wir erleben heute das Artensterben, den Verlust der Biodiversität, die beschleunigte Digitalisierung der Welt. Mit der Entstehung der künstlichen Intelligenz könnte der menschliche Körper überflüssig, ersetzbar werden. Der Fortschrittsglaube wäre dann an einem Punkt angekommen, an dem es kein Zurück mehr gibt. Der Schlüsselbegriff des modernen Denkens seit dem Beginn der Industrierevolution und dem Kohleabbau heißt Einflussnahme. Die Suche nach fossilen Energieträgern und die Umweltverschmutzung haben unseren Lebensraum bis zur Unkenntlichkeit verändert und es scheint, dass wir uns dem Zeitpunkt nähern, an dem der Mensch selbst überflüssig wird. Ihre Sichtweise ähnelt der eines Weltallreisenden, der die verschiedenen Planeten fotografiert, die er mit unvoreingenommener Neugier entdeckt. Mich fasziniert die Tradition der Entdeckungsreisen in den Erzählungen der Romantik, dieser Blick des Fremden, der weiß, dass er etwas sieht, was er nicht zu verstehen vermag. Die Mischung aus Staunen und Unvoreingenommenheit ruft gleichzeitig Demut und Verzückung hervor. Genauso spannend finde ich das Spekulative in der Science-Fiction. Science-Fiction kann ein Weg sein, der Realität zu entfliehen, wird sie aber spekulativ, so lässt sie Möglichkeiten entstehen, die unsere aktuelle Situation in Frage stellen und Alternativen dazu bieten. Ihre Bilder verweigern sich einer unmittelbaren Wa h r n e h m u n g . M a n kö n n t e m e i n e n , m i t einem kurzen Blick wäre zu erkennen, was sie zeigen; betrachtet man sie allerdings länger, wird unser Blick von etwas festgehalten, was sich ihm verweigert, einem Riss im Ablauf der Wirklichkeit. Dieser Bruch im Fluss der Zeit und des Raums verleiht Ihren Fotografien ihre volle Wirkungsmacht, sie machen das Betrachten zu einer wahren Erfahrung. Danke für diese großzügige Lesart meiner Arbeit. Dirk Lauwaert, der zu der Zeit, als ich in Brüssel studierte, brillante Vorlesungen über die Ästhetik der Fotografie gehalten hat, sprach über das Defizit an Informationen in Fotografien: Es gibt

in einem Bild weder Vorher noch Nachher. Es gibt keine Information über das, was sich außerhalb des vom Fotografen gewählten Rahmens abspielt. Diese Leere, die entsteht, wenn der Fotoapparat den Lauf der Zeit und des Raums unterbricht, muss von der Fantasie des Betrachters gefüllt werden. Sie fotografieren die Wirklichkeit so extrem präzise und detailversessen, dass genau das Gegenteil entsteht. Sie entfernen sich vom Hyperrealismus und beschwören etwas, das nicht real ist, etwas Undurchsichtiges. Stimmen Sie mir zu, wenn ich sage, dass in Ihren Bildern, das Zuviel an Realem das Reale zerschlägt und eine gänzlich imaginäre Dimension eröffnet? So ist die Wirkung des Fotoapparates: Das Werkzeug, das man zum Bildermachen b e n u t z t , h i nte r l ä s st i m m e r e i n e S p u r d e s Entstehungsprozesses, ganz minimal. Das verändert unser Verständnis der Welt. Sie haben es erwähnt, die Benutzung eines hochauflösenden Apparates mit High-End-Objektiven für unverfälschte und saubere Bilder bildet paradoxerweise die Welt ganz anders ab, als der Mensch sie wahrnimmt. Diese Ästhetik verändert unsere Sehgewohnheiten und unsere Verbindung zur Welt. Obwohl der Fotoapparat dafür gedacht ist, ein objektives Bild zu erstellen, agiert er als Element der Verfremdung. Installation mit drei Fotos ANDREA, 2011 BROKEN, 2012 POLAR LINE, 2002 im öffentlichen Raum in Hombourg. Ab dem 29. Juni. CE NOIR TOUT AUTOUR QUI PARAIT NOUS CERNER im Musée des Beaux-Arts in Mulhouse. 11. September — 10. Januar 2021


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Inquiétante étrangeté Par Sylvia Dubost

Guillaume Collignon, Bergisel, série Monuments of Madness, 2010-2012


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Sur les berges de l’Ill, les photographies de Guillaume Collignon observent le paysage et ses transformations, qui apparaissent ici inquiétantes et irréelles.

L’homme est un démiurge, qui façonne et transforme la nature. L’évidence de cette relation asymétrique traverse toute l’histoire de l’humanité mais nous prend pourtant aujourd’hui à la gorge. Elle est au cœur du travail de Guillaume Collignon, comme en témoignent les photographies présentées ici et issues de différentes séries. Arpenteur et voyageur, Collignon s’est posé dans plusieurs pays du globe, observant différents paysages et différents modes de relation entre homme et nature, portant une attention particulière aux montagnes qu’en citoyen suisse il connaît bien. La série Monuments of Madness, dont le titre vaut programme, est emblématique de son travail. Des tremplins de saut à ski y deviennent les icônes d’un rapport prédateur qui fait émerger des constructions arrogantes et absurdes. À l’instar du tremplin de Bergisel à Innsbruck, rénové à grands frais par la starchitecte Zaha Hadid et utilisé de manière sporadique par la poignée de sportifs qui pratiquent cette discipline, et dont l’impact sur le paysage est particulièrement frappant. Comme souvent dans ses images, Collignon se place en retrait, observe de loin mais avec précision. Il semble à l’extérieur du monde, comme un visiteur venu d’ailleurs dont le regard neutre est implacable. Cette position ainsi que l’esthétique maîtrisée de ces images, nappées dans la brume ou écrasées de soleil, aux couleurs chimériques, les fait apparaître comme à la lisière du réel, incroyables au sens propre. Inquiétantes et saisissantes. (S.D.) Déambulations entropiques Guillaume Collignon Berges de l’Ill À partir du 29 juin


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Jessica Auer, Bear Butte, South Dakota, 2007

Jessica Auer Le sentiment du lieu Par Nicolas Bézard

Exposées en plein air sur les Berges de l’Ill et à Ottmarsheim, les photographies de Jessica Auer documentent la réalité du tourisme mondialisé et son impact sur l’environnement naturel.


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Vos images sont composées à la façon de tableaux, avec un soin particulier apporté aux cadrage, aux lignes de forces et à l’équilibre des formes et des couleurs. On pense notamment aux peintres paysagistes du Romantisme Allemand. La peinture est-elle une source d’inspiration pour vous ? J’ai commencé à étudier les beaux-arts à la fin des années 1990, à une époque où la photographie en grand format de style pictural devenait de plus en plus présente, et j’étais intéressée par les travaux qui sortaient de l’école photographique de Düsseldorf, notamment ceux de Thomas Struth, Andreas Gursky et Axel Hütte. Dans le même temps, j’étudiais l’histoire de l’art et j’étais attiré par l’esthétique de la peinture de paysage romantique, allemande ou autre. Mais ce lien entre la peinture, la photographie et le paysage a plus à voir avec la façon dont je regarde et me rapporte à la nature. J’ai toujours passé beaucoup de temps en extérieur, à marcher, à faire des randonnées, à regarder et à réfléchir. Ainsi, les représentations culturelles en relation avec la nature ne sont pas seulement inspirées par ces qualités visuelles du paysage romantique, mais aussi par l’esthétique, c’està-dire la manière dont nous ressentons le lieu.

La crise mondiale provoquée par l’épidémie de covid-19 a montré les limites de cette logique du tourisme de masse qui n’a cessé d’aller en s’accélérant ces dernières décennies. Cela annonce-t-il la fin de cette industrie du tourisme globalisé ? La pandémie nous a donné beaucoup à réfléchir sur ce que nous apprécions et tenions pour acquis en ce qui concerne les voyages internationaux. Mais l’industrie du tourisme et en particulier les pays qui en dépendent manifestent déjà leur empressement à revenir aux mêmes stratégies. Pourquoi ne pas tirer parti de cette crise pour remettre en question l’idéologie du tourisme de masse et créer de nouveaux modèles ? Je vis dans une petite ville située sur la côte Est de l’Islande dont la population est de 685 habitants. L’été dernier, 72 navires de croisière ont accosté dans le port, certains transportant jusqu’à 5000 personnes. En raison de la situation sanitaire, il n’y avait pas d’autre choix que d’annuler ces croisières cette année, mais plus de 90 paquebots sont déjà prévus pour l’été 2021. Reste à savoir s’ils viendront réellement.

Votre photographie montre des situations problématiques sans pour autant les dramatiser. Est-ce important pour vous de garder cette forme de douceur et de détachement dans le regard, de neutralité par rapport au sujet ? Bien que je sois personnellement motivée et passionnée par les enjeux que j’interroge à travers mon travail, je préfère les capter de manière subtile. Cette façon plus distante et plus silencieuse de présenter les images permet au spectateur de réfléchir. Je n’essaie pas de pointer du doigt qui que ce soit, mais je laisse plutôt le spectateur démêler ces questions pour lui-même et envisager son propre rôle dans l’exploration de ces sites. La douceur se retrouve dans le traitement de la lumière naturelle et le rendu des couleurs : vous montrez des sites extraordinaires d’une façon antispectaculaire. Privilégiez-vous certains types de lumières pour réaliser vos photographies ? Ce questionnement autour des conséquences du tourisme de masse m’a amené à visiter certains des sites les plus spectaculaires au monde. Ces lieux sont intrinsèquement beaux, ils n’ont pas besoin de baigner dans une lumière qui les dramatiserait. Le plus important ce sont les éléments intéressants dans l’image et cette harmonie visuelle qui permet au spectateur de se plonger dans les détails. Si j’avais une baguette magique pour contrôler la lumière naturelle, j’opterais pour une lumière tamisée, car elle donne quelque chose de cohérent quelle que soit l’heure du jour.

Jessica Auer, Glacier National Park, British Columbia, 2007

RE-CREATIONAL-SPACES (2005-2020) LOOKING NORTH Jessica Auer Berges de l'Ill, Mulhouse Piscine Aquarhin, Ottmarsheim À partir du 29 juin


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Lynn Alleva Lilley Vestiges du chaos Par Nicolas Bézard

Lynn Alleva Lilley, Deep Time, 2019

Véritable fossile vivant, la limule ou crabe « fer à cheval » promène sa carapace dans les océans du globe depuis plus de 445 millions d’années. La beauté étrange de cette créature pourvue de 10 yeux et de 5 paires de pattes a stimulé l’imagination de plus d’un artiste.

Hayao Miyazaki s’en est inspiré pour inventer les ômus, insectes géants que l’on trouve dans son chef-d’œuvre Nausicaä de la Vallée du Vent, tandis que Hans Ruedi Giger a repris son apparence pour créer le « face hugger », stade parasitaire du fameux monstre de la saga Alien. Un jour d’été sur une plage de l’estuaire du Delaware, la photographe américaine Lynn Alleva Lilley a contemplé une limule qui nageait près du bord. Cette vision à la fois magique et anachronique l’a touchée au point de susciter un besoin d’immortaliser l’animal dans ses différents environnements, de jour comme de nuit, et dans tous les cycles de son existence. Réunies dans un livre intitulé Deep Time, les photographies nées de cette rencontre sont au confluent de deux temporalités : le présent du rapport instinctif et sensuel qu’entretient la photographe avec la nature – l’élément aquatique ici décliné dans une riche variation de matières, de lumières, de couleurs et de textures – et la présence de la limule, vestige vivant du chaos originel, qui renvoie à cet âge ancien où la vie sur Terre est apparue. Le travail de Lynn Alleva Lilley sensibilise aussi sur la manière dont l’homme impacte une planète dont il n’est, en regard de cet arthropode ayant survécu à 4 extinctions massives, qu’un récent et irresponsable locataire. La triste actualité autour du pangolin, ce mammifère apparu lui aussi bien avant les humains et dont le braconnage et la consommation seraient à l’origine de la pandémie de Covid-19, amène à s’interroger sur celle de la limule, espèce désormais convoitée pour sa chair dans certaines régions du globe, ainsi que pour les propriétés pharmacologiques de son sang bleu. Les photographies exposées à Chalampé disent à quel point nous aurions tout à apprendre de ces êtres venus de la nuit des temps, porteurs d’un message de fragilité, de persévérance et de pacifisme. DEEP TIME Lynn Alleva Lilley Bibliothèque Municipale, Avenue Pierre Emile Lucas, Chalampé à partir du 29 juin


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Lynn Alleva Lilley Relikt aus der Urzeit Von Nicolas Bézard

Der Pfeilschwanzkrebs, auch Hufeisenkrebs genannt, ist ein lebendes Fossil, das sich seit mehr als 445 Millionen Jahren in den Ozeanen dieser Welt tummelt. Die eigentümliche Schönheit dieser Kreatur mit ihren zehn Augen und den fünf Paar Beinen hat die Fantasie etlicher Künstler beflügelt.

Lynn Alleva Lilley, Deep Time, 2019

Hayao Miyasaki hat sich von ihm inspirieren lassen, um seine Ômus zu erschaffen, riesige Insekten, die in seinem Meisterwerk Nausicaä aus dem Tal der Winde vorkommen, und Hans Ruedi Giger hat dem „Facehugger“, diesem parasitären Organismus aus der Alien-Filmreihe, sein Aussehen verliehen. An einem Sommertag hat die amerikanische Fotografin Lynn Alleva Lilley an der Mündung des Delaware einen Pfeilschwanzkrebs beobachtet, der am Ufer schwamm. Diese magische und anachronistische Erscheinung hat sie so berührt,

dass sie das Bedürfnis hatte, das Tier in seinem Umfeld zu verewigen, bei Tag und bei Nacht und in allen Formen seiner Entwicklung. Die so entstandenen Fotografien wurden in einem Buch mit dem Titel Deep Time gesammelt. Sie befinden sich am Scheideweg zwischen zwei Temporalitäten: die Gegenwart des instinktiven und sinnlichen Verhältnisses des Fotografen zur Natur – zu dem Element Wasser insbesondere, das hier in seiner ganzen Vielfalt an Materie, Licht, Farbe und Struktur gezeigt wird – und die Gegenwart des Krebses, Relikt aus dem Chaos der Urzeit, als das Leben auf Erden begann. Lynn Alleva Lilleys Arbeit verweist darauf, wie der Mensch einen Planeten für sich in Anspruch nimmt, auf dem er, im Vergleich zu diesem Arthropoden, der vier mächtige Naturkatastrophen überlebt hat, ein recht neuer und unverantwortlicher Gast ist. Die traurige Aktualität um das Gürteltier, dieses Säugetier, das auch lange vor dem Menschen die Erde bewohnt hat, und dessen illegale Jagd und Verzehr angeblich die Ursache der Covid-19 Pandemie sein soll, führt zu der Frage, wie der Verzehr des Pfeilschwanzkrebses, dessen Fleisch in einigen Regionen der Erde geschätzt wird, zu bewerten ist, ebenso wie die Gewinnung seines blauen Blutes zu medizinischen Zwecken. Die Fotos, die in Chalampé zu sehen sind, sagen viel darüber aus, wie viel wir von diesen Wesen lernen können, die aus der Urzeit kommen und uns einiges über Zerbrechlichkeit, Ausdauer und Friedfertigkeit lehren. DEEP TIME Lynn Alleva Lilley Bibliothèque Municipale, Avenue Pierre Emile Lucas, Chalampé Ab dem 29. Juni


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Thérèse Verrat et Vincent Toussaint, Léo, 2017


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Au-delà du réel Par Caroline Châtelet

Avec Tout le jour il fait nuit noire le duo de photographes Verrat/Toussaint met en scène le réel pour mieux le dépasser.

Parmi les titres des différentes expositions que compte la biennale, Tout le jour il fait nuit noire est l’un de ceux ayant le plus retenu mon attention. Poétique, un peu, énigmatique, aussi, cet intitulé qu’on imaginerait aussi bien pouvoir croiser dans une chanson pop mélancolique, caractérise au plus juste le travail de Thérèse Verrat et Vincent Toussaint. Le duo, formé pour elle à la photographie, les arts plastiques, l’architecture puis l’histoire de l’art à Nice, Marseille puis Paris ; pour lui à la photographie à l’École des Gobelins à Paris, propose dans ses images des échappées, qui entre lyrisme et mystère insondable, invitent le spectateur à laisser vagabonder son esprit. Comme le précise l’autrice, journaliste et commissaire de leur exposition Virginie Huet, il y a dans leur travail « une soumission aux éléments naturels, qui les situe entre le documentaire et la nature morte. « Documenteurs » ou archéologues, ils prélèvent un motif dans le paysage », élaborant alors « un plaisir pur du motif, de la matière. C’est quelque chose de parfois ténu, et c’est à nous, spectateurs, de recomposer un récit. » Un incendie dans une colline, un œil qui se ferme, ou encore un papillon attiré par une lumière sont autant d’images refusant de livrer entièrement leurs secrets. Qu’elles soient en argentique ou en numérique, en couleurs ou en noir et blanc, qu’elles se baladent de l’infiniment grand à l’infiniment petit, leurs photographies se refusent à tout dire, ou à raconter de manière univoque. Ainsi que le souligne Anne Immelé, il y a dans leur démarche une « approche fictionnelle, du côté littéraire ou cinématographique, qui procède par suggestions. Leur travail garde une dimension de mystère, en un tissage souterrain entre les éléments. » Au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse, l’exposition – qui aurait dû initialement être accueillie au Centre Culturel Français de Fribourg – réunira des œuvres déjà exposées (notamment par Virginie Huet à la Chapelle Saint-Louis d’Avignon en 2018) et de nouvelles, tout juste créées. L’occasion pour le duo de continuer à explorer des phénomènes lumineux, une recherche constituant un projet au long cours. « Ils ont commencé à shooter des sortes d’aberrations lumineuses dans la ville », raconte

Virginie Huet, « la technique et la maîtrise devenant l’outil pour tenter de capter la fragilité d’instants, d’expériences ». Ces images ayant majoritairement en commun la question de l’expérience lumineuse, ces phénomènes naturels l’étant de moins en moins à une époque contaminée par les lumières artificielles, inviteront les spectateurs, là encore, à une libre association. Face à celles-ci, chacun pourra construire son cheminement et pressentir l’approche d’une finitude comme la capacité de la photographie à enrichir et subvertir le réel. TOUT LE JOUR IL FAIT NUIT NOIRE Thérèse Verrat et Vincent Toussaint Commissariat Virginie Huet CCFF Hors Les Murs Musée des Beaux-Arts de Mulhouse 11 septembre — 10 janvier 2021


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Le basculement Par Sylvia Dubost

L’exposition The And se penche sur la photographie comme outil publicitaire, et ce qu’elle révèle de notre société. Avec un titre volontairement ambivalent, elle suggère une multitude de pistes, que nous ouvre en partie Ann-Kathrin Harr, co-commissaire de l’exposition.

The And : le titre est évidemment ambigu. Quelles sont les différentes pistes d’interprétation ? On voulait effectivement jouer avec le sujet de la BPM. Dans ce titre, il y a spéculation : est-ce qu’il est question de la fin ou de la conséquence, puisqu’il y a aussi l’idée d’addition. Ou alors est-il question de cet instant juste avant la fin, où il y a comme une accélération ? À une époque où l’idée d’apocalypse est partout, cela nous semblait intéressant. Nous avons choisi de présenter de jeunes artistes qui jouent tous avec cette ambiguïté. La photographie était-elle le médium idéal pour questionner cette ambivalence ? Ce qui nous a intéressé, c’est de voir comment ce sujet résonne à la fois dans la photographie et dans l’art contemporain. La photographie est un médium souvent utilisé dans la publicité, mais aussi de manière documentaire, et nous avons voulu voir comment la jeune génération joue avec ce flou. Nous allons également présenter des installations, pour montrer des utilisations très diverses de ce médium, et donner une idée de la large palette de ce qu’on appelle aujourd’hui « photographie ».

Irene De Andres, Cruise-r, 2015

Comment avez-vous choisi les œuvres et quel parcours dessinent-elles ? D’abord nous avons choisi des œuvres interprétables dans ces deux directions – la fin et le « plus » –, produites par des artistes aux techniques et aux âges différents, qui abordent le sujet de diverses manières. Ce que ces œuvres ont en commun, c’est l’idée que, peut-être, quelque chose n’est pas juste dans la société. Nous aimerions aussi recréer dans l’exposition une atmosphère d’incertitude.


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Lorraine Hellwig, the paradox of #tolerance, 2018

Pourriez-vous commenter deux œuvres qui abordent le thème de manière différente ? Irene de Andres présente un collage de deux photographies prises dans des prospectus publicitaires. Ce qui l’intéresse, c’est de mettre en parallèle la colonisation par le tourisme, la consommation d’autres pays par une société repue (gesättigt), et la colonisation dans un sens militaire, qui change les frontières et les sociétés. Ce sont deux façons de consommer qui se regardent. Irene travaille beaucoup sur les conséquences négatives de cette société, et remet en même temps en question le médium, ici utilisé à des fins publicitaires. La photographie de Lorraine Hellwig est extraite

d’une installation qui rassemble des images vite faites, par une génération qui utilise le smartphone pour documenter sa vie et crée une société à part. Une génération qui profite de la vie, de la musique, qui n’a encore rien à perdre mais que guette aussi le problème de l’alcool, entre autres. Ces photos, utilisées comme des posters sur lesquels sont écrit des messages, de manière activiste, reflètent l’idée de cet instant où tout peut changer… The And Commissariat : Ann-Kathrin Harr et Maria Sitte Kunsthaus L6 à Fribourg (DE) 18 septembre — 1er novembre


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Auf der Kippe Von Sylvia Dubost

Die Ausstellung The And beschäftigt sich mit der Fotografie als Medium heutiger (Selbst-) Vermarktungs-und Optimierungsstrategien und damit, was sie über unsere Gesellschaft aussagt. Mit ihrem ambivalenten Titel eröffnet sie vielfältige Interpretationsmöglichkeiten, die uns Ann-Kathrin Harr, Co-Kuratorin der Ausstellung darlegt.

The And: ein vieldeutiger Titel. Wie ist er zu verstehen? Wir wollten mit dem Titel der Biennale spielen. Dieser Titel ist Spekulation. Zu einer Zeit, in der überall von Apokalypse die Rede ist, schien uns die Idee interessant, junge Künstler_innen einzuladen, die sich mit der Ambivalenz unserer westlichen Gesellschaft beschäftigen. Vor dem Hintergrund aktueller Krisen wirft eine verkaufsorientierte und nach Optimierung strebende Gesellschaftsordnung immer mehr Fragen auf. Diese Vieldeutigkeit findet sich in den Arbeiten der eingeladenen Künstler_innen wieder.

Stimmung unserer Ausstellung soll ein Gefühl der Unsicherheit vermitteln, zwischen hedonistischem Traum und sinnentleertem Albtraum. Wir haben Werke ausgesucht, die in beide Richtungen deuten. Sie stammen von Künstler_innen verschiedenen Alters, die verschiedene Techniken verwenden und das Thema ganz unterschiedlich angehen.

War die Fotografie das ideale Medium, um diese Ambivalenz zu hinterfragen? Absolut. Wir wollten der Frage nachgehen, wie dieses Thema sowohl in der Fotografie als auch in der zeitgenössischen Kunst behandelt wird. Die Fotografie wird oft zu Werbezwecken eingesetzt, erfüllt aber auch eine künstlerische Funktion. Wir wollten sehen, wie die junge Generation damit umgeht, denn das fotografische Medium steht oft an der Grenze zwischen Beidem und wird häufig zur Selbstvalidierung, Optimierung und Vergewisserung von Makellosigkeit eingesetzt. Die Rolle der Fotografie als Komplizin einer modernen Alltags- und Werbeästhetik zu hinterfragen, fanden wir äußerst spannend. Im Zuge dessen werden auch Installationen präsentiert, um die Vielfalt des Mediums aufzuzeigen und eine Vorstellung davon zu geben, wie breit aufgestellt das ist, was man gemeinhin „Fotografie“ nennt.

Würden Sie für uns zwei Werke kommentieren, die das Thema auf unterschiedliche Weise angehen? Irene de Andrés kombiniert in ihrer Collage zwei Fotos aus Werbeprospekten. Ihr Anliegen ist es, Parallelen aufzuzeigen zwischen der Kolonisierung durch den Tourismus, dem Konsumverhalten einer gesättigten Gesellschaft in anderen Ländern und die Kolonisierung im militärischen Sinn, die Grenzen und Gesellschaften verändert. Hier stehen sich zwei Formen des Konsums gegenüber. Irene untersucht die negativen Folgen unserer Lebensart und hinterfragt gleichzeitig das Medium, das hier zu Werbezwecken missbraucht wird. Lorraine Hellwigs Arbeit stammt aus einer Installation, in der Schnappschüsse der Smartphone-Generation gezeigt werden, die damit ihr Leben dokumentieren und sich eine Parallelgesellschaft erschafft. Eine Generation, die das Leben genießt und noch nichts zu verlieren hat, gleichzeitig aber unter anderem vom Alkoholismus bedroht ist. Lorraines Arbeiten werden mit militanten Botschaften vermischt und spiegeln den Augenblick wider, in dem alles umschlagen kann….

Wie haben Sie die Werke ausgesucht und was verbindet sie? Was die Arbeiten verbindet, ist die Vorstellung, dass etwas in unserer Gesellschaft nicht stimmt. Die ganze

The And Kuratorinnen: Ann-Kathrin Harr und Maria Sitte im Kunsthaus L6 in Freiburg (DE) 18. September — 1. November


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Territoires en transition Par Caroline Châtelet

En nous invitant à (re)lire le paysage du bassin potassique d’Alsace, Pour tout le sel de la terre nous interroge sur nos propres espaces de vie.

Sylvain Scubbi, projet Kali, 1980-2020

C’est, pour partie, dans l’enfance de Mickaël Roy que Pour tout le sel de la terre trouve sa source. Ayant grandi au nord de Mulhouse, le commissaire d’exposition raconte que son collège était installé sur l’un des anciens puits d’extraction d’une mine de potasse. « Lorsque nous étions ados, personne ne nous en a parlé. Partant de cette forme d’amnésie collective, je me suis dit qu’il serait intéressant de faire émerger une mémoire visuelle et sociale de cette histoire, qui a conditionné celle de ce territoire de 1910 à 2004. » Pour proposer une lecture de l’évolution de ce paysage, le commissaire a réuni trois projets, réalisés majoritairement durant les deux dernières décennies du XXe siècle. Les images portent un regard transversal sur un territoire qui dès les années 60 se savait concerné par l’annonce d’une « fin prochaine, du fait de l’amenuisement

des ressources », et où s’est opéré une transition vers de nouvelles économies – le secteur tertiaire ayant succédé au primaire. D’abord, Mickaël Roy s’est intéressé à des images inédites de Bernard Birsinger. Alsacien, l’homme a participé en 1984 à la mission photographique de la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), commande publique dont l’objectif était de saisir le paysage français. Puis, recherchant d’autres images de la même période, il a découvert le projet KALI. « Acronyme des éléments chimiques constituant la mine de potasse en allemand », KALI est un travail collectif réalisé par trois jeunes photographes : Dominique Bannwarth, Jacky Naegelen et Sylvain Scubbi. « Ce projet – qui a été un peu fondateur de leur regard photographique – porte sur un paysage auquel ils


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Bernard Birsinger, Wittelsheim, 1986. Mission photographique de la Datar

participaient : travaillant comme correspondants de presse à L’Alsace sur le secteur de Wittelsheim, ils couvraient l’actualité de la reconversion de ce bassin. » Ayant donné lieu à l’édition d’un ouvrage en 1980, KALI « revendique un regard collectif sur un paysage lui-même collectif. » L’on y croise autant une « documentation des infrastructures caractéristiques de l’aménagement du territoire, que des scènes plus symbolistes ou des amorces de narration. Ils ont documenté le labeur et la manière dont celui-ci a modifié les espaces ; traduit les corps, les expressions, les sociabilités à l’intérieur et à l’extérieur la mine. » Quant à Stéphane Spach, ses images de paysages lunaires et inhospitaliers réalisées à la fin des années 90 prennent leur source dans « une relation étrangère au territoire. C’est une vision qui n’a pas de référent, une promenade qui rappelle peut-être un retour au sauvage de ce paysage. » Interrogé sur la récurrence du noir et blanc comme sur l’absence fréquente de figures humaines, Mickaël Roy souligne la « dimension mémorielle » de l’ensemble. Outre que ces deux choix accentuent la césure historique, nous signalant bien que ce

monde n’est plus le nôtre, le noir et blanc renvoie également au New Topographics, courant étatsuniens documentaire où la photographie témoignait des mutations paysagères. Mais le commissaire relève également un caractère pittoresque, au sens pictural du terme. « Tous se sont intéressés à saisir des images dignes d’être représentées, que ce soit dans une dimension documentaire, frontale, ou sublime et onirique. » Surtout, l’articulation de l’ensemble promet dans un contexte contemporain de bouleversements de « reconsidérer la relation de chaque individu à son espace de vie et son territoire. Au-delà du bassin potassique, ce qui m’intéressait était de faire un point d’étape sur des paysages qui nous environnent, nous conditionnent. De questionner nos subjectivités territoriales. » POUR TOUT LE SEL DE LA TERRE Bernard Birsinger, Stéphane Spach, Dominique Bannwarth, Jacky Naegelen & Sylvain Scubbi Commissariat d’exposition Mickaël Roy Le Séchoir 4 septembre — 20 septembre


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Suspensions Par Sylvia Dubost

Les étudiants des écoles d’art du Grand Est ont planché sur le thème de cette édition, et dévoilent une belle pluralité d’interprétations.

somi han, degradation

Pour la 2e fois, la BPM a invité les étudiants des écoles d’art de Metz, Nancy, Reims et MulhouseStrasbourg à s’approprier sa thématique, et expose une sélection de leurs photographies dans l’espace public. Celle-ci révèle une multiplicité de regards et de démarches, que cet exercice permet de nourrir. Lucie Germain propose ainsi une image d’une grande douceur, où une orange coincée sous le menton d’une jeune femme pourrait à tout instant tomber. Chez Quentin Fabris, l’objet étrange qui se détache sur un fond noir ressemble de loin à une statuette de la vierge, et la découverte de son « identité » ouvre une multitude d’interprétations. Mandrin Valet photographie la fin des utopies dans les pays de l’Est, et le rapprochement de deux images laisse là encore le champ libre à plusieurs lectures. Somi Han, avec sa photographie au flash, amène quant à elle un peu de légèreté et d’humour dans un sujet forcément sombre. Ces images et toutes les autres abordent les notions de finitude, au sens propre comme au sens figuré, de dégradation et de destruction, de chute… « mais pas tellement d’utopies possibles », constate Constance Nouvel, artiste et enseignante à l’ÉSAL de Metz, où elle a accompagné les étudiants de 3e année avec Agnès Geoffray. « On a commencé par des séances de discussion autour du sujet. C’était difficile pour eux au début, car l’époque n’est pas très joyeuse… Ils se posent beaucoup de questions, ont peur de l’avenir. » Dans les photographies retenues, plus de points de suspension que de points finaux. Rarement, la fin est vue comme imminente. C’est plutôt un mouvement, certes inexorable. Point Cardinal II Étudiant·e·s des Écoles supérieures d’art du Grand Est Gare de Mulhouse Parvis / le long du canal (face à la Poste et au Musée de l’impression sur étoffes) 2 septembre — 30 octobre 2020


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Thomas Boivin Lumières silencieuses Par Nicolas BÊzard

Thomas Boivin, Mulhouse, 2018


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De ses trois semaines de résidence en 2017, Thomas Boivin à rapporté un Carnet de Mulhouse. Douze paysages urbains en noir et blanc, douze instants méditatifs et silencieux que l’on peut découvrir au Kohi coffee shop.

Dans le texte qui accompagne votre série, vous parlez des « efforts » nécessaires pour vous approcher de Mulhouse. Je pense qu’il y a un effort dans tout travail photographique, et comme je suis quelqu’un de très lent, la temporalité nécessairement courte d’une résidence m’a fait ressentir nettement cet effort, mais je ne crois pas que ce soit particulier à la ville de Mulhouse. Le propre de la photographie n’est-il pas de révéler cette beauté non-intentionnelle des choses qu’ordinairement, on ne prend pas suffisamment le temps de regarder ? J’aime beaucoup cette phrase de Sergiu Celibidache disant : “la beauté est l’appât”. La beauté c’est ce qui fait que l’on a envie de regarder l’image, mais pas forcément ce dont l’image est faite. Je crois plutôt qu’il s’agit en effet de prendre le temps de regarder, et ce regard est comme adossé à la beauté, dans l’image, qui n’est pas la beauté de la chose, mais la beauté de la photographie. Ça ne veut pas dire que la chose que l’on photographie n’est pas belle, mais ce n’est pas si important: dans l’image, c’est la qualité de la relation qui compte. Il émane de ces photographies une lumière étonnante, presque méditerranéenne, qui tranche avec la grisaille que l’on associe souvent aux villes industrielles de cette partie de la France. Effectivement, quand je suis venu il y avait de la lumière, mais c’est aussi une décision. Il y a des photographes de lumières plates, et ce n’est pas vraiment mon cas. Peut-être que j’anticipe inconsciemment le climat de quelques décennies avec ces lumières méditerranéennes, c’est possible. Je vois bien qu’il y a toute une manière de photographier par temps gris qui a pris beaucoup d’importance, mais je n’ai jamais très bien compris pourquoi. Il y a sûrement un désir de neutralité, mais j’ai l’impression que le résultat est l’inverse exact.

On reconnaît dans ce travail votre sensibilité de tireur. J’ai un peu éteint les tirages de Mulhouse, peutêtre pour me rapprocher justement de ce gris industriel, et je pense que les tirages sont plus doux, moins dynamiques, avec plus de gris moyen, et un papier moins luisant. Cela fait longtemps que je tire mes images, mais j’ai l’impression de commencer à peine à en comprendre l’importance, et j’ai beaucoup de progrès à faire. Il me semble que ce que le tirage apporte au photographe, c’est que, contrairement à l’idée qu’on s’en fait, il force le tireur à accepter son image, là où un écran rend l’utilisateur tout puissant. On parle souvent de l’usage d’un outil, mais le plus important, c’est ce que l’outil fait de nous: tirer est une école du regard irremplaçable. CARNET DE MULHOUSE Thomas Boivin Kohi coffee shop 4 septembre — 31 octobre


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Serge Lhermitte, entre deux mondes Par Caroline Châtelet

Si Serge Lhermitte a longtemps vécu à Strasbourg, c’est bien dans une ville telle que Mulhouse que son travail s’inscrit avec évidence.

Des chantiers navals de Saint-Nazaire aux usines Michelin de Clermont-Ferrand, le photographe n’a de cesse de capter les pulsations de mondes industriels. Pour autant, rien de purement sociologique ni documentaire chez lui, et sa démarche relèverait plutôt de celle d’un plasticien. Les images, magnétiques, empreintes de mystère, voire, de symbolisme, s’appréhendent dans des dispositifs à manipuler. La photo n’est plus ici seulement photographie, elle s’inscrit dans un système qui en évoquant un savoir-faire, invite les spectateurs à mettre en mouvement des univers échappant habituellement à leur regard. Comment le thème This Is The End résonne-t-il avec votre œuvre ? Mon travail photographique questionne le travail, ses mutations. Depuis le début des années 2010, j’aborde plus particulièrement la fin d’un monde ouvrier, d’une certaine industrie. La grande majorité de l’industrie détenue par la France a cédé la place à un autre type d’industrie, qui s’adosse à des techniques de pointe et à l’économie du savoir. Il se raconte dans cette alternance entre des images d’un monde industriel renvoyant à une imagerie du XIXe siècle – largement immortalisé par la photographie – et d’autres, convoquant les nouvelles technologies et étant nettement moins photogéniques dans le rapport humain qui y est mis en place, la fin d’un monde. Mulhouse et son histoire industrielle omniprésente a-t-elle nourri l’exposition ? Il y a une cohérence certaine entre la ville et le travail que j’expose. Au centre de la chapelle se trouvera le « manège à images » d’À la poursuite de l’extension des échanges, qui est une critique des corps au travail dans le monde industriel. Ce manège sera encadré à chacune de ses extrémités par deux portiques reprenant la structure métallique du premier et exposant dans des caissons lumineux

les images de La Somme de l’inversion des courbes. Là, nous sommes à l’intérieur des pistes d’essais de Michelin. Ouvertes en 1910 et fermées en 2001, celles-ci sont aujourd’hui désaffectées. Cette série campe des espaces, là où celle exposée dans le manège donne à voir des activités, des gens, une espèce de chorégraphie au travail. Et la chapelle ? Ce qui m’intéresse par rapport à ce lieu c’est qu’à chaque fois on est dans des formes de triptyques renvoyant à la trinité et évoquant un retable. Ce sont des pièces interactives que le public doit animer pour avoir accès aux images. Il s’y joue une évocation de ce monde de l’industrie finissant dans un aspect religieux, une croyance dans le travail, ses valeurs. Avoir ce rapport au religieux qui se déplacerait vers l’industrie – qui plus est dans une ville telle que Mulhouse – m’intéressait. Pour autant, contrairement à un retable qu’un visiteur ne pourra jamais toucher, là c’est lui qui les manipule... C’est vrai, mais si aujourd’hui les retables se trouvent essentiellement dans les musées, ils étaient initialement dans des églises et tournaient en fonction de la liturgie, ils amenaient du déplacement. Alors effectivement, le croyant ne pouvait pas les manipuler, mais d’une semaine à l’autre il en découvrait des visions différentes. Ce qui m’intéresse dans le retable c’est qu’il ne s’agit pas d’une image figée, mais mouvante. C’est ce que j’essaie de retrouver dans ce que je fais et je pense que les images vont se parler, nous parler du monde industriel, du travail, de la fin de quelque chose. à LA POURSUITE... DES COURBES Serge Lhermitte Chapelle Saint-Jean 11 septembre — 20 septembre


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Serge Lhermitte, La somme de l’inversion des courbes, 2019


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Searching with my good eye closed, film 5mn30

Fahd El Jaoudi, Doubt Day / Jour de doute Par Dominique Bannwarth

« Tout a commencé avec l’option Histoire de l’art au lycée Montaigne de Mulhouse et depuis l’enfance un intérêt pour le dessin ». Fahd El Jaoudi convoque ses souvenirs de jeune Mulhousien, qui a grandi dans le quartier de la Fonderie, pour introduire son propos sur l’exposition « Fauda » qu’il présentera du 2 au 25 septembre au KM0.


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La proposition de Mulhouse Art Contemporain de réaliser l’exposition du O(ff )20 dans ce nouveau lieu high-tech et tendance de Mulhouse a immédiatement déclenché chez l’artiste la mécanique de la mémoire. Dans ce quartier où la maison bleue de ses parents où il a grandi fait toujours face à la Fonderie désormais vouée à l’enseignement supérieur et à l’art contemporain, Fahd se retrouve dans un contexte familier, bien que vivant à Paris depuis des années. En préambule à son exposition mulhousienne (la première ici après avoir notamment été présentée à la Villette), il tient à dire son attachement à Mulhouse, à cette prof, Régine Fimbel, qui un jour lui a dit « tu devrais tenter les arts déco », qui lui a « ouvert des portes dans la tête », sa reconnaissance aussi à l’école qui lui a donné la chance d’aborder l’art contemporain, cette manière de « mettre des mots sur quelque chose de diffus », faisant de lui, jeune issu de l’immigration, « un pur produit de l’école républicaine ». « Quand on vient d’un milieu populaire et comme fils d’immigré, on n’a pas l’habitude de manipuler des notions abstraites, de conceptualiser les choses, pour moi, ça a été une révolution intellectuelle », avoue l’artiste. Aujourd’hui, il se définit plus volontiers comme « faiseur d’images, plasticien au sens large car toutes les frontières sont devenues hyper floues. Est-ce qu’une peinture postée sur Instagram reste une peinture ? Tous les équilibres ont changé et les œuvres sont aujourd’hui majoritairement vues sur des supports électroniques, il n’y a plus de hiérarchie ». D a n s c e m o n d e d ’ i m a ge s , o ù i l exe rc e professionnellement au sein de Minsk Studio qu’il a créé à Paris, Fahd El Jaoudi se consacre à la création visuelle et à la direction artistique dans le monde de la mode, de l’art, du design… Il a également enseigné à l’Atelier de Sèvres, où il a côtoyé des étudiants. « Cela a été une vraie révélation, la première fois que je suis entré dans une église, lors d’une sortie scolaire. J’étais complètement fasciné par les codes visuels mis en œuvre, une image abstraite convertie en signes. On a une idée impalpable et là on la rend palpable, avec une image et des symboles. C’était en totale opposition avec ma culture arabo-musulmane, avec le fait de ne pas représenter la figure humaine. La culture arabo-musulmane s’est totalement projetée dans l’abstraction ». « J’ai été de suite très conscient de la puissance de l’image et de ces deux stratégies contradictoires : l’une maîtrisant l’image, l’autre l’interdisant. Là où se rejoignent les deux dogmes, c’est dans l’exubérance, dépassant le cadre de l’humilité et de la décence. » « Ce qui m’a beaucoup intéressé c’est la surface des choses dans l’art islamique, dans cette construction de motifs répétitifs qui induisent l’idée d’infini, de quelque chose qui nous dépasse… En

opposition avec la culture judéo-chrétienne qui privilégie l’exaltation du corps humain, l’expérimentation de la souffrance des corps. On arrive à des points d’orgue dans chacun de ces domaines avec des œuvres poussées à l’extrême ». « D’un côté ce rapport au corps physique qui traduit les émotions, de l’autre quelque chose de complètement désincarné, où le corps n’a pas de rôle à jouer. » « La souffrance du Christ est très terre à terre, très physique ce qui n’est pas le cas dans l’art arabomusulman. » Fahd El Jaoudi évoque aussi son rapport à la sémiologie : ici « l’image remplace les mots, une position des mains, une posture est censée évoquer une idée très précise, très singulière ». « C’est comme une sorte de charte visuelle. » Dans l’expression arabo-musulmane on a affaire à la répétition des signes, « quelque chose d’hypnotique, presque psychédélique, aspiré dans une espèce de système kaléidoscopique ». « Je viens aussi d’un milieu de pensée du punk rock – c’est aussi à l’antithèse du cliché du fils d’immigré maghrébin – et ce qui m’a aussi intéressé c’est la culture alternative, en dehors du mainstream. C’est comme la culture industrielle à Mulhouse, impossible de passer à côté. Toutes ces choses combinées se sont entrechoquées. J’ai converti tout ça dans des noirs et blancs du punk rock conjugué au côté géométrique de l’arabo-musulman. J’ai longtemps expérimenté cela à travers la photo mais limité par la figuration qui assujettit à son sujet. Je trouve plus de liberté dans l’abstraction et la radicalité de la peinture ».

Searching with my good eye closed, film 5mn30

Fauda Fahd El Jaoudi KMO 2 — 25 septembre



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