Portrait du photographe
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Misja Smits: « C’est ma liberté qui me fait aimer la photograhie » Misja, votre nom est bien connu dans le monde de la macro et de la proxiphotographie. Mais au-delà de la photographe, qui êtes-vous?
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isja Smits: Je ne savais pas que j’étais si célèbre dans le monde de la photographie macro, donc je suppose que c’est un compliment! Merci! Pour me présenter, je suis né en 1971 à Liessel, un petit village rural des Pays-Bas. Après l’école secondaire (équivalent du collège français, mais à partir de 12 ans, N.D.L.R.), j’ai déménagé vers la ville de Nimègue pour étudier l’anthropologie culturelle. J’ai rapidement compris que ces études n’étaient pas vraiment pour moi. En 1993, j’ai alors débuté des études de photographie à l’Académie des Arts de La Haye. Après celles-ci, j’ai commencé à travailler dans un magasin de photo, ce que je fais encore jusqu’à maintenant. La photographie m’a toujours intéressé. J’ai commencé avec des films en noir et blanc que je développais et imprimais moi-même. Durant ces premières années de photo, mes sujets principaux étaient les villes, les cimetières, et les ballets. Ce n’est qu’à partir de 2002, lorsque j’ai rencontré mon ami Edwin Giesbers, qui est photographe de nature professionnel, que je me suis concentré sur cette spécialité. Ces dernières années, c’est sur des sujets macro que je me suis de plus en plus penchés: fleurs, champignons et insectes. Malgré mon amour pour la photographie, elle n’est jamais devenue mon métier, donc je dirais que l’on peut me qualifier de photographe semi-professionnelle. Je pense d’ailleurs que c’est précisément grâce à cette liberté de travailler que j’aime autant la photographie.
Macro Photo: Vous avez gagné de nombreux concours célèbres (GDT et Asferico parmi d’autres). Vivez-vous cela comme une reconnaissance de votre travail? Que ressentez-vous vis-à-vis de ces prix? Misja Smits: Gagner un prix dans un de ces concours est quelque chose de grand, évidemment! C’est agréable que votre travail soit apprécié, c’est comme un beau compliment. Alors oui, je suis
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honoré d’en obtenir un. Néanmoins, je dois admettre que j’ai aussi quelques sentiments mitigés à ce sujet. Gagner un prix ne signifie pas nécessairement que l’image est bonne et, vice-versa, si une photo n’a pas reçu de prix, cela ne signifie pas qu’elle est mauvaise. À l’heure actuelle, il y a tellement de belles images reçues par les jurys, que leur travail est de plus en plus difficile. Par conséquent, je suis heureuse de gagner des prix, mais garde de la distance tout de même. Je pense que cela a plus d’impact sur les gens qui suivent mon travail, que sur moi. D’ailleurs, vous pouvez demander à mon ami: je ne me souviens pas toujours dans quel concours mes images récompensées l’ont été. Macro Photo: Concernant vos photographies, celles-ci sont très graphiques. D’où vous vient cette vision? Misja Smits: C’est vrai, outre mes photographies colorées, je suis également séduite par les images graphiques. Celles-ci sont souvent très sobres en couleurs et dominées par des lignes et des touches de blancs, gris ou noirs. Cela se fait naturellement, sans explications particulières. Je cherche automatiquement des lignes graphiques et quand les conditions sont réunies - la météo, le bon sujet, le bon environnement, et même mon humeur! -, une nouvelle image graphique peut naître. À la réflexion, je pense que ces clichés-là me permettent de créer un équilibre dans ma démarche photographique. Ils sont à l’opposé parfait de mes photos colorées. Macro Photo: En cela, vos images sortent du lot de beaucoup de macrophotographies, plus classiques. Quel est votre regard sur cette branche de la photo? Misja Smits: C’est une question délicate car je ne pense jamais en ces termes-là. Qu’est-ce qui est classique? Qu’est ce qui est innovant? C’est difficile à dire. A priori, vous me classez plutôt dans la catégorie « Innovante », je pense que c’est un compliment! Néanmoins, je fais juste les photos que j’aime. Bien sûr, je suis influencé par les images actuelles qui circulent partout dans le monde du
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numérique. Mais je ne pense jamais volontairement à créer une image « Innovante. » Mon premier objectif est de surprendre, encore et encore. Si les gens trouvent cela novateur, alors tant mieux, mais ce n’est pas mon but, juste ma façon de faire. Je ne sais pas fonctionner autrement. Macro Photo: Comme vous le disiez, une grosse partie de vos photos est caractérisée par des couleurs très vives. Une autre marque de fabrication? Misja Smits: Oui, je pense que l’on peut dire ça! Là encore, ces compositions basées sur des couleurs très vives ne sont pas le fait d’un calcul, mais d’une démarche naturelle. Je n’y pense jamais avant. Évidemment, il y aurait de nombreuses possibilités de réaliser des photos à l’inverse, très sombres, mais celles-ci ne m’attirent pas. Je me concentre donc sur les couleurs vives, et lorsque je rentre chez moi après une séance pour regarder les photos réalisées, ce sont ces couleurs-là que je vois en premier lieu. Macro Photo: Parmi vos sujets, on trouve des fleurs, des insectes, des gouttes d’eau… En avezvous un favori? Misja Smits: Les principaux sont en effet les fleurs, insectes et champignons. Les gouttes d’eau se trouvent souvent dans les zones défocalisées de mes images, créant une profondeur de champ floue et fraîche. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas réellement de sujets de prédilection, je les apprécie tous de la même façon. Chaque saison me donne de nouvelles opportunités avec ces sujets-là, sauf l’hiver ou je n’ai pas encore trouvé le sujet qui s’y prête particulièrement. Macro Photo: Comment déterminez-vous si un sujet est bon ou pas pour une photo?
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Misja Smits
www.misjasmits.com
Misja Smits: La première chose est de regarder si l’insecte, la fleur ou le champignon, est intact et bien formé. Quand mon sujet est abîmé ou mal formé, cela n’est pas bon pour moi. Mon attention se pose ensuite sur l’environnement: est-il adapté? Permet-il d’obtenir de beaux avants et arrièreplans? On peut par exemple choisir d’intégrer quelques feuilles colorées tombées face à la lentille de l’objectif… Et puis, enfin, il y a bien sûr la météo. Quand il y a du vent par exemple, insectes et fleurs sont délicats à photographier. Il reste alors les champignons: fermes et au ras du sol, le vent ne les affecte pas. Macro Photo: Quid du posttraitement? L’utilisezvous? Et si oui, à quelles fins? Misja Smits: Je prends mes photos en Raw, donc j’ai effectivement besoin du posttraitement pour optimiser mes photos. j’utilise Lightroom et Photoshop pour cela. La plupart du temps, cela consiste simplement à ajuster les courbes, à réduire le bruit, à améliorer un peu l’image… L’importance de ce posttraitement dépend de la qualité du fichier brut. Parfois, les gens pensent que je modifie les couleurs, les avants et arrière-plans… ce n’est pas le cas. Macro Photo: Travaillez-vous sur un projet en particulier, avec lequel nous pourrions tous retrouver Misja Smits prochainement? Misja Smits: Non! En fait je n’ai encore jamais travaillé sur un projet réel à long terme. Je suis d’ailleurs un peu jalouse des photographes qui ont de grands projets! Alors, peut-être que dans le futur, cela viendra… n Geoffroy Vauthier
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Pratique du photographe
6pratiques Ses conseils sur la macro Son matérielphoto:
n Nikon D610. n Tamron SP 90 mm f/2,8 DI Macro VC USD. n Tamron SP 70-300 mm f/4,5-5,6 VC USD. n Nikkor AF-S 24-85 mm f/3,5-4,5 G. n Viseur d’angle Nikon.
n Sac Lowepro Pro Runner 300 AW. n Trépied Manfrotto 190 XP Pro B + tête rotule Manfrotto 496 RC2. n Parapluie/réflecteur gris clair, lampe de poche, genouillère, batteries de rechange, cartes mémoire supplémentaires.
Varier les approches Il est très important de toujours essayer différentes approches pour photographier votre sujet. Essayez ainsi un angle de vue peu courant, en utilisant un viseur d’angle afin d’éviter les maux de dos et les douleurs au cou. Un petit mouvement de votre appareil photo vers la droite ou la gauche peut générer des avants et des arrière-plans complètement différents! Ainsi, votre sujet sera différent selon l’angle que vous choisissez, ce qui offre de nombreuses possibilités. N’hésitez pas non plus à tourner autour, quitte à y passer un peu de temps: au bout d’un moment cela finit toujours par payer! Essayer de nouvelles approches est très important! n
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Le sac bien fourni de Misja Smits.
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Maintenir son sujet principal dans l’ombre, utiliser un diffuseur et gérer vos avants et arrièreplans. Lorsque votre sujet principal se trouve dans l’ombre, ses couleurs et ses formes sont plus marquées, alors que si la lumière du soleil le frappe de manière directe, il apparaît plus pâle, incolore, et les contrastes sont différents, ce qui détourne ses vraies couleurs et ses vraies formes. Si une journée nuageuse n’est évidemment pas un problème, une journée ensoleillée ne doit pas vous empêcher de sortir photographier des sujets en macro. Vous pouvez pour cela utiliser un réflecteur blanc pour diffuser la lumière naturelle du soleil, en le plaçant assez loin de votre sujet princi-
Utiliser un réflecteur pour adoucir la lumière: une façon de travailler qui peut sauver bien des situations.
pal. En même temps, vous pouvez vous servir des éléments ensoleillés et jouer avec pour créer vos avants et arrière-plans.
Parfois, ces éléments lumineux mais maintenus dans la zone de flou peuvent créer un effet agréable. Bien sûr, vous pouvez
Grande pour générer un aspect onirique, ou petite pour les sujets graphiques : il est nécessaire de savoir quoi faire de l’ouverture.
Photographies graphiques ou oniriques: jouer de l’ouverture dans un but précis. Durant la réalisation de mes
images colorées, j’utilise la plupart du temps une grande ouverture. Je fais ce choix dans le but de créer une sorte d’ambiance de conte de fées, avec des avants et arrière-
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aussi choisir de garder cette zone de flou dans l’ombre. Cela peut avoir son petit effet. Le choix vous appartient! n
plans floutés. Logique: plus le diaphragme est fermé, plus la zone de netteté est grande. Ces ouvertures plus réduites peuvent aussi être utile lors de la réalisation de prise de vues plus graphiques car les lignes et sujets ressortent de manière plus graphiques lorsqu’ils sont bien nets. C’est également important car sur une photo de ce type, il est hors de question d’avoir des zones de flou trop importantes: elles ne feraient que détourner l’attention des lignes et motifs qui créent cet effet. Bien entendu, ces « règles » concernant la netteté ou le flou ne sont que des exemples. Vous pouvez jouer avec ces principes, et brisez les règles dans le but d’être créatif, de trouver votre propre chemin. Mais dans tous les cas, il faut utiliser ce principe d’ouverture avec un but précis. n
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6 Portfolio
On Top Of The World. Nikon D600 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/80 s à f/3,2, 200 ISO, trépied.
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Motherhood Nikon D90 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/1250 s Ă f/4,5, 200 ISO.
Misja Smits
Dewdrops On A Spiderweb. Nikon D80 avec 90 mm f/2,8 macro, 1/1600 s Ă f/8, 250 ISO.
PHOTOGRAPHE :
So Cold. Nikon D80 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/320 s Ă f/7,1, 200 ISO.
Misja Smits
About My Dreams. Nikon D600 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/200 s Ă f/3,5, 800 ISO.
Ready For Take-Off. Nikon D90 avec 90 mm f/2,8 macro, 1/125 s f/4, 400 ISO.
PHOTOGRAPHE :
Misja Smits
Bride And Groom. Nikon D90 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/800 s Ă f/3,5, 200 ISO.
Romance. Nikon D80 avec un 90 mm f/2,8 macro, 1/100 s à f/9, 160 ISO, flash et trépied.
PHOTOGRAPHE :
Misja Smits
Symmetry. Nikon D80 avec un 70-300 mm f/4,5-5,6, 1/500 s Ă f/11, 320 ISO.
Join Me. Nikon D600 avec 90 mm f/3,1, 1/200 s à f/4,5, 320 ISO.
PHOTOGRAPHE :
Misja Smits