Suara 58: Contre Ebola, l'Eglise s'engage

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la voix de l’eglise en mission Trimestriel » 15ème année n°58 » décembre 2014—janvier-février 2015

Contre Ebola, L’Eglise s’engage » JOURNÉE DE L’AFRIQUE

» LES ENFANTS AUSSI SONT MISSIONNAIRES: • TRANSMISSION • CHANTEURS À L’ETOILE .be

FOTO: K.H. MELTERS / MISSIO

WW.

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editorial En première ligne

PHOTO: MIFL68

Ebola est presque devenu un ‘’gros mot ‘’. Plus personne n’ignore que ce virus, qui provoque de fortes fièvres et des hémorragies, a déjà causé la mort de plus de 5000 personnes. Mais pourquoi dit-on si peu dans la presse grand public que les congrégations religieuses sont aux premières lignes de la lutte contre le l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ? Il est bien sûr exact que c’est l’ONG Médecins sans frontières (MSF) qui a, la première, tiré la sonnette d’alarme en mars 2014. Il est vrai que bien d’autres organisations travaillent de concert pour combattre la maladie. Cependant, dans les pays concernés, il y a aussi des hôpitaux tenus par des ordres religieux qui offrent aux populations les services que des systèmes de santé déficients ne sont pas à même de dispenser. Missio tient, dans ce numéro de Suara, à rendre hommage à ceux qui, depuis le début de l’épidémie, ont jeté leurs forces dans la bataille contre la fièvre hémorragique qui a emporté beaucoup d’entre eux. Ils sont venus d’Afrique, ou d’ailleurs, animés de l’esprit missionnaire qui n’a pas pour but d’imposer une religion ou une croyance mais de se mettre, comme le Christ, en tenue de service pour être aux côtés des pauvres, des malades, des exclus. Vous lirez leur témoignage au fil de ces pages. Ce numéro évoque aussi la Journée de l’Afrique du dimanche 4 janvier 2015, une journée de solidarité et de prière où nous pourrons, avec le Pape François, prier‘’pour les victimes du virus Ebola et pour tous ceux qui luttent pour le stopper ’’ (Angélus du 10/08/2014).

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sommaire suara 58 ‘’Les Petits chanteurs à l’étoile vont porter dans les collines de Gikomero, la Bonne Nouvelle de la naissance de Jésus” » Lire article en page 3. “Depuis 1890, l’église catholique célèbre une journée de solidarité et de prière avec l’Eglise d’Afrique le premier dimanche de janvier ... À quoi servent les dons ? ’’ » Lire article en page 4. “Telles est l’histoire véritable de l’épidémie d’Ebola” » Lire article en page 9.

DANS CE NUMERO Chanteurs à l’Etoile » 3 Choisir le Christ en Afrique » 4 Mission et transmission » 5 Ebola : genèse d’une épidémie » 6 L’Eglise s’engage » 7& 8 La vérité sur Ebola » 9 Le malade, un enfant de Dieu » 10 Billet » 11


Chrétiens dans le monde Chanteurs à l’étoile : au Rwanda aussi, les enfants sont missionnaires!

Chanteurs à l’Etoile à ‘’Don Bosco Muhazi’’ De maison en maison, les Chanteurs à l’étoile apportent la Bonne Nouvelle d’un sauveur pour le monde entier. Ailleurs dans le monde, la tradition a fait tache d’huile. Au Rwanda, aux alentours de Gikomero, les groupes de chanteurs la portent de colline en colline. Un bel enthousiasme que nous communique Sœur Thérèse Watripont, initiatrice du projet depuis 2011 »» THÉRÈSE WATRIPONT

En route pour les collines!

Pour la seconde année, nos ‘’Petits chanteurs à l’étoile’’ vont aller porter dans les collines de Gikomero, la Bonne Nouvelle de la naissance de Jésus. Quatre-vingts enfants et jeunes ont suivi régulièrement les répétitions de chants. Quel enthousiasme communicatif !

De beaux habits cousus avec soin dans notre atelier de couture, des chapeaux en écorce de bananier confectionnés par les bergers, et les étoiles sorties de leur léthargie… Les voilà prêts ! L’envoi est donné au cours de la messe de Noël, par Père Danko Litrić, le Bon Pasteur de l’endroit, qui s’adresse avec beaucoup d’émotion aux « Petits chanteurs à l’étoile » et leur confie l’importance de cette évangélisation. Une mission bien perçue des enfants, grâce à Sœur Rosalie de la Congrégation

‘’Inshuti Z’Abakene’’ — Amies des pauvres — qui n’a ménagé ni son temps, ni son énergie pour entraîner les jeunes dans cette nouvelle aventure. Encadrés des aînés issus des Communautés de base, les enfants répartis dans quatre groupes, se mettaient en route dès le matin, sans se laisser décourager par la pluie ou le soleil accablant. De colline en colline, se répercutaient les martèlements des tambours et les mélodies des «Noheli » traditionnels. L’accueil reçu était chaleureux. Passé l’urugo, la cour intérieure, les cœurs devenaient solidaires pour chanter et accueillir la Bonne Nouvelle. Diversité des confessions qui s’unissaient autour des enfants…

Les enfants comprennent l’importance de le mission d’évangélisation.

Chanteur à l’étoile … et fier de l’être!

Protestants, adventistes, pentecôtistes, anglicans…les barrières des religions cédaient devant la spontanéité des enfants, leur courage. Ils ne repartaient pas les mains vides…les résultats sont éloquents : 52 kg de haricots, 47 kg de pommes de terre, 1kg d’oignons, 3 kg de manioc et …dans la tirelire, 5.200 Francs rwandais – soit environ 6, 5 Euros. Mieux que les mots, cela reflète la situation dans ces collines où les pauvres sont prêts à partager le peu qu’ils ont. Ces cadeaux on permis de préparer le repas de Noël des pauvres. Cette année encore, on peut affirmer avec Mgr de Forbin-Janson, fondateur de l’Enfance missionnaire: Abana bafasha abana, abana babwiriza abana. “Les enfants aident les enfants, les enfants évangélisent les enfants “ . Don Bosco Muhazi, Noël 2012 •

PHOTO: MISSIO

Thérèse Watripont, Salésienne coopératrice

Le projet vous séduit? Vous aussi, lancez votre groupe de chanteurs! Renseignements sur www.missio.be

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Projets

Choisir le Christ en Afrique Depuis 1890, l’église catholique célèbre une journée de solidarité et de prière avec l’Eglise africaine le premier dimanche de janvier. Missio est chargée d’organiser cette Journée de l’Afrique. Compte tenu des liens particuliers tissés par Belgique avec la région l’Afrique Centrale dite « des grands lacs », c’est tout naturellement avec trois de ces pays, le Burundi, la RD Congo et le Rwanda que se manifeste prioritairement la solidarité de l’Église belge. Un fonds spécial de solidarité avec les conférences épiscopales de ces pays a ainsi été créé. Il est alimenté par les collectes effectuées dans les églises de Belgique lors de l’Epiphanie. Leur produit est réparti entre ces communautés ecclésiales. Il permet d’aider au financement de plusieurs œuvres importantes de l’Eglise : éducation, santé, évangélisation, catéchèse, construction et entretien des églises...Il appartient aux conférences épiscopales locales, qui ont la connaissance du terrain, de décider de l’affectation des fonds alloués. A quoi servent les dons?

Témoignage du Burundi

En 2014, les collectes de la Journée de l’Afrique ont permis à Missio et à la Conférence épiscopale belge, d’aider les communautés ecclésiales du Burundi, RD Congo et du Rwanda. Mgr Gervais Banshimiyubusa, Président de la Conférence épiscopale burundaise, témoigne : “La Conférence épiscopale burundaise a bénéficié d’une généreuse contribution de 31 650 €. Votre aide financière couvre environ 44 % de nos dépenses. Le reste est porté par la communauté locale. Grâce à votre aide notre Eglise locale peut poursuivre sa mission, en

participant notamment au fonctionnement des services de la Conférence épiscopale du Burundi et aux frais d’adhésion à différentes instances collectives de l’Eglise d’Afrique. Conscients de l’importance de la communication, nous avons également consacré une partie des fonds au financement du magazine catholique bimensuel, Ndongozi y’Uburundi. Nous remercions chaleureusement tous les chrétiens de Belgique pour leur précieux soutien. Sans cette solidarité, la Conférence épiscopale du Burundi ne pourrait accomplir pleinement sa mission.” •

Fonctionnement la conférence épiscopale Réunion de Evéques Functionnment des commissions pastorales Financement magazine de l’Eglise Frais d’achésion conférensépiscopales inter- africaines

Comment aider l’Eglise d’Afrique? Si vous souhaitez aider de façon plus personnelle les communautés ecclésiales du Burundi, RD Congo et Rwanda, votre don, même modeste, sera précieux.

Choisir le Christ en Afrique

IBAN BE19 0000 0421 1012 • BIC BPOTBEB1 of op www.missio.be

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S’agissant de projets pastoraux nous ne sommes pas en mesure vous fournir une attestation fiscale.

Comme Sœur Léa, de nombreuses religieuses en Afrique s’engagent au service des personnes les plus fragiles de la société. Bien souvent, les communautés religieuses sont présentes là où les pouvoirs publics sont déficients. Aux côtés des chrétiens laïcs elles s’investissent non seulement dans l’action pastorale mais aussi dans l’éducation, la santé, la protection des femmes. Depuis 1890, la journée de l’Afrique est une occasion pour les catholiques d’ici de se montrer solidaires des Eglises et communautés locales africaines.

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Edit. Resp. : Michel Coppin, Vorstlaan 199, 1160 Brussel - Exempt de timbre art. 198

Journée de l’Afrique 4 janvier 2015

Sans oublier la communication “212 Journée de l’Afrique”.’

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Pensez au legs! Pour qu’après vous votre générosité demeure, choisissez dès maintenant la solidarité grâce à un legs mentionné dans votre testament. Vous pourrez ainsi continuer à aider les communautés locales qui, au Myanmar, en Afrique des Grands Lacs ou ailleurs, annoncent l’Evangile. Ce testament peut être manuscrit (écrit de votre propre main), doit être daté et signé par vous ou fait devant notaire.

Vous y pensez?

Renseignez-vous auprès de votre notaire ou contactez le directeur de Missio Belgique, le père Michel Coppin : dir@missio.be ou 02 679 06 30. 4»

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Dans les coulisses de Missio

La mission: quelque chose à transmettre Depuis 1996, la Journée Transmission organisée par Missio et le Service de la Catéchèse du Brabant-Wallon fait découvrir aux enfants de 10 à 14 ans, à travers divers ateliers, que tout chrétien peut être missionnaire à sa manière. Suara a rencontré Jean-Pierre Rodembourg qui, depuis 17 ans, participe à cette aventure. Quel est le thème de votre atelier ? Jean-Pierre Rodembourg: J’ai commencé en 1997, aux débuts de Transmission avec un atelier sur les enfants en Asie du Sud-Est. Très vite, je me suis rendu compte qu’il suffit souvent d’un mot ou d’une phrase pour toucher le cœur des enfants. En 2008, j’ai choisi le thème ‘Chanter en prison’ car, pendant 28 ans, j’ai animé des célébrations pour les détenus à la prison de Saint-Gilles. J’ai souhaité sensibiliser les enfants à ce que j’ai pu leur apporter.

J’espère aider les enfants à prendre un chemin de partage, soutenus par les mots: écouter, accueillir, donner, aimer...

Quelle expérience partagez-vous avec les enfants ? J-P R: Je souhaite leur faire comprendre que tous les hommes, même ceux qui ont commis des actes répréhensibles, sont des personnes et sont nos frères. Les détenus ont fait des ‘bêtises’ mais ils ont un cœur et on peut leur apporter de l‘espérance. Dans Transmission, on entend transmettre et aussi mission. Que voulez-vous transmettre aux enfants au cours des 20 minutes d’atelier et en quoi est-ce pour vous une mission ? J-P R: Transmettre, c’est partager des choses importantes que l’on a en soi. Comme chrétien ma mission est d’apporter de la paix et de la joie intérieure. Ceux avec qui je partage l’espérance que j’ai en moi doivent pouvoir en garder quelque chose qui vivra en eux et qu’ils transmettront à leur tour. En donnant, en même temps, je reçois.

Comment se déroule votre atelier ? J-P R: Il débute par des questions relatives à la prison avant de chanter ensemble Tout homme est un frère. Je demande aux enfants d’imaginer que, quand l’atelier sera fini, je vais partir : un gardien viendra les chercher. Je lis un texte sur l’espérance puis chante Bras ouverts (ndlr : composé par lui-même) et leur demande de noter les mots qui sont importants pour eux. Que peuvent retirer les enfants de votre témoignage et de ce qu’ils ont fait avec vous pour leur formation chrétienne ? J-P R: J’espère qu’ils ont découvert une autre façon de regarder les prisonniers et que les mots qu’ils ont écrits les aideront, avec leur cœur, à prendre un chemin de partage : écouter, accueillir, donner, aimer… Êtes-vous partant pour une 18ème édition de Transmission en 2015 ? J-P R: Si je n’ai pas d’empêchement, bien sûr, je continue ! •

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Une épidémie de grande ampleur

L’épidémie actuelle d’Ebola, qui a débuté en mars 2014, est d’une tout autre ampleur et d’une grande complexité. En outre, celle-ci a éclaté dans trois pays différents, dans les zones rurales comme dans les régions urbaines. Les pays touchés – Guinée, Libéria et Sierra Leone – sont des proies faciles. Sortant d’une longue période de conflit et d’instabilité, tous trois ont un système de santé déficient.

PHOTO: SCIENCE PHOTO / SHUTTERSTOCK

L’Eglise joue un rôle important dans le maintien de la cohésion des communautés. Maintenir la cohésion de la communauté

Ebola, genese et enjeux d’une EpidEmie Cette édition de Suara consacre plusieurs pages au virus Ebola. Un mot, une maladie, une notion qui a fait couler beaucoup d’encre au cours des derniers mois. Chacun s’en fait son idée. Mais que faire? Pour y voir plus clair, reprenons l’histoire de l’épidémie à ses débuts »» CATHERINE DE RYCK

C’est en 1976 que le virus Ebola est identifié, entre autres par le docteur Peter Piot, chercheur belge à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers.

Une mystérieuse maladie

En fin août 1976 une mission sanitaire belge s’installe à Yambuku, un village proche de la rivière Ebola, au Zaïre 6»

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(actuelle RD Congo), pour combattre une maladie frappant la population. Le médecin présent sur place ne peut l’identifier. Il fait analyser le sang d’une religieuse belge malade à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers. Très vite le bon sens impose d’instaurer un cordon sanitaire dans la région. À Anvers on découvre des similitudes avec le virus de Marburg (découvert en 1967). Un groupe de chercheurs, dont Peter

Piot, se rend à Yambuku. Ils interrogent les gens des villages touchés afin de comprendre l’origine de la maladie. Le manque d’hygiène hospitalière, notamment l’utilisation d’une même seringue sur plusieurs patients, semble être en cause. Grâce à la quarantaine, à des mesures d’hygiène et à une campagne d’information, on parvient à arrêter l’épidémie qui aura causé la mort de près de 300 personnes.

Dans de telles circonstances la crainte de la contagion entraîne immanquablement des réflexes de protection et donc d’exclusion. Les trois pays concernés sont touchés par ce phénomène de stigmatisation des malades et des familles dont un des membres est infecté. L’enjeu est de taille pour les responsables des communautés: il faut à tout prix maintenir la cohésion sociale et l’entraide mutuelle et combattre les attitudes de peur et de rejet par des campagnes d’information et d’hygiène. Dans ce processus, l’Eglise joue un rôle important. Vous découvrirez dans ces pages comment les communautés religieuses se sont investies et continuent de le faire au Libéria, en Sierra Leone ou en Guinée. • Catherine De Ryck Responsable de la communication néerlandophone


En Sierra Leone… L’Eglise s’engage Il faudrait être sourd ou aveugle pour ne pas savoir que le virus Ebola fait depuis des mois des ravages dans trois pays d’Afrique de l’Ouest: la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. C’est dans cette région qu’a été identifié l’épicentre de ce qui est désormais reconnu comme une épidémie et une catastrophe sanitaire majeure. Devant une telle situation, l’Eglise catholique ne peut rester le bras croisés. Mgr Henry Aruna, directeur de Missio Sierra Leone, nous livre ici un témoignage sur l’engagement de son Eglise locale. »» ARMELLE GRIFFON

PHOTO: SIMON RAWLES / CAFOD

Missio : Monseigneur, votre pays est situé au cœur de la tourmente de l’épidémie d’Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest. Pouvez-vous en quelques mots présenter la Sierra Leone à nos lecteurs ? Mgr H. Aruna : Située sur la côte Atlantique d’Afrique de l’Ouest, la Sierra Leone est frontalière de la Guinée-Conakry au Nord et à l’Est et du Libéria au

Sud. Petit pays tropical de 6 000 000 d’habitants répartis sur 71 740 km². C’est un pays de montagnes et de forêts. C’est un pays ‘’béni des dieux’’. Terre riche, sous-sol riche (or et diamants), climat favorable à l’exploitation agricole – riz, café, cacao, palmier à huile, noix de cajou – qui représente plus de 50% du PIB, ressources forestières.

Pourtant la Sierra Leone est un des pays les plus pauvres du monde. La guerre civile qui l’a ravagée de 1991 à 2001 a gravement affecté l’agriculture aussi bien que le secteur minier et dégradé le fonctionnement des services publics en matière de santé et d’éducation. Missio : Quelles sont les principales carences dont souffre la population suite à cette guerre civile? Mgr H. Aruna : Le manque d’eau potable, et d’hygiène sont préoccupants. D’autres facteurs sont également très défavorables : alphabétisation (30%), éducation de base, espérance de vie (38 ans), malnutrition, mortalité maternelle et infantile (182/1000). Une situation qui ne peut que favoriser la propagation de toute maladie endémique.

L’Eglise catholique de Sierra Leone a un défi à relever...

Missio : C’est donc dans ce contexte que s’est développée l’épidémie du virus Ebola. On sait qu’il est d’abord apparu en Guinée en 2013, puis au Liberia. Quand a-t-il atteint votre pays? Mgr H. Aruna : En mai 2014, avec le 1er cas identifié dans la province orientale de la Sierra Leone. La victime avait été infectée dans la Guinée voisine. La frontière, qui traverse les territoires de la tribu ‘’Kissi’’ en Sierra Leone, Liberia et Guinée, est très perméable en raison de la faiblesse du système de contrôle ; de nombreuses familles de la tribu sont réparties entre les trois pays. D’où les échanges quotidiens d’un côté à l’autre de la frontière. Le bilan de l’épidémie est déjà lourd : en octobre 2014, on chiffrait les infections certaines, probables ou suspectées respectivement à plus de 3700 cas et à 1260 pour les décès. Conséquence inévitable, beaucoup d’enfants sont devenus orphelins 4

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Missio : Comment l’Eglise catholique participe-t-elle à l’effort national de lutte contre la maladie ? Mgr H. Aruna : L’Eglise catholique de Sierra Leone a un défi à relever. Elle est présente dans toutes les régions du pays avec 4 diocèses, 4 évêques, 71 paroisses, 36 religieux et 63 religieuses. En dépit de sa situation minoritaire (4,65% pour 25% de protestants, 60% de musulmans et 10% d’animistes), l’Eglise a une réelle influence, notamment dans les secteurs de l’éducation et des soins de santé. Avec l’apparition de l’épidémie d’Ebola, un partenariat s’est instauré entre l’Eglise catholique et le Gouvernement Sierra-Léonais, les représentants des autres religions et les ONG pour endiguer la progression du virus. L’Eglise a joué un rôle majeur dans la sensibilisation aux mesures de prévention préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), que ce soit dans les églises, les paroisses ou les medias. Les prêtres, religieux et religieuses sont restés à leur poste dans les zones les plus dangereuses pour témoigner de la valeur évangélique d’attention aux personnes souffrantes, sans considération de croyance ou d’origine ethnique. Missio : En quoi consiste le travail de sensibilisation ? Mgr H. Aruna : Avec 70% d’illettrisme dans le pays il faut une approche très basique. Comme l’Eglise 8»

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catholique est présente partout elle a pu s’engager pleinement dans le travail d’information de la population sur la réalité de la menace que fait peser le virus Ebola. Tous les catholiques engagés s’investissent dans l’initiation aux méthodes de prévention et dans l’identification des pratiques traditionnelles qui risquent de favoriser la propagation du virus. Missio : Et sur le plan caritatif ? Mgr H. Aruna : Les portes des églises paroissiales, des missions, des couvents sont assaillies par toutes sortes de personnes cherchant de l’aide. Certaines situations sont tellement poignantes que notre personnel se doit de les soulager. Ce qui bien sûr nous oblige à augmenter notre budget d’aide. Beaucoup de ces demandes proviennent d’orphelins ou de veufs et veuves. Les jeunes filles orphelines sont les plus vulnérables.

“… car elle est très présente sur les terrains de l’éducation et de la santé

PHOTO: KEN HARPER

Les prêtres , religieux et religieuses sont restés à leur poste dans les zones les plus dangereuses

Missio : Quel est l’impact de cet engagement de l’Eglise au plan pastoral ? Mgr H. Aruna : Il appartient au clergé de dédramatiser pour désamorcer la psychose qui règne à l’égard de la maladie. Une simple fièvre devient suspecte. Un exemple ? Un dimanche, une jeune fille a vomi au cours d’une célébration, causant une véritable panique parmi les fidèles participant à la messe. Une vieille femme s’est pratiquement évanouie parce qu’elle avait été éclaboussée et pensait qu’elle allait mourir. Or les prêtres se sont renseignés et ont appris qu’il s’agissait d’une simple indigestion. Il a fallu une visite d’autres paroissiens pour rassurer la vielle dame. C’est à ce genre de situation que nous devons faire face quotidiennement. Nous sommes très reconnaissants à toutes les personnes de bonne volonté pour leurs prières et les aides envers les populations de l’Ouest de l’Afrique et de Sierra Leone, en particulier en ces temps difficiles. Nous serions très touchés si ceux qui vivent à l’abri de cette menace d’épidémie continuaient à nous visiter pour nous aider à éloigner ce cauchemar qui nous tue. •


La vérité sur Ebola

La découverte en mars 2014 des premiers cas d’Ebola en Afrique de l’Ouest et le développement de l’épidémie dès la mi-juillet ont surpris les médecins. Les foyers initiaux avaient en effet été découverts au Congo et au Soudan. Tout ce qu’on a raconté à ce sujet n’est pas exact.

L’histoire commence au Liberia. Un pays où les longues luttes intestines ont affecté la société, notamment en matière de santé publique : une seule faculté de médecine ; à peine une trentaine de médecins diplômés par an ; des hôpitaux en nombre insuffisant et surpeuplés. Le Libéria dépend donc de l’aide médicale étrangère.

enceinte souffrant d’une maladie infectieuse. Il ignorait qu’il s’agissait du virus Ebola. Dès que cela fut découvert, ils furent mis tous les deux en quarantaine mais décédèrent rapidement. Le virus avait hélas déjà commencé à se répandre au sein de l’hôpital. On déplore très vite le décès de plusieurs religieux et religieuses membres du personnel (Fr Canbey, du Ghana, Sr Motwamene de RDC).

L’Eglise en première ligne

Lutter jusqu’au bout

»» MICHEL COPPIN, SDS

Voilà pourquoi les Frères de SaintJean-de-Dieu ont ouvert et dirigent depuis longtemps un hôpital. La longue guerre civile a détruit le tissu social et familial. De très jeunes filles, enceintes, accouchent dans de mauvaises conditions. D’où une forte mortalité infantile et maternelle.

Le Père Pajares, missionnaire espagnol et médecin en chef de l’hôpital, s’est

Entretemps, un autre Frère de SaintJean-de-Dieu, infirmier en chef d’un hôpital en Sierra Leone, tombait malade. Transporté d’urgence en Espagne, le Fr. M. Garcia Viejo doit être transfusé. Sr Paciencia, récemment guérie, se propose comme donneur de sang mais elle arrivera malheu-

reusement trop tard. Son voyage ne sera cependant pas inutile : elle donnera son sang à l’infirmière espagnole contaminée par le Dr Pajares, aujourd’hui guérie. Sr Paciencia est retournée au Libéria où elle se dévoue sans désemparer aux malades. Telle est l’histoire véritable de cette épidémie meurtrière. • Michel Coppin, sds Directeur national de Missio-Belgique.

PHOTO: FRANCISCO LEONG / AFP PHOTO

On déplore très vite le décès de plusieurs religieux et religieuses

Don de sang, don de vie

Elle donnera son sang à l’infirmière espagnole et lui sauvera la vie.

“Liberia is afhankelijk van buitenlandse medische hulp.”

Ce qui s’est vraiment passé

À la mi-juillet, le Dr P. Nshamdze, Frère de Saint-Jean camerounais directeur de l’hôpital, y admit une jeune femme

battu pour soigner les malades en nombre croissant. Il dut cependant bientôt être transporté en Espagne où il est mort le 12 août. Sr J. Bohona, religieuse guinéenne évacuée avec lui et déclarée indemne, retourna au Libéria pour travailler à l’hôpital. Sa consœur et compatriote Paciencia Melgar, qui avait contracté le virus, a miraculeusement guéri. En Espagne, en revanche, quelle émotion lorsqu’on découvrit que Teresa Romero, l’infirmière qui avait soigné le P. Pajares, était également atteinte!

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Bible

Voir le malade comme un enfant de Dieu Les épidémies, suscitent à la fois des interrogations et des réactions viscérales de peur et de rejet. Mais elles donnent aussi à certains l’occasion de vivre à fond un engagement au service des autres. Parmi eux, nombreux sont ceux qui prennent appui sur l’Evangile. »» ARMELLE GRIFFON

Je suis un(e) libérien(ne), pas un virus

Je le veux, soit purifié (Mt 8,1-4)

En découvrant comment est apparue l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest et comment le personnel soignant s’est battu et se bat encore pour sauver des vies, on ne peut s’empêcher de penser à tous ces épisodes de l’Evangile où Jésus guérit et relève ceux que la maladie

met au ban de la société : le lépreux de Matthieu 8, 1-4, l’aveugle de Marc 10, 46-52, le possédé de Luc 8 1, 26-38 … et bien d’autres.

de l’enfant de Dieu, contre celui de la bienséance ou de la sauvegarde du bien-être physique ou matériel de certains au détriment des autres.

La réaction de stigmatisation et d’exclusion provoquée par l’apparition d’Ebola nous rappelle la situation des lépreux mis à l’écart par peur et par ignorance.

Toucher et se laisser toucher

Ce sont ces réactions que Jésus combat toujours lorsqu’il guérit le jour de sabbat, lorsqu’il touche un lépreux … ou lorsqu’il mange avec les pécheurs. Il prend toujours le parti de la personne,

PHOTO: LIVING WATER INTERNATIONAL

Tel est le slogan d’une campagne de sensibilisation sur internet lancée par une jeune femme américano-libérienne à la suite d’une remarque adressée à sa fille dans une école américaine. Si chacun admet, dans sa tête, que le malade ne se réduit pas à sa maladie, les réactions émotionnelles prennent bien souvent le dessus lorsque qu’une maladie contagieuse apparaît. La peur et la méconnaissance

des conditions de transmission d’un virus conduisent à des comportements irraisonnés de protection excessive. Cela a été le cas avec le SIDA, ça l’est aujourd’hui avec le virus Ebola.

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Comme Jésus, ils regardent d’abord la personne.

Au fil de ce numéro, des noms sont apparus : le Dr P. Nshamdze, Fr Canbey, Sr Motwamene, Père Pajares, Sr J. Bohona, Fr. Manuel Garcia Viejo, Sr Paciencia. Tous ceux, et ils sont nombreux, qui travaillent dans les hôpitaux des pays touchés par l’épidémie, qu’ils soient croyants ou non, chrétiens ou non, voient le patient comme une personne et non comme un ‘’cas’’ ou une série de symptômes. Il en va de même pour ceux qui combattent l’ignorance et les préjugés conduisant à l’exclusion des malades et de leurs familles. Comme Jésus, ils regardent d’abord la personne. Comme Jésus, ils se laissent toucher et ils touchent. Comme Jésus, ils ne craignent pas de mettre leur propre vie en danger, au point parfois de la perdre. • Responsable de la communication francophone et professeur de religion dans les écoles européennes


Missio, un nom et des personnes PHOT

O S: M

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À Orp-le-Grand, le 11 octobre 201

Transmission a rassemblé 300 jeun 4, la journée es de la caté Brabant Wallon.

chèse du

PHO TOS : MIS SIO

Myanmar et le de Pathein au , ue êq év i, uy e Hg issio-Myanmar Mgr John Hsan w Eh Mwee, directeur de M tobre 2014, oc Sa 3 Père Callistus septembre au lgique du 23 s. en visite en Be donné plusieurs conférence ont PH OT OS : KU

LE UV EN

Colloque Omnes Gentes du 26 au 28 octobre, à Koekelberg, Louvain-la-Neuve et Leuven.

Billet Vous avez découvert en page 9 la véritable histoire de l’épidémie Ebola. Que retenir de ce récit de moments de peine et de joie? D’abord, que les guerres civiles au Libéria et en Sierra Leone ont détruit tout le réseau des soins de santé. Or un système de santé déficient est la porte ouverte aux virus et à la contagion mortelle, que seule l’aide internationale permet de combattre. L’histoire nous apprend aussi que c’est souvent en Afrique qu’apparaissent des maladies infectieuses, nouvelles au regard de la science, auxquelles le personnel soignant n’est guère préparé. Malgré cela, ces personnes sont toujours prêtes à accompagner les malades et à les aider. À côté des grandes organisations internationales, il y a dans ces pays des religieux, hommes et femmes, en rapport étroit avec la population, qui sont sur la brèche et garantissent les soins de santé. Les premières victimes connues sont des religieuses, des prêtres et des Frères qui, comme médecins ou infirmiers, donnent les premiers soins, sans toujours se rendre compte qu’ils mettent ainsi en jeu leur propre vie. Ils sont tantôt des Européens, tantôt membres de Communautés africaines internationales; ainsi des religieux Camerounais, Ghanéens, Guinéens, Congolais sont envoyés Libéria et en Sierra Leone. Comme leurs confères occidentaux, les religieux originaires des Communautés locales sont première ligne; en communion avec le Père qui donne la vie, et avec l’Evangile, ils sont sur le terrain, aux côtés de leurs sœurs et frères souffrants. Je suis aussi frappé de constater que les media européens ne mentionnent que deux Frères espagnols (cf. article cité) et leur infirmière. Ils oublient les autres, médecins et infirmiers, qui risquent leur vie pour accompagner les malades d’Ebola. Pas un mot non plus des deux Frères africains et de la Sœur congolaise décédés, ni de la Sœur guinéenne qui a sauvé l’infirmière espagnole en lui donnant son sang. Il y a donc eu de nombreux acteurs africains et occidentaux dans ces moments de joie et de chagrin ; j’ai estimé important de vous en faire un récit complet.

Directeur national de Missio-Belgique

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Rédacteur en chef: Kenny Frederickx Rédaction finale: Armelle Griffon Ont collaboré: Michel Coppin, Catherine De Ryck, Armelle Griffon, Mgr Henry Aruna, Sr Thérèse Watripont, Jean-Pierre Rodembourg, P. De Clerck (trad) Photos: Vicariat du Brabant Wallon, Sr Thérèse Watripont, K.H. Melters / Missio, mifl68, science photo / Shutterstock, Simon Rawles / CAFOD, Ken Harper, Francisco Leong / AFP Photo, Living Water International Mise en page et impression: Halewijn nv Editeur responsable: Michel Coppin, Boulevard du Souverain 199, 1160 Bruxelles

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Missio Wallonie-Bruxelles Anne Dupont Ch. de Bruxelles, 67 1300 Wavre Tél.: 010 23 52 62 wallonie@missio.be

Missio est une organisation ecclésiale internationale de solidarité et d’échange entre les communautés locales et de promotion des rencontres interculturelles et interreligieuses. Près de 140 pays sont reliés à Missio qui soutient plus de 1000 communautés chrétiennes locales.

Suara est un mot indonésien qui signifie voix. Suara veut être la voix des sans voix, le porte-parole des catholiques à travers le monde. Suara vous informe sur la vie des Eglises locales et de leurs communautés qui s’efforcent de vivre à la lumière de l’Evangile. Suara vous relie à l’Eglise Universelle.

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