MIXTE MAGAZINE - #28 - FW 21/22 - ANNIVERSARY ISSUE

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MIXTE PARIS

25 YEARS OF

9 782953 997866

WITH ENGLISH TEXTS

“LIBERTÉ ÉGALITÉ MIXITÉ”

anniversary issue fall

/

winter

2021/22
















MIXTE N°28

ÉDITRICE ET DIRECTRICE DE LA PUBLICATION DIRECTEUR ÉDITORIAL ET DIRECTEUR DE CRÉATION RÉDACTEUR EN CHEF M ODE RÉDACTEUR EN CHEF PRINT & DIGITAL ADJOINTE PRINT & DIGITAL MODE PHOTOGRAPHES

STYLISTES

MAGAZINE CONTRIBUTEURS

@ MIXTEMAGAZINE W W W. MIXTEMAGAZINE.CO M W W W.WEAREMIXTE.CO M

PHOTOGRAPHES

STYLISTES

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION PRODUCTRICE FASHION PRINT & DIGITAL COORDINATOR CHEF DE STUDIO GRAPHISME TRADUCTION PUBLISHING - ADVERTISING - BRAND CONTENT PUBLISHER DIRECTEUR DE CRÉATION ADVERTISING REPRESENTATIVE AD MINISTRATION EXPERTISE CO M PTABLE CO M PTABILITÉ FOURNISSEURS CONSEIL, DISTRIBUTION FRANCE ET INTERNATIONAL

PHOTOGRAVURE IM PRESSION LOGO ET TYPOGRAPHIE PUBLIÉ PAR SIÈGE SOCIAL PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DIRECTRICE GÉNÉRALE DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DÉPÔT LÉGAL

16

Tiziana Humler-Ravera Christian Ravera & Guy Guglieri Franck Benhamou Antoine Leclerc-Mougne Florence Vaudron

Matthew Brookes, Liz Collins, Thomas Cooksey, Jérémie Monnier, Bojana Tatarska, Julien Vallon, Jack Waterlot Lotte Elisa Agullo-Collins, Gaultier Desandre Navarre, Clément Guinamard, Christopher Maul, Bill Mullen, Sam Ranger, Victor Vergara

Nina Boutléroff, Céline Carré, Naomi Clément, Pierre d’Almeida, Raphaëlle Elkrief, Paul-Arthur Jean-Marie, Tara Lennart, Déborah Malet, Olivier Pellerin, Théo Ribeton, Olivia Sorrel Dejerine, Anthony Vincent, Stéphane Wargnier, Léa Zetlaoui Michelle Isinbaeva, Johnny Kangasniemi, Joe Lai, James Swoope, Bojana Tatarska, Nicolas Wagner Gemma Bedini, Gaultier Desandre Navarre, Wilow Diallo, Stephy Galvani, Victor Vergara

Corinne Soubigou Marjorie van Hoegaerden Clara Pilczer Fred Auniac Bérengère Marcé, Maycec Manon Massué

Patrick-Antoine Hanzo / patrick.hanzo@wearemixte.com Bertrand Bras / bertrand.bras@wearemixte.com Fabrice Sabatte-Deldycke / fabrice.sd@wearemixte.com

Sandrine Michaut / S2M Expertise et Conseil / sandrinemichaut@gmail.com Denise Tusseau / denise.tusseau@sfr.fr KD Presse / Eric Namont / Alexandre Baret 14, rue des Messageries / 75010 Paris / +33 (0)1 42 46 02 20 Pour commander les anciens numéros de Mixte : www.shop.wearemixte.com WANDS / 75007 Paris / +33 (0)1 53 80 88 40 ETIC Graphic - Groupe AGIR Graphic “Intervalle” dessinés par Les Graphiquants

SAS MIXTE ÉDITIONS 22, rue Saint-Augustin / 75002 Paris / +33 (0)1 83 95 42 08 Christian Ravera Tiziana Humler-Ravera Guy Guglieri À parution. Enregistré sous le numéro 533.384.418.00018 ISBN n° 978-2-9539978-7-3 / ISSN n° 1299-9180

Tous droits de reproduction réservés. Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l’accord de l’éditeur. Mixte n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiés, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.



DE

MODE,

DE

CRÉATIVITÉ

ET

D’ENGAGEMENT.

UN

QUART

DE

VIE CÉLÉBRÉ AUJOURD’HUI DANS CE NUMÉRO ANNIVERSAIRE, DONT LE THÈME SONNE COMME UNE DEVISE : “LIBERTÉ, ÉGALITÉ, MIXITÉ”. TROIS MOTS QUI, SI TANT EST QU’IL SOIT NÉCESSAIRE DE LE RAPPELER,

DÉFINISSENT

PLEINEMENT

L’IDENTITÉ

DE

MIXTE. LIBERTÉ,

POUR NOS 25 ANS D’INDÉPENDANCE EN TANT QUE MAGAZINE DE MODE

ÉGALITÉ,

FRANÇAIS, MAIS AUSSI POUR ASSEOIR UN PARTI PRIS FORT : CELUI D’UNE PUBLICATION À L’AVANT-GARDE, QUI S’EST TOUJOURS JOUÉE DES RÈGLES ÉTABLIES. ÉGALITÉ, POUR NOTRE ENGAGEMENT ET LES VALEURS DÉFENDUES

AU

TRAVERS

DE

NOS

DIFFÉRENTS

SUJETS

DÉCRYPTANT

LA MODE ET LE MONDE, ET FAISANT ÉCHO AUX ENJEUX DE NOTRE SOCIÉTÉ. ET ENFIN, MIXITÉ, POUR CÉLÉBRER L’ESSENCE MÊME DE MIXTE :

À SAVOIR UN MAGAZINE QUI, DÈS SA SORTIE EN 1996, A PRÔNÉ DES VALEURS D’INCLUSIVITÉ ET DE DIVERSITÉ EN ÉTANT, PAR EXEMPLE, L’UNE

DES

PREMIÈRES

PUBLICATIONS

DE

MODE

À

DÉCONSTRUIRE

LES NORMES DE GENRE TOUT EN DONNANT UNE PLACE DE CHOIX À DE JEUNES TALENTS ÉMERGENTS (ARTISTES, DESIGNERS, PHOTOGRAPHES) VENUS DE TOUT HORIZON – ET CE, JUSQU’À AUJOURD’HUI. EN TÉMOIGNENT LES NOMBREUX SUJETS DE CE NUMÉRO CONSACRÉS À DES PERSONNALITÉS TALENTUEUSES ET AUDACIEUSES QUI, PAR CE QU’ELLES SONT ET CE QU’ELLES FONT, CONTINUENT D’INCARNER CHACUNE À LEUR MANIÈRE UNE VISION ET UN IDÉAL QUI FERONT INDÉNIABLEMENT LES 25 ANNÉES À VENIR : NICOLAS HUCHARD DANS LA DANSE, GARANCE MARILLIER DANS LE CINÉMA, BONNIE BANANE, KLON, BERGMANN, SUKI ET THEE DIAN DANS LA MUSIQUE, FATIMA DAAS DANS LA LITTÉRATURE, IDRISS SANDU DANS LA TECHNOLOGIE, EVA SADOUN DANS L’ÉCONOMIE, MATY BIAYENDA DANS LA PEINTURE, VIOLETTE_FR DANS LA BEAUTÉ, OU ENCORE CARLIJN JACOBS, IMRUH ASHA, WILOW DIALLO, NOIR KEI, ARTURO OBEGERO ET VINCENT FRÉDÉRIC COLOMBO DANS LA MODE… LE TOUT SUBLIMÉ PAR LE TRAVAIL DE NOS PHOTOGRAPHES : MATTHEW

IBERTÉ,

BROOKES, LIZ COLLINS, THOMAS COOKSEY, JACK WATERLOT, JULIEN VALLON, JÉRÉMIE MONNIER, BOJANA TATARSKA, JOHNNY KANGASNIEMI JOE LAI ET NICOLAS WAGNER. LEURS PORTRAITS ET SÉRIES MODE VIENNENT ACCOMPAGNER TROIS ENQUÊTES MAJEURES SUR UNE GÉNÉRATION ACTUELLE PRÊTE À MORDRE À PLEINES DENTS SA “QUARTER-

LIFE CRISIS”, À REDÉFINIR LES BASES D’UNE NOUVELLE LIBÉRATION SEXUELLE AU SORTIR DE LA PANDÉMIE ET À REPENSER LA NOTION DE COUPLE ET LES SCHÉMAS AMOUREUX. C’EST DONC DANS CETTE PERSPECTIVE

QUE

NOUS

AVONS

DÉCIDÉ

DE

PUBLIER

EXCEPTIONNELLE-

MENT 9 COUVERTURES QUI DONNENT À VOIR DIFFÉRENTS MODÈLES DE COUPLES, RENDANT AINSI HOMMAGE À LA TOUTE PREMIÈRE COUVERTURE DE MIXTE, SHOOTÉE PAR DAVID SIMS, QUI METTAIT EN SCÈNE LA MAN-

NEQUIN STELLA TENNANT AU SEIN D’UN COUPLE GENDER-FLUID. POUR TOUJOURS PLUS DE LIBERTÉ, D’ÉGALITÉ. ET DE MIXITÉ.

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ANTOINE LECLERC-MOUGNE

ÉDITO

MIXIT

IL Y A 25 ANS, NAISSAIT MIXTE MAGAZINE. SOIT UN QUART DE VIE

FAIT


VOTRE ROUGE MAT PARFAIT. VOTRE STYLE.

NATALIA VODIANOVA PORTE LA TEINTE N° 214




DES PERSONNALITÉS QUI SE RENCONTRENT, DES CULTURES QUI S’ENTRECHOQUENT, DES ÉPOQUES QUI SE CROISENT, DES ICÔNES QUI SORTENT DU CADRE, DES MODÈLES QUI BOUSCULENT LA QUESTION DU GENRE... MAIS AUSSI DES IMAGES QUI SE JOUENT DES CLICHÉS, LE GOÛT DES AVENTURES QUI SE MOQUENT DES FRONTIÈRES : C’EST ÇA L’ESPRIT MIXTE. UN PARTI PRIS, UN POINT DE VUE SUR LA MODE ET SON ENVIRONNEMENT. À L’IMAGE DE CE QUE NOUS SOMMES AUJOURD’HUI, DE CE QUI NOUS ENTOURE, DE L’AIR DU TEMPS.


YEARS Y OF “LIBERTÉ É ÉGALITÉ M MIXITÉ”


25

TH

ANNIVERSARY MIXTE PARIS

FALL

KJNARA : ROBE EN LOD EN CLO UTÉ ET SO US-ROBE EN SATIN ET D ENTELLE M IU M IU, COLLIER “RÉFLECTIO N” EN O R G RIS ET DIAMANTS CARTIER, BO UCLES D’O REILLES EN ARG ENT LAZARO SO H O. FINLAY : ROBE EN LOD EN CLO UTÉ M IU M IU, COLLIER “PLUIE” EN O R G RIS ET DIAMANTS CARTIER, BO UCLE D’O REILLE EN ARG ENT LAZARO SO H O.

WINTER

2021

PH OTO : MATTHEW BRO OKES. RÉALISATIO N : BILL M ULLEN . MAN N EQ UINS : KJNARA SWANSO N @ N EXT ET FINLAY MAN GAN @ IM G . CASTIN G : ED WARD KIM @ THE EDIT D ESK. COIFFU RE : DAVID VO N CAN N O N . MAQ UILLAG E : AYAMI.

MIXTE PARIS

PHOTO : BOJANA TATARSKA. RÉALISATION : GAULTIER DESANDRE NAVARRE. MANNEQUINS : NIKKI VONSEE @ VIVA MODELS PARIS. MARY DULEU @ PREMIUM MODELS. CASTING : FAREZ BRAHMI. COIFFURE : BEN MIGNOT. MAQUILLAGE : AYA FUJITA @ CALLISTE AGENCY. NIKKI : TOP EN TWEED ET LAINE MÉLANGÉS, PANTALON EN CUIR, MANTEAU EN ORGANZA ET VINYLE, BOTTES EN CUIR GRAINÉ, LOUIS VUITTON. MARY : TOP EN TWEED ET LAINE MÉLANGÉS, PANTALON EN CUIR, MANTEAU EN LUREX, BOTTES EN CUIR GRAINÉ LOUIS VUITTON.

MIXTE PARIS

2022 24

PH OTO : JULIEN VALLO N . RÉALISATIO N : FRAN CK BEN HAM O U. MAN N EQ UINS : SOKH NA NIAN E @ TITANIU M MANAG EM ENT ET PAUL HAM ELIN E @ SUCESS M OD ELS. CASTIN G : ALEXAND RE JU NIO R CYPRIEN . COIFFU RE : SHU HEI NISHIM U RA @ WISE & TALENTED . MAQ UILLAG E : LLOYD SIM M O NDS @ AG EN CE CAROLE. SOKH NA ET PAUL : MANTEAU EN SEQ UINS, CHEMISE ET JUPE EN LAIN E ET SOIE G U CCI.


ISSUE MIXTE

PH OTO : JACK WATERLOT. RÉALISATIO N : LOTTE ELISA AGULLO-COLLINS. MAN N EQ UINS : JAZZELLE @ THE SO CIETY MANAG M ENT ET AM ELIA RAMI @ HERO ES M OD ELS. COIFFU RE : ROLAND O BEAUCHAMP. MAQ UILLAG E : PAUL FIELDS.

MIXTE

PARIS

PARIS

PHOTO : JACK WATERLOT. RÉALISATION : LOTTE ELISA AGULLOCOLLINS. MANNEQUINS : JAZZELLE @ THE SOCIETY MANAGMENT ET AMELIA RAMI @ HEROES MODELS. COIFFURE : ROLANDO BEAUCHAMP. MAQUILLAGE : PAUL FIELDS.

AM ELIA : FO ULARD EN SOIE, JUPE EN TULLE, BO OTS EN CUIR ET CULOTTE DIO R. JAZZELLE : ROBE EN M O USSELIN E D E SOIE, BO UCLE D’O REILLE “CD” EN PERLES, COLLIER “CD” EN O R DIO R, BO OTS EN CUIR ALEXAND ER M CQ U EE N .

AMELIA : COMBINAISON EN LAINE PRADA, BAGUES EN OR J. HARDYMENT ET MING YU WANG. JAZZELLE : PULL À COL ROULÉ ET COMBINAISON EN LAINE PRADA.

MIXTE

MIXTE

PARIS

PH OTO : JÉRÉMIE M O N NIER. RÉALISATIO N : VICTO R VERGARA . MAN N EQ UINS : ZAYNA CISSE ET STEFFI CO OK @ SILENT M OD ELS. CASTIN G : NICOLAS BIAN CIOTTO. COIFFU RE : TOBIAS SAG NIER @ CALLISTE AG EN CY. MAQ UILLAG E : YVAN E RO CHER.

J. MOON : VESTE EN MOHAIR, COMBINAISON EN TULLE ET SEQUINS, SERRE-TÊTE EN MÉTAL, STRASS ET PERLES, COLLIER EN MÉTAL ET STRASS CHANEL. ELAINE : VESTE EN TWEED DE CACHEMIRE À SEQUINS, COMBINAISON EN GUIPURE ET SEQUINS CHANEL.

STEFFI ET ZAYNA : ROBE TUBE EN JERSEY, ROBE TUBE EN JERSEY ET SATIN, BOTTES EN PYTH O N ET CUIR FE NDI.

MIXTE PARIS

PH OTO : LIZ COLLINS. RÉALISATIO N : SAM RAN G ER. MAN N EQ UINS : DAISY @TESS MANAG EM ENT ET SA PARTENAIRE SASHA . CASTIN G : CAROLIN E MAU G ER @ CM CASTIN G . COIFFU RE : AN NA CHAPMAN @ JULIAN WATSO N AG EN CY. MAQ UILLAG E : M EL ARTER @ JULIAN WATSO N AG EN CY. DAISY : PANTALO N EN CUIR LO UIS VUITTO N , BRASSIÈRE ERES. SACHA : MANTEAU EN LAIN E ALEXAND ER M CQ U EE N , CULOTTE ERES.

PARIS

PHOTO : THOMAS COOKSEY. RÉALISATION : CHRISTOPHER MAUL. MANNEQUINS : ELAINE KWOK @ XDIRECTN AGENCY ET J. MOON @ MILK. CASTING : GEORGE RAYMOND STEAD. COIFFURE : RYO NARUSHIMA. MAQUILLAGE : ELIAS HOVE.

MIXTE PARIS

PHOTO : LIZ COLLINS. RÉALISATION : SAM RANGER. MAN N EQ UINS : JACK ET MARCUS @ U NSIG N ED M OD ELS. CASTIN G : CAROLIN E MAU G ER @ CM CASTIN G . COIFFU RE : AN NA CHAPMAN @ JULIAN WATSO N AG EN CY. MAQ UILLAG E : M EL ARTER @ JULIAN WATSO N AG EN CY. M A R C U S ET J A C K : V ESTES E N D R A P D E L A I N E À B R O D E R I ES ET G ALO N S , PA N TALO N S E N G R A I N D E PO UD RE D E LAIN E ET M O H A I R DIOR MEN.

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SOMMAIRE FALL / WINTER 2021/22 25TH ANNIVERSARY ISSUE

MAGAZINE 32

HAPPY MIXTEDAY !

Il y a 25 ans, naissait Mixte… 60

COUPLE GOALS

Que signifie “être ensemble” en 2021 ? 62

MOUVEMENT ALTERNATIF

Comment le danseur Nicolas Huchard fait bouger le monde. 72

L’ATTAQUE DE KLON

Un collectif français électro-pop d’un nouveau genre. 84

QUARTER LIFE CALLING

À 25 ans, on n’est jamais à l’abri de faire sa crise du quart de vie. 86

DAAS WHAT SHE SAID

L’intersectionnalité selon Fatima Daas, jeune autrice lesbienne et musulmane. 90

GARE À GARANCE

À 23 ans, Garance Marillier est l’une des actrices les plus déter de sa génération. 100

ARCHI-TECH-TURE

Iddris Sandu, celui qui démocratise la tech et bouscule le réel. 104

POWER COUPLE

L’esthétique puissante de la photographe Carlijn Jacobs et du styliste Imruh Asha. 114

SEXUAL HEALING

Et si 2021 annonçait l’ère d’une sexualité plus libre, plus mixte et plus égalitaire ? 118

LE DOUBLE MONDE DE SUKI

126

IBÈRE SENSIBILITÉ

La mode ibéro-disco d’Arturo Obegero.

28

© DR

La chanteuse Jade Rabarivelo s’impose dans le monde musical.


132

INITIALES BB

Avec son 1er album, Bonnie Banane donne le la. 138

L’ÉCLAT DU NOIR

La mode intense de Noir Kei Ninomiya. 142

OUGANDA FOR EVER

Focus sur la scène créative de Kampala. 150

L’ÉCONOMIE D’IMPACT

Eva Sadoun est-elle sur le point de rendre la finance plus vertueuse ? 154

BERGMANN OF THE YEAR

L’éclectisme musical engagé de la chanteuse Emma Bergmann. 164

LIBERTÉ ÉGALITÉ SORORITÉ

L’entraide féminine selon la marque italienne AGL. 168

CRÉA CRÉOLE

L’esthétique créole revue par le créateur Vincent Frédéric-Colombo. 174

LADY DIAN

Thee Dian, chanteuse à la voix entêtante et envoûtante. 180

ULTRAVIOLETTE

La beauté inclusive selon Violette_fr. 184

MODÈLES NOIRES

La figure de la femme noire célébrée par l’artiste Maty Biayenda.

MODE 36

THE STORY OF THE LOVERS par Liz Collins

194

UPSIDE DOWN YOU TURN ME par Julien Vallon

218

HOUSE OF WONDERLAND par Thomas Cooksey

242

RIDERS ON THE STORM

par Bojana Tatarska 256

QUEENS

par Jack Waterlot 276

FALLEN ANGELS

par Matthew Brookes 302

VICE AND VERSA

par Jérémie Monnier

326

REMERCIEMENTS

327

IN ENGLISH 29


N A O M I C LÉ M E N T

Diplômée de l’IEJ, Naomi est une journaliste indépendante basée à Paris. Passionnée de musique, elle a écrit pour les magazines Les Inrockuptibles, Antidote, Cr Fashion Book, i-D France, Nylon France, Mad ou Trax. En 2020, elle a fondé son propre média musique DNA tout en créant des chroniques radio et podcasts pour Binge et OKLM. Pour Mixte, elle a réalisé le portrait du groupe KLON (p. 72) et celui de la jeune chanteuse et mannequin Suki (p. 118).

PA U L-A R T H U R J E A N - M A R I E

Depuis son adolescence, Paul-Arthur aime informer sur les secteurs de la mode et du luxe. Diplômé en journalisme, il a collaboré avec des magazines indépendants comme Antidote et Fashizblack, des titres de presse français comme Gala et le groupe d’édition des Inrockuptibles. Dans ce numéro, il livre le récit du projet du styliste Wilow Diallo, entre série mode et photoreportage, qui met en avant la jeunesse créative ougandaise (p. 142).

CONTRIBUTEURS

JÉRÉMIE M O N NIER

Parisien depuis dix ans, Jérémie a d’abord étudié l’esthétique du cinéma, avant de s’intéresser à la photo et spécialement de mode. Il commence par assister Guido Mocafico puis, il est rapidement repéré et est invité à shooter pour des magazines tels que Numéro, Censored ou Harper’s Bazaar. Le talent de ce jeune photographe n’a pas échappé à Mixte, qui lui a confié pour ce numéro spécial anniversaire la série mode “Vice and Versa” (p. 302).

G A U LTI E R D E S A N D R E N AVA R R E

Gaultier a commencé sa carrière à New York où il a travaillé six ans au Vogue avec le styliste Michael Philouze. Aujourd’hui installé à Paris à son compte en tant que styliste et consultant en image, il collabore avec des publications et des marques comme L’Officiel Italie, CR Fashion Book China, Alaïa ou Ashi Studio. Aux côtés de la photographe Bojana Tatarska, il a contribué, dans ce numéro, à la série mode “Riders On The Storm” (p. 242) et au sujet sur Garance Marillier (p. 90).

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LOT TE E LISA A G U LLO -C O LLI N S

D’origine américaine et espagnole, Lotte Elisa a grandi et vit encore aujourd’hui à New York. La mégalopole américaine reste d’ailleurs une inspiration majeure dans son travail de styliste, qu’on sent empreint de mélanges de genres et de cultures. Elle collabore régulièrement avec des publications comme Vogue, Harper’s Bazaar, V Magazine… Pour ce numéro de Mixte, elle a réalisé le stylisme de la série mode “Queens” photographiée par Jack Waterlot (p. 256).

M AN O N M ASSU É

Diplômée d’une licence en Médiation culturelle à l’EAC Paris et formée en Langues, littératures et civilisations étrangères Anglais/Espagnol à l’université Panthéon-Assas II, Manon vit à Londres depuis huit ans où elle officie en tant que traductrice freelance pour différents supports et médias. Pour ce numéro des 25 ans de Mixte, elle a traduit une douzaine de textes, à retrouver dans le cahier anglais situé à la fin du magazine (p. 327).


LI Z C O LLI N S

La carrière de photographe de Liz commence à Londres dans les années 90 où elle travaille pour Dazed and Confused et The Face. Sa persévérance, son style et sa vision uniques lui permettent de se faire un nom dans une profession à l’époque dominée par des hommes. Devenue incontournable dans la photo de mode et de beauté, Liz Collins injecte toujours de la joie dans ses clichés, une marque signature qui rend chacun de ses clichés facilement reconnaissables. Pour ce numéro spécial de Mixte, elle a shooté la série mode “The Story of The Lovers” (p. 36).

V I CTO R V E R G A R A

Après une scolarité au Lycée français de Madrid, Victor a étudié le stylisme puis la photographie. Après quelques années passées aux Pays-Bas où il collabore avec Calvin Klein et l’édition néerlandaise de Numéro, il s’installe à Paris. Nostalgique des nineties et fan de films de science-fiction, ce Madrilène avoue ne jurer que par les histoires et images qui invoquent le rêve. Dans ce numéro, il a habillé les membres du groupe de musique KLON et a réalisé le stylisme de la série mode “Vice and Versa” shootée par Jérémie Monnier.

J A C K W ATE R LOT

Né à Paris, Jack Waterlot a toujours baigné dans le monde de l’image aux côtés d’un père set designer dans le cinéma et d’une mère peintre. Il commence très tôt à capturer la beauté des paysages, des cultures et des gens qu’il rencontre lors de voyages avec ses parents. Plus tard, il s’essaie à la photographie de mode et devient vite l’un des talents les plus prometteurs. Il collabore désormais à Vogue, Numéro, Harper’s Bazaar et avec des marques comme Tom Ford et Roberto Cavalli. Pour ce numéro, il a photographié la série mode “Queens”.

R A P H A Ë LLE E LK R I E F

Raphaëlle vit à Paris depuis dix ans, mais elle lui préfère le Sud de la France. Elle est journaliste société et tourisme et écrit pour de nombreux titres de presse magazine français comme Le Monde, Milk, Dim Dam Dom… Pour ce numéro de Mixte, elle a interviewé Eva Sadoun, la jeune entrepreneuse fondatrice de la plateforme de financement à impact positif Lita.co, qui milite pour une finance responsable à l’échelle européenne (p. 150).

© DR

W I LO W D I A LLO

Directeur de création, styliste et entrepreneur, Wilow est né et a grandi au Sénégal où il a commencé à travailler dans le retail pour des marques de prêt-à-porter. Sa passion pour la mode l’a mené à Paris où, une fois diplômé, il a travaillé dans les showrooms de maisons de luxe comme Off-White et MCM avant de se lancer dans le stylisme. Également passionné d’art et de photographie, Wilow ne se déplace jamais sans son appareil. Pour Mixte, il a réalisé avec la photographe Michelle Isinbaeva “Ouganda Forever”, une série mettant en lumière la scène créative émergente de ce pays d’Afrique de l’Est.

31


HAP MIX 32

DA


PY P TE

Y! TEXTE STÉPHANE WARGNIER.

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ON DIT QUE “POUR COMPRENDRE LA FLEUR, IL FAUT ÉTUDIER LA GRAINE”. QU’ÉTAIT DONC MIXTE À SA NAISSANCE, IL Y A 25 ANS ?

ANTICIPANT

LES

USAGES

DE

L’ÉCRITURE

INCLUSIVE,

MIXTE

ENCADRAIT D’UNE PARENTHÈSE SON E FINAL POUR LAISSER PLANER L’AMBIGUÏTÉ SUR SON GENRE : MIXT(E). OU PLUS EXACTEMENT POUR S’AFFIRMER “MAGAZINE DE MODE FEMME-HOMME”, JOIGNANT PAR CE TIRET LES DEUX GENRES PLUS QU’IL NE LES ADDITIONNAIT, CRÉANT

AINSI

UNE

CHIMÈRE

BI-GENRÉE

ET

SINGULIÈRE.

SUR

LA COUVERTURE DE CE PREMIER NUMÉRO DE L’AUTOMNE-HIVER 1996, DAVID

SIMS

RÉUNIT

SUR

UN

PORTRAIT

EN

NOIR

ET

BLANC

STELLA TENANT ET UN JEUNE GARÇON, COIFFÉ.E.S D’UN CARRÉ LISSÉ ET VÊTU.E.S DU COSTUME RAYÉ DE JEAN PAUL GAULTIER. LE TON EST DONNÉ : ICI, UN GARÇON MANQUÉ C’EST UNE FILLE RÉUSSIE, ET RÉCIPROQUEMENT. CE FAISANT, LE MAGAZINE POSE SES BASES SUR L’AIR DU TEMPS. PEU AUPARAVANT, CALVIN KLEIN A LANCÉ SON PARFUM CK ONE AVEC UNE IMAGE (À LA AVEDON…) DE STEVEN MEISEL, FIXANT LA BEAUTÉ ANDROGYNE DE L’ADOLESCENCE, VERSANT NO-GENDER DU PAS DE DEUX QUE LES DÉCENNIES À VENIR FERONT DANSER AU MASCULINFÉMININ. DE SON CÔTÉ, JEAN PAUL GAULTIER INVENTAIT LA HAUTE COUTURE HOMME DANS UN DÉFILÉ CULTE DE JUILLET 1996 OÙ DES MESSIEURS À L’HYPER VIRILITÉ INDUBITABLE PORTAIENT TRAÎNES ET CORSETS, OUVRANT PAR LÀ MÊME LA VOIE À UNE VERSATILITÉ SEXUELLE QUI MULTIPLIE LES IDENTITÉS DE GENRE PLUTÔT QUE DE LES SOUSTRAIRE. IL N’Y A PAS QUE DANS LES RESTAURANTS DE L’ÉPOQUE QU’ON AIME LA FUSION ET LA CONFUSION. MIXTE DONNE À SES DOUBLE-JE UNE VITRINE SOUS LA BANNIÈRE DE LA PASSION QUI LES UNIT, LA MODE. “CEUX QUI ONT FAIT MIXT(E)

RESSEMBLENT À CEUX QUI VONT LE LIRE : DES AMOUREUX DE LA MODE ET DE TOUT CE QU’ELLE EMBRASSE. LA MODE SUR TOUS LES MODES”, ÉNONCE LE PREMIER ÉDITO. DANS LE DEUXIÈME, LES

MOTS

“ÉNERGIE”,

“CURIOSITÉ”,

“JUBILATION”,

“URGENCE”,

“PRÉSENCE”, “ENVIE” MONTENT À LA SURFACE D’UN TEXTE QUI DIT DÉJÀ LA PLACE QUE MIXTE VA TENIR DANS LA PRESSE FASHION. UN MAGAZINE DE MODE, C’EST AUSSI UN PROJET HUMAIN, UN ÉTAT D’ESPRIT. CERTAINS SONT DES CLUBS PRIVÉS QUI COOPTENT LEURS MEMBRES À LA PINCE À ÉPILER, D’AUTRES SONT DES TRAINS EN ROUE LIBRE QUI PASSENT LES SAISONS COMME DES GARES TROP FAMILIÈRES, D’AUTRES ENCORE DES ÉCOLES DU STYLE À

34


LA DIRECTION TRÈS TATILLONNE, D’AUTRES ENFIN NE SONT QUE DES VITRINES PROMOTIONNELLES POUR DES TALENTS SURTARIFÉS… DANS CE PAYSAGE SI PARTICULIER OÙ TOUT LE MONDE SE CONNAÎT EN FEIGNANT DE S’IGNORER, MIXTE SERAIT PLUTÔT, DÈS SES DÉBUTS, UNE MAISON DE VACANCES AUX PORTES GRANDES OUVERTES, DONT CHAQUE CHAMBRE RACONTE UNE HISTOIRE GORGÉE DE SOUVENIRS. AU FIL DES OURS, COMME DES SAISONS QUI PASSENT, ON RETROUVE PLEIN D’AMIS : BABETH DJIAN, ALEXANDRA SENES, FARID CHENOUNE, CHRISTIAN CAUJOLLE, ISABELLE PEYRUT, GÉRARD LEFORT, YASMINE ESLAMI, THIERRY COLSON, VINCENT DIEUTRE, MARIE COLMANT, STEPHEN TODD, EMMANUELLE ALT, FRIQUETTE THEVENET, CLAIRE DHELENS, LOÏC PRIGENT, BELÉN CASADEVALL… LA MAISON EST ACCUEILLANTE. SANS COMPTER UN CASTING DE PHOTOGRAPHES À RÊVER DEBOUT : PAOLO ROVERSI, MARIO SORRENTI, DAVID SIMS, JEAN-BAPTISTE MONDINO, ELLEN VON UNWERTH, MARK BORTHWICK, PETER LINDBERGH, MARIO TESTINO, NATHANIEL GOLDBERG, STEVEN KLEIN, CORINNE DAY, TERRY RICHARDSON, JACOB SUTTON, VIVIAN SASSEN,

JEAN-PAUL

GOUDE,

LIZ

COLLINS

MAIS

AUSSI,

PLUS

INATTENDUS, DUANE MICHALS OU ANDRES SERRANO, PASSÉS POUR

MIXTE DE L’ART À LA MODE. MIXTE EST CURIEUX DE TOUT, DE TOUS ET DE TOUTES. PLUS OUVERT QUE BRANCHÉ, PLUS COOL QUE CHIC, PLUS NEW FACES QUE STAR-SYSTEM. SOUS LA HOULETTE D’UN TRIO IDÉAL, TIZIANA, L’ÉDITRICE QUI TIENT LA BARRE, ET LES DEUX COMPARSES, CHRISTIAN ET GUY À LA DIRECTION ARTISTIQUE, L’ARCHE DE MIXTE ACCUEILLE À SON BORD UNE AIMABLE BANDE D’AMOUREUX DE LA MODE ET DE L’IMAGE, DE LA MUSIQUE ET DU CINÉMA, DE TOUT DE CE QUI FAIT L’AIR DU TEMPS. LA MIXITÉ DEVIENT MULTIPLICITÉ ET DIVERSITÉ. SI LES GÉNÉRATIONS DE PLUMES ET DE PHOTOGRAPHES SE SUCCÈDENT AU

FIL

DES

SAISONS,

LEUR

LIBERTÉ

DE

S’EXPRIMER

RESTE

TOUJOURS LA MÊME, PERMETTANT AU TITRE D’ÉVOLUER AVEC CEUX QUI Y PARTICIPENT. LA MAQUETTE, ELLE AUSSI, CHANGE, TOUJOURS DÉLICATEMENT RESPECTUEUSE DES IMAGES ET DES TEXTES. LE X DE MIXTE SE PLANTE AU CENTRE DE LA COUVERTURE. CE SYMBOLE DES COLLABORATIONS, QUI ENVAHISSENT LA MODE, SIGNE L’ESPRIT PARTICIPATIF DU MAGAZINE. LA CHASSE AUX JEUNES TALENTS EST OUVERTE TOUTE L’ANNÉE ET MIXTE RESTE AINSI UN VRAI MÉDIA, PASSEUR D’INFORMATIONS, D’IDÉES ET D’ENVIES, QUAND D’AUTRES SE LANCENT DANS UNE COURSE PERDUE D’AVANCE CONTRE L’IMMÉDIATETÉ DU DIGITAL. LA MODE EST POURTANT AFFAIRE DE RYTHME, COMME LE REGARD EST AFFAIRE DE DISTANCE. À COURIR APRÈS LA NOUVEAUTÉ, ON NE VOIT PAS LE TEMPS PASSER. C’EST BIEN POUR ÇA QUE LA MODE EST L’ULTIME AGENT ANTI-ÂGE. MAIS, EN 2021, N’EST-ON PAS SÉRIEUX QUAND ON A 25 ANS ? À REGARDER AUTOUR DE NOUS LES MAGAZINES TOMBER, ON SE DIT QUE LA MODESTE ÉLÉGANCE DE CE TITRE GÉNÉREUX EST PEUT-ÊTRE NON SEULEMENT LE SECRET DE SA BONNE SANTÉ, MAIS AUSSI UN SIGNE ADRESSÉ À NOUS TOUTES ET NOUS TOUS : POUR VIVRE HEUREUX, VIVONS MIXÉ.E.S !

35


THE OF PHOTOS LIZ COLLINS. RÉALISATION SAM RANGER.

AD H EL : C A G O U LE E N N YLO N , P U LL E N V ELO U R S , S O I E ET L A I N E K E N Z O . M A R I A M : C A G O U LE E N VIS C O S E , P U LL E N VIS C O S E K E N Z O .


S STORY T THE L LOVERS



FLY N : TED D Y E N L A I N E ET C U I R , PA N TALO N E N D E N I M ET BA S K ETS E N C U I R LO U I S V U IT TO N , TE E-S H I RT P E R S O N N EL . BLO S S O M : M A N TE A U - C A P E E N L A I N E , P U LL E N M A ILLE D E L A I N E ET C A C H E M I R E , B O OTS E N C U I R LO U I S V U IT TO N , TE E-S H I RT P E R S O N N EL


I N D I A : V ESTE E N C OTO N D E N I M H E R M È S . SA R A H : P U LL À C O L M O N TA N T, E N M A ILLE AJ O U R É E H E R M È S . PA G E D E D R O ITE , SIL A : R O B E E N T R IC OT D E C A C H E M I R E C H LO É , FA U S S E F O U R R U R E J W A N D E R S O N , B O U CLE D’O R EILLE ET BA G U ES P E R S O N N ELLES . M A R K : V ESTE ET PA N TALO N E N L A I N E , FI B R ES TEC H N I Q U ES ET S O I E B OT TE G A V E N ETA , C H A Î N E P E R S O N N ELLE .



AD H EL : V ESTE E N L A I N E A M I A LE X A N D R E M AT TI U S S I , J E A N LE VI’S , BA S K ETS E N TO ILE C O N V E R S E . M A R I A M : V ESTE E N L A I N E , B O D Y D ÉST R U CTU R É E N L A I N E , J E A N , BA S K ETS E N C U I R C É LI N E PA R H E D I S LI M A N E . PA G E D E D R O ITE , AD H EL : C A RD I G A N E N TA RTA N , BLO U S E C H E M IS E E N S O I E ET M I N IJ U P E E N C U I R M ÉTALLIS É S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO . M A R I A M : P U LL E N VIS C O S E , M A N C H O N S E N F O U R R U R E , M I N IS H O RT E N L A I N E M ÉL A N G É E S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO .



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MAN N EQ UINS : AD HEL @ LIND EN STAUB, ANTH O NY, BLOSSO M @TESS MANAG EM ENT, DAISY @TESS MANAG EM ENT ET SA PARTENAIRE SASHA , D ESTINY @ CHAPTER MANAG EM ENT ET SO N PARTENAIRE ANTH O NY, FLYN @ SELECT M OD ELS, GABRIEL @ SUPA M OD EL MANAG EM ENT, INDIA @ WILHELMINA ET SA PARTENAIRE SARAH, JACK ET MARCUS @ U NSIG N ED M OD ELS, MARIAM @THE HIVE, MARK @ MARK. HALTO N171, MIKEY @TROY CASTIN G, M OLLY @ ANTI AG EN CY LD N, SHAQ UILLE @ ELITE LO ND O N ET SA PARTENAIRE CHAN EL, SILAS @ SILAS.GC, XIAO QIAO @XDIRECTN AG EN CY. CASTIN G : CAROLIN E MAU G ER @ CM CASTIN G . COIFFU RE : AN NA CHAPMAN @JULIAN WATSO N AG EN CY. MAQ UILLAG E : M EL ARTER @ JULIAN WATSO N AG EN C. MAN UCU RE : CHISATO @ CAREN AG EN CY AVEC LA MARQ U E ARTISTIC NAIL D ESIG N . ASSISTANT PH OTO : BENJAMIN BREADIN G ET TO M AYERST. ASSISTANT STYLISTE : DANIEL G RAY. ASSISTANTE COIFFU RE : KAROLIINA SAU ND ERS. ASSISTANT MAQ UILLAG E : LUCA CHIRICO. ASSISTANT MAN UCU RE : TO M OKO KO MIYA . PROD UCTIO N : SHINY PROJECTS. POST-PROD UCTIO N : TO UCH DIGITAL.


COUPLE GOALS POUR CE NUMÉRO SPÉCIAL, MIXTE DÉCRYPTE LA NOTION D’“ÊTRE ENSEMBLE” EN 2021, ALORS QUE LA RENCONTRE AVEC L’AUTRE N’A JAMAIS AUTANT RESSEMBLÉ À HUNGER GAMES. TEXTE FLORENCE VAUDRON.

Septembre 1995, le tout premier numéro de Mixte voyait le jour avec une cover montrant un homme et une femme (la regrettée Stella Tennant) aux traits androgynes, incarnant un couple moderne, non genré, libre et égalitaire. Mixte brandissait fièrement son parti pris de représenter de manière équitable l’homme et la femme dans ses pages, à travers des sujets de mode et de société. 25 ans plus tard, ce numéro spécial rend hommage au premier cover-couple, en laissant carte blanche à plusieurs photographes invités à livrer leur vision du couple à travers leurs clichés. En sciences humaines et sociales, une génération dure environ 25 ans. Il était donc grand temps de passer le sujet du couple aux rayons X de Mixte, comme n’importe quel autre thème de société qui cristallise les interrogations et enjeux d’une génération. Et puis, s’il y a bien un domaine qui nous parle à tous et sur lequel chacun peut encore s’exprimer librement, c’est bien l’amour, n’est-ce pas ? Célib rayonnant.e ou blasé.e, couple frêle après trois confinements dans les dents ou “power couple” à la Beyoncé & Jay-Z (les milliards de dollars en moins), polyamoureux ou jeune dude en bromance, il est temps de disséquer nos cœurs.

MY LONELINESS IS KILLING ME Sans vouloir vous déprimer d’entrée, il semblerait que le couple et le lien amoureux battent sérieusement de l’aile, au vu des chiffres de célibataires qui ne font que croître depuis plusieurs années, notamment dans les capitales occidentales. Le Bureau of Labor Statistics, principale agence de recensement américain, a fait tomber le couperet en publiant, août 2014, une donnée historique : pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les célibataires étaient majoritaires dans la population à 50,2 %. En comparaison, selon le

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même institut de sondage, la proportion de célibataires n’était, en 1950, que de 22 %. En France, selon les chiffres 2020 de l’Insee, la part des femmes mariées à 25 ans est passée de 78 à 10 % en un demi-siècle, de 63 à 5 % pour les hommes ; et à Paris, actuellement, une femme sur deux serait célibataire. En Angleterre, un ministère de la Solitude a même été créé et a évalué à 9 millions le nombre de personnes isolées. Bon, pas besoin de vous assommer de chiffres, si vous avez entre 20 et 35 ans et que vous habitez dans une grande ville, il y a moyen que vous et votre bande de potes ayez connu ou soyez en pleine traversée d’un désert affectif digne des plaines de Namibie. Ironie du sort, les célibataires, qui augmentent chaque année, s’accordent sur un point : ils.elles galèrent pour rencontrer quelqu’un. Alors que le marché du célibat est plus que bien pourvu, avec des nouveaux entrants réguliers, des brassages multiples, les rencontres se font rares et le couple semble être un horizon de plus en plus inatteignable. À en croire nos grandsparents, les choses étaient beaucoup plus simples à leur époque. Elles ont commencé à se gâter avec nos parents (high five à tous les enfants de divorcés) pour finir par carrément sentir le sapin avec les millenials. Que s’est-il passé en l’espace de deux générations ?

TROP DE CHOIX TUE LE CHOIX Dans son livre Nos Cœurs Sauvages (éd. Arkhê, 2021), la réalisatrice et écrivaine France Ortelli tente de répondre à la question qui fâche : est-on devenu.e.s trop sauvages pour la vie à deux ? Pour l’autrice, une partie de notre incapacité à être en couple s’expliquerait par la démultiplication du choix amoureux et l’absence de contraintes dans la sélection de nos partenaires. Alors qu’il y a 50 ans nos grands-parents chopaient

dans le cercle restreint de la famille, comme les cousins germains (coucou, Christine Boutin), des amis ou au bal du village, de nos jours les lieux de rencontres se sont multipliés : au travail, en voyage, dans les dîners, les fêtes, les afters et, bien sûr, via les réseaux sociaux et applis qui, vous vous en doutez, ont considérablement changé le game. Si nous rencontrons toujours plus de gens – ce qui, sur le papier, est plutôt pas mal comme promesse de mixité –, l’embarras de choix donne le vertige et nous paralyse lorsqu’il s’agit de s’engager dans une potentielle histoire amoureuse. Les psychologues américains Sheena Iyengar et Mark Lepper ont étudié l’impact de la surmultiplicité des alternatives sur nos comportements avec la célèbre “expérience de la confiture” réalisée en 2000 dans une grande épicerie où les chercheurs ont placé deux types d’échantillons gratuits de confitures de la même marque : un panel de 6 et un autre panel de 24. Le consommateur d’abord attiré par le plus large choix peinait finalement à se décider et semblait moins satisfait. Face à un choix trop important, notre regard se perd, notre attention s’éparpille et notre prise de décision est freinée. Même constat chez des chercheurs en psychologie de l’université du Wisconsin Jonathan D. D’Angelo et Catalina L. Toma (There Are Plenty of Fish in the Sea: The Effects of Choice Overload and Reversibility on Online Daters Satisfaction With Selected Partners) qui ont mené l’expérience sur le choix d’un partenaire : ceux.celles qui ont choisi le leur parmi un groupe de 24 individus sont moins satisfait.e.s que d’autres qui l’ont sélectionné.e parmi un pool de 6. “Quand le coût de l’investissement pour rencontrer quelqu’un est vraiment bas et qu’il y a des tonnes d’options, vous allez choisir d’explorer ces options”, concluent les deux chercheurs. En somme, la recherche du “mieux”


nous freine dans la possibilité d’arrêter nos choix. Changer d’avis autant de fois qu’on le souhaite serait devenu un marqueur d’émancipation. On arrive au nerf de la guerre : la liberté, bébé.

MOI, MOI, MOI + TOI ? C’est le maître-mot de la devise de ce numéro de Mixte : Liberté, Égalité, Mixité et la formule qui semble s’être érigée en valeur suprême du xxi e siècle, du moins dans une majeure partie du monde occidental. Or la liberté semble intrinsèquement liée pour nous Occidentaux à l’indépendance et à la réalisation de soi. En somme, deux idéaux individualistes par essence, qui paraissent, à première vue, incompatibles avec le concept du couple. Aujourd’hui, il faut avoir confiance en “soi”, se réaliser “soi”, trouver “sa” voie, être heureux avec “soi”-même avant de l’être avec quelqu’un, etc. Autant d’injonctions libérales qui nous amènent à nous regarder toujours un peu plus le nombril, tout en nous poussant dans des logiques de productivité. Dans les grandes villes surtout, où la carrière passe souvent avant le reste, nous n’avons plus beaucoup de temps à consacrer à nos rencontres. Nous en venons à placer des attentes et espoirs toujours un peu plus grands sur les épaules des personnes que nous rencontrons, à être impatients et moins enclins à laisser du temps au temps, pour apprendre à se connaître et que la complicité s’installe. À la première vague, nous laissons tomber avec la certitude qu’un plan B ne tardera pas à pointer le bout de son nez. Pourtant, comme nous le rappelle Jean-Claude Kaufmann, sociologue spécialiste du couple et de la vie quotidienne, “tout couple repose sur un système complexe qui mélange de la complicité et des complémentarités nécessitant du temps et de la différence”. Autrement dit, l’acceptation se fait par étapes, par adaptation de son propre caractère à celui de l’autre. “La recherche de la complicité est complexe, un couple se construit dans l’altérité, il faut s’opposer à l’autre pour créer une troisième voix”. Bref, il faut accepter de “mettre les mains dans le cambouis” et ne pas tout estampiller d’un #drama.

FEMMES DES ANNÉES 2020 Comme l’explique France Ortelli dans Nos Cœurs Sauvages, l’émancipation de la femme au cours du xxi e siècle est un facteur dans le déclin du couple

(ici hétéro-cisgenre). En se dédomestiquant et en prenant le contrôle de leur vie professionnelle, les femmes se sont affranchies du besoin d’avoir un homme à leurs côtés pour leur apporter sécurité matérielle et financière. Alors, certes, cela n’est pas encore vrai dans toutes les parties du monde, mais il se trouve que cette indépendance a sonné la fin du modèle du couple hétéronormé de nos grands-parents. Avec l’émancipation est arrivée une génération de femmes pour qui le célibat n’est pas un fardeau, mais une étape ou parfois même un choix délibéré afin de mener leur vie sans contraintes. À l’image de l’autrice américaine Bella DePaulo qui, dans son essai The Badass Psychology of People Who Like Being Alone publié en 2017, décrit le célibat comme “la manière de vivre la plus authentique et la plus significative”. D’après ses recherches, être seul enrichirait la collectivité. “Le célibataire rend plus souvent visite à ses parents, il investit davantage d’affectivité dans les rapports intergénérationnels, rééquilibre le jeunisme ambiant, participe plus activement au tissu social urbain et est plus enclin à venir en aide aux démunis”, explique Bella DePaulo. Elle met également en garde contre les couples hétérosexuels qui reposent sur un schéma archaïque et qui “se recroquevillent au sein du démoniaque foyer familial, se disputent sans honte à la vue de tous, placent leur conjoint et leurs enfants au centre de leur vie et du monde.”

ENSEMBLE, C’EST TOUZE Alors, le couple est-il complètement dead ? Le sort de l’humanité est-il d’aller vivre solo sur Mars ? Non. Pas de mouvement brusque, ne posez pas un lapin à votre date de ce soir, ne plaquez pas votre mec/meuf, n’annulez pas votre pacs. Plutôt qu’à la mort du couple, il semble que nous soyons dans une “transition”. Nous assistons à la fin du modèle de la famille dite “nucléaire” comme norme (la structure familiale classique composée d’un père, une mère, des enfants habitant ensemble) et à la fin d’une certaine forme de romantisme pour aller vers une pluralité de modes de vie, seul.e ou à plusieurs. On voit de plus en plus de types de couple émerger qui dérogent aux règles du jeu traditionnel, empruntant même parfois les modes de vie des célibataires. Le désir de vivre à deux est toujours présent, mais le mode opératoire évolue. Ainsi, ces “duos de célibataires” entretiennent une relation

amoureuse mais ne partagent pas de “vie commune”. Chacun sa chambre, sa voiture, ses vacances avec ses potes, voire ses partenaires sexuels. Conserver de l’espace entre les personnes pour préserver et faire perdurer le lien érotique. Côté reusta, Gwyneth Paltrow a adopté ce mode de vie yolo avec son second mari Brad Falchuk avec qui elle fait maison à part depuis leur premier jour de noces en septembre 2018. C’est aussi dans ce contexte affectif plus libéral qu’on peut voir dans nos sociétés occidentales des personnes s’épanouir dans le polyamour (fait d’aimer plusieurs personnes en même temps, ndlr) et oublier le couple pour se baser sur les relations humaines. On aime avec des sentiments, mais sans dépendance ni l’injonction de se mettre en couple planant lourdement au-dessus de nos têtes. Françoise Simpère, autrice de Guides des amours plurielles (éd. Pocket, 2009), parle même de cet état comme d’une forme de féminisme plaçant le désir homme-femme à égalité et invoquant la clarté, la nécessité de se parler. La polyamoureuse dénonce néanmoins le fait qu’il y ait peu de chiffres rendus publics sur les personnes vivant en polyamour. En opposition au couple monogame sur lequel repose la société et qui, économiquement, est un ménage qui consomme et stabilise celle-ci, le polyamour apparaît en effet comme une remise en cause des valeurs normatives et une potentielle bombe à retardement… On voit aussi une multitude de personnes qui partagent une vie en communauté, avec des colocs (qui ne sont plus l’apanage des étudiants) ou encore des bromances dénuées de connotation sexuelle qui finissent de nous convaincre qu’on peut très bien être célib et avoir une vie relationnelle hyper riche. S’il y a autant de diversité d’êtres humains sur Terre, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir autant de diversité dans les manières d’être ensemble ? L’avenir du lien amoureux réside peut-être ici, dans le fait d’apprendre à entrer en relation avec les autres, à trouver un sens à la vie sans faire nécessairement partie d’une famille ou d’un couple. Finalement, peu importe le modèle amoureux vers lequel vous allez (consciemment ou inconsciemment), on vous souhaite d’avoir des émotions plus sincères et moins toxiques que celles de Marion Cotillard et Adam Driver dans le dernier film de Leos Carax, Annette. Ce serait dommage de finir avec un mioche en bois.

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MOU VEM ENT TEXTE LÉA ZETLAOUI. PHOTOS JOHNNY KANGASNIEMI. RÉALISATION STEPHY GALVANI. NICOLAS HUCHARD EST HABILLÉ EN DIOR MEN.

M A N TE A U C R O IS É E N D R A P D E L A I N E ET C A C H E M I R E , PA N TALO N L A R G E E N TO ILE D E L A I N E ET M O H A I R , S N E A K E R S “D I O R B 3 0” E N M ATI È R E TEC H N I Q U E ET M ES H , ÉC H A R P E E N F O U R R U R E D I O R M E N .

ALTERN ATIF DANSEUR ET CHORÉGRAPHE EN PLEINE ASCENSION, NICOLAS HUCHARD IMPOSE FIÈREMENT DEPUIS QUELQUES ANNÉES SON IDENTITÉ NOIRE ET QUEER DANS LE MONDE DE LA DANSE, DE LA MUSIQUE ET DE LA MODE. HISTOIRE DE FAIRE BOUGER LES CHOSES. AU SENS PROPRE COMME AU FIGURÉ.

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P U LL E N M A ILLE D E CACH EMIR E BROSSÉ DIOR MEN, B O U CLE D’O R EILLE P E R S O N N ELLE .

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Mars 2020. Quelques jours avant que le monde entier ne passe en mode pandémie/confinement, la foule se presse au Grand Rex, à Paris, pour voir l’un des derniers concerts de la tournée Madame X de Madonna. Levée de jambe, grand écart, pont inversé : si le public crie à chaque pas de danse que fait la Madone avec sa troupe, c’est sans doute et d’abord grâce au danseur Nicolas Huchard qui, avec l’aide de la chorégraphe Megan Lawson, a cosigné le show, le tout en performant lui-même à chacune des 91 représentations de la tournée. Werk ! Le genre d’expérience artistique qui en impose dans le milieu, surtout quand on vient à peine d’entamer la trentaine comme Nicolas. Mais, au-delà de l’accomplissement personnel et du succès professionnel, le danseur garde avant tout de cette aventure longue de plusieurs mois un souvenir ému. Car, au sein des différents tableaux du show, Madonna célèbre l’actuelle culture lusophone comme le fado (danse et chant portugais par excellence) et le batuque (danse traditionnelle du CapVert). Une fierté pour Nicolas, d’origine cap-verdienne : “C’est assez dingue… Madonna qui pratique la même danse que ma grand-mère !” se remémore-til avec émerveillement. Car, dans sa famille, plus qu’un hobby, la danse est un moyen de communiquer. Et c’est, dès son enfance, sur des notes de salsa et de musique africaine que Nicolas Huchard effectue ses premiers mouvements. Il faut néanmoins attendre le milieu de son adolescence pour qu’il envisage sérieusement d’en faire une carrière professionnelle. Loin du parcours conventionnel des danseurs classiques et contemporains, l’itinéraire du chorégraphe au charme solaire et au sourire ravageur est à son image, libre et affranchi.

Bien des années avant de faire bouger les plus grands noms de la scène mode et musicale française et internationale, Nicolas Huchard s’inscrit à l’école du cirque d’Étréchy (Essonne), sur les conseils avisés de son institutrice de CP qui remarque que le jeune garçon débordant d’énergie ne peut s’empêcher de danser. C’est seulement un an plus tard qu’il fait l’expérience de sa première scène et de la peur au ventre qui va généralement avec. “J’étais terrorisé, confie le danseur. J’ai ressenti le trac pour la première fois et, plus tard, je me suis rendu compte que ce trac-là pouvait m’emmener très loin.” Avant de rejoindre, à l’âge de 16 ans, l’Académie internationale de la danse à Paris grâce à l’obtention d’une bourse, Nicolas s’initie d’abord, dès le début de l’adolescence, à la pratique du karaté. Si aujourd’hui, il explique puiser l’inspiration pour ses looks dans l’extravagance et l’élégance de la période disco et celle de l’Égypte antique teintée d’afro-futurisme, à l’époque c’est son attrait pour le kimono – manifestation précoce de son intérêt pour la mode – qui le guide vers l’apprentissage des arts martiaux, où le corps bien ancré au sol s’exprime à travers des mouvements puissants tout en retenue. Un parcours étonnant et déterminant dans l’élaboration de son style : “Je trouve la gestuelle du karaté très intéressante et inspirante, et je me suis rendu compte que l’intention, la concentration et la coordination sont identiques à celles que je mets dans la danse. L’énergie qui se dégage de cet art martial, mais aussi le rapport que j’ai au sol et à l’air ainsi qu’à mon corps, a été très formateur pour ma pratique de la danse”, raconte-t-il. Tandis qu’il cite KÀ du Cirque du Soleil comme référence ultime – spectacle éblouissant présenté à Las Vegas autour des arts martiaux, au cours duquel la scène tourne à 360 degrés puis à la verticale –, on comprend à quel point ces deux disciplines l’ont influencé. Désormais artiste reconnu et influent – en témoignent ses multiples projets, ses différents passages à la télévision ou encore ses 37 000 abonnés sur Instagram – Nicolas Huchard met désormais à profit sa notoriété pour revendiquer pleinement son statut d’artiste noir et queer. Au cours de cette période charnière du passage de l’enfance à l’âge adulte, alors qu’il embrasse finalement

et pleinement sa passion pour la danse, il se heurte – parfois avec violence – à la discrimination. Très tôt, il fait face au racisme, à l’homophobie, aux préjugés et, forcément, aux questionnements qui en découlent. D’abord quand, enfant, subjugué par Grace Jones, femme virile par excellence qui questionne le genre, il commence à s’interroger sur sa propre masculinité. Ensuite quand, adolescent, au collège, les regards et remarques de ses camarades lui font ressentir un sentiment de honte à l’idée de vouloir pratiquer la danse alors que les autres garçons jouent au football. Encore une fois quand, abreuvé de pop culture télévisuelle comme tous les kids des 90’s, il constate que, dans les films et les séries, l’acteur noir incarne la plupart du temps un voleur ou un criminel. Mais c’est au sein même de ce qui aurait dû être pour lui un safe space qu’il subit une énième discrimination, sonnant ainsi le glas des espérances et de l’innocence. Lors d’un cours de danse classique, son professeur lui assène qu’il ne pourra jamais être un danseur classique. La raison ? Ses fesses qui sont trop bombées ! Autrement dit, son corps qui est trop noir pour une institution trop blanche… Autant de prises de conscience qui ont encouragé Nicolas à développer largement son activisme et l’incitent encore aujourd’hui à devenir un modèle de représentation pour les futures générations : “Quand tu es victime de discrimination en tout genre, tu as envie

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C A RD I G A N “CD DIA M O ND” EN M O HAIR ET L A I N E TEC H N I Q U E B R O S S ÉS , C O LLI E R E N L A ITO N FI N ITI O N A R G E N TÉ E ET P E R LES D E R ÉSI N E , PA N TALO N LARGE EN SERGÉ D E L A I N E , SA CC EI N TU R E “SAD D LE” E N P YT H O N D I O R M E N , B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELLES .


de tout faire pour changer les choses. Et en tant qu’artiste, j’ai le privilège de pouvoir porter et exprimer mes idées. J’ai avancé dans ma carrière, travaillé avec beaucoup de personnalités. Aujourd’hui, je veux aller plus loin et utiliser ma visibilité. Les homosexuels et les Noirs étant encore injustement mal vus, je veux devenir un de ces modèles positifs qui donnent espoir et auxquels des jeunes peuvent s’identifier”, confesse le danseur et chorégraphe. Quand on regarde de plus près la carrière de Nicolas Huchard, on constate non seulement que le trentenaire a souvent côtoyé des artistes engagés sur les questions liées au racisme, au genre et au féminisme, mais qu’il les a souvent accompagnés dans leur évolution. À partir de 2014, il est en effet l’un des quatre danseurs de Christine and the Queens, chanteuse qui questionne régulièrement son propre genre, sur la tournée de l’album Chaleur Humaine. Durant trois ans, il danse aux côtés de l’icône de la pop française avec des mouvements très libres croisant influences contemporaines, voguing et hip hop, déconstruisant ainsi les codes viriles établis des chorégraphies pop. En 2018, la chanteuse belge Angèle, deux ans avant son coming-out, le sollicite pour le clip délicat et sensible Jalousie, au sein duquel il est le seul homme d’un quatuor vêtu de robes Rouje, puis pour la tournée de son premier album Brol. L’année suivante, c’est la rappeuse

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belge Shay – protégée de Booba, parmi les seules femmes à évoluer dans cet univers très masculin – qui fait appel à lui pour son clip Jolie. Puis il signe les mouvements d’Yseult, pour la vidéo Rien à prouver, dans un décor brut où elle impose enfin son statut de diva noire et plantureuse. Enfin, en juin dernier, il retrouve la chanteuse française et le rappeur Ichon, pour le clip du titre déjà culte Mélange, à l’ambiance moite et sensuelle. Une liste non exhaustive de collaborations avec des artistes qui, chacun.e à leur façon, s’émancipent du male gaze, ce regard de mec hétéro cis qui objective la femme, et se réapproprient leur image et le pouvoir sur leur corps. “Le fait que ces artistes désirent travailler avec moi reste encore une énigme. Je pense que je les inspire, qu’ils apprécient ce que je fais et ce que je représente et qu’ils veulent se l’approprier sur leurs projets”, note-t-il. Et son impact se ressent désormais au-delà de l’industrie de la musique ou de la danse, jusque dans le monde de la mode. En 2018, Nicolas impose son énergie communicative alors qu’il assiste la chorégraphe Marion Motin sur le Fashion Freak Show de Jean Paul Gaultier, un spectacle unique en son genre qui associe performance, danse, mode et chant avec comme fil conducteur le travail de l’immense créateur. En mars dernier, c’est Bruno Sialelli, le jeune directeur artistique de la maison Lanvin, qui le sollicite en tant que movement director, pour sa collection Automne-Hiver 2021, présentée à travers une vidéo pop et maximaliste, véritable hommage à la culture MTV. Alors que résonne l’iconique tube “Rich Girl” de Gwen Stefani et Eve, dans des suites somptueuses du Shangri-La Hôtel Paris, une bande de cool kids ultra-blindés et aux looks ultra-glamour évoquant les Années folles s’éclatent dans une ambiance festive, voire décadente. S’il n’apparaît pas dans le clip, Nicolas Huchard a guidé, à la manière d’un metteur en scène, les mannequins dans leurs mouvements et poses pour qu’il.elle.s puissent bouger et s’exprimer tout au long du clip de façon naturelle. “J’aime beaucoup cette idée de changer de peau, de voir les gens se transformer et comment un vêtement peut modifier notre personnalité, notre façon de bouger, de parler. À chaque fois, il faut trouver la bonne gestuelle associée au vêtement”, explique-t-il. Plus récemment, dans un

“QUAND TU ES VICTIM E DE DISCRIMINATIO N, TU AS ENVIE DE TOUT FAIRE POUR CHAN GER LES CHOSES.”

minifilm du créateur espagnol Arturo Obergero, il propose une mise en scène théâtrale, qui rappelle la pièce Café Müller de Pina Bausch, autour de mouvements dramatiques, qui exalte une collection Printemps-Été 2022 androgyne inspirée par le flamenco. Mais son œuvre la plus impactante, Nicolas Huchard l’a dévoilée sur la plateforme Nowness, en juin dernier, à l’occasion du Pride Month, à travers une vidéo puissante aux allures de manifeste. Durant 3 minutes 30, seule sur une plage, la communauté noire queer française enchaîne avec fougue des mouvements de danses contemporaines, africaines et voguing, au rythme d’un poème et d’une musique composés par Mykki Blanco, artiste et militante pour les droits LGBTQIA+. S’il interpelle par sa justesse et sa beauté, le film Tajabone, coréalisé avec Raphaël Chatelain, est surtout pensé pour déranger. “Je suis entouré par des gens que je trouve beaux intérieurement et extérieurement et que je ne vois pas assez souvent dans mon feed d’actualité et dans la vie. J’avais envie de les mettre en avant dans une vidéo capable de toucher tout le monde et que tout le monde puisse comprendre. C’est vrai que j’avais envie de choquer. Montrer des corps un peu dénudés dans une certaine posture… Et je sais que certaines personnes ont été mal à l’aise. Et c’est ça qui me plaît.” Une prise de position qui, loin d’être provocatrice, s’impose comme essentielle, tant les mentalités tardent à évoluer. Heureusement, Nicolas est bel et bien là pour mouvementer tout ça.


M A N TE A U E N TO ILE D E L A I N E ET M O H A I R , P U LL E N M A ILLE D E L A I N E , C O LLI E R ET BA G U E “CD IC O N ” E N L A ITO N FI N ITI O N A R G E N TÉ E ET R ÉSI N E DIOR MEN.


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M A N TE A U C R O IS É E N D R A P D E L A I N E ET C A C H E M I R E , PA N TALO N L A R G E E N TO ILE D E L A I N E ET M O H A I R , S N E A K E R “D I O R B 3 0” E N M ATI È R E TEC H N I Q U E ET M ES H , ÉC H A R P E E N FO U RRU R E DIO R M E N . PA G E D E G A U C H E : PA R K A E N P E A U L A I N É E VI N TA G E , B O U CLE D’O R EILLE “CD IC O N ” E N L A ITO N FI N ITI O N D O R É E ET J A S P E , C O LLI E R ET BA G U E “CD IC O N ” E N L A ITO N FI N ITI O N A R G E N TÉ E ET R ÉSI N E DIOR MEN. COIFFU R E : Q U E NTIN G UYE N @ BRYA NT ARTISTS . G R O O M IN G : R U B E N M AS O LIVER . ASSISTA NTE STYLISTE : M A ELYS A N N OVAZZI. ASSISTA NT LU M IÈR E : H U G O BAB EY. DIGITEC H : J O A N N A H UT TN ER LE M OIN E.


L’ATTAQUE DE K

L

O

N

REMARQUÉ EN 2020 AVEC SON SINGLE “NOISE”, LE COLLECTIF FRANÇAIS

PARTAGEAIT EN JUIN DERNIER SON PREMIER EP NOUVEAU GENRE. UN PROJET

EN FORME D’ODE À LA LIBERTÉ, À L’UNION MAIS AUSSI À LA DIFFÉRENCE. TEXTE NAOMI CLÉMENT. PHOTOS JOE LAI. RÉALISATION VICTOR VERGARA.

LE COLLECTIF EST MAQUILLÉ ET HABILLÉ EN GUCCI.


A K R A : P U LL C R O P -TO P E N L A I N E , V ESTE E N P LU M ES , PA N TALO N ET B OT TES E N C U I R G U C C I . VIC : M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E , PA N TALO N B R O D É D E S E Q U I N S ET BA S K ETS E N C U I R G U C C I . A U R EL : R O B E E N C U I R V E R N I G U C C I . R O R Y : J U P E E N D E N TELLE , B O LÉ R O E N C R ISTA U X , C H O C K E R E N C U I R ET C H A Î N E G U C C I . ZO É : V ESTE ET PA N TALO N E N V ELO U R S , C H E M IS E E N S O I E , C H O C K E R E N C U I R G U C C I , S O UTI E N - G O R G E P E R S O N N EL . A RT : V ESTE B R O D É E D E S E Q U I N S , C H E M IS E E N TU LLE , PA N TALO N E N TO ILE STR A S S É E G U C C I . N EJ M A : R O B E E N D E N TELLE , ÉTO LE E N P LU M ES ET ES C A R PI N S E N C U I R G U C C I . PA G E D E G A U C H E , R O R Y : B U STI E R B R O D É D E PA ILLET TES , J U P E E N TO ILE M O N O G R A M M É E ET ST R A S S , M A N C H ES E N P LU M ES G U C C I .



N EJ M A : R O B E E N D E N TELLE , ÉTO LE E N P LU M ES ET ES C A R PI N S EN CUIR G U CCI. PA G E D E G A U C H E , A U R EL : P U LL E N M A ILLE D E C A C H E M I R E , PA N TALO N ET F O U ET E N C U I R G U C C I , C O LLI E R ET B O U CLES D’O R EILLES P E R S O N N ELS .


N EJ M A : B U STI E R ET J U P E E N D E N TELLE , M I N A U D I È R E E N C R ISTA U X , ES C A R PI N S E N R ÉSILLE ET C R ISTA U X , C H O C K E R E N C U I R , G A N TS E N TU LLE ET C R ISTA U X G U C C I . E N H A UT, A K R A : P U L C R O P -TO P E N L A I N E , V ESTE E N P LU M ES , PA N TALO N ET B OT TES E N C U I R G U C C I . A U R EL : R O B E E N C U I R V E R N I À M A N C H ES B O RD É ES D E P LU M ES ET B OT TES E N C U I R G U C C I . E N BA S , VIC : M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E , PA N TALO N B R O D É D E S E Q U I N S ET BA S K ETS E N C U I R G U C C I . A RT : V ESTE B R O D É E D E S E Q U I N S , C H E M IS E E N TU LLE , PA N TALO N E N TO ILE M O N O G R A M M É E ET ST R A S S , BA G U ES E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S G U C C I , B OT TES P E R S O N N ELLES .

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DE G20 À KLON

“Indivisible” est peut-être le mot qui qualifierait le mieux KLON. Que ce soit sur Instagram, dans leurs clips surréalistes ou dans la vie de tous les jours, le groupe composé de Zoé, Aurel, Akra, Vic, Nejma, Art et Rory semble tout faire à sept. Il n’y a qu’à regarder le clip de leur titre “West”, leur première vidéo officielle, pour le comprendre : au rythme de leur musique entêtante, qui se nourrit aussi bien de chanson française que d’électro, les bouches chantent à l’unisson et les silhouettes se mêlent et s’entremêlent, jusqu’à former un corps unique. “Un corps à sept têtes”, disent-ils. Pourtant, le jour de notre interview planifiée sur Zoom, seuls trois des membres de la formation apparaissent à l’écran : Zoé, Akra et Vic. “Du coup, ça vous arrive de vous séparer ?” leur demande-t-on. “Ouais ! répondent-ils dans un rire collégial. Mais c’est très, très rare.” Derrière eux se dessine le salon de leur QG, une grande maison lumineuse située en banlieue parisienne, dans laquelle ils vivent tous les sept depuis trois ans. “C’est le lieu dont on a toujours rêvé”, confie Akra. Au fil de la discussion, on comprend que, contrairement à d’autres collectifs, KLON est loin de se résumer à un “simple” groupe de musique. C’est aussi et surtout une aventure du quotidien entre amis (en famille même, Vic et Arthur étant frères jumeaux et Zoé leur petite sœur), un projet de vie alternatif qui prône la solidarité et le vivreensemble au cœur d’une société ultraindividualiste. “On est KLON à 100 % et tout le temps”, affirme Vic.

Avant de devenir KLON à temps plein, les sept Français, aujourd’hui âgés de 21 à 24 ans, passent leur adolescence à Melun, en Seine-et-Marne. À ce moment-là, certains chantent à l’abri dans leur chambre ou ont fini leurs années de conservatoire. D’autres, comme Vic et Arthur, commencent à rapper et à s’enregistrer à l’aide d’une carte son. Mais aucun n’envisage alors la musique comme un véritable plan de carrière. C’est à une soirée de fin de lycée que tout bascule. Par le biais d’Aurel (aujourd’hui manager du groupe aux côtés de Nejma), les jeunes créatifs font connaissance, se découvrent. Sur des type beats aux influences trap, ils se lancent dans des freestyles infinis et constatent leur passion commune pour le rap et ses rythmes effrénés. Le déclic est immédiat. “Il y a eu une putain de connexion, rembobine Vic, visiblement encore animé par la ferveur de cette nuit. C’est vraiment cette rencontre qui nous a donné confiance et nous a décidé.e.s à prendre la musique au sérieux.” De cette réunion aux airs de révélation naît le groupe de rap G20, ainsi qu’une première colocation dans un appartement en banlieue parisienne. “Au début, on faisait du son dans le grenier de mes parents… c’était un peu bruyant, relate Vic. On s’est dit que, pour mener à bien notre projet, il fallait qu’on ait notre endroit à nous, et qu’on y soit ensemble tout le temps. On s’est installé à treize dans un appartement de 85 m2.” Après quelque temps, le groupe se resserre aux sept membres que l’on connaît aujourd’hui et s’installe dans une maison, dont ils transforment le sous-sol “dégueulasse” en un home studio agréable de 60 m2. C’est dans cet antre souterrain que leur ADN musical se forge. Au fur et à mesure de leurs expérimentations, leur musique prend une autre forme, s’éloignant peu à peu de leur rap originel. Chacun y met son grain de sel, ses influences, ses remarques, et les sonorités s’échappent progressivement vers un monde plus coloré et polychrome. Un monde des possibles dénué de barrières, où les drum machines s’unissent aux nappes des synthétiseurs, où les guitares et les basses vrombissent en chœur et où la diversité des voix s’harmonise. KLON est né.

LES SEPT MEM BRES D’U N MÊME CORPS Au fil de notre échange, je comprends que le fait de composer à 14 mains (à l’aide des “vieilles machines et autres vieux synthés” qui peuplent leur soussol) les mène naturellement vers des créations dansantes et festives. “Quand t’es en groupe, t’es pas dans tes écouteurs, poursuit Vic. Tu te dis : ‘OK, quel son je vais mettre pour faire kiffer les autres ?’ Et c’est dans cette énergie-là qu’on crée nos morceaux. On a à cœur de sortir une musique sur laquelle tu peux danser, mais aussi planer.” “Ça résume assez bien nos personnalités. Vu qu’on est sept, on est toujours dans une dynamique assez rythmée, et en même temps… on est un peu foncedés ! Voilà, KLON, c’est ça”, complète Zoé. D’ailleurs, pourquoi ce nom, KLON, qui signifie “clone” en allemand ? “On l’a choisi pour illustrer cette unité, cette fusion qu’il y a entre nous”, explique Akra. “C’est un mot qui nous a tout de suite parlé, enchaîne Vic. Déjà, avec mon frère jumeau, il y avait cette idée de clone ; mais c’était aussi et surtout une façon de dire qu’ensemble, on a une vision commune, les sept membres d’un même corps.” Et Akra de renchérir : “Et puis, il y a aussi quelque chose de très ironique dans le fait de s’appeler comme ça, parce qu’on est totalement contre la standardisation de la société, le clonage des mentalités et des gens.” Cette dimension critique est intrinsèque à leur musique, qu’ils décrivent comme “une énergie” plutôt qu’une création figée.

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Le groupe en pose les bases avec le clip animé de “Noise”, son premier single sorti le 7 juillet 2020 – une date choisie avec le plus grand soin pour faire écho à leur septuor et à leur feu groupe G20. Sur une production à la fois éthérée et inquiétante, les sept artistes livrent leur regard sur le monde alentour. Un monde à grande vitesse, qu’ils observent paisiblement depuis la fenêtre de leur royaume, et qui leur paraît parfois dénué de sens. “Le bip du réveil, la bouilloire qui siffle / La porte qui claque / Puis, les klaxons du périph’, la radio qui aboie / Le chien qui renifle, la rumeur des foules […] Une boucle qui se lasse sans issue de secours”, y chante Vic, qui souligne : “Ce titre parle des bruits de la ville et de la vie, et je trouve qu’il porte assez bien notre message et ce qu’on pense du monde extérieur. C’était une bonne entrée en matière.”

U NE INVITATION À S’ÉVADER DE CETTE SOCIÉTÉ Les choses s’accélèrent quelques mois plus tard avec la sortie de “West” et “Santa Barbara”. Deux singles dont les clips nous propulsent tantôt dans une fête diurne mystique, tantôt sur les plages californiennes des années 1960, et qui prônent avec poésie les notions de liberté et d’évasion si chères au groupe. Comme expliquer l’importance de ces notions, d’ailleurs ? “C’est peutêtre dû au fait qu’on bosse constamment à la maison, tous ensemble… Du coup, on vous envoie un message subliminal, du genre : ‘Venez nous sauver, libérez-nous !’”, s’amuse Zoé, rejointe par le rire de ses deux comparses. “Plus sérieusement, je crois qu’il y a

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quelque chose d’assez politique dans cette notion d’évasion, analyse Vic. En vivant à sept, on s’est créé notre monde, à part, en dehors des codes de la société. Notre musique est en cela une invitation à s’en évader pour construire un nouveau monde. Notre génération et celle de demain ont les clés pour le construire. Ça ne tient qu’à nous.” Cette idée de s’unir pour déconstruire et mieux reconstruire est au cœur de leur premier EP Nouveau Genre, paru le 11 juin dernier via Rossinante/Sony Music. Composé de sept titres (on doute que cela soit un hasard), cet opus se joue du concept de genre. Il mélange sans encombre chanson française, électro new wave et pop lancinante à l’ADN rap de leurs débuts ainsi qu’à une certaine énergie punk. En se complétant tour à tour, Vic, Zoé et Akra précisent : “Le nouveau genre, c’est pouvoir être libre de faire et d’être ce que l’on veut. Voilà le message de ce projet, et de notre groupe au global : refuser d’être catégorisé.e.s, de se laisser enfermer. Et prôner le fait d’être vraiment soi, d’être libre de rejeter les carcans sociaux, et se laisser la chance de pouvoir changer sans jamais être jugé.e.s.” D’où le clip galactique du single “Nouveau Genre”, dont le refrain martèle : “Je n’suis pas faite pour plaire / Bébé j’ai mieux à faire / Mêle-toi d’tes affaires / On sort de l’ordinaire.” Réalisé par Valentin Pitarch, qui se cachait déjà derrière celui de “West”, Nouveau Genre nous plonge dans un TV show surnaturel, dans lequel les sept allié.e.s débarquent en aliens coloré.e.s et chantant. “On s’est dit que c’était le truc le plus éloigné d’un être humain, et que c’était une image marrante pour illustrer nos différences”, détaille Akra. “Il faut les glorifier, elles sont tellement enrichissantes ! Ce sont elles qui nous font grandir, nous inspirent. Si tout le monde était cloné, ce serait vraiment trop chiant !” ajoute Vic. Pour mieux diffuser son message au monde des vivants, le groupe ne compte pas s’arrêter là. Les sept cerveaux bouillonnent constamment d’idées, parmi lesquelles organiser des soirées, monter une marque… “Ce n’est que le début”, annoncent-ils. En attendant, KLON, qui vient d’entamer une tournée, se produira sur la scène parisienne de la Boule Noire le 2 décembre prochain, histoire de nous inviter à explorer un peu plus leur univers singulier.

LEURS CLIPS N OUS PROPULSENT TANTÔT DANS U NE FÊTE DIURNE MYSTIQUE, TANTÔT SUR LES PLAGES CALIFORNIEN NES DES AN NÉES 1960, ET PRÔNENT AVEC POÉSIE LES N OTIO NS DE LIBERTÉ ET D’ÉVASIO N SI CHÈRES AU GROUPE.


A K R A : C H E M IS E C R O P -TO P E N C OTO N , H A R N A IS E N C U I R ET M ÉTAL G U C C I , J E A N ET C EI N TU R E P E R S O N N ELS . CI- C O N TR E , R O R Y : B O LÉ R O E N C R ISTA U X , J U P E E N D E N TELLE , B OT TES E N C U I R , C H O C K E R E N C U I R ET C H A Î N E G U C C I , BA G U E P E R S O N N ELLE . PA G E P R ÉC ÉD E N TE , VIC : M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E , PA N TALO N B R O D É D E S E Q U I N S , BA S K ETS E N C U I R G U C C I . N EJ M A : R O B E E N D E N TELLE , B O LÉ R O E N P LU M ES ET ES C A R PI N S E N C U I R G U C C I . ZO É : V ESTE ET PA N TALO N E N V ELO U R S , C H E M IS E E N S O I E , C H O C K E R E N C U I R G U C C I , S O UTI E N - G O R G E P E R S O N N EL . A U R EL : R O B E E N C U I R V E R N I À M A N C H ES B O RD É ES D E P LU M ES , B OT TES E N C U I R G U C C I . R O R Y : J U P E E N D E N TELLE , B O LÉ R O E N C R ISTA U X , B OT TES E N C U I R , C H O C K E R E N C U I R ET C H A Î N E G U C C I . A RT : V ESTE B R O D É E D E S E Q U I N S , C H E M IS E E N TU LLE , PA N TALO N E N TO ILE M O N O G R A M M É E ET ST R A S S , BA G U E E N M ÉTAL D O R É ET ST R A S S G U C C I , B OT TES P E R S O N N ELLES . A K R A : P U LL C R O P TO P E N L A I N E , B O LÉ R O E N P LU M ES , PA N TALO N ET B OT TES E N C U I R G U C C I .

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ZO É : V ESTE ET PA N TALO N E N V ELO U R S , C H E M IS E E N S O I E , CH O CKER EN CUIR, ES C A R PI N S E N C U I R ET ST R A S S G U C C I , S O UTI E N - G O R G E P E R S O N N EL . PA G E D E D R O ITE , VIC : G ILET E N C OTO N ET C U I R , C O LLI E R E N M ÉTAL G U C C I , PA N TALO N ET C EI N TU R E P E R S O N N ELS . COIFFU R E : H EITAI C H EU N G . M A Q UILLA G E : AXELLE JERIN A AVEC LES P R O D UITS G U CCI. ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : NYO . ASSISTA NT STYLISTE : JUDIT M ELIS . ASSISTA NT COIFFU R E : XIA NI. ASSISTA NT M A Q UILLA G E : A G ATH E M AZZINI, O P H ÉLI E M IR A M B EA U.



QUARTER LIFE CALLING À 25 ANS, ON N’EST JAMAIS À L’ABRI DE FAIRE SA QUARTER-

LIFE CRISIS, AKA CRISE DU QUART DE VIE. ÉCHO RETENTISSANT AU CONTEXTE ACTUEL, ELLE PEUT CEPENDANT ÊTRE SOURCE DE CRÉATIVITÉ, APPELANT À L’ACTION PLUS QU’À LA RÉSIGNATION. TEXTE DÉBORAH MALET.

Il n’y a qu’à voir le dernier défilé prêtà-porter homme SS22 de JW Anderson pour se convaincre que, du côté de la génération qui a à peu près le même âge que Mixte, ce n’est pas la grosse teuf : shootées par Jürgen Teller, les jeunes mannequins sont mis en scène dans les pièces d’une maison pas franchement cosy, vêtus de polaires et joggings, sans oublier le combo short-claquetteschaussettes. En haut de ces silhouettes à l’allure de pyjama osef trône un gros dossier ouvert telle la boîte de Pandore : la quarterlife crisis ou, si vous préférez, la crise du quart de vie, qui surgit entre 25 et 35 ans, et dont la pandémie et son lot de restrictions sanitaires ont amplifié le phénomène. Pour Oliver Robinson, maître de conférences en psychologie à l’université de Greenwich à Londres, qui étudie depuis 2008 la question, “la crise du quart de vie est à rapprocher d’une crise de jeune adulte reconnue depuis les années 80”. Selon lui, il est primordial de transformer la quarter-life crisis en quarter-life catalyst – ou quarterlife calling, pour reprendre le titre du bouquin de l’auteur et coach de vie Paul Sohn, sorti en 2017 et sous-titré Pursuing Your God-Given Purpose in Your Twenties. Derrière cette “positive attitude” entrée aux forceps dans l’inconscient collectif, il y a l’idée que rien n’est une fatalité et que chacun.e peut faire bouger les lignes. En gros, pas question de se murer dans la passivité éprouvée. Prenons l’exemple de Mixte, qui fête cette année ses 25 ans. Une longévité assez rare pour un magazine indépendant qui a vu le jour en 1996, comme Zendaya, Kendji Girac ou Pikachu, quand déjà résonnait

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le discours décourageant de la “crise de la presse”. Un pari risqué, ont dit certain.es à l’époque, mais se réfugier dans une zone de confort insipide et renoncer à ses objectifs et rêves, très peu pour nous, “thank u, next” comme dirait Ariana Grande. Et peu importent les doutes, erreurs, fails, montées de stress et le nombre de sachets en papier utilisés lorsque vous hyperventilez : au-delà du petit bobo, les crises existentielles permettent à l’ego de se construire et de se (ré)inventer. Le professeur Oliver Robinson nous le rappelle, la crise du quart de vie est “une excellente occasion de se réveiller” et de devenir “plus complet”. Et cela passe autant par la créativité que par l’engagement.

CONSTAT ET GUIDES DE SURVIE La première fois que le terme est apparu, sur la couverture rigide de bouquin à la vue de tou.tes en librairie, c’était en 2001, avec Quarterlife Crisis, the Unique Challenges of Life in your Twenties, sur une idée originale des journalistes américaines Alexandra Robbins et Abby Wilner. Depuis, cette crise de la vingtaine est régulièrement le sujet de livres anglosaxons sur le développement personnel brandés “happy therapy” – How to Survive Your Quarterlife Crisis de Jodanna Bird, The Quarter Life Breakthrough d’Adam Smiley Poswolsky, Get it Together: A Guide to Surviving Your Quarterlife Crisis de Damian Barr... L’année dernière, c’est la jeune humoriste américaine Taylor Tomlinson qui le met au cœur de son one-woman show baptisé en toute logique Quarter-life crisis,

disponible sur Netflix, et qui écume les bons gros ressorts humoristiques de l’autodérision sur fond de mal-être. Pour autant, son introduction résume bien l’état d’esprit dans lequel on est quand on se cogne une QLC carabinée : “J’ai 25 ans et j’en ai déjà ras-le-bol. J’en ai marre de la vingtaine et de ceux qui me disent d’en profiter (...) Tout le monde oublie qu’à 20 ans, on est un déchet. On n’a pas d’intuition ni d’instinct, on ne sait faire que des erreurs (...). C’est un passage obligé à 20 ans, sinon à 30, tous vos sales défauts se figeront.” En d’autres termes, la crise du quart de vie est bien plus angoissante que celle d’adolescence : émancipation parentale, insécurité face au monde du travail, stress lié au fric, gros questionnement sur son avenir… Selon Oliver Robinson, la QLC dure généralement un à deux ans et s’amorce en quatre étapes : “Phase 1, une situation de vie qui cause du stress, de l’insatisfaction, un profond sentiment que son évolution ne progresse pas. Les émotions négatives qui caractérisent la Phase 1 sont souvent intériorisées. La Phase 2a se manifeste par un plus grand désir de changement et le sentiment que celui-ci peut se concrétiser. Durant cette phase, la personne peut se séparer de son.sa conjoint.e, d’un groupe social ou d’un travail afin de chercher un nouveau chemin qui la mènera à la vie d’adulte. La Phase 2b est le temps du questionnement et de l’autoanalyse. Plutôt que de vivre selon une routine, la vie durant la Phase 3 est expérimentale et spontanée. De nouvelles idées, identités et engagements sont envisagés. La Phase 4 est appelée la ‘phase de reconstruction’, et


cela implique des étapes franchies plus activement pour bâtir une ‘structure de vie d’adulte’, à l’épreuve du temps et sur laquelle se fondera l’avenir”. Pour la faire simple, les twentysomethings (les vingtenaires), c’est davantage “bienvenue dans l’âge ingrat” que l’âge d’or survendu par la société.

QUÊTE DE SOI ET CRÉATIVITÉ Fact mais pas fun : la vie n’est pas un long fleuve tranquille (duh !). Ce fut le constat précoce de Théo Grosjean, dessinateur depuis son plus jeune âge et atteint d’anxiété généralisée diagnostiquée au sortir de l’adolescence. Alors, quand on évoque la crise du quart de vie, forcément ça lui parle : “Pour moi, ça se manifeste par des angoisses métaphysiques, notamment la fuite du temps et comment l’optimiser un maximum, car à 25 ans, on est surexposé.es à des idéaux de vie. On n’est plus un enfant/ado, on devient un adulte qui n’a plus le droit à l’erreur”. Pour exorciser tout ça, Théo s’est lancé depuis 2018 dans l’écriture d’une BD, publiée sur Instagram et aux éditions Exemplaire, qui porte bien son nom, L’Homme le plus flippé du monde, et dans laquelle il se met en scène. Non seulement sa QLC a libéré la parole sur sa santé mentale avec ses 157k d’abonné.es Insta, mais aussi sa créativité car “une fois posée sur le papier, cette anxiété n’est plus en soi”. Cette quête de soi, c’est ce qui alimente en continu les réseaux sociaux, caisse de résonance mais aussi journal intime des digital natives. Pour Marie Dollé, digital strategist et autrice de la newsletter prospective In Bed With Tech, 2020-2021 pourrait se résumer en un hashtag : “#weird, qui regroupe déjà plus de 2 milliards de publications sur Tik Tok. 2020 a clairement vu émerger un nouveau courant expressionniste lié aux angoisses émotionnelles. Une ‘vibe check‘ cathartique (un ressenti par rapport à une situation) qui s’exprime sous différentes formes artistiques”. Dans la longue liste : les témoignages face caméra à la manière de Jules dans le deuxième épisode spécial de la série Euphoria sorti en janvier (sur OCS), les citations inspirationnelles, l’esthétique onirique ou cauchemardesque distillée par le #dreamcore, les tutos cernes en make-up sur Tik Tok, le “main character syndrome” consistant à se mettre en scène dans des vidéos comme si l’on était le personnage principal d’une série dramatique sur fond de musique

tristoune. Selon Marie, rien d’étonnant à ce que “les digital natives redoublent de créativité sur les réseaux sociaux, y voyant là une substitution analogique à la toile des artistes peintres. Rappelons que l’expressionnisme en peinture a vu le jour durant la Grande Dépression”. À l’image de Bo Burnham, humoriste américain de 31 ans tout juste, qui, durant les confinements successifs, a enregistré seul chez lui un Netflix Special baptisé Inside. Sorte de comédie musicale grotesque en huis clos où sont abordés la dépression d’un presque trentenaire (la chanson coming-of-age “30”) ou encore le sentiment d’être une merde (le funky “I Feel Like Shit”). Bref, tout ce qui touche de près à la QLC y est traité, à coups de vocodeur et de synthés, avec un point d’honneur mis à divertir en créant du contenu (“But look, I made you some content”).

EN GAGEMENT ET ACTIVISME Alors, faut-il vraiment n’y voir qu’un egotrip racoleur à la sauce drama ? Selon Marie Dollé, au-delà de la volonté de combler un manque et d’éliminer un sentiment de solitude, les préoccupations des Twentysomethings chapeautées par la QLC se sont dirigées vers des sujets beaucoup plus profonds et engagés qu’il n’y paraît, comme les questions de société. Si c’est bien la crise pour tout le monde, celle-ci a eu au moins le mérite d’impulser chez les victimes de la quarterlife crisis un nouvel élan inscrit dans l’action et non dans l’acceptation de l’état de fait. Pour Oliver Robinson, “le bénéfice-clé de la quarterlife crisis est de développer un mode de vie qui reflète ce qu’on est au plus profond de soi, sa personnalité, ses convictions. Sentir qu’on est en harmonie avec soimême, c’est se sentir authentique.” En juin, The Guardian publiait un gros dossier intitulé “So many Revolutions to lead: Europe’s generation Z on their post-Covid Future” (“Tant de révolutions à mener : la génération Z européenne et son avenir post-Covid”), faisant écho à un précédent article qui ne laissait aucun doute : “How the Covid shock has radicalised generation Z” (“Comment le choc Covid a radicalisé la génération Z”). Au même moment, Le Monde interviewait la sociologue Cécile Van de Velde, selon qui il existe “une radicalisation du sentiment de colère chez les jeunes”. Le contexte anxiogène de crise globale vient irriguer la QLC. Quant à Sarah Pickard, maître de conférences et

chercheuse en civilisation britannique à la Sorbonne Nouvelle - Paris 3 et autrice de Politics, Protest and Young People (paru en 2019 aux éditions Palgrave Macmillan), elle va même plus loin : “Depuis la Seconde Guerre mondiale, le niveau de chaque nouvelle génération s’est toujours amélioré. C’est la première fois que l’ascenseur social est en panne”. L’engagement, la mobilisation, la protestation et le militantisme permettent ainsi de fixer un nouveau seuil de satisfaction personnel. “Les jeunes adultes d’aujourd’hui se positionnent plus que leurs aînés sur les questions sociétales comme le racisme, l’homophobie, le féminisme, le genre, l’inclusivité. Ce sont des sujets qui engagent davantage d’aspects personnels de leur vie”, souligne Patricia Loncle, professeure en sociologie, titulaire de la chaire de recherche sur la jeunesse à l’EHESP (École des hautes études en santé publique) et co-autrice d’Une jeunesse sacrifiée? (éd. PUF). C’est d’ailleurs pour cela que, selon Sarah Pickard, “le langage du militantisme aujourd’hui est beaucoup plus émotif et narratif. Et aussi le fait qu’on se sente utile, dans des structures fluides avec une démocratie participative horizontale et non verticale”. Cependant, dans cet élan revendicatif, un nouveau mal menacerait les jeunes engagé.es : le “burn-out militant”, comme le soulignait le magazine Socialter en octobre dernier. Ou comment “l’engagement s’avère aussi source d’usure et d’épuisement” car “la colère ne redescend jamais et envahit la vie sociale”. Un stress et une charge mentale amplifiés par les répressions policières (“Il y a un durcissement des forces de l’ordre vis-à-vis des jeunes”, dixit Patricia Loncle), la pression exercée par les lobbys, les procès intentés contre les militant.es… Sans parler du shadow-banning, pratique algorithmique qui réduit la visibilité de certains posts politisés sur les réseaux sociaux. Bref, autant d’éléments qui nous font dire que la sortie de crise n’est pas près de pointer le bout de son nez. À moins que l’on s’intéresse à l’étymologie même du mot crise, Krisis en grec, qui signifie “distinguer, discerner, faire un choix”. C’est finalement ce que semble avoir fait cette génération sacrifiée avec brio pour enfin nous emmener vers le meilleur. Après tout, comme le disait le sociologue et économiste français Alain Touraine, “Le changement du monde n’est pas seulement création, progrès, il est d’abord et toujours décomposition, crise”.

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D A A S W H A T S H E S A I D TEXTE TARA LENNART. PHOTOS NICOLAS WAGNER.

AVEC UN PREMIER ROMAN SALUÉ PAR LA CRITIQUE, TRAITANT DES QUESTIONS D’IDENTITÉ ET D’INTERSECTIONNALITÉ, LA JEUNE AUTRICE LESBIENNE ET MUSULMANE FATIMA DAAS A POSÉ UN REGARD LUCIDE ET VIVANT SUR LES PARADOXES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE, LA VIOLENCE DES DISCRIMINATIONS ET LA FORCE DE LA LITTÉRATURE COMME EXUTOIRE.

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Rentrée littéraire 2020, le premier roman de Fatima Daas rencontre un fort succès médiatique. La Petite Dernière, paru aux éditions Notabilia, aborde une thématique qui questionne, sur le fond, la société française et ses discriminations. L’écrivaine de 26 ans, raconte, entre autres thématiques puissantes, une histoire qu’elle connaît bien : celle de la construction identitaire d’une jeune musulmane lesbienne. Entrée en écriture à l’adolescence, à la suite du décès d’une petite cousine, pour tenter de comprendre ce qu’elle ne comprenait pas dans la “vraie” vie, Fatima Daas n’arrêtera plus d’écrire. Des ateliers et des premiers textes de ses années de lycée au master de création littéraire, l’écriture l’a accompagnée tout au long de sa (jeune) existence, sans que jamais elle ne doute de son importance. Forte, fière et en phase avec ses paradoxes, Fatima Daas incarne une génération d’artistes au plus près de son identité et de ses valeurs.

MIXTE. Tu commences à écrire à l’adolescence, pour pallier un manque, une douleur. En 2020, tu publies La Petite Dernière, qui traite d’une autre réalité que tu connais. Comment as-tu construit ce roman ?

FATIMA DAAS. J’étais dans un cours du Master de Création Littéraire, et je travaillais avec un groupe de ma promo sur l’écriture d’une contre-fiction liée à l’Islam. À ce moment-là, j’ai écrit un texte sur mon rapport personnel à la religion. Et tout de suite, j’ai créé le per-

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sonnage de Fatima, une sorte de double fictionnel, qui se retrouve confrontée à cette opposition entre homosexualité et Islam. La Petite Dernière est donc né de ce conflit-là. J’avais vraiment envie d’en faire un roman éclaté : c’est-à-dire de pouvoir parler de points de contradiction, de la notion du choix, de la norme, d’exclusion, mais aussi du sentiment qui fait qu’on ne se sent jamais vraiment à sa place. Pour moi, ça se manifestait évidemment de différentes façons : Française d’origine algérienne, petite dernière d’une fratrie, musulmane, lesbienne… Mais c’était important pour moi d’aller plus loin que l’Islam et l’homosexualité. J’ai l’impression que les gens s’en rendent moins compte, mais j’ai aussi écrit sur l’amour, l’amitié, l’amour, les relations…

M. Il y a une forte présence de l’arabe dans ton texte, quel est le rapport que tu entretiens à ta langue maternelle ? F. D. C’est une relation à la fois de conflit et d’amour. Moi j’ai toujours davantage parlé le français, l’arabe étant la langue de mes parents, celle avec laquelle on s’adressait à moi. Quand on naît en France, qu’on est la petite dernière et qu’on parle l’arabe de manière un peu tordue et maladroite, avec un mauvais accent, forcément on développe un léger complexe. Mais c’est une langue que j’aime énormément. Aujourd’hui, j’ai envie de l’apprendre, de savoir la lire, l’écrire.

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“EN PLUS DE L’HOMOPHOBIE, DU CLASSISME, DU RACISME ET DE L’ISLAMOPHOBIE, JE ME SUIS APERÇUE QUE JE POUVAIS ÊTRE VICTIME D’ÂGISME.”

M. L’écriture du roman a aussi été nourrie de ta rencontre avec d’autres femmes lesbiennes musulmanes, ou de culture islamique, et pour certaines issues de l’immigration. Qu’as-tu appris de ces rencontres ?

F. D. Qu’on n’a pas à choisir entre être musulmane et lesbienne, qu’il est possible de concilier les deux de multiples façons. Ce qui était important, c’était de dire aussi qu’on n’a pas à renoncer à sa religion. Si on arrive intimement à la vivre avec son homosexualité, alors personne n’a à nous dire ce que l’on peut être ou ne pas être. M. Il y a peu de romans en France qui parlent d’homosexualité et de foi (encore moins coranique) contrairement aux États-Unis, avec Living Out Islam: Voices of Gay, Lesbian, and Transgender Muslims, un recueil de témoignages de personnes LGBT et musulmanes, ou If You Could Be Mine, le roman d’amour lesbien en Iran de Sara Farizan. Ça doit être difficile de se construire sans repères ? F. D. C’est vrai qu’au niveau de la représentation, on n’y est pas ! Je dois reconnaître que je me suis dit pendant très longtemps qu’être une femme lesbienne et musulmane, ça ne pouvait pas exister. J’ai vraiment grandi seule, sans aucune représentation ni connaissance sur le sujet. C’est extrêmement difficile de ne rencontrer personne qui nous ressemble. On finit par se dire qu’on est

la seule et qu’il faut changer. Grandir sans aucun exemple auquel se rattacher ou s’identifier nourrit l’incompréhension et l’ignorance, mais aussi une grande souffrance. C’est un sentiment qui a été très prégnant dans mon parcours et c’est aussi pour ça, je pense, que j’ai publié ce roman. L’idée était clairement de changer ce paradigme. Quand le roman est sorti, j’ai reçu plein de messages de lectrices qui me remerciaient d’avoir écrit des choses qu’elles n’avaient jamais lues ailleurs. C’est là que je me suis dit que quelque chose de fondamental était en train de se passer. J’ai compris que ce sentiment d’urgence qui m’a poussé à écrire était ressenti par une multitude d’autres personnes. Ça m’a fait repenser à ma période d’adolescence, entre 13 et 15 ans. Je n’avais aucun élément sur lequel m’appuyer. Rien dans ma vie, ni en littérature ne faisait que je me sentais représentée. Il n’y avait pas le moindre miroir pour m’aider à savoir qui j’étais. M . Au-delà de ta religion et de ta sexualité, y a-t-il un autre domaine dans lequel tu as senti que tu devais affirmer et revendiquer ton identité ? F. D. Ayant vécu en banlieue, je me suis longtemps demandé comment il fallait que je parle en public, ça me faisait peur. Jusqu’au moment où je me suis finalement dit que si j’avais envie de dire “wesh” à la fin de ma phrase, je le dirais. Je ne voulais plus cacher d’où je venais ni atténuer ce qui m’a construite. C’était important que je ne me transforme pas en ce qu’on attendait de moi. J’en ai d’ailleurs fait un leitmotiv aujourd’hui : m’accepter complètement, venir et me présenter comme j’en ai envie, m’habiller comme bon me semble ou dire ce qui me passe par


la tête. J’ai envie de dire “wesh” ? Pas grave. De toute façon, c’est marqué dans mon corps, dans ma manière de parler, dans mon langage, par mon humour. C’est une force, pas un handicap. M. Quand as-tu conscientisé qu’en plus de subir de l’homophobie et du racisme, tu étais aussi victime de classisme ? F. D. C’est vraiment en écrivant le roman que j’ai pris conscience du lien qui existe entre ces discriminations. Je pense qu’avant, j’avais tendance à séparer les choses. Or l’intersectionnalité, c’est subir simultanément de multiples formes de discriminations. C’est pour ça qu’avec le temps, je me suis sentie de plus en plus proche du féminisme intersectionnel, ça m’a permis de parler de manière libre, sans avoir à justifier en permanence tous mes mots, sans devoir tout expliquer. Mais en plus de l’homophobie, du classisme, de l’islamophobie et du racisme, je me suis aperçue que je pouvais parfois aussi être victime d’âgisme. Souvent, on me rappelle mon âge, on me fait sentir que je ne mérite pas d’avoir ce statut si jeune. Ou alors on insinue que l’écriture ce n’est pas du travail, que je ne suis pas légitime pour ça. La littérature reste un monde de personnes blanches intellectuelles et plutôt âgées. Trop souvent, j’y ai entendu des questions du genre : “Est-ce que vous vous sentez légitime ?” ou “Comment avez-vous trouvé la légitimité pour écrire ?” Or je ne me suis jamais posé ces questions-là ! L’écriture a été une rencontre évidente. M. Par rapport à ce vécu, quel regard portes-tu sur la génération suivante ? F. D. Je trouve qu’elle a une vraie force. Cette génération est hypersensible, hyperconcernée… C’est en tout cas ce que j’ai pu observer avant

même d’avoir publié La Petite Dernière, en allant à plusieurs reprises dans les lycées faire des interventions de sensibilisation avec un club LGBT. Les élèves étaient dans des réflexions incroyables qu’à leur âge, j’étais incapable d’avoir. Je me souviens d’un cours de sciences économiques et sociales où on avait parlé, justement, du mariage pour tous. J’étais là à me taire, alors que j’étais de nature plutôt bavarde. En fait, je n’avais pas peur de la réaction des autres, mais de la mienne. J’avais honte d’être lesbienne, donc je ne voulais pas que les gens le sachent. Je me rends compte qu’à ce niveau-là, il y a vraiment quelque chose qui a bougé car, parmi les élèves que j’ai rencontré.e.s, il y avait des personnes homosexuelles et je n’ai pas eu l’impression de ressentir ce mal-être qui moi m’a trop longtemps poussée à me cacher. Comme beaucoup de gens de mon âge, j’ai été confrontée très longtemps à l’impossibilité de dire et de montrer qui j’étais. De le vivre.

M . Mixte fête cette année ses 25 ans. Toi aussi, étant née en 1995, tu es possiblement en train d’expérimenter un questionnement existentiel qu’on appelle une “crise du quart de vie”. Estce que c’est un concept qui te parle ? F. D. Oui, absolument. Ça fait écho à tout ce que je t’ai dit avant. 25 ans, c’est comme un entre-deux. Ce que je veux

dire, c’est qu’il y a l’avant : la manière dont je me suis construite, comment j’ai appréhendé les choses et compris certains mécanismes, et il y a aujourd’hui, l’après, qui correspond à comment je vais évoluer dans cette période où les mouvements, les luttes et les engagements sont de plus en plus forts. Je dois dire que c’est difficile de se projeter, car il y a beaucoup de craintes qui subsistent et encore un tas de choses qui me révoltent. Dès que je suis témoin d’une situation de discrimination, je suis encore très en colère ! Et pour que cette révolte se dissipe, il me faudra encore du temps, il faudra que j’écrive, que j’agisse davantage. M . Est-ce que la devise “Liberté, Égalité, Mixité”, thème de ce numéro anniversaire, te semble réalisable ? F. D. C’est sûr qu’on doit y croire, surtout quand on voit les discours discriminants qui viennent nous rabâcher la même chose sur le séparatisme, sur la façon dont les femmes s’habillent, etc. Ces trois mots réunis, ça me semble tellement le paradis sur Terre ! En tout cas, c’est l’espérance qu’on a, ce pour quoi on doit se battre.

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R O B E E N D E N TELLE D E VIS C O S E À FI N ITI O N M ÉTALLI Q U E , S O UTI E N - G O R G E ET C U LOT TE E N VIS C O S E , SA N D ALES “F E N D I FI R ST” E N C U I R À TALO N S E N M ÉTAL, M O N O B O U CLE D’O R EILLE E N M ÉTAL D O R É F E N D I . PA G E D E D R O ITE : V ESTE E N C U I R R ETO U R N É , B R A S SI È R E E N M A ILLE , J U P E E N D A I M , C EI N TU R E E N M ÉTAL D O R É , M O N O B O U CLE E N M ÉTAL D O R É F E N D I .

PROPOS RECUEILLIS PAR THÉO RIBETON. PHOTOS BOJANA TATARSKA. RÉALISATION GAULTIER DESANDRE NAVARRE. GARANCE MARILLIER EST HABILLÉE EN FENDI.

GARANCE MARILLIER EST L’UNE DES ACTRICES LES PLUS DÉTER DE SA GÉNÉRATION.

ATOUT CHOC DE LA PALMÉE D’OR JULIA DUCOURNAU, CETTE FOIS DANS TITANE,

GARE À GARANCE



Plus on se fait rare, plus on maîtrise le game. Surtout quand, à l’image de Garance Marillier qui n’a joué que trois rôles au cinéma en cinq ans (Pompéi de John Shank et Anna Falguères, Madame Claude diffusé sur Netflix et Warning d’Agata Alexander, toujours en attente de sortie), on sélectionne soigneusement ses projets avec envie, assurance et détermination. Ce n’est pas une surprise. Depuis le début de sa carrière, l’actrice française a dégagé l’impression paradoxale d’une grande jeunesse et d’une immense maturité, comme ces gosses têtus et sérieux qui n’ont pas de temps à perdre avec la légèreté de l’enfance. Très tôt initiée au théâtre, à la musique et au cinéma par une mère administratrice de production au théâtre et un père directeur musical, Garance décroche son premier rôle à 11 ans dans le court métrage de Julia Ducournau, Junior. Une aubaine pour la fillette hyperactive qu’elle est à l’époque et qui préfère déjà être debout sur scène plutôt qu’assise en classe. Un bon pari sur l’avenir aussi, puisque, sept ans plus tard, elle reçoit une nomination au César du meilleur espoir féminin pour Grave, long de la même réalisatrice, qui vient d’ailleurs de remporter la Palme d’or pour son second long métrage Titane, un film de genre queer et punk dans lequel on retrouve Garance. Autant dire qu’avec ce nouveau chef-d’œuvre, l’actrice arme son tir pour entamer à tout juste 23 ans le second temps d’une carrière marquée par un travail accru du corps, une quête permanente d’intensité et une puissance naturelle sans comparaison pour sa génération.

MIXTE. À l’heure où nous faisons cette interview, tu sors tout juste de l’effervescence du premier festival de Cannes de l’ère Covid-19. Comment as-tu vécu ce retour au cinéma et dans les salles ?

G A R A N C E M A R I L L I E R . À vrai dire, j’avais peur de m’être habituée au visionnage à domicile. J’avais même un peu la flemme d’en sortir… Mais dès que je me suis assise, ça a été un truc de fou. Rien ne peut remplacer l’expérience de la salle, les sièges, les gens qu’on ne connaît pas, les réactions qu’on entend. Et il n’y a qu’au cinéma qu’on se met en danger, qu’on va voir un film avec un a priori et qu’on en ressort avec une idée différente ; ou qu’on se laisse embarquer par un pote sans savoir si ça pourra nous plaire. Ces

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films-là, à la maison, on les coupe et on zappe au bout de vingt minutes. C’est le cinéma qui permet de brasser ça. M. Tu étais à Cannes pour Titane de Julia Ducournau avec qui tu as déjà collaboré plusieurs fois. Comment vous êtes-vous rencontrées ? G. M. Un jour, ma mère est tombée sur une annonce de casting pour un court métrage, un personnage de garçon manqué avec un fort tempérament, qui me correspondait parfaitement. C’était pour Junior, le tout premier film de Julia. Quand j’ai passé le casting, je n’ai pas compris que c’était elle qui se trouvait face à moi. Je devais jouer une scène d’impro où il fallait s’embrouiller, et moi je n’avais jamais fait de théâtre, je ne possédais pas les codes, donc j’ai cru qu’on était vraiment en train de s’embrouiller : elle m’attaquait sur mon physique, je le prenais vraiment pour moi… Lors d’un deuxième rendez-vous, je retombe sur elle. Je me dis : “Merde, encore elle !” et je lâche : “Mais je pensais voir la réalisatrice ?” Et elle me répond : “Bah c’est moi !” M. Julia et toi avez une quinzaine d’années d’écart, mais au fond, Junior étant son premier court, on peut effectivement se dire que vous avez démarré conjointement, sans rapport d’autorité. G. M. Il y a même un mimétisme parce que Junior, c’est aussi son histoire. La première fois que j’ai fait des essais, elle s’est mise à pleurer : il y avait un vrai truc de miroir. M. Au point de devenir une relation de travail extrêmement forte et suivie… G. M. Oui, avec un téléfilm, Mange, puis Grave, jusqu’au tournage duquel je ne pensais pas en faire mon métier. J’étais dans un rapport paradoxal. À la fois je désacralisais totalement le succès, ce que mon âge pouvait sans doute expliquer – mes deux premiers courts métrages, Junior et Ce n’est pas un film de cow-boy de Benjamin Parent, avaient été pris à la Semaine de la Critique à Cannes, j’avais du coup tendance à considérer que c’était normal –, et j’avais aussi le sentiment de vivre une succession de coups de chance, ce qui m’empêchait de me projeter vraiment dans le métier. C’est sur le tournage de Grave que ça a changé. J’ai rencontré Adèle Haenel, qui tournait La Fille inconnue des frères Dardenne à Liège, comme nous et au même moment. J’avais 16 ans, et c’est elle qui m’a poussée à me jeter à l’eau. Je me suis inscrite en école de théâtre juste après.

M . Aujourd’hui, comment définirais-tu ta relation avec Julia Ducournau ?

G. M . C’est comme un alter ego. On a une confiance aveugle l’une en l’autre, on n’a plus besoin de se parler pour se comprendre. On s’est toujours vues en dehors du travail, on part en vacances ensemble, je connais sa famille et elle la mienne. Sur le plateau, c’est l’osmose. J’arrive à tout lui donner parce que je sais que les choses ne sont jamais gratuites, qu’elle prend mais qu’elle donne toujours en retour. La preuve, c’est que je l’ai même aidée à trouver Agathe Rousselle pour Titane après avoir lu le scénario il y a longtemps. C’est même moi qui ai donné la réplique au casting. À un moment, Julia m’a proposé de le passer, tout en me disant que le personnage ne me correspondait probablement pas. J’ai relu le scénario et je me suis dit qu’en effet, le rôle n’était pas pour moi. Ça aurait été de l’ego de vouloir forcer pour l’avoir. Le second rôle, qui est un peu un clin d’œil, me correspond beaucoup mieux. Je sais que Julia a une très grande loyauté : elle travaille avec la même équipe, avec le même producteur, depuis son premier court. On verra bien ce que l’avenir nous réserve ensemble. M . Comment travaille-t-elle avec ses actrices ? Je pense notamment à la question des scènes de violence et de sexe dont l’approche a été ces dernières années très débattue avec l’apparition aux États-Unis des “intimacy experts”, ces personnes en charge d’assurer aux actrices un environnement safe pour les scènes à risque ? G. M . Je suis arrivée dans le cinéma avec une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices qui n’a jamais eu de problème avec tout ce qui est scènes de sexe ou de violence. Mais il faut quand même dire une chose, c’est que ce sont des moments qui font peur à tout le monde sur un plateau, pas seulement aux actrices. Ce n’est une partie de plaisir pour personne, et du coup ça optimise le travail : il faut que ce soit carré, en équipe réduite, sans aucun débordement. Même s’il n’y a pas, à proprement parler, d’intimacy experts en France, il y a quand même un quota officieux de femmes sur les plateaux, ce qui est déjà pas mal.

M . À quels postes dirais-tu que la prise de conscience est nécessaire sur cette question de l’intimité pour sécuriser les tournages ? Au niveau des directeurs de casting, des réalisateurs ?


C H E M IS E E N SATI N , S H O RT E N J E R S EY, C O LL A N T “K A R LI G R A P H Y”, B OT TES E N C U I R , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S , M O N O B O U CLE E N M ÉTAL D O R É F E N D I .


PA G E D E D R O ITE : C H E M IS E E N S O I E , J U P E-TU B E E N L A I N E , M O N O B O U CLE D’O R EILLE E N M ÉTAL D O R É ET M O N O B O U CLE D’O R EILLE E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S F E N D I .

TR E N C H E N L A I N E , B R A S SI È R E E N M A ILLE , C H E M IS E E N S O I E , S H O RT E N FL A N ELLE D E C A C H E M I R E , C O LL A N T “K A R LI G R A P H Y”, B OT TES E N C U I R , SA C “F E N D I FI R ST” E N L A I N E , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S , M O N O B O U CLE E N M ÉTAL D O R É F E N D I .



G. M . Chaque place est déterminante. Même s’il y en a, évidemment, qui sont plus en lien que d’autres avec les comédiens. C’est le cas de l’équipe son, par exemple, parce qu’on vient te mettre des micros sur le corps, et là ce sont généralement plutôt des hommes. Et aussi le staff chargé des vêtements, mais là ce sont plutôt des femmes, les costumières. Mais je pense que c’est une tendance globale. Après, les personnes les plus bancales et problématiques que j’ai rencontrées jusqu’à maintenant, ce sont sûrement les journalistes. Il y a un vrai problème de questions déplacées, d’interviews qui démarrent directement par un : “Alors, ça fait quoi de jouer dans le film d’une réalisatrice, de jouer une femme forte ?” Ou bien des manques aggravés de pudeur, liés à cette façon d’être un peu pote avec tout le monde en oubliant qu’il y a tout de même un espace protégé. M. Quel est ton ressenti sur l’attente médiatique qu’il y a depuis quelque temps sur les actrices, notamment celles qui sont politisées : Camélia Jordana, Adèle Haenel, Aïssa Maïga… G. M . On a un peu parlé l’année dernière avec Adèle Haenel, au moment où il y avait plein de manifestations. Moi je ne me sens pas légitime pour parler de sujets aussi complexes et délicats que les grands thèmes sociétaux. Je n’ai pas envie de dire de bêtises, ni de blesser des gens et je trouve qu’on demande trop souvent leur avis aux acteurs sur des choses qui les concernent peu. Je ne me sens pas à l’aise avec l’idée d’être un personnage public. Je suis là pour parler de mon travail. M. Parlons-en, justement. Tu tournes en ce moment le nouveau film de Hamé et Ékoué, issus du groupe La Rumeur. Peux-tu nous en dire un peu plus ? G. M . C’est difficile à résumer car c’est surtout un portrait de quartier, inspiré du 19e arrondissement de même que leur premier film rendait hommage à Pigalle (Les Derniers Parisiens), avec plusieurs trames. En gros, c’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe enceinte, et son mec est en prison. Elle doit se débrouiller avec les moyens qu’elle a et elle commence à tomber un peu dans des affaires. Elle organise des soirées avec des voleurs et des escorts. C’est tout ce que je peux dire pour le moment…

M. Tu peux peut-être nous en dire plus sur H 24, 24 h de la vie d’une femme ? C’est une série de 24 épisodes distincts,

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tournée pour Arte. Tous sont inspirés de faits divers réels et racontent l’expérience d’une femme d’aujourd’hui. Il y a un casting incroyable qui rassemble une grande diversité d’actrices : Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Laetitia Dosch, Déborah Lukumuena, Noémie Merlant, Florence Loiret-Caille, Camille Cottin… L’épisode dans lequel je joue parle d’une affaire d’abus sexuel par un coach dans le milieu du football féminin.

M. As-tu rencontré la victime ? G. M. Oui, a fortiori parce que je joue désormais dans l’équipe dans laquelle ça a eu lieu. M. Les Dégommeuses ? G. M. Non, j’ai joué un an avec les Dégommeuses, une association très militante et politisée, ce qui est super. Mais depuis quelques années je suis dans une asso qui s’occupe un peu plus prosaïquement de jouer. Mais il faut savoir que, dans le foot féminin, il n’y a aucune asso qui ne soit pas militante, dans la mesure où c’est tellement dur d’exister qu’il faut toujours se battre. Là, par exemple, ça fait deux ans qu’on n’a toujours pas de créneau sur un terrain, et les gens à qui on le demande nous répondent très clairement que s’ils en avaient un, ils ne le donneraient jamais à des femmes. On parle d’adjoints au maire, de gens qui sont très concrètement dans la politique. C’est chaud ! M. Si on regarde ta filmographie, entre Julia Ducournau, mais aussi Sylvie Verheyde, Émilie Deleuze, tu as plutôt travaillé avec des réalisatrices… G. M. (Garance interrompt)… Non, j’ai travaillé avec plus de réalisateurs que de réalisatrices ! Peut-être que les films que j’ai faits avec des femmes sont plus marquants… Mais si la suite de ta question était : “Est-ce que c’est un choix ?” Ma réponse est non. C’est toujours la rencontre d’une personnalité, d’un propos qui m’importe. M. Mais tourner avec une réalisatrice peut aussi permettre une plus grande confiance, un environnement de travail plus safe, non ?

G. M. Si je m’engage, c’est que je suis en confiance. Je l’ai donnée à des hommes comme à des femmes, et jusqu’ici ça m’a plutôt réussi. M. Tu n’as pas de regrets, d’expériences douloureuses ? G. M. Il y a toujours des expériences qui sont plus douloureuses que d’autres, des tournages plus laborieux,

voire éreintants. Et quelquefois aussi des regrets qui naissent de rôles que j’ai refusés, sachant que j’ai toujours essayé de varier, de ne pas me laisser enfermer dans un registre. Si j’avais dû m’écouter, moi et mon pur plaisir, je me serais éclatée dans le cinéma de genre, puisqu’après Grave on ne m’a proposé que ça et que c’est une vraie jouissance. Mais si j’avais dit oui à tout, j’aurais été finie dans quelques années. Donc je me suis réfrénée, j’ai refusé des trucs qui m’excitaient pourtant à fond – et dont je ne peux évidemment pas parler – c’était des choix difficiles. Mais globalement pour ce qui est tourné, je n’ai heureusement encore jamais regretté un projet, tout m’a toujours apporté.

M . Sous le titre Raw, Grave a eu un petit succès aux États-Unis, comparable à celui qu’a pu connaître un réalisateur comme Gaspar Noé, par exemple. Estce que ça ne pourrait pas t’apporter un début de carrière américaine ? G. M . Si, clairement. Là-bas, ils ont un rapport au corps et au jeu beaucoup plus animal et instinctif que chez nous ; ce qui me plaît beaucoup et me correspond davantage. Je suis en train de matérialiser ce projet avec mon agent américain. J’ai d’ailleurs tourné dans une production américaine, un film d’anticipation qui, à mon avis, peut être très bien, Warning d’Agata Alexander. Mais je n’ai toujours pas de nouvelles concernant la date de sortie depuis que le coronavirus est passé par là… M . D’ailleurs, comment s’est passée cette période pour toi, personnellement et professionnellement ? G. M . À partir de la reprise des tournages, à la fin du premier confinement, j’ai énormément travaillé. Donc c’est devenu un peu virtuel pour moi, contrairement à d’autres métiers qui sont réellement restés à l’arrêt, jusqu’à aujourd’hui pour certains. J’ai bien sûr conscience que c’est un luxe. En plus, je fais partie de ceux qui ont bien vécu ce premier confinement. J’étais retournée chez mes parents, dans un appartement avec une petite terrasse. Je vivais comme une ado, les préoccupations de la journée se limitaient au repas et au film à regarder le soir. C’est étrange, mais j’en suis même encore un peu nostalgique.


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V ESTE D E S M O KI N G E N G R A I N D E P O U D R E , M O N O B O U CLE ET C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S , M O N O B O U CLE ET M O N O B O U CLE C AD E N A S E N M ÉTAL D O R É F E N D I .


COIFFU R E : C HARLOT TE D U BR EUIL @ M ARI E FR A N C E THAVO N EKHAL A G E N CY. M A Q UILLA G E : KH ELA @ CALL MY A G E NT. M A N U CU R E : CRISTIN A CO N R AD @ CALLISTE. ASSISTA NT LU M IÈR E : STA N R EY- G R A N G . O P ÉR ATEU R DIGITAL : SAR AH R EI M A N N @ I M A GIN PARIS .

PA G E D E D R O ITE : C H E M IS E E N S O I E , B R A S SI È R E E N M A ILLE , S H O RT E N FL A N ELLE D E C A C H E M I R E , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S , M O N O B O U CLE E N M ÉTAL D O R É ET STR A S S F E N D I .

R O B E E N D E N TELLE D E VIS C O S E À FI N ITI O N M ÉTALLI Q U E , S O UTI E N - G O R G E ET C U LOT TE E N VIS C O S E , SA N D ALES “F E N D I FI R ST” E N C U I R À TALO N S E N M ÉTAL, M O N O B O U CLE D’O R EILLE E N M ÉTAL D O R É F E N D I .



ARCHITECHTURE TEXTE OLIVIA SORREL DEJERINE. PHOTOS JAMES SWOOPE.

LES PLUS GRANDS DE LA BIG TECH (TWITTER,

FACEBOOK, INSTAGRAM, SNAPCHAT) LE CONSULTENT, ET KANYE WEST, RIHANNA, BEYONCÉ ONT DÉJÀ FAIT APPEL À LUI POUR CRÉER DES EXPÉRIENCES DIGITALES INOUÏES. MAIS LES ASPIRATIONS D’IDDRIS SANDU VONT BIEN AU-DELÀ : DÉMOCRATISER LA TECH POUR BOUSCULER LE RÉEL.

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Il est 9 heures à Los Angeles et neuf de plus à Paris, quand nous entamons notre conversation avec Iddris Sandu, alors au volant de sa voiture à plus de 9 000 kilomètres de distance. À tout juste 24 ans, l’Américain occupe ses journées à exploiter le potentiel de la technologie dans un seul but : rendre un monde virtuel, de plus en plus prégnant, accessible à tous.tes. Né au Ghana, Iddris Sandu arrive à L.A. à l’âge de 3 ans. Huit ans plus tard, Steve Jobs dévoile le tout premier iPhone. Cette révolution digitale de l’époque marque le point de départ de la passion d’Iddris pour la technologie : il se met alors en tête d’apprendre seul des langages de programmation à la bibliothèque. Il en connaît une dizaine alors qu’il n’a que 13 ans, et décroche dans la foulée un stage chez Google. D’abord consultant pour les plus grands, il décide à 19 ans de s’associer avec des figures du hip hop pour démystifier la technologie et la rendre plus accessible. Il inaugure le tout premier smart store du monde avec le rappeur Nipsey Hussle, un magasin intelligent dans lequel les clients peuvent vivre des expériences de réalité augmentée encore inédites, puis devient le directeur de design et tech pour le fabricant Yeezy pendant plus d’un an. Son ambition grandit et l’amène à lancer son propre projet, Spatial Labs, un incubateur tech qui fait le pont entre la mode, le design et la culture en utilisant le pouvoir de la technologie. Surtout, Iddris Sandu a une autre volonté : changer l’ordre actuel des choses en nous aidant à comprendre que nous ne sommes pas voué.e.s à n’être que des consommateur.trice.s et que nous pouvons aussi être des créateur.trice.s. Réussira-t-il son pari ?

MIXTE. Tu te décris comme un “architecte digital”. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement ?

J’applique les méthodes d’un architecte traditionnel au monde virtuel, c’est-à-dire que je supervise et développe des espaces digitaux. Avec Spatial Labs, l’idée est de créer des expériences dans le monde digital et d’être capable d’améliorer ce qu’on pense être le réel. Par exemple, on a récemment développé un site web en réalité augmentée pour Beyoncé où on pouvait voir en 3D toutes les tenues qu’elle a portées. On a aussi imaginé une chaussure virtuelle pour Versace, dans le cadre du lancement de leurs sneakers Chain Reaction, qu’on pouvait explorer, essayer et placer n’importe où dans son environnement. Pour Adidas, on a réalisé une basket virtuelle avec un design écologique qui permettrait de freiner la pollution plastique. En plus de développer une semelle en 3D, notre but était de montrer le bénéfice pour l’environnement. Car pour aller voir ce tout nouvel accessoire, j’aurais dû prendre ma voiture, utiliser de l’essence… et donc polluer. Nous voulons créer des expériences virtuelles qui semblent très réelles, presque impossibles à distinguer de la réalité, pour les substituer à leurs alternatives réelles potentiellement nuisibles à l’environnement. M . La technologie n’est-elle pas une source de pollution, comme le prouve la création de crypto monnaie qui nécessite des quantités abyssales d’énergie, par exemple ? I. S. C’est une très bonne observation, mais si tu regardes autour de toi, la majorité des choses que l’on utilise ne sont pas forcément les plus respectueuses de l’environnement non plus. Il arrive souvent qu’un produit soit écologique quand il est vendu, mais les méthodes utilisées pour le fabriquer ne le sont pas toujours tant que ça. Chez Spatial Labs, on recherche comment on peut créer des expériences qui aident à réduire les risques qu’un produit ne soit pas durable, que ce soit

IDDRIS SANDU.

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dans l’itération, dans la production ou dans la consolidation. Si on peut sauver ne serait-ce que 30 % de pollution, c’est déjà ça. Ça nous apprend aussi la recyclabilité. Aujourd’hui, beaucoup de choses qu’on achète nécessitent des espaces pour être présentées. Si on peut permettre aux gens de les expérimenter dans leur environnement, on peut aussi leur apprendre ce que signifie être “durable digitalement”. Imagine que tu as un tee-shirt, et que chaque mois un nouveau contenu digital vient agrémenter ce vêtement, le customiser. Cela peut t’encourager à ne pas aller en acheter un autre, à le garder aussi longtemps que possible parce qu’il change et s’améliore avec le temps. C’est notre philosophie. Nous ne maximisons pas la réalité, pour l’essentiel nous agissons sur l’espace vide. Chez toi, en plus de ton mobilier, tu peux avoir des meubles digitaux qui occuperont l’espace et lui donneront plus de corps. M. Tu es très investi dans l’enseignement de la technologie aux jeunes, pourquoi ? I. S. C’est très important que la prochaine génération comprenne les possibilités de la technologie. Le problème, c’est qu’actuellement, on parle de “préjugés technologiques”. Or je crois

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plutôt aux préjugés des codes et des algorithmes. Si ces stéréotypes existaient, ça donnerait quelque chose du genre : “Je ne peux pas débloquer mon portable parce que j’ai la peau noire”. La technologie n’est qu’un outil, elle ne peut avoir de préjugés, mais les personnes qui créent et programment les outils, elles, oui. Il y a trois ans, j’ai eu l’idée de créer un tech hub au Ghana pour que la prochaine génération de leaders africains soit équipée des bons instruments pour créer de la technologie avec discernement et ne pas se contenter de la consommer. Parce que si quelqu’un crée une plateforme avec des stéréotypes et que d’autres personnes l’utilisent, ils ne font qu’accélérer l’ampleur de ces idées préconçues, sans avoir accès à l’information sur les moyens de les réduire. Aujourd’hui, en développant de la technologie, au lieu de faire de “l’innovation”, bon nombre d’entre nous ont dû faire ce que j’appelle de la “traumavation”, pensant innover alors qu’en réalité ils ne faisaient que créer des dérivés de leur trauma ou bien un instrument pour aller à l’encontre de celui-ci. Ce trauma étouffe l’innovation, dans la mesure où ta capacité à penser pour tout le monde est limitée par ce que cela représente

pour toi, et c’est comme si tu devais corriger quelque chose qui par nature était designée pour ne pas être corrigée. Le but est de créer une décentralisation des pensées, de l’accès, et d’offrir à tout le monde l’opportunité égale de créer.

M . Comment imagines-tu le monde du futur ?

I. S. Je le vois de telle manière que chaque enfant dès son jeune âge aura les outils pour être un créateur, quels que soient sa couleur, son genre et les circonstances. Si tu grandis en ne faisant que consommer, tu ne penses même pas qu’il te serait possible de créer, donc ça limite ta capacité à résoudre un problème. Quand tu es face à une difficulté, la première chose que tu fais c’est de te demander : “Qu’est-ce que je peux acheter ou consommer pour résoudre ce problème ?” Tu penses rarement à ce que tu peux construire pour y remédier. Ce sont les conséquences du développement de la technologie. Elle nous a submergé.e.s et nous a amené.e.s à penser que nous pouvions compter sur les Big Tech pour nous sauver ou pour créer des produits. Souvent, ces derniers promettent plus que ce qu’ils offrent, et ensuite on se retrouve à penser à comment ces plateformes sont porteuses de stéréotypes, etc.


“LE BUT EST D’OFFRIR À TOUT LE MONDE L’OPPORTUNITÉ ÉGALE DE CRÉER. QUE CHAQUE ENFANT DÈS SON JEUNE ÂGE AIT LES OUTILS POUR ÊTRE UN CRÉATEUR, QUELS QUE SOIENT SA COULEUR, SON GENRE ET LES CIRCONSTANCES.” C’est super d’identifier ces problèmes, mais c’est mieux de conceptualiser. Personne ne sera jamais capable de créer quelque chose qui résout 100 % des problèmes, mais à 99,99999 % oui. On ajoutera toujours un 9, et à chaque fois qu’on en ajoutera un, le produit s’améliorera. C’est ce qu’on s’efforce de faire quand on crée de la technologie. On ne devrait pas dire qu’elle va nous sauver, il faudrait commencer par dire qu’elle peut aider et rendre service à tout le monde. M. Tu es constamment en train de créer de nouvelles réalités. T’arrive-t-il de confondre réalité virtuelle et “vraie” réalité, s’il y en a une ? I. S. J’adore la chute de ta question : “s’il y en a une ?” parce que je pense vraiment que l’important est là. Rester lucide, même quand je suis en train de créer ces idées abstraites. Il s’agit vraiment d’être connecté au présent et d’avoir les deux pieds sur terre, parce que parfois on peut être trop dans l’espace et oublier ce qu’il se passe sur Terre. Le meilleur exemple, c’est cette envie de voyager dans l’espace. Et si on réparait d’abord les dégâts sur Terre ? L’imagination peut se révéler nocive pour l’humain. Gandhi a dit quelque chose comme : “La vitesse de dépla-

cement n’a pas d’importance si on va dans la mauvaise direction”. J’ai l’impression que parfois c’est ce qu’on fait précisément, on parle d’à quel point on est novateur, mais on évolue dans la mauvaise direction. Et aller vite dans la mauvaise direction signifie que ce sera encore plus long de revenir au point zéro. M . Quels sont tes projets dans les prochains mois ? I. S. Nous sommes en train de créer le futur du transport. Nous développons un nouveau système opérationnel qui démocratise l’accès aux services essentiels dans la maison. Parce qu’aujourd’hui, la façon dont on consomme la technologie repose sur l’hypothèse que tout le monde y a accès. Si tu veux télécharger l’appli Uber ou de la nourriture, il te faut un smartphone et internet, mais la réalité c’est que tout le monde n’y a pas accès, ou pas de façon illimitée en tout cas. Donc nous cherchons à créer un algorithme qui permettrait d’utiliser ces services sans posséder quoi que ce soit. Tu pourrais appeler quelqu’un sur FaceTime, regarder un itinéraire, commander à manger sans que le point d’entrée soit l’achat d’un portable à 500 dollars et une connexion internet. L’idée est de

permettre l’accès à tous. Je ne prends jamais une décision par pur logique, je me base sur l’empathie et l’intuition, et c’est ce qui me rend unique dans mon approche pour créer de la technologie. M . Le thème de ce numéro est “Liberté, Égalité, Mixité”, dérivé de la formule républicaine française “Liberté, Égalité, Fraternité”. Qu’en penses-tu ? I. S. La devise est super, mais j’aimerais te challenger un peu en t’invitant à t’éloigner de la “mixité” pour penser davantage “représentation”. Il peut très bien y avoir de la mixité dans un système, et pour autant les gens pourraient tout à fait là encore ne pas y être représentés. La mixité peut être une question de couleur, d’opinion, elle peut vouloir dire tellement de choses différentes... Mais, selon moi, elle ne fait que modifier des idées existantes alors que la représentation en encourage de nouvelles. En ce qui concerne la technologie et la mode, on a besoin de représentation de ce que cela pourrait être plutôt qu’une modification de ce qui est, et je pense que c’est ce que la mixité promeut : considérer quelque chose, regarder comment on peut continuer à modifier ce qui est dans la structure de cette chose, sans changer l’infrastructure elle-même.

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PO WER COU PLE TEXTE ANTOINE LECLERC-MOUGNE.

EN QUELQUES ANNÉES, LA PHOTOGRAPHE CARLIJN JACOBS

ET LE STYLISTE IMRUH ASHA ONT SU IMPOSER AVEC TALENT

ET AUDACE LEUR ESTHÉTIQUE COMMUNE, SINGULIÈRE ET PUISSANTE, SUR LA SCÈNE MODE INTERNATIONALE. ZOOM SUR UN JEUNE COUPLE DE CRÉATIFS ULTRA-DÉTER ET PASSIONNÉS. 104


A UTO P O RT R A IT D E C A R LIJ N ET I M R U H , R É ALIS É P O U R M IXTE .

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“XI E C H A OYU”, P H OTO CA R LIJ N JA C O BS , STYLIS M E I M R U H AS H A . PA G E D E D R OITE : BLO W U P , P H OTO CA R LIJ N JA C O BS , STYLIS M E I M R U H AS H A (10 AV RIL 2020).

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Ces derniers mois, si vous avez eu la chance de vous balader dans un Paris vidé de ses touristes (merci Miss Rona), vous avez probablement pu, sans le savoir, être confronté ici ou là au travail respectif de Carlijn Jacobs et Imruh Asha. C’est simple, les images qu’ils ont récemment créées se sont retrouvées placardées un peu partout dans la capitale française. Que ce soit au printemps dernier sur la devanture de la nouvelle boutique Carven, dont Carlijn a réalisé la campagne Printemps-Été 2021, ou cet été sur les panneaux de l’Hôtel de Ville, rue de Rivoli, qui affichaient les photos de sculptures vestimentaires réalisées par Imruh dans le cadre de l’exposition Future Shock en partenariat avec la Ere Foundation. A priori, rien d’étonnant à ce que ce jeune couple – ils viennent chacun de fêter leurs 30 ans cette année, big up ! – nous en mette plein la vue dans ladite capitale de la mode ; surtout quand on voit que même une pandémie n’a pas réussi à stopper l’ambition ni le génie créatif de ce duo néerlandais connu pour être l’un des plus gentils, marrants, curieux, bons vivants, chaleureux et bienveillants de l’actuelle industrie de la mode – ce qui est suffisamment rare pour être mentionné. En l’espace d’un an, Carlijn, récemment représentée par la très grande agence artistique Art & Commerce, a réalisé des campagnes pour des marques comme Mugler ainsi que des cover stories pour les magazines Pop ou Vogue Paris. Tandis qu’Imruh, qui vient de signer chez l’agence Streeters, a collaboré avec des magazines et des marques de renom comme M le Monde, Vogue (Paris, US, Italia), Louis Vuitton ou Moncler avant d’être nommé, il y a un an, Fashion Editor au magazine Dazed & Confused. Autant dire que, depuis que ces deux-là se sont rencontrés en 2014 dans un club d’Amsterdam, où Carlijn était venue prendre des photos de la soirée pour i-D Netherlands, chacun a géré ses bails comme il faut et s’est construit une carrière personnelle qui marche du feu de Dieu. Mais c’est quand ils ont commencé à travailler ensemble qu’ils ont compris qu’ils pouvaient faire des étincelles. “On s’est vite rendu compte qu’on avait la même vision et les mêmes envies, explique Carlijn. On se nourrit mutuellement et on s’épaule constamment. Dans tous les projets qu’on entreprend ensemble, on se donne toujours à fond.” Et Imruh d’ajouter : “On a clairement un langage verbal et visuel commun. Venant du même pays et étant de la même génération, on a les mêmes références. Cette complicité artistique nous apporte une énergie incomparable. Et on essaie toujours d’en tirer des choses nouvelles et différentes. On s’échange nos idées, on se challenge, mais chacun laisse aussi son espace à l’autre quand c’est nécessaire. Et on se dit honnêtement les choses quand on sent que certains aspects ne fonctionnent pas.” Cette confiance et ce soutien indéfectible, alliés à une communication franche et directe, semblent être l’atout majeur qui les a aidés à “surmonter les épreuves, les déceptions, la fatigue, l’énervement, parfois les pannes d’inspirations”. Et qui leur a surtout donné la possibi-

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lité de produire des images intenses à l’esthétique singulière. En témoignent les récentes photos qu’ils ont réalisées, comme la cover du numéro printemps 2021 de Dazed & Confused (une de leurs “plus grandes fiertés”) sur laquelle on voit une jeune mariée au look rétrofuturiste courir en direction du “monde d’après” en robe couture et sneakers blanches ou, plus récemment, la toute dernière campagne PrintempsÉté 2022 de Jacquemus où des chiens volent clairement la vedette à des mannequins dont on ne voit volontairement plus le visage. Du génie. Il semble loin le temps où leur toute première collaboration avait consisté à créer des look books pour le site du concept-store SPRMRKT (supermarket), sorte de Colette local situé sur l’artère Rozengracht d’Amsterdam où travaillait Imruh. Aujourd’hui, le lieu a fermé ses portes, mais il a sans aucun doute permis à Carlijn et Imruh d’en ouvrir beaucoup d’autres, comme la fois où, lors d’un voyage à Paris en 2015, ils découvrent, émerveillés, la boutique de Pierre Cardin, Faubourg Saint-Honoré. “Quand on a vu les vitrines et les vêtements, on a été subjugués ! se remémore Carlijn. On a vraiment eu la sensation que c’était la pièce manquante qui complétait notre puzzle créatif, que ce soit en matière de mode, de design, de meubles, de couleurs, de formes…” “Carrément ! acquiesce Imruh. Avec ses références à la fois très abstraites, graphiques, géométriques et futuristes, Pierre Cardin est certainement la référence qui nous correspond le mieux à tous les deux. C’est même lui qui nous a poussés à déménager à Paris.” En effet, à l’instar de l’esthétique de Cardin, celle de Carlijn et Imruh est empreinte de couleurs vibrantes, de modèles à l’allure puissante, d’un soupçon de surréalisme et d’une pointe d’étrangeté avec, la plupart du temps, un élément ou accessoire inattendu et surprenant dans la composition. L’un des meilleurs exemples de ce processus créatif reste sans doute les images que Carlijn et Imruh ont produites pendant le premier grand confinement mondial de l’ère Covid-19, au printemps 2020. Le défi qu’ils se sont lancé à l’époque : réussir à créer chez eux au moins une image par jour avec les moyens du bord, alors que le monde entier était en pause et qu’ils pouvaient à peine mettre le nez dehors. Le résultat ? Des photos insolites comme celle d’une mannequin nue portant une paire de lunettes noires avec plusieurs sacs-poubelles violets remplis d’air en guise de vêtements, de masque et de couvre-chef. “Je crois que notre but est de produire des images fortes, souligne Carlijn. Des images puissantes et impactantes qui vont faire que celui ou celle qui les regarde se dise : ‘Waouh !’” “On veut que les gens soient surpris par l’image, confirme Imruh. Mais une fois cet état de surprise passée, notre souhait est que nos images finissent par devenir une évidence et une référence aux yeux de tous.” Qu’ils se rassurent, celles qu’ils ont créées jusqu’ici leur ont déjà permis de faire leur entrée au panthéon de la pop culture et de l’iconographie de mode.


P H OTO C A R LIJ N J A C O BS , STYLIS M E I M R U H A S H A P O U R A M A G A ZI N E C U R ATED BY (N O V E M B R E 2020).

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“CYP R I E N B O U R R EC”, P H OTO C A R LIJ N J A C O BS , STYLIS M E I M R U H A S H A . C O IFF U R E O LIV E R S C H A W ALD E R . PA G E D E G A U C H E , P H OTO C A R LIJ N J A C O BS , STYLIS M E I M R U H A S H A P O U R A M A G A ZI N E C U R ATED BY (N O V E M B R E 2020).

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P H OTO C A R LIJ N J A C O BS , STYLIS M E I M R U H A S H A . O UT TA K ES , V O G U E ITALI A (J A N VI E R 2021).

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SEXUAL HEALING DANS LE SILLAGE DE LA PANDÉMIE ET DE #METOO, LES ANNÉES 2020 MARQUERONT-ELLES L’AVÈNEMENT D’UNE SEXUALITÉ PLUS LIBRE, PLUS MIXTE ET PLUS ÉGALITAIRE ? TEXTE ANTHONY VINCENT. ILLUSTRATION STELLA POLARIS.

“Réveille-toi, c’est l’an 2000 ! Dans le nouveau millénaire, il ne sera pas question d’étiquettes sexuelles, mais d’expression sexuelle. Ça n’aura pas d’importance que tu couches avec des hommes ou des femmes. Il s’agira de coucher avec un individu. Ou deux ou trois. Bientôt, tout le monde sera pansexuel. L’important ne sera pas de savoir si tu es gay ou hétéro, mais si tu es bon ou mauvais au lit”, annonçait Samantha Jones en 1999 dans Sex and the City (saison 2, épisode 16). Force est de constater qu’en 2021, la prédiction du personnage le plus cool et sexepositif de la série (qui ne fera pas partie du énième reboot) tend à se vérifier. Et ce, de façon surprenante, à travers la pandémie.

RETOUR DE FLAM ME Le monde est “cho”. C’est la marque Suitsupply qui le dit aussi, à travers une campagne baptisée The New Normal, pleine de peaux huilées et de baisers baveux, entre belles personnes

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de différentes identités de genre et de sexualité. Une orgie qui transpire le sexe et le consentement entre bons vivants, dévoilée en mars 2021, soit pile un an après que la Covid-19 poussait l’Europe à se confiner. Après tant de restrictions sanitaires et sociales, ces démonstrations publiques d’affection placardées dans les rues et sur les murs des réseaux sociaux ont eu le don d’en faire rager plus d’un. Et d’en faire baver beaucoup plus. D’autres campagnes ont suscité le désir de se galocher goulûment, sans masque et sans reproche, comme L’AMOUR de Jacquemus : des images pleines de tendres étreintes entre personnes, souvent du même genre, qui ressemblent à des couples de la vraie vie. Roulage de patins pour tous également chez Diesel, Paco Rabanne ou encore The Kooples. Si cela peut ressembler de loin à la recette éculée du porno-chic des années 1990-2000, ces nouvelles campagnes s’émancipent de la baise taillée pour le male gaze dans le but d’embrasser une version plus inclusive et égalitaire. C’est le contexte sanitaire et social qui les rend d’autant plus frappantes, attendrissantes et sexy, d’après Elodie Nowinski, sociologue et historienne de la mode, qui dirige la faculté des industries créatives de Glasgow : “Avec l’avènement des applis de rencontres, il est presque devenu plus facile de trouver un plan cul que des partenaires romantiques, alors tabler

sur la tendresse plutôt que le pornochic suscite autrement le désir. En cette période de pandémie, l’intimité partagée devient même un luxe”. Exit le sexe qui érotise outre mesure des rapports de domination dans des poses improbables, éclairés par des lumières trop crues, avec prise de vue en plongée pour mieux retranscrire un regard de mâle surplomblant, option morcelage de corps comme à la boucherie. De toute façon, les images pornos sont déjà tellement facilement disponibles que des pubs mode qui jouent sur les mêmes codes au premier degré font difficilement mouiller. Alors, comme souvent après une période de crise, de guerre ou de grande épidémie, on se réfugie dans la tendresse : “Fin des années 1960-1970, on avait déjà ce genre de célébration d’amours plurielles, qu’on voyait beaucoup dans la musique, un peu dans les magazines de mode, mais c’était beaucoup moins mainstream”, rappelle la sociologue et historienne.


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POURVU QU’ON AIT L’ORGASME Puisque la pandémie a surimposé la possibilité de tomber gravement malade, voire de mourir, quel que soit son genre, sa sexualité, son âge, sa classe sociale, l’amour et le sexe nous rassurent, nous raccrochent à la vie, poursuit-elle : “Les marques le savent bien et performent ce discours à travers leurs pubs pour bien se positionner, véhiculant des émotions positives en cette période anxiogène. Que les médias fassent tant écho aux années folles de 1920 ou de libération sexuelle des années 1960 et 1970, c’est du storytelling déjà prêt, qui parle à tout le monde afin de faire plaisir, rassurer, et vendre du papier en même temps que des fringues, dans l’espoir d’une prophétie autoréalisatrice”. En atteste le message laissé par une internaute sur le répondeur du média Vice en avril 2021, en forme de SOS de jeunes en détresse de sexe : “Je t’appelle concernant une question qu’on n’aborde pas en cette période de merde : pourquoi on ne parle pas de la baise ? On fait comment ? Eh, Macron ! Ils font quoi les célibataires ? Tout le monde est en dép’, on fait comment pour ken ? On a tous envie d’une bonne marée humaine, de sueur, danser collé-serré. Les trucs sexy !” Compliqués autant qu’accrus par la pandémie, le désir et les pulsions grandissent. Dès mars 2020, la marque productrice du fameux sex-toy Womanizer affichait, par exemple, une explosion réjouissante des ventes par rapport à ses prévisions : + 75 % aux ÉtatsUnis, + 71 % à Hong Kong, + 60 % en Italie, + 40 % en France, ou encore + 135 % au Canada. De quoi stimuler les hormones de bien-être, en solo ou à plusieurs, en attendant le nouveau

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monde. Au début de la pandémie, Pornhub Premium devenait d’ailleurs gratuit, comme s’il s’agissait d’un effort de guerre. Du côté d’OnlyFans, les inscriptions sont passées de 20 millions d’utilisateurs avant la Covid-19 à 120 millions aujourd’hui. La plateforme britannique qui ubérise le porn enregistre sept fois plus de transactions, qui dépassent désormais 1,7 milliard de livres sterling. Ses revenus ont augmenté de 553 %, signe de sa popularité grandissante auprès d’une audience en quête de divertissement et/ou d’un moyen d’arrondir ses fins de mois, voire de se (re)créer un emploi. Même Beyoncé y aurait songé, comme le prouvent les paroles de son couplet dans le remix de “Savage” de la rappeuse Megan Thee Stallion : “Hips TikTok when I dance / On that Demon Time, she might start a OnlyFans” (Mes hanches Tiktok quand je danse / En cet instant démoniaque, elle va sûrement se créer un compte Onlyfans). Dévoilée justement en plein milieu du premier confinement du printemps 2020, cette phrase, devenue une punchline, a carrément provoqué un pic de 15 % supplémentaires du trafic sur le site porno.

U NE INTROSPECTION N O M MÉE DÉSIR Alors, la grande orgie générale aurat-elle lieu, comme l’illustre Suitsupply et l’appelle de ses vœux le répondeur de Vice ? Après #MeToo, avec le cul encore dans la pandémie, la plupart des gens ont eu le temps d’y réfléchir à deux fois en tout cas. Les confinements ont favorisé une forme d’introspection sexuelle et ont souligné qu’on pouvait à la fois être en manque et ressentir une possible lassitude de la course pour pécho, des plans appli, des rencards et coups d’un soir, et de l’injonction à être en couple pour donner l’image de la réussite. C’est ce que raconte fort bien l’autrice Judith Duportail dans son ouvrage Dating Fatigue, amours et solitudes dans les années (20)20 (paru en mai, aux éditions de l’Observatoire). Sorties de la course à la rencontre, voire de l’hyperconsommation, beaucoup de personnes ont ainsi pu se sentir reposées, se demander ce qu’elles désiraient et qui elles étaient vraiment, en dehors du gros de la socialisation. C’est le cas par exemple de l’artiste Yanis, autrefois connu·e sous le pseudonyme de Sliimy, qui vient de faire son comingout non binaire : “Je m’étais toujours

posé·e beaucoup de questions sur mon identité de genre et les refoulais perpétuellement. La pandémie m’a forcé.e et permis de prendre le temps, le soin, pour tenter d’y répondre. J’avais trop couru après une forme de validation sexuelle, vouloir plaire à un certain type de mecs. Je me suis rendu·e compte que je faisais ça moins pour moi que pour correspondre à une catégorie, un stéréotype. Alors j’ai traversé une période d’abstinence qui m’a fait beaucoup de bien, en fait ! Et j’ai pu découvrir qui j’étais quand j’arrêtais de me conformer aux injonctions sociales. En tant qu’artiste, je réfléchis beaucoup à la façon de me mettre en scène, ce que j’incarne publiquement. Mais là, j’ai pu faire ce chemin de façon beaucoup plus intime pendant que le monde était presque à l’arrêt. C’en était presque réparateur, thérapeutique.” Cette introspection permettant des prises de conscience à la fois individuelles et collectives autour des sexualités, des genres, du consentement a été favorisée par le fait que la pandémie est survenue après #MeToo et #MeTooTrans. C’est peut-être aussi grâce à cet enchaînement que la libération de la parole, et surtout de l’écoute de #MeTooInceste et #MeTooGay, notamment, a pu advenir. Une façon de remettre les choses à plat, de déjouer les tabous et les violences, et de mieux prendre conscience de son corps, ses désirs, afin de permettre une révolution sexuelle davantage à l’écoute de l’intérieur plutôt que seulement tournée vers l’extérieur.


LES PRISES DE CO NSCIENCE AUTOUR DES SEXUALITÉS, DES GENRES, D U CO NSENTEM ENT, O NT ÉTÉ FAVORISÉES PAR LE FAIT QUE LA PANDÉMIE EST SURVEN UE APRÈS # M ETO O ET # M ETOOTRANS.

SEX EDUCATION C’est ce qu’a remarqué Domitille Raveau, psychologue de formation, qui a cofondé avec Mathilde Neuville, en février 2018, Consentis, une association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif : “#MeToo a vraiment été un élément déclencheur pour la création de cette asso. On trouvait qu’il y avait un manque de sensibilisation et d’action contre les violences sexuelles, a fortiori en milieu festif. Alors on a fait beaucoup de prévention en clubs et festivals, puis la pandémie a brutalement fermé ce genre de lieux. Mais la fête s’est transformée et déplacée, notamment en soirées appart’ entre personnes qui se connaissent. Le dating aussi s’est adapté. Puisqu’on ne pouvait plus se rencontrer dans un bar ou un café, alors on invitait directement chez soi. Or les statistiques montrent bien que les auteurs de violences sexuelles sont généralement des personnes que connaît la victime.” L’asso Consentis s’est donc adaptée et a même beaucoup gagné en popularité par son travail d’éducation sexuelle qui prenait en compte la pandémie, l’évolution du dating et de la fête. Ce n’est pas parce que cette dernière était parfois clandestine qu’elle en devenait forcément inconsciente. Au contraire, en free parties comme en partouze, les langues se délient autour du consentement, des fantasmes et des kinks.

Et forment le terreau pour une libération sexuelle moins cishétéronormative, plus décomplexée, davantage éduquée sur l’importance du consentement et ce que peuvent être la pansexualité et le polyamour. Comme le rappelle Jennifer Padjemi, autrice de Féminismes & pop culture (éd. Stock), “cette décennie a permis de comprendre que le sexe n’était rien sans le consentement et que la sexualité ne peut être décorrélée de sa racine : il faut qu’elle soit voulue et désirée, qu’elle soit discutée et choisie.” Si les festivals, bars, boîtes et sex-clubs rouvrent prudemment, après avoir été précarisés par la pandémie, ça ne fait que renforcer l’envie de s’y rencontrer en pleine conscience de ce que cela peut impliquer. Entre personnes qui se connaissent mieux elles-mêmes et qui sont assoiffées de contact. Danser ensemble, se frôler, se draguer, se galocher, et pourquoi pas coucher le premier soir puisque la pandémie nous a rappelé combien la vie est courte et imprévisible. Être quasi privés du monde de la nuit où tous les amants sont grisés de désir nous a également rappelé combien cet écosystème est aussi fragile que précieux. La distribution des aides publiques a d’ailleurs souligné une forme de double standard : le gouvernement a débloqué 81 millions d’euros pour l’Opéra national de Paris, contre seulement 30 millions pour les 400 festivals français. La vie nocturne ne dépend même pas du ministère de la Culture, mais de celui de l’Intérieur, signe de l’approche répressive de ces espaces et leurs enjeux qu’on peut avoir hâte de retrouver pour mieux y jouir de tendresse.

LE PLAN À TROIS AURA-T-IL LIEU ? Une étude de l’Institut français d’opinion publique réalisée fin juin 2021 a d’ailleurs interrogé un millier de célibataires sur leurs envies. Et révèle ainsi qu’un tiers d’entre eux (37 %) “devrait être ‘plus ouvert’ sexuellement qu’à l’accoutumée, et cela dans une proportion beaucoup plus forte chez la gent masculine (46 %) que féminine (27 %) mais aussi beaucoup plus grande chez les jeunes de 15 à 35 ans (44 %) que chez les personnes âgées de 50 ans et plus (22 %)”. Cette enquête de l’Ifop souligne également qu’un quart des Français seront “plus qu’à l’accoutumée” disposés à avoir des rapports sexuels sans être amoureux, un quart

à “céder aux avances de quelqu’un” plus facilement, et 20 % affirment qu’ils seront plus souples dans leurs critères de choix de partenaires sexuels. On aurait donc tendance à avoir envie de sexe plus facilement, mais la fête du slip n’empêche pas que 86 % des célibataires interrogés recherchent une relation stable et monogame. Signe qu’on a peut-être également appris à arrêter d’opposer de façon binaire plaisirs de la chair et stabilité émotionnelle (cette dernière ne rime d’ailleurs pas forcément avec monogamie et exclusivité, faut-il le rappeler ?) Finalement, la pandémie a sûrement contribué à bien plus qu’une éducation et libération sexuelles, affirmation de genre et avènement d’une culture du consentement, d’après l’artiste non binaire Yanis : “Ce temps de pause a permis que nous saute aux yeux le fait qu’on vit une époque charnière où les #MeToo, la pandémie, mais aussi #BlackLivesMatter, #StopAsianHate et les marches pour le climat imposent une forme d’urgence à changer toutes ces dynamiques qui sont en fait liées entre elles”. Alors, si collectivement on a réussi à presque arrêter le monde pour lutter contre le virus, peut-être qu’après le summer of (self) love 2021 qui vient de s’achever, on aura réuni toutes les conditions pour que cette révolution de l’intime et du désir donne enfin naissance à des sexualités plus libres, plus égalitaires et plus mixtes, quelles qu’elles soient. A Sexy Party in Lockdown, 2020, feutre sur papier. Durant le premier confinement, l’artiste française Stella Polaris a demandé à ses followers de lui envoyer une photo intime. À partir des 70 clichés reçus, elle a créé une orgie imaginaire entre tous.tes les participant.e.s.

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M A N TE A U E N C U I R V E R N I ET C O M BI N A IS O N EN LAIN E 2 M O N C LE R 19 5 2 W O MAN, AN NEAU P E R S O N N EL . PA G E D E D R O ITE : C O M BI N A IS O N EN LAIN E 2 M O N C LE R 19 5 2 W O MAN, AN NEAU P E R S O N N EL .

LE DOUBLE MONDE DE

SUKI

REMARQUÉE

RABARIVELO

EN

TANT

EST

QUE

AVANT

MANNEQUIN,

TOUT

CHANTEUSE

JADE

ET

MUSICIENNE, PLUS CONNUE SOUS LE NOM DE SUKI. UN ALTER EGO CAPTIVANT, DANS LA PEAU DUQUEL ELLE

EXPRIME

LE

POIDS

DE

SA

MÉLANCOLIE.

TEXTE NOAMI CLÉMENT. PHOTOS JOE LAI. RÉALISATION VICTOR VERGARA. SUKI EST HABILLÉE EN MONCLER.

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V ESTE I M P R I M É E G A R N I E D E D U V ET E N S O I E ET D E D ÉTA ILS E N N YLO N , G A N TS E N L A I N E À D ÉTA ILS E N N YLO N ET B O OTS E N C U I R 2 M O N C LE R 19 52 W O M A N , C O LL A N T P E R S O N N EL .


Il suffit de jeter un coup d’œil au compte Instagram de Jade Rabarivelo pour comprendre que la musique et la mode sont deux réalités bien ancrées dans sa vie. Deux moyens d’expression qui lui permettent de trouver un équilibre certain. Pour ses 40 000 followers, cette artiste parisienne de 19 ans alterne éditos mode léchés et vidéos lo-fi. C’est surtout dans ces dernières que, le teint au naturel et une guitare en mains, la jeune musicienne se livre à des sessions acoustiques intimistes filmées depuis sa chambre. “Les gens me considèrent souvent comme une mannequin qui fait de la musique, mais c’est tout l’inverse, désamorce-t-elle, étendue de tout son long sur un canapé. J’ai toujours fait de la musique, alors que le mannequinat m’est tombé dessus un peu par hasard.” Pur produit de la capitale française, Jade est fille d’une FrancoPolonaise et d’un Franco-Malgache né aux États-Unis. Cigarette au bout des lèvres, elle se remémore son enfance passée à écouter des albums de Stevie Wonder en famille : “Il y avait toujours de la musique à la maison. Ma mère adorait chanter, et mon père jouait de la guitare”. C’est justement son père mélomane qui lui en offre une le jour de ses 13 ans – un instrument qui ne la quittera plus. Alors qu’elle commence à apprivoiser les cordes et les tables d’accords, Jade est repérée par des agences de mannequin. “C’était l’époque où les gens commençaient à scouter les filles sur les réseaux ou dans la rue, se souvient-elle. Ça paraissait cool, mais ça me faisait un peu peur en même temps, d’autant plus que j’ai appris à ce moment-là que mes parents avaient également fait un peu de mannequinat dans les années 1990, et que ma mère avait eu des expériences un peu creepy avec des photographes louches… De toute façon, à ce momentlà, ça m’était impossible de me lancer là-dedans : je me trouvais trop moche ! Je n’avais aucune confiance en moi.”

UNE “VRAIE REINE” SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX Pour faire face à ses insécurités, Jade se réfugie dans la musique. À l’abri des regards indiscrets, installée sur son lit d’adolescente, elle se met à gratter des textes introspectifs et à composer des bouts de chansons sur sa guitare, guidée par un fort sentiment de spleen. “C’était la grande ère de Tumblr, des poèmes un peu sad… indique-t-elle dans un sourire. Mais en vrai, j’adorais écrire et jouer, donc je me suis simplement dit : ‘Pourquoi ne pas essayer de faire des chansons ?’” Très vite, Jade se prend au jeu, finissant par donner vie à des compositions guitare-voix nostalgiques qu’elle divulgue sur une page Facebook sans jamais montrer son visage – symptôme de son manque de confiance en elle. Cette page attire aussitôt des milliers de likes, cumulant parfois plus de 100 000 vues pour une seule vidéo – un chiffre colossal pour le réseau social de Mark Zuckerberg en 2014. “C’était assez perturbant parce que, dans la vraie vie, à l’école, j’étais une meuf hyper lambda ; mais j’avais aussi cette autre vie, sur internet, où j’étais une vraie reine ! s’exclame-telle, visiblement encore sous le coup de la surprise. J’avais 13 ans, et des meufs de 20 ans m’envoyaient des messages pour m’expliquer qu’elles voulaient être moi… C’était fou.” Encouragée par ses fans, qui ne cessent de lui demander à quoi elle ressemble, Jade finit par dévoiler son visage sur une chaîne YouTube créée spécialement pour l’occasion, qui gagne rapidement une petite communauté. “À partir de ce momentlà, j’ai freaked out, relate-t-elle dans un franglais parfaitement maîtrisé. Les gens me disaient : ‘Il faut que tu nous donnes une adresse postale pour qu’on puisse t’envoyer des cadeaux, tu vas faire des unboxing, des meet up, blablablabla’… Ça devenait trop intense. Et puis, il y avait quelque chose de très triste aussi dans cette époque Tumblr…

Je sentais que j’avais besoin de repartir à zéro, de laisser ça derrière moi.” Du jour au lendemain, Jade décide de fermer sa page Facebook, sa chaîne YouTube et le compte Snapchat sur lequel elle partageait également ses créations, sans laisser de trace. “Aujourd’hui, je remercie la jeune Jade d’avoir pris cette décision”, analyse-t-elle, soulagée.

LA FILLE CACHÉE DE KATE MOSS “Perturbante” – pour reprendre ses mots –, cette phase de notoriété en ligne a néanmoins un impact positif sur la jeune Jade : elle lui permet de regagner confiance en elle. Quelque temps plus tard, elle ouvre un compte Twitter et Instagram, les deux réseaux sociaux qu’elle n’avait pas utilisés jusque-là (“Même si les gens de Facebook m’ont très vite retrouvée : j’ai eu 1 500 abonnés direct sur Insta !”), et enchaîne les mirror selfies et autres moments de vie quotidiens. “Je suis devenue une mini Instagrameuse, quoi ! lance-t-elle dans un rire, lucide et foncièrement en accord avec ses choix. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à me contacter sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, et que ma carrière de mannequin a débuté.” Décrite par le Vogue comme “la fille cachée de Kate Moss”, considérée par d’autres comme le parfait mélange entre Kate Moss et Devon Aoki, Jade intrigue par son physique de poupée et son regard magnétique. Une allure qui lui permet de décrocher un contrat avec l’agence Storm Models, et la propulse sur des campagnes pour de grandes maisons telles que Fendi et Versace Jeans, mais aussi des marques plus confidentielles telles que Nodaleto, dont elle devient l’égérie. Cependant, la musique ne disparaît pas pour autant. Plus Jade prend la pose sous le feu des projecteurs, plus elle écrit et compose. Entre deux shootings photo, son feed Instagram se charge de vidéos dans lesquelles

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C O M BI N A IS O N EN LAIN E 2 M O N C LE R 19 52 W O M A N . PA G E D E G A U C H E : J U P ES ET V ESTE SA N S M A N C H ES E N N YLO N , C O L R O U LÉ EN LAIN E 2 M O N C LE R 19 52 W O M A N , C O LL A N T, C EI N TU R E ET A N N E A U P E R S O N N ELS .


U N SO N M ÉLANCOLIQUE DE L’INTIM E, COINCÉ QUELQUE PART ENTRE L’INDIE, LE R’N’B, LA POP ET L’ÉLECTRO …

elle reprend, de son chant vulnérable, du Billie Eilish ou du Sabrina Claudio, tout en postant des extraits vidéo de ses propres compositions. Encouragée par un groupe d’amis, elle se met à apprendre les bases du beatmaking sur GarageBand. Son envie de créer prend instantanément une nouvelle tournure, se concrétise de plus belle. “On téléchargerait des type beats via des MP3 convertors, on enregistrait nos voix avec nos écouteurs… Le son n’était clairement pas ouf, mais on kiffait vraiment ça !” raconte-t-elle. Un soir de 2019, alors qu’elle se trouve chez son ex-petit ami, elle est prise d’une soudaine inspiration. “Je me suis mise à son ordi, j’ai enregistré un truc sur un type beat que j’ai trituré comme je pouvais, et je me suis dit : ‘Ok, c’est un peu bien, ça pourrait être cool de partager ça’. Je l’ai appelé ‘23h49’, l’heure à laquelle je l’avais fait, et je l’ai posté sur SoundCloud.” Suki était née.

JADE ET SUKI Qui est Suki, d’ailleurs ? “Suki est la même personne que Jade, une sorte d’extension de moi-même. C’est un surnom qu’on m’a donné à une soirée : un mec m’a dit que je ressemblais à une version bébé de Suki, le personnage incarné par Devon Aoki dans le film Fast & Furious… ce qui m’allait plutôt bien, car je suis également fan de voitures. Depuis, c’est resté.” En allumant une autre cigarette, elle poursuit : “Il faut dire que c’est beaucoup plus simple que mon nom de famille, Rabarivelo, qu’on a écorché je ne sais combien de fois. Suki, c’est quatre lettres, c’est drôle, si les gens n’arrivent pas à le prononcer, s’ils prononcent ‘Suki’ au lieu de ‘Souki’, c’est pas grave… En tout cas, je ne pouvais juste plus traîner Jade Rabarivelo !” Outre le fait de signer la naissance de Suki, “23h49” pose les bases de son style musical : un son mélancolique de l’intime, coincé quelque part entre indie, R’n’B, pop et électro, via lequel Jade purge ses amours passées dans la langue de

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Shakespeare. “J’ai du mal à définir ma musique parce que… j’ai envie de faire tellement de choses différentes”, déclare-t-elle. Il est vrai que, lorsqu’on lui demande de nous parler de ses inspirations, la jeune femme a du mal à se contenir. Elle déborde, même. Dans un flot de paroles continues, elle cite pêle-mêle des artistes plutôt “indie sad” (selon son expression) comme Lana Del Rey, Birdy, The Neighbourhood et Arctic Monkeys ; des groupes de métal tels que Bring Me The Horizon et de hardrock comme AC/DC ; des noms de la scène R’n’B contemporaine à la Frank Ocean, H.E.R. et Lucky Daye ; sans oublier Charlie XCX et Kim Petras, véritables icônes de l’hyperpop. “Et Kanye West, bien sûr !” ajoute-t-elle à la liste. “Résultat, je me suis toujours un peu pris la tête pour savoir ce que je voulais faire… J’ai commencé par de l’acoustique, juste moi et ma guitare, mais j’ai des envies tellement variées. Et puis, récemment, je me suis dit : ‘Ok, stop ! Si tu veux faire un truc guitare-voix Birdy kind of shit un jour, que le lendemain tu as envie de passer en mode guitare électrique hardcore, et que le surlendemain tu es plutôt dans un truc piano méga blues… Tu peux tout faire. Il n’y a pas besoin de mettre une étiquette dessus’.”

UN PREMIER EP DANS LES TUYAUX Sans mettre d’étiquette sur sa musique donc, Jade parvient peu à peu à trouver son équilibre, en s’entourant notamment d’alliés de choix. Il y a d’abord le musicien Jérémy Chatelain, aux côtés duquel elle donne vie à “Blessing”, son premier single officiel paru le 12 octobre 2020 et illustré avec un clip DIY délicieux. “J’adore faire mes propres vidéos, commente-t-elle. La musique et l’image, ce sont les deux univers que j’aime, et plus le temps passe, plus ils se combinent.” Il y a aussi Brevin Kim, duo d’artistes américains qui se cache derrière son deuxième single “Move One” paru en mai dernier, qui précisait son envie d’aller vers des morceaux plus électroniques, loin de ses premiers

essais acoustiques. Sans oublier KCIV, connu pour ses collaborations avec Lujipeka ou Joanna. “C’est avec lui que je prépare mon premier EP officiel, qui devrait sortir cet automne… annoncet-elle, non sans fierté. On a vraiment eu une connexion incroyable, lui et moi. L’EP a été réalisé en trois jours, on arrivait à 18 heures au studio pour en ressortir à 7 heures du matin… c’était fou ! Je pense que j’ai vraiment réussi à trouver mon identité musicale en faisant ce projet : des chansons un peu dark, souvent tristes, mais sur lesquelles tu vas malgré tout hocher la tête.” En attendant que paraisse ce premier projet, Suki a récemment dévoilé sur SoundCloud un EP “non officiel”, ironiquement baptisé This Is Not The EP. Entièrement produit par ses soins, ce quatre-titres aérien (qui n’est pas sans rappeler les créations d’une Oklou ou d’une Clairo) se caractérise par un spleen profond, une voix auto-tunée et des sonorités à la fois désenchantées et dansantes qui annoncent la couleur de son premier EP “officiel” à venir. “J’espère vraiment que les gens l’apprécieront, même si je sais que ceux qui me suivent depuis le début préfèrent les choses acoustiques, concède-t-elle. Après tout, c’est comme ça que j’ai été connue : juste moi avec ma guitare, qui fais un truc hyper relatable…” Dans un énième nuage de fumée, les yeux rivés au plafond, Jade nous livre une dernière réflexion : “C’est vrai que, dans tous mes derniers morceaux, qui sont davantage électroniques, il y a ce truc avec l’auto-tune, derrière lequel je me cache un peu, je suis plus à l’aise. Et en ce moment, je suis dans cette phase où je me dis que l’acoustique est quand même toujours ce vers quoi je finis par me tourner à la fin de la journée.” Et de conclure : “Il va falloir que j’accepte que ça fait partie de moi. Les paillettes, les effets dans tous les sens, c’est cool, mais c’est aussi beau d’être un peu à poil… C’est quelque chose que j’envisage pour l’avenir. Il faut juste que je me concerte avec moi-même pour valider tout ça !”


M A N TE A U G A R N I D E D U V ET E N N YLO N L A Q U É R ECYCLÉ ET B O OTS E N C U I R 2 M O N C LE R 19 52 W O M A N , C EI N TU R E ET A N N E A U P E R S O N N ELS .


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B SENSIBILITÉ TEXTE ANTHONY VINCENT. PHOTOS NICOLAS WAGNER.

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NATIF DU NORD-OUEST DE L’ESPAGNE ET DIPLÔMÉ DU CENTRAL SAINT MARTINS COLLEGE OF ART AND DESIGN, ARTURO OBEGERO PROPOSE UNE MODE UNISEXE ET DRAMATIQUE, AUSSI SENSUELLE QUE STRICTE. UN JEUNE CRÉATEUR DANS LES PAS D’UN CRISTÓBAL BALENCIAGA, QUOIQUE PLUS OUVERTEMENT QUEER.


PA N TALO N E N J E R S EY TEC H N I Q U E , D É BA RD E U R ET G A N TS E N S O I E B R O D É E D E PA ILLET TES A R TU R O O B E G E R O .


“Le monde entier est un théâtre”, clamait Shakespeare. Et la mode d’Arturo Obegero l’illustre parfaitement. Ce designer de 27 ans vient de Tapia de Casariego, un petit village de pêcheurs dans la région des Asturies en Espagne. Là, il regardait son père et son frère surfer, quand lui préférait se laisser flotter ou dessiner des animaux marins. “J’ai grandi dans cette sorte de péninsule, avec d’un côté la mer à perte de vue et, de l’autre, un paysage montagneux vertigineux. Ce bout de paradis romantique m’inspire énormément, surtout dans ses aspects les plus mystiques”, nous raconte-t-il depuis son appartement qui lui sert également d’atelier à Montreuil.

se sentir plus confiant.” Chez Arturo, ce qui a servi de déclic à l’envie de devenir designer, c’est le premier défilé d’Alexander McQueen, Plato’s Atlantis, retransmis en direct sur Internet en octobre 2009 : “Je m’intéressais déjà à la mode, mais je n’ambitionnais pas forcément d’en faire mon métier, jusqu’à cette fameuse présentation, révolutionnaire à l’époque ! Je me revois encore demander à ma mère de n’appeler personne (puisqu’à cette période téléphone et internet étaient sur la même ligne), pour que je puisse tranquillement y assister dans mon coin !”

SURF ET TAILLEUR

Sa résolution prise, il part à 17 ans étudier les bases techniques à la Escuela Superior de Diseño y Moda Goymar, à La Corogne, un peu plus à l’ouest d’Oviedo. C’est d’ailleurs là que siège le groupe Inditex (Zara, Bershka, Pull & Bear, etc.). “Moi qui ne rêvais que de McQueen et de Balenciaga, dans cette école, j’ai pu vraiment apprendre à coudre, couper, patronner et utiliser des programmes de modélisme sur ordinateur, tout en aspirant à rejoindre, plus tard, la prestigieuse Central Saint Martins à Londres. Soutenu par ma mère, j’avais une enveloppe dans laquelle je mettais toutes mes économies pour ce projet. Au bout de trois ans à La Corogne, j’ai fait un stage chez Marcos Luengo, une maison espagnole où j’ai pu toucher à tout : prêt-à-porter, robe de mariée sur mesure, chaussures, sacs… À la fin, on

Lui qui rêvait de devenir le commandant Cousteau se passionne également pour la danse et la musique dès l’enfance. Mais ses premiers souvenirs mode remontent sûrement à l’époque où il devait se mettre sur son 31 pour les réunions familiales à Oviedo, la capitale des Asturies : “Là-bas, c’était beaucoup plus conservateur et guindé que mon village natal. Ça me fascinait qu’on passe de nos combinaisons de surf en néoprène à des chemises et chaussures cirées pour aller au restaurant de la grande ville. J’avais presque l’impression d’entrer dans la peau d’un personnage. C’est comme ça que j’ai compris à quel point les vêtements peuvent changer la perception à la fois que les autres ont de toi et qu’on peut avoir de soi-même. Soudain, on va peut-être se tenir plus droit, plus digne,

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“CENTRAL SAINT MARTINS A DÉBRIDÉ MA CRÉATIVITÉ”

me faisait tellement confiance qu’on m’a confié les rênes d’un défilé. Je me souviendrai toujours qu’on avait cinq paires de chaussures pour 20 mannequins censées effectuer en tout 50 passages. Ça s’est étonnamment bien passé (rires) !” Puis Arturo parvient à rejoindre Central Saint Martins, où il étudie durant trois ans : “Le style de cette université, ses méthodes d’enseignement et les élèves présents étaient très différents de tout ce que j’avais connu jusque-là. Ça a été un choc assez brutal pour moi, mais très bénéfique, car ça m’a permis d’enrichir ma vision, de nourrir mon regard d’autres horizons et de mieux cerner qui je suis et ce que je veux faire. J’y suis allé avec mon expérience très technique qui me permettait de donner corps à mes idées les plus folles. CSM a débridé ma créativité”.

PARIS ET LES ILLUSIONS PERDUES Paradoxalement, c’est sans doute ce passage à la capitale anglaise qui lui a permis de comprendre que sa place créative se situait plutôt du côté de la Ville Lumière : “Londres est un shaker de créativités, où l’on peut être libre de s’exprimer et d’explorer sans jugement. Paris peut sembler plus conservateur en comparaison, mais l’amusement se trouve ailleurs, notamment dans la façon de jouer avec les codes de la séduction et du sexy”. Juste après Central Saint Martins, Arturo Obegero postule donc à Paris auprès de différentes maisons. Il entre chez Lanvin, à cette période si


“LA M ODE PEUT CO NTRIBUER À CE QUE LA SOCIÉTÉ CULTIVE DAVANTAGE DE LIBERTÉ, D’ÉGALITÉ ET DE MIXITÉ.” P U LL E N J E R S EY C ÔTELÉ D E S O I E , C H E M IS E E N C OTO N ET PA N TALO N E N J E R S EY TEC H N I Q U E A R TU R O O B E G E R O .

compliquée où Alber Elbaz, directeur artistique adoré, de 2001 à 2015, vient d’être renvoyé sans aucun ménagement, à la stupeur générale. S’ensuivent quelques années d’errance pour la plus ancienne maison de couture encore en activité où se succèdent les têtes (dont Bouchra Jarrar et Olivier Lapidus) et les incompréhensions. Jusqu’à l’arrivée de Bruno Sialelli en janvier 2019. Arturo Obegero aura à peine le temps de le croiser, puisqu’il occupe un poste de Junior Designer des collections femme de mai 2018 à février 2019, avant de se résoudre à créer sa propre marque et de la lancer quelques mois plus tard. Entrer dans une maison existante afin d’y gravir les échelons, étape par étape, et peut-être un jour en devenir le directeur artistique ? Mission quasi impossible tant il y a de candidats, si peu d’appelés et encore moins d’élus, comme le comprend alors amèrement le jeune créateur.

DRAMA, FLAMENCO ET CORRIDA Quitte à lancer sa propre marque, autant commencer par poser les fondamentaux. Arturo Obegero fait donc entrer sa gamme de fin d’études, Palmira, dans ses pièces permanentes : “C’était un exercice complexe que de tenter de retranscrire et de concentrer mon style dans une collection si resserrée. J’avais eu le temps de bâtir cette identité forte, devenue aussi une forme d’amure, d’une certaine façon. Cette ligne, qui était au départ une version dramatisée de la façon dont je m’habille tous les jours, est finalement devenue mon uniforme quasi quotidien”. À commencer

par son pantalon exagérément taille haute, qui arrive jusque sous la poitrine, baptisé Gades en référence au danseur de flamenco du même nom, qui est devenu la colonne vertébrale de son identité de marque : “Je voulais construire une silhouette pure et puissante, sensuelle et sévère à la fois. Elle concentre beaucoup de références que j’ai en tête, à commencer par les matadors, Balenciaga et même la chanteuse Sade, qui portait parfois ce genre de pantalons”. L’autre pièce signature, c’est sûrement sa chemise aux poignets de mousquetaire, démesurés, intitulée Pedro, en mémoire de son grand-père : “Deux semaines avant de rendre ma collection de fin d’études censée être complètement noire, mon grand-père est mort. Il ne portait que des chemises blanches, alors j’ai décidé d’en ajouter une en guise d’hommage. J’ai récupéré l’une des siennes, que j’ai déconstruite pour en altérer un peu le patron, et je l’ai refaite en soie lumineuse. Quand des personnes achètent cette chemise aujourd’hui, c’est comme si elles se procuraient une partie de mon histoire”.

“L’ÉCORESPONSABILITÉ CO M ME OBLIGATION” Côté matières, Arturo Obegero se démarque en produisant de la façon la plus raisonnée et écologique possible. Il se fournit surtout en chutes et stocks dormants de grandes maisons, notamment via la nouvelle plateforme de LVMH, Nona Source (qui permet aux étudiants et jeunes designers de racheter à moindre coût des matières issues de ses maisons de mode et maroquinerie). “C’est comme

ça que je me retrouve à travailler des matières venues de chez Louis Vuitton, Fendi ou encore Givenchy. Créer localement, en petite quantité, dans des matières d’exception, c’est ce qui me permet de proposer des pièces presque uniques, que les gens pourront chérir pour toujours.” Car Arturo ne souhaite pas que sa marque devienne une grosse usine, encore moins du jour au lendemain : “Je veux plutôt m’assurer une croissance stable et sereine, responsable vis-à-vis de la planète. Je pense que la sustainability ne devrait même pas être un argument marketing, d’ailleurs, puisqu’il en va de la responsabilité de tous ; elle devrait même relever d’une forme d’obligation”. Fidèle à sa démarche d’upcycling, Arturo Obegero a réalisé sa cinquième collection, Puro Teatro, à partir d’anciens rideaux de théâtre. Provenant de Sydney, de Londres ou encore de Belgique, ils évoquent les institutions culturelles qui ont été délaissées à cause de la pandémie et permettent de s’habiller de l’histoire de ces lieux qui ont abrité tant d’émotions, de rires, de larmes, d’applaudissements. Arturo y taille des formes sculpturales, comme ces hauts qui remontent jusqu’à hauteur des yeux ou ces manches drapées qui finissent en nœud démesuré, quitte à entraver certains mouvements : “Il y a des pièces qui ressemblent à des prisons de velours pour signifier comment on s’enferme parfois dans une forme de mise en scène de soi-même. Notamment en tant que jeune créateur, on peut chercher la validation des autres, être tenté de devenir un designer influenceur”.

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“PINA BAUSCH QUI VA AU PALACE !” Arturo Obegero privilégie les coulisses pour l’instant, moins par timidité que par humilité, préférant que ses créations parlent pour lui. Alors que Paris se déconfine progressivement, il vient de présenter fin juin 2021 sa sixième collection, Euphoria, après avoir rejoint le calendrier officiel de la Fashion Week homme parisienne. Comme s’il était passé à la pièce suivante après cinq actes, ce dernier opus transfigure le début d’une nouvelle ère, plus optimiste et festive, qui voudrait faire de l’épidémie de Covid-19 un lointain souvenir. “Cette collection, c’est Pina Bausch qui va au Palace ! Ou Mikhaïl Barychnikov qui danserait un slow sur du Kylie Minogue. J’ai voulu créer quelque chose d’à la fois sérieux et stupide, amusant et sexy.” Au rendezvous de cette party-wear qui dénote du registre plus mélancolique de ses collections précédentes, Arturo Obegero envoie ainsi la dose de sequins. Ils recouvrent des gants d’opéra interminables, des hauts d’esprit smoking, tandis que des robes en rêve de mousseline colorées tranchent avec le reste plus monochrome. À l’image de Paco Rabanne et ses résilles de métal, le jeune créateur assemble des morceaux de verre poli par la mer pour en faire un habit ajouré de joyaux marins.

PANDÉMIE ET RÉSILIENCE De même que les années folles ont succédé à la Première Guerre mondiale, l’histoire va-t-elle se répéter pour que la pandémie soit suivie de fastes et festives années 2020 ? Arturo Obegero n’a pas attendu pour persévérer, en tout cas, lui qui s’est lancé à la veille de “la fin du monde d’avant” : “J’ai présenté ma toute première collection le 4 mars 2020, et quelques jours plus tard le premier confinement tombait (du 17 mars au 11 mai 2020, ndlr). S’il n’y avait pas eu la pandémie Covid-19, j’en serais sûrement à une autre étape de ma carrière. Peut-être qu’on aurait eu davantage de commandes en wholesale, ce qui m’aurait permis de financer autrement ma marque, par exemple. Je travaille presque seul sur cette griffe, aidé d’une assistante que je n’ai pas

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les moyens d’avoir à plein temps. Mon atelier, c’est mon appartement ! Mais je n’en suis pas moins reconnaissant envers ma communauté, mes clients et les personnes qui m’ont soutenu pendant cette période si intense.”

SUR LES TRACES DE CRISTÓBAL BALENCIAGA Une période de piétinement qui, justement, a permis à Arturo Obegero de mûrir cette identité, précise, acérée, qu’il rêve de pouvoir décliner un jour dans une pièce de théâtre ou un film qui se déroulerait sur les planches. Une mise en abîme pour ses figures de style tout en velours, soies et couleurs sourdes. Drame ou comédie, l’avenir le dira, pendant qu’il continue de rêver de devenir un jour directeur artistique de Balenciaga : “J’admire tellement le travail de son fondateur, Cristóbal, sa façon de combiner fantasmes et réalité, sa personnalité, que ça se ressent forcément dans mes collections. C’était quelqu’un qui ne se souciait pas de ce qu’on pensait de lui, entièrement dédié à son artisanat. Il ne jouait pas les designers stars.” Même si, aujourd’hui, rejoindre une grande maison patrimoniale c’est également prendre le risque de devoir renier certaines valeurs, comme l’envie de ralentir le rythme des collections en jouant sur l’hyperconsommation… Outre l’écoresponsabilité, parmi les autres facettes qui fondent l’identité de cette jeune marque aussi prometteuse que son fondateur, il y a une certaine idée du queer. “Je ne conçois pas mes vêtements en les destinant à un genre plutôt qu’à un autre. Certes, je patronne mes robes plutôt selon une morphologie dite féminine, mais je pense d’abord et avant tout à la façon dont un vêtement peut sublimer une personnalité, pas un genre en particulier. J’aime également décliner une même idée pour des morphologies dites masculines et féminines. La construction a intérêt à être différente pour le confort de la personne qui portera un pantalon taille haute comme le Gades, par exemple, mais je la travaille toujours de manière que le rendu visuel soit, au final, semblable dans les deux cas”.

U N ŒIL QUEER SUR LE PATRIM OINE ESPAGN OL Au sujet de cette mode non-binaire qui hybride les genres, on pourrait rapprocher Arturo Obegero d’un de ses compatriotes, Alejandro Gómez Palomo et sa marque Palomo Spain. “Je pense que les personnes queers poussent les frontières, notamment de ce que la société peut considérer comme masculin ou féminin. Quand on appelle à challenger les stéréotypes de genre et à s’émanciper de la masculinité toxique, par exemple, ça bénéficie à tout le monde. La mode peut contribuer à ce que la société cultive davantage de liberté, d’égalité et de mixité.” Une nouvelle garde de jeunes designers espagnols est bien placée pour le démontrer, en remixant le patrimoine ibérique afin de le présenter autrement au monde. Comme la tauromachie qu’Arturo Obegero relit de son œil queer : “Historiquement, la corrida est une sorte de parade nuptiale. Des hommes se battaient contre des taureaux pour impressionner les femmes. Ces dernières ont commencé à confectionner des vêtements pour eux, à partir de chutes de tissus de leurs propres robes. D’où la flamboyance des tenues des toréadors. Cette dichotomie me fascine, entre l’hypervirilité que peut dégager le concept d’affronter un taureau et la grâce de cette forme de danse dans ces tenues si flamboyantes. Le public de la tauromachie est plutôt conservateur, donc je trouve assez ironique la façon dont il peut applaudir un homme habillé de cette façon dans une arène, tout en s’insurgeant contre le fait qu’en dehors d’autres puissent porter des tenues semblables”. Voir la corrida comme une performance de genre et s’inspirer de ses savoir-faire pour ses propres créations, tel est peut-être le clou du spectacle du théâtre de la mode d’Arturo Obegero : “Je suis contre la torture animale et je pense que cette tradition est vouée à disparaître si elle continue sous cette forme. En revanche, tout l’artisanat autour m’inspire infiniment. Cela relève aussi des métiers d’art que de broder chaque perle à la main sur les vestes des toréadors. C’est du niveau de la haute couture !”


V ESTE ET PA N TALO N E N J E R S EY TEC H N I Q U E , C H E M IS E E N S O I E A R TU R O O B E G E R O .


B B

I N ITI A L E S

LA CHANTEUSE BONNIE BANANE A SORTI, AVEC SEXY PLANET, UN PREMIER ALBUM QU’ON ATTENDAIT DEPUIS LONGTEMPS ET QUI ATTEINT D’EMBLÉE UN SOMMET SOUL POP.

TEXTE OLIVIER PELLERIN. PHOTOS JOHNNY KANGASNIEMI. RÉALISATION GEMMA BEDINI.

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S O UTI E N - G O R G E A SY M ÉT R I Q U E E N D E N TELLE ET PA ILLET TES LO U D E B ETO LY, PA N TALO N E N VI N YL M A R TA M A R TI N O , B O U CLE D’O R EILLE E N P VC R ECYCLÉ TÉTI E R B IJ O U X , C H O K E R E N O R ET PALL AD I U M , C O LLI E R- C EI N TU R E E N PALL AD I U M J U S TI N E C LE N Q U ET, BA G U ES ET B R A C ELET P E R S O N N ELS . PA G E D E G A U C H E : R O B E E N M A ILLE LU R E X À PATC H S D E C U I R S C H I A PA R E LLI , BA G U ES ET B R A C ELET P E R S O N N ELS .

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“ÊTRE FÉMINISTE, POUR MOI, C’EST NORMAL. PEUT-ÊTRE QUE CET ALBUM NORMALISERA CE FAIT. C’EST MA MANIÈRE DE PROPOSER UNE SOLUTION. J’AI ENVIE QUE MES PAROLES SOIENT DES OUTILS.” ROBE EN J A C Q U A RD PI ED -D E-P O U LE B A LE N C I A G A , C H A U S S U R ES EN CUIR ACN E S TU D I O S .

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Elle a débarqué dans le paysage musical français il y a une petite dizaine d’années. Fière Bretonne installée à Paris depuis ses 17 ans, elle a pris le temps de trouver sa voie et d’imposer son style. Exigeante et alerte, cette artiste développe un univers rare, qui emprunte au meilleur de la soul américaine et à une pop française espiègle, traçant une ligne claire d’Erykah Badu à Catherine Ringer. Ce serait une erreur de réduire au seul R’n’B sa voix de soprano, qui a poussé quelques contremi suraigus avant de devenir mezzo, et sait aussi tutoyer les graves avec autorité. Bonnie Banane a collaboré avec les producteurs Walter Mecca, Jimmy Whoo ou Myth Syzer, Flavien Berger, Ichon ou Chassol. Sur Sexy Planet, sorti fin 2020, on retrouve aux productions Para One, Loubenski (qu’on croise également dans ce numéro aux côtés de Thee Dian) ou Ponko (qui a accompagné Lous and the Yakuza) et le rappeur Varnish La Piscine. Cette solitaire qui sait s’entourer se livrera sur la scène de la Cigale le 29 novembre. Entretien sans masque avec une Bonnie Banane forte de riches expériences et d’obstacles patiemment surmontés.

MIXTE. Comment as-tu rencontré la musique ? BON NIE BANANE. J’ai eu une enfance solitaire, j’ai appris à lire très tôt, par déduction. En grande section de maternelle déjà, je racontais des histoires aux autres enfants. Mon père m’a fait écouter beaucoup de musique, plutôt funk. J’ai très peu la culture de la chanson française. Par exemple, “Salade de fruits” de Bourvil m’a marquée, mais on ne passait pas sa discographie entière. C’était surtout de la musique afro-américaine : ça m’a permis de ne pas m’ennuyer, d’apprendre l’anglais, l’Histoire. J’ai pris des cours de piano, mais c’était forcé, alors ça m’a déplu. Comme je n’étais pas du tout sensibilisée à la musique classique, je ne comprenais pas à quoi ça pouvait me servir. Je ne me souviens de rien de tout ça, je ne suis vraiment pas quelqu’un de technique, je fonctionne à l’oreille, à l’intuition. J’ai fait pas mal de danse aussi. M. Quels sont les artistes qui t’ont influencée ?

B. B. Michael Jackson, Prince, Stevie Wonder sont très importants pour moi. Earth Wind & Fire, Janet Jackson, Missy Elliott, Aaliyah, MC Solaar, Alliance Ethnik… J’ai grandi dans les années 90.

Il y avait aussi la bande originale du film Above The Rim, très west coast, avec Snoop Dogg, Nate Dogg ou Warren G qui m’ont marquée aussi. M . À ton arrivée à Paris, tu as fréquenté la scène soul qui y gravitait ? B. B. Pas vraiment. Je suis allée à beaucoup de concerts, seule. Je me souviens du Djoon où il y avait de la house music (petit club du 13 e arrondissement de Paris, ndlr), mais surtout de L’Élysée Montmartre. Quand j’y ai chanté pour le Culturebox Festival (diffusé en juin 2021, ndlr), pour moi c’était quelque chose ! J’y ai vu beaucoup d’icônes de Garance productions quand j’avais 17 ans. J’allais aussi à des concerts de blues à Saint-Ouen. J’étais curieuse de tout. M . Tu chantais déjà ? B. B. Pas du tout. Je suis venue à Paris en prétextant des études d’audiovisuel. Je me destinais plutôt à être derrière la caméra, à la prod. Et puis, lors de mes premiers cours de théâtre, j’ai pris une claque. Je me suis mise très tard à jouer, en 2008. J’étais à la fac de cinéma à Saint-Denis, c’était très théorique, mais j’ai fait un stage qui m’a donné envie de continuer. J’ai commencé la musique un tout petit peu avant d’entrer au conservatoire dramatique, en 2011, et j’ai continué en parallèle. Quand j’ai sorti mon premier single “Muscles”, ça faisait un an que j’y étais. Pour moi, la musique, c’était des moments de plaisir et de détente. J’étais tellement prise par l’école – et j’avais un peu de mal avec tout ça –, que dès que j’avais un moment de libre, j’allais faire du son. Le premier single, je l’ai enregistré en une prise, du premier jet. M . Ce premier single, tu l’as produit toute seule ? B. B. Je l’ai fait avec Walter Mecca. Je commençais à créer des sons sur mon ordinateur et Garage Band, dans des moments de solitude. J’adorais ça, même si je ne suis vraiment pas une geek. J’ai commencé à chanter en même temps que la musique venait. J’ai fait écouter des sons à Walter, qui était à la fois un pote et quelqu’un dont j’aimais beaucoup la musique, et il m’a proposé qu’on travaille ensemble. C’est lui qui a donné la première impulsion au projet Bonnie Banane. Il a décidé qu’on était prêts pour sortir un EP et que “Muscles” serait le single. J’ai eu l’idée du clip, mais je ne prenais pas vraiment ça au sérieux. Je ne savais même pas comment m’appeler. J’avais un profil Face-

book nommé Bonnie Banane et Walter m’a dit : “Tu vas t’appeler comme ça”. C’est vrai que ça sonne parfaitement. J’aime le côté clownesque, drôle à prononcer, c’est comme un gag. Walter m’a mis le pied à l’étrier, je ne sais pas si je l’aurais fait seule. Mais j’y ai pris goût, j’ai commencé à travailler avec d’autres gens, j’ai adoré le studio, l’écriture, l’interprétation.

M . Tu as continué le conservatoire dramatique et ton activité de comédienne ?

B. B. En sortant, j’ai eu quelques petits projets, j’avais un agent. J’aime jouer, j’adore les acteurs et le cinéma, mais j’éprouve davantage de satisfaction dans le projet Bonnie Banane qu’à être actrice dans un film que j’apprécie moyennement. J’ai les mains dedans, je décide de ce que je veux faire, de ce que j’écris, des paroles, comment ça va sonner, les clips, la scène. Pour moi, c’est difficile de me retrouver sur un projet où la DA n’est pas la mienne. Du coup, j’ai appelé mon agent récemment et je lui ai dit que ça ne servait à rien de continuer. Si j’étais une immense actrice, ça se saurait. Et puis, pour être honnête, il y a peu de choses que j’apprécie dans le cinéma français. De manière générale, je suis assez difficile. Je n’ai pas souvent les mêmes goûts que les gens. M . Quel est ton rapport au temps ? On dirait que, pour aboutir à Sexy Planet, entre tes débuts en 2012 et sa parution en 2020, tu ne t’es pas pressée. Tu as pris le temps ou peut-être que c’est lui qui s’est imposé à toi… B. B. Ce sont des réflexions plus larges sur le monde. Par exemple, quand c’est la cohue dans la rue ou le métro, parfois je fais exprès de ralentir, parce que je ne veux pas marcher comme les autres. C’est peut-être que je suis têtue, ou bretonne. Mais j’ai aussi été ralentie par de mauvais choix. Par exemple, en 2017, je devais sortir mon premier album, Undone Tape, qui a fini sur Bandcamp et Soundcloud, parce que des producteurs ne m’ont pas envoyé les pistes musicales de mes morceaux. Ça arrive souvent quand on est une femme. Il y a aussi le temps que je me suis accordé et les problèmes de la vie. Mais j’en suis fière, cet album n’aurait jamais pu exister si je n’avais pas vécu tout ça. C’est une bonne chose aussi que les femmes prennent leur temps. Entre 18 ans et 25 ans, c’est soi-disant à ce moment-là que tout se passe pour elles, parce qu’elles sont un objet de

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désir. Moi je suis trop têtue pour accepter ce genre d’urgence. J’avais envie de quelque chose de personnel, la photographie d’une phase de ma vie dont je puisse être fière plus tard. Je ne voulais pas que ce soit juste cool ni un produit de marché, mais que cet album me représente sincèrement. Secrètement, j’espère qu’il aura sa place dans une certaine histoire de la musique en France. M. Dans tes propos et sur Sexy Planet, on entend à la fois ton féminisme et ton intérêt pour la planète. Tu fais un lien entre les deux ? B. B. Je ne conçois pas qu’on puisse ne pas être féministe. Pour moi, c’est normal, peut-être que cet album normalisera ce fait. Je n’ai jamais été non féministe, même si je ne me suis jamais déclarée comme telle. Et il y a pas mal de phases de ma vie où la contemplation de la nature a été une révélation d’humilité. Si je devais choisir ma propre religion, ce serait la nature. J’ai une dévotion pour elle. J’ai donc voulu la personnaliser dans la femme. C’est dangereux et accueillant, bafoué, mais ça reprend le dessus, c’est une allégorie qui englobe tout. Le titre Sexy Planet est sorti d’un coup, tout comme les mots Bonnie Banane sont venus un jour dans ma bouche, sans explication rationnelle. M. L’improvisation, c’est important dans ta vie ? B. B. C’est très important, l’imprévu, l’intuition. C’est la clé, ça peut changer ta vie et on doit absolument l’accueillir. Sur scène, je réserve toujours une petite partie à l’improvisation, parce que c’est l’essence du live. J’essaie de saisir les vibrations qui sont adaptées à chaque projet. Je me pose beaucoup de questions sur la représentation et l’interprétation. Par exemple, j’ai besoin que les paroles de mes chansons soient simples. S’il y a des mots trop pédants, qu’un enfant de 7 ans ne va pas comprendre, je ne les emploie pas. Pour l’album, on a essayé que ça sonne clair, avec Théo Lacroix, l’ingénieur du son. On a vraiment insisté sur les consonnes, pour qu’on comprenne bien chaque syllabe, parce que l’émotion peut venir d’un mot, d’une rime.

M. On te sent perfectionniste… B. B. Je ne pense pas l’être, mais j’essaie d’être précise, de faire au mieux, même si j’ai encore beaucoup de travail. Côté prises de voix, si je m’écoutais, je pourrais ne jamais m’arrêter. Là,

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j’ai tenté de me contrôler et demandé aux ingé son de m’arrêter. J’ai vu des artistes passer deux ans sur le mix d’un album qui, au final, n’était pas bon. Plus ça va, plus j’aime les choses très peu chargées, limite rustiques, avec la voix vraiment en avant. Mon intention pour cet album a été de réfléchir sur la perfection et de m’y refuser.

M. Tes clips sont originaux également. C’est toi qui trouves les idées ?

B. B. C’est le cas pour beaucoup d’entre eux. Et parfois, quand j’aime un artiste, je l’invite. Pour La Lune & Le Soleil, c’est mon ami Clifto Cream qui a réalisé un super travail. Je voulais quelque chose que lui et moi n’avions pas encore fait. Ce qui m’excite le plus dans la création, c’est de trouver des combinaisons, se découvrir et relever des défis. Pour Cha-Cha-Cha, j’ai appelé Raphaël Stora, un pote danseur et réalisateur, la meilleure personne pour filmer la danse. On s’est concentrés sur l’idée de base de la chanson. C’est une situation alambiquée, une synthèse des rapports humains. Ça parle vraiment de la nervosité des hommes. J’en ai connu qui m’ont vachement stressée. Je me suis demandé comment déjouer ça quand on est une femme. Peut-être que la danse pourrait être une parade, une diversion à la colère masculine. C’est un peu fantaisiste, mais cette chanson, c’est ma manière de proposer une solution. J’ai vraiment eu envie que mes paroles soient des outils. Je me suis servi de la musique pour aller mieux. Petite, je m’en faisais une joie, ça me donnait des raisons de vivre. Tout au long de cet album, j’ai essayé de me raccrocher à ça. Comment se renforcer, se sentir fort. M. Dans tes clips et sur scène, tu fais beaucoup appel aux costumes, au stylisme. Quel est ton rapport à la mode ? B. B. Ce milieu n’est pas forcément mon centre d’intérêt. Mais le vêtement est très important car il change la manière de vivre son corps. Certains matins, tu te réveilles avec l’envie de mettre un corset et d’autres avec celle de porter un gros baggy. Ça va influencer toute ta journée, comment tu vas bouger, les chaussures que tu vas mettre, la manière dont tu vas te présenter aux autres. Le vêtement doit être un costume. Il faut penser au personnage, à ce qu’on raconte. La marque, le designer, c’est secondaire pour moi. Je

fonctionne difficilement avec un stylisme classique et fashion. Mais j’adore Alaïa, Issey Miyake… Ce que j’aime dans la mode, ce sont les défilés. Certains sont des spectacles. Toute la partie qui se prend au sérieux ne m’intéresse pas.

M . Il paraît que tu apprécies particulièrement Philippe Katerine. L’humour, l’absurde, c’est important pour toi ? B. B. J’adore ce qu’il propose. Je ne connais pas tout son répertoire, mais je suis contente quand je l’entends, ce qu’il propose sort du lot, c’est poétique. “Moment parfait” est un de mes morceaux préférés, j’aime aussi beaucoup “Juifs Arabes”. Ça me touche quand les artistes sont drôles, malicieux, quand ils savent écrire. J’adore les cadavres exquis. Si je devais définir mon genre musical, ce serait ça. Faire des rapprochements un peu loufoques, c’est le prisme qui me permet d’apprécier la vie. C’est l’horizon et le but métaphysique, j’espère qu’on sent ça dans ma musique : voir s’accorder les choses qui ne vont pas ensemble. M . Tu n’as pas cité Erykah Badu, avec qui tu présentes pourtant des similitudes artistiquement parlant… B. B. C’est marrant, parce que je viens d’acheter un tee-shirt d’elle que je porte maintenant. C’est ma grande prêtresse. Cette femme est dans le top trois des meilleures personnes ayant jamais existé sur Terre. Elle est aussi doula, sage-femme, elle porte la vie. J’admire son intellect, sa force. J’ai tellement écouté certaines de ses chansons à des périodes de ma vie, qu’aujourd’hui, quand je les entends, je m’y télé transporte. Ce qu’elle fait est très spirituel. Les paroles de “On & On”, un de ses premiers gros tubes, sont hyperpointues. J’apprécie particulièrement ce genre de chansons universelles aux textes profonds, comme “Freed From Desire” de Gala. En plus, elle est saine d’esprit. Moi je pense que j’ai un background qui fait que je suis assez fragile psychologiquement. J’ai pris mon temps parce que sinon, j’aurais fait de grosses bêtises. Je n’ai jamais eu envie d’exister partout en permanence, d’être omniprésente, placardée, imposée aux gens. C’est important de prendre son temps, de laisser aux personnes le temps d’écouter d’autres musiciens que toi, le temps de vivre. Il faut que ça mature, que tu digères les choses pour pouvoir les ressentir ensuite.


R O B E E N J A C Q U A RD PI ED -D E-P O U LE B A LE N C I A G A , BA G U ES P E R S O N N ELLES . C O IFF U R E : Q U E N TI N GUYEN @ B R YA N T A RTISTS . M A Q U ILL A G E : R U B E N M A S O LIV E R . A S SISTA N TE STYLISTE : N I N A R O D Y. A S SISTA N T LU M I È R E : H U G O BA B EY. D I G ITEC H : J O A N N A H UT T N E R LE M O I N E .


L’ÉCLAT DU NOIR TEXTE ANTHONY VINCENT.


APRÈS UN COUP DE CŒUR POUR LA MODE DE REI KAWAKUBO, QUI LUI A DONNÉ L’ENVIE DE SE LANCER DANS LA MODE, KEI NINOMIYA A FINI PAR DEVENIR SON DISCIPLE, ET MÊME SE VOIR OFFRIR

© Kei Ninomiya by Fumihito Ishii ; noir kei ninomiya FW21 – Courtesy of Comme des Garçons

L’OPPORTUNITÉ DE LANCER SA PROPRE MARQUE SOUS SON ÉGIDE. DEPUIS BIENTÔT DIX ANS, NOIR KEI NINOMIYA DÉPLOIE AINSI UNE POÉSIE COUTURE RADICALE, UN ÉLOGE DE L’OMBRE RENOUVELÉ CHAQUE SAISON.

D ÉFILÉ D E L A C O LLECTI O N A UTO M N E- H IV E R 2021 N O I R K E I N I N O M IYA .


Il fait partie des noms à la fois reconnus et confidentiels qui défilent à Paris. Kei Ninomiya a lancé sa griffe, noir kei ninomiya, en 2012, à tout juste 28 ans, sous l’égide de sa mentor Rei Kawakubo, qu’il assistait chez Comme des Garçons depuis 2008. C’est en entrant dans une boutique CDG à l’âge de 16 ans que ce natif d’une petite ville du Japon se surprend à reconsidérer la mode autrement. Après avoir entamé des études de littérature française, il plaque tout pour partir étudier à la prestigieuse Académie royale des beaux-arts d’Anvers. C’est en plein milieu de son cursus qu’il ose postuler pour travailler auprès de Rei Kawakubo comme patronnier. Embauché, le voilà qui repart au Japon appliquer le processus créatif de celle qui veut insuffler un style complètement nouveau à chaque collection, en partant de principes abstraits, sans un mot ni explication. Au bout de quatre ans de collaboration fructueuse, la designeuse propose à son disciple de créer une vingtaine de pièces, sans aucune instruction, comme à son habitude. Sauf que, cette fois, elle offre à Kei Ninomiya de l’exposer à Tokyo puis de lancer sa propre marque en 2012. D’abord présentée de manière intimiste, sans un bruit si ce n’est celui des matières, au QG parisien de Comme des Garçons, la griffe de Kei Ninomiya rassemble petit à petit une communauté de fidèles autour de son esthétique sculpturale au romantisme noir. Sublimés par cette couleur infinie, ses volumes se déploient par le truchement de différentes techniques qui s’émancipent souvent des traditionnels points de couture. Pliés, cloués, soudés, matières précieuses et tissus techniques se mêlent pour donner naissance à un style radical, à la fois gothique et féerique. Un peu comme s’il trouvait la lumière au fond du noir, tel un Pierre Soulages du textile. C’est avec son habituelle concision que Kei Ninomiya a accepté de répondre aux quelques questions que nous lui avons posées, afin de tenter de comprendre son éloge de l’ombre.

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MIXTE. Comment s’est passée votre rencontre avec Rei Kawakubo, qui a fini par vous suggérer de lancer votre propre marque ? KEI NIN O MIYA. Le travail que j’ai fait avec Rei Kawakubo a été la source même de toutes mes créations. Elle m’a toujours laissé libre, et quand elle m’a suggéré d’avoir ma propre ligne, mon objectif a été, dès le début, de créer avec ces mêmes valeurs dans un perpétuel esprit de dépassement de soi et d’exploration de nouvelles techniques. M. Quel est le meilleur conseil qu’elle vous ait donné ? K. N. Je n’ai pas appris à travers ses mots. Davantage que des conseils, j’ai surtout progressé en regardant la façon dont elle travaille. M. Pouvez-vous nous expliquer votre processus créatif, qui rend noir kei ninomiya si singulier ? K. N. Ce qui m’intéresse, c’est de créer quelque chose de nouveau, de susciter de l’émotion chez les gens. C’est la raison pour laquelle j’adopte de nouvelles approches et techniques dans le processus de création. Je ne pars jamais d’un thème à proprement parler. J’ai surtout dans l’idée de créer une collection qui marque les esprits et des pièces visuellement fortes. M. Que signifie le noir pour vous ? K. N. Je trouve le noir fascinant. J’ai voulu que l’identité même de la marque en soit imprégnée. Travailler en grande majorité avec cette unique couleur me pousse à être toujours plus créatif.

M . Vous êtes également connu pour utiliser peu de coutures. Cette technique n’est-elle pas trop limitante ? K. N. Je ne ressens pas particulièrement de restrictions dans le fait de coudre. Dans mes collections, je trouve de nouvelles méthodes de création qui me permettent de m’exprimer sans utiliser la couture et me libèrent également de la production de masse. M . Comment vous sentez-vous sur la scène mode, qui semble tourner plus que jamais autour de l’image plutôt que de l’artisanat ? K. N. Je pense que la valeur des vêtements vient du fait qu’on les porte, et que par conséquent ils sont plus importants que les images. Celles-ci sont nécessaires, bien sûr, comme le storytelling, pour montrer notre travail et exprimer notre vision, mais je considère que l’artisanat est le plus important car c’est la base de la création des vêtements.

M . La devise de ce numéro anniversaire de Mixte est “Liberté, Égalité, Mixité”. Qu’est-ce que ces trois mots vous évoquent ? K. N. Qu’il est crucial d’aller de l’avant sans s’arrêter, et de croire en ses convictions. M . Que peut-on souhaiter à la maison noir kei ninomiya pour les 25 années à venir ? K. N. Liberté, égalité, mixité.


© noir kei ninomiya FW21 – Courtesy of Comme des Garçons

UNE ESTHÉTIQUE SCULPTURALE AU ROMANTISME NOIR, QUI S’ÉMANCIPE SOUVENT DES TRADITIONNELS POINTS DE COUTURE. C O LLECTI O N A UTO M N E- H IV E R 2021 N O I R K E I N I N O M I YA .


O U G A N D A

ENTRE SÉRIE MODE ET PHOTOREPORTAGE, LE STYLISTE WILOW DIALLO A CRÉÉ, AVEC LA PHOTOGRAPHE OUGANDAISE MICHELLE ISINBAEVA, UN PROJET À L’ESTHÉTIQUE ET À L’IDENTITÉ FORTES SUR LA JEUNESSE CRÉATIVE D’AFRIQUE DE L’EST. P H OTO S M IC H ELLE ISI N BA EVA . R É ALISATI O N W ILO W D I ALLO . TE XTE PA U L-A RT H U R J E A N - M A R I E .

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F O R

E V E R LE M A N N E Q U I N S H A FIC LW O BA W O P O RTE U N S H O RT K A I’S D I V O C O LLE CTI O N , A C C ES S O I R E G LO R I A W AVA M U N N O . PA G E D E G A U C H E : L A M A N N E Q U I N N YAT H IJI E N M O S ES P O RTE U N E R O B E G LO R I A W AVA M U N N O . CASTIN G : J O R A M M UZIR A . M A Q UILLA G E : D A NI EL OTI M . ASSISTA NTE STYLISTE : SA ND R A KYO M U GIS HA .

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Mars 2021. Alors que la France connaît un nouveau et troisième confinement dû à la crise sanitaire, Wilow Diallo, directeur de création, styliste et auteur, prend un vol direction l’Afrique de l’Est. Il s’en va à Nairobi, plus précisément. Son envie : explorer cette partie du continent, sa scène artistique, ses créateurs et créatrices. Si les jeunes designers de mode de l’Afrique de l’Ouest et d’Afrique australe gagnent de plus en plus à être connu.e.s de notre côté de la Méditerranée (à l’image du Nigérian Kenneth Ize et du Sud-Africain Thebe Magugu), la mode dans cette partie du continent peut encore nous paraître plus confidentielle. Son odyssée l’emmène alors à Kampala, capitale de l’Ouganda. Dirigé par Yoweri Museveni depuis 1986, le pays possède une réputation peu flatteuse. Régulièrement, il fait les titres de la presse internationale pour son climat politique instable, la pauvreté, la corruption, pour sa législation anti-LGBT+ ainsi que le traitement réservé à cette communauté. “C’est un contexte qu’on ne peut pas nier, confie Wilow Diallo. Mais durant mon voyage, j’ai découvert le visage caché du pays et surtout sa jeunesse créative, dynamique et ambitieuse, avec laquelle je n’avais au départ pas prévu de travailler.” Frappé par le savoir-faire d’une industrie mode locale “progressiste, connectée, diverse et en pleine émergence”, le faiseur d’images sénégalais et allemand décide de monter la série Ouganda For Ever avec la photographe ougandaise Michelle Isinbaeva. Formée à l’architecture et au design, cette productrice artistique habitante de Kampala s’est fait un nom depuis cinq ans dans la photographie de mode et le photoreportage grâce à une esthétique fortement influencée

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par sa réinterprétation de la technique du clair-obscur, sa perception du divin et sa volonté de construire un récit qui reflète son identité et ses expériences. Avec l’aide de personnalités créatives sur place, Wilow et Michelle ont donc monté cette série à l’image de cette scène mode. “J’ai voulu explorer les différentes formes de masculinité et de féminité, mais aussi souligner la polarité entre la notion de force et de vulnérabilité”, nous explique le styliste. Shootées dans les bidonvilles de Kampala, les photos, à l’ambiance un brin impénétrable, sonnent également comme un commentaire sur les côtés sombres d’une société qui vit une transition majeure : “J’ai sélectionné des lieux aux caractéristiques urbaines très marquées, mais qui renvoyaient paradoxalement quelque chose de très élégant, charmant et mystérieux à la fois”, ajoute Wilow, nous rappelant par la même occasion que ce sont dans ces quartiers défavorisés que les plus grands noms du sport, de l’entertainment et des industries créatives du pays ont émergé, tel.le.s Gloria Wavamunno, fondatrice de la Kampala Fashion Week, Abbas Kaijuka et sa marque (Kai’s Divo Collection), Cecily Ophelia ou encore Ibrahim Kasoma et Godfrey Katende. Ces deux derniers, fondateurs de la marque IGC Fashion, organisent d’ailleurs des Fashion Cypher dans la petite ville de Kazo. Des événements lors desquels ils apprennent aux jeunes à coudre et leur dispensent un enseignement sur la mode en général. Un travail crucial. Tant le manque d’infrastructures et de connaissances figure parmi les principaux freins à l’essor de la création en Afrique. Ouganda For Ever apparaît donc surtout comme un message fort, fait d’espoir et de résilience.


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L’ É C O NOMIE D ’ I M P A C T PEUT-ON ÔTER SES VICES À LA FINANCE, LA RENDRE VERTUEUSE ET LA FAIRE CONTRIBUER À UN MONDE MEILLEUR POUR DEMAIN ? PLUS QU’UN DÉLIRE UTOPISTE, C’EST LA CONVICTION PROFONDE D’EVA SEDOUN, UNE JEUNE ET BRILLANTE ENTREPRENEUSE, QUI Y CONSACRE SA CARRIÈRE ET TENTE DE FAIRE CHANGER LES MENTALITÉS, DES PAVÉS AUX SALLES DE MARCHÉS. TEXTE RAPHAËLLE ELKRIEF. PORTRAIT NICOLAS WAGNER.

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S’il fallait la ranger quelque part, derrière des noms bien connus de la pop culture, elle serait plus Greta Thunberg que Jordan Belfort, le Loup de Wall Street. La voix qui pétille, un débit de parole qui n’a rien à envier aux traders haute fréquence et une habilité à mixer les références philosophiques et les punchlines dignes d’une conférence TED. À 30 ans et deux startups à son actif, Eva Sadoun entend incarner un nouveau visage pour la finance. Un visage que l’on n’attendait pas, qui parle économie réelle, impact social, investissements raisonnés et transition écologique. Pas vraiment les sujets qu’on imagine débattus dans les salles des marchés des grandes places financières mondiales. Coprésidente du Mouvement Impact France (ancien Mouves), qui se positionne comme une “alternative au Medef” pour mettre en avant une économie à véritable impact social et environnemental. Une obsession pour Eva Sadoun, qu’elle tente de rendre réelle depuis 2017 avec LITA.co, acronyme de Live, Impact, Trust, Act. Ce qui pourrait tout aussi bien être le slogan du Green Party américain décrit parfaitement les ambitions de cette plateforme de crowdequity : faciliter l’investissement dans les innovations à caractère social et environnemental. Face à un système économique et idéologique qui nous semble immuable, celui d’un capitalisme ultralibéral, court-termiste, à peine ébréché par la crise financière de 2008, des mouvements comme l’impact investing (comprendre, finance durable) creusent peu à peu leur sillon. Pas de politique de la terre brûlée, pas d’appel à faire cramer les banques, mais un réel désir de valoriser les acteurs tournés vers des problématiques sociales et environnementales en détournant les investissements vers ce type de structure. Plus loin que la RSE, au-delà du green-washing, LITA éclaire les acteurs qui peuvent changer notre monde, par le biais de l’économie.

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MIXTE. Trois ans après LITA, vous venez de lancer Rift, une application qui permet de scanner via son smartphone l’impact social et environnemental de son épargne… Vous nous en dites plus ? Vous, moi, nous sommes tou.te.s des épargnant.e.s, nous plaçons notre argent sur des livrets A, des contrats assurance-vie, des livrets de développement durable. Ce sont des placements qui sont proposés par nos banques, qui nous sont rentables dans une certaine mesure. Mais, en réalité, on ne sait pas vraiment ce qu’il advient de cet argent, à quoi il sert, ce qu’il finance. La première étape avant de lancer Rift a été, pour nous, de décrypter tout cet écosystème banquier autour de l’épargne. Car avant même de parler des enjeux économiques et sociaux liés aux placements, le premier enjeu est la transparence. Le secret des données bancaires est un vrai obstacle pour savoir quels sont les crédits contractés par votre banque, quelles entreprises elle finance, avec quels pays elle contracte des obligations… En premier lieu, on a voulu faire du décryptage et de la pédagogie. M. Concrètement, l’argent que je mets sur mon livret A peut financer quoi ? Monsanto ? La vente d’armes ? Le nucléaire ? E. S. Dans le pire des cas, oui, l’armement, la pâte à papier, l’huile de palme, les centrales nucléaires. Nos banques financent le marché, elles sont à son image, rien moins que le reflet de notre économie. On ne peut pas leur demander de faire autrement. En revanche, là où elles peuvent agir, c’est en permettant de tracer les projets et les investissements, de les rendre plus lisibles, de financer des programmes verts. Ce faisant, les individus auront le pouvoir de choisir à quoi sert leur épargne, et éventuellement de la réallouer.

EVA SADOU N.

M. Ce que vous proposez, ce n’est pas de sortir notre argent des banques,

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mais plutôt de comprendre où et comment il pourrait être utile ? E. S. Tout à fait, car cette épargne est nécessaire. D’un côté, les individus ont besoin d’investir dans les livrets et, de l’autre, notre économie est tributaire de cet argent. Pour schématiser : une partie des fonds que les banques collectent sur les livrets A – 65 %, pour être précise – sont reversés à la Caisse des Dépôts et Consignations, qui finance ainsi l’économie en réalisant des placements sur les marchés boursiers ou dans des obligations d’État. Et elle constitue également un bas de laine pour parer une éventuelle faillite bancaire. Les fonds collectés permettent aussi de financer les logements sociaux, les collectivités, les PME. Ce que l’on souhaite, c’est savoir quelles entreprises, quels États, quels titres boursiers sont financés par cet argent. Autre exemple : la part des sommes collectées par le livret de développements durable et solidaire (LDDS) – plébiscité par près de 40 % des Français, qui y ont déposé 104 milliards d’euros depuis sa création en 2006, ndlr –, censée financer des projets durables et solidaires, est également centralisée et ne représente que de 10 % de contribution à la transition écologique. Nous militons pour que cette part passe à 80 % et que ce livret n’ait pas de durable et solidaire que le nom… M. Être épargnant et utilisateur de Rift me permet de savoir quoi aujourd’hui ? E. S. L’appli scanne vos livrets et vous permet de savoir ce qui est investi par la banque, ce qui est placé à la Caisse des Dépôts et Consignation, son impact sur le climat et la biodiversité, ses émissions de CO2. Rift permet de vérifier si vos produits d’épargne sont en adéquation avec vos valeurs. À terme, nous fournirons d’autres indicateurs, comme la parité, les questions sociales ou liées à l’emploi. L’appli a vraiment pour but de faire émerger une prise de conscience, une forme d’action collective. Si les gens sont formés là-dessus,

ils peuvent faire changer les choses collectivement, en devenant de vrais cailloux dans la chaussure des puissances publiques. Dans une période de crise comme celle que nous vivons, où l’on se rend compte des limites du capitalisme, les individus doivent comprendre les rouages de notre économie et avoir des revendications concrètes et réelles. M . Ça se matérialise comment ? E. S. En faisant évoluer le secteur. Comme avec l’écologie, l’idée n’est pas de culpabiliser les gens. Seul, on ne peut pas faire grand-chose. Avec Rift, on offre une base arrière pour agir collectivement. En proposant d’envoyer un mail à votre banque pour demander des informations sur ses valeurs, ses placements. 3 000 utilisateurs l’ont déjà fait. Je vous donne un exemple. 15 % de Total est détenu aujourd’hui par des gestionnaires d’actifs, des banquiers. Or l’argent que ces banques investissent dans Total, c’est celui des épargnants, le vôtre, le mien. Nous pouvons exiger, en tant qu’épargnant, que notre banque prenne des décisions en faveur du climat, par exemple. L’an dernier, lors du vote de la résolution climat à l’assemblée générale de Total, BNP Paribas a voté neutre. Avec une mobilisation des clients de la BNP, on pourrait agir pour les forcer à voter pour. Tout cela est encore très désorganisé et nous voulons y remédier. M . Qu’est-ce que Rift apporte de plus que LITA, votre première start-up qui permet “d’investir en ligne dans des entreprises à vocation sociale, sociétale ou environnementale” ? E. S. LITA, c’est le but final, le projet global et ultime pour une finance éthique. Rift, c’est le moyen, le premier rouage. Nous voulons que l’argent aille dans des projets qui créent de l’emploi, qui renouvellent des énergies. Parler de finance fait peur, nous avons voulu l’incarner dans des projets concrets. Expliquer ce qu’est un programme vert, pourquoi cela fonctionne, qu’est-ce que l’économie réelle. On donne trop sou-


FAIRE ÉMERGER UNE PRISE DE CONSCIENCE, UNE FORME D’ACTION COLLECTIVE, POUR QUE LES GENS SOIENT DE VRAIS CAILLOUX DANS LES CHAUSSURES DES PUISSANCES PUBLIQUES.

vent l’impression que telle qu’elle existe aujourd’hui elle est immuable, que rien ne peut la changer. Nous pensons au contraire qu’il existe, de nos jours, des entreprises qui font bouger les choses, qui relocalisent leurs filières textiles, qui créent de nouveaux réseaux de culture d’amandes. Ça existe, et elles prospèrent. M. On a du mal à imaginer le profil des Français qui investissent chez LITA. Qui sont-ils ? E. S. LITA compte 70 000 investisseurs, dont 22 000 particuliers. C’est un panel très hétéroclite, du jeune actif qui ne croit pas en la finance à des profils plus solides, patrimoniaux, qui veulent épargner différemment. Des gens qui militent pour la souveraineté et donc pour avoir le choix de placer leur argent où bon leur semble, d’autres qui désirent soutenir les commerces locaux, le logement social, l’écologie. Les seuls à ne pas se reconnaître dans nos valeurs sont les ultralibéraux obsédés par la quête du profit. Mais sinon, politiquement, on va de la gauche aux macronistes de droite. M. Justement, on parle aujourd’hui de finance verte, de green bounds, ces emprunts par une entité pour financer des projets écolos… L’écologie est-elle soluble dans la finance ? Ou l’inverse ? E. S. Depuis quelques années, les deux mondes commencent à se parler. C’est un leurre de croire encore dur comme fer à la croissance et au productivisme, qui va complètement à rebours des problématiques climatiques que nous rencontrons aujourd’hui, autour de la décroissance et de la raréfaction des ressources. En réalité, il n’y a plus de forte croissance depuis des décennies, c’est le système financier qui, en créant des bulles spéculatives et des produits structurés, feint une croissance que nous avons en réalité perdue depuis la fin des Trente Glorieuses. M. C’est pourtant le dogme sur lequel repose toute notre économie. Comment s’en dépatouiller ? E. S. C’est une idéologie à laquelle nos économies ont beaucoup de mal

à renoncer. On fait encore rimer croissance et emploi, bien-être des sociétés. Il n’y a qu’à voir, quand Emmanuel Macron arrive au pouvoir et défend la croissance, combien ces déclarations ont un impact positif sur l’économie de la France, alors qu’il n’a encore rien fait ! Je crois qu’il est temps de permettre à un discours écologique sensé et rassurant d’émerger, pour montrer que les produits financiers qui prendront de bonnes directions écologiques seront fiables et résilients sur le long terme.

M . Et financer l’économie réelle ? E. S. La finance verte peut nous rapprocher de l’économie réelle, elle nous ouvre les yeux sur cette bulle spéculative que je viens d’évoquer. Il faut arrêter de croire que le monde est à deux chiffres. Les grandes institutions commencent à prendre conscience de certaines choses, comme la Banque centrale européenne qui intègre désormais les risques climatiques dans ses calculs. M . … et pandémiques ? E. S. Pas encore. Malgré l’impact incroyable de la Covid-19, on considère encore que ce risque est conjoncturel, pas structurel. M . Concrètement, est-ce qu’une finance verte, c’est “une finance sans pute et ni coke” ? Ça ressemble à ça le trading chez LITA ? E. S. Ce n’est pas pour rien que l’on associe finance de marché et coke, qui crée un monde irréel dans lequel nos compétences sont décuplées et illimitées (rires). Non, chez LITA on a les pieds sur terre, les gens se déplacent à vélo, mesurent leurs kilomètres. Ce sont des personnes issues de tous les milieux, qui se rejoignent autour de leur conscience très forte sur les grands enjeux de notre économie aujourd’hui ; qui veulent traduire leurs valeurs et leurs engagements dans des actes. M . Comment on enlève ses vices à la finance ? Vous avez des idées ?

E. S. En la nettoyant des produits qui ne doivent plus exister. En arrêtant ceux qui permettent de passer

d’une action à une autre en quelques secondes, mais qui n’apportent rien à l’économie réelle. On supprime les parties intermédiaires, comme certains fonds, et l’on prône les circuits courts, comme dans l’alimentation. Et enfin, on repense notre système de manière plus globale en changeant les indicateurs de performance : ceux liés à l’emploi, au bien-être, à l’empreinte écologique. M. Il y a du boulot ! Cette forme de militantisme fait-elle des activistes financiers des militants comme les autres ? On ne vous regarde pas un peu de travers ? E. S. Le terme d’activisme financier trouve un véritable écho aujourd’hui. C’est vrai que le milieu militant est assez réfractaire à tout ce qui vient de la finance. Mais notre but est de montrer que la finance n’est pas une idéologie mais un levier d’action. Il faut faire de la pédagogie auprès des milieux militants pour déconstruire des vérités. Car aujourd’hui, les crises économiques, sanitaires et climatiques créent une véritable angoisse, et l’économie a besoin d’argent pour financer une transition énergétique. Or il existe des leviers honnêtes, sans green washing, qui nous permettraient de sortir de cette crise. Alors, je crois qu’on saura être entendus… M . Quels courants de pensée, quels mouvements suscitent aujourd’hui votre attention ? E. S. Je publie à la rentrée un ouvrage sur les questions d’économie inclusive. Il s’agissait à l’origine d’un travail sur l’écoféminisme, que j’ai voulu rendre plus intersectionnel. C’est l’écoféminisme qui m’a fait prendre conscience de mon envie de lutter contre toutes les formes de domination. Ce que vivent les femmes nous aide à mieux comprendre la domination de l’Homme sur la nature. Cela nous permet de constater une biologie des actions. Pendant la pandémie, par exemple, les dirigeantes ont pris des décisions basées sur la vie humaine, les hommes sur l’économie. L’avenir nous dira qui a eu raison.

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R O B E B R O D É E E N C OTO N , L A I N E ET P LU M ES , S E R R E-TÊTE B R O D É D E S E Q U I N S PATO U , C O LL A N T M U G LE R , ES C A R PI N S “L A R O S E” E N CUIR GLACÉ FREE LAN CE .

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TEXTE PIERRE D’ALMEIDA. PHOTOS BOJANA TATARSKA. RÉALISATION CLÉMENT GUINAMARD. EMMA BERGMANN EST CHAUSSÉE PAR FREE LANCE.

IMPOSÉES AUX ARTISTES ÉMERGENTS.

ENTEND REPOUSSER À SA MANIÈRE LES LIMITES TRADITIONNELLEMENT

ET À L’AIDE D’UN ALTER EGO DE DIVA FANTASQUE ET VENGERESSE, LA CHANTEUSE BERGMANN

AVEC UN PREMIER ALBUM QUI REFUSE L’ASSIGNATION À UN (SEUL) GENRE MUSICAL,


Même si ça peut sonner comme la phrase de quelqu’un qui n’aime rien, ou pire, qui fait semblant de tout aimer, Emma Bergmann (Bergmann tout court pour la scène) ne plaisante pas lorsqu’elle dit qu’elle “écoute de tout” (sauf peut-être du métal). En mai dernier, la musicienne, exmoitié du duo électro-disco Palmyre, sortait No Curfew l’année de ses 28 ans. Un premier album dont le titre prémonitoire, choisi deux ans avant les débuts de l’épidémie de Covid-19, relevait moins de la référence au couvre-feu en vigueur en France de novembre 2020 à juin 2021 que du message de prévention à l’attention de ses futurs auditeurs. Attention à ne pas trébucher, ici on trouve de tout, sans restrictions, comme elle nous l’explique. “Dans mon album, No Curfew, il y a de la trip-hop, de la pop, du R&B, il y a du français et de l’anglais. En France – et pas qu’ici, d’ailleurs –, les gens aiment bien être rassurés. En tout cas, l’industrie de la musique est très guindée. Un artiste folk se doit de faire uniquement du folk. Moi je me refuse totalement à faire ça. J’ignorais que je chanterais aussi en français sur l’album, mais je savais déjà que j’allais proposer plusieurs choses. Quand on est au service de l’art et pas l’inverse, on s’amuse, on fait des exercices de style. C’est tout ça qui m’intéresse.” Résultat de cet exercice : 14 titres qui empruntent à parts égales au dancehall (“Love Potion”), à la new wave (dans les synthés de “Emotional Woman”), au R&B éthéré des années 90 (sur “Morpheus Where U At?”), à la trap (dans les instrus de

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“Anybody Else’s”), à la variété des années 80 (“Parfum d’Été”) ou encore au Lofi hip hop (“Pity Party”). Une prise de risques dont Bergmann semble parfaitement consciente, à l’heure où ses pairs auraient probablement préféré tâter le terrain au moyen d’un EP un peu plus uniforme : “Je crois que, d’une manière générale, j’aime bien désobéir. Au départ, je voulais 18 titres ! Cet album, c’est une sorte d’entrée dans le monde. Et à partir du moment où je voulais proposer un truc qui caresse plusieurs genres, cinq titres, c’était un peu short… Pour le coup, on se serait dit : ‘C’est n’importe quoi !’ Là, au moins, il y a un peu plus de liant.” Quand on lui demande comment on en vient à vouloir mélanger Frank Ocean, Aya Nakamura, Lykke Li, Portishead, Diana Ross et Mylène Farmer (qu’elle cite tous les six comme inspirations) sur un seul et même projet, la réponse fuse : “J’ai eu un rendez-vous récemment dans une maison de disques, et il fallait encore que je leur explique que, particulièrement dans les années 2020, on est le produit d’une accumulation culturelle et musicale énorme. Donc c’est complètement logique à mon âge d’être le reflet de tout ce dont on est imprégné.” Ce n’est pas pour autant qu’elle cède aux codes musicaux du moment. “Je ne commandite jamais le style de la chanson que je vais composer. Je ne me dis pas : ‘Tiens, j’aimerais bien faire ce qui est cool en ce moment’. L’éclectisme, je trouve que c’est la manière la plus honnête de faire de la musique. C’est peut-être un peu puriste, mais pour le moment, c’est comme ça que je fonctionne et ça me va. Après, je n’ai pas dit que j’étais la

plus grande businesswoman de la Terre, et que je prenais les meilleures décisions au monde pour mon porte-monnaie. Mais au moins je suis sincère.”

DES IMAGES PLEIN LA TÊTE Il n’y a pas qu’en musique d’ailleurs que Bergmann est puriste. Un trait de caractère qu’elle attribue, sans qu’on lui pose la question, au fait d’être née sous le signe du Capricorne. Avant même d’exister sur YouTube, les clips de la chanteuse (qu’elle réalise parfois seule, comme Love Potion, Boy Bye, et Cross My Heart) existent dans sa tête, à l’image du titre “Pity Party” dont la vidéo illustre la réunion de dépressifs anonymes, décrite dans la chanson par des paroles imagées. “Pour ‘Love Potion’, dès le moment où j’ai écrit la chanson, j’avais les images en tête. Je voulais que le clip soit un peu plus fantastique, et j’ai dû réadapter le truc pour des raisons budgétaires. Comme je suis dans un label où il n’y a pas réellement de directeur artistique, c’est moi qui endosse ce rôle. Au départ, je ne savais pas que ça m’intéressait. J’avais des goûts particuliers, affirmés, mais j’ignorais à quel point j’allais prendre le pouvoir sur ça. Finalement, c’est venu naturellement.” Dans le “starter pack visuel” de l’artiste Bergmann, on trouve une obsession pour les tons vifs et ultra-saturés (aucune place pour le beige ou le gris, des meubles jusqu’aux fringues, en passant par les ongles, toujours longs et vernis), une passion pour le grain et l’esthétique de vieille VHS abîmée (à michemin entre le Tumblr de 2012-2013


© DR

R O B E E N J E R S EY B R O D É D E PI E R R ES D O LC E & G A B B A N A , C O LLI E R S “TALIS M A N ” E N O R ET R ÉSI N E GO OSSE NS.


M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E P R A D A , B OT TES “BILLI” E N C U I R À ZIP S F R E E L A N C E . PA G E D E D R O ITE : R O B E E N J E R S EY B R O D É D E PI E R R ES D O LC E & G A B B A N A , ES C A R PI N S À B R ID ES “D E M I” E N C U I R V E R N I F R E E L A N C E , C O LL A N T FA LK E .



“RÉCEM M ENT, J’AI PARLÉ DES VIOLENCES FAITES AUX FEM M ES ET BEAUCOUP DE GENS M’O NT ENVOYÉ DES M ESSAGES. JE SUIS CO NTENTE, M ES CHANSO NS O NT FAIT LE TAF QUE JE VOULAIS QU’ELLES FASSENT.”

et le homemovie tout poussiéreux qui fleure bon les nineties) ainsi qu’une fascination pour le kitsch et le camp sous toutes ses formes : les grosses fleurs en tissu, les robes à sequins, les bigoudis, les boas en tulle et les déshabillés en mousseline de soie et plumes. Si la garde-robe quotidienne de la musicienne ne s’éloigne pas forcément de celle de ses clips – le jour de notre rencontre, sa manucure ressemble à celle de la standardiste dans Total Recall –, Bergmann (pseudo choisi en clin d’œil à l’actrice et au cinéaste suédois Ingrid et Ingmar Bergman) reste un personnage de théâtre créé par Emma il y a de ça quelques années. “En 2018, au moment où j’ai fait le clip Pay Attention, je sortais d’une relation toxique de quatre ans. Comme souvent quand on quitte quelqu’un, je voulais changer de gueule et je me suis teinte en rousse. La DA de tout ce projet a commencé par ça, puis le personnage que j’ai joué dans ce clip s’est révélé être une sorte d’alter ego fictif dont j’avais besoin : une meuf qui se venge de manière pas du tout raisonnable, ce que je déconseille à tout le monde, et qui bute son ex parce qu’il est violent. Je me suis inspirée d’elle, en me disant qu’il ne fallait pas que je vive dans la honte d’avoir vécu ça, mais au contraire que je le magnifie. Après, j’ai décidé de continuer avec elle, parce que c’est une anti-héroïne, un rôle qu’on donne rarement aux femmes et que je trouve intéressant. C’est une sorte de dure à cuire, mais enrobée de paillettes.” En baronne de drogue fictive (dans le clip Love Potion), ou en invitée qui se présente à l’enterrement d’un ami vêtue d’une minirobe

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rose bonbon (Pity Party), Bergmann est depuis devenue l’extension théâtrale de cette fille de metteur en scène et de comédienne qui envisageait un temps elle-même de devenir actrice : “J’ai joué un peu, j’ai fait des castings, mais je trouvais ça trop dur. Je pense que je n’avais pas le système nerveux et émotionnel assez coriace pour me prendre des refus, donc j’ai décidé d’arrêter. J’aimais aussi la musique, et avec ça je pouvais me donner du travail toute seule. Du coup, dans mes clips, je peux avoir tous les rôles. Je pense qu’il ne faut jamais être insatisfait dans la vie. Ça, c’était pour moi le moyen de ne pas être une vieille actrice frustrée”.

ENGAGÉE SUR LA BONNE VOIX Pandémie oblige, Bergmann a dû revoir ses ambitions de promo à la baisse. En juillet 2021, la release party de son album est annulée en dernière minute lorsque son musicien principal attrape la Covid-19. L’année précédente, lors du premier confinement, elle qui n’avait à cœur que de produire des vidéos ultra-léchées décide de finalement clipper “Cross My Heart” avec les moyens du bord (précisant, dès les premières secondes, qu’il s’agissait d’une “Lockdown, Quarantine, Covid-19 Fucking Headache Production!”). “Je venais d’apprendre que mon album allait être décalé de plus ou moins un an, et je me suis fait violence en réalisant un truc DIY assez éloigné de mes goûts à moi, parce que je me suis dit : ‘j’ai besoin de sortir un truc, ça fait trop longtemps que j’attends’. On est allés dans un parking, j’ai commandé des fringues sur internet, un fond vert, on a

pris des lampes torches et un appareil photo qui filme, et c’est tout.” Possible mal pour un bien, ce délai lui aura permis de découvrir qu’elle aimait chanter en français, et d’en ajouter à l’album. Alors, avant de pouvoir (re)trouver la scène, qui – de son propre aveu – lui manque sans qu’elle n’ait jamais vraiment pu y goûter, et avant de pouvoir monter un vrai show (“pas un truc hors de prix, mais juste que ça ait de la gueule”, idéalement en collaboration avec des artistes contemporains qu’elle admire, comme l’Américaine Signe Pierce), Emma traîne sur Instagram, où elle relaie un flot continu de messages de sensibilisation à la lutte contre le sexisme, le racisme ou l’homophobie. “Je sais qu’il y a des artistes qui n’aiment pas prendre parti ou qui ont les mêmes convictions que moi mais ne souhaitent pas mêler ça à leur travail. Pour moi, les deux sont étroitement liés, et c’est complètement naturel. En tant que femme blanche née dans un milieu relativement privilégié, je suis obligée de faire tout ça. À mon sens, ne pas le faire, c’est tout simplement être une connasse.” Et ça marche ? “Récemment, j’ai parlé des violences faites aux femmes et beaucoup de gens m’ont envoyé des messages, je ne m’y attendais pas. Parfois, je suis surprise : il y a un mec de 60 ans, féru de cinéma, qui m’a créé un compte fan. J’ai des anesthésistes qui me suivent, des gamines de 13 ans aussi. C’est là où je suis contente, mes chansons ont fait le taf que je voulais qu’elles fassent : moi j’écoute toutes sortes de musiques, donc je fais toutes sortes de musiques et ça touche toutes sortes de personnes.” La boucle est bouclée.


C O LLI E R S E N M ÉTAL ET ST R A S S G U C C I .

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V ESTE E N TW E ED D E E N TW E ED D E L A I N E S A I N T L A U R E N T PA R “L A R O S E” E N C U I R

L A I N E , B O D Y E N TIS S U STR ETC H , M I N I-J U P E ET FA U S S E F O U R R U R E , C O LL A N T ET C H O K E R E N M ÉTAL D O R É A N T H O N Y VA C C A R E LLO , ES C A R PI N S FREE LAN CE.

PA G E D E D R O ITE : V ESTE E N C R Ê P E D E S O I E ET V ELO U R S G U C C I , H A UT E N SATI N B R O D É D E C R ISTA U X S W A R O VS KI ET D E P LU M ES K O C H É , C O LL A N T FALK E , ES C A R PI N S- M U LES “O LY M PI A 6 5” E N C U I R V E R N I F R E E L A N C E . COIFFU R E : B E N M IG N OT. M A Q UILLA G E : KH ELA @ CALL MY A G E NT. ASSISTA NT LU M IÈR E : TH O M AS RIG AD E. DIGITEC H : SAR AH R EI M A N N @ I M A GIN PARIS .

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LIBERTÉ ÉGALITÉ SORORITÉ À L’IMAGE DE LA DERNIÈRE CAMPAGNE “SISTERHOOD” DE LA

MAISON ITALIENNE AGL, LA SOLIDARITÉ ET LA BIENVEILLANCE ENTRE FEMMES SEMBLENT ÊTRE DES VALEURS DÉSORMAIS DÉFENDUES JUSQUE DANS L’INDUSTRIE DE LA MODE. TEXTE FLORENCE VAUDRON.

Kids des 90s, on ne vous en voudra pas si, à la lecture du mot “sororité” vous vient tout de suite l’image d’un groupe d’étudiantes d’université américaine à la Mean Girls, vivant sous le même toit et partageant des règles absurdes ; une représentation de la pop culture qui concentre des clichés féminins bien lourds avec l’intello, la canon populaire, la pom-pom girl, etc. Mais la sororité, c’est surtout un terme politique et féministe introduit pour la première fois en 1970 par la poétesse américaine Robin Morgan avec son livre Sisterhood is Powerful. C’est avec #MeToo, à la suite de l’affaire Weinstein en 2017, que le concept de sororité est revenu sur le devant de la scène dans son acception la plus large. Un simple mot teinté de bienveillance et d’empathie qui aurait donc le pouvoir de renverser les rapports de force et les injustices hérités du patriarcat. Rêvons un peu. En attendant que cette vision idéaliste se réalise enfin, on peut toujours compter sur la pop culture et les industries créatives pour nous sensibiliser à la cause. D’abord dans la musique avec la récente sortie en France de Sorøre,

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L A BALLE R I N E S H A R I A J O H N S O N P O RTE LES B O OTS “TA S K Y C O M BA CT” E N C U I R D E L A C O LLECTI O N A UTO M N E- H IV E R 2021 /2022 A G L .

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SISTERHOOD BY LÅPSLEY: “WITH MY SISTERS HAND IN HAND I KNOW I CAN BE THE RED FLAG AND THE BULL YOU ONLY HAVE TO PUSH AND I WILL PULL I CAN HELP YOU FEEL FULL BECAUSE YOU HELP ME NOT TO BE FEARFUL”

LA DANSEUSE N I K KITA C H AD H A P O RTE LES M U LES “TI G GY M U LE” EN CUIR À S E M ELLES E N C A O UTC H O U C D E LA C O LLECTI O N A UTO M N E- H IV E R 2021 /2022 AGL.

l’album commun de Camélia Jordana, Amel Bent et Vitaa, mais aussi et surtout dans le milieu de la mode avec des marques qui conçoivent des campagnes réalisées entièrement par des équipes féminines accompagnées de slogans féministes. C’est le cas de Sara, Vera et Mari, les trois sœurs à la tête de la marque italienne AGL qui, après avoir repris la direction de l’entreprise familiale à la suite de leur grand-père et de leur père, ont décidé de mettre davantage en valeur les femmes. Après deux générations de leadership masculin, cela ne coulait pourtant pas de source, comme nous le rappelle l’une des sœurs : “Historiquement, cette position ne pouvait être occupée que par des hommes”. Si leur détermination et leur passion pour la maroquinerie féminine ont su convaincre tout le monde de leurs capacités à assurer le job, elles mettent un point d’honneur depuis leur arrivée à ce que leur équipe soit composée à 65 % de femmes. Pour Sara, Vera et Mari, le concept de sororité est l’essence même du processus de création d’AGL. Elles imaginent et conçoivent les pièces des collections toujours ensemble. La sororité est si importante et chère à leurs yeux qu’elles en ont fait le thème de leur dernière collection Automne-Hiver 2021-22, Sisterhood, et ont construit toute la campagne créative autour de cette idée. Pour cela, elles ont réuni une équipe exclusivement féminine pour concevoir une vidéo, en partenariat avec Nowness – plateforme de contenu super pointue devenue une vraie référence dans la culture et la mode. Dans les

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salles d’exposition d’une Tate Modern vide, trois danseuses aux physiques différents interprètent une chorégraphie contemporaine. Nikkita Chadha – également actrice, aperçue dans le remake d’Aladdin de Guy Ritchie et castée pour l’adaptation de Mort sur le Nil avec Gal Gadot qui sortira en 2022 – enchaîne les mouvements graphiques et énergiques avec ses sœurs de chorégraphie, Grace Jabbari et la ballerine Sharia Johnson. Immortalisé par Fiona Jane Burgess, réalisatrice londonienne ouvertement féministe et récompensée aux Cannes Lions, festival de la créativité en 2019, le lien de sororité qui les unit est palpable. Il émane de la vidéo une douce puissance, avivée par les paroles de la jeune chanteuse anglaise Låpsley, 25 ans, qui a composé pour l’occasion un poème intitulé Sisterhood. Les vers appellent à considérer la sororité comme un vecteur de puissance,

L A D A N S E U S E G R A C E J A B BA R I P O RTE LES C U IS SA RD ES “TO R A O V E R T H E K N E E” E N C U I R ET S H A R I A J O H N S O N LES B O OTS “TA S K Y C O M BA CT”, C O LLECTI O N A UTO M N E- H IV E R 2021 /2022 A G L .

mais aussi comme un safe space en soi. En concevant ce projet avec une équipe entièrement composée de femmes, les créatrices d’AGL livrent une très belle démonstration du potentiel créatif de la sororité et montrent que les marques peuvent éthiquement et justement s’engager sur le sujet. Comme les trois sœurs le revendiquent avec le thème Sisterhood, leur collection est une invitation faite aux femmes à prendre le lead et “à se faire davantage confiance”, elles qui restent en effet encore sous-représentées dans l’industrie de la mode. Les grandes maisons de haute couture et de prêt-à-porter sont en grande majorité dirigées par des hommes – chez LVMH, par exemple, seules quatre des quinze marques du groupe ont une directrice artistique à leur tête. Parmi les potentielles explications de cette sous-représentation, la tendance naturelle des femmes à remettre en cause leur potentiel, là où les hommes se posent moins de questions. C’est là où la sororité pourrait bien jouer un rôle clé, en donnant à certaines la force et la confiance suffisantes pour ne plus douter. C’est en tout cas le mantra de l’actrice Adèle Exarchopoulos dans notre numéro Printemps-Été 2021 “Utopia”, qui nous avait confié : “Je crois à mort à la sororité, j’en ai besoin.” Nous aussi on y croit vraiment à mort.


LE LIEN DE SORORITÉ QUI UNIT LES DANSEUSES EST PALPABLE, COMME CELUI QUI EXISTE ENTRE LES TROIS SŒURS À LA TÊTE DE LA MAISON AGL.

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SHARIA JO H N SO N P O RTE LES M U LES “TI G GY M U LE” ET LES B OT TES “M IC H ELLE B O OT” E N C U I R , C O LLECTI O N A UTO M N EH IV E R 2021 /2022 AGL.


CR ÉA CRÉOLE AVEC SA MARQUE C.R.E.O.L.E, LE JEUNE CRÉATEUR DE

MODE

ET

DIRECTEUR

FRÉDÉRIC-COLOMBO

ARTISTIQUE

S’EST

MISSION

DE

CÉLÉBRER

TEINTÉE

DE

QUEERNESS

UNE ET

DONNÉ CRÉOLITÉ DE

VINCENT COMME MASCULINE

GENDER-FLUIDITY.

TEXTE ANTOINE LECLERC-MOUGNE. PORTRAIT NICOLAS WAGNER. VI N C E N T F R ÉD É R IC- C O LO M B O P O RTE U N E N S E M BLE E N O R G A N Z A ET U N D É BA RD E U R E N C OTO N D E SA M A R Q U E C . R . E . O . L . E

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C . R . E . O . L . E C O LLECTI O N “R H IZO M E A N D D Y STO PI A” : TE E-S H I RT E N C OTO N À L’EFFI G I E D E C H R ISTI A N E TA U BI R A , C O L R O U LÉ E N LYC R A I M P R I M É M O N O G R A M ET, PA G E D E D R O ITE , C R O P P ED -TO P E N M ES H ET S LI P D E BA I N E N LYC R A I M P R I M É TI E A N D D Y E .

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et de sociologie (oui, il a notamment été formé en arts appliqués, design et anthropologie, rien que ça). Pour Mixte, Vincent explique en quatre points majeurs comment il a réussi à mettre sur pied l’une des jeunes marques les plus prometteuses et les plus réfléchies du paysage mode français.

© Fanny Viguier

1. EN SE RÉAPPROPRIANT LE M OT “CRÉOLE”

Figure de la mode et de la nuit parisiennes (il est le cofondateur, avec la photographe et plasticienne Fanny Viguier, de la mythique soirée LA CREOLE), Vincent Frédéric-Colombo a lancé cette année sa marque de vêtements C.R.E.O.L.E, après avoir fait ses armes en vente et merchandising à la fameuse boutique parisienne Kokon To Zaï, mais aussi en tant que casteur pour des marques de renom comme Vivienne Westwood ou Bernhard Willhelm. Hommage à son histoire et à son héritage afro-caribéens, sa toute première collection, baptisée Rhizome and Dystopia, réussit subtilement à briser les clichés sur l’imagerie et l’identité créoles tout en rendant compte de la complexité et de l’abondance de cette culture qui s’étend de la Louisiane américaine aux Antilles, jusqu’au Brésil et au Cap Vert, en passant par La Réunion, Macao et l’archipel des Philippines. Un tour du monde aussi riche et complet que ce jeune garçon ultra-talentueux et polymathe originaire de Saint-Claude en Guadeloupe et passionné de mode, de musique, de design, d’architecture

“Si on regarde la définition académique et première du mot ‘créole’, on se rend compte qu’elle est relativement déconnectée de ce que le terme évoque aujourd’hui. Quand l’État français a commencé à légiférer sur le statut des habitants des nouvelles colonies, il les a nommés ‘créoles’. À l’origine, le mot définissait donc simplement une personne blanche née dans les colonies – ce qui est assez surprenant, quand on sait que l’étymologie même de ‘créole’ vient du portugais crioulo qui signifiait au xviie siècle ‘serviteur nourri dans la maison’ et désignait les métis utilisés comme esclaves au Brésil. Par extension, dans la langue française, le mot a finalement servi à désigner dans les colonies toutes les personnes nées et vivant sur ces terres, y compris, bien évidemment, les personnes afro-descendantes dont les ancêtres ont été déporté.e.s et esclavisé.e.s. Ce n’est qu’au milieu du xxe siècle que le romancier, poète et philosophe français et antillais Édouard Glissant lui donne une nouvelle signification, en théorisant le concept de créolité et de créolisation. Pour lui, la culture créole est ‘une culture rhizome qui, par sa composition, résulte du tout monde’. C’est une définition qui, personnellement, me convient beaucoup plus. La culture créole, c’est avant tout un métissage

assez flou et complexe qui est encore marqué par beaucoup de stigmates nés des conditions historiques et sociologiques difficiles dans lesquelles on s’est construits. C’est pour ça que j’ai choisi de nommer ma marque sous la forme de l’acronyme C.R.E.O.L.E pour ‘Conscience Relative à l’Émancipation Outrepassant les Entraves’. Ma démarche est assez manifeste. Mon but est d’essayer de vulgariser à travers le vêtement une histoire très riche en mettant en lumière certains éléments et certaines références qui y sont associés.”

2. EN REVISITANT ET EN PIM PANT LE VESTIAIRE MASCULIN CRÉOLE “L’imagerie créole est trop souvent empreinte de clichés. Il y a tout un tas de photographies de type ethnographique de la fin du xix e siècle qui ont contribué à véhiculer une vision uniquement pensée par et pour l’Europe ; comme une sorte de mise en scène folklorique dont les codes poussés à l’extrême ont occulté une réalité qui n’a jamais vraiment été comprise. En voyant ces photos, j’ai compris qu’on pouvait être une somme de clichés que les gens ont du mal à dépasser. C’est là qu’en faisant des recherches et du sourcing plus poussés sur l’esthétique vestimentaire créole masculine – que ce soit à travers des billets de banques, des cartes postales ou d’autres représentations picturales des Antilles –, je me suis rendu compte qu’il y avait des détails stylistiques hyper intéressants, dont beaucoup de codes associés à certains statuts et métiers : pêcheur, marchand de charbon, primeur, conteur d’histoire, diseur de bonne aventure… ou encore, plus récemment, tous les éléments liés à la culture musicale dancehall et

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hip hop. Je suis parti de cette amorce pour renouveler le vestiaire créolisé en associant des références déclinées des costumes traditionnels (le macramé, le crochet, la broderie, le filet de pêche…), avec des éléments plus actuels et plus techniques (un bomber, du workwear, du sportswear, un hoodie, du denim ou encore un imprimé tie and dye inspiré de la culture rastafari), le tout avec un aspect queer et genderfluid notamment inspiré d’une mode masculine plus excentrique qu’on peut voir durant la période du carnaval : du satin, des couleurs comme le rose ou le baby blue, un jockstrap… Ma proposition est assez simple, au final : il s’agit, par le vêtement, de donner une représentation plurielle de l’homme créole.”

3. EN REDON NANT U N SENS POLITIQUE ET MILITANT AU VÊTEMENT “Le vêtement a toujours servi à exprimer qui l’on est : le statut social, la classe, la profession… C’est un langage non verbal. Qu’on le veuille ou non, les gens définissent l’identité de quelqu’un par ce qu’il ou elle porte. L’appartenance à un groupe et le processus d’identification se font aussi par le vêtement. Je crois d’ailleurs que c’est la première chose qui peut fédérer les gens et véhiculer un message. Regarde les Gilets Jaunes ou les Black Panthers… Sachant ça, je ne pouvais pas passer à côté de certains aspects politiques, sociologiques et écologiques actuels liés aux Antilles et à la culture créole. C’est pour ça qu’on retrouve sur certaines de mes pièces un imprimé inspiré du charançon (cet insecte qui détruit les plantations de banane à la Martinique, ndlr), tout comme un dessin inspiré de la molécule du chlordécone (insecticide et pesticide ultra-toxique utilisé dans les Antilles françaises entre 1972 et 1993 sous les noms commerciaux de Képone et Curlone, pour lutter contre le charançon du bananier, et qui est aujourd’hui responsable d’un scandale sanitaire sans précédent avec une recrudescence de cancers et une forte contamination des sols et des ressources naturelles, ndlr). J’ai aussi fait référence au Bumidom, le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, qui avait été créé en 1963 par Michel Debré pour pallier le manque de main-d’œuvre en Métropole et un fort taux de chômage en Outre-mer (un pan sombre de l’his-

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toire française, aujourd’hui entaché par des scandales d’exils forcés et de déportation, notamment au travers de l’affaire des ‘Enfants de la Creuse’, ndlr). Mais j’ai aussi voulu véhiculer des messages plus optimistes, comme avec ce tee-shirt à l’effigie de Christiane Taubira, sur le modèle d’une pièce de monnaie où il est écrit : ‘I don’t want to die without Taubira presidente’ (‘Je ne veux pas mourir sans que Taubira soit présidente’). Elle fait clairement partie des symboles de notre génération.”

4. EN PRO M OUVANT L’IDÉE D’U NE MARQUE INCLUSIVE “Pour moi, C.R.E.O.L.E se veut évidemment un travail d’introspection et d’affirmation. Il s’agit de reprendre le contrôle sur notre identité, nos représentations et notre histoire, tout en nous rendant fier.e.s. Cela dit, je ne veux pas que la marque soit uniquement dédiée à la communauté créole et que, du coup, certaines personnes s’en sentent exclues. C.R.E.O.L.E est avant tout un projet inclusif, et sous différentes formes. Déjà, même si ma marque est à prédominance masculine, il y a une tendance relativement fluide, avec des incarnations variées, un panel de beauté plus large et moins standardisé avec des pièces qui sont tout à fait portables par les femmes. Aussi, plusieurs personnes qui ne sont pas issues de la culture créole m’ont souvent demandé si elles pouvaient s’habiller avec mes pièces. Je ne veux pas qu’elles se sentent mal à l’aise du fait de porter quelque chose qui n’est pas directement affilié à leur culture ou à leur famille. C’est aussi pour ça que j’ai pensé C.R.E.O.L.E comme un acronyme et que j’ai créé un monogramme avec un sigle composé de six C (reprenant le nombre de lettre dans le mot créole, ndlr), qui agit plus comme un artefact et qui apporte, je crois, un message plus ouvert que la simple notion de créolité et de créolisation. Pour moi, c’est une démarche qui requestionne le tout en montrant et en célébrant justement une multiplicité d’identités. J’espère que ça servira d’exemple aux nouvelles générations dans le futur pour montrer que tout le monde peut se raconter à sa manière. C.R.E.O.L.E est d’abord une interprétation qui m’est personnelle et qui gravite autour de ma propre histoire, en lien avec l’identité et la culture créole. Je ne considère pas avoir la vérité absolue sur la manière de l’incarner.”


© Fanny Viguier

C . R . E . O . L . E C O LLECTI O N “R H IZO M E A N D D Y STO PI A” : S LI P D E BA I N E N LYC R A I M P R I M É M O N O G R A M , PA G E D E D R O ITE , V ESTE ET PA N TALO N W O R K W E A R E N C OTO N ET C H A U S S ET TES E N C OTO N M ÉL A N G É .

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LADY

DIAN TEXTE OLIVIER PELLERIN. PHOTOS JOHNNY KANGASNIEMI. RÉALISATION GEMMA BEDINI.


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C O R S ET E N S O I E B R O D É E D E STR A S S , S O UTI E N - G O R G E E N D E N TELLE ET J U P E E N TU LLE “G G” G U C C I . C H O K E R E N O R ET PALL AD I U M , B O U CLES D’O R EILLES E N PALL AD I U M ET C R ISTAL J U S TI N E C LE N Q U ET.

ET GENDER FLUIDITY.

SE JOUE DES GENRES AVEC BRIO ET INVENTE UNE POP À L’UNIVERS RAFFINÉ MÊLANT SPLEEN

OU EN GUEST DU DERNIER DÉFILÉ DIGITAL DE LA MARQUE LECOURT MANSION, L’ARTISTE THEE DIAN

REPÉRÉE EN FEATURING AVEC CRYSTAL MURRAY SUR LE TITRE “GOOD GIRL GONE BAD”


R O B E E N S O I E B R O D É E D E C R ISTA U X C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , B O U CLES D’O R EILLES E N B R O N Z E A R G E N TÉ B A LE N C I A G A .

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Nous l’avions découverte dans le sillage de Crystal Murray, parue dans notre dernier numéro, à l’occasion de leur projet Good Girl Gone Bad. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers Spin Desire, le label de Crystal, pour rencontrer Thee Dian au Bunker, le QG du label près du mythique cimetière du PèreLachaise dans le Nord-Est parisien. Elle est radieuse, élancée et gracile, des accroche-cœurs au front. Elle pianote quelques dernières obligations sur son portable de ses doigts aux ongles sans fin et nous livre un long entretien désarmant de sincérité. Commençons par le début, une enfance parisienne entourée de parents musiciens, qu’elle suit en tournée depuis toute petite. Son père, le chanteur et percussionniste sénégalais Idrissa Diop, s’est illustré dans le groupe Le Sahel-La Légende de Dakar, avec le jazz-rock band français Sixun et au long d’une carrière solo qui l’a mené jusqu’aux côtés de Carlos Santana. Il a notamment enseigné le djembé à Thee Dian, avant de retourner au Sénégal quand elle avait 6 ou 8 ans. C’est alors sa mère, la Franco-Espagnole Isabel Gonzalez, choriste auprès de nombreux artistes, dont la chanteuse Camille, qui se charge de l’éducation de Thee Dian. Issue d’un cursus classique au Conservatoire national de région, Isabel a également suivi une formation jazz au CIM (Centre d’informations musicales).

LA MUSIQUE EST, SELON ELLE, L’ESPACE D’EXPRESSION LE PLUS PROPICE À LA MODE. CE QUI TOMBE SOUS LE SENS QUAND ON VISIONNE SES CLIPS.

Un éclectisme qui berce Thee Dian d’une diversité d’influences allant de Mariah Carey à Ella Fitzgerald, des voix bulgares au Stabat Mater de Pergolèse. Au chapitre desquels elle ajoute aujourd’hui, pêle-mêle, Rihanna, FKA Twigs, Christine and the Queens, Nina Simone, The Rolling Stones, The Clash, The Kills, Bob Marley, Amy Winehouse ou le rap des années 90, Lil’ Kim et Notorious B.I.G. en tête. De 12 à 14 ans, Thee Dian étudie à l’école franco-américaine de Dakar. Entre les cours et le surf, son apprentissage musical y gagne en profondeur. “Ça m’a énormément forgée, musicalement et culturellement. Ça a calmé mon parisianisme. J’étais très capricieuse, et le fait de voir les enfants dans la rue, le manque de tout, mais aussi la joie, ce truc d’être heureux et reconnaissant de chaque petite chose qui se passe dans la vie, ça m’a remis les idées en place”, se rappelle-t-elle. À son retour à Paris, dans les pas de ses parents, elle commence par une Maîtrise de trois ans au conservatoire, après avoir fait l’Institut Suzuki, où elle a commencé le piano dès l’âge de 3 ans : “C’est une école japonaise à Paris qui prône le fait de pouvoir tout apprendre aux enfants, les langues ou toute autre matière. Encore maintenant, des idées me viennent instinctivement au piano parce que j’ai commencé très tôt. J’en ai fait neuf ans, jusqu’à ce que j’entre au conservatoire”. Aujourd’hui, cet instrument l’aide pour la composition musicale, un outil parmi tous ceux que la technologie met à la disposition de la production au sens large. Cet amour de la musique, Thee Dian l’a complété par un cursus mode, son autre passion, au Lycée Paul-Poiret : “J’y ai eu le bac et appris les bases de la couture… C’était super chiant, rit-elle ! Mais ça m’a permis de faire plein de trucs cool, dans les ateliers de Céline, de Chloé, de Franck Sorbier… principalement du montage. Chez Céline, j’ai pu aller un peu partout, en studio ou en grande couture, parce qu’on y avait des connaissances familiales”. Par goût de la liberté, elle se lance seule sur des shootings, en casting, en stylisme ou en direction artistique pour la marque Casablanca. Mais la superficialité des paillettes la lasse. La musique est plus ancrée en elle, d’autant que celle-ci est, à son sens, l’espace d’expression

aujourd’hui le plus propice à la mode. Ce qui tombe sous le sens lorsqu’on visionne ses clips. Tous sont impressionnants de direction et de maîtrise artistiques, que ce soit Bailerina à l’érotisme élégant, réalisé par Louise Mootz ; Gourmandise avec le graphisme du défilé digital dansant (dans lequel on aperçoit le rappeur Le Diouck et Christine and the Queens), dirigé par Lecourt Mansion ; ou encore, plus récemment, le lascif Paper Angel réalisé par Louise Mootz. Dans ses quelques vidéos, on sent le perfectionnisme de Thee Dian poindre sous une pratique collective. “On n’obtient jamais ce qu’on avait en tête. Je laisse toujours les choses venir. J’ai coécrit le scénario de Paper Angel avec Mootz, mais sinon j’en reste à ma musique, je n’ai jamais un script qui me vient. Ce sont les gens de mon entourage qui me poussent et m’influencent. Ça me fait plaisir, parce que je n’ai pas forcément confiance en moi. Je sais ce que je veux, et ça procure de l’assurance, mais, sur les plateformes, je me trouve moins bien, moins jolie et talentueuse que d’autres. Maintenant, c’est le propre des réseaux sociaux de se comparer. C’est la société d’aujourd’hui, il faut l’intégrer et avancer. Je l’accepte et j’en fais un moteur plutôt qu’un boulet à traîner au pied. Je ne me trouve pas géniale, mais j’essaie de faire ce que j’aime, peu importe si je suis la meilleure ou pas. Les personnes avec lesquelles je collabore me donnent cette confiance nécessaire. C’est un bel échange qui me permet de me dépasser. Pour l’instant, on a très peu d’argent, on est un petit label. Mais ce n’est que le début. Comme je me donne à 100 %, j’imagine déjà la suite.” Cette notion de collectif est forte chez Thee Dian, elle anime ce côté gang. “En France, on est en train de se réveiller, artistiquement, musicalement, on atteint ce niveau de réalisation de nous-même.” On pense à la détonation qu’a été le clip de Beyoncé et Jay-Z au

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“JE SAIS QUI JE SUIS, MAIS J’AIME CROIRE EN LA PLURALITÉ, ME PERMETTRE D’ÊTRE QUI JE VEUX, COMME CE PERSONNAGE CAMÉLÉON QUE JE ME SUIS CRÉÉ.”

Louvre en matière d’affirmation communautaire. Pourtant, Thee Dian nuance : “C’est très beau, j’adore ce clip. Mais ça ne m’en impose pas. Musicalement, ils pourraient pousser tellement plus. Comme Rihanna l’a toujours fait tout au long de sa carrière, à partir de ‘SOS’ ou de l’album Rated R, avec des sons rocks à la limite du métal, pour ensuite partir dans quelque chose d’hyper dancy avec Anti. Elle a une recherche vers l’évolution beaucoup plus précise, qui donne toujours envie de voir ce qui va suivre. Maintenant, je me rapproche plus de Solange, qui prend des risques, qui fait ce qu’elle pense être bon, ce qu’elle aime. Elle a inventé sa patte avec tous ses clips très lents, ses plans tableaux”. Si Thee Dian a pu à son tour créer son propre style et affiner son univers, c’est d’abord grâce à la chanteuse Crystal Murray qui a fini par la signer sur le label Spin Desire. À l’époque où Dian se lie d’amitié avec Crystal, alors qu’elle l’aide à s’habiller pour ses premières scènes, elle intègre très vite le cocon musical de la chanteuse et de sa mère, la productrice Valérie Malot. Celles-ci encouragent naturellement Thee Dian à poursuivre, et l’emmènent en studio finir les démos qu’elle a préparées sur son téléphone via le logiciel Garage Band. La jeune artiste ne jure que par son ami Loubenski, producteur en vue qu’on retrouve aux côtés de Nekfeu, Jazzy Bazz ou Bonnie Banane, pour arranger ses morceaux dans lesquels la question de la langue ne fait pas débat : français, anglais, mais aussi un peu d’espagnol ou de wolof. Thee Dian est d’ailleurs fan des chanteuses Buika, espagnole, et Vanessa da Mata, brésilienne, dont elle envisagerait même de reprendre des

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RO BE FO U RR EAU E N S O U S-V ÊTE M E N TS A N CI E N S LO U D E B ETO LY, C U LOT TE E N TU LLE “G G” G U C C I , C O LLI E R “3 0 M O N TA I G N E” E N M ÉTAL VI EILLI D O R É , P E R LES ET C R ISTA U X D I O R .


C O IFF U R E : Q U E N TI N G U Y E N @ B R YA N T A RTISTS . M A Q U ILL A G E : R U B E N M A S O LIV E R . A S SISTA N TE STYLISTE : N I N A R O D Y. A S SISTA N T LU M I È R E : H U G O BA B EY. D I G ITEC H : J O A N N A H UT T N E R LE M O I N E .

chansons. Une profusion d’inspirations qui rend sa musique difficile à labelliser : une sorte de pop moderne ajoutée aux productions contemporaines nourries de trap avec une maîtrise unique des silences, qui offre à sa voix l’espace et la liberté dont l’époque manque parfois. “J’aurais autant de mal à mettre une étiquette sur ma musique que sur ma personne. Futuristic-R’N’Bpop-ambient ? Je fais du Thee Dian”, esquisse-t-elle en riant. Elle prévoit de sortir des singles tous les deux mois, jusqu’à ce que son EP rayonne de tous les thèmes qui reflètent ses différentes personnalités. “On a tous cette manière de se retrouver plutôt dans un genre ou une classe sociale. Il y a en moi cette petite meuf du conservatoire qui a joué du piano, déchiffré des partitions, qui est très scolaire. Mais il y a aussi ce côté sauvage, qui m’a poussée en free party et à faire des fugues, cette personne très aérienne, solaire, qui est Thee Dian, un personnage céleste, très spirituel. C’est très imagé. Je sais qui je suis, mais j’aime croire en cette pluralité pour ne pas me cantonner à une unique chose ennuyeuse et me permettre d’être qui je veux, comme ce personnage caméléon que je me suis créé pour rester mystique.” Le morceau “Paper Angel” est celui qui a permis à Thee Dian d’affirmer son identité, en ajoutant le “Thee” à Dian : “C’est un statement, parce que cette année j’ai pris conscience de ‘qui je suis’ ; entre guillemets, car en réalité je ne le sais pas encore vraiment. J’apprends tous les jours et je couche sur le papier ce que j’en retiens. Je ne suis pas qui j’étais. La société nous veut comme on est censé être alors qu’on devrait choisir qui on souhaite devenir. Pour l’instant, je ne peux pas répondre mieux parce que je ne sais pas. Je me cherche et je suis sur la bonne voie pour devenir fière de moi, de qui je suis, de ce que je représente et à qui je vais le

montrer”. La cause LGBTQIA+ est chère à son cœur, même si elle sublime certains aspects de catégorisation, qui ne lui correspondent pas forcément : “C’est devenu tellement politisé, récupéré… Tout le monde est LGBTQ, c’est dans l’air du temps. Il faut passer à une étape supérieure de réalisation de soi, maintenant. Il faut que ce soit normal, qu’on retrouve des bases très simples. On est tous des êtres de lumière, des humains. Je parle de ‘retrouver’ parce que je suis très sensible à la chronologie, à l’espace-temps, au multivers, au cosmos, à la réincarnation même. Tout ce qu’on vit, on l’a peut-être déjà vécu. Selon moi, ce qui nous empêche d’être ‘sains d’esprit’, c’est notre conscience, notre besoin de comprendre, de catégoriser. Je pense que c’est très mégalo. Qu’est-ce que ça va changer à ta vie de ne pas savoir et de ne pas accepter ce qu’il y a en face de toi ?” Retrouver cet état d’acceptation auquel elle aspire ne lui semble ni impossible ni très éloigné de nous. Elle énumère des devises simples pour parvenir au bonheur : être sincère avec soi-même, s’accepter soi et les autres, être juste. “Ce sont les bases du bouddhisme. Ma mère est une disciple, je pourrais en parler des heures !” Ses parents, justement, sont fiers de son parcours. Mais, pour l’instant, elle n’a montré aucun de ses visuels à son père dont elle appréhende la réaction, même s’il approuve sa musique et son monde singulier. “J’ai envie qu’il voie mes images. Dans la culture africaine, c’est très important d’être reconnu, on m’a conseillé de lui montrer mes vues sur YouTube, mes interviews. Mais, en Afrique, on a aussi ce truc de ne pas déshonorer la famille. C’est surtout par rapport aux gens, parce que si ça ne tenait qu’à lui, il serait ouvert. De toute façon, ce moment va arriver, j’ai envie qu’il soit fier et qu’il me le dise, qu’il me soutienne.” Son père est à Dakar, où Thee Dian a enregistré ses premières démos. Mais, depuis qu’elle affiche de plus en plus qui elle est, passer le cap d’y retourner est délicat, même si elle prévoit de se confronter à la réalité. “En Afrique, il y a ce non-dit, le secret. Je l’ai remarqué en parlant avec des ami.e.s qui vivent ici avec leur famille africaine. Ils.elles se cachent tou.te.s, ils.elles vivent une double vie. C’est mon cas aussi. Et, au fond, je trouve ça bien de ne pas tout dire, parce que ça permet de mainte-

nir une relation – même faite de nondits – avec les personnes que tu aimes, sans qu’elles aient à juger leur enfant. L’envers de la médaille : c’est triste que tes parents ignorent qui tu es réellement. Je serais très heureuse que mon père me connaisse, moi, ma personne. Mais c’est un dilemme : suis-je prête à perdre notre relation pour que la vérité éclate ? Au Sénégal, les gens ne voient pas Thee Dian, mais Tidiane, le fils de son père, qui est très bizarre, so weird, mais qui au moins reste dans les normes. C’est vrai que, quand je vivais là-bas, j’étais catégorisée ‘différente’. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment été acceptée. J’ai toujours été la weirdo, le garçon-fille ou ‘singe-fille’, comme on dit en wolof. Mais je ne renie rien : oui, je suis la weirdo, oui je suis bizarre, et j’adore ça, j’accepte pleinement ma différence ! Je pense qu’on devrait tous s’accepter tel qu’on est. Même si je n’applique pas encore entièrement ce conseil, je m’y emploie. Je ne vais pas les provoquer, mais tenter de les faire évoluer et regarder la réalité en face. Je verrai bien si j’en souffre, mais au moins j’aurai essayé.” C’est le sens des paroles “What if Insanity was inside of me / Would you follow me ?” de sa chanson “Insanity”, dans laquelle on est libre de déceler un clin d’œil au versatile “Aladdin Sane” de David Bowie, un de ses artistes préférés. Face à une situation et à une société aux complexités différentes des nôtres, il faut louer le courage qu’a Thee Dian d’emprunter d’autres voies, à l’ambiguïté complexe, pour obtenir la reconnaissance et l’épanouissement, dans un contexte où une affirmation frontale serait certainement contre-productive pour elle. “Il faut suivre ses instincts”, conclut-elle, décidée. Avec son talent, on parie qu’elle sera vite couronnée de succès dans tous les domaines.

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RÉINVENTER UNE BEAUTÉ INCLUSIVE, NONPERFORMATIVE ET ÉLOIGNÉE DE TOUS LES CLICHÉS QU’ON LUI CONNAÎT, C’EST LA VOLONTÉ DE VIOLETTE_FR, MAQUILLEUSE AUTODIDACTE BIEN PARTIE POUR BOUSCULER LES RÈGLES DU MONDE DE LA BEAUTÉ AVEC SA MARQUE DU MÊME NOM.

ULTRA V I O L E T

TEXTE NINA BOUTLÉROFF.

Elle s’est choisie pour nom professionnel celui d’une fleur au parfum doux et délicat. Mais en réalité, Violette, c’est le feu du signe du Bélier, une personnalité animée par une détermination et une créativité bouillonnante. Si son visage ne vous est pas familier, sachez qu’elle en a maquillé bon nombre, plus ou moins connus, et que son talent l’a menée à la direction créative d’Estée Lauder avant Guerlain où elle vient récemment d’être nommée Directrice de la Création Maquillage. En plus d’assurer à un poste capital d’une des plus grandes maisons de cosmétiques françaises, Violette est aussi entrepreneuse et a lancé sa propre marque, VIOLETTE_FR, en mars dernier. Entre New York, où elle vit depuis six ans, et Paris, sa ville natale, cette autodidacte a pensé une marque de cos-

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métiques à l’image de la beauté telle qu’elle la conçoit : sophistiquée mais simple, libre, bienveillante et destinée à tous.tes. Ses produits – visage, cheveux, parfums – sont faciles à utiliser et à s’approprier. En bref, Violette, c’est un peu notre Emily Weiss nationale (fondatrice de Glossier, ndlr). Celleci est d’ailleurs l’une de ses meilleures copines et celle qui l’a poussée à se faire connaître en créant son compte Instagram, sur lequel elle partage ses vidéos de maquillage et qui rassemble maintenant plus de 410 000 abonnés. Si son parcours de self-made woman en impose, Violette ne cherche pas pour autant à l’édulcorer et parle très franchement des galères qu’elle a connues. De quoi démonter tous les clichés sur le monde de la beauté et, au passage, sur sa propre réussite.


© Steven Pan

VI O LET TE , C R É ATR IC E D E VI O LET TE _ F R

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VI O LET TE _ F R P O U R TO U S .TES .

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CLICHÉ N° 1 : MAKE-UP ARTIST, C’EST FORCÉMENT U NE VOCATION “Le maquillage, c’est vraiment arrivé par accident. J’étudiais la mode et l’art, et plus précisément la peinture. La formation qui m’a le plus bouleversée, c’est celle que j’ai suivie avec un couple d’artistes hyper bohèmes dans leur atelier au milieu des vignes dans le Sud de la France. Grâce à eux, j’ai développé un œil pour la couleur et j’ai appris à créer mes peintures en mélangeant les pigments. C’est seulement à 19 ans que j’ai eu une sorte de déclic pour le make-up. Je maquillais une copine pour aller à une soirée déguisée. J’étais Wonder Woman, elle était Fantômette. J’appliquais des paillettes pour la première fois et j’ai compris alors que c’était un peu comme habiller un visage : c’est ça que j’avais envie de faire. Mais je n’étais pas du tout intéressée par le cursus classique français : se former dans une école de maquillage, puis assister un.e grand.e maquilleu.r.se avant de pouvoir faire ses preuves… Je savais que ça prenait beaucoup de temps. Je voulais vraiment interpréter le maquillage comme une discipline entre le fashion design et la peinture, alors je suis partie à New York.”

CLICHÉ N° 2 : ON NE S’IM PROVISE PAS MAQUILLEUSE “Mes débuts à New York ont été très durs. Je n’ai jamais ressenti une telle solitude. J’avais 19 ans à peine et je me suis retrouvée loin de tout, de ma culture et de mes amis. Je n’avais pas d’argent pour acheter du maquillage, mais quelque part ça a aussi été ma chance. J’ai appliqué ce que j’avais appris durant mes études d’art et j’ai acheté des pigments pour fabriquer moimême le make-up. J’ai commencé à développer des formules vivantes, des textures telles que de l’or fondu sur les yeux, des choses très liquides comme en mouvement ou des explosions de pigments, qui sont devenues ma signature. Une agence de mannequins m’a laissé maquiller les modèles – sans me payer – mais grâce à ça, j’ai pu me faire un book. Je suis restée un an dans ces conditions, ça m’a complètement vidée, j’ai bossé nuit et jour pour y arriver, mais j’ai fini par me faire connaître.”

© Steven Pan

CLICHÉ N° 3 : LE MARCHÉ DE LA BEAUTÉ EST SATURÉ “Une fois que j’ai commencé à avoir une certaine notoriété et crédibilité aux États-Unis, j’ai eu envie de construire une marque multicatégorie et de vraiment redéfinir le make-up comme un mode de vie. Ce qui est d’ailleurs une vision de la beauté assez française. Aux USA, le make-up doit aider à être performant et moi, c’est quelque chose qui me choque. Quand j’ai quitté la France, j’ai pris conscience qu’on avait un lifestyle et une philosophie de vie hyper belle à défendre et à partager. J’ai alors décidé d’arrêter de travailler pour me réinventer

artistiquement et je me suis posé cette question : ‘C’est quoi mon style ?’ J’ai passé huit mois à m’inspirer, à lire des bouquins, à regarder des œuvres d’art, à aller dans les jardins botaniques et à récolter des images qui m’inspiraient. J’ai tout accroché sur un mur et, au bout de quelque temps, j’avais ma marque devant les yeux. Un univers où les filles n’avaient pratiquement pas de maquillage sur la peau, le cheveu un peu mal fait mais une ombre à paupières magnifique ou un rouge sublime. C’est là que j’ai commencé à trouver mon identité. J’ai ensuite déclenché les choses très concrètement : j’ai monté ma société aux US, j’ai développé des formules, j’ai investi moi-même parce que je voulais qu’elles soient de très haute qualité et à des prix abordables. Si VIOLETTE_FR avait un slogan, ce serait sûrement ‘la joie de vivre’ car je pense qu’elle vient du fait de s’aimer soimême et je n’ai pas envie que ma marque serve de béquille à l’estime de soi. L’idée est d’utiliser du make-up pour s’amuser, s’exprimer, célébrer… C’est pour ça que dans mes campagnes on ne voit pratiquement jamais de maquillage.”

CLICHÉ N° 4 : ON NE PEUT PLUS RIEN INVENTER “Au fur et à mesure des années, j’ai commencé à avoir des idées de produits. Quand je travaillais chez Dior, j’ai suggéré de créer des ombres à paupières liquides. En fait, sans le savoir, je leur pitchais déjà Yeux Paints – mes fards liquides. Pourtant, à l’époque, c’était techniquement impossible à développer. Ça ne séchait pas, ça coulait sur les yeux. Quand j’ai lancé Yeux Paints, l’une des directrices marketing de l’époque m’a envoyé un message sur Instagram pour me dire : ‘Ah, alors tu l’as fait ton produit !’ J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec de très grands laboratoires qui m’ont laissé développer des formules en partant de zéro, sans me demander des contrats faramineux. C’est une chance, car nos produits on ne les a pas copiés, on les a vraiment faits de A à Z.”

CLICHÉ N° 5 : LA BEAUTÉ N’EST QUE POUR U N CERTAIN TYPE DE FEM MES “Quand je faisais mon business plan, on insistait pour que je précise la cible, mais il était évident que c’était pour tout le monde, y compris les hommes. Pour moi, ça fait partie de mon job. Là-dessus, je suis vraiment intransigeante. En tant que maquilleuse, je dois être certaine que les produits s’adaptent à tout le monde. D’ailleurs, j’aimerais insister sur ce point : les hommes adorent mon produit Boum-Boum Milk parce qu’il est comme une crème hydratante qui passe à travers la barbe. En France, on est encore à côté de la plaque en matière de diversité et ce n’est pas seulement une question de couleur de peau ou de genre, c’est aussi une question d’âge. Pareil avec le body positive, il y a encore du boulot.”

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ILLU ST R ATI O N P O U R M LE M A G A ZI N E D U M O N D E , 2021 .

À TOUT JUSTE 23 ANS, L’ARTISTE MATY BIAYENDA, QUI A DÉJÀ EXPOSÉ À LA BIENNALE DE DAKAR ET A COLLABORÉ AVEC LE CRÉATEUR DE MODE KENNETH IZE ET LES RENCONTRES D’ARLES, DÉPEINT À TRAVERS SES CRÉATIONS PICTURALES ET TEXTILES UNE NOUVELLE REPRÉSENTATION DU CORPS FÉMININ NOIR.

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MODÈLES

NOIRES

© Courtesy Maty Biayenda

TEXTE CÉLINE CARRÉ. PORTRAIT NICOLAS WAGNER.

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SA N S TITR E , ILLU STR ATI O N PA R U E D A N S BL A C K F UTU R ES (ÉD . KI M B E R LY D R E W & J E N N A W O RT H A M , O N E W O R LD 2020).

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À deux années près, Maty Biayenda a le même âge que Mixte. Deux trajectoires qui devaient inévitablement se croiser, tant notre devise “Liberté, Égalité, Mixité” sied à merveille à l’univers de cette jeune peintre et designer textile encore à l’aube d’un parcours prometteur. Née en 1998 en Namibie d’un père congolais et d’une mère française, Maty Biayenda grandit à Angoulême où sa famille s’installe alors qu’elle a seulement un an. Des terres africaines, elle n’a pas de souvenirs mais elle alimente son imaginaire dès l’enfance à travers les photos des nombreux voyages de ses parents sur le vaste continent. Sur ces clichés couleurs, elle découvre aussi le visage des membres de sa famille paternelle restés, pour la plupart, au Congo, avec qui elle fera connaissance lors d’un séjour en 2010 dont elle garde un souvenir intense. “C’était impressionnant, je rencontrais pour la première fois ma grand-mère. On est allés au village où a grandi mon père… J’ai ressenti le choc des cultures, ce n’était pas le même mode de vie qu’en France. La famille de mon père est très nombreuse, il a onze frères et sœurs. Je voyais plein de gens inconnus qui semblaient me connaître. Je me suis sentie à la fois étrangère et familière, j’avais l’impression d’être une Européenne, presque blanche, alors qu’en France on m’avait toujours renvoyée à un ailleurs que je ne connaissais pas plus que ça”, explique-t-elle. Ce sentiment mêlé d’étrange et de familier, à mi-chemin entre deux mondes, fait pleinement écho au quotidien de Maty Biayenda au fil de sa scolarité à Angoulême. Elle se sent alors à l’écart, différente, et se réfugie dans son monde intérieur qu’elle habite par sa pratique du dessin et sa lecture assidue de revues de mode, dont les silhouettes féminines captivent son regard en quête d’un environnement qui lui ressemble. “Au lycée, j’ai eu besoin de revendiquer mon identité noire tout en me demandant si j’étais légitime”, se souvient-elle.

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Maty Biayenda se cherche et utilise le dessin comme méthode d’exploration, plus encore, de libération. Déjà fascinée par les illustrations de mode d’Antonio Lopez et les peintures surréalistes de Leonor Fini, c’est la rétrospective Yves Saint Laurent au Petit Palais en 2010, où elle découvre les croquis préparatoires du couturier, qui libère sa créativité : “Je me suis mise à énormément dessiner, surtout des figures féminines et des vêtements”. Sa quête d’identité, empreinte de liberté et d’affirmation de soi, aiguise peu à peu son regard et esquisse sa voie artistique. Dans le panorama de l’histoire de l’art, les corps de femmes noires sont quasi invisibles. Maty Biayenda admire Les Danseuses de Degas au musée d’Orsay, elle qui fait aussi de la danse classique. Les ballerines en tutu bleuté ont toutes le teint clair. Les nus maniéristes d’Ingres lui semblent sublimes ; mais toujours pas de corps à la peau foncée. Maty Biayenda ne se reconnaît pas dans ces figures féminines impressionnistes et néoclassiques qu’elle adore. “Avec mes croquis, je refaisais des chefs-d’œuvre féminins à la peau noire, j’avais cette obsession de les représenter là où elles manquaient.” Sensible très jeune à la représentation inégale entre la figure du corps féminin blanc et noir dans les œuvres des musées, Maty Biayenda en prend la pleine mesure lorsque son professeur d’histoire de l’art décrypte Olympia d’Édouard Manet, détaillant chaque élément du tableau, les coussins, le chat noir, le rideau, les fleurs… sauf la servante noire au second plan. “Je suis sortie tellement frustrée de ne rien savoir sur cette femme noire ! J’ai immédiatement fait des recherches sur elle, je m’y suis identifiée. Quelque chose dans son invisibilité me renvoyait à moi-même.” Une perception qui trouvera un puissant écho dans l’exposition Modèle noir au musée d’Orsay en 2019, que Maty

Biayenda s’est empressée d’aller voir, et pour cause. “Manet montre une femme noire libre”, expliquait la commissaire américaine Denise Murrell à l’origine de l’exposition et auteure d’une thèse sur Laure, le modèle de la fameuse servante noire d’Olympia. Avec sa série photographique Décoloniser Olympia, Maty Biayenda fait poser des femmes noires, à la place du personnage féminin blanc au premier plan, dans des reconstitutions du tableau de Manet, le tout retravaillé aux pastels à l’huile intégrant des motifs africains. L’utilisation de plusieurs médiums, la photographie ici mêlée à la peinture, est une référence assumée de Maty Biayenda à l’artiste afro-américaine Carrie Mae Weems, qui l’inspire particulièrement tout comme l’artiste conceptuelle Adrian Piper. Comme ces deux créatrices avant elle, Maty Biayenda investit ce vaste champ d’exploration qu’est la construction de l’identité à travers une pratique transdisciplinaire où tous les arts sont égaux et s’enrichissent mutuellement. Photographie, peinture, dessin, mais aussi collage, design textile, performance et installation sont autant de facettes qui composent l’univers de la jeune artiste, sans hiérarchisation. Sa première exposition solo Anachronie lors de la biennale de Dakar en 2018, en est le parfait exemple. Les poésies de son amie Amandine Nana, fondatrice de la Galerie Transplantation, dialoguent avec les tableaux L’Union et deux Sans Titre de Maty, ainsi qu’avec une installation textile, L’Origine, vêtement entièrement brodé de cauris et deux vidéos Transmission et Sans Titre. “J’étais partie naïvement, sans anticiper la dimension propre au contexte du marché de l’art. J’ai vendu plusieurs tableaux, mais j’avais un rapport affectif à certains dessins que j’ai refusé de vendre, j’étais jeune !” glisse-t-elle, amusée. À cette occasion, plusieurs commissaires d’exposition la repèrent,


© DR

ILLU ST R ATI O N P O U R M LE M A G A ZI N E D U M O N D E I N S PI R É E D U P O È M E H O M E D E W A R SA N S H I R E . CI-D ES S O U S : M ÉTR O P O LIS , G O U A C H E S U R PA PI E R , 2019.

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LE C A F É , D E L A S É R I E “C O U P LES”, G O U A C H E S U R PA PI E R , 2018 .

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tout comme le créateur Kenneth Ize qui l’invitera à peindre une fresque en temps réel lors de son défilé au Palais de Tokyo à l’automne 2020. D’ailleurs, le monde de la mode l’attire autant qu’il l’effraie. “J’avais eu des échos d’un milieu superficiel. J’étais très réservée et ça me faisait peur.” Pourtant, dès qu’elle intègre l’École nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD), en 2017, Maty Biayenda se spécialise en design textile. Elle se forme aux techniques de la maille, du tissage, des raccords de motifs, et développe une sensibilité aux matières et à la fibre. Cette pratique a tout pour la séduire, reliant un vrai goût pour la mode au travail plastique de composition du motif, auquel elle se consacre de plus en plus. Une commande de l’agence de photographie modds lui permet de créer un motif décliné sur les tote bags et cartes postales des Rencontres de la photographie d’Arles en 2018. On y voit deux femmes noires en costumes éclatants faisant crépiter les flashs sur un fond rappelant les papiers découpés d’Henri Matisse dont Maty Biayenda a déjà repris La Danse, représentant une ronde de cinq femmes noires. Ce mélange de représentations, de cultures et d’influences s’affirme dans l’une de ses dernières créations, une

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réinvention de la tapisserie de La Dame à la licorne, chef-d’œuvre du début du siècle. La tenture grand format de Maty Biayenda reprend la dimension narrative des six tapisseries représentant les cinq sens ainsi que plusieurs codes comme les motifs floraux, l’accumulation répétitive de certains détails ou encore la licorne, chevauchée ici par une figure féminine moulée dans une combinaison d’arlequin. Une femme noire, à la crinière de perles et cuissardes à talons aiguilles, s’enroule autour d’une barre de pole dance à côté d’un duo féminin aux looks androgynes à la Grace Jones.

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Autre mélange à l’œuvre dans le travail de Maty Biayenda, celui des genres et des codes de la féminité qui s’incarne dans le fétichisme véhiculé par le “male gaze”, ce regard dominant porté par les hommes hétérosexuels sur le corps féminin qui inonde la pop culture, entre autres, depuis des décennies. Pour Maty Biayenda, qui vient de terminer un mémoire sur le fétichisme, le corps de la femme noire offert au regard masculin révèle une ambiguïté plus complexe qu’il n’y paraît. Elle cite Joséphine Baker qui a su jouer des stéréotypes que lui ont attribués les hommes dont elle était par ailleurs la muse. Au départ, la ceinture de

bananes, symbole du fantasme colonial qu’elle arbore à demi-nue dans le Paris de l’entre-deux-guerres, lui a été imposée par ses producteurs. “Les hommes et artistes qui l’entouraient sont partis d’un imaginaire colonial qu’elle s’est ensuite réapproprié”, explique Maty Biayenda, citant également le tandem formé par Grace Jones et Jean-Paul Goude. Si le photographe a assurément œuvré au statut iconique de celle qui fut sa compagne et la mère de son fils, certaines de ses plus célèbres mises en scène rappellent également une vision aux accents colonialistes. “Ce regard fétichisant peut aussi se poser sur les personnes trans”, souligne Maty Biayenda, qui précise : “L’identité de genre, c’est beaucoup plus compliqué que simplement en adopter les codes. Il y a beaucoup de femmes transgenres qui se sentent parfois oppressées par certains codes féminins poussés à l’extrême, tout comme le sont parfois les femmes cisgenres.” À l’image de la peintre américaine Georgia O’Keeffe (1887-1986), qu’elle cite volontiers parmi ses influences, Maty Biayenda trace sa propre voie et peut déjà se targuer d’avoir libéré les consciences et façonné une nouvelle esthétique. Celle d’une figure féminine affirmée, puissante et subtile, ancrée dans son époque.


SA N S TITR E , F E UT R E S U R PA PI E R , 2017. PA G E D E G A U C H E : T H E J OY O F LO V E S É R I E C O U P LE N °4 , 2017.

“AVEC M ES CROQUIS, JE REFAISAIS DES CHEFS-D’ŒUVRE FÉMININS À LA PEAU N OIRE, POUR LES REPRÉSENTER LÀ OÙ ELLES MAN QUAIENT.”

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UPSIDE DOWN YOU TURN ME


D O U D O U N E E N SATI N L A M I N É M ATEL A S S É D E O U ATE ET D E P LU M ES , B O D Y ET B OT TI N ES E N TIS S U M ATEL A S S É D O LC E & G A B B A N A .

PHOTOS JULIEN VALLON. RÉALISATION FRANCK BENHAMOU.


B O M B E R O V E R SIZ ED E N C U I R , R O B E R E B R O D É E D E S E Q U I N S LO U I S V U IT TO N X F O R N A S ET TI , TE E-S H I RT E N C OTO N , J U P E E N TU LLE ET B OT TI N ES E N C U I R LO U I S V U IT TO N .


V ESTE O V E R SIZ ED E N S O I E , R O B E ET PA N TALO N E N G U IP U R E R E B R O D É E D E ST R A S S ET D E P E R LES , B OT TI N ES E N C U I R LO U I S V U IT TO N .


LU I : BL A Z E R E N VIS C O S E M ATEL A S S É O R N É D E B R ELO Q U ES , R O B E E N J E R S EY ET S N E A K E R S À P L ATEF O R M E E N C U I R TO M VA N D E R B O R G H T. ELLE : R O B E- C A FTA N E N SATI N D E S O I E ET B OT TI N ES À TALO N S A I G U ILLES E N C U I R STR ETC H S C H I A PA R E LLI .


V ESTE E N TW E ED , B O D Y E N TIS S U ST R ETC H , S LI N G BA C K “VIP E R” E N C U I R V E R N I , C O LL A N T E N V O ILE , C EI N TU R ES C H A Î N ES E N M ÉTAL ET ST R A S S S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO .


LU I : C O L R O U LÉ ET C O M BI N A IS O N E N L A I N E FI N E , C H A U S S U R ES E N C U I R P R A D A . ELLE : C O M BI N A IS O N ET G A N TS E N L A I N E FI N E , C H A U S S U R ES E N C U I R P R A D A .



C A P E E N TO ILE D E PA R A P LU I ES R ECYCLÉS B OT TE R , PA N TALO N E N N YLO N M O N C LE R , C H A U S S U R ES “B U FFALO” E N C U I R TO M VA N D E R B O R G H T.


ELLE : V ESTE E N TW E ED , B O D Y E N TIS S U ST R ETC H , S LI N G BA C K “VIP E R” E N C U I R V E R N I , C O LL A N T E N V O ILE , C EI N TU R ES C H A Î N ES E N M ÉTAL ET ST R A S S S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO . LU I : P U LL ET C H A U S S ET TES “G R EC A SI G N ATU R E”, S H O RT E N L A I N E V E R S A C E .


R O B E À M A N C H ES BALLO N E N SATI N TEC H N I Q U E ET B O OTS E N C U I R LO E W E .


LU I : V ESTE ET PA N TALO N E N L A I N E B E R LUTI . ELLE : C O M BI N A IS O N E N D E N I M E XTE N SI BLE B R O D É D E S E Q U I N S R I C K O W E N S .


R O B E E N TU LLE D I O R .



ELLE ET LU I : M A N TE A U E N S E Q U I N S , C H E M IS E ET J U P E E N L A I N E ET S O I E G U C C I .



V ESTE STR U CTU R É E E N C U I R ET M ÉTAL , R O B E E N TU LLE , L A I N E ET P O LY ESTE R N O I R K E I N I N O M IYA , B OT TI N ES E N C U I R J I M M Y C H O O .


LU I : PA N TALO N ET J U P E- C EI N TU R E E N L A I N E LO U I S V U IT TO N , B OT TI N ES E N C U I R J I M M Y C H O O . ELLE : R O B E F R A N G É E B R O D É E D E S E Q U I N S , C H A U S S U R ES “M O N U M E N TAL M ALLO W ” E N G O M M E , B O U CLES D’O R EILLES “G M ES H” E N M ÉTAL A R G E N TÉ ET C R ISTAL G IV E N C H Y.



LU I : B O M B E R E N G A BA RD I N E D E C OTO N ET PA N TALO N E N L A I N E ET S O I E I M P R I M É “PA P E R C UT” A LE X A N D E R M C Q U E E N , B OT TI N ES E N C U I R J I M M Y C H O O . ELLE : R O B E T R A P ÈZ E E N P O LYFA ILLE , C EI N TU R E ET B O OTS E N C U I R A LE X A N D E R M C Q U E E N .


M A N TE A U E N L A I N E D E C AVALE R I E , C EI N TU R E E N C U I R ET B OT TES M ILITA I R ES E N C U I R B OT TE G A V E N ETA .


V ESTE ET PA N TALO N E N C OTO N A M I A LE X A N D R E M AT TI U S S I , C O LLI E R E N L A ITO N M ÉTALLIS É A LE X A N D E R M C Q U E E N .


M A N N EQ UIN S : S O KH N A NIA N E @TITA NIU M M A N A G E M E NT. PA U L HA M ELIN E @ S U C ESS M O D ELS . CASTIN G : ALEXA ND R E JU NIO R CYP RI E N . COIFFU R E : S H U H EI NIS HI M U R A @ W IS E&TALE NTED . M A Q UILLA G E : LLOYD SI M M O ND S @ A G E N C E CAR O LE. DIGITEC H : PABLO AZEVED O &D-FACTO RY. ASSISTA NT P H OTO G R AP H E : FLO R E NT VINDI M IA N . ASSISTA NTE STYLISTE : A UD R EY LEPLAD EC . S ET D ESIG N : LA U R A O’R O R KE. CO LLAB O R ATRIC E : ELISA B E N C H ETRIT @ BLU M E N PARIS .


R O B E TR E N C H E N G A BA RD I N E , B OT TES “ES S E X” E N C U I R S O U P LE B R ILL A N T ET B O U CLES D’O R EILLES E N B R O N Z E A R G E N TÉ ET L A ITO N B A LE N C I A G A . PA G E D E G A U C H E : R O B E E N P O LYFA ILLE A LE X A N D E R M C Q U E E N .



H O U S E O

F

W O N D E R L A N D PHOTOS THOMAS COOKSEY. RÉALISATION CHRISTOPHER MAUL. J M O O N : R O B E E N L A I N E J W A N D E R S O N , B O U CLES D’O R EILLES ET S O UTI E N - G O R G E B R O D É D E PA ILLET TES D O LC E & G A B B A N A , C H E M IS E E N C OTO N P O R T S 19 61 , C H A P E A U E N F E UT R E M A I S O N M I C H E L , G A N TS E N SATI N M M 6 M A I S O N M A R G I E L A , C O LL A N T E N N YLO N ET S PA N D E X E M I LI O C AVA LLI N I , SA N D ALES “S M A RTA” E N C U I R C H R I S TI A N LO U B O UTI N , N Œ U D PA PILLO N P E R S O N N EL . EL A I N E : B O D Y E N N YLO N M I U M I U , S O UTI E N - G O R G E E N L A I N E F E N D I , B R O C H E E N M ÉTAL D O R É VI EILLI G U C C I , P U LL À C O L M O N TA N T E N M A ILLE AJ O U R É E H E R M È S , G A N TS E N C U I R PA U L A R O W A N , SA C E N C U I R M C M , C O LL A N T E N N YLO N ET S PA N D E X E M I LI O C AVA LLI N I , B OT TES E N C U I R R O K S A N D A , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N PATO U .


M A N TE A U ET PA N TALO N E N L A I N E , C O L R O U LÉ E N LYC R A I S S E Y M I YA K E , G A N TS E N C U I R PA U L A R O W A N , C A G E C R I N O LI N E E N M ÉTAL ET R U BA N D E C OTO N H A R R I S R E E D , C H A U S S U R ES E N C U I R TO D’S , B O U CLES D’O R EILLES E N P E R LES M M 6 M A I S O N M A R G I E L A .


EL A I N E : R O B E E N C OTO N PATO U , C H A U S S ET TES À ÉT R I E R E N V ELO U R S S I M O N E W I LD , ES C A R PI N S “R I B B O N D’O R SAY” E N P LE XI ET C U I R V E R N I G I A N V ITO R O S S I , G A N TS E N C U I R PA U L A R O W A N , B O U CLES D’O R EILLES E N P E R LES M M 6 M A I S O N M A R G I E L A , H E A U M E E N M ÉTAL P E R S O N N EL . J M O O N : V ESTE E N L A I N E L A N VI N , C H E M IS E E N C OTO N D I O R , J U P E P LIS S É E M ATEL A S S É E A . W . A . K . E . , G A N T E N C U I R PA U L A R O W A N , C O LL A N T E N N YLO N ET S PA N D E X E M I LI O C AVA LLI N I , SA N D ALES “N E R E A” E N C U I R ET P LE XI G L A S G I A N VITO R O S S I , B O U CLES D’O R EILLES E N P E R LES R O G E R V I V I E R , N Œ U D , C EI N TU R E ET A R M U R E P E R S O N N ELS .


J M O O N ET EL AI N E : R O B ES , C H A U SS ET TES , LEG G I N G ET CA G O U LE E N M O H AIR , B OT TES E N C U IR ET N YLO N K E N Z O .


C O L E N LI N M A R C O R I B E I R O , P U LL À C O L M O N TA N T E N M A ILLE AJ O U R É E H E R M È S , PA N TALO N À S E Q U I N S A S H I S H , B OT TES E N P V C I R ID ES C E N T D O LC E & G A B B A N A .


V ESTE E N C OTO N ET L A I N E , M I N IJ U P E E N C R Ê P E D E L A I N E B R O D É , SA C “TW IST” E N C U I R LO U I S V U IT TO N , C O LL A N T C A LZ E D O N I A , ES C A R PI N S “R I B B O N D’O R SAY” E N P LE XI ET C U I R V E R N I G I A N V ITO R O S S I , G A N TS E N C OTO N J E S S A N M A C ATA N G AY, C A P U C H E P E R S O N N ELLE .




R O B E E N S O I E , SA C “4 G” E N C U I R , B OT TI N ES E N C A O UTC H O U C ET C H A U S S ET TES E N T R IC OT, C O LLI E R E N L A ITO N A R G E N TÉ G I V E N C H Y.



M A N TE A U ET C O L R O U LÉ E N L A I N E , G A N TS ET SA C E N C U I R , B OT TES B R O D É ES D E PA ILLET TES P R A D A .



V ESTE E N TW E ED S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO , C H E M IS E E N C OTO N D I O R , R O B E “TA Z A” E N C OTO N F R O IS S É R O K S A N D A , C O LL A N T E M I LI O C AVA LLI N I , ES C A R PI N S E N N YLO N ST R A S S É D O LC E & G A B B A N A , G A N TS E N C U I R PA U L A R O W A N , H E A U M E , N Œ U D PA PILLO N , ÉC H A R P E ET J U P E À C R I N O LI N E P E R S O N N ELS .


G ILET E N L A I N E V E R S A C E , R O B E E N P O LY ESTE R ET S O I E S P O R TM A X , P U LL À C O L M O N TA N T E N M A ILLE AJ O U R É E H E R M È S , G A N T E N C U I R PA U L A R O W A N , C U IS SA RD ES 110 M M E N P O LY U R ÉT H A N E M ÉTALLIS É VI N TA G E B A LE N C I A G A , C O U V R E- C H EF E N C OTO N J E S S A N M A C ATA N G AY.




B O U CLES D’O R EILLES E N STR A S S ET P E R LES R O G E R V I V I E R , C O L E N LI N M A R C O R I B E I R O , C O L R O U LÉ E N L A I N E PA U L S M IT H , ES C A R PI N S E N N YLO N ET ST R A S S D O LC E & G A B B A N A , C O LL A N T C A LZ E D O N I A . A R M U R E P E R S O N N ELLE .


P U LL E N M O H A I R E M P O R I O A R M A N I , B O U CLE D’O R EILLE “LO C K IT” E N O R LO U I S V U IT TO N .



J M O O N ET EL A I N E : P U LLS À C O L M O N TA N T E N M A ILLE AJ O U R É E H E R M È S , C O LLI E R S ET BA G U ES “LES B E R LI N G OTS” E N O R ET D I A M A N TS C A R TI E R .


J M O O N : V ESTE E N M O H A I R , C O M BI N A IS O N E N TU LLE ET S E Q U I N S , S E R R E-TÊTE E N M ÉTAL, STR A S S ET P E R LES , C O LLI E R E N M ÉTAL ET ST R A S S C H A N E L . EL A I N E : V ESTE E N TW E ED D E C A C H E M I R E À S E Q U I N S , C O M BI N A IS O N E N G U I P U R E O R N É E D E S E Q U I N S , C O LLI E R E N M ÉTAL, STR A S S , P E R LES ET R ÉSI N E C H A N E L .


C A P E E N L A I N E ET R O B E E N C R Ê P E VA LE N TI N O . PA G E D E D R O ITE , EL A I N E : R O B E E N J A C Q U A RD D E S O I E F R O IS S É , C U IS SA RD ES 110 M M E N P O LY U R ÉT H A N E M ÉTALLIS É VI N TA G E , B R A C ELET ET BA G U E E N LYT H O P L A STE B A LE N C I A G A . J M O O N : C O L R O U LÉ E N L A I N E PA U L S M IT H , ES C A R PI N S E N N YLO N ET ST R A S S D O LC E & G A B B A N A , C O LL A N T C A LZ E D O N I A , A R M U R E P E R S O N N ELLE . M A N N EQ UIN S : ELAIN E K W O K @ XDIR ECTN A G E N CY ET J M O O N @ M ILK . CASTIN G : G EO R G E R AYM O ND STEAD . COIFFU R E : RYO N AR U S HI M A . M A Q UILLA G E : ELIAS H OVE. ASSISTA NTS P H OTO G R AP H E : AD A M R O B ERTS , FED ERICO GIO CO . ASSISTA NTE STYLISTE : LA U R E N H EAVER .



RIDERS

PHOTOS BOJANA TATARSKA. RÉALISATION GAULTIER DESANDRE NAVARRE.

ON THE STORM

M A R Y : C A P E E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , B OT TES E N C U I R G R A I N É , F O U L A RD E N S O I E , SA C “C A P U CI N ES” PA R G R E G O R H ILD E B R A N D T E N C U I R LO U I S V U IT TO N . PA G E D E D R O ITE : PA N TALO N C A R G O E N C OTO N , B O M B E R E N C OTO N R E B R O D É D E S O I E , SA C “S P E ED Y PILLO W ” E N N YLO N R ECYCLÉ , F O U L A RD E N S O I E , B O U CLES D’O R EILLES “N A N O G R A M” E N M ÉTAL D O R É ET A R G E N T LO U I S V U IT TO N .




P U LLS E N C OTO N , J U P E E N L A I N E , B OT TES E N C U I R G R A I N É , LU N ET TES AVI ATE U R E N M ÉTAL D O R É , SA C “C A P U CI N ES” PA R PA O L A PIVI E N C U I R LO U I S V U IT TO N . PA G E D E G A U C H E , N I K KI ET M A R Y : R O B E E N L A I N E R E B R O D É E E N N É O P R È N E , F O U L A RD E N S O I E LO U I S V U IT TO N .



M A N TE A U E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , B R A C ELET “BLO O M I N G” E N M ÉTAL D O R É , SA C “D A U P H I N E SI N C E 18 5 4” E N J A C Q U A RD , C U I R ET M ÉTAL D O R É LO U I S V U IT TO N . PA G E D E G A U C H E : C A RD I G A N E N C OTO N , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É , B OT TES E N C U I R G R A I N É , SA C “C A P U CI N ES” PA R Z E N G FA N Z H I E N C U I R LO U I S V U IT TO N .



M A R Y : M A N TE A U E N LU R E X , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , B OT TES E N C U I R G R A I N É , LU N ET TES D E S O LEIL E N A C ÉTATE LO U I S V U IT TO N . N I K KI : C A RD I G A N E N L A I N E TR IC OTÉ E , J U P E E N TW E ED ET L A I N E M ÉL A N G ÉS , B OT TES E N C U I R G R A I N É LO U I S V U IT TO N . PA G E D E G A U C H E , M A R Y : M A N TE A U E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , SA C “P ETITE M ALLE” E N C U I R , F O U L A RD E N S O I E LO U I S V U IT TO N . N I K KI : C A P E E N M ATI È R E TEC H N I Q U E LO U I S V U IT TO N .


TW I N -S ET E N C OTO N , PA N TALO N D E M OTA RD ET B OT TES E N C U I R , SA C M U LTI P O C H ET TE “PILLO W ” E N N YLO N , F O U L A RD E N S O I E LO U I S V U IT TO N .



N I K KI : C A P E E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , B OT TES E N C U I R G R A I N É , C O LLI E R E N M ÉTAL D O R É , F O U L A RD E N S O I E , SA C “S P E ED Y PILLO W ” E N N YLO N R ECYCLÉ LO U I S V U IT TO N . M A R Y : M A N TE A U E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , B OT TES E N C U I R G R A I N É , SA C “P ETITE M ALLE” E N C U I R LO U I S V U IT TO N . PA G E D E D R O ITE : M A N TE A U E N M ATI È R E TEC H N I Q U E , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , B OT TES E N C U I R G R A I N É , B R A C ELET “BLO O M I N G” E N M ÉTAL D O R É , SA C “D A U P H I N E SI N C E 18 5 4” E N J A C Q U A RD , C U I R ET M ÉTAL D O R É LO U I S V U IT TO N .




N I K KI : TO P E N TW E ED ET L A I N E M ÉL A N G ÉS , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , M A N TE A U E N O R G A N Z A ET VI N YLE , B OT TES E N C U I R G R A I N É LO U I S V U IT TO N . M A R Y : TO P E N TW E ED ET L A I N E M ÉL A N G ÉS , PA N TALO N D E M OTA RD E N C U I R , M A N TE A U E N LU R E X , B OT TES E N C U I R G R A I N É LO U I S V U IT TO N . PA G E D E G A U C H E : BL A Z E R E N L A I N E , SA C “LO O P ” I M P R I M É M O N O G R A M , B O U CLE D’O R EILLE “LO U IS ET TE” E N M ÉTAL D O R É ET A R G E N T, F O U L A RD E N S O I E LO U I S V U IT TO N . M A N N EQ UIN S : NIKKI VO N S EE @ VIVA M O D ELS PARIS ET M ARY D U LEU @ P R E M IU M M O D ELS . CASTIN G :FAR EZ BR AH M I. COIFFU R E : B E N M IG N OT. M A Q UILLA G E : AYA FUJITA @ CALLISTE A G E N CY. DIGITEC H : YUJI @ A W ACS . ASSISTA NT LU M IÈR E : STA N R EY- G R A N G E. ASSISTA NT STYLISTE : LIN A VELAS Q U EZ.


PHOTOS JACK WATERLOT. RÉALISATION LOTTE ELISA AGULLO-COLLINS.


A M ELI A : F O U L A RD EN SOIE IM PRIM ÉE, JUPE EN TU LLE , B O OTS EN CUIR ET C U LOT TE DIOR. J A ZZ ELLE : ROBE EN M O U S S ELI N E D E SOIE, B O U CLE D’O R EILLE “CD ” E N P E R LES , C O LLI E R “CD ” E N O R D I O R , B O OTS EN CUIR A LE X A N D E R MCQUEEN.



V ESTE E N PATC H W O R K D E LAIN E D O LC E & GABAN NA , D É BA RD E U R E N C OTO N C A LVI N K LE I N , C U LOT TE E N LAIN E D RIES VA N N OTE N , C O LL A N T EN LAIN E ET B O OTS EN CUIR MIU MIU, F O U L A RD S E N SOIE G U CCI, C O LLI E R S EN OR DEMARSON.


ROBE EN SOIE A LE X A N D E R MCQUEEN, B O U CLES D’O R EILLES EN ARG ENT ET O R DEMARSON.




R O B EB U STI E R EN LAIN E PROENZA S C H O U LE R , C O M BIJ U STA U C O R P S ET M ITA I N ES E N J E R S EY D E N YLO N E XTE N SI BLE ORNÉ DE P E R LES RUI ZHOU, B OT TI N ES EN CUIR A LE X A N D E R MCQUEEN. PA G E D E GAUCHE, J A ZZ ELLE : C O LLI E R “CD ” EN OR DIOR, PI E R CI N G P E R S O N N EL .



ROBE EN LAIN E M ISSO NI, C A G O U LES EN M O HAIR ET B OT TI N ES EN CUIR MIU MIU. PA G E D E GAUCHE : ROBE EN C OTO N S P O R TM A X , B OT TES E N CUIR À C H A Î N ES E N ARG ENT MIU MIU, B O U CLES D’O R EILLES EN ARG ENT ANNIE C O S TE LLO BROWN, C O LLI E R D E P E R LES S A N TA N G E LO .



G ILET, JUPE, C U LOT TE ET C H A U S S ET TES EN LAIN E, ES C A R PI N S EN CUIR ET B O U CLE D’O R EILLE ACNE S TU D I O S , B R A C ELET EN ARG ENT A N OT H E R F E AT H E R .


J A ZZ ELLE : P U LL À C O L R O U LÉ ET C O M BI N A IS O N EN LAIN E PR ADA , PI E R CI N G P E R S O N N EL . A M ELI A : C O M BI N A IS O N EN LAIN E PR ADA , BA G U ES EN OR J. H A R D Y M E N T, BA G U E E N OR MIN G YU WANG.




C O M BIJ U STA U C O R P S ET M ITA I N ES E N J E R S EY D E N YLO N E XTE N SI BLE ORNÉ DE P E R LES R U I ZHOU. PA G E D E GAUCHE, A M ELI A : BODY EN D E N TELLE , PA N TALO N E N TW E ED , C O LLI E R E N O R , P E R LES ET C R ISTAL, D A N S LES C H EV E U X B O U CLES D’O R EILLES E N C R ISTAL, CHAÎN E, CUIR ET P E R LES CHANEL, B OT TI N ES E N CUIR ISAB EL M A R A N T, AN N EAUX EN ARG ENT B O ND HARD WARE. J A ZZ ELLE : JUPE EN LU R E X ET C O LLI E R S E N C R ISTAL CHANEL, ES C A R PI N S EN CUIR ACNE S TU D I O S , PI E R CI N G P E R S O N N EL .


B R A S SI È R E ET S H O RT E N LAIN E, G A N TS E N C U I R ET F O U L A RD EN SOIE VERSACE . PA G E D E D R O ITE : F O U L A RD S EN SOIE GUCCI, CHAÎN E EN OR MING Y U W A N G ET P E N D E N TIF EN ARG ENT J. H A R D Y M E N T.



ROBE EN C OTO N A N N D E M E U LE M E E S TE R , B O U CLE D’O R EILLE E N O R ET A R G E N T J . H A R D Y M E N T. PA G E D E D R O ITE , J A ZZ ELLE : R O B E E N S O I E ET B OT TI N ES E N C U I R A LE X A N D E R MCQUEEN, B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T ET O R DEMARSON. M A N N EQ UIN S : JAZZELLE @ TH E S O CI ETY M A N A G M E NT ET A M ELIA R A M I @ H ER O ES M O D ELS . COIFFU R E : R O LA ND O B EA U C HA M P. M A Q UILLA G E : PA U L FI ELD S . M A N U CU R E : D O H EE BAH N . ASSISTA NTE P H OTO G R AP H E : S HA N E R O O N EY. ASSISTA NTE STYLISTE : JU LIA BR O O KS .



FAL LEN AN GELS

PHOTOS MATTHEW BROOKES. RÉALISATION BILL MULLEN.


SI M O N E : R O B E E N LU R E X B R O D É LO U I S V U IT TO N , É PA U LET TES E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M ET C H A Î N E IT I S K N O W N , B O U CLES D’O R EILLES P O I G N A RD E N A R G E N T ET TÊTE D E C O R B E A U E N L A ITO N L A Z A R O S O H O . CYP R ES S : A ILES E N M ÉTAL D A R R E LL T H O R N E , B O LÉ R O E N M A ILLE D E C H A Î N E ET ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M IT I S K N O W N , S LI P D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ S TU D M U F F I N N Y C X H E R C U LE S N E W Y O R K S P I K E S P E E D O .


R O B E- C A P E ET G A N TS E N C U I R F E N D I , C O U R O N N E E N C R ISTAL ET P E R LES V E R A W A N G . B O U CLE D’O R EILLE É P É E E N A R G E N T L A Z A R O S O H O , H A R N A IS E N M A ILLE D E C H A Î N E ET C R ISTA U X D E V E R R E , C EI N TU R E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N .


M A N TE A U B O M B E R E N SATI N , S LI P E N J E R S EY ET C U IS SA RD ES E N F O U R R U R E R I C K O W E N S , B O U CLES D’O R EILLES P LU M E ET É P É E E N A R G E N T, CLO U TÊTE D E C O R B E A U E N L A ITO N L A Z A R O S O H O .


TE E-S H I RT E N TU LLE ET C A P E E N S E Q U I N S VA LE N TI N O , M A N C H E E N ÉC A ILLES A R G E N T B R O S S É IT I S K N O W N , BA S D E M A ILLOT D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ N O R M A K A M A LI , C O LLI E R C H A Î N E ET P E N D E N TIF E N A R G E N T ET D I A M A N TS L A Z A R O S O H O .


R O B E E N G E O R G ET TE D E P O LY ESTE R À B O UTO N N I È R E P R ES SI O N S E N C U I R CLO UTÉ H E R M È S , É PA U LET TES E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M IT I S K N O W N , B O U CLE D’O R EILLE É P É E E N A R G E N T, C O LLI E R C H A Î N E ET P E N D E N TIF E N A R G E N T ET D I A M A N TS L A Z A R O S O H O .


M A N TE A U R E B R O D É D E PA ILLET TES P R A D A , TU N I Q U E ET C O L E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T ET E N L A ITO N L A Z A R O S O H O .



KJ N AR A : M A N TE A U E N TW E ED À FILS A R G E N TÉS , TE E-S H I RT ET J U P E E N SATI N STR ETC H , C O LLI E R S E N M ÉTAL, ST R A S S , P E R LES ET R ÉSI N E C H A N E L , C O IFF E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N .


FI N L AY : V ESTE E N TW E ED B R O D É D E S E Q U I N S , C A RD I G A N E N C A C H E M I R E B R O D É D E S E Q U I N S , C O LLI E R E N M ÉTAL, STR A S S C H A N E L , M A ILLOT D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ N O R M A K A M A LI , C O IFF E ET C EI N TU R E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N .



FI N L AY : R O B E E N LO D E N CLO UTÉ M I U M I U , C O LLI E R P LU I E E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLE D’O R EILLE E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .

KJ N AR A : R O B E E N LO D E N CLO UTÉ ET S O U S- R O B E E N SATI N ET D E N TELLE M I U M I U , C O LLI E R “R ÉFLECTI O N ” E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .


R O B E E N D E N I M L A M ELLÉ R I C K O W E N S , A ILES E N M ÉTAL D A R R E LL T H O R N E .


FIN LAY : M A N TE A U E N L A I N E ET C O LLI E R D E P R OTECTI O N E N A R G E N T J I L S A N D E R B Y LU C I E A N D LU K E M E I E R , C O IFF E ET C EI N TU R E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N , B O U CLE D’O R EILLE E N L A ITO N L A Z A R O S O H O , B R A C ELETS D E C H EVILLE E N C U I R ET C H A Î N ES H E R M È S , BA S K ETS E N TO ILE C O N V E R S E , S LIP D E BA I N P E R S O N N EL .

CYP R ESS : M A N TE A U X XL E N L A I N E AJ U STÉ ET C O LLI E R D E P R OTECTI O N E N A R G E N T J I L S A N D E R B Y LU C I E A N D LU K E M E I E R , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T ET E N L A ITO N L A Z A R O S O H O , BA S K ETS E N TO ILE C O N V E R S E , S LIP D E BA I N P E R S O N N EL .


É PA U LET TE E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M ET C H A Î N E , C EI N TU R E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N , B R A C ELET C H A Î N E E N O R ET D I A M A N TS L A Z A R O S O H O , BA S K ETS E N TO ILE C O N V E R S E , S LIP D E BA I N P E R S O N N EL .



B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T ET E N L A ITO N L A Z A R O S O H O , É PA U LET TE E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M ET M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N .


P U LL E N C R O C H ET D E C A C H E M I R E B R U N E LLO C U C I N E LLI , É PA U LET TES ET M A N C H ES E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M ET M A ILLE D E C H A Î N E , C O IFF E ET J U P E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N , C O LLI E R C H A Î N E ET P E N D E N TIF E N A R G E N T ET D I A M A N TS L A Z A R O S O H O , M A ILLOT D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ N O R M A K A M A LI .


S LI P D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ S TU D M U F F I N N Y C X H E R C U LE S N Y C S P I K E S P E E D O , É PA U LET TE IT I S K N O W N .


PA R K A S PA C E E N TIS S U R I P STO P TEC H N I Q U E , C U IS SA RD ES C H EVALI E R 110 M M E N P O LY U R ÉT H A N E M ÉTALLI Q U E VI N TA G E B A LE N C I A G A , M A ILLOT D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ N O R M A K A M A LI , C O IFF E E N M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N .


C A P E E N L A I N E À B R O C H ES E N L A ITO N D O R É S C H I A PA R E LLI , É PA U LET TE E N ÉC A ILLES D’ALU M I N I U M ET M A ILLE D E C H A Î N E IT I S K N O W N , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N ET E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .


CYP R ES S : S LI P D E BA I N E N LYC R A CLO UTÉ S TU D M U F F I N N Y C X H E R C U LE S N Y C S P I K E S P E E D O , C O LLI E R “R ÉFLECTI O N ” E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , É PA U LET TE IT I S K N O W N , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .

SI M O N E : R O B E E N V ELO U R S I M P R I M É LO U I S V U IT TO N X F O R N A S ET TI , C O LLI E R P LU I E E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N ET E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .


S LIP E N J E R S EY ET C U IS SA RD ES E N F O U R R U R E R I C K O W E N S , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T ET E N L A ITO N L A Z A R O S O H O , A ILES E N M ÉTAL D A R R E LL T H O R N E ,



PA G E D E D R O ITE : R O B E E N V ELO U R S I M P R I M É LO U I S V U IT TO N X F O R N A S ET TI , C O LLI E R P LU I E E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLES D’O R EILLES E N L A ITO N ET E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .

KJ N AR A : R O B E E N LO D E N CLO UTÉ ET S O U S- R O B E E N SATI N ET D E N TELLE M I U M I U , C O LLI E R R ÉFLECTI O N E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLES D’O R EILLES E N A R G E N T L A Z A R O S O H O . FI N L AY : R O B E E N LO D E N CLO UTÉ M I U M I U , C O LLI E R P LU I E E N O R G R IS ET D I A M A N TS C A R TI E R , B O U CLE D’O R EILLE E N A R G E N T L A Z A R O S O H O .


M AN N EQ UIN S : KJNAR A S W A N SO N @ N EXT, SI M O N E EM BR ACK @ N EW ICO N , THALITA FARIAS @ ELITE, CYP R ESS HAYU N G A @ FO RD M OD ELS , FIN LAY M AN G AN @ I M G . CASTIN G : ED W ARD KI M @TH E EDIT D ESK . COIFFU R E : D AVID VO N CA N N O N . M AQ UILLA G E : AYA M I. M A N U CU R E : B ER N AD ETTE TH O M PSO N . ASSISTANT P H OTO G R AP H E : ED SIN GLETO N . ASSISTANTES STYLISTE : JULIA VIR KLER , VICTO RIA VAN KESTER EN . ASSISTA NT COIFFU R E : RISIKO ITA M O CHI. ASSISTANTES M AQ UILLA G E : RISA M IYA M OTO , YU K A ITO .


STEFFI : P U LL E N ST R A S S I S A B E L M A R A N T, R O B E E N C OTO N M I C H A E L K O R S , C U IS SA RD ES E N C U I R V E R N I A G L . Z AY N A : M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E , P U LL ET J U P E E N T R IC OT M I U M I U , C U IS SA RD ES E N C U I R P R A D A .

PHOTOS JÉRÉMIE MONNIER. RÉALISATION VICTOR VERGARA.

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STEFFI : R O B E E N T R IC OT D E L A I N E Y O HJ I YA M A M OTO , B OT TES ET SA C E N C U I R B A LE N C I A G A . Z AY N A : H O O D I E SA N S M A N C H ES E N C OTO N C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , V ESTE ET J U P E E N D E N I M M I C H A E L K O R S , ES C A R PI N S E N C U I R V E R N I F R E E L A N C E .



P U LL E N L A I N E M É R I N O S , J U P E E N S O I E , C U IS SA RD ES E N P E A U L A I N É E ET C O LLI E R E N ALU M I N I U M A C N E S TU D I O S .




M A N TE A U E N FA U S S E F O U R R U R E ET E N R E- N YLO N , C U IS SA RD ES E N C U I R P R A D A , C U LOT TE E N C OTO N C A LV I N K LE I N U N D E R W E A R , C O LL A N T ET TE E-S H I RT P E R S O N N ELS . PA G E D E G A U C H E : R O B E E N S O I E D S Q U A R E D 2 , P U LL E N M ES H ET T R IC OT, M A N C H ES E N C U I R M M 6 M A I S O N M A R G I E L A , B OT TES E N C U I R LO U I S V U IT TO N .


Z AY N A : V ESTE E N C U I R A L A Ï A , J U P E E N V ELO U R S D S Q U A R E D 2 , B OT TES E N C U I R B A LE N C I A G A . STEFFI : G ILET E N S E Q U I N S I S A B E L M A R A N T, J U P E TA ILLE U R E N C OTO N ET L A I N E M M 6 M A I S O N M A R G I E L A , B OT TES E N C U I R F R E E L A N C E , TE E-S H I RT P E R S O N N EL .



R O B E E N S O I E À FLE U R S E N TU LLE ET M ÉTAL, PA N TALO N E N V ELO U R S S A I N T L A U R E N T PA R A N T H O N Y VA C C A R E LLO .


M A N TE A U E N C U I R D R O M E .



V ESTE E N D E N I M M I C H A E L K O R S , H O O D I E E N C OTO N , R O B E E N D E N TELLE R E B R O D É E ET C O LL A N T E N C OTO N D S Q U A R E D 2 , ES C A R PI N S E N C U I R F R E E L A N C E .



TE E-S H I RT C O R S ETÉ E N J E R S EY ET TU LLE D E S O I E , PA N TALO N E N S E R G É D E L A I N E A LE X A N D E R M C Q U E E N . PA G E D E G A U C H E : BLO U S E E N C OTO N ET C U I R SY N T H ÉTI Q U E J U N YA W ATA N A B E , C U IS SA RD ES E N C U I R P R A D A , TE E-S H I RT P E R S O N N EL .


Z AY N A : R O B E E N FA U S S E F O U R R U R E ET TR IC OT, C H A U S S U R ES E N G O M M E G I V E N C H Y, C H A U S S ET TES FA LK E . STEFFI : S O UTI E N - G O R G E E N P E A U L A I N É E G I V E N C H Y, PA N TALO N E N C U I R LO U I S V U IT TO N , ES C A R PI N S E N C U I R V E R N I F R E E L A N C E , C H A U S S ET TES P E R S O N N ELLES .



P U LL E N M O H A I R À M A N C H ES B O RD É ES D E P LU M ES , J U P E E N VI N YLE ET É PA U LET TES E N C U I R G U C C I . PA G E D E D R O ITE : R O B E E N VIS C O S E LO E W E .




STEFFI ET Z AY N A : R O B E TU B E E N J E R S EY, R O B E TU B E E N J E R S EY ET SATI N , B OT TES E N P YT H O N ET C U I R F E N D I .


M A N N E Q U I N S : Z AY N A CIS S E @ SILE N T M O D ELS ET STEFFI C O O K @ SILE N T M O D ELS . C A STI N G : N IC O L A S BI A N CI OT TO . C O IFF U R E : TO BI A S SA G N I E R @ C ALLISTE A G E N CY. M A Q U ILL A G E : Y VA N E R O C H E R . A S SISTA N T P H OTO G R A P H E : Q U E N TI N C O L A S . A S SISTA N TE STYLISTE: IS M È N E D U P R AT.

Z AY N A : D É BA RD E U R E N C OTO N C E LI N E PA R H E D I S LI M A N E , PA N TALO N E N C U I R M M 6 M A I S O N M A R G I E L A . STEFFI : P U LL E N L A I N E M M 6 M A I S O N M A R G I E L A , C U LOT TE E N C OTO N C A LV I N K LE I N U N D E R W E A R , C O LL A N T P E R S O N N EL .



THANKS LOTTE ELISA AGULLO-COLLINS GEMMA BEDINI MATTHEW BROOKES LIZ COLLINS THOMAS COOKSEY GAULTIER DESANDRE NAVARRE WILOW DIALLO STEPHY GALVANI CLÉMENT GUINAMARD MICHELLE ISINBAEVA JOHNNY KANGASNIEMI JOE LAI CHRISTOPHER MAUL JÉRÉMIE MONNIER BILL MULLEN STELLA POLARIS SAM RANGER BOJANA TATARSKA VICTOR VERGARA JULIEN VALLON NICOLAS WAGNER STÉPHANE WARGNIER JACK WATERLOT

ACNE STUDIOS AGL ALAÏA ALEXANDER MCQUEEN AMI ALEXANDRE MATTIUSSI ANN DEMEULMEESTER ANNIE COSTELLO BROWN ANOTHER FEATHER ARDUSSE ASHISH A.W.A.K.E. BALENCIAGA BALMAIN BERLUTI BOND HARDWARE BOTTEGA VENETA BOTTER BRUNELLO CUCINELLI CALVIN KLEIN CALZEDONIA CARTIER CELINE CHANEL CHARLES JEFFREY LOVERBOY CHLOÉ CHRISTIAN LOUBOUTIN COMMANDO CONTEMPORARY WARDROBE CONVERSE DARRELL THORNE DEMARSON DIOR DOLCE & GABBANA DRIES VAN NOTEN DROME DSQUARED2 EMILIO CAVALLINI EMPORIO ARMANI ERES FALKE FENDI FORNASETTI FREE LANCE GIANVITO ROSSI GIVENCHY GOOSSENS GUCCI HARRIS REED HERMÈS ISABEL MARANT ISSEY MIYAKE IT IS KNOWN

JESSAN MACATANGAY J. HARDYMENT JIL SANDER JIMMY CHOO JUNYA WATANABE JUSTINE CLENQUET JW ANDERSON KENZO KNWLS KOCHÉ LANVIN LAZARO SOHO LEVI’S LOEWE LOU DE BETOLY LOUIS VUITTON MAISON MICHEL MARCO RIBEIRO MARNI MARTA MARTINO MCM MICHAEL KORS MING YU WANG MISSONI MIU MIU MM6 MAISON MARGIELA MONCLER MUGLER NOIR KEI NINOMIYA NORMA KAMALI PATOU PAULA ROWAN PAUL SMITH PORTS 1961 PRADA PROENZA SCHOULER RICK OWENS ROGER VIVIER ROKSANDA RUI ZHOU SAINT LAURENT SANTANGELO SCHIAPARELLI SIMONE WILD SPORTMAX STUDMUFFIN NYC STUSSY TÉTIER BIJOUX TOD’S TOM VAN DER BORGHT VALENTINO VERA WANG VERSACE YOHJI YAMAMOTO

INDEX

326


IN ENGLISH QUARTER-LIFE CALLING / ARCHI-TECHTURE / IBERIAN SENSIBILITY / BERGMANN OF THE YEAR / BLACK MODELS / COUPLE GOALS / POWER COUPLE / INITIALS BB / ULTRAVIOLETTE / ALTERNATIVE MOVEMENT / RAW TALENT / SEXUAL HEALING

327


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MIXIT

A LIFETI M E O F FAS HIO N , C R E ATIVITY A ND C O M M ITM E NT. A

IBERTÉ,

EDITOR’S LETTER

2 5 YE A R S A G O M IXTE M A G AZ I N E W AS B O R N . A Q U A RTER O F


QUARTERLIFE CALLING AT 25, YOU CAN NEVER BE SURE YOU WILL AVOID A QUARTERLIFE CRISIS. AS A RESOUNDING ECHO OF THE CURRENT CONTEXT, IT CAN HOWEVER BE A SOURCE OF CREATIVITY, CALLING FOR ACTION RATHER THAN RESIGNATION. WORDS BY DÉBORAH MALET.

You just need to take a quick look at JW Anderson’s latest SS22 men’s ready-to-wear show to be convinced that the generation about the same age as Mixte isn’t exactly having a blast: shot by Jürgen Teller, the photos feature young models in the rooms of a of a not-so-cosy house, wearing fleeces and joggers, not to mention the shorts-flipflops-socks combo. On top of these CCL-pyjama silhouettes is a big file that’s been torn open like a Pandora’s box: the quarter-life crisis which occurs between the ages of 25 and 35, and whose phenomenon has been amplified by the pandemic and its associated health restrictions. Oliver Robinson, a lecturer in psychology at the University of Greenwich in London who has been studying the issue since 2008 explains “the quarterlife crisis has been recognised since the 1980s and is similar to a young adult crisis”. According to him, it is essential to transform the quarter-life crisis into a quarter-life catalyst – or Quarter-life calling, to use the title of the book by author and life coach Paul Sohn, published in 2017 and subtitled Pursuing Your God-Given Purpose in Your Twenties. Behind this “positive attitude”, which entered the collective unconscious by force, is the idea that nothing is inevitable and that everyone can make a difference. In short, walling yourself off in passivity is out of the question. Let’s take the example of Mixte, which is celebrating its 25th anniversary this year. This is a rare longevity for an independent magazine born in 1996, like Zendaya, Kendji Girac or Pikachu, at a time when the discouraging discourse of the “press crisis“ was already present. A risky bet, some people said at the time, but taking shelter in a mind-numbing comfort zone and giving up on our goals and dreams is not for us, “thank u, next” as Ariana Grande would say. And no matter the amount of doubts, mistakes, failures, and stress arising, or how many paper bags you need to breathe into to stop hyperventilating: existential crises allow the ego to develop and (re)invent itself. As Professor Oliver Robinson reminds us, the quarter-life crisis is “an excellent opportunity to wake up” and become “more complete”. And this requires both creativity and commitment.

OBSERVATIONS AND SURVIVAL GUIDES The first time the term made its appearance on the hardcover of a book for all to see was in 2001, with Quarterlife Crisis, the Unique Challenges of Life in your Twenties, based on an original idea by USian journalists Alexandra Robbins and Abby Wilner. Since then, this quarterlife crisis has regularly been the focus of books about personal development marketed as “happy therapy”: How to Survive Your Quarterlife Crisis by Jodanna Bird, The Quarter Life Breakthrough by Adam Smiley Poswolsky, Get it Together: A Guide to Surviving Your Quarterlife Crisis by Damian Barr... Last year, it was at the heart of the young USian comedian Taylor Tomlinson’s one-woman show called Quarter-life Crisis (available on Netflix) and which uses the good old comic spring of self-mockery against a backdrop of misery. However, her introduction perfectly sums up the state of mind one is in when hitting a hard QLC: “I am halfway through my twenties and I am done with this shit! Omg I’m sick of my twenties... I am so sick of people telling me to enjoy them (...) that’s what everybody forgets about your twenties. You were garbage. You have no intuitions, no instincts. You can’t make decisions, only mistakes (...) you have to work on yourself in your twenties cause if you don’t, then you’ll turn 30 and all the shitty parts of your personality will solidify.” In other words, the quarter-life crisis is a much more distressing period than the teenage crisis: parental emancipation, insecurity in the work world, money-related anxiety, big questions about the future. According to Oliver Robinson, QLC usually lasts one to two years and occurs in four stages: “Stage 1, a life situation that causes stress, dissatisfaction, and a strong sense that one is not progressing. The negative emotions that characterise Phase 1 are often internalised. Phase 2a is manifested by a greater desire for change and the feeling that it can be achieved. During this phase, the person may separate from a spouse, social group or job in order to seek a new path to adulthood. Phase 2b is a time of questioning and self-analysis. Rather than living in a routine, life in Phase 3 is experimental and spontaneous. New ideas, identities and commitments

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are considered. Phase 4 is called the ‘rebuilding phase’, and involves more active steps to build a futureproof adult life structure.” Simply put, twentysomethings vibe is more “welcome to the dark ages” rather than society’s oversold golden age.

CREATIVITY AND THE QUEST FOR SELF Fact but not fun: life is not a long quiet river (duh!). This was the early observation of Théo Grosjean, a drawer from a very young age who suffers from a generalized anxiety disorder diagnosed at the end of adolescence. So, when we talk about the quarter-life crisis, it inevitably speaks to him: “For me, it manifests itself in metaphysical anxieties, notably the flight of time and how to optimise it as much as possible, because at 25, you are overexposed to life ideals. You are no longer a child/ teenager, you become an adult who no longer has the right to make mistakes.” To exorcise all this, Theo has been depicting himself since 2018 in a wellnamed comic book, L’Homme le plus flippé du monde (The most frightened man in the world, translator’s note), published on Instagram and by Editions Exemplaire. Not only has his QLC liberated the word on his mental health between him and his 157k Insta followers, but also his creativity because “once put on paper, this anxiety is no longer within yourself”. This quest for self is what continuously feeds social networks, a sounding board but also a diary for digital natives. For Marie Dollé, digital strategist and author of the forwardlooking newsletter In Bed With Tech, 2020-2021 could be summed up in one hashtag: “#weird, which totals more than 2 billion publications on Tik Tok. 2020 has clearly seen the emergence of a new expressionist trend tied to emotional angst. A cathartic ‘vibe check’ (a feeling about a situation) expressed in various artistic forms.” Included in this long list: on-camera testimonies like Jules in the second special episode of the series Euphoria, inspirational quotes, dreamlike or nightmarish aesthetics brought out by #dreamcore, dark circles make-up tutorials on Tik Tok, the “main character syndrome” consisting of staging yourself in videos against a backdrop of gloomy music as if you were the main character of a dramatic series.

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According to Marie, it should come to no surprise that “digital natives are increasingly creative on social networks, seeing them as an analogous substitute for the canvas of painters. Remember that expressionism in painting was born during the Great Depression.” Like Bo Burnham, an USian comedian of just 31 years old, who, during the successive lockdowns, recorded home alone a Netflix Special called Inside, sort of a grotesque musical comedy behind closed doors where he addresses the depression of an almost thirty year old (the coming-ofage song “30”) or the feeling of being a piece of shit (the funky “I Feel Like Shit”). In short, everything that closely touches QLC is dealt with flanked by vocoder and synths, with an emphasis on entertaining by creating content (“But look, I made you some content”).

ACTIVISM AND CO M MITMENT So, should we really just see this as a flashy egotrip with a drama flavour? According to Marie Dollé, beyond the desire to fill a gap and dispel a feeling of loneliness, under QLC’s umbrella the concerns of twentysomethings have turned towards themes that are much deeper and more committed than they appear, such as social issues. If this is indeed a crisis for everyone, it will at least have had the merit of giving victims of the quarter-life crisis a new impetus for action rather than the acceptance of the status quo. For Oliver Robinson, “the key benefit of the quarter-life crisis is to develop a way of life that reflects who you are deep down, your personality, your convictions. To feel that you are in tune with yourself is to feel authentic.” In June, The Guardian published a major report entitled “So many revolutions to lead: Europe’s gen Z on their postCovid future”, echoing an earlier article: “How the Covid shock has radicalised generation Z”. At the same time, Le Monde interviewed sociologist Cécile Van de Velde, according to whom there is “a radicalisation of the feeling of anger in young people”. The anxiety-inducing context of the global crisis is fuelling the QLC. As for Sarah Pickard, lecturer and researcher in British civilisation at the Sorbonne Nouvelle-Paris 3 and author of Politics, Protest and Young People (published in 2019 by Palgrave Macmillan), she goes even further: “Since the Second World

War, the level of each new generation has always improved. This is the first time that the social lift is broken”. Commitment, mobilisation, protest and activism thus set a new threshold for personal satisfaction. “Today’s young adults are taking a stronger stand than their elders on societal issues such as racism, homophobia, feminism, gender and inclusivity. These are subjects that involve more of the personal aspects of their lives,” stresses Patricia Loncle, sociology professor, Chairholder in research on youth at EHESP (École des hautes études en santé publique) and co-author with Tom Chevalier of Une jeunesse sacrifiée? (A sacrificed youth? translator’s note). This is why, according to Sarah Pickard, “the language of activism today is much more emotional and story-driven. And also the fact that we feel useful, in fluid structures with a horizontal rather than vertical participatory democracy”. However, in the midst of this momentum for action, a new evil looms over committed young people: “activist burnout”, as Socialter magazine pointed out last October. In other words, “commitment is also a source of fatigue and exhaustion” because “anger never subsides and invades social life”. Stress and mental strain are amplified by police repression (“The police forces are getting tougher on young people”, says Patricia Loncle), pressure from lobbies, lawsuits against activists... Not to mention shadow-banning, an algorithmic practice that reduces the visibility of certain politicised posts on social networks. In short, all these elements suggest that the crisis is unlikely to end soon. That is, unless we look at the very etymology of the word crisis, Krisis in Greek, which means “to distinguish, to discern, to make a choice”. This is ultimately what this sacrificed generation seems to have done with flying colours in order to finally lead us to a better future. After all, as French sociologist and economist Alain Touraine said, “The change of the world is not only creation, progress, it is first and foremost breakdown, crisis”.


ARCHITECH-TURE THE BIGGEST NAMES IN BIG TECH (TWITTER, FACEBOOK, INSTAGRAM, SNAPCHAT) CONSULT HIM, AND KANYE WEST, RIHANNA AND BEYONCÉ HAVE CALLED ON HIM TO CREATE UNPRECEDENTED DIGITAL EXPERIENCES. BUT IDDRIS SANDU’S ASPIRATIONS GO FAR BEYOND THAT: TO DEMOCRATISE TECH IN ORDER TO SHAKE UP REALITY. INTERVIEW BY OLIVIA SORREL DEJERINE. PHOTO JAMES SWOOPE.

It’s nine o’clock in Los Angeles and nine more hours in Paris when we begin our conversation with Iddris Sandu, who is driving his car over 9,000 kilometres away. At just 24 years of age, the American spends his days exploiting the potential of technology with one goal in mind: to make an increasingly pervasive virtual world accessible to all. Born in Ghana, Iddris Sandu arrived in L.A. at the age of three. Eight years later, Steve Jobs was unveiling the very first iPhone. This digital revolution of the time marked the starting point of Iddris’ passion for technology: he then set out to learn programming languages on his own at the library. At the age of 13, he knew about ten of them and soon landed an internship at Google. Initially a consultant for the biggest companies, at 19 he decided to join forces with hip hop figures to demystify technology and make it more accessible. With rapper Nipsey Hussle, he inaugurated the world’s first smart shop, where customers can enjoy unprecedented augmented reality experiences. He then became the director of design and tech for the manufacturer Yeezy for over a year. His ambition grew and led him to launch his own project, Spatial Labs, a tech incubator that bridges fashion, design and culture using the power of technology. Above all, Iddris Sandu has another goal: to change the current order of things by helping us understand that we are not just consumers, but that we can also be creators. Will he succeed?

MIXTE. You describe yourself as a “digital architect”. What does that mean in practice? IDDRIS SANDU. I apply the methods of a traditional architect to the virtual world, i.e. I supervise and develop digital spaces. With Spatial Labs, the idea is to create experiences in the digital world and to be able to improve what we think is real. For example, we recently developed an augmented reality website for Beyoncé where you were able to see in 3D all the outfits she had worn. We also designed a virtual shoe for Versace, as part of the launch of their Chain Reaction sneakers, that you could explore, try on and place anywhere in your environment. For Adidas, we created a virtual trainer with an ecofriendly design that would curb plastic pollution. In addition to developing a 3D sole, our aim was to show the

environmental benefit. Because to go and see this brand new accessory, I would have had to take my car, use gas... and therefore pollute. We want to create virtual experiences that seem very real, almost indistinguishable from the real thing, to replace the real-life alternatives that are potentially harmful to the environment. M. Isn’t technology a source of pollution, as evidenced by the abysmal amount of energy required for the creation of crypto-currencies, for instance? I. S. That’s a very good observation, but if you look around you, most of the things we use are not necessarily the most environmentally friendly either. Often a product is environmentally friendly when it’s sold, but the methods used to make it are not always so. At Spatial Labs, we’re looking at how we can create experiences that help reduce the chances of a product not being sustainable, whether in iteration, in production or in consolidation. If we can save even 30% of pollution, that’s something. It also teaches us about recyclability. Today, many of the things we buy need space to be displayed. If we can allow people to experience them in their environment, we can also teach them what it means to be “digitally sustainable”. Imagine you have a t-shirt, and every month a new digital content is added to it, customising it. This can encourage you not to go out and buy another one, to keep it as long as possible because it changes and improves over time. That’s our philosophy. We don’t maximise reality, we essentially act on empty space. At home, in addition to your furniture, you can have digital furniture that will occupy the space and give it more structure. M. You are very much involved in teaching technology to young people, why? I. S. It is very important that the next generation understands the possibilities of technology. The problem is that at the moment we talk about “technological prejudice”. But I believe in the prejudice of codes and algorithms. If these stereotypes existed, it would be something like: “I can’t unlock my phone because I have Black skin”. Technology is just a tool, it can’t be prejudiced, but the people who create and program the tools are. Three years ago, I had the idea to create a tech hub in Ghana so that the next generation of

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African leaders would be equipped with the right tools to create technology wisely and not just consume it. Because if someone creates a platform with stereotypes and other people use it, they just accentuate the scale of these preconceptions, without having access to information on how to reduce them. In developing technology today, instead of doing ‘innovation’, many of us have had to do what I call ”traumavation”, thinking we were innovating when in fact we were just creating derivatives of our trauma or a tool to counteract it. This trauma stifles innovation, in that your ability to think for everyone is limited by what it means to you, and it’s as if you have to correct something that by its very nature is designed not to be corrected. The goal is to create a decentralisation of thought, of access, and to give everyone an equal opportunity to create. M. How do you imagine the world of the future? I. S. I see it in such a way that every child from a young age will have the tools to be a creator, regardless of their colour, gender and circumstances. If you grow up just consuming, you don’t even think it’s possible to create, so it limits your ability to solve a problem. When you are faced with a problem, the first thing you do is ask yourself, “What can I buy or consume to solve this problem?” You rarely think about what you can build to solve it. These

“THE GOAL IS TO CREATE A DECENTRALISATION OF THOUGHT, OF ACCESS, AND TO GIVE EVERYONE AN EQUAL OPPORTUNITY TO CREATE.”

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are the consequences of the development of technology. It has overwhelmed us and led us to think that we can rely on Big Tech to save us or to create products. Often they promise more than they deliver, and then we find ourselves thinking about how these platforms carry stereotypes, etc. It’s great to identify these problems, but it’s better to conceptualise. No one will ever be able to create something that solves 100% of the problems, however 99.99999% is an achievable goal. We’ll keep on adding 9’s, and every time we add a 9, the product will get better. That’s what we try to do when we create technology. We shouldn’t say it will save us, we should start by saying it can help and be of service to everyone. M. You are constantly creating new realities. Do you ever confuse virtual reality with “real” reality, if there is one?

I. S. I love the punchline of your question: “if there is one?” because I really think that’s what’s important. Staying lucid, even when I’m creating these abstract ideas. It’s really about being connected to the present and having both feet on the ground, because you can sometimes be out in space for too long and forget what’s going on on Earth. The best example is this desire to travel to space. What if we first dealt with the damage on Earth? Imagination can be harmful to humans. Gandhi said something like: “It doesn’t matter how fast you travel if you go in the wrong direction”. I feel that at times we do just that; we talk about how innovative we are, but we move in the wrong direction. And going in the wrong direction quickly means that it will take even longer to get back to zero. M. What are your plans for the next few months? I. S. We are creating the future of transportation. We are developing a new operational system that democratises access to essential services in the home. Because today, the way we consume technology is based on the assumption that everyone has access to it. If you want to download the Uber app you need a smartphone and the internet, but the reality is that not everyone has access to this, or not in an unlimited way anyway. So we’re looking to create an algorithm that would allow you to use these services without owning anything. You could call someone on FaceTime, look up a route, order food

without the entry point being a $500 cellphone and an internet connection. The idea is to provide access to everyone. I never make a decision based on pure logic, I rely on empathy and intuition, and that’s what makes me unique in my approach to creating technology.

M. The theme of this issue is “Liberté, Égalité, Mixité” (“Liberty, Equality, Diversity“ in English), derived from the French motto “Liberté, Égalité, Fraternité” (“Liberty, Equality, Fraternity”). What do you think of it? I. S. The motto is great, but I’d like to challenge you a bit by inviting you to move away from “diversity“ to think more about “representation“. There can very well be diversity in a system, and yet people could still be unrepresented. Diversity can be a matter of colour, of opinion, it can mean so many different things... But, in my opinion, it only modifies existing ideas, whereas representation fosters new ones. In terms of technology and fashion, you need representation of what it could be rather than a modification of what is, and I think that’s what diversity is promoting: looking at something, looking at how you can continue to modify what is in the structure of that thing, without changing the infrastructure itself.


“All the world’s a stage”, said Shakespeare. And Arturo Obegero’s fashion illustrates this perfectly. The 27-year-old designer comes from Tapia de Casariego, a small fishing village in the Asturias region of Spain. There, he watched his father and brother go surfing, while he preferred to float or draw sea animals. “I grew up in this kind of peninsula, with the sea as far as the eye can see on one side and a breathtaking mountainscape on the other. This romantic piece of paradise inspires me enormously, especially in its more mystical aspects,” he tells us from his flat in Montreuil, which doubles as his studio.

IBERIAN SENSI BILITY A NATIVE OF NORTH-WESTERN SPAIN AND A GRADUATE OF CENTRAL SAINT MARTINS COLLEGE OF ART AND DESIGN, ARTURO OBEGERO CREATES UNISEX AND DRAMATIC FASHION THAT IS AS SENSUAL AS IT IS STRICT. A YOUNG DESIGNER IN THE FOOTSTEPS OF CRISTOBAL BALENCIAGA, ALBEIT MORE OPENLY QUEER. WORDS BY ANTHONY VINCENT. PHOTO NICOLAS WAGNER.

SURF AND SUIT He dreamt of becoming Captain Cousteau, yet also had a passion for dance and music from childhood. But his earliest fashion memories are probably from the time when he had to dress up for family gatherings in Oviedo, the capital of Asturias: “It was much more conservative and uptight there than in my hometown. It fascinated me that we would go from our neoprene surf suits to shirts and polished shoes to go to the restaurant in the big city. I almost felt like I was stepping into the shoes of a character. That’s how I came to understand how clothing can change the way others perceive you and how you perceive yourself. Suddenly, you might stand straighter, more dignified, feel more confident.” For Arturo, what triggered the desire to become a designer was Alexander McQueen’s first fashion show, Plato’s Atlantis, broadcast live on the Internet in October 2009: “I was already interested in fashion, but I didn’t necessarily have any ambition to make a career out of it, until this famous show which was revolutionary at the time! I can still remember asking my mother not to call anyone (since at that time phones and internet were on the same line), so that I could peacefully watch it on my own!”

“CENTRAL SAINT MARTINS U NLEASHED MY CREATIVITY” Once his mind was made up, he left at 17 to study the technical basics at the Escuela Superior de Diseño y Moda Goymar, in La Coruña, a little further west of Oviedo. This is where the Inditex group (Zara, Bershka, Pull & Bear, etc.) is based. “I dreamt of

nothing but McQueen and Balenciaga, but at this school I was able to learn how to sew, cut, pattern and use computer pattern-making programs, while aspiring to join the prestigious Central Saint Martins in London later on. Supported by my mother, I had an envelope in which I put all my savings for this project. After three years in La Coruña, I did an internship at Marcos Luengo, a Spanish fashion house where I was able to touch everything: readyto-wear, made-to-measure wedding dresses, shoes, bags... In the end, they trusted me so much that they gave me the reins of a fashion show. I’ll always remember that we had just five pairs of shoes for 20 models who were supposed to do a total of 50 runs. It went surprisingly well (laughs)!” Arturo then manages to join Central Saint Martins, where he studies for three years: “The style of this university, its teaching methods and the students there were very different from anything I had known before. It was quite a shock for me, but it was very beneficial, because it allowed me to enrich my vision, to feed my eyes with other horizons and to better define who I am and what I want to do. I went there with my very technical background which allowed me to give shape to my wildest ideas. CSM unleashed my creativity.”

PARIS AND THE LOST ILLUSIONS Paradoxically, this time in the English capital was probably what made him realise that his creative place was in the City of Lights: “London is a creativity shaker, where you can be free to express yourself and explore without judgment. Paris may seem to be more conservative in comparison, but the fun is elsewhere, particularly in the way it plays with the codes of seduction and sexiness.” Just after Central Saint Martins, Arturo Obegero applies to different fashion houses in Paris. He joins Lanvin, at that complicated time when Alber Elbaz, beloved artistic director from 2001 to 2015, had just been dismissed without a word of warning and to everyone’s stupefaction. Several years of uncertainty then followed for the oldest fashion house still in business, with a succession of designers (including Bouchra Jarrar and Olivier Lapidus) and misunderstandings, until the arrival of Bruno Sialelli in January 2019.

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Arturo Obegero will barely have time to cross paths with him, since he holds a position as Junior Designer of the women’s collections from May 2018 to February 2019, before deciding to create his own brand and launch it a few months later. Entering an existing house in order to climb the ladder, step by step, and perhaps one day become its artistic director? As the young designer bitterly understands, it is mission almost impossible as there are so many candidates, so few called and even fewer chosen.

DRAMA, FLAMENCO AND BULLFIGHTIN G If you’re going to launch your own brand, you might as well start by laying the foundations. Arturo Obegero has therefore included his graduation range, Palmira, in his permanent pieces: “It was a complex exercise to try to transfer and concentrate my style in such a tight collection. I had had time to build up this strong identity, which also became a form of armour, in a way. This line, which started out as a dramatized version of the way I dress every day, eventually became my almost daily uniform.” Starting with his extra high-waisted trousers reaching below the chest, named Gades after the flamenco dancer of the same name, which became the backbone of his brand identity: “I wanted to build a pure and powerful silhouette, sensual and severe at the same time. It combines a lot of references I have in mind, starting with matadors, Balenciaga and even the singer Sade, who sometimes wore this kind of trousers”. The other signature piece is certainly his shirt with oversized musketeer cuffs, called Pedro in memory of his grandfather: “Two weeks before I was to hand in my graduation collection, which was supposed to be completely black, my grandfather died. He only wore white shirts, so I decided to add one as a tribute. I took one of his shirts, deconstructed it to alter the pattern a bit, and remade it in bright silk. When people buy this shirt today, it’s like they’re buying a piece of my history.”

ECO-RESPONSABILITY AS AN IM PERATIVE When it comes to raw materials, Arturo Obegero sets himself apart by producing in the most reasoned and ecological way possible. He sources

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his fabrics mainly from offcuts and dormant stocks from major fashion houses, notably via the new LVMH platform, Nona Source (which allows students and young designers to buy materials from its fashion and leather goods houses at a lower cost). “That’s how I end up working with materials from Louis Vuitton, Fendi and Givenchy. Creating locally, in small batches, with materials of exception is what allows me to offer almost-unique pieces that people will be able to cherish forever.” Because Arturo does not want his brand to turn into a big factory, and certainly not overnight: “Instead, I want to ensure a stable and serene growth, responsible towards the planet. I think that sustainability should not even be a marketing argument, since it is everyone’s responsibility; it should be a form of obligation.” True to his upcycling approach, Arturo Obegero created his fifth collection, Puro Teatro, from old theatre curtains. Coming from Sydney, London or Belgium, they evoke the cultural institutions that were abandoned because of the pandemic and allow us to dress in the history of these places that have sheltered so many emotions, laughter, tears and applause. Arturo cuts sculptural shapes, such as tops that reach up to eye level or draped sleeves that end in a disproportionate knot, even if it means hindering certain movements: “Some pieces look like velvet prisons to show how we sometimes lock ourselves into a form of self-staging. As a young designer especially, you might seek validation from others, be tempted to become an influencer designer.”

“LIKE PINA BAUSCH GOIN G TO THE PALACE !” For the time being, Arturo Obegero prefers to work behind the scenes, less out of shyness than humility, and would rather let his creations speak for themselves. While Paris is gradually coming out of lockdown, he has just presented his sixth collection, Euphoria, at the end of June 2021, after joining the official calendar of the Paris Men’s Fashion Week. As if he had moved on to the next play after five acts, his latest opus represents the beginning of a new era, more optimistic and festive, wishing to make the Covid-19 epidemic a distant memory. “This collection is like Pina Bausch going to the Palace!

“FASHION CAN HELP SOCIETY CULTIVATE MORE FREEDOM, EQUALITY AND GENDER DIVERSITY.”

Or Mikhail Barychnikov slow dancing to Kylie Minogue. I wanted to create something that was both serious and silly, fun and sexy.” In this partywear collection, which contrasts from the more melancholic register of his previous ones, Arturo Obegero adds a good dose of sequins. They cover endless opera gloves and tuxedo-style tops, while dresses made of coloured chiffon dreams stand out from the rest of the rather monochromatic collection. Like Paco Rabanne and his metal fishnets, the young designer assembles pieces of sea-polished glass to make an openwork suit of marine jewels.

PANDEMIC AND RESILIENCE Just as the Roaring Twenties came after the First World War, will the pandemic be followed by festive and splendid 2020’s? Arturo Obegero didn’t wait to persevere, as he launched his project on the eve of “the end of the world from before”: “I presented my very first collection on March 4th 2020, and a few days later the first lockdown started (from March 17 to May 11, editor’s note). If it wasn’t for the Covid-19 pandemic, I would probably be at a different stage in my career. Maybe we would have had more wholesale orders, which would have allowed me to finance my brand in another way. I work almost alone on this label, with the help of an assistant


that I can’t afford to have full-time. My studio is my flat! But I am no less grateful to my community, my customers and the people who have supported me during such an intense period.”

IN THE FOOTSTEPS OF CRISTÓBAL BALENCIAGA A period of stagnation which allowed Arturo Obegero to develop this precise, sharp identity, which he dreams of one day being able to present in a play or a film that would take place on the stage. A mise en abyme for his stylistic devices, all in velvet, silk and muted colours. Drama or comedy, the future will tell. In the meantime he continues to dream of one day becoming artistic director of Balenciaga: “I admire the work of its founder, Cristóbal so much, his way of combining fantasy and reality, his personality...that it inevitably shows in my collections. He was someone who didn’t care what people thought of him, entirely dedicated to his craft. He didn’t act like a star designer.” Even if, today, joining a large heritage house also means taking the risk of having to abandon certain values, such as the desire to slow down the pace of collections by playing on hyperconsumption... In addition to eco-responsibility, among the other facets that form the identity of this young brand and its founder, there is a certain idea of queerness. “I don’t create my clothes with one gender in mind. Of course, my dresses are designed according to a so-called feminine morphology, but I think first and foremost about how a garment can sublimate a personality, not one gender in particular. I also like to use the same idea for male and female body types. For instance, the construction has to be different for the comfort of the person who will wear high-waisted trousers like the Gades but I always work on it in such a way that the visual result is ultimately similar in both cases.”

for challenging gender stereotypes and emancipating ourselves from toxic masculinity, for example, it benefits everyone. Fashion can help society cultivate more freedom, equality and gender diversity.” The new guard of young Spanish designers is well placed to demonstrate this, remixing Iberian heritage to present it differently to the world. Like bullfighting, a topic Arturo Obegero revisits with his queer eye: “Historically, bullfighting is a kind of courtship. Men would fight bulls to impress women. The women then began to make clothes for them, using scraps of fabric from their own dresses. Hence the flamboyance of the bullfighters’ outfits. The dichotomy between the hypervirility that the concept of facing a bull can exude and the grace of this form of dance in such flamboyant outfits is fascinating. The bullfighting public is quite conservative, so I find it quite ironic how they can applaud a man dressed like that in a bullring, while at the same time resenting the fact that others are wearing similar outfits outside of the arena.“ Seeing bullfighting as a gender performance and drawing on its know-how for his own creations is perhaps the highlight of Arturo Obegero’s fashion theatre show: “I am against animal torture and I think that this tradition will disappear if it continues as it is. On the other hand, all the craftsmanship around it inspires me enormously. Embroidering each bead on the bullfighters jackets by hands definitely is an art form. It’s like haute couture!”

A QUEER EYE ON SPANISH HERITAGE On the subject of this non-binary, gender-bending fashion, one could draw a connection between Arturo Obegero and one of his compatriots, Alejandro Gómez Palomo and his brand Palomo Spain. “I think queer people are pushing the boundaries, especially in terms of what society might consider masculine or feminine. When we call

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BERGMANN OF THE YEAR WITH A FIRST ALBUM THAT REFUSES TO BE ASSIGNED TO (ONLY) ONE MUSICAL GENRE, AND WITH THE HELP OF A WHIMSICAL AND VENGEFUL DIVA ALTER EGO, THE SINGER BERGMANN INTENDS TO PUSH BACK THE LIMITS TRADITIONALLY IMPOSED ON EMERGING ARTISTS IN HER OWN WAY. WORDS BY PIERRE D’ALMEIDA. PHOTO BOJANA TATARSKA. STYLING CLÉMENT GUINAMARD.

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Although it may sound like the words of someone who doesn’t like anything, or worse, pretends to like everything, Emma Bergmann (just Bergmann for the stage) is not kidding when she says she “listens to everything” (except maybe metal). Last May, the musician, exhalf of the electro-disco duo Palmyre, released No Curfew in the year she turned 28. A first album whose prophetic title, chosen two years before the start of the Covid-19 pandemic, was less a reference to the curfew in force in France from November 2020 to June 2021 than a preventive message to her future listeners. Be careful not to stumble, here you can find everything, without restrictions, as she explains. “In my album No Curfew, there is trip-hop, pop, R&B, there is French and English. In France – and not just here, by the way –, people like to be reassured. In any case, the music industry is very stilted. A folk artist has to stick to folk music. I completely refuse to do this. I didn’t know I was going to sing in French on the album yet, but I already knew I was going to offer several different things. When you’re at the service of art and not the other way around, you get to have fun and do stylistic exercises. That’s what I’m interested in.” The result of this exercise: 14 tracks that equally borrow from dancehall (“Love Potion”), new wave (with the synths of “Emotional Woman”), ethereal 90s R&B (on “Morpheus Where U At?”), trap (with the instrumentals of “Anybody Else’s”), 80s pop (“Parfum d’Été”) or Lofi hip hop (“Pity Party”). Bergmann seems to be perfectly aware that she is taking risks, while her peers would probably have preferred to test the waters with a more uniform EP: “I think that, generally speaking, I like to disobey. At the beginning, I wanted 18 tracks! This album is a kind of entry into the world. From the moment I knew I wanted to offer something that caressed several genres, five tracks seemed a bit short... You’d have thought: ‘This is nonsense!’ Here, at least, there’s a bit more of a binding agent.” When asked how she came to mixing Frank Ocean, Aya Nakamura, Lykke Li, Portishead, Diana Ross and Mylène Farmer (all six of whom she cites as inspirations) on the same project, she says: “I had a meeting recently with a record company, and I still had to explain to them that, especially in the 2020s, we are the

product of a huge cultural and musical accumulation. So it makes complete sense at my age to be a reflection of everything I’ve absorbed.” That’s not to say she gives in to the musical codes of the moment. “I never intentionally chose the style of the song I’m going to write. I don’t think to myself, ‘I’d like to do what’s cool at the moment’. Eclecticism, I think, is the most honest way to make music. Maybe this is a bit of a purist approach, but at the moment it’s the way I work and I’m fine with it. I didn’t say I was the greatest businesswoman on earth, and that I make the best possible decisions for my wallet. But at least I am sincere.”

THE HEAD FULL OF IMAGES Bergmann is not only a purist when it comes to music. Without prompting, she attributes this trait to the fact that she was born under the sign of Capricorn. Even before they reach YouTube, the singer’s videos (some of which she directs herself, such as “Love Potion”, “Boy Bye”, and “Cross My Heart”) exist in her head, like the track “Pity Party”, whose video shows a Depressed Anonymous meeting, described in the song by colourful lyrics. “For ‘Love Potion’, from the moment I wrote the song, I had the images in mind. I wanted the video to be a bit more fantastical, and I had to rework the thing for budgetary reasons. As I’m on a label where there’s no real art director, I’m the one who takes on that role. At the beginning, I didn’t know that I was interested. I had a particular taste, but I didn’t know to what extent I was going to take power over it. Eventually, it came naturally.” In Bergmann’s visual starter pack, there’s an obsession with bright, ultrasaturated tones (no room for beige or grey, from the furniture to the clothes to the nails, which are always long and varnished), a passion for grain and the aesthetics of old, battered VHS (halfway between 2012-2013 Tumblr and a dusty, nineties-flavoured homemovie) as well as a fascination with kitsch and camp in all its forms: big fabric flowers, sequin dresses, curlers, tulle boas, and chiffon and feather negligees. If the musician’s daily wardrobe doesn’t necessarily differ from that of her music videos – on the day we met, her manicure resembled that of the switchboard operator in Total Recall –,


Bergmann (a pseudonym chosen as a nod to the Swedish actress and filmmaker Ingrid and Ingmar Bergman) remains a theatrical character created by Emma several years ago. “In 2018, at the time I made the ‘Pay Attention’ video, I was coming out of a four-year long toxic relationship. As is often the case when you leave someone, I wanted to change my looks and I dyed my hair red. The AD of this whole project started with that, and then the character I played in this video turned out to be a kind of fictional alter ego I needed: a girl who gets revenge in a completely unreasonable way, which I wouldn’t recommend to anyone, and who kills her ex-boyfriend because he’s violent. I was inspired by her, thinking to myself that I shouldn’t live with the shame of having experienced that, but on the contrary that I should magnify it. Afterwards, I decided to carry on with her, because she is an anti-heroine, a role that is rarely given to women and that I find interesting. She’s a kind of tough cookie, but wrapped in glitter.” As a fictional drug baroness (in the video “Love Potion”), or as a guest who shows up at a friend’s funeral wearing a candy pink minidress (“Pity Party”), Bergmann has since become the theatrical extension of this daughter of a director and actress who once considered becoming an actress herself: “I did some acting, and went to auditions, but I found it too hard. I think I didn’t have the nervous and emotional system to take rejections, so I decided to stop. I also liked music, and with that I could give myself work. So in my videos I can have any role. I think you should never be dissatisfied in life. This was the way for me not to end up a frustrated old actress.”

ON THE RIGHT TRACK

going to be delayed by a year or so, and I forced myself to make a DIY thing that was quite far from my own taste, because I thought: ‘I need to release something, I’ve been waiting too long’. So we went to a car park, I ordered some clothes off the internet, a green background, we got some torches and a camera that films, and that was it.” This delay allowed her to find out that she liked singing in French, and to add some to the album. So, before being able to (re)find the stage, which – by her own admission – she misses without ever really having had a taste of it, and before being able to put on a real show (“not something expensive, but just something that looks good”, ideally in collaboration with contemporary artists she admires, such as USian Signe Pierce), Emma hangs out on Instagram, where she relays a steady stream of messages raising awareness about the fight against sexism, racism or homophobia. “I know there are artists who don’t like to take sides or have the same beliefs as me but don’t want to mix that with their work. For me, the two are closely related, and it’s completely natural. As a white woman born into a relatively privileged background, I have an obligation to do all this. In my opinion, not doing it is just being an asshole.” And is it working? “Recently I’ve been talking about violence against women and a lot of people have been messaging me, it was unexpected. I’m surprised at times: there’s this 60-year-old guy, a film enthusiast, who created a fan account for me. I have anaesthetists who follow me, and 13-year-old girls too. That’s where I’m glad, my songs have done the job I wanted them to do: I listen to all kinds of music, so I make all kinds of music and it touches all kinds of people.” The circle is complete.

“RECENTLY I’VE BEEN TALKING ABOUT VIOLENCE AGAINST WOMEN AND A LOT OF PEOPLE HAVE BEEN MESSAGING ME. THAT’S WHERE I’M GLAD, MY SONGS HAVE DONE THE JOB I WANTED THEM TO DO”

Because of the pandemic, Bergmann had to scale back her promotional ambitions. In July 2021, her album release party was cancelled at the last minute when her lead musician caught Covid-19. The year before that, during the first lockdown, she, who was only interested in producing ultra-articulate videos decided to finally clip “Cross My Heart” with the means at hand (specifying, from the first seconds, that it was a “Lockdown, Quarantine, Covid-19 Fucking Headache Production!”). “I’d just found out that my album was

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BLACK MODELS AT JUST 23 YEARS OLD, THE ARTIST MATY BIAYENDA HAS ALREADY EXHIBITED AT THE DAKAR BIENNALE AND COLLABORATED WITH FASHION DESIGNER KENNETH IZE AND LES RENCONTRES D’ARLES. THROUGH HER PICTORIAL AND TEXTILE DESIGNS, SHE CREATES A NEW REPRESENTATION OF THE BLACK FEMININE BODY. WORDS BY CÉLINE CARRÉ. PORTRAIT NICOLAS WAGNER.

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Maty Biayenda is almost the same age as Mixte. Two trajectories that were inevitably bound to intersect, so much so that our motto “Liberté, Égalité, Mixité” (“Liberty, Equality, Diversity”, translator’s note) fits perfectly with the universe of this young painter and textile designer still at the dawn of a promising career. Born in 1998 in Namibia to a Congolese father and a French mother, Maty Biayenda grew up in Angoulême where her family settled when she was only one year old. She has no memories of African lands, but from childhood she feeds her imagination through photos of her parents’ many trips to the vast continent. In these colour photos, she also discovers the faces of her father’s family members, most of whom remained in Congo, and with whom she met during a visit in 2010, which she remembers fondly. “It was impressive, I was meeting my grandmother for the first time. We went to the village where my father grew up... I felt the cultural shock, it wasn’t the same way of life as in France. My father’s family is very large, he has eleven brothers and sisters. I saw a lot of strangers who seemed to know me. I felt both foreign and familiar, I felt like a European, almost white, whereas in France I had always been referred to an elsewhere that I didn’t know that well.” This mixed feeling of strangeness and familiarity, halfway between two worlds, fully echoes Maty Biayenda’s daily life during her school years in Angoulême. She felt isolated, different, and took refuge in her inner world, which she inhabited through her drawing and her assiduous reading of fashion magazines, whose feminine silhouettes captivated her gaze in search of an environment that resembled her. “In high school, I needed to assert my Black identity while asking myself if I was legitimate,” she says. Maty Biayenda is looking for herself and uses drawing as a method of exploration, and more importantly, as a tool for liberation. Fascinated by the fashion illustrations of Antonio Lopez and the surrealist paintings of Leonor Fini, what unlocked her creativity was the Yves Saint Laurent retrospective at the Petit Palais in 2010, where she discovered the designer’s preparatory sketches: “I started to draw a lot, especially feminine figures and clothes”.

Her quest for identity, marked by the freedom to be different, in other words to be herself, gradually sharpens her gaze and outlines her artistic path. In the panorama of art history, Black women’s bodies are almost invisible. Maty Biayenda admires Degas’ Les Danseuses at the Musée d’Orsay, as she also does classical dance. The ballerinas in bluish tutus are all fairskinned. Ingres’ mannerist nudes seem sublime to her; yet, still not a dark-skinned body in sight. Maty Biayenda does not recognise herself in the impressionist and neoclassical feminine figures that she loves. “Through my sketches, I was redrawing feminine masterpieces with dark skin. I had this obsession to represent them where they were missing.” Sensitive at a very young age to the unequal representation between Black and white women’s bodies in museum collections, Maty Biayenda became fully aware of this when her art history teacher deconstructed Édouard Manet’s Olympia, detailing every element of the painting, the cushions, the black cat, the curtain, the flowers... except for the Black servant girl in the background. “I came out so frustrated at not knowing anything about this Black woman! I immediately started researching her, I identified with her. Something about her invisibility reminded me of myself.” A perception that will find a powerful echo in the Black Model exhibition at the Musée d’Orsay in 2019, which Maty Biayenda rushed to see, and for good reason. “Manet shows a free Black woman,” explained USian curator Denise Murrell, who initiated the exhibition and is the author of a thesis on Laure, the model for Olympia’s famous Black maid. In her photographic series Decolonise Olympia, Maty Biayenda poses Black women in the foreground instead of the usual white subject, in reconstructions of Manet’s painting, all reworked with oil pastels incorporating African motifs. The use of several mediums, photography here mixed with painting, is an explicit reference to the Afro-American artist Carrie Mae Weems, who particularly inspires her as does the conceptual artist Adrian Piper. Just like the two creators before her, Maty Biayenda invests the vast field of exploration that is the construction of identity through a transdisciplinary practice where all the arts are equal and mutually enriching.


“THROUGH MY SKETCHES, I WAS REDRAWIN G FEMININE MASTERPIECES WITH DARK SKIN. I HAD THIS OBSESSIO N TO REPRESENT THEM W HERE THEY W ERE MISSIN G.”

Photography, painting, drawing, but also collage, textile design, performance and installation are all facets that make up the young artist’s universe, in no particular order of preference. At the Dakar Biennale in 2018, her first solo exhibition Anachronie is a shining example. The poetry of her friend Amandine Nana, founder of the Transplantation Gallery, dialogues with the paintings L’Union and two Untitled by Maty, as well as with a textile installation, L’Origine, a garment entirely embroidered with cowries, and two videos Transmission and Untitled. “I started out naively, without anticipating the specific dimension of the art market context. I sold several paintings, but I had an emotional relationship with certain drawings that I refused to sell, I was young!” On this occasion, several exhibition curators spotted her, as did the designer Kenneth Ize, who invited her to paint a fresco in real time during his fashion show at the Palais de Tokyo in autumn 2020. In fact, the world of fashion attracts her as much as it frightens her. “I’d heard rumours of a superficial environment. I was very reserved and it scared me.” Yet, as soon as she entered the École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD) in 2017, Maty Biayenda specialised in textile design. She trained in the

techniques of knitting, weaving and pattern matching, and developed a sensitivity to materials and fibres. Textile design has everything to seduce her, combining a real taste for fashion with the plastic work of pattern composition, to which she is increasingly devoted. A commission from the photography agency Modds enabled her to create a motif for the tote bags and postcards of the Rencontres de la photographie d’Arles in 2018. It features two Black women in bright costumes against a background reminiscent of Henri Matisse’s paper cut-outs, from whom Maty Biayenda had previously reworked La Danse, representing a round of five Black women. This mixture of representations, cultures and influences is also evident in one of her latest creations, a reinvention of The Lady and the Unicorn tapestry, a masterpiece of the early 16th century. Maty Biayenda’s large-format hanging uses the narrative dimension of the six tapestries representing the five senses as well as several codes such as the floral motifs, the repetitive accumulation of certain details and the unicorn, ridden here by a woman in a harlequin suit. A Black woman, with a mane of pearls and stiletto heels, wraps herself around a pole dance bar next to a feminine duo with androgynous looks à la Grace Jones.

certainly worked on the iconic status of the woman who was his companion and the mother of his son, some of his most famous shots also show a vision tinted with colonial overtones. “This fetishising gaze can also be applied to transgender people,” says Maty Biayenda, who adds: “Gender identity is much more complicated than simply taking on the codes of femininity. Just as cigender women, many transgender women sometimes feel oppressed by these codes of femininity pushed to certain extremes.” Just like the USian painter Georgia O’Keeffe (1887-1986), whom she readily cites as one of her influences, Maty Biayenda is blazing her own trail and can already boast about having liberated consciousness and shaped a new aesthetic. That of an assertive, powerful and subtle feminine figure, anchored in her time.

Another combination in Maty Biayenda’s work is that of gender and codes of femininity, which is embodied in the fetishism conveyed by the “male gaze”, the dominant view of the feminine body held by heterosexual men, which has been flooding pop culture for decades, amongst other things. For Maty Biayenda, who has just completed a dissertation on fetishism, the Black woman’s body offered to the male gaze reveals an ambiguity that is more complex than it appears. She cites Josephine Baker, who played on the stereotypes attributed to her by the actual men who had made her their muse. Initially, the banana belt, a symbol of colonial fantasy that she wore half-naked in interwar Paris, was imposed on her by her producers. “The men and artists who surrounded her started out with a colonial imagination that she then reappropriated,” explains Maty Biayenda, also citing the tandem formed by Grace Jones and JeanPaul Goude. If the photographer has

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COUPLE GOALS FOR THIS SPECIAL ISSUE, MIXTE LOOKS INTO WHAT “BEING TOGETHER” MEANS IN 2021 WHEN MEETING EACH OTHER HAS NEVER LOOKED SO MUCH LIKE A HUNGER GAMES EPISODE. WORDS BY FLORENCE VAUDRON.

In September 1995, the very first issue of Mixte saw the light of day with a cover showing a man and a woman (the muchmissed Stella Tennant) with androgynous features, embodying a modern, nongendered, free and equal couple. Through its fashion and social features, Mixte was proud of its commitment to represent men and women equally in its pages. 25 years later, this special issue pays tribute to the first cover-couple of the magazine by giving carte blanche to several photographers invited to express their vision of the couple through their photos. In the human and social sciences, a generation lasts about 25 years. It was therefore high time we X-rayed the topic of the couple in Mixte, like we do any other social theme that crystallises the questions and issues of a generation. And if there is one area that speaks to us all and on which everyone can still express themselves freely, it is love, isn’t it? Whether you’re thriving as a single person or feeling jaded, whether your couple is struggling after three lockdowns in the face or you are a “power couple” à la Beyoncé & Jay-Z (minus the billions of dollars), or you are polyamorous or a young dude in a bromance, it’s time to dissect our hearts.

MY LONELINESS IS KILLIN G ME Not to depress the hell out of you from the start, but it would appear that the couple and the love bond have seriously hit the skids, given the growing numbers of single people over the past few years, particularly in Western capitals. The Bureau of Labor Statistics, the main US census agency, dropped the ball when it published a historic figure in August 2014: for the first time in human history, single people made up the majority of the population at 50.2%. In comparison, according to the same polling institute, the proportion of single people was only 22% in 1950. In France, according to INSEE figures for 2020, the proportion of married women at the age of 25 has fallen from 78% to 10% in half a century, and from 63% to 5% for men; while in Paris, one in two women is currently single. In England, a Ministry of Loneliness has even been created and has estimated the number of isolated people at 9 million. If you’re between 20 and 35 and live in a big city, chances are you and your mates have been through or are going through an emotional desert reminiscent of the plains of Namibia. Ironically, the growing

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number of single people can agree on one thing: meeting someone can be a real struggle. While the celibacy market is more than well-stocked, with a steady flow of new members and multiple options, dating is becoming a rare occurence and the couple seems to have become an increasingly unattainable horizon. If our grandparents are to be trusted, things were much simpler in their days. They started to go sideways for our parents (shout out to all the children of divorced parents) and pretty much feel like game’s over for millennials. What happened in the space of two generations?

CHOICE OVERLOAD In her book Nos Cœurs Sauvages (Our Wild Hearts, translator’s note), director and writer France Ortelli attempts to answer this burning question: have we become too feral for relationships? For the author, part of our inability to be in a couple can be explained by the multiplication of romantic choices and the absence of constraints in the selection of our partners. Whereas 50 years ago our grandparents were hooking up with family members, first cousins (hello, Christine Boutin), friends or at the village ball, nowadays the places where we meet people have multiplied: at work, while travelling, at dinners, parties, afterparties and, of course, via social networks and apps which, as you can imagine, have considerably changed the game. While we’re meeting more and more people – which on paper is a pretty good promise of variety – we end up so spoilt for choice that the perspective of committing to a potential love affair leaves us dizzy and paralysed. American psychologists Sheena Iyengar and Mark Lepper have studied the impact of choice overload on our behaviour with the famous “jam experiment” carried out in 2000 in a large grocery shop where the researchers placed two types of free samples of the same brand of jam: a panel of 6 and another panel of 24. The consumer was initially attracted by the larger choice, but in the end found it difficult to decide and seemed less satisfied. Faced with too much choice, our gaze is lost, our attention is scattered and our decision making is slowed down. The same observation was made by University of Wisconsin psychology researchers Jonathan D. D’Angelo and Catalina L. Toma (There Are Plenty of Fish in the Sea: The Effects of Choice Overload and Reversibility on Online Daters Satisfaction With Selected


Partners), who conducted an experiment on choosing a partner: those who had chosen their partner from a group of 24 individuals were less satisfied than others who selected them from a pool of 6. “When the investment cost of meeting someone is really low and there are tons of options, you’re going to choose to explore those options,” the two researchers conclude. In short, the search for the “best” hinders us in making choices. Changing one’s mind as many times as one wishes would become a marker of emancipation. This brings us to the sinews of war: freedom, baby.

ME, MYSELF AND I... AND YOU? This is the motto of this issue of Mixte: “Liberté, Égalité, Mixité”, and the formula that seems to have become the ultimate maxim of the 21st century, at least in much of the Western world. For us Westerners, freedom seems intrinsically linked to independence and self-realisation. In short, two essentially individualistic ideals which, at first sight seem incompatible with the concept of couple. Today, one must have confidence in “oneself”, realise “oneself”, find “one’s” way, be happy with “oneself” before being happy with someone else, etc: so many liberal injunctions leading us to indulge in navel-gazing more and more, while at the same time pushing us into a logic of productivity. In big cities in particular, where careers often take precedence over anything else, we no longer have much time to devote to dating. We come to place ever greater expectations and hopes on the shoulders of the people we meet, and become impatient and less inclined to spend time getting to know one another or building a rapport . At the first incident, we let go with the certainty that a plan B will soon be in place. However, as Jean-Claude Kaufmann, a sociologist specialising in couples and everyday life, reminds us, “every couple is based on a complex system that mixes complicity and synergies requiring time and otherness”. In other words, acceptance is achieved in stages, by adapting one’s own character to that of the other. “The search for complicity is complex, a couple is built on otherness, it is necessary to oppose the other to create a third voice.” In short, one must accept to “get one’s hands dirty” and not stamp everything with a #drama which is often only the expression of this process of construction in otherness.

INDEPENDENT WO MEN, 2021 EDITION As France Ortelli explains in Nos Cœurs Sauvages, the emancipation of women in the 21st century is a factor in the decline of the (heterosexual in this instance) couple. By “undomesticating” and taking control of their professional lives, women have freed themselves from the need to have a man by their side to provide them with material and financial security. While this might not be a reality in all parts of the world, this independence has brought to an end the heteronormative couple structure of our grandparents. With emancipation has come a generation of women for whom celibacy is not a burden, but a phase or sometimes a deliberate choice to lead their lives without constraints. Much like American author Bella DePaulo, who in her 2017 essay “The Badass Psychology of People Who Like Being Alone” describes being single as “the most authentic and meaningful way to live”. According to her research, being alone would benefit the community: “A single person visits their parents more often, tends to get more emotionally involved in intergenerational relationships, rebalances the prevailing youthism, is more active in shaping the urban social fabric, and is more likely to help disadvantaged people.” She also warns against heterosexual couples who are based on an archaic pattern and “huddle together in the demonic family home, arguing shamelessly in full view of everyone, placing their spouse and children at the centre of their lives and the world.”

1, 2, 3 N OT ONLY YOU AND ME So are we completely done with the concept of monogamous relationships? Is the fate of humanity to go live solo on Mars? No. No sudden moves, don’t leave your date up the creek without a paddle, don’t dump your boyfriend/girlfriend, don’t cancel your civil partnership. Rather than the death of the couple, we seem to be in a ‘transition’ phase. We are witnessing the end of the so-called “nuclear family” as a norm (the classic family structure of a father, mother and children living together) and the end of a certain form of romanticism in favour of a plurality of lifestyles, alone or with others. Indeed, we are increasingly witnessing the emergence of partnerships that deviate from the traditional rules of the

game, sometimes even borrowing from single people’s lifestyle. The desire to live together is always present, but the modus operandi is evolving, much like these “singles duos” maintaining a romantic relationship without living together. They each have their own room, their own car, their own holidays with their mates and even their own sexual partners. Keeping your distance to preserve and maintain the erotic connection. On the celebrities front, Gwyneth Paltrow has adopted this lifestyle with her second husband Brad Falchuk: since their first wedding day in September 2018, they haven’t been living under the same roof. It is also in this more relaxed emotional context that we can see in our Western societies people blossoming in polyamory (loving several people at the same time, editor’s note), forgetting about the couple to base themselves on human relationships. We love with feelings, but without dependence or the injunction to be in a couple hanging heavily over our heads. Françoise Simpère, author of Guide des amours plurielles (Guide to plural loves, translator’s note), even talks about this state of affairs as a form of feminism, placing male-female desire on an equal footing and invoking clarity and the need to talk to each other. The polyamorous woman nevertheless denounces the fact that there are few publicly available figures on people living in polyamory. In contrast to the monogamous couple on which society is based and which, economically, is a household that consumes and stabilises it, polyamory appears to be a challenge to normative values and a potential time bomb… We also see a multitude of people sharing a life in community, with roommates (no longer the exclusive preserve of students) or even non-sexual bromances, proving that being single and having a fulfilling interpersonal life are not mutually exclusive. If there is so much diversity amongst human beings on Earth, why can’t there be as much diversity in the ways we choose to be together? Perhaps the future of love lies here, in learning to relate to others and giving meaning to life without necessarily being part of a family or a couple. In the end, no matter what kind of love you are moving towards (consciously or unconsciously), we wish you to feel emotions more genuine and less toxic than those displayed by Marion Cotillard and Adam Driver in Annette, Leos Carax’s latest film. It would be a shame to end up with a wooden kid.

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POWER COUPLE IN JUST A FEW YEARS TIME, PHOTOGRAPHER CARLIJN JACOBS AND STYLIST IMRUH ASHA, AN ULTRA DRIVEN, PASSIONATE AND CREATIVE YOUNG COUPLE, HAVE MANAGED TO IMPOSE THEIR UNIQUE AND POWERFUL AESTHETIC ON THE INTERNATIONAL FASHION SCENE WITH TALENT AND AUDACITY. WORDS BY ANTOINE LECLERC-MOUGNE.

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If you’ve had the chance to wander around a tourist-less Paris (thank you Miss Rona) over the past months, you may have unknowingly spotted the work of Carlijn Jacobs and Imruh Asha in a few places. Whether it was last spring on the storefront of the new Carven boutique for which Carlijn did the SS21 campaign, or this summer on the billboards of the Hôtel de Ville on rue de Rivoli, which featured photos of clothing sculptures created by Imruh for the Future Shock exhibition in partnership with the Ere Foundation, their work has been displayed all over the French capital. On the face of it, the fact that this young couple – they both turned 30 this year, shout out! – has been making a splash on the walls of the fashion capital comes to no surprise, especially considering that not even a global pandemic was able to stop the ambition and creative genius of this Dutch duo known to be one of the nicest, funniest, most curious, bon-vivant, warm-hearted and caring people within the fashion industry today – which is rare enough to be mentioned. In the space of a year, Carlijn, who recently got signed by the top art agency Art & Commerce, has created campaigns for brands such as Mugler as well as cover stories for Pop and Vogue Paris, while Imruh, who has signed with the Streeters agency, has collaborated with renowned magazines and brands such as M le Monde, Vogue (Paris, US, Italia), Louis Vuitton or Moncler before being recenlty named as fashion editor at Dazed & Confused. It’s fair to say that since these two met in 2014 at a club in Amsterdam where Carlijn had come to take photos of a party for i-D Netherlands, they have each been on their respective grind and carved out highly successful personal careers. But it wasn’t until they started working together that they realised they could make sparks fly. “We soon realised that we shared the same vision and the same desires, Carlijn says. We feed off each other and support each other constantly. In all the projects we undertake together, we always give it our all.” Imruh adds: “We clearly speak the same verbal and visual language. Coming from the same country and being of the same generation, we have the same references. This artistic complicity gives


us incredible energy. And we always try to get new and different things out of it by exchanging ideas, challenging each other but also giving each other space when needed. And when we feel that certain things aren’t working, we’re able to talk about it openly”. This trust and unfailing support, together with a healthy and straightforward approach to communication, seems to be the major asset that helped them to “overcome the difficulties, the disappointments, the exhaustion, the irritation and sometimes the lack of inspiration”. And above all, it’s given them the opportunity to produce intense images with a singular aesthetic. The photos they have shot together recently are a testament to this, such as the cover of the spring 2021 issue of Dazed & Confused (the work they are “most proud of” to this day), where we can see a young bride with a retro-futuristic look running towards the “world after” in a couture dress and white sneakers, or the latest spring-summer 2022 campaign for Jacquemus, in which dogs clearly steal the show from models whose faces are deliberately hidden. Genius. It seems ages since their first collaboration when they created lookbooks for the SPRMRKT (supermarket) concept store, a sort of local Colette located on Amsterdam’s Rozengracht street, where Imruh used to work. Today, the place has closed its doors, but it undoubtedly allowed Carlijn and Imruh to open many others, like the time when, during a trip to Paris in 2015, they were delighted to discover Pierre Cardin’s universe when walking by his flagsghip store on the Faubourg Saint-Honoré. “When we saw the storefront and the clothes, we were blown away, Carlijn remembers. It really felt like we had found the missing piece to complete our creative puzzle, whether in terms of fashion, design, furniture, colours, shapes...” “Definitely, Imruh agrees. With his very abstract, graphic, geometric and futuristic influences, Pierre Cardin is probably the reference that corresponds best to both of us. He is even the one who encouraged us to move to Paris.” Indeed, much like Cardin, Carlijn and Imruh’s aesthetic is marked by vibrant colours, powerful looking models, with a hint of surrealism and a touch of

CARLIJN AND IMRUH’S AESTHETIC IS MARKED BY VIBRANT COLOURS, POWERFUL LOOKING MODELS, WITH A HINT OF SURREALISM AND A TOUCH OF WEIRDNESS, OFTEN WITH AN UNEXPECTED AND SURPRISING ELEMENT IN THE COMPOSITION.

weirdness, often with an unexpected and surprising element or accessory in the composition. Perhaps one of the best examples of this creative process is the images Carlijn and Imruh produced during the first major global lockdown of the Covid-19 era in spring 2020. The challenge they set themselves at the time was to manage to create at least one image a day at home with the means at hand while the whole world was on pause and they could barely set foot outside. The result? Unusual pictures like the one of a naked model wearing a pair of dark glasses with two purple garbage bags filled with air acting as clothes, mask and headgear. “I think our ultimate goal is to produce powerful and impactful photos that will make the viewer go ‘wow’”, Carlijn says. “We want people to be surprised by what they see, Imruh completes. But once this state of surprise has subsided, we want the image to become obvious and a reference for everyone.” They can rest assured, the pictures they have created so far have already made their way into the pantheon of pop culture and fashion iconography.

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INITIALS BB SINGER BONNIE BANANE HAS RELEASED HER LONG-AWAITED DEBUT ALBUM

SEXY PLANET, AN INSTANT SOUL-POP CLASSIC. WORDS BY OLIVIER PELLERIN. PHOTO JOHNNY KANGASNIEMI. STYLING GEMMA BEDINI.

She landed on the French musical scene a little over ten years ago. As a proud Breton who has been living in Paris since she was 17, she has taken the time to find her own path and to impose her style. Demanding and alert, the artist develops a rare universe, inspired by the best of American soul and mischievous French pop, drawing a clear line from Erykah Badu to Catherine Ringer. It would be a mistake to limit her soprano voice to R’n’B, indeed before becoming a mezzo, she pushed a few high notes and also knows how to reach the lower ones with authority. Bonnie Banane already collaborated with producers Walter Mecca, Jimmy Whoo as well as Myth Syzer, Flavien Berger, Ichon and Chassol. On Sexy Planet, released at the end of 2020, we find Para One, Loubenski (who we also meet in this issue alongside Thee Dian) Ponko (who worked with Lous and the Yakuza) and rapper Varnish La Piscine. This loner who knows how to surround herself will be performing at La Cigale on November 29. Unmasked interview with a Bonnie Banane strong of her rich experiences and the obstacles she patiently overcame along the way.

MIXTE. How did you get into music? BONNIE BANANE. I had a lonely childhood, I learned to read very early, by deduction. In kindergarten, I was already telling stories to the other children. My father made me listen to a lot of (rather funk) music. I have very little knowledge of French songs. For example, Bourvil’s “Salade de fruits” made an impression on me, but we didn’t play his entire discography. It was mostly Afro-American music: it allowed me not to get bored, to learn English and history. I took piano lessons, but it was forced, so I didn’t like it. As I was not at all aware of classical music, I didn’t understand what use it could be to me. I don’t remember any of that, I’m not really a technical person, I work by ear, by intuition. I’ve done a lot of dancing too.

M. Who are some of the artists who have influenced you? B. B. Michael Jackson, Prince, Stevie Wonder are very important to me. Earth Wind & Fire, Janet Jackson, Missy Elliott, Aaliyah, MC Solaar, Alliance Ethnik... I grew up in the 90s. The soundtrack of the movie Above The Rim and its west coast vibe with Snoop Dogg, Nate Dogg or Warren G also made an impression on me.

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M. When you arrived in Paris, did you frequent the soul scene? B. B. Not really. I went to a lot of concerts on my own. I remember the Djoon (a small club in the 13th district of Paris, editor’s note) where there was house music, but mainly the Élysée Montmartre. When I sang there for the Culturebox Festival (to be broadcast in June 2021, editor’s note), for me it was something! I saw a lot of Garance Productions icons there when I was 17. I was also going to blues concerts in SaintOuen. I was curious about everything. M. Were you already singing at the time? B. B. Not at all. I came to Paris under the guise of studying audiovisual. I wanted to work behind the camera, in production. And then, during my first theatre classes, I had a revelation. I started acting very late, in 2008. I was at uni studying film in Saint-Denis, it was very theoretical, but I did an internship that made me want to continue. I started music a little before joining the Academy of Dramatic Arts in 2011, and I kept at it at the same time. When I released my first single “Muscles”, I had been making music for a year. For me, music was a moment of pleasure and relaxation. I was so busy with school – and I had a bit of trouble with all that – that as soon as I had some free time, I was making music. I recorded my first single in one take, from scratch. M. Did you produce this first single by yourself? B. B. I did it with Walter Mecca. I was starting to create sounds on my computer and Garage Band, in moments of solitude. I loved it, even though I’m not really much of a geek. I started to sing as the music came. I played some sounds to Walter, who was both a mate and someone whose music I really liked, and he suggested we work together. He was the one who gave the first impulse to the Bonnie Banane project. He decided that we were ready to release an EP and that “Muscles’’ would be the single. I had the idea for the video, but I didn’t really take it seriously. I didn’t even know what to call myself. I had a Facebook profile under the name Bonnie Banane and Walter said to me: “That’s what you’re going to be called now”. It’s true that it sounds perfect. I like the clownishness of it, it’s funny to pronounce, it’s like a gag. Walter helped me get started, I don’t know if I would have done it on


my own, but I got a taste for it, I started working with other people, I loved writing, performing, going to the studio. M. Did you also continue with drama school and acting? B. B. When I left, I had a few small projects, I had an agent. I do love acting, I love actors and cinema, but I get more satisfaction from the Bonnie Banane project than from acting in a film I don’t really like. I have my hands in it, I decide what I want to do, what I write, the lyrics, how it’s going to sound, the music videos, the stage. For me, it’s difficult to be involved in a project where the artistic direction is not mine. So I called my agent recently and told him there was no point in continuing. If I was a great actress, I would know by now. And to be honest, there aren’t that many things I like about French cinema. Generally speaking, I’m rather difficult. I don’t often have the same taste as people. M. What is your relationship to time? It seems that, between your debut in 2012 and its release in 2020, you took your time with Sexy Planet… B. B. These are broader reflections on the world. For example, when it’s crowded in the street or the underground, I sometimes slow down on purpose, because I don’t want to walk like the others. Maybe it’s because I’m stubborn, or Breton. But I have also been slowed down by bad choices. For example, in 2017, I was supposed to release my first album, Undone Tape, which ended up on Bandcamp and Soundcloud, because producers didn’t send me the music tracks for my songs. This happens a lot when you’re a woman. There’s also the time I took for myself and life’s problems. But I’m proud of it, this album could have never existed if I hadn’t gone through all that. It’s also good that women take their time. Between the age of 18 and 25, that’s supposedly when everything happens for them, because they are an object of desire. I’m too stubborn to accept this kind of urgency. I wanted something personal, a photograph of a phase of my life that I could be proud of later on. I didn’t want it to be just cool or a market product, but for it to be a true representation of me. Secretly, I hope it will have its place in a certain history of music in France.

M. In your words and on Sexy Planet, we can hear both your feminism and your interest for the planet. Do you think the two are related?

B. B. I can’t imagine that one can not be a feminist. It’s obvious for me, and maybe this album will normalise that. I’ve never been a non-feminist, even though I’ve never declared myself as such. And there are quite a few phases of my life where contemplating nature has been a humbling experience. If I had to pick my own religion, it would be nature. I am devoted to it. So I wanted to personalise it in the woman. It’s dangerous and welcoming, and scorned, but it takes over, it’s an all-encompassing allegory. The title Sexy Planet came out of the blue, just as the words Bonnie Banane came to me one day, without any rational explanation. M. Is improvisation an important part of your life? B. B. It’s very important, the unexpected, intuition. It’s essential, it can change your life and you should absolutely welcome it. On stage, I always leave a small part for improvisation, because that’s the essence of live performance. I try to capture the vibrations that are best suited to each project. I reflect a lot about the performance and interpretation. For example, I need the lyrics of my songs to be simple. If there are words that are too pedantic, that a 7 year old wouldn’t understand, I am not using them. For the album, we tried to make it sound clear, with Théo Lacroix, the sound engineer. We really focused on the consonants, so that each syllable would be understood, because emotion can come from a word, from a rhyme. M. You seem to be a bit of a perfectionist... B. B. I don’t think I am, but I try to be precise, to do my best, even if I still have a lot of work to do. As far as the voice recordings are concerned, if I listened to myself, I could never stop. I tried to control myself and asked the sound engineers to stop me. I’ve seen artists spend two years mixing an album that, in the end, was no good. The more it goes on, the more I like things that are very low key, almost rustic, with the voice really coming to the fore. My intention for this album was to reflect on perfection and to resist it.

M. Your music videos are original too. Do you come up with the ideas? B. B. That’s the case for many of them. And sometimes, when I like an artist, I invite him. For La Lune & Le Soleil, it was my friend Clifto Cream who did a great job. I wanted something that he

“BEING A FEMINIST, IT’S OBVIOUS FOR ME, AND MAYBE THIS ALBUM WILL NORMALISE THAT. IT IS MY WAY OF PROPOSING A SOLUTION. I REALLY WANTED MY LYRICS TO ACT AS TOOLS.”

and I hadn’t done before. What excites me most about creating is finding combinations, discovering each other and taking on challenges. For “ChaCha-Cha”, I called Raphaël Stora, a dancer and filmmaker friend, the best person to film “dance”. We focused on the basic idea of the song. It’s a convoluted situation, a synthesis of human relationships. It’s really about the nervousness of men. I’ve known men who have stressed me out a lot. I wondered how to get around that when you’re a woman. Maybe dance could be a parade, a diversion from male anger. It’s a bit fanciful, but this song is my way of proposing a solution. I really wanted my lyrics to act as tools. I used music to get better. When I was little, I used to enjoy it, it gave me reasons to live. Throughout this album, I tried to hold on to that. How to strengthen oneself, how to feel strong. M. In your videos and on stage, you use costumes and styling a lot. What is your relationship with fashion? B. B. I’m not necessarily interested in fashion. But clothing is very important because it changes the way you experience your body. Some mornings you wake up wanting to wear a corset and others wanting to wear a pair of baggy pants. It’s going to influence your whole day, how you move, what shoes

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ULTRA VIOLETTE REINVENTING AN INCLUSIVE, NONPERFORMATIVE BEAUTY, FAR FROM ALL THE CLICHÉS WE KNOW, SUCH IS THE AMBITION OF VIOLETTE_FR, A SELF-TAUGHT MAKE-UP ARTIST WELL ON HER WAY TO SHAKING UP THE RULES OF THE BEAUTY WORLD WITH HER BRAND OF THE SAME NAME. WORDS BY NINA BOUTLÉROFF.

Her professional name is that of a flower with a sweet and delicate fragrance. But in reality, Violette is the fire of the sign of Aries, a personality driven by determination and a bubbling creativity. Although you may not be familiar with her face, you should know that she has done makeup for many famous and lesser-known names and that her talent led her to the creative direction of Estée Lauder before joining Guerlain, where she was recently appointed Creative Director of Make-up. In addition to holding a key position at one of France’s leading cosmetics houses, Violette is also an entrepreneur and launched her own brand, VIOLETTE_FR, last March. Between New York, where she has been living for the past six years, and Paris, her hometown, this self-taught woman has created a cosmetics brand that reflects the way she sees beauty: sophisticated yet simple, free, caring and for everyone. Her products – face, hair, perfumes – are easy to use and to embrace. In short, Violette is a bit like our national Emily Weiss (founder of Glossier, editor’s note). In fact, Emily Weiss is one of her best friends and the one who pushed her to make a name for herself by creating her Instagram account, on which she shares her makeup videos and which now gathers over 410,000 followers. If her journey as a self-made woman is impressive, Violette doesn’t try to sugarcoat it and speaks very frankly about the difficulties she has experienced. This is enough to dismantle all the clichés about the world of beauty and, in passing, about her own success.

CLICHÉ N O. 1: BEIN G A MAKE-UP ARTIST HAS TO BE A VOCATION “Make-up really happened by accident. I was studying fashion and art, and more specifically painting. The training that overwhelmed me the most was the one I undertook with a couple of very bohemian artists in their studio in the middle of the vineyards in the South of France. Thanks to them, I developed an eye for colour and learned to create my own paintings by mixing pigments. It wasn’t until I was 19 years old that I had a sort of trigger for make-up. I was doing make-up for a friend to go to a fancy dress party. I was Wonder Woman, she was Fantômette (Famous French character of a teenager dressing

© Steven Pan

you wear, how you present yourself to others. The clothing has to be a costume. You have to think about the character, about what you are saying. The brand, the designer, it’s secondary for me. I find it difficult to work with a classic fashion style. But I love Alaïa, Issey Miyake... What I like in fashion are the cat walks. Some of them are like performances, but I’m not interested in the serious part of it. M. I hear that you particularly appreciate Philippe Katerine. Is humour and the absurd important to you? B. B. I love what he has to offer. I don’t know all of his repertoire, but I’m happy when I hear him, what he proposes stands out, it’s poetic. “Moment parfait” is one of my favourite songs. I also really like “Juifs Arabes”. It touches me when artists are funny, mischievous, when they know how to write. I love exquisite corpses. If I had to define my musical genre, that would be it. Making slightly zany connections is the prism that allows me to appreciate life. It’s the horizon and the metaphysical goal. I hope you can feel that in my music: seeing things that don’t go together come together. M. You didn’t mention Erykah Badu, with whom you share some artistic similarities... B. B. It’s funny, because I just bought a T-shirt from her and I’m wearing it now. She is my high priestess. This woman is in the top three of the best people who ever lived on this earth. She is also a doula, a midwife, she carries life. I admire her intellect, her strength. I’ve listened to some of her songs so much at times in my life that when i hear them now, I get transported. What she does is very spiritual. The lyrics of “On & On”, one of her first big hits, are very sharp. I particularly like these kinds of universal songs with deep lyrics, like Gala’s “Freed From Desire”. Plus, she’s sane. I think I have a background that makes me quite fragile psychologically. I took my time because if I hadn’t, I would have done some very stupid things. I’ve never wanted to be everywhere all the time, to be omnipresent, plastered all over the place, imposed on people. It’s important to take your time, to give people time to listen to other musicians than you, time to live. It’s important that it matures, that you digest things so that you can feel them afterwards.


up in order to fight crime, translator’s note). I was applying glitter for the first time and I realised that it was a bit like dressing up a face: that’s what I wanted to do. But I wasn’t interested at all in the classic French curriculum: training in a make-up school, then assisting a great make-up artist before being able to prove yourself... I knew that it took a lot of time. I really wanted to interpret make-up as a discipline between fashion design and painting, so I went to New York.”

CLICHÉ N O. 2: YOU CAN’T JUST BECO ME A MAKE-UP ARTIST “My beginnings in New York were very tough. I had never felt so lonely. I was only 19 years old and I found myself far from everything, from my culture and my friends. I didn’t have money to buy make-up, but in a way that was also my opportunity. I applied what I had learned in art school and bought pigments to make make-up myself. I started to develop living formulas, textures like molten gold on the eyes, very liquid things, as if in motion, or explosions of pigments, which became my signature. A model agency let me do the models’ make-up – without paying me – but thanks to that, I was able to build up a portfolio. I stayed a year in these conditions, it completely drained me, I worked night and day to get there, but I ended up making a name for myself.”

CLICHÉ N O. 3: THE BEAUTY MARKET IS SATURATED “Once I started to get some name recognition and credibility in the US, I wanted to build a multi-category brand and really redefine make-up as a lifestyle. Which is actually a rather French vision of beauty. Something that is quite shocking to me in the US is that make-up is here to help you perform. When I left France, I realised that we had a lifestyle and a very beautiful philosophy of life to defend and share. So I decided to stop working to reinvent myself artistically and I asked myself this question: ‘What is my style?’ I spent eight months getting inspired, reading books, looking at art, going to botanical gardens and collecting images that inspired me. I hung everything on a wall and after a while I had my brand right in front of me. A

world where the girls had hardly any make-up on their skin, their hair a bit messed up but a beautiful eye shadow or a sublime red. That’s when I started to find my identity. Then I started to do things in a very concrete way: I set up my company in the US, I developed formulas, I invested myself because I wanted them to be of very high quality and at affordable prices. If VIOLETTE_ FR had a slogan, it would surely be ‘la joie de vivre’ because I think it comes from loving yourself and I don’t want my brand to be a crutch for self-esteem. The idea is to use make-up to have fun, to express yourself, to celebrate... That’s why in my campaigns you hardly ever see make-up.”

CLICHÉ N O. 4: THERE’ S N OTHIN G LEFT TO INVENT “As the years went by, I started to have ideas for products. When I was working at Dior, I suggested creating liquid eyeshadows. In fact, without knowing it, I was already pitching them Yeux Paints – my liquid shadows. At the time, however, it was technically impossible to develop. It wouldn’t dry, it would run on the eyes. When I launched Yeux Paints, one of the marketing directors at the time sent me a message on Instagram saying, ‘Oh, so you did make your product!’ I was lucky enough to be able to work with some very big labs who allowed me to develop formulas from scratch, without asking me for huge contracts. It’s a chance, because we didn’t copy our products, we really made them from scratch.”

CLICHÉ N O. 5: BEAUTY IS ONLY FOR A CERTAIN TYPE OF WO MAN When I was presenting my business plan, people insisted that I specify the target, but it was obvious that it was for everyone, including men. For me, it’s part of my job. I’m really adamant about this. As a make-up artist, I have to be sure that the products are suitable for everyone. In fact, I’d like to stress this point: men love my BoumBoum Milk product because it’s like a moisturiser that goes through the beard. In France, we are still missing the mark when it comes to diversity and it’s not just a matter of skin colour or gender, it’s also a matter of age. It’s the same with body positivity, there’s still work to be done.”

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ALTER NATIVE MOVEMENT FOR SEVERAL YEARS NOW, NICOLAS HUCHARD, A RISING DANCER AND CHOREOGRAPHER, HAS BEEN PROUDLY ASSERTING HIS BLACK AND QUEER IDENTITY IN THE WORLD OF DANCE, MUSIC AND FASHION. JUST TO SHAKE THINGS UP. LITERALLY AND FIGURATIVELY. WORDS BY LÉA ZETLAOUI. PHOTO JOHNNY KANGASNIEMI. STYLING STEPHY GALVANI.

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March 2020. A few days before the world goes into full pandemic / lockdown mode, crowds are flocking to the Grand Rex in Paris to see one of the last concerts of Madonna’s Madame X tour. Leg lifts, splits, inverted bridges: if the audience screams at every dance step Madonna performs with her troupe, it is no doubt thanks to dancer Nicolas Huchard who co-wrote the show with the help of choreographer Megan Lawson, all the while performing at each of the 91 shows of the tour. Werk! This kind of artistic experience is very impressive, especially when you’ve just entered your thirties like Nicolas. But beyond the personal achievement and the professional success, the dancer keeps above all a moving memory of this month-long adventure. In the various scenes of the show, Madonna celebrates the current Portuguese-speaking culture such as fado (Portuguese dance and song par excellence) and batuque (traditional dance from Cape Verde). Nicolas, of Cape Verdean origin, takes a lot of pride in this: “It’s pretty crazy... Madonna doing the same dance as my grandmother!” he recalls with wonder. Because in his family, dancing is more than a hobby, it is a means of communication. And it was to the sound of salsa and African music that Nicolas Huchard began to move as a child. However, it wasn’t until he was in his mid-teens that he seriously started considering making a professional career out of it. Far from the conventional path of classical and contemporary dancers, the itinerary of the choreographer with his radiant charm and devastating smile is in his image, free and liberated. Many years before making the biggest names in the French and international fashion and music scene move their body, Nicolas Huchard enrolled at the Étréchy Circus School (Essonne), on the wise recommendation of his first grade teacher who had noticed that the young boy, bursting with energy, could not stop dancing. It was only a year later that he had his first stage experience along with the stomach-churning fear that usually goes with it. “I was terrified, says the dancer. I was experiencing stage fright for the first time and later on I realised this feeling could take me very far.” Nicolas began praticing karate in his early teens, before joining

the International Academy of Dance in Paris through a scholarship at the age of 16. If he explains today that he draws inspiration for his outfits from the extravagance and elegance of the disco period and that of an ancient Egypt tinted with Afro-futurism, at the time it was his attraction for the kimono – an early manifestation of his interest in fashion – that guided him towards learning martial arts, where the body, firmly anchored to the ground, expresses itself through powerful movements, all in restraint. It was a surprising and determining path in the development of his style: “I find the gestures of karate very interesting and inspiring, and I realised that the intention, concentration and coordination are identical to those I use in dance. The energy of this martial art, but also the relationship I have with the ground and the air and with my body, were very formative when it comes to my dance practice,” he says. One can appreciate the extent to which these two disciplines have influenced him, as he quotes Cirque du Soleil’s KÀ as the ultimate reference – a dazzling show based on martial arts presented in Las Vegas, in which the stage rotates 360 degrees and then vertically. Now a recognised and influential artist – as evidenced by his many projects, his various television appearances and his 37,000 followers on Instagram – Nicolas Huchard uses his fame to fully assert his status as a Black and Queer artist. During this pivotal period of transition from childhood to adulthood, as he finally and fully embraced his passion for dance, he faced discrimination – sometimes violently – and was, vas very early on, confronted with racism, homophobia, prejudice and the inevitable subsequent questioning. Firstly as a child when, fascinated by Grace Jones, a masculine woman par excellence who challenged the idea of gender, he began to wonder about his own masculinity. Then as a teenager at school, when the looks and remarks of his friends made him feel ashamed of wanting to dance while the other boys were playing football. Once again, like any true 90’s kid fed with TV pop culture, when he noticed in films and series that Black actors played thieves or criminals. More dramatically, what sounded the death knell for his hopes


and innocence was the discrimination he faced in what should have been a safe space for him: with his teacher telling him, during a ballet class, that he could never be a ballet dancer. The reason? His overly bulging buttocks! In other words, his body was too Black for an institution that is too white... All these realisations inspired Nicolas to greatly develop his activism and encouraged him to become a role model for future generations to this day: “When you’re a victim of all kinds of discrimination, it pushes you to do everything possible to change things. And as an artist, I have the privilege of being able to carry and express my ideas. I have advanced in my career, worked with many artists, now I want to go further and use my visibility. Homosexuals and Black people are still unjustly viewed in a negative light and I want to become one of those positive role models that young people can identify with and give them hope.”

its steamy and sensual atmosphere. A non-exhaustive list of collaborations with artists who, each in their own way, emancipate themselves from a heterosexual male gaze that objectifies women, and reclaim their image and the power over their own bodies. “The fact that these artists want to work with me is still an enigma. I think they are inspired by me, they appreciate what I do and what I stand for, and they want to make it their own on their projects,” he notes. Beyond the music and dance industry his influence can now even be felt in the fashion world.

“WHEN YOU’RE A VICTIM OF ALL KINDS OF DISCRIMINATION,

When you take a closer look at Nicolas Huchard’s career, you notice that the thirty-something has not only often rubbed shoulders with artists who are committed to issues related to racism, gender and feminism, but also that he has often accompanied them in their evolution. From 2014, he was one of the four dancers of Christine and the Queens, a singer who regularly questions her own gender, on the tour for the album Chaleur Humaine. For three years, he danced alongside the French pop icon with very free movements crossing contemporary, voguing and hip hop influences, thus deconstructing the established masculine codes of pop choreography. In 2018, two years before her comingout, Belgian singer Angèle called on him for the delicate and sensitive video Jalousie, in which he is the only man in a quartet dressed in Rouje dresses, and then for the tour of her first album Brol. The following year, the Belgian rapper Shay – a protégé of Booba and one of the only women to evolve in this very masculine world – called on him for her video Jolie. He then signed the movements of Yseult, for the video Rien à prouver, in a raw setting where she finally imposed her status as a Black and buxom diva. Finally, last June, he reunited with the French singer and rapper Ichon for the video of the already cult track Mélange, with

IT PUSHES YOU TO DO EVERYTHING POSSIBLE TO CHANGE THINGS.”

In 2018, Nicolas imposed his communicative energy as he assisted choreographer Marion Motin on Jean Paul Gaultier’s Fashion Freak Show, a unique show combining performance, dance, fashion and music, with the work of the great designer as a common thread. Last March, Bruno Sialelli, the young artistic director of Lanvin, asked him to act as movement director for his Autumn-Winter 2021 collection, presented in a pop and maximalist video, a real tribute to MTV culture. As the iconic hit “Rich Girl’’ by Gwen Stefani and Eve plays in the sumptuous suites of the Shangri-La Hotel Paris, a bunch of stinking rich cool kids with ultra-glamorous looks reminiscent of the Roaring Twenties have a blast in a festive, even decadent atmosphere. Although he does not appear in the video, Nicolas Huchard guided the models in their movements and poses like a director so that they could move

and express themselves naturally throughout the video. “I really like this idea of changing skin, of seeing people transform themselves and how a piece of clothing can change our personality, our way of moving, of speaking. Each time, you have to find the right gestures associated with the clothing,” he says. More recently he proposed a theatrical setting reminiscent of Pina Bausch’s Café Müller, in a mini-film by Spanish designer Arturo Obergero, around dramatic movements, exhalting an androgynous Spring-Summer 2022 collection inspired by flamenco. But Nicolas Huchard’s most impactful work was unveiled on the Nowness platform last June, on the occasion of Pride Month, through a powerful, manifesto-like video: for 3 and a half minuts, alone on a beach, the French Black Queer community spiritedly moves through contemporary, African and voguing dance movements, to the rhythm of a poem and music composed by Mykki Blanco, artist and activist for LGBTQIA+ rights. If the film Tajabone, co-directed with Raphaël Chatelain, is appealing for its accuracy and beauty, it is above all designed to disturb. “I am surrounded by people I find beautiful inside and out, but I don’t see them often enough in my news feed and in life in general. I wanted them to be featured in a video that could touch everyone and that everyone could understand. It’s true that I wanted to shock. Showing bodies that are a little naked in a certain posture... And I know that some people were uncomfortable. And that’s what I like.” A stance which, far from being provocative, is essential as mentalities are evolving at such a slow pace. Fortunately, Nicolas is well and truly here to shake things up.

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RAW TALENT A KEY ASSET FOR JULIA DUCOURNAU, THIS TIME IN

TITANIUM, GARANCE MARILLIER IS ONE OF THE MOST DETERMINED ACTRESSES OF HER GENERATION. INTERVIEW BY THÉO RIBETON. PHOTO BOJANA TATARSKA. STYLING GAULTIER DESANDRE NAVARRE.

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Make yourself scarce, and you can master the game. Just like Garance Marillier who has only played in three films in the space of five years (Pompeii by John Shank and Anna Falguères, Madame Claude broadcast on Netflix and Warning by Agata Alexander, still awaiting release), carefully handpick your projects with ambition, confidence and determination. There is no secret. Since the beginning of her career, the French actress has given off the paradoxical impression of great youth and immense maturity, like those stubborn and serious kids who have no time to lose with the levity of childhood. Introduced to theatre, music and cinema at a very early age by her mother, a theatre production manager, and her father, a musical director, Garance got her first role at the age of 11 in Julia Ducournau’s short film, “Junior”. A godsend for the hyperactive girl she was at the time, already preferring standing on stage rather than sitting in class. A good bet on the future too, since seven years later she received a nomination for the César for Best New Actress for Raw, a feature film by the same director, who has just won the Palme d’Or for her second feature film Titane, a queer and punk film in which Garance is starring. With this new masterpiece, the actress, at just 23 years of age, has started the second phase of a career marked by an extensive work on the body, a permanent quest for intensity and a natural power without comparison in her generation.

MIXTE. At the time of this interview, you have just come out of the frenzy of the first Cannes festival of the Covid-19 era. How did you feel with being back on screen and to the cinema? GARANCE MARILLIER. To tell you the truth, I was afraid I had become used to watching films from home. I was even a bit reluctant to get out of it... But as soon as I sat down, the feeling was incredible. Nothing can replace the experience of the cinema, the seats, the people you don’t know, the reactions you can hear. Only in the cinema do you put yourself at risk, go see a film with a preconceived idea and come out with a different opinion, or let a friend take you in without knowing whether you will like it or not. Going to the movies is the only way to experience that. At home, these films are easily dismissed after twenty minutes.

M . You were in Cannes for Titane by Julia Ducournau, a director you have already collaborated with several times. How did you two meet? G. M . One day, my mother came across a casting ad for a short film, a tomboy character with a strong temperament, which suited me perfectly. It was for “Junior”, Julia’s very first film. When I went to the casting, I didn’t realise that it was her facing me. I had to improvise a scene where we had to argue and I had never done theatre, I didn’t have the codes, so I thought we were actually arguing: she was attacking me on my appearance, I really took it personally... During a second meeting, I bumped into her. I’m thinking: “Oh shit, it’s her again!” and I said: “But I thought I was going to see the director?” And she replied: “Well, it’s me!” M . You and Julia are about fifteen years apart, but basically, Junior being her first short, one could say that you started together, without any power imbalance. G. M . There is even a mimicry because Junior is also her story. The first time I did some trials, she started to cry: there was a real mirror effect. M . To the point of becoming an extremely strong and ongoing work relationship... G. M . Yes, with a TV film, Mange (Eat, translator’s note), then Raw, until the shooting of which I didn’t think I would make a living out of it. I was in this paradoxical relationship. On the one hand, I was totally desacralizing the idea of success, which my age could probably explain – my first two short films, “Junior” and “Ce n’est pas un film de cow-boy” (“Not another cowboy movie”, translator’s note) by Benjamin Parent, had been selected for the Critics’ Week in Cannes, so I tended to consider that as normal –, and on the other hand, I also had the feeling that I was living through a succession of lucky breaks, which prevented me from really projecting myself into the profession. Things really started to change on the set of Raw. I met Adèle Haenel, who was shooting The Unknown Girl by the Dardenne brothers in Liège, like us and at the same time. I was 16 years old, and she was the one who encouraged me to jump in at the deep end. I enrolled in drama school immediately afterwards. M. How would you define your relationship with Julia Ducournau today?


G. M. It’s like an alter ego. We trust each other blindly, we don’t need to talk to each other to understand each other. We have always seen each other outside of work, we go on holiday together, I know her family and she knows mine. On the set, it’s a perfect osmosis. I’m able to give her everything because I know that this is never pointless, that she takes but always gives in return. The proof is that I even helped her find Agathe Rousselle for Titane after reading the script a long time ago. I was even the one who gave her the line at the casting. At one point, Julia asked me to play it, but said that the character probably didn’t suit me. I read the script again and thought to myself that indeed, the part was not for me. It would have been selfish to try to force it. The second role, which is a bit of a nod, suits me much better. I know that Julia is extremely loyal: she has worked with the same team, with the same producer, since her first short. We’ll see what the future holds for us. M. How does she work with her actresses? I am thinking of the question of violent and sexual scenes, the approach to which has been much debated in recent years with the appearance in the United States of “intimacy experts”, these people in charge of ensuring that actresses have a safe environment for risky scenes? G. M. I came into the film industry with a new generation of actors and actresses who have never had a problem with anything involving sex or violence. But one thing must be said: these are moments that are scary for everybody on set, not just the actresses. It’s not easy for anyone, and that optimises the work: it has to be straightforward, in a small team, without any overflow. Even if there are no intimacy experts as such in France, there is still an unofficial quota of women on set, which is not bad. M. On this issue of intimacy, where would you say that awareness is needed in order to make sure working on safe is safe? At the level of casting directors, directors?

G. M. Every position is crucial. Even if some people are obviously more in contact with the actors than others. This is the case of the sound team, for example, because they come to put microphones on your body, and they are generally men. And also the staff in charge of clothes, but the costume designers are usually women. But

I think it’s a global trend. Anyway, the most awkward and problematic people I’ve met so far are probably the journalists. There’s a real problem with inappropriate questions, interviews that start directly with, “So, how does it feel to be in a woman director’s film, to play a strong woman?” There is also this aggravated lack of modesty, which is linked to this habit of being everybody’s pal, forgetting that there is a private space.

M . How do you feel about the media expectation that has existed for some time on actresses, especially those who are politicised: Camélia Jordana, Adèle Haenel, Aïssa Maïga... G. M . We spoke a little last year with Adèle Haenel, when there were a lot of protests. I don’t feel legitimate to talk about subjects as complex and delicate as major societal issues. I don’t want to say something stupid, or hurt people’s feelings, and I think that actors are too often asked their opinion on things that don’t really concern them. I don’t feel comfortable with the idea of being a public figure. I’m here to talk about my work.

M. Well, let’s talk about it! You are currently shooting the new film by Hamé and Ékoué, from the group La Rumeur. Can you tell us a bit more about it? G. M . It’s difficult to summarize because it’s mainly the portrait of a neighbourhood, inspired by the 19th arrondissement of Paris, just as their first film Les Derniers Parisiens (The last Parisians, translator’s note) paid tribute to Pigalle through several themes. Basically, it’s the story of a young woman who gets pregnant, and her boyfriend is in prison. She has to make do with what she has and she starts to get into a bit of business. She organises parties with thieves and escorts. That’s all I can say for now… M . Can you tell us more about H 24, 24 h de la vie d’une femme? (24H 24 hours in a woman’s life). G. M . It’s a series of 24 separate episodes, shot for Arte. Each episode is based on real-life events and tell the experiences of women today. There is an incredible cast with a wide range of actresses: Anaïs Demoustier, Valeria Bruni Tedeschi, Laetitia Dosch, Déborah Lukumuena, Noémie Merlant, Florence Loiret-Caille, Camille Cottin... The episode in which I play is about a case of sexual abuse by a coach in the women’s football world. M . Did you meet with the victim?

“I CAME INTO THE FILM INDUSTRY WITH A NEW GENERATION OF ACTORS AND ACTRESSES WHO HAVE NEVER HAD A PROBLEM WITH ANYTHING INVOLVING SEX.”

G. M . Yes, especially because I now play in the team where it happened. M . The Dégommeuses? G. M . No, I played one year with the Dégommeuses, a very militant and political association, which was great. But for a few years now I’ve been in an organisation that deals a bit more prosaically with playing. But you have to know that when it comes to women’s football, every organisation has an activist side, because it is so hard to exist that you always have to be fighting. For instance, we haven’t had a pitch for two years now, and the people we ask are telling us very clearly that if they had one, they would never give it to women. We are talking about deputy mayors, people who are very actually involved in politics. It’s tough! M . If we take a look at your filmography, between Julia Ducournau, but also Sylvie Verheyde or Émilie Deleuze, you’ve mostly been working with women directors... G. M . (Garance interrupts)... No, I’ve worked with more men directors than women directors! Maybe the films I’ve made with women are more memorable... But if the rest of your question was: “Is it a choice?” My answer is no. What matters to me is meeting with a person, a subject. M . But shooting with a woman director can also lead to greater confidence, a safer working environment, can’t it?

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G. M . If I commit myself, it’s because I am at ease. I’ve given my trust to both men and women, and so far it’s worked for me. M. Don’t you have any regrets, any painful experiences? G. M . There are always experiences that are more painful than others, shoots more laborious, even gruelling than others. And sometimes there are also regrets arising from roles that I have refused, knowing that I have always tried to diversify, diversify, so as to avoid getting stuck in a specific genre. If I had listened to myself and my pure pleasure, I would have had a blast in genre cinema, because after Raw I was only offered that and it is a real source of pleasure. But had I said yes to everything, I would have been finished in a few years. So I restrained myself, I refused things that excited me thoroughly – and which I obviously can’t talk about – there were difficult choices to make. But overall, as far as filming is concerned, fortunately I have never regretted a project, everything has always been worth it. M. Raw had a small success in the United States, comparable to that of a director like Gaspar Noé, for example. Could that be the start of an American career for you? G. M . Oh absolutely. Over there, they have a much more animal and instinctive relationship with the body and with acting than we do, which I like a lot and which corresponds to me more. I am in the process of materialising this project with my American agent. I have also been in an American production, an anticipation film which, in my opinion, could be very good, Warning by Agata Alexander. But I still don’t have any updates about the release date since the coronavirus crisis happened... M. By the way, how has this period been for you, personally and professionally? G. M . From the moment filming resumed at the end of the first lockdown, I worked a lot. So it became a bit virtual for me, unlike other jobs that have really been at a standstill, until today for some. I am of course aware that this is a luxury. Moreover, I am one of those who lived through this first lockdown well. I went back to my parents’ place, a flat with a small terrace. I lived like a teenager, my daytime concerns were limited to eating and watching a film in the evening. It’s strange, but I’m still a bit nostalgic about it.

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“Wake up, it’s the year 2000! The new millennium won’t be about sexual labels, but about sexual expression. It won’t matter if you sleep with men or women. It will be about having sex with one person. Or two or three. Soon, everyone will be pansexual. It won’t matter if you’re gay or straight, what will matter is wether you’re good in bed or not,” Samantha Jones announced in 1999 in episode 16 of season 2 of Sex and the City. In 2021, it is evident that the prediction of the show’s coolest, most sex-positive character (who won’t be part of the umpteenth reboot) is coming true. And surprisingly, the pandemic had a lot to do with it.

SEXUAL HEALING IN THE WAKE OF #METOO AND THE PANDEMIC, WILL THE 2020S MARK THE ADVENT OF A FREER, MORE DIVERSE AND MORE EGALITARIAN SEXUALITY? WORDS BY ANTHONY VINCENT. ILLUSTRATION STELLA POLARIS.

BACKFIRE The world is horny. So says the Suitsupply brand, with a campaign called The New Normal, full of oiled skin and slobbery kisses between beautiful people of different gender and sexual identities. An orgy that oozes sex and consent between bon vivants, unveiled in March 2021, exactly one year after Covid-19 pushed Europe into lockdown. After so many health and social restrictions, these public displays of affection on the streets and on social media were enough to make many people angry. And to make many more drool. Other campaigns have sparked the desire to gleefully gallivant, without mask and without reproach, such as L’AMOUR by Jacquemus: images of tender embraces between people, often of the same gender, who look like real-life couples. French kissing for all at Diesel, Paco Rabanne or The Kooples, too. While this may sound like the same old 90’s-2000’s pornochic recipe, these new campaigns are breaking away from the male gaze in order to embrace a more inclusive and egalitarian vision. The health and social context makes them all the more striking, endearing and sexy, according to Elodie Nowinski, sociologist and fashion historian/Dean of the Faculty of Creative Industries of Glasgow’: “With the advent of dating apps, it’s almost easier to find a booty call than romantic partners, so relying on tenderness rather than porno-chic is a different way of generating desire. In these times of pandemic, shared intimacy is actually becoming a luxury.” Gone is the sex that overly eroticizes relationships of domination in improbable poses, lit by harsh, raw


lights, with a bird’s eye view to better convey the gaze of an overbearing male, with an option on body-parcelling like at the butcher shop. Pornographic images are already so easily available that fashion ads that literally play on the same codes hardly make one wet anyway. So, as is often the case after a period of crisis, war or major epidemic, we take refuge in tenderness: “At the end of the 1960s and 1970s, we already had this kind of celebration of plural love, which we saw a lot of in music and a little in fashion magazines, but it was much less mainstream,” says the sociologist and historian.

AS LON G A WE CU M Since the pandemic’s overemphasis on the possibility of becoming seriously ill, or even dying, regardless of one’s gender, sexuality, age or social class, love and sex have been comforting us and keeping us alive, she continues: “Brands are well aware of this and use this discourse in their ads to position themselves effectively, by conveying positive emotions in these anxietyinducing times. The media are so keen on echoing the crazy years of the 1920s or the sexual liberation of the 1960s and 1970s with a readymade storytelling that speaks to everyone in order to please, reassure and sell papers as well as clothes, in the hope of a self-fulfilling prophecy.” This is evidenced by the message left by an Internet user on the answering machine of the media company Vice in April 2021, in the form of an SOS from young people in need of sex: “I’m calling you about a question that is not being addressed in this shitty period: why aren’t we talking about fucking? How do we do it? Hey, Macron! What are the singles doing? Everybody is depressed, how do we get to pipe? We all want a good human tide, sweat, dancing close together. The sexy stuff!” Complicated by the pandemic, desire and urges are growing. In March 2020 for instance, the brand producing the famous Womanizer sex toy reported a very pleasing explosion in sales compared to its forecasts: +75% in the United States, +71% in Hong Kong, +60% in Italy, +40% in France, and +135% in Canada. Enough to stimulate the feel-good hormones, alone or with others, while waiting for the new world. At the beginning of the pandemic, Pornhub Premium became

free, as if it was a war effort. As for OnlyFans, registrations have risen from 20 million users before Covid-19 to 120 million today. The British platform that uberises porn has seen a sevenfold increase in transactions, which now exceed £1.7 billion. Its revenues have increased by 553%, a sign of its growing popularity with an audience looking for entertainment and/or a way to make ends meet, even as a fulltime job. Even Beyoncé has reportedly considered it, as evidenced by the lyrics of her verse in the remix of “Savage” by rapper Megan Thee Stallion: “Hips TikTok when I dance / On that Demon Time, she might start an OnlyFans”. Unveiled right in the middle of the first spring 2020 lockdown, this punchlineturned-phrase caused an additional 15% spike in traffic to the platform.

AN INTROSPECTION NAMED DESIRE Will the big general orgy take place, as illustrated by Suitsupply and called for by Vice’s answering machine? After #MeToo, with the ass still in pandemic mode, most people have had time to think twice anyway. The successive lockdowns have encouraged a form of sexual introspection and highlighted the fact that people can be both horny and weary of the rush to hook up via apps, dating, one-night stands, and the injunction to be in a relationship in order to look successful. This is what author Judith Duportail describes so well in her book Dating Fatigue, amours et solitudes dans les années (20)20 (Dating Fatigue, loves and loneliness in the (20) 20s, translator’s note). As a result of interrupting the race to meet people, socialising or even hyperconsumerism, many people were able to feel rested, to ask themselves what they wanted and who they really were. This is the case for artist Yanis, formerly known under the pseudonym Sliimy, and who just came out as nonbinary: “I had always wondered a lot about my gender identity and was constantly repressing it. The pandemic forced me to take the time, the care, to try to answer these questions. I had been chasing a form of sexual validation, wanting to please a certain type of guy. I realised that I was doing this less for myself and more to fit into a category, a stereotype. So I went through a period of abstinence that did me a lot of good, actually! And I was able to discover

who I was when I stopped conforming to social injunctions. As an artist, I think a lot about how I present myself, what I embody publicly. But here I was able to do this in a much more intimate way while the world was almost at a standstill. It was almost restorative, therapeutic.” This introspection allowing for both individual and collective awareness around sexualities, genders, consent was facilitated by the fact that the pandemic came after #MeToo and #MeTooTrans. It is perhaps also thanks to this sequence that the liberation of speech and ability to listen was able to emerge (with #MeTooIncest and #MeTooGay, in particular). A way of setting things “straight”, of thwarting taboos and rapists, and of becoming more aware of one’s body and desires, in order to allow for a more inward rather than outward-looking type of sexual revolution.

SEX EDUCATION Domitille Raveau is a psychologist by training and co-founded Consentis in February 2018, along with Mathilde Neuville, an association against sexual and gender-based violence in party environments. She says: “#MeToo was very much a catalyst for creating Consentis. We felt that there was a lack of awareness and action against sexual violence, especially in a party environment. So we did a lot of prevention in clubs and festivals, then the pandemic brutally closed these kinds of places. However, the party has morphed and relocated, especially into apartments between people who know each other. Dating also adapted. Since it was no longer possible to meet in a bar or a café, people invited guests directly to their homes. And statistics show that victims of sexual violence usually know the perpetrator.” Consentis therefore adapted and even gained a lot of popularity through its sex education work, which took into account the pandemic, the evolution of dating and partying. Just because the latter was sometimes clandestine did not mean that it was necessarily reckless . On the contrary, in free parties as much as in orgies, tongues are loosening around consent, fantasies and kinks. And this forms the groundwork for a less cisheteronormative, more relaxed kind of sexual liberation, better educated about the importance of consent and what pansexuality and polyamory

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can be. As Jennifer Padjemi, author of Féminismes & Pop Culture (Feminisms & Pop Culture, translator’s note) reminds us: “This decade has made it possible to understand that sex is nothing without consent and that sexuality cannot be separated from its root: it must be wanted and desired, discussed and chosen.” If festivals, bars, clubs and sex clubs are cautiously reopening after experiencing the precarity of the pandemic, this only reinforces the desire to meet there in full awareness of what this may involve, between people who know themselves better and who are thirsty for contact. Dancing together, brushing up against each other, flirting, kissing, and why not have sex on the first night since the pandemic has reminded us how short and unpredictable life is. Being almost deprived of the night world where all lovers are drunk with desire also reminded us how fragile and precious this ecosystem is. The distribution of public aid has also highlighted a kind of double standard: the government has released 81 million euros for the Paris National Opera, compared to only 30 million for 400 French festivals. Nightlife doesn’t even depend on the Ministry of Culture, but on the Home Office, a sign of the repressive approach to these spaces and their challenges, which we can’t wait to get back to in order to enjoy them better, tenderly.

THREE-WAY ANYONE? A study by the French Institute of Public Opinion carried out at the end of June 2021 questioned a thousand single people about their desires. It revealed that a third of them (37%) “should be ‘more open’ sexually than usual, and this in a much higher proportion among men (46%) than women (27%), but also much higher among young people aged 15 to 35 (44%) than among people aged 50 and over (22%)”. This Ifop survey also underlines that a quarter of French people will be “more willing than usual” to have sex without being in love, a quarter to “give in to someone’s advances” more easily, and 20% say that they will be more flexible in their choice of sexual partners. So we tend to want sex more easily, but this “free for all” does not change the fact that 86% of single people surveyed are looking for a stable, monogamous relationship. A sign that we have perhaps also learned to stop opposing

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THIS INTROSPECTION ALLOWING FOR BOTH INDIVIDUAL AND COLLECTIVE AWARENESS AROUND SEXUALITIES, GENDERS, CONSENT WAS FACILITATED BY THE FACT THAT THE PANDEMIC CAME AFTER #METOO AND #METOOTRANS.

pleasures of the flesh and emotional stability in a binary way (the latter does not necessarily rhyme with monogamy and exclusivity, need we remind you?) In the end, the pandemic has probably contributed to much more than sexual education and liberation, gender affirmation and the advent of a culture of consent, according to non-binary artist Yanis: “This pause has allowed us to realise that we are living in a pivotal time where #MeToo, the pandemic, but also #BlackLivesMatter, #StopAsianHate and the climate marches impose a form of urgency to change all these dynamics that are in fact connected to each other.” So if we collectively nearly succeeded in bringing the planet to a standstill in the fight against Covid, perhaps after the Summer of (self) Love 2021 which has just ended, all the conditions will have been met for this revolution in intimacy and desire to finally lead to freer, more egalitarian and more diverse sexualities, whatever they may be.


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LESS SILENCE, MORE ACTIONS.

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