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la nature douce
from MKsport #20
by MK Sport
QUAND LA PHOTO DE MONTAGNE DEVIENT POÉTIQUE
Reportage Baptiste Chassagne Photos Céline Ducrettet
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Céline Ducrettet n’est pas une photographe de sport. C’est une photographe de montagne. De celle pour qui la nature ne constitue pas un cadre ou une toile de fond, mais bien une finalité, un sujet à part entière, une beauté qui se suffit à elle-même. Viscéralement attachée à son métier-passion qu’elle pratique avec une sensibilité à part et une conviction profonde, la jeune haute-savoyarde revendique la normalité. Céline croit simplement contempler, figer et partager ce que Dame Nature a la gentillesse de lui offrir. Et pourtant… Rencontre, par les mots, un peu, et les images beaucoup, avec celle qui rend la montagne douce et accessible.
Peux-tu te présenter ? Nous dire d’où tu viens, où tu es et où tu vas ?
Je suis née à Cluses, en Haute-Savoie, où je suis aujourd’hui revenue après des études à Lyon. Mon enfance a été rythmée par les sorties en montagne et une réelle proximité avec la nature, sans que mes parents ne soient pourtant de fervents passionnés. Ils étaient du genre à nous amener au ski, mais ne skiaient pas avec nous ! Si je me suis d’abord essayée à la guitare électrique, j’ai eu une véritable révélation en 2007, lorsque l’on m’a offert mon premier appareil photo numérique. Je n’avais plus cette frustration d’aller me balader sans pouvoir figer et partager la magie de certaines choses que j’avais pu observer. En 2012, j’ai commencé à poster mes images sur Instagram et j’ai commencé à avoir des demandes de contrats et créer mon auto-entreprise en 2016. Cependant, je considère la photographie comme mon métier à plein temps depuis 2 ans seulement, avec de belles missions de mise en avant du territoire pour des stations, des offices de tourisme, l’agence Savoie-Mont-Blanc ou les autoroutes de l’ATMB…
Comment expliques-tu que la passion de la photographie soit si profondément ancrée en toi ?
Je crois qu’inconsciemment, cette passion vient de très loin. J’ai perdu mon père alors que j’étais encore très jeune, âgée de seulement quelques mois. À partir de ce moment-là, le seul moyen que j’ai eu de découvrir son visage fut de regarder des photos. Petite, je passais mon temps à contempler les photos de famille afin d’avoir cette impression de le connaître. J'ai appris bien plus tard qu'il était lui-même passionné de photo et réalisait ses propres tirages argentiques !
Aujourd’hui, quelle mission donnes-tu à ta pratique ? Qu’est-ce qui t’anime ?
Je ne me sens pas en mission. Je suis animée par un désir très simple, partager les belles choses que je vois, et d’une certaine manière inciter les autres à profiter eux aussi de ce plaisir très sobre mais si facilement accessible que la nature a à nous offrir. Je n’ai pas un niveau athlétique incroyable, je ne fais pas d’alpinisme. Une grande partie des randonnées que je fais sont accessibles si on aime marcher un peu ! D’une certaine manière, j’ai envie de rendre la montagne accessible, en démontrant combien elle est douce, accueillante et fragile.
Tu photographies presque exclusivement la nature, et très peu d’humains ? Pourquoi ?
Pour moi, la nature est ce qu’il y a de plus beau. Qu’il s’agisse des montagnes ou des océans. Pourquoi ? Car tout y est présent et harmonieux de base. Il n’y a rien à faire, rien à enlever, rien à ajouter. Seulement contempler. Tout l’art de la photo réside ensuite dans la capacité à dénicher la belle lumière et la bonne atmosphère pour sublimer ce cadre. Avec la nature, tout fonctionne à l’intuition, je laisse l’inspiration venir. Je ne saurais l’expliquer mais je ne retrouve pas cette sensation à l’instant de shooter des êtres humains.
Nous avons évoqué ce rapport fusionnel à la photo. Tu laisses transparaître la même chose à l’égard de la montagne. Pourquoi ce rapport à la nature ?
Plus que la seule montagne, il s’agit d’une fascination profonde pour la nature en général. À l’issue de mes études, je suis revenue à Cluses légèrement à contre-cœur. Pour me réenchanter de ce choix, j’ai dû me réapproprier l’environnement, retomber amoureuse de mon cadre de vie. La montagne incarnait mon échappatoire. Lorsque j’avais la moindre pensée négative, j’enfilais mes chaussures de randonnée et je grimpais, tranquillement, à mon rythme, en direction des sommets couronnant la maison. Je ressentais alors un bien-être total. Je joignais mes deux passions dans un moment hors du temps. Que je tentais de capturer pour le figer et le partager. Cela a un peu évolué désormais. Pour préserver ces lieux magiques, je ne mentionne plus leur localisation exacte. C’est presque paradoxal, j’en ai conscience. J’ai cette volonté de partager, tout en cultivant une part de secret afin de protéger cette beauté fragile.
Tu as indiqué rechercher les belles lumières et la bonne atmosphère. C’est quoi exactement une belle lumière et une bonne atmosphère ?
La belle lumière, c’est une lumière du soir ou du matin. À l’aube ou au crépuscule. Et une belle ambiance, ce sont par exemple des nuages qui vont rendre le lever ou le coucher du soleil encore plus puissants grâce à l’intensité des couleurs qu’ils vont permettre. Si je suis exigeante, je rajouterais une légère pluie en amont de la photo pour décupler encore plus la force des contrastes et compléter l’ambiance mystique.
J’AIME PHOTOGRAPHIER LA NATURE CAR TOUT Y EST PRÉSENT ET HARMONIEUX DE BASE
Comment définirais-tu ta signature, ton style, celui qui fait que tes photos se démarquent et se remarquent ?
C’est un exercice d’autocritique avec lequel je suis très peu à l’aise, mais je vais tâcher de m’y essayer. (Sourire) Je souhaite apporter une certaine douceur, une finesse, dans l’édition de mes photos. Quelque chose d’assez poétique. Cela se traduit par des noirs peu prononcés afin de casser le côté trop dur et abrupt de l’image. J’aime aussi les couleurs subtilement chaudes, presque tamisées, un peu rosées et orangées. Presque pastel. Si j’avais le choix, j’aimerais que toutes mes photos ressemblent à un cliché automnal !
Quelle est ta méthode de travail ? Comment organises-tu tes shootings ?
Tout part d’une envie. L’envie de découvrir un nouvel endroit en randonnée. Je check alors la météo afin d’y accéder au moment où les conditions seront les plus propices à une belle photo. Je me montre notamment très vigilante à la hauteur des masses nuageuses, dans l’espoir de surplomber là-haut une mer de nuages. Ensuite, sur le terrain, je marche avec l’appareil en bandoulière et dès qu’un élément me tape dans l’œil, je shoote. Je ressens d’ailleurs quand cela va être fou. Cela me procure de la joie, de l’adrénaline. Je prends environ 300 photos par sortie. Tout n’est pas bon, évidemment. Mais il faut s’armer de patience si tu viens gambader avec moi !
Pour conclure, peux-tu nous plonger dans l’une de tes photos préférées ?
Elle est très récente. De juin dernier. Le ciel se découvre après une journée de pluie. Nous montons avec mon compagnon, photographe également, sur les hauteurs d’Avoriaz. Là, nous assistons au plus beau coucher de soleil qu’il m’ait été donné de contempler. Je shoote alors mon ami, au loin, débout sur les crêtes, les couleurs crépusculaires donnant l’impression qu’il surgit des flammes et que les nuages dansent devant lui.
CELINE DUCRETTET
celineducrettet.com