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écrivaine, du haut des cimes
from MKsport #20
by MK Sport
STÉPHANIE BODET, GRIMPEUSE ET ÉCRIVAINE, DU HAUT DES CIMES.
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Reportage Lucie Vadot
Pour Stéphanie Bodet, se délivrer par l’escalade et se livrer à l’écriture est un art. À 24 ans, elle grimpe sur le podium mondial et s’élance sur les plus belles parois vertigineuses du monde. Elle poursuit son chemin de vie de grimpeuse en arpentant le monde à la verticale, au gré des voyages, yeux rivés sur l’horizon, valsant avec les tribulations d’une vie. Puis, elle délaisse peu à peu la performance et profite des joies de la grimpe plus locales. Devenue auteure au style épuré et poétique, elle nous laisse rêveurs. Mots soufflés au bout des lèvres, souffle court entre les prises. À la conquête d’une vie de bohême et de légèreté, qui n’en n’a jamais rêvé ?
© Mikey Schaefer
© Arnaud Petit
L’APPEL DE LA GRIMPE ET SOIF D’ÉCRITURE
En 1999, elle termine 1ère à la coupe du monde de bloc et 1ère aux X-Games en bloc à San Francisco. L’année 2000, elle prend son envol et s’offre la 1ère place à l’épreuve de difficulté de Chamonix. La même année, elle grimpe à SaintLéger, côtoyant le 8b tout en finesse. Elle enchaîne à vue « Dis-moi qui tu hais », un 8a/8a+ et « Le Nabab », un 8b+ en quelques séances de travail. « Je n’avais pas le sens de l’exploit, mais plutôt un désir de communier avec la nature. » Aussi connue pour ses expéditions et ses ouvertures en grandes voies avec son fidèle complice, Arnaud Petit, ensemble, ils ont sillonné aux quatre coins du monde. Ils ont grimpé des voies mythiques comme : « Salto Àngel » en 2006 au Venezuela, « Babel » 800m en 7c+ max, ouverte en 2007 au Maroc avec Titi Gentet, Nicolas Kalisz et Arnaud Petit ou encore « Tough Enough », 400m en 8b+ max en 2008, à Madagascar, ils libèrent la voie en équipe avec Laurent Triay, Sylvain Millet et Arnaud Petit. « Les falaises invitent à l’action et à la contemplation. » Entre ses plus beaux Big Wall, ses réussites et ses échecs, elle pose son regard au loin, au-delà de la verticale de soi pour écrire ses récits. « Être à la verticale de soi, pour moi, ce n’est pas être dans la compétition, ni l’exploit, mais c’est le simple fait d’être aligné, à la recherche de l’équilibre et de la justesse sur le rocher comme dans la vie. Essayer d’ajuster ses actions à ses valeurs, ses désirs profonds. Sur le rocher, à l’instant où tu quittes le sol, tu es intensément présent et parfois, il me semble ne faire qu’un avec l’élément. » Professeure de lettres à ses débuts de performance sportive, elle s’est affranchie de ce métier pour vivre pleinement de l’escalade mais toujours un livre en poche et un stylo à la main. Elle s’inspire, s’évade et raconte. Aujourd’hui, auteure de deux ouvrages « À la verticale de soi », « Habiter le monde », et co-auteure avec Arnaud Petit de « Parois de légende, les plus belles escalades d’Europe » et « Salto Àngel ». Ses voyages lui font prendre de la hauteur et ses écrits lui permettent de prendre de la distance.
L’APPEL À LA VIE
Grâce à ses parents, Stéphanie découvre les randonnées le temps des weekends. « Tombés amoureux de la montagne, mes parents s’installent à Gap. » Enfant, elle dévore les livres et elle invente ses propres histoires. La lecture la porte dans un imaginaire qui lui plaît. Aussi, la nature offre un souffle pour sa famille. « À travers mes yeux d’enfant, je vois déjà combien mes parents se ressourcent, ils s’embellissent en profitant pleinement en montagne. » Stéphanie souffre d’asthme et ses parents l’incitent à pratiquer des activités en nature. « Il ne s’agit pas de limiter ma façon de vivre parce que j’ai des difficultés respiratoires, mais d’aller en nature et s’offrir des plaisirs de la vie. C’était vraiment dur, notamment en ski de randonnée lorsque j’avais des crises d’asthme avec le froid, mais on prenait notre temps et petit à petit, cela me fortifiait. » L’acceptation d’une telle situation mène déjà à une vie des possibles. « À l’âge de 14 ans, mes parents m’inscrivent au CAF à Gap, je découvre la grimpe et cela a été le coup de foudre ! J’avais le sentiment de choisir pour la 1ère fois quelque chose qui me plaisait et de sortir du cadre familial car mes parents n’étaient pas grimpeurs. Moi qui suis solitaire, je me découvre une petite tribu, un groupe de jeunes, encadré par un guide de haute-montagne, Rolland Marie qui nous transmet sa passion sur les falaises de Céüse et un peu partout dans les Hautes-Alpes. » La voilà sur le début de ses 1ères aventures de grimpeuse.
« Les salles étant peu développées dans les années 90, on grimpe dehors par tous les temps. » Grâce à la grimpe et aux randonnées familiales, la jeune asthmatique apprend à repousser ses limites et à ne pas s’identifier à sa maladie. « La passion mène à bien des possibles et procure un fantastique sentiment d’autonomie lorsqu’on parvient à surmonter ses faiblesses. » L’année de ses 20 ans, Stéphanie perd sa petite sœur. Un moment très douloureux qui lui ouvre les yeux sur la fragilité de la vie. « L’escalade prend alors un autre sens. Ce n’est plus seulement une passion mais mon véritable refuge, ma bouée de survie. Je ne pense plus qu’à grimper. C’est la seule chose alors qui me procure de la joie et donne un sens à ma vie. L’acceptation de la mort donne envie de vivre plus intensément ce qui t’a été offert, comme un appel à vivre l’essentiel. »
© Arnaud Petit
CLIN D'OEIL
Stéphanie apprécie les valeurs de Climb Up, entreprise dont elle a été ambassadrice Climb Up, c’est quoi ? Climb Up démarre lorsque François Petit, champion du monde, ancien entraîneur de l’équipe nationale d’escalade et ingénieur de formation (INSA) repense en 2007 « le Mur de Lyon », la plus grande salle d’escalade française à cette date. Il imagine et crée le concept « Climb Up », dédié à la création de salles d’escalade. Le concept ? Une équipe passionnée, de véritables lieux aux caractères singuliers et propres à chaque ville, tendance cocooning et sportive. Une pratique accessible à tous. Des ouvertures régulières par des professionnels pour tous les niveaux et tous les styles de grimpe. 28 salles d’escalade en France venant prolonger nos journées rythmées avec un instant pour soi ou entre amis. Un lieu de vie à part entière avec : espaces de coworking cosy, sauna, salle d’entraînement, étirements, cours de yoga, bar et restaurant. Une entreprise où raisonne une volonté : « Le désir de bien faire est un puissant moteur. Celui de faire du bien est plus puissant encore. » M. Aguilar. En dépit de la rigueur de cette discipline, l’escalade demeure ce sport réclamant de veiller sur autrui. Cette pratique d’utilité sociale qui incite à l’ouverture et à l’échange. « L’aventure Climb Up est avant tout humaine, transmettre la passion de l’escalade et l’esprit de cordée est ma plus grande satisfaction. » souligne François Petit.
© Jocelyn Chavy
UN TANDEM FAÇON BOHÊME
« À 19 ans, je rencontre Arnaud durant un stage en équipe de France d’escalade. La disparition de ma petite sœur est un choc qui me pousse à m’affranchir des contraintes sociales. Je mets en pause mes études de lettres, que je reprendrai plus tard. » Elle s’entraîne en falaise sur des voies dures. « On est à la fin des années 90. Nous passons une grande partie de notre temps à grimper à l’extérieur, à la belle saison ou sur le mur « fait maison » dans une grange de montagne de la famille d’Arnaud. Un entraînement plutôt artisanal et intuitif, avec du renforcement musculaire en hiver. Le milieu dans lequel j’évolue alors me permet de progresser très rapidement. Pour bien vivre le haut niveau, il faut accepter de ne pas être toujours au top de sa forme et prendre le temps de récupérer pour éviter la blessure. » À 21 ans, elle travaille « Biographie », un 8c+ à Céüse, « Une dizaine de tentatives, sans succès. » précise-t-elle sans regrets. « Le travail de voie est très exigent. Je n’ai jamais excellé dans cette pratique mais elle m’a appris la persévérance. Échouer toujours un peu plus haut, toujours un petit peu mieux à chaque essai. » Ses débuts à SaintLéger-du-Ventoux et à Céüse lui donnent du fil à retordre et elle aime cela. Elle aime surtout découvrir de nouvelles voies, les gravir en quelques essais pour pouvoir papillonner sur la falaise suivante. En même temps, elle rêve de partir en terre inconnue à l’affût de nouvelles parois. Des rêves nourris par des lectures
© Arnaud Petit
© Arnaud Petit
de jeunesse : Alexandra David Neel, Ella Maillard, Nicolas Bouvier, ou Sylvain Tesson, l’emportent loin du milieu de la compétition. Une irrésistible invitation au voyage. « J’avais parfois le sentiment d’être en décalage, entourée de sportifs de haut niveau qui s'entraînent avec rigueur. J’avais soif d’inconnu et de liberté plus que de performance. J’étais inspirée par l’esprit des pionniers de l’escalade libre, qui cultivaient un esprit marginal tout en étant des athlètes. » Sa génération a été fascinée par les exploits de Patrick Edlinger ou de Catherine Destivelle, de fortes personnalités à la recherche de liberté d’expression de soi à travers le mouvement de grâce en escalade. « J’admire les prouesses des jeunes grimpeurs de haut niveau d’aujourd’hui mais ma recherche est tout à fait différente. Plus contemplative ! C’est ce qui est fantastique avec la grimpe. Tu peux la pratiquer à tous les âges de la vie dans un esprit qui évolue avec le temps. » Aujourd’hui, elle recherche plutôt un état d’être. « L’escalade est une manière de faire corps avec l’instant. Je recherche une forme de détente dans l’action, de fluidité, comme dans les arts martiaux. » Durant 10 ans, elle se spécialise dans l’ascension de Big Walls, ces parois vertigineuses de plus de 600m d’aplomb, comme celle « d’El Capitan » dans le parc de Yosemite aux États-Unis, qu’elle gravit en libre, en 2007. En compagnie d’Arnaud, elle multiplie les ascensions spectaculaires sur les hautes parois du monde, comme les « Tours de Trango » au Pakistan en 2005, ou « Salto Àngel », son aventure la plus folle ; 15 jours en parois avec 6 compagnons. Ces voyages lui ouvrent les yeux sur d’autres cultures et elle délaisse progressivement le monde de la performance. « Je suis tombée amoureuse de Taghia, au Maroc, et nous y sommes revenus chaque année, pendant 15 ans, autant pour ses parois que pour revoir nos amis berbères. Constater que les enfants pour qui on installait des balançoires avec les cordes sont devenus de supers grimpeurs, est vraiment émouvant. C’est merveilleux d’ouvrir de telles perspectives dans un tel petit village de montagne. » Ils parcourent ainsi au fil des années des destinations aux styles d’escalades différents en nouant des liens : « Nous avions tous les deux du plaisir à nous initier à des styles d’escalade variés : en fissure, en granit ou plus aventureux avec des coinceurs. » Sa plume est laissée de côté le temps du voyage. « J’éprouve le besoin d’écrire quand je suis de retour à la maison. La mémoire est un tamis dont j’aimais extraire les moments les plus intenses. Aujourd’hui, je m’aperçois que j’écris surtout des instants anodins dont je réalise après coup que ce sont eux qui donnent de la saveur à ma vie. » C’est pour elle un moyen de retranscrire le beau après avoir laissé infuser l’émotion. « Écrire, c’est vivre deux fois. L’écriture est un moyen d’éclaircir ma pensée et mes émotions. C’est un plaisir et un outil puissant de guérison. » Elle apprend aujourd’hui à accueillir sa propre nature, avec sa façon à elle de grimper avec sensibilité avec son environnement sans se préoccuper d’un résultat, mais à la recherche d’un besoin d’harmonie avec légèreté. « J’aime bien la vie simple et frugale. Jardiner, marcher, grimper quand j’en ai envie. J’ai aussi à cœur de sensibiliser mes stagiaires grimpeurs à l’environnement qui nous entoure. À ne pas le considérer comme un simple terrain de jeu mais comme le prolongement de notre être. » Elle vit son escalade sans projet particulier, en quête de fluidité avec ses envies. La flexibilité est son maître mot à bord du navire dont elle est la capitaine. Cela lui permet de vieillir plus sereinement avec l’escalade. Sa sensibilité l’invite à cultiver l’écriture et la grimpe dans une quête d’harmonie avec le monde et de simplicité.
STÉPHANIE BODET À lire , ses deux derniers livres : « À la verticale de soi » et « Habiter le monde »