N’02 STREET ART Vers une démocratisation de l’Art en Algérie magazine d’art et de culture I www.monokromemag.com
ISSUE 02
ISSUE 02
MONOKROME NUMÉRO 02 JUILLET / AOÛT / SEPTEMBRE 2019 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION | Idris FELFOUL RÉDACTRICE EN CHEF
| -Yara-Rim MENIA
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
| Hikma OUTTAS
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO | NOUSSAIBA MERAH Nour TAIEB EZZRAIMI | Zhor BENSEDDIK | Smail LIF Manel DRARENI | Amir GUERMI | Fariza CHEMAKH | Nadjia ALAHOUM © Photo de couverture | LALA V
MONOKROME Magazine 2019
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ÉDITO
STREET ART Vers une démocratisation de l’Art en Algérie Audacieux, ambulant, constructif . . . Dans une perspective de démocratisation de l’Art en Algérie, un processus populaire d’appartenance et d’engagement prend de plus en plus d’ampleur. Tout en étant qualifié d’acte de vandalisme, le street art dérange et déroge. Cependant, et face à une volonté de vulgarisation de l’art, le street art, conçu comme médium de réconciliation artistique et urbaine, devient un vecteur de créativité et de durabilité. La rue nous appartient !
-Yara-Rim MENIA Rédactrice en chef
SOMMAIRE NUMÉRO 02 - JUILLET / AOÛT / SEPTEMBRE 2019
ARCHITECTURE 10 ENTRE GRAFF, AÉROSOL ET ARCHITECTURE PORTRAIT LMNT 12 ARCHITECTURE DE TERRE, ANALYSE D’UNE SUBTILE ANALOGIE
LITTÉRATURE ET POÉSIE 16 PORTRAIT DU POÈTE DAMNÉ 19 LA VAGUE DES BIBLIOTHÈQUES DE RUE À ALGER UN PHÉNOMÈNE D’ÉVEIL LITTÉRAIRE 20 SLAM ET POÈSIE : UN ART DE RUE
ARTS PLASTIQUES 24 LE STREET ART ET SES IDIOLOGIES 26 L’ODYSSEE D’UN ART EPHEMERE Une chronologie du street art en Algérie 28 LE VOYAGE DE LA MAIN DU PEUPLE Naissance, Algérie et Venise 32 QUAND LES MURS CACHENT DES LEGENDES AIN SBAA REVIT DE SES CENDRES
ARTS DE LA SCÈNE ET MUSIQUE 36 EL HALQA MISE EN LUMIÈRE D’UN CAPITAL ARTISTIQUE ALGÉRIEN 38 RACONTE-ARTS : LE CHANT DES VILLAGES 40 EL HARRAZ . . . LE THÉ TRE ENVAHIT LES RUES
ARTS NUMÉRIQUES 44 LES ARTS CODÉS : LA SPLENDIDE VIE NUMÉRIQUE 46 L’ART DE L’ILLUSION NUMÉRIQUE HAKANAI 48 JELLE LIBERMAN : A LA CROISÉE DES ARTS
ARTS MÉDIATHÈQUES ET CINÉMA 54 56 59 60
MURMURES, LE GRAFFITI EN ALGÉRIE LE FILM PORTRAIT DE FATMA ZOHRA ZAMOUM LE MÉTIER DE DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE ZAPPING MEDIA
ARTISANAT DE L’ART 64 “JE SUIS NÉ POUR RÉPARER” LE CORDONNIER AMBULANT 66 UN PLAT, UN REMÈDE Zahira MAKFOULDJI, artisane culinaire
VOYAGE ET DÉCOUVERTE 72 BABA SALEM, DE LA “URBAN” À LA “WORLD” MUSIC 75 TOUR D’ALGÉRIE EN FRESQUE 78 LA GENÈSE D’UNE FRESQUE Moh à Tlemcen
DOSSIER SPÉCIAL 82 L’ART EST PUBLIC UN SAUT À BLIDA
ARCHITECTURE ARCHITECTURE 8 I www.monokromemag.com
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ENTRE GRAFF, AÉROSOL ET ARCHITECTURE PORTRAIT DE LMNT Manel DRARENI “... Ça n’a pas de sens de rabaisser la valeur de ce qui vient de la rue car c’est crucial dans l’architecture…” LMNT
Qui est LMNT? Une substance basique d’atomes d’encre, de peintures et d’aérosol et lettrages basé en Algérie. Writer graffiti depuis, 2009. INK’Industriz, SIIW, UDV, 213Writerz. Que représente le street art pour vous ? Je dirais que le street art est un développement de graffiti, une forme plus élaborée, étudiée, diverse et surtout plus esthétique. Quand vous lisez: “street art et architecture”, qu’est-ce que cela vous évoque t-il ? Je pense que toute forme de peinture murale ou même un petit tag sur un mur ou une typographie dans une boutique peut relier les deux d’une manière ou d’une autre. Car, ce qui est sur le mur nous fait immédiatement sentir quelque chose, donner une réflexion, n’importe où …
Mehdi Hachid
“L’architecture et la composition urbaine sont liées à ce qu’on peut voir sur les murs” LMNT “Street art et architecture”, attraction et/ou répulsion ? Je dirais attraction. Même si, en parlant de street art je donnerais l’idée d’esthétique, de beauté, de fresques, de couleurs, de proportions et de grandeur quant à l’architecture de la zone et à l’environnement immédiat. En outre, attraction de graffiti, tâches, tags, l’expression libre directe d’une personne sur un mur ou une surface. Généralement, on voit cela comme une répulsion ou vandalisme, mais, sans lui, nous n’aurions pas vu exister tout le street art qu’on peut voir de nos jours. A la base, je suis graffeur et tout ce que je peux transmettre sur des murs est lié à l’endroit où je peins, où je laisse ma trace dans l’environnement et l’urbanisme d’où le sens architectural. 10 I www.monokromemag.com
Mon message serait une part pour chacun si ma trace ou ma philosophie raisonnait d’une manière ou d’une autre. Esthétique ou expression sauvage dans la rue, je dirais que si ça pousserait l’autre à la réflexion, ça me suffirait. Je pense que ce qu’on fait se développe avec le temps. Mes lettrages d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que celles d’il y a 5 ou 6 ans, cependant, la base reste des graffitis anciens, des handstyles ou gang graffiti inspirés, qui se sont développés avec le temps et l’âge en scripts et recherches de lettres une fois de plus liés à l’endroit, l’urbex ou la surface, le mur et le vécu. Racontez nous la séquence la plus marquante que vous avez vécu en exprimant votre art dans la rue . . .
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Il y a presque un an, je passais par une phase un peu chamboulée et j’eus besoin de peindre. Je suis sorti au centre de ma ville près d’un pont pour faire une pièce à mon blaze -un flop en langage graffiti-, j’essayais de le faire en parties pour ne pas me faire choper. Au moment où je me mis à finaliser mon travail, la police passa et n’eut absolument aucune réaction. Je m’étais dit que ce n’était pas grave, que j’avais eu une nuit d’insomnie et qu’ils ne m’avaient pas vu ... Une heure après, on m’appela pour m’annoncer le décès de mon oncle avec qui j’étais quelques heures auparavant. Je me suis dit peut-être que l’endroit où j’ai fait ce graff était une bonne raison pour être aux funérailles et non au poste de police. Ce mur m’a vraiment marqué. Expériences nationales et internationales . . . Depuis deux ans, nous avons un bon mouvement de rue qui se développe sur le territoire algérien et j’y ai majoritairement participé. j’ai eu quelques opportunités de collaboration ailleurs, de peindre dans des cadres à thématique ou indépendants: projet de Jiser en résidence à Barcelone en 2016, une résidence croisée à Marseille et Alger en 2017 et des trips muraux dans quelques villes en Espagne et en France. j’ai eu de bonnes expériences, j’ai fait des rencontres et de belles perspectives en vue pour développer ce que je fais.
Haythem Ameur
À votre avis, comment est perçu le street art par les architectes ? De nos jours, je vois que les architectes font du street art dans une partie de leur travail. Ils s’intéressent énormément à ça et je pense que cet aperçu est une continuité de la composition architecturale et une grande partie de l’urbanisme.
Nadjib Bouznad
Lamyia Younsi Que répondrez-vous aux détracteurs du street art et aux partisans de l’idée que c’est une transgression urbaine ? Je dirais qu’ils le veuillent ou pas, le street art, et à la base, le graffiti, fait toujours apparition et se voit comme une continuité de l’urbanisme. Grand ou petit, légal ou illégal, beau ou pas, ça n’a pas de sens de rabaisser la valeur de ce qui vient de la rue car c’est crucial dans l’architecture. Pour conclure, je dirais que l’art n’a pas de limite et ça ne s’arrêtera jamais.
“Le street art, bien plus qu’une peinture murale” LMNT www.monokromemag.com I 11
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ARCHITECTURE DE TERRE, ANALYSE D’UNE SUBTILE ANALOGIE Manel DRARENI | Anis SAOUDI
-Yara-Rim MENIA
Dans la majeure partie du monde, l’architecture de terre et le street art ne sont pas institutionnalisés mais exposés avec liberté. En réalité ce que nous percevons sont des expressions qui ont du sens et qui ont été élaboré avec technicité. Un art exposé qui nous procure les conditions pour méditer et être libre de ressentir... Après la deuxième guerre mondiale, l’emploi de l’architecture de terre a régressé face à l’industrialisation émergente et certaines consciences se sont préoccupées pour le patrimoine culturel. Ce patrimoine qui devint très vite un sujet de réflexion et eu raison de l’être car, très vite, la roue a tourné et la cherté de certains matériaux transformés et leur inexistence dans certains endroits a poussé à étudier à nouveau certaines stratégies économiques. En l’occurrence,ces mêmes consciences préoccupées pour le patrimoine et la culture ont plus que jamais mis en avant l’importance de l’architecture de terre et l’emploi de matériaux locaux.
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-Yara-Rim MENIA
L’architecture de terre a évolué selon une logique rationnelle suivant des besoins et un contexte urbain. Dotée d’une technique constructive unique en son genre. On la décrit comme étant artistique, un lieu d’expérimentation artistique. Loin de la métaphore et de la comparaison, nous sommes face à une expression délicate née d’une vraie conscience environnementale. Propre, vernaculaire, rudimentaire. Elle s’expose dans les rues et non dans les galeries. Elle s’assume tel un acte de vulgarisation, une rééducation des consciences et un retour aux origines des pratiques.
-Yara-Rim MENIA
Cette architecture de terre transmet tous ces messages et ces valeurs, du street art vraisemblablement. Il faut le croire ou y renoncer. L’architecture de terre est complète et contenue. Soit tu prends tout ce qu elle te donne, soit tu lui donnes ce qu’elle a perdu mais, tu ne peux pas juste la percevoir à moitié. Sincère au touché, exhibée aux regards et au temps. Envoûtante telle est son odeur, nous le dira l’architecte ou le porteur de bon sens. Le tagger décrirait l’intensité de l’aérosol, les odeurs des lignes, la profondeur des couleurs et l’unicité du message pour tous. Chaque artiste pose délicatement un fragment de son âme et puis, a cet instant, nous ressentons ensembles, doucement et paisiblement, une subtile analogie qui nous envoûte.
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LITTÉRATURE ET POÉSIE 14 I www.monokromemag.com
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PORTRAIT DU POÈTE DAMNÉ Amir GUERMI
La poésie pour ses adeptes est un art qui dépend essentiellement des sentiments et des émotions, un poète est doué ou pas par rapport au ressenti qui nous fait vivre ou qui nous transmet. Le poète damné ! Comme il aime se faire appeler, peut être un nomade pour certain, ou un marginal pour d’autre, c’est pour cela que j’invite nos chers lecteurs à le découvrir sous sa plume et sous l’emblème de son art …
Comment êtes vous devenu poète ? Je crois que je suis devenu poète par avortement, des mes premier pas j’ai su que j’aurais du mal à marcher dans ce monde alors j’ai inventé la poésie avant même que je sache qu’elle existe déjà, c’est pour ça que je me dis pas poète mais artisan verbal, j’en ai besoin pour survivre à mon propre personnage ensuite au monde. Pouvez vous nous expliquer d’où vient votre amour pour la langue française ? C’est une question de hasard ou mieux de choix prédestiné, par qui ? Je ne saurai répondre. Je me rappelle juste que j’ai touché cette langue de mes sens sans vraiment la comprendre et j’y ai trouvé goût peut être aussi grâce à ses chemins créatifs qu’elle offre à l’imaginaire. J’ai débuté par des auteurs comme Kafka, Samuel Becket, Virginia Wolf, et j’ai su après qu’ils n’étaient pas français mais c’était trop tard, leur langage et ses mystères étaient déjà ancrés en moi. D’où vient votre inspiration ? Mon inspiration est incarnée par chaque souffle exalté de mon existence, je ne suis pas un personnage bavard, mais écrire est mon langage; ma façon de crier, de rire, de pleurer, je crois même que mon écriture est un silence pour les mots qui ne seront jamais dits. Le quotidien m’inspire, seule une chose ne m’inspire pas; le beau temps, et la routine perpétuelle des gens. Êtes-vous un marginal ? Un anarchiste ? Je suis juste ce que tout homme est à la naissance c’est-à-dire un homme libre qui existe ! 16 I www.monokromemag.com
Les étiquettes je me suis toujours éloigné, mais c’est vrai qu’on m’associe souvent aux anarchistes, moi je sais juste que je suis un Homme digne de son existence et je dois me rendre là où est ma destinée sans chaîne, sans crédit, sans devoir la vie à quelqu’un. Comment définiriez-vous votre art ? Mon art, ma réponse sera très subjectif mais mon art est hypnotisant car je ramène un bout de vie sans vérité ni morale ni jugement, je transcende le ressenti en mots après libre à chacun de les lires selon son regard sur le monde ou du moins son monde. D’où vient cette façon d’écrire si particulière ? Mon style est dévoué à ma nature, en fait ma façon d’écrire est la même que j’utilise pour parler, regarder, manger, j’aime aller au particulier, à l’ineffable c’est là où demeure le pur sens des mots, ma façon d’écrire vient de moi, c’est pour ça que je la maintiens vierge, intacte de toutes formes littéraires ou de rhétoriques ennuyeuses. Quand on vous lit on devine que le langage commun vous dérange. Est ce le cas ? J’ai toujours eu un souci avec le langage commun oui, et dans le milieu littéraire rare sont les auteurs ou auteures qui me séduisent, j’aime dans le langage ce petit ton qui dérange, qui est pas dans l’ordre naturel des choses ou du moins routinal. Pouvez-vous nous expliquer votre approche artistique ?
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Ce que je recherche dans mes lectures c’est de nouvelles façons de dire le monde car le monde est un cycle et on retombe toujours sur les mêmes histoires. Autant qu’auteur, je me dois de pénétrer les entrailles du langage, pour en ressortir avec les mots connus avec une autre dimension, une autre définition que celles que le monde connaît, c’est ça aussi pour moi être poète ou artisan verbal. Que voulez vous dénoncez ? Je ne crois pas que je cherche à dénoncer, le monde connaît sa vérité et sait ce qui ne va pas, ce monde n’a pas besoin de dénonciateur, c’est comme je dis à travers mes mots; je me survis et je survis au monde. Peut-être que quelque part je dénonce aussi, mais en fait je raconte juste ce que tout le monde sait déjà d’une autre manière et je ne m’attends pas à changer le monde. Car le monde refuse de changer. Etes-vous unique où vous vous êtes inspiré de quelqu’un ? Unique oui, comme tout être libre et digne de ce qu’il est. Mes inspirations sont infréquentables, comme Antonin Artaud, Thomas Wolfe, Ezra Poud, Allen Ginsberg et tant de campagnards solitaires. Mais ça n’a pas affecté mon choix de mot ou mon style. Ça m’a juste apporté une affirmation, celle qui dit qu’être un anticonformiste, un non académicien, un chien sans laisse ni maître, était la meilleure et la seul façon de voir si on était écrivain ou pas. Connaissez-vous des adeptes ou des artistes qui suivent le même mouvement ? Comme je l’ai dit, je ne suis pas bavard ni fréquentable donc non je n’ai pas de cercle ou de carré amical, et question mouvement, dans un certain degré, tout moderniste de son époque fait partie ou presque de la même lignée, mais je sais que je suis un damné du style donc je serai mon propre mouvement et j’espère qu’un jour je ne serai pas un rat de laboratoire à étudier dans les classes infectes qui tuent le seul droit inné de l’être humain celui de philosopher de soi même. Qu’espérez vous transmettre ? Je dirais rien du tout si ce n’est, vivez peu et crevez éternellement.
Extrait … Ne me laisse pas, Prends-mon âme esseulée avec toi, Ne me laisse pas, Prends-mon cœur lassé de tes bras … -Son battement ne chante plus à ton absenceNe me laisse pas, tu peux prendre mon existence … Mais Promet-moi ta mémoire Morjana … Beauté devineresse Je te parle de tous tes noms, Car Amour tu peux être mile personne possible Alors Ne me laisse pas … Et prend mon avenir de ton destin, Éternise-moi au royaume des douces promesses, Empreints-moi à ton souvenir Fait d’allègres caresses, Amour Ancêtre poétique Qui peut être mile nature possible … Ne me laisse pas, Car tu es là de l’aube au crépuscule … Et Entre le soleil et la lune Ton emprise joue de ma cédule, Alors Ne me laisse pas, Et Si tu t’absenteras un jour, Dis-toi que je serai là Quelque part … Perdu au gré du temps Et Je t’attendrai Le peu d’ mes jours restants …
Extrait … Je porte mes pas d’hier et j’avance vers le non lieux, L’inconnue qui s’éloigne à chaque rencontre, Je suis un vent tumultueux La bise en été, Le zephyr hivernal … Je me donne à la lune et je me cache du soleil, Mais Je n’oublie pas sa grâce Qui fait briller la nuit J’aimerai pourtant que ce monde soi jeter au ébène, Tout comme ce gosse qui travaille sa vie, Tout comme un pied nu Laissant sa botte bouseuse au fond d’un sillon …
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Extrait … Mon âme consolée vaguait … Sur tes airs sereins Mélodieuse tranquillité de l’oublie, Oui je sais … Qu’ce moment opalin ne s’ra que le refrain Des vers funèbres, Qui célèbrent ma vie Hélas … Près d’mon cœur ton sable s’est évaporé, À présent Nul temps ne pourra Soigner ton visage, Absurde est mon battement pour ta mémoire, Depuis qu’tu es partie … -À ton vin maudit j’ai promis de boireTrinquant mon cœur À Notre enfant … -Nommer tragédie-
Extrait … Nuit dormante nu d’sa lune, Bercer par les hallalis … Mélodie qui traîne dans son écho, L’atome Des nobles ennuis, O ignoble fog !
Celle qui emprisonne les gosses Malaimés, Au pied des murs fantômes, Celle Qui Presse le temps d’une charnelle offense … Et cicatrice nos automnes Illusion éternel, D’une gloire radeuse, Éphémère faucheuse De l’enfance …
Extrait … Je m’accompagne dans la solitude, D’une présence Aussi sincère que la foule … Et … J’entends dans le silence, Une voix introvertie, Aussi Austère Que la raison … D’un Fou …
Ce qu’on peut retenir d’une certaine manière, c’est qu’à travers chaque artiste, on entrevoit les dérives du monde, comme une prise de conscience momentanée, avant de replonger dans nos affabulations quotidiennes. En discutant avec le poète damné, j’ai vu comme une espèce de clairvoyance dans ses propos, mais n’est-ce pas le propre des poètes de nous bousculer et d’éveiller en nous tous nos instincts? Ce poète, intimement -en tout cas c’est ce que j’ai ressenti-, n’a aucune considération pour la reconnaissance, c’est pour cela qu’il a décidé de rester anonyme; ne voulant transmettre que son art. Et comme chaque écrivain qui se respecte, il prétend la virtuosité et a la révolution littéraire; il refuse de se contenter de tout ce qui est lisse et bien fait et cherche par sa manière d’écrire à sortir de la conformité et des zones de confort, en voulant explorer de nouvelles façons de s’exprimer et de dire les choses. On peut croire ou pas à ses idées, mais ce qui est sûre, c’est que notre poète damné est un amoureux des mots et de leur utilisation, loin de toute prétention ! La postérité nous donnera, ou pas, l’aval de son génie.
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LA VAGUE DES BIBLIOTHÈQUES DE RUE À ALGER UN PHÉNOMÈNE D’ÉVEIL LITTÉRAIRE Kahina IDRI
Dans une ère où le numérique domine et prend toute la place, où les gens préfèrent la facilité et la rapidité, et délaissent la lecture pour se vouer aux réseaux sociaux, un phénomène, certes anodin, prend place et se voit fleurir dans les rues d’Alger : les bibliothèques de rue. Concept simpliste mais qui apporte sa vague de fraîcheur, des abris pour les livres, disponibles à tout moment, quiconque pouvant y accéder, pour récupérer ce que bon lui semble parmi les joyaux littéraires pouvant s’y trouver, mais encore pour y déposer un livre et ainsi faire le bonheur d’un inconnu. C’est comme si les livres s’étaient affranchis des murs des bibliothèques désertes qui les emprisonnent, et qu’ils allaient à la recherche des lecteurs, à la rencontre du monde. Si ces livres pouvaient parler, ils raconteraient sûrement leur solitude, mais aussi leur surprise face à l’accueil qui leur a été fait. En effet, nos vieux amis en papier en appâtent plus d’un, même les moins lecteurs d’entre eux. Tantôt passion, tantôt curiosité, diverses sont les motivations. Les passants ne manquent de s’arrêter aux devants de ces librairies d’extérieur pour y jeter un coup d’œil, dans l’espoir de trouver chaussure à leur pied, ou tout simplement par envie de voir ce qui s’y cache. Sur les dernières lignes d’un livre que j’ai lu récemment, la protagoniste se posait la question: “Que serait Alger sans Mozart ?”, Moi, je me pose la question: “Que serait Alger sans Art ?”. Ce concept de bibliothèque de rue peut sans doute être considéré comme une nouvelle forme d’expression artistique, pouvant être classée comme street art, mais pas que ! C’est un véritable appel au partage. Une forme d’éveil culturel qu’on voit transpercer les rues d’Alger et s’y installer. L’avènement de telles initiatives, laisse croire qu’Alger sera sans doute le berceau d’une révolution culturelle. Il serait d’autant plus délectable si ce phénomène pouvait gracieusement se glisser aux quatre coins du pays, pour inciter au partage et ouvrir les esprits.
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SLAM ET POÉSIE: UN ART DE RUE Nesrine FILALI
Un slammeur... un texte... un public... trois minutes d’intensité et des siècles de mots qui renaissent ! Digne héritier de l’aède, du troubadour, du conteur nomade, de la poésie lyrique, du rap, du hip-hop... le slam s’inscrit dans une continuité culturelle qui cherche à relayer les mots à travers le temps en inventant une poésie nouvelle, urbaine et originale. Fondée par Marc Smith aux États-Unis dans les années 80 où une troupe de poètes de Chicago décident de démocratiser la poésie, en la faisant sortir des livres et recueils et la confronter directement au public, cette joute oratoire cherche à libérer la parole, en unissant une poésie populaire ainsi qu’une performance artistique sur scène. La beauté des mots s’ajoute à celle du geste, du mouvement, de la posture, du regard, du souffle, du ton, de la voix, de la musicalité et du silence pour donner vie à des textes qui mouraient sur du papier, oscillant entre poésie et performance théâtrale, en abordant des thèmes qui ont longtemps été ignorés par la poésie classique: immigration, racisme, politique, violence, chômage, marginalisation, exil, dépendances, échecs personnels... Cette diversité est justement ce qui donne tant de popularité au mouvement. Des jeunes, majoritairement issus des banlieues et milieux défavorisés, découvraient pour la pre mière fois le pouvoir des mots. Ils étaient écoutés, et leurs préoccupations quittaient leur enclos pour se faire entendre par le grand public. On découvrait une sensibilité honnête et touchante, une vérité crue et réelle, une performance humaine et communautaire unique pour le slammeur ainsi que pour le public. Le lecteur est tout aussi engagé dans la performance que le poète. Il vit chaque texte comme une expérience durant laquelle ses ressentis et ses réactions importent tout autant que l’habilité du slammeur et dont le vote sera décisif pour la place du poète dans la compétition. Car oui, le slam, c’est surtout la confrontation entre les slammeurs ! Et comme aucune joute ne se fait sans coups, ces derniers sont donnés avec éloquence et loquacité, en utilisant des figures de style empruntés à la poésie classique, au plaidoyer et à la rhétorique. En Algérie, on connaît un essor indéniable des concours de slam: Grand Concours de Slam (2019), Printemps des Poètes (depuis 2013), Concours National de Slam (2016), Concours de Slam Féminin (2018), etc. Contre-culturel, subversif, contestataire et révolté, le slam représente tout ce que l’élite intellectuelle qui s’était emparée de toutes le lignes éditoriales, toutes les scènes et les plateaux, toutes les chaînes et les radios, haït. Il traverse le papier pour monter sur scène puis sort de la scène pour rejoindre la rue, là où tout a commencé, passant de l’underground, des petites scènes discrètes, des anti-chambres de salles n’accueillant que quelques privilégiés, à la rue ! La grande et immense rue qui appartient à tous et qui se transforme en scène immense à ciel ouvert, organisée ou improvisée dans les boulevards, les métros, les cafés, les jardins... accueillant les slammeurs de tous les horizons et un public aussi riche que diversifié. Libre et non censuré, le slam s’est inscrit peu à peu dans la longue liste des arts des rue qui transforment l’espace public en un lieu de rencontre artistique et d’expression. Jamais la parole n’a été aussi libre et jamais le poète n’a été aussi proche de son public que pendant ces trois merveilleuses minutes de slam qui transportent et séduisent celui qui sait écouter.
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Abderrahma’e lebouachka
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LE STREET ART ET SES IDÉOLOGIES Amel BENMOHAMED Reconnu artistiquement et politiquement, et tout en continuant d’exaspérer certains, le street art s’introduit aujourd’hui dans les mœurs collectives partout dans le monde. Cet art urbain contemporain englobe les aspects d’un art accompli exercé principalement dans la rue, dans les lieux publics et rassemble ainsi différentes méthodes à l’exemple du graffiti, du pochoir, des mosaïques et plus poussées encore, les installations. Illégal et officieux, il puise ses origines dans des branches aussi variées que la bande dessinée ou l’affiche. Sa source se retrouve aussi dans les œuvres des illustrateurs d’après-guerre, avec ce désir d’être examinateur, d’affronter, de dévoiler ce que tout le monde pense tout bas serait à l’origine de ce courant. Les artistes, enthousiasmés par l’illégalité, se voient libres de pouvoir exposer dans une seule et grande galerie : La rue; perçue comme étant une vaste toile vierge des plus visibles et inspirantes, rendant ainsi le street art si singulier.
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Pour rappel, l’apparition de ce mouvement culturel est liée à la culture hip-hop et aux gangs des années 70 à New York. Ces derniers pratiquaient le graffiti pour marquer leur territoire en engageant des graffeurs pour écrire leurs surnoms dans leurs quartiers afin de marquer leur territoire et le délimiter par rapport à celui des autres gangs. Dans cette vision, nous pouvons dire qu’il pourrait être question d’un dialogue codé et violent entre ces graffeurs. Par ailleurs, cet acte de détournement et de défiguration peut être induit également comme une réponse à des pensées propagées dans l’espace urbain, dans le sens où c’est un lieu commun où tous les citoyens ont le droit de s’exprimer. Parmi les artistes qui ont marqué le street art, on peut citer: Banksy Banksy est le pseudonyme d’un artiste britannique, qui fait des pochoirs et qui s’est fait connaître d’une façon magistrale, un artiste qui a redonné de la vigueur au mouvement du street art. Banksy, avec ses personnages récurrents de singes, de policiers, de soldats, d’enfants et de rats, a envahi les villes, notamment avec sa série sous le nom de « Rats ». Tandis que le choix de représenter les rats n’est pas anodin: ils sont détestés, chassés et persécutés, ainsi sont un peu ces gaffeurs. Les autorités les détestent, ils sont chassés. Leur art est exercé sans permission. 24 I www.monokromemag.com
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Banksy présente une opinion ferme et originale sur la politique, l’esthétique et la culture. Il utilise la technique du trompe-l’œil jouant sur la confusion de la perception du spectateur qui, sachant qu’il est devant une surface plane, est malgré tout, trompé sur les moyens d’obtenir cette illusion. Après plusieurs recherches, l’identité de Banksy reste toujours un mystère. Mais le plus important, c’est qu’il reste apprécié pour son art. pixelpaint.co.nz Eduardo Kobra Eduardo Kobra, artiste brésilien, a entamé sa carrière en 1987 à Sao Paulo, il modifie la vision urbaine grâce à d’immenses fresques colorées, expressives et brillantes dans les rues de New York ou Paris. Fréquemment accompagnées de messages politiques comme le réchauffement climatique ou la déforestation, les œuvres de Kobra et leurs effets variables ont une place à part entière dans le paysage du street art mondial.
magenta.as The Crystal Ship The Crystal Ship est une organisation culturelle spécialisée dans l’art de la rue qui produit plus de 25 installations, sculptures et peintures murales par un. Elle représente également un groupe d’artistes visuels sélectionnés dans le monde entier et répond à leurs besoins dans le domaine en constante évolution de l’art et de la culture. Jidar: une toile de rue Un festival qui se déroule chaque année dans la ville de Rabat, capitale du Maroc. Invitant des artistes nationaux et internationaux pour y participer, cette rencontre réunit à l’affiche des artistes de différents horizons qui se distinguent par leurs styles, leurs univers et leurs marques singulières. Cette promenade autour du street art représente bien l’essence et la richesse de ce mouvement et nous permet alors de mieux comprendre ses motivations idéologiques. Tous les murs de toutes les villes du globe peuvent devenir les canevas parfaits pour un street-artiste, ce n’est qu’une question de repousser les limites. Ainsi, le street art se démarque en étant un mouvement artistique réAuteur inconnu fléchi dans l’histoire de l’art.
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L’ODYSSÉE D’UN ART ÉPHÉMÈRE Une chronologie du Street Art en Algérie Hikma OUTTAS
Du battant des lames jusqu’au sommet des montagnes, l’art urbain a toujours été le berceau de l’humanité. Quasi universel, cet art éphémère, qui représente un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité, nous a donné envie de traquer son long voyage entre les ères en Algérie tout en explorant ses différents styles et manifestations dans quelques régions du pays. Tout a commencé par l’art rupestre ; où l’homme laissa les traces de ses préoccupations quotidiennes à même les roches et pierres. Au centre du Sahara, précisément au Tassili N’ajjer, un massif montagneux situé au sud-est de l’Algérie et débordant sur les frontières libyennes, décrit un patrimoine culturel, naturel et mondial protégé par l’UNESCO détenant une densité de plus de 15 000 gravures et peintures, datant d’au moins 10 000 ans.
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Magnuz Manske
Entre l’angoisse du vécu et la sérénité des paysages lunaires, ces œuvres furent témoin de l’évolution de la vie humaine, du changement climatique et des espèces maintenant éteintes, et exprimèrent éloquemment les relations qui existaient entre l’homme et son environnement, réincarnant toutes les situations, des bas-fonds aux palais, des milieux analphabètes au savants, toutes les activités humaines, artistiques, scientifiques ou politiques. Suivi de ça, le patrimoine amazighe apparaît peu après ; des gravures rupestres sur des roches en Tifinagh, l’alphabet amazighe, furent trouvées à l’extrême sud du pays, à Tighatimin dans l’Ahaggar, et affirmèrent le passage de notre civilisation millénaire dans le massif du Hoggar, région de vestiges archéologiques. Ces dernières, après déchiffrement, racontèrent une histoire qui enrichit l’identité nationale des Imazighen. Hormis le fait que ces traces préservèrent des dialogues et des faits anciens, elles ornèrent le répertoire de la langue et les caractères Tifinagh, créant ainsi, un recueil explicatif de certaines notions grammaticales.
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H. Claudot Hawad Quant à l’art urbain moderne, il apparaît en temps de guerre, moins artistique qu’aujourd’hui mais plus expressif. Ce début du siècle a assisté contestablement à ses manifestations révolutionnaires, en évoquant la liberté avec des phrases peintes sur les murs d’Alger pour plaider l’indépendance.
Marc Riboud
Ces derniers temps, il s’est engagé envers et pour le peuple, figurant l’imaginaire utopique, embellissant le quotidien, rendant le temporel instantanément atemporel et synthétisant chaque pensée en silhouettes et formes vibrant et nourrissant l’intérieur de l’humanité. Spontané, balancé entre l’harmonie chaotique et l’équilibre excentrique, le street art est généralement assimilé à du vandalisme: ses auteurs peuvent être suivis judiciairement et leurs œuvres effacées. Mais les artistes, déterminés et hardis, se lâchent sur de nombreuses et variantes filiations, apportant ainsi des visées différentes qui méritent distinction. Le monde sans art est tel un métal qui résonne. En dehors des quatre murs d’un musée, l’art s’urbanise, vit et grandit dans des endroits bien ciblés, prend un élan remarquable, exprime puissamment le refus, la rébellion, entre doucement dans les mœurs de la société, fait de l’abandon un motif de retrouvailles et convertit les marges négligées en centres d’intérêt. Des débats se lèvent sur la tentation de le faire rentrer dans les musées, ce qui déplait à certains.
Artiste-Djo Art_Djihad Zeghina www.monokromemag.com I 27
LE VOYAGE DE LA MAIN DU PEUPLE Naissance, Algérie et Venise Nadjia ALAHOUM
D’Alger à Venise, une main se voit naître, du néant se diront certains, d’une réflexion profonde sur l’art répondront d’autres. Entre les ruelles, cheminant les boulevard ou au nu des murs-mêmes, la main du peuple crie les aspirations d’un peuple et dénonce ses malaises. Partons à la découverte !
Yasmine bellakhdar Qu’est ce que “la main du peuple” ? Une main assez droite qu’un pied gauche, “une main pied”, un mélange entre deux morphologies: une main et un pied . Quelle est l’histoire de sa naissance ? En 2015 , j’ai été arrêté, suite à un petit soucis. Passant mes journées entre quatre murs, je ne disposais que d’un livre et d’un stylo; le livre s’intitulait “le sang de la face”. J’ai commencé à le lire pour m’occuper. Plus je lisais, plus l’envie de dessiner persistait. J’ai donc pris la dernière page du livre et j’ai commencé à dessiner pendant que je lisais. Arrivé au milieu du livre, les dessins avaient recouvert toutes les phrases et ma lecture s’acheva avec une dernière phrase: “une main éducatrice du peuple piétinée par le pouvoir”. Cette phrase me pous28 I www.monokromemag.com
Mohmaed sirouda
sait à réfléchir des heures et des heures. Je dessine alors un pied et une main comme je les ai appris aux cours d’anatomies. Je décortiquais les deux organes, ainsi je rassemble quelques parties pour donner naissance à une main déformée: “la main du peuple”. La main du peuple reflète mes pensées et ma vision de la société et a pour objectif de relier, enfin, essayer de relier, les deux rives “le peuple et le pouvoir”. Elle exprime la réalité de la société moderne et reflète la pression sociale subie. Elle comporte des énigmes qui poussent à réfléchir, cache des messages puissants, réverbère les revendications des peuples derrière des couleurs enfantines, des indices tel “la chaise, les chiffres 4 et 5” . Enfin, en 2016 la main du peuple comme première oeuvre a été exposée au large public .
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Yasmine bellakhdar
Mohmaed sirouda
Quels sont les principaux messages que vous véhiculez à travers le street art ? La main du peuple parle de la réalité de notre société et de son état, plus précisément l’état de son peuple. Elle ne résout pas les problèmes mais vous met face à leur existence, vous ouvre les yeux pour les voir, vous pousse à réfléchir à surgir votre imagination et fait naître des pensées créatives. Dans le domaine de la sociologie de l’art, le peuple est une inspiration aux artistes et les oeuvres d’art est une énigme au peuple . La main du peuple exprime les revendications populaires bien avant le “Hirak” mais l’a accompagné par la suite.
Quelle a été la réaction des artistes, de la société civile et du peuple algérien face au symbole de la main tagué sur les murs ? Les artistes se sont moqués de moi, “ne sais-tu pas dessiner une main ?” ils répétaient. Quant au peuple, c’est une autre histoire. Durant la grève de faim des étudiants de l’Ecole des Beaux-Arts d’Alger, j’ai fait une illustration, un collage par terre et la photo prise a été publié sur le journal “El MANCHAR” et tout le monde cherchait l’identité de l’artiste . La main du peuple s’est faite connue par une humble action, et son mystère nourrissait l’envie de voir d’autres illustrations chez le public qui n’hésitait pas de montrer son soutien. J’ai commencé par des collages mais le refus qu’on puisse recevoir des galeries parfois nous sert de réussite car c’est ainsi que je me suis dirigée vers le street art.
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Auteur inconnu Qu’est ce qui donne à un dessin plus de force qu’un texte selon vous ? Le fait qu’il soit une conceptualisation énigmatique, un message parfois incompris et d’autres fois interprété de mille et une façon et l’humour noir qu’il puisse comporter entre ses détails . En tant qu’artiste, quel est votre regard sur le street art Aujourd’hui, en Algérie en particulier ? Le street art a connu une révolution , le nombre d’oeuvres que comportent les rues est actuellement infini . En Algérie , le street art connaît un progrès, une puissance. Aujourd’hui, les jeunes osent s’exprimer et je n’hésiterai pas à dire qu’à
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nos jours le street art est même un support de communication. J’avoue que la qualité est aussi présente que le plaisir d’admiration. Le street art a fait en sorte qu’il prend la place des galeries, il a réussi à avoir l’attention du public car au final l’art est public et le public c’est le peuple de l’art . J’y ai contribué et je n’hésiterai pas à donner de mon savoir aux jeunes talents qui veulent se lancer . Dernièrement, plusieurs de vos oeuvres ont été projetées durant la Biennale de Venise, parlez nous de ce voyage de la main du peuple ? Ce voyage permet de montrer de quoi la jeu-
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Mohmaed sirouda tion de la main du peuple et du street art ? Elle permet non seulement d’élargir le réseaux, mais surtout de concrétiser un nouveau public; un public de qualité ayant une pensée critique et constructive qui m’aide à améliorer et à faire sortir le meilleur de moi-même. J’espère, enfin, je souhaite que cette opportunité m’ouvrira les portes pour bénéficier de projets internationaux et créer un pont culturel entre les nations.
nesse algérienne est capable. Il a pour objectif de montrer qu’en tant qu’artistes algériens, on peut exposer sans l’aide du système ou d’un pouvoir, qu’on peut faire voyager nos oeuvres sans protocoles et que l’art algérien n’a pas de frontières. La projection de la main du peuple a eu une réaction très positive, elle a encore une fois prouvé son originalité et l’universalité de son message: que le vécu du peuple algérien est similaire à celui des autres, et enfin, que l’art est une forme de militantisme et de liberté d’expression.
Quels sont vos futurs projets artistiques ? Nous sommes en phase de préparation pour concrétiser la main du peuple pour le public anglais et français. On vise le marché international. D’autres surprises viendront aussi mais je les laisserai vous surprendre. Un dernier mot ... Je tiens à vous faire savoir que la main du peuple ne détermine pas un visuel, c’est tout un concept et un mode de vie . Le street art est l’expression artistique d’actualité, ouverte à un public comportant toutes les tranches de la société et que pour réussir, il faut être indépendant et autonome et cela est incarné dans le street art.
En quoi la rencontre avec les arts et les artistes à Venise peut contribuer à la promo-
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QUAND LES MURS CACHENT DES LÉGENDES AIN SBAA REVIT DE SES CENDRES Kenza BITAM
l’art est un moyen d’évasion aussi bien pour l’artiste que pour celui qui le contemple, c’est un méli mélo de créativité, de liberté, de folie, de rêve et d’émotion, mais aussi de spontanéité, de beauté, de noblesse et surtout de partage. L’art n’a pas de définition, le définir serait le limiter. Yasmine Ait Kaci Ali, âgée de 21 ans, est étudiante en médecine vétérinaire à l’université de Blida. Elle est depuis son plus jeune âge une grande passionnée d’art, plus particulièrement de dessin et de peinture. Elle a grandi dans la ville de Médea, à 24 km au sud de Blida, c’est làbas, en 2018, qu’elle intègre un club artistique nommé “Al Akwas” où elle eut l’occasion de développer son art et surtout de le percer au grand jour. Elle a une vision très prometteuse de l’avenir, et elle ne compte en aucun cas mettre son talent de côté; bien au contraire le développer et allier ainsi vie professionnelle et vie artistique. Pour Yasmine, le dessin est l’un des Walid saoudi plus beaux moyens d’expression. Sur papier ou sur des murs, elle n’hésite pas à y mettre du sien et à laisser sa marque car selon elle, l’art fait vivre et revivre. En effet, le 3 mai 2019 lors de l’événement “l’art est public” organisé un peu partout sur le territoire national par un groupe de jeunes passionnés, que Yasmine Ait Kaci Ali use de tout son savoir-faire pour raviver la légende longtemps oubliée du quartier de Ain Sbaa. Pour ceux qui ne connaissent pas encore cette légende , “Ain Sbaa” est un quartier situé au cœur de l’ancienne Médina de Blida, reliant le boulevard “Elaarbi Tbessi” et l’ancien souk de la ville. Le quartier est ainsi appelé car la légende raconte qu’autrefois, avant que le quartier ne soit ce qu’il est, était une forêt sauvage qui cachait une source “El Ain”, et quotidiennement, un lion
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“Sbaa” venait s’y abreuver et c’est de là qu’aujourd’hui le quartier tient son nom. L’architecture du quartier est un mélange entre colonial et mauresque à la fois, il est un lieu de passage inévitable pour tous les Blidéens souhaitant se rendre en ville ou au souk. C’est sur le mur du collège “Les Orangeries” dans le quartier d’Ain Sbaa, que Yasmine a fait œuvrer toute sa créativité et a déployé son talent pour peindre une imposante fresque d’environ 2 mètres de hauteur et de largeur avec une majestueuse tête de lion, impressionnante et grandiose à la fois. Pour son chef-d’œuvre, Yasmine a utilisé de la peinture murale aux couleurs vives et chatoyantes pour ne laisser indifférent aucun passant et pour le plus grand plaisir des petits et des grands ainsi que celui des amateurs d’art et de belles choses. Grâce à l’art et au talent inné de Yasmine Ait Kaci Ali, une partie de l’histoire de Ain-Sbaa a pu renaître et la ville des roses a désormais de quoi être fière.
Walid saoudi
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EL HALQA MISE EN LUMIÈRE D’UN CAPITAL ARTISTIQUE ALGÉRIEN Yasmine LATRÈCHE
En tant que spectatrice intéressée, je porte une très grande attention aux activités artistiques. J’ai constaté dans le théâtre plus précisément, la forte présence des traditions culturelles et littéraires Algérienne, à travers le théâtre d’ “El Halqa” qui représente un héritage culturel varié et des valeurs artistiques combinées. Aujourd’hui, nous allons voyager en immersion dans ce patrimoine commun à tous les peuples d’Afrique, El Halqa, une manifestation culturelle ancienne basée sur le conte et la narration orale. Autre fois, El Halqa qui était appelée théâtre du cercle, comportait un personnage essentiel: “El Goual” ou “El Meddah”; un conteur itinérant qui incarne plusieurs personnages à travers ses récits, ses contes et ses légendes pleines d’humour, d’énigmes et de sagesse. Dans les premiers temps, El Halqa avait lieu dans les marchés, les places publiques ou du© Tissilawn rant les cérémonies religieuses. Pour mieux entendre le conteur, les auditeurs se disposaient naturellement en cercle. En effet, le jour du marché hebdomadaire, un groupe de gens se forme en cercle au centre duquel El goual, raconte et titille l’imaginaire populaire en attente d’une morale à chaque fin d’histoire. Auteur inconnu Le conte populaire, riche par ses idées et son imagination, est la base d’El Halqa qui, du fait de son aspect patrimonial, a été une source d’inspiration pour les hommes du quatrième art. Elle structure aussi les danses, les chants et la musique pour habiller l’ambiance de couleurs festives. Étant considérée comme un espace ouvert dans lequel se rencontrent les gens, El Halqa s’est transformée en un espace fermé après l’emploi de ses techniques dans le théâtre. Avec le temps, elle est devenue une forme de théâtre, dont les précurseurs en Algérie sont: Ould Abderrahmane Kaki, Abdelkader Alloula, Kateb Yacine et Slimane Benaissa et d’autres. Allalou fut le premier à avoir eu l’idée d’écrire une pièce en darja, et sous forme de Halqa; “Djeha”. Ses pièces ont eu un énorme succès, car pour la première fois les gens sentaient qu’il y avait quelque chose qui les liait. C’est là, le vrai départ du théâtre algérien. Allalou a adapté les contes
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de Djeha, il a pris l’idée et en a composé une pièce en s’inspirant de la société algérienne. La mise en scène s’est améliorée grâce à l’apport des jeunes après l’indépendance avec Mustapha Kateb et Allel El Mouhib notamment. À l’époque, le public ne s’intéressait pas à la mise en scène. Ce qui intéressait, c’était le jeu des artistes, le texte et le sujet de la pièce. Abdelkader Alloula a crée un nouveau théâtre de tonalité majeure puisant dans le patrimoine et la culture populaire en faisant appel à la tradition d’El Halqa et du Meddah en matière dramatique. Il a apporté sa contribution à l’émergence d’un théâtre algérien qui a pu se caractériser et fournir à son tour des éléments nouveaux au théâtre universel. Un théâtre de critique sociale, basé sur le compte et la narration orale, à la fois engagé et d’intervention. Même si c’est un théâtre qui a pour support le dire, il appelle à l’action, à la transformation de la société, et à l’optimisme et la joie. L’expérience d’El Halqa en Algérie a débouché sur plusieurs œuvres théâtrales qui sont le résultat de recherches, telles que les pièces “El garrab ouasalihine”, la trilogie “Legoual”, “Al ajawad” et “Ellitham”, mixant la forme primaire d’El Halqa, à une trame événementielle élaborée avec les techniques théâtrales modernes. El Halqa est un art populaire traditionnel et un moyen d’expression où l’on communique ses sentiments, ses préoccupations, et ses espoirs. Après cette découverte, on réalise la nécessité d’un plus grand intérêt pour cet art qui véhicule la mémoire des peuples, et le retour à ce genre artistique est un retour aux racines.
Auteur inconnu © Deran www.monokromemag.com I 37
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RACONTE-ARTS : LE CHANT DES VILLAGES Ghenima AHMED SAID
Communément, les villageois doivent se déplacer jusqu’en ville pour assister à un concert ou une performance musicale quelconque. Aujourd’hui, Raconte Arts a fait que les villages de Kabylie soient un lieu de rencontre et de création artistique. Étant devenue une tradition chez les habitants du Djurdjura, ce festival s’installe dans un nouveau village chaque année. Après les événements de 2001, la Kabylie fut triste par la perte de ses enfants; un écran noir s’est installé donc sur ses montagnes, silence, mélancolie … rien ne respirait la vie. Un festival à l’image du Raconte- Arts, à ce temps là, était une nécessité pour redonner vie aux villages. Arrivé à sa quinzième édition en 2018, le festival Raconte-Arts s’est déroulé dans le plus haut village de Kabylie, situé à 1197 mètres d’altitude, dans la Wilaya de Tizi Ouzou, plus précisément dans la commune d’Abi Youcef “At Bu Yusef” de la Daïra d’Aïn El Hammam. Tiferdoud “Tiferdud” a remporté le premier prix du village le plus propre de la wilaya en 2017, mais, il s’est avéré qu’un autre défi attendait les villageois, celui d’accueillir les participants et les visiteurs du festival. Cette édition, intitulée « Tizi n leryah» (les vents hurlants), était riche et pleine de découvertes. Comme à chaque édition, les ruelles du village étaient pleines de vivacité grâce à l’art, notamment la musique dans toutes ses couleurs. Entre amateurs et professionnels, algériens et étrangers, il n’y avait aucune frontière; tous parlaient la même langue, et ont préféré la rue pour se produire. Plusieurs endroits du village furent exploités, même ceux près du cimetière, là où se rencontrent la vie et la mort. Parmi les découvertes qui ont marqué les villageois et les visiteurs, “Iwal”, ou “avenir meilleur” en dialecte chaoui, un groupe de musique Chaoui, ayant essentiellement pour membres Faysal et Nesrine, qui sont accompagnés par d’autres musiciens. Selon eux, pour arriver à une société meilleure, l’art et la culture sont des éléments indispensables dans lesquels il faut 38 I www.monokromemag.com
Auteur inconnu investir. Afin de connaître leur avis concernant le festival et l’art en rue, une interview eut lieu avec Nesrine. Vous avez participé à deux éditions de Raconte-Arts. Que représente ce festival pour vous ? Au Raconte-art, Il n’y a pas de place aux protocoles ou aux clichés. On retrouve une relation directe et spontanée entre l’Homme et l’Art. Pour résumer, c’est un retour aux sources de l’être humain conscient : convivialité, solidarité, tolérance, joie de vivre... C’est un honneur pour nous de faire partie de ce monde-festival. Son caractère indépendant est le secret de sa réussite. Personne n’est roi, personne n’est maître. Tout le monde a besoin de tout le monde. Tous travaillent côte à côte; villageois, organisateurs, artistes, artisans, touristes... Chacun donne ce qu’il a sans rien attendre en retour. C’est un festival citoyen au sens propre du mot. Pour nous, ce festival, est la matérialisation d’un idéal qu’on cherche à atteindre, pour dire que tout est possible et qu’on peut coexister malgré toutes nos différences ethniques.
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Auteur inconnu Vous avez certainement participé aux performances dans les ruelles du village. Selon vous, Quelle est la différence entre se produire dans une salle de concert et dans la rue ? Loin de tout préjudice, on n’a pas besoin d’agents de sécurité pour nous protéger. On se protège mutuellement en cas de problème, chose qui n’est- jusque là- jamais arrivé. Au soir, des familles entières; hommes, femmes, vieillards, enfants... tous, tabourets à la main, cherchent le spectacle du jour, dur pour eux de choisir. Au Raconte-Arts, le sens de performance artistique prend tout son sens. Dans la rue, ou même sur la grande scène, le public et l’artiste n’en font qu’un. Nous, autant qu’artistes, considérons que sentir le public est la plus belle chose qu’on puisse espérer lors d’un spectacle; on peut entendre son souffle, sentir sa chaleur, voir son regard, comprendre ses émotions. Cela nous donne plus d’énergie, plus de volonté à aller de l’avant, de nous surpasser et offrir le meilleur de nous même. Dans les salles de concerts tout est réglé à point. On a une meilleure qualité sonore et on peut réaliser un spectacle professionnel parfait. On ressent aussi le public, on vit avec lui le moment, sauf qu’il est tellement loin et plongé dans le noir que notre complicité se voit diminuer. A vrai dire, chacune des situations a son propre charme.
La chanson “chaouie” a été depuis le temps censurée, et on ne connaissait d’elle que le folklore ou des chansons utilisant les rythmes chaouis mais qui étaient d’expression darja. Dès notre première prestation, beaucoup furent agréablement surpris, d’autres soulagés d’entendre du chaoui dans des chansons “chaouies”. Nous avons offert au public des sonorités nouvelles, qu’ils ont adopté de suite. Nous étions très contents du résultat. On a compris aussi que beaucoup n’attendaient que ça; que les chaouis reprennent du terrain! Ce qui a plu aussi, c’est qu’on a cassé cette image du chaoui rustre que beaucoup malheureusement avaient de nous. Le fait qu’on soit un couple sur scène, et les textes modernistes qu’on chante ont révélé au monde la vérité sur notre culture. Raconte-Arts est un festival qui investit la rue. Pensez-vous que c’est le meilleur moyen pour faire promouvoir votre art ? Raconte-Arts a permis à l’art de renouer avec la rue là où il est né. Il est vrai que, dans la rue, nous n’avons pas tous les moyens techniques pour reproduire notre travail artistique. Mais le fait d’y jouer, nous permet de tester notre produit, d’apporter des arrangements, trouver d’autres sources d’inspirations... L’avantage dans les spectacles de rue à Raconte-Arts, c’est aussi faire de nouvelles rencontres artistiques, réaliser des fusions, et créer des passerelles entre différentes disciplines artistiques: musique, danse, mime, peinture... La rue représente une importante escale dans la vie de l’artiste lui-même. La D’après cette expérience, comment est- création vient de la rue. Le développement se ce que les gens accueillent-ils la chanson fait individuellement, puis on retourne à la rue Chaouie ? pour revoir les dernières retouches. La rue est omniprésente, elle est source de tout. www.monokromemag.com I 39
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EL HARRAZ . . . LE THÉ TRE ENVAHIT LES RUES Fariza CHEMAKH
Dans la rue, les histoires commencent et, à partir de la rue, les révolutions se soulèvent, aux cœurs des rues les arts naissent et grandissent. Le théâtre de rue est l’un de ces arts qui ont investi les rues dès l’antiquité. De toutes ses formes: pantomimes, contes, carnaval, etc., il est souvent accueilli dans les villages est les lieux publics des villes à travers le monde dans des rassemblements festifs. Il est, donc, un art de questions sociales, un théâtre de peuple, une forme de représentation dans des lieux publics et des espaces ouverts; des lieux où il est possible de rassembler un grand nombre de personnes. Il ne nécessite ni paiement de place ni rassemblement d’un public spécifique ou déterminé. En Algérie, le théâtre de rue est connu depuis les temps anciens sous forme de représentations et des chants se déroulant dans les places publiques ou durant les cérémonies religieuses. De plus, El Meddah, un conteur itinérant emprunté aux marchés et aux places publiques, est à l’origine de l’apparition de cet art. Dans les temps modernes, plusieurs initiatives ont été lancées pour promouvoir la production théâtrale destinée pour la rue à l’exemple d’EL Harraz, le spectacle du Théâtre Régional Abdelkader Alloula d’Oran, produit en 2018. El Harraz, texte du patrimoine mondial, écrit à la fin du IXe siècle par le poète Marocain Cheikh Makki ben al-Qurashi, est un spectacle de rue d’une demi-heure, mise en scène de la jeune artiste Leila Touchi, et interprété par nos jeunes comédiens, qui sont descendu de la scène vers la rue pour nous ramener au temps des dires, des légendes et des récits. Le spectacle, qui été en tournée dernièrement dans plusieurs villes en Algérie, notamment à la place de l’Emir Abdelkader à Alger, a réussi à attirer un public de passants surpris par une représentation théâtrale devant eux et qui se sont rassemblé pour suivre et encourager les comédiens qui ont émis une émotion charmante dans leurs cœurs avec leurs chants et démonstrations. Comme toutes les performances de rue, El Harraz ne nécessite ni éclairage, ni décoration, ni musique. La lumière naturelle sert d’éclairage commun pour toutes les scènes. Le décor se transforme avec le mouvement comme une sorte de jeu artistique. Il n’a pas besoin des effets et des sons, par contre, on a utilisé des rythmes et des chants vivants, tous joués par les comédiens, qui sont l’âme de cette performance. Aujourd’hui, MONOKROME accueille Leila TOUCHI et Zahia AITISSA pour nous parler de leur expérience et de l’importance du théâtre de rue. Qui sont Leila Touchi et Zahia Aitissa ? Zahia : Zahia Aitissa de Tizi-Ouzou. Je suis comédienne et étudiante en Arts de spectacle, spécialité arts dramatiques, à l’Université d’Oran. J’ai commencé le théâtre très jeune. En 2013 j’ai intégré le Théâtre Régional KATEB Yacine de Tizi-Ouzou en participant dans la production intitulé “Tilleli”. Après mon départ à Oran, j’ai travaillé dans plusieurs productions à 40 I www.monokromemag.com
l’université et avec la troupe que j’ai créé avec un groupe d’amis. Dernièrement, j’ai intégré le Théâtre Régional Abdelkader ALLOULA d’Oran en participant dans El Harraz. Leila : Comédienne Algérienne. J’ai commencé très jeune au conservatoire el Ismailia, comme j’ai travaillé dans troupes de fanfares et de musique à Fouka, puis je suis rentrée au Conservatoire d’Alger, où j’ai étudié “Interprétation Théâtre et Cinéma”. Après le conservatoire,
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j’ai rejoint le Théâtre National Algérien, puis d’autres théâtres régionaux. J’ai participé dans plusieurs productions théâtrales de rue ou sur scène, également, j’ai travaillé dans plusieurs productions TV. Pouvez-vous nous parler de votre expérience ? Zahia: Ma participation dans cette production était une expérience avantageuse. C’est une expérience qui m’a permis de comprendre et de gérer la différence entre la scène, la salle de théâtre et la rue. Leila : Auparavant, j’ai joué dans El Harraz en étant comédienne, une mise en scène Adila Bendimrad, qui m’a initié au théâtre de rue. Puis je me suis lancée dans cette aventure en travaillant sur d’autres spectacles tel que “Sawt Essamt” en 2014, puis j’ai produit El Harraz, cette magnifique aventure, qui m’a permis de découvrir de nouvelles énergies dans le théâtre. Puis, l’expérience de théâtre de rue nous ouvre sur la société le public et ses préférences. Une forme théâtrale absente de la sphère en Algérie, pourquoi un spectacle de rue? Leila: Ce genre de manifestations nous rapproche du public, des gens et de la société en général. Notre but est de promouvoir le théâtre, en général, et en second lieu, on travaille pour la récupération des espaces publics et redonner la place et la valeur aux arts et la culture dans nos rues, nos villages et nos villes. Pourquoi vous avez choisi un texte du patrimoine, et pourquoi celui d’El Harraz plus précisément ? Leila : Comme j’ai joué dans El Harraz auparavant, j’ai remarqué que les gens ont aimé ce genre de texte du patrimoine, il attire leur attention et les met à l’aise pour suivre un spectacle en pleine rue, alors, j’ai décidé de reproduire ce même texte avec ma propre conception dans le but de transmettre surtout notre patrimoine aux nouvelles générations. Et dans ce même contexte, j’ai adapté, produit et j’ai joué dans un autre spectacle intitulé Ghriba, d’après la célèbre chanson de Idir, un spectacle avec lequel j’ai participé au Festival International d’Aurillac en France, et j’ai été surprise et émue par l’interaction du public qui connaissait la chanson traduite en plusieurs langues, alors c’était une bonne idée de transmettre l’histoire complète
à travers un spectacle de rue, qui est le meilleur moyen d’attirer l’attention et de transmettre l’information. D’après l’expérience d’El Harraz, quelle est la différence, en termes d’interaction, entre la boite italienne et la rue ? Zahia: En termes d’interaction, dans la rue, le quatrième mur n’existe pas, contrairement à la scène, ou le comédien est séparé du public par un mur imaginaire. De plus, La salle de théâtre nous assure la protection et le confort, ce qui n’est pas le cas dans la rue, où on est confronté à toutes les mentalités, ce qui rend la tâche de satisfaire le public plus difficile. Du côté technique, le comédien est dans l’obligation d’investir toutes ses capacités vocales dans un espace ouvert et devant un public qui intervient à chaque fois, et ceci pour pouvoir transmettre son message et compléter sa tâche.
Pensez-vous que la production théâtrale en Algérie devrait investir la rue comme espace de spectacle ? Leila : Oui, il faut investir les rues et jouer dans les rues. Auparavant, on travaillait avec nos propres moyens dans le but de promouvoir l’art dans les rues, petit à petit on a réussi à attirer l’intérêt de certains responsables, à l’exemple du Théâtre Régional d’Oran qui m’a invité pour organiser un atelier d’initiation au théâtre de rue, puis on a monté El Harraz qui a marqué une influence sur la production théâtrale en Algérie. L’art dans la rue est nécessaire pour promouvoir l’art, récupérer le public, et c’est pratiquement le seul moyen pour avoir un public mature et cultivé. Un dernier mot … Zahia: Le théâtre reste un monde très vaste qui incarne la réalité, et je trouve que c’est un art sacré dont je suis fière d’en faire partie. Laila : Pour le théâtre de rue il n y aura pas de fin, et je souhaite que tous les artistes prennent l’initiative de présenter dans la rue, et je ne dirais pas uniquement le théâtre mais tous les arts; la danse, la musique, la peinture… On doit être unis pour apporter le changement qu’on aspire.
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LES ARTS CODÉS : LA SPLENDIDE VIE NUMÉRIQUE Insaf Maissa MESSAOUDI Deux décennies ont été amplement suffisantes pour que l’ordinateur, artefact technologique principal de la fin du 20 e siècle, interfaces, réseaux et tout dispositif numérique, plébiscitent pour longtemps de manière immuable le domaine artistique et qu’une différente forme d’art prenne lieu et se manifeste de façon indiscutable: LES ARTS CODÉS et pour qu’une certaine catégorie d’artistes a pris d’assaut ces matériaux nouveaux pour s’exprimer, interroger, découvrir; avec un vocabulaire binaire, des codes, de nouveaux langages qui définissent une nouvelle culture; la culture de l’art numérique. La technologie numérique a pu enfoncé peu à peu toutes les formes d’art traditionnelles: le cinéma, la vidéo et la télévision, la littérature et les arts du spectacle. Il s’agit d’un domaine qui submerge les frontières de la sphère artistique vers les secteurs de l’économie, les entreprises et les industries de l’innovation numérique, la pratique urbaine et le street art. Avec l’arrivée de ces nouvelles technologies, on voit naître toute une culture autour mais également des mouvements artistiques liés au numérique en particulier dans le domaine de L’art interactif. Ce phénomène est né au début des années 1960 grâce à son adaptation avec la technologie. L’installation immersive et interactive est une œuvre d’art visuel tridimensionnel qui fait plonger les spectateurs dans l’imaginaire paradoxal de l’écologie et de l’anthropocène. Elle implique des œuvres d’art classiques, elles peuvent être peintures créant une relation avec l’espace et il en va de même pour la sculpture et les nouveaux médiums comme la vidéo, internet, ou la photographie. Le support numérique permet de se réapproprier des médiums qui existaient déjà, surtout d’établir une dimension artistique nouvelle liée à un nouveau mode de perception du système par l’interactivité©etLiis la perman reconnaissance des symboles qui orientent les sens de l’observateur vers les sensations et les sentiments qui font naître en lui de vives réflexions et méditations. Aujourd’hui encore, l’art numérique favorise un autre genre de culture; la culture de l’image, de l’éphémère, de l’instantané. La culture du street art et pendant une cinquantaine d’années d’existence, n’a pas pris une seule ride et préoccupe actuellement une place remarquable dans l’art contemporain, et pareillement était le cas de l’avènement de l’art urbain numérique qui enrichit la palette innovante et créative du street art à travers des dispositifs connectés, tel que le code matricielle ou le GIFitty; un genre de graffiti conceptualisé en GIF. De nos jours, les barrières entre les arts urbains et le monde du numérique s’évaporent en augmentant peu à peu et c‘est ce que nous avons pu voir en 2014 à Paris avec le projet “Reconquête Urbaine” qui opère comme un coup de projecteur temporaire et artistique au cœur d’espaces délaissés, frontières intercommunales du Grand Paris en devenir. Le développement et l’avancement des nouvelles technologies numériques a permis l’émergence d’une nouvelle forme d’expression artistique: l’art de la photographie numérique. Les artistes en quête de poésie artistique de l’image, à l’aide de photos et de logiciels de retouche et de modification peuvent métamorphoser une simple photo prise par une caméra en une incroyable œuvre d’art 44 I www.monokromemag.com
Mairie de Paris
tout en modifian graphie numéri numérique a po
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nt les couleurs, les formes, la luminosité, le contraste pour avoir les filtres et effets recherchés. La photoique est un outil permettant à l’artiste de transmettre ses propres sensations et de ce faire, l’époque du opularisé l’acte photographique et a apporté divers changements dignes d’intérêt et de considération.
en ces derniers temps, les artistes ont commencé de se familiariser avec ce phénomène technologique vers une exposition artistique organisé à l’honneur d’un grand artiste, Nazim Laksi; designer infographe ne collection de ses œuvres numériques en informant sur ce genre d’Art qui commence à conquérir de révolution technologique. al ainsi que la réalité virtuelle achèveront un jour par prendre le dessus dans nos vastes peintures mues, et en faire intervenir une dose dans l’art de la rue en a évacué le chemin pour de nouvelles possibilités tière binaire qui poussent les artistes de rue à se faire tout à la fois des peintres créateurs et ingénieurs.
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L’ART DE L’ILLUSION NUMÉRIQUE HAKANAI Narimene LOURDJANE
Romain Etienne et Virginie Serneels
L’art urbain s’est développé et diversifié au fil des années, les artistes se sont d’abord approprié les rues, désormais ils explorent une nouvelle opportunité grâce à l’univers numérique, qui leur permet d’étendre leur art, d’occuper de nouveaux espaces et de créer un nouvel horizon à l’art contemporain en imaginant de nouvelles compositions graphiques. C’est dans cette optique que certains artistes exploitent les nouvelles technologies, dans le but de concevoir de nouvelles pratiques artistiques. Une philosophie qui a permis la création de disciplines inédites, telles que le Hakanaï. La Compagnie Adrien M/ Claire B, a eu la judicieuse idée de combiner l’univers digital au visuel réaliste, ce qui a donné naissance au Hakanaï, cette chorégraphie atypique conjuguée à des illusions numériques aux multiples formes. Un spectacle qui vous fait voyager dans les profondeurs d’une vision abstraite et raffinée, grâce aux mises en scène graphiques imaginées par Adrien Mondot. Adrien est un artiste multidisciplinaire, informaticien de formation, il a choisi d’en user afin de partager sa vision minimaliste de l’art moderne, et ce, en collaboration avec Claire Bardainne, une artiste aux multiples facettes, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, elle a fait du design graphique et de la scénographie son monde. Leurs chemins se sont croisés en 2010 à l’occasion d’un laboratoire de recherche, où Adrien avait convié plusieurs artistes afin de travailler sur son logiciel “eMotion”. Leur amour commun pour le graphisme minimaliste les a rapproché. Dès lors une association a vu le jour en 2011 avec la création de la Compagnie Adrien M/ Claire B.
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Romain Etienne et Virginie Serneels C’est en 2013, que cette performance inédite, conjuguant une représentation rythmique à un univers numérique changeant, a vu la lumière. Hakanaï tient son origine de la langue japonaise, un terme ancien qui signifie “fragile”, employé pour définir “ce qui est entre le rêve et la réalité”, un spectacle qui porte bien son nom, car il ouvre à ses spectateurs une porte entre le réalisme et la rêverie. Des nombres, des formes géométriques, des murs, des grilles, même une déferlante de pluie lumineuse, toutes ces illusions flottantes merveilleusement accompagnées d’une danse délicate et en parfaite harmonie, offrant un spectacle à la limite de la plénitude, au vu de sa caractéristique apaisante et féérique. Une prestation gymnique réalisée par la talentueuse Claire. Cette combinaison donne lieu à une interaction nouvelle et originale entre le monde réel “l’humain” et le monde virtuel “numérique”. Une composition sonore est réalisée en direct, donnant naissance à une mélodie relaxante, afin de créer une atmosphère légère qui vous transporte, laissant votre esprit rêveur vaguer, tout en le maintenant accrocher par la beauté de la graphique. Cette performance éveillera vos sens : visuel, sonore ainsi que votre esprit créatif. Ces artistes ont choisi de transmettre une image différente de l’univers binaire, Adrien livre sa conception de l’art numérique, paru dans le Digital Arti: “l’idée commune à nos travaux est de se libérer des sentiers conventionnels plastiques en empruntant à la danse le mouvement des corps. De façon générale, le mouvement graphique des images ne nous intéresse que s’il est associé au corps humain”. Sa collaboratrice Claire partage cet univers et revendique leur empreinte graphique avec ces termes “d’une certaine façon autant revendiquer une approche graphique différente. Notre univers monochrome et minimaliste tranche avec la réalité. Nous avons une grande exigence dans la construction des images et notamment la volonté d’aller vers des éléments très purs qui narrent l’essence d’une chose”. Le Hakanaï est une discipline qui trouve son essence dans la fusion d’un domaine artistique, dont l’esthétique est totalement subjective, avec l’univers numérique où ne subsiste qu’une logique binaire figée. Deux univers que tout oppose, et pourtant qui semble si complémentaire sur scène. Kant a dit “le jugement de goût est esthétique. Pour distinguer si une chose est belle ou non, nous n’en rapportons pas la représentation à l’objet au moyen de l’entendement en vue d’une connaissance, mais au sujet et au sentiment du plaisir ou de la peine, au moyen de l’imagination, le jugement de goût n’est donc pas un jugement de connaissance; par suite, il n’est pas logique, mais esthétique; on veut dire par là que son principe déterminant ne peut être que subjectif”. Il est à vous donc de juger de la beauté de cette discipline dont l’origine ne répond qu’à une logique de données arithmétiques. www.monokromemag.com I 47
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JELLE LIBERMAN : À LA CROISÉE DES ARTS Idris FELFOUL Jelle a commencé à peindre dans les rues d’Amsterdam dans les années 2000, avant de se tourner vers les nouvelles techniques de photographie moderne, passant du flop au calligraffiti, transformant le light painting en performance live, faisant évoluer ses esthétiques sur les murs, les images et les corps. Comment êtes-vous arrivé au monde du street art ? Je suis tombé dans la culture hip hop à l’adolescence, la musique a toujours influencé ma manière de voir le monde. J’ai rencontré des artistes qui ont commencé à travailler avec des marques et des entreprises, Cela était motivant pour moi mais, en réalité, leurs projets n’étaient pas aussi intéressants que les techniques adoptées dans la rue, j’ai donc commencé à exploiter ce domaine et travailler sans penser à l’argent. Pourriez-vous nous parler de votre parcours. Comment êtes-vous passé du graffiti à la photographie numérique et plus précisément au light painting ? Autrefois, je parcourais les rues pour dessiner, j’y ai appris à m’amuser et à devenir un peu voyou, mais aujourd’hui il arrive souvent que nous travaillions en équipe mais personnellement, je n’aie plus de temps ni de l’énergie à consacrer aux dessins muraux, j’ai donc commencé à aimer mes propres couleurs numériques et continuer à perfectionner de plus en plus la technique de prise de vue, et la manière de travailler avec la lumière.
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Trouvez-vous une liaison entre les deux ? Il n’y a, à mon sens, aucun rapport ou lien entre les deux .Ce sont deux domaines qui sont assez éloignés l’un de l’autre mais ça me plaît le fait que je me relie toujours à la rue. Votre goût pour la photographie était-il lié à une aspiration artistique ? Je pense que la photographie et le graffiti étaient une excuse pour m’extraire de chez moi. L’exploration de la ville, de ses rues, la découverte de chaque recoin, des terrains, tout cela était bien plus palpitant que de rester chez moi. Il ya quelque chose d’unique dans votre galerie, parlez-nous de votre processus de création J’adopte toujours le même flux de travail, après avoir trouvé et étudié le bon réglage entre l’appareil photo et le logiciel «camera raw». Je déteste les filtres préfabriqués, je travaille avec un soin extrême sur la tonalité de couleur pour obtenir un résultat équilibré et aussi proche que possible de ce que je souhaite avoir, profitant bien évidemment de la bonne exposition de la photo à la lumière. J’aime les photos qui ont du caractère vif et symétrique. Où trouvez-vous votre inspiration ? Généralement les lieux dans lesquels je me trouve sont inspirants en eux-mêmes. Il est important de bien choisir l’endroit et le cadrage idéaux.
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Quel type de caméra utilisez-vous ? J’utilise un canon 7d mark II depuis 3 ans. Personnellement, je suis assez satisfait de cet appareil photo. Avez-vous une image en tête lorsque vous photographiez ? Vos images sont-elles également le résultat d’une phase de post production? En général, j’aime bien étudier les lieux, je dispose déjà des images de base avant la prise de vue, mais après le traitement, les résultats peuvent être encore meilleurs. Mais je dois dire que le traitement n’est pas toujours satisfaisant. On ressent dans vos dessins de lumière une énergie débordante. Comment arrivez-vous à réaliser ces fabuleux cercles lumineux ? J’ai commencé à imaginer des formes afin de créer des sculptures de lumière qui semblent réelles. On appelle ça du light painting, cette technique basée sur la captation de la lumière, et qui requiert une longue exposition lors de prise de vue me permet de modeler mon propre monde en utilisant des dizaines de sources lumineuses. Je me suis dit que cela serait pour moi le meilleur moyen de m’exprimer et de créer quelque chose d’unique. L’un des défis les plus importants est bien évidemment lié au fait de ne pas voir le dessin que vous êtes en train de réaliser vu que le travaille se fait majoritairement dans des conditions nocturnes et d’éclairage réduit. C’est pour cela que je dois prévoir et planifier une chorégraphie et retenir les mouvements et c’est ainsi que j’obtiens à chaque fois de bon résultats.
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Quel type de lumière utilisez-vous ? Un de mes outils de lumière préférés est un câble électroluminescent. Il est flexible, ce qui le rend d’autant plus pratique, permettant ainsi de le plier dans des différentes directions pour créer des formes adaptables plus lisses. J’ai également une sélection de lampes LED et des filtres colorés. J’imagine que vous avez beaucoup de projets en tête … Effectivement, je travaille actuellement sur une série de portraits en utilisant de la lumière UV. L’idée étant de mélanger les visages de lumière avec des formes géométriques lumineuses. En plus de cela, je travaille également en studio sur de nouvelles techniques de lumière et des expositions collectives sont à venir.
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MURMURES, LE GRAFFITI EN ALGÉRIE LE FILM Smail LIF
Le graffiti est une manière de s’exprimer, c’est-à-dire prendre la ville en tant que support pour faire passer un message ou une émotion. Les graffitis existent depuis des époques reculées, dont certains exemples remontent à la Grèce Antique. Puis en 1960, un livre Graffiti, fruit de 30 ans de recherches, régulièrement réédité, par Brassaï propose le graffiti comme une forme d’art brut, primitif. C’est la première fois que l’on évoque le graffiti comme un art. Mais le fait d’inscrire son vécu sur un mur remonte à très loin comme l’on peut voir sur les murs du Tassili N’ajjer, lorsque l’homme préhistorique a mentionné son quotidien avec des dessins. Cette forme d’art s’est beaucoup répandue en Algérie lors de la guerre de l’indépendance, le peuple mettait des messages soutenant la cause nationale, à l’exemple de ”FLN, Un seul héro le peuple”.
“Murmures, le Graffiti en Algérie” est un reportage réalisé en février 2017 par Nisrine Benyahia dans le cadre de l’élaboration d’un projet de fin de formation dans le domaine de l’audiovisuel. C’est aussi l’unique film algérien qui parle de l’art du graffiti en Algérie. Dans ce reportage, la réalisatrice a rencontré plusieurs personnes qui ont parlé de cet art chacun à sa manière. “Ce mouvement qui est né dans la rue, est un art de contestation ou d’esthétique dont tout le monde a eu besoin, de la préhistoire jusqu’à nos jours. On a toujours dessiné, sur les murs des grottes ou sur les murs de la ville pour exprimer quelques choses …” déclare Mme. Aidoud, professeure à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts.
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Le graffiti tel qu’on le voit maintenant est issu de la culture hip hop qui nous vient des ÉtatsUnis d’Amérique. Et actuellement en Algérie, il y a différentes approches de cette forme d’art. L’approche standard qui est à la portée de tout le monde, n’importe qui peut mentionner le nom de son amant sur un mur ou peut-être un fidèle de son équipe de foot, ou comme on retrouve une autre catégorie qui ont un soucis d’esthétique et tiennent à mettre du cœur dans leurs dessins avec des couleurs et des formes. On découvre à travers ce reportage, Sadik et Vato qui sont tous les deux artistes graffeurs, et qui n’ont pas hésité à donner leurs avis et parler de leur pratique du graffiti. On sentait leur amour pour ce qu’ils font dans leurs paroles. “C’est parce que j’ai trouvé une certaine liberté dans l’expression quand on fait du graffiti… Ya pas de frontière… On fait ce qu’on veut comme on veut… dans le graffiti tout est permis”.
La bande sonore utilisée dans ce reportage était aussi intéressante, le choix de la réalisatrice était minutieux, car on y retrouve une charte aussi proche du thème du film. Nisrine Benyahia a choisi des morceaux du compositeur “El 3ou” et surtout la chanson de “Diaz – MBS” dont les paroles ont attiré l’attention du spectateur étaient ﺨﻠﻴﻪ ﻳدﻳﺮ واش ﺤﺎب, ou laisse-le faire ce qu’il veut en darja, c’est tout une synchro qui valorise cet art et qui dit aux gens de laisser ces artistes s’exprimer, peindre, faire du graffiti tout simplement. “Pour le tagueur, pour la personne qui travaille le graffiti, c’est de laisser la trace, ça peut même être éphémère… ” Mme. Aidoud Nous découvrons aussi sur ce film, que les graffeurs adorent les sensations fortes et prendre des risques lorsqu’ils mettent des tags sur les hauts des immeubles ou quand ils dessinent à côté des rails du train. Ils rencontrent chaque jour des risques importants, tomber du haut d’un échafaudage, être écraser par un train ou même se faire attraper par la police. A la fin du film, on retrouve un aspect promotionnel du graffiti lorsque la réalisatrice nous emmène découvrir “EL MEDREB”; une expérience bénéfique pour le graffiti en Algérie où des graffeurs se sont réunis dans un espace délaissé: un hangar de l’ETUSA quelque part dans le quartier de Belouizdad. Malheureusement, peu de temps après cet endroit a été détruit par les autorités et devenu une décharge.
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“En gros c’est les performances des graffeurs qui créent les événements et non les événements qui créent les performances des graffeurs”
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PORTRAIT DE FATMA ZOHRA ZAMOUM Smail LIF
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Fatma Zohra Zamoum, née un 19 Janvier 1967 à Bordj Menaiel Wilaya de Boumerdes en Algérie, est réalisatrice, scénariste et écrivaine algéro-française. Son dernier film long-métrage tout récent s’intitule “Parkour” d’une durée d’une heure et demi qui décrit des réalités de la société algérienne à travers un parcours très complexe que subissent les femmes et les jeunes chaque jour. Fatma Zohra Zamoum est issue d’une famille de la classe moyenne algérienne, anciennement grande famille aristocratique de province, déshéritée par la colonisation française. Elle choisit de faire des études à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger après son baccalauréat scientifique. Elle réalise de nombreux court-métrages expérimentaux avant de se tourner vers la fiction. Pour cela, elle apprend à écrire en fiction et obtient le prix de la Hubert Balls Fund en 2001 pour le développement de son premier scénario Un peu de cœur dans la pierre, aux Journées Cinématographiques de Carthage. Le Film « Parkour » d’après un article presse de Fadila Djouder Le film est axé autour de l’histoire de Youcef, incarné par le jeune acteur Halladja Hamza Nazim, interprétant avec brio ce jeune homme, étudiant au chômage qui aime d’un amour inconditionnel sa dulcinée Kamélia, incarnée par Adila Bendimered. Cet amour se heurte de plein fouet aux préjugés d’une société pervertie par l’aspect matérialiste, privilégiant les mariages d’intérêts à ceux portés par l’élan du cœur. Malgré cet amour impossible, Youcef défie les règles établies en 56 I www.monokromemag.com
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décidant d’interrompre le mariage de sa bien-aimée sur le point d’épouser un jeune riche que son père a choisi pour elle. Ainsi, il débarque à la mairie, où le mariage est sur le point d’être officialisé lors de la cérémonie civile. Le jeune désespéré arrive armé d’un pistolet afin d’empêcher ce mariage et prend en otage la jeune fille. Il demande à son père, incarné par Abdelhamid Rabia, de lui donner la main de sa fille. Dans une scène comique, Youcef tire sur le père et vole son amour de jeunesse. Adepte de “free running”, il l’emporte sur le toit d’un immeuble où il réussit à lui voler un
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baiser. Au final, les amoureux s’expliquent et tout rentre dans l’ordre. Fatma-Zohra Zamoum est l’auteure de plusieurs films basés sur ses propres scénarios notamment “Azib Zamoum, une histoire de terres”, “La pelote de laine”, un court-métrage plusieurs fois primés et “Kedach Ethabni”, combien tu m’aimes en darja, une coproduction algéro-marocaine sortie en 2011 qui aborde également la complexité des relations familiales dans la société algérienne. Qu’est-ce que le street art pour Fatma-Zohra ? Le street art est une façon d’occuper la rue de façon inventive, ce n’est pas une réponse subjective mais une manifestation populaire et de quartiers populaires depuis que les villes ou mégapoles ou métropoles sont devenues soit inhumaines soit inhospitalières pour l’humain. Cela s’est manifesté par le TAG dans des villes comme New York ou autres dans les années 80 et cela s’est amplifié partout dans le monde depuis, dans des friches industrielles, dans des no man’s land humains ou dans structures de béton complexes en terme d’inscription de la vie ou de la continuité de vie ou de circulation par
le TAG d’abord puis par diverses manifestations artistiques, sportives ou spectaculaires. L’idée étant d’occuper l’espace inhumain ou dur ou abandonné ou complexe de façon inventive. Et dans cette mesure l’humain est aussi inventif que la nature qui colonise le béton parfois; les plantes qui poussent là où on ne les attend pas, j’ai vu des plantes pousser par exemple sur le béton du Sacré Coeur d’Alger; cette étrange église qui ressemble à un château d’eau et c’est pareil pour le street art, il humanise ou naturalise, ce qui par essence dirige ou réglemente la vie jusqu’à l’assèchement.
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Est-ce qu’il y-a une relation entre le cinéma et le street art ? Non, il n’y a pas de relation directe entre le street art et le cinéma à moins qu’on s’intéresse à l’humain dans la ville, car le street art est essentiellement urbain ou post industriel. Et si on s’intéresse à l’humain dans son lien avec l’urbanisme, l’architecture et tout ce qui le pense, dans sa vie et dans sa circulation ou son déplacement, alors oui, il y a un lien. Et il est à lire dans les films qui en parlent ou dans les films qui s’en intéressent. Dans votre nouveau film “Parkour”, il y avait une scène de FREE RUNNING, quelle était la valeur ajoutée à votre film d’après cette scène ? Dans mon film PARKOUR“S” avec un S entre guillemet, il est question non seulement de Parkour ou free running par la présence d’un personnage Youcef; joué par Nazim Halladja, un sportif qui est devenu comédien pendant ce film et qui pratique ce sport pour le loisir mais qui va devoir aussi s’en servir pour semer ses poursuivants à un moment donné du film, j’imagine que vous faites référence à cette séquence là. Mais elle n’est pas l’unique séquence qui montre du parkour dans le film, beaucoup d’autres sont là, pour dire soit un état émotionnel, soit une recherche mentale de solution à un problème social ou émotionnel. Ces séquences récurrentes dans le film ont été filmées dans des friches industrielles, ou d’exposition du potentiel industriel de l’Algérie à la SAFEX, haut lieu de la démonstration de la puissance industrielle de l’Algérie selon Boumediène, partiellement ou totalement recouvertes de TAG. D’ailleurs les parkouristes en Algérie ont nommé un lieu à la SAFEX B13 (Banlieue 13, nom de film et autres références à Marseille). Le Parkour dans le film signale la nécessité pour le personnage d’inventer une façon de se déplacer dans la ville de façon inventive, en dépassant les obstacles, ceux de l’urbanisme et de la ville mais aussi ceux de la société ou l’Algérie actuelle par extension. Il n’est donc pas totalement une victime, il innove, invente pour sa propre survie de jeune, malmené par des circonstances personnelles et conjoncturelles particulière. Le Parkour ou free running a été inventé, comme vous le savez, par David Belle,
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un français dans les années 90, cette discipline sportive qui consiste en une combinaison de différents sports: saut, gymnastique, course, escalade, etc. est largement pratiquée par les militaires en tant que entraînement et c’est comme cela qu’elle a été détournée par David Belle dont le père était un militaire, pour devenir un art du déplacement en milieu urbain sans finalité guerrière mais plutôt avec une finalité soit ludique, soit de survie, soit récréative ou créative, voire subversive. Sinon le S ajouté à parkour dans le titre, prête à une lecture plus large dans le film, voir le cheminement de tous les personnages dans leurs vies propres comme un genre de parkour, mais là, je laisse les futurs spectateurs du film à sa sortie à la rentrée 2019 juger où se trouve la performance... Est-ce que le street art est une piste à exploiter dans le cinéma ? Le street art pour moi, c’est d’abord le TAG puis le Hip Hop, la danse, le théâtre de rue, le parkour et tout ce qui détourne une fonction architecturale ou urbanistique, tout ce qui fait vivre un lieu assignée par l’urbanisme et l’histoire différemment, tout ce qui fait vivre un lieu mort autrement. Et de ce point de vue, de nombreuses expressions ou innovations humaines sont encore à venir, le cinéma peut les provoquer, les montrer ou les faire vivre. Cela dépend de la sensibilité des réalisateurs et de leur attention aux phénomènes urbains mais il est certain qu’il y a de vraies inspirations possibles pour le cinéma. Il faut trouver à intégrer cela dans une histoire et dans un film et c’est le plus compliqué. En tous cas, moi, cela m’intéresse, à tel point que non seulement j’ai montré du TAG, des friches industrielles, du parkour, du rap notamment celui de Farid Belhoul, Diaz dans le film PARKOUR(S) et que je compte continuer à prospecter les phénomènes urbains et contemporains dans les films à venir. Un dernier mot pour le Street Art et les lecteurs de Monokrome? La rue nous appartient, soyons créatifs !
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LE MÉTIER DE DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE Smail LIF
Le directeur de la photographie, le DOP ou le chef opérateur, sont tous des noms qui qualifient la même personne ou le même poste, un poste qui est très important dans le monde du cinéma et/ou de l’audiovisuel. Le directeur de la photographie est le premier responsable de l’image qui veille à la qualité des prises de vue et de la lumière. Au cinéma, à la télévision ou pour un spot de publicité, c’est l’un des métiers les plus créatifs de l’audiovisuel et du cinéma. Avant que le directeur de la photographie ne s’engage sur l’image d’un produit, il note autant d’éléments qui lui permettent de sélectionner les angles de vues, les caméras, les objectifs ou encore l’éclairage. Premièrement, il commence par lire le scénario, ou le conducteur s’il s’agit d’une émission. Après, il fait les repérages des lieux afin d’analyser le décor et calculer les besoins techniques. Il peut même donner son avis sur le choix du maquillage et des costumes. Il faut noter qu’un directeur de la photo ne fait jamais l’image seul, il doit toujours avoir une équipe avec lui pour mettre au point l’installation dont : a- Les assistants opérateurs et les cadreurs qui affinent l’image en choisissant l’axe et la composition du cadre ainsi que des instructions de focus; b- Les électriciens, afin de ressourcer le plateau de tournage en électricité et d’exécuter le schéma d’installation des projecteurs; c- Les machinistes, ou les personnes qui s’occupent d’installer tout ce qui est machinerie sur le plateau de tournage comme la Dolly, le traveling, la grue, les bras magiques… etc Quelles qualités faut-il avoir pour être directeur de la photo ? “Il faut avoir le sens de l’esthétique comme lorsque tu es décorateur, c’est-à-dire avoir du gout, et aussi avoir une grande connaissance technique du métier et de l’expérience… et puis le dialogue avec le metteur en scène qui est primordial” François Catonné, Directeur de la Photographie. Voulez-vous devenir Directeur de la Photographie ? Plusieurs écoles existent dans le monde à l’exemple de la FEMIS, l’École Louis Lumière en France ou l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech. Et pour devenir un bon directeur de la photographie, il faut faire beaucoup d’images, c’est-à-dire faire de la photographie et filmer, mais surtout contempler de la peinture et voir beaucoup de films.
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ZAPPING MEDIA Smail LIF
Films Algériens à Cannes 2019 Pour cette année 2019, nous avons vécu la 72e Édition du Festival International de Cannes où on retrouve deux films algériens récents dans deux sélections différentes. C’est dans la catégorie “Un certain regard” que le film “Papicha” de Mounia Meddour est sélectionné. Un film réalisé en 2018 et qui raconte l’histoire d’une jeunesse algérienne lors de la décennie noire, mais produit par trois pays différents avec une contribution de l’Algérie à 32.81%, la France à 36.72% et la Belgique à 30.47%. Le film est une histoire qui se déroule en Algérie durant les années 1990. Nedjma, 18 ans, étudiante logée dans une cité Universitaire d’Alger, rêve de devenir styliste. À la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de sa cité avec ses meilleures amies pour rejoindre la boîte de nuit où elle vend ses créations aux “papichas”, jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader, refusant cette fatalité, Nedjma décide d’organiser un défilé de mode envers et contre tout.
Nous retrouvons aussi le film “Abou Leila” écrit et réalisé par Amine Sidi Boumediene, dans la “Semaine de la critique”. Le film relate le périple de Samir et Lotfi, deux jeunes algériens qui se lancent en 1994 à la poursuite du dangereux terroriste Abou Leila à travers le Sahara, après leur fuite d’Alger frappée par une vague de violence terroriste, lit-on sur le synopsis de cette œuvre qui n’a pas encore été projetée.
Le RÉVOLTE ARTS Révolte Arts est un événement regroupant différentes initiatives artistiques et culturelles ayant le but d’accompagner les revendications populaires légitimes et pacifiques du peuple algérien, et ce à travers un rassemblement d’artistes et d’intellectuels. Révolte Arts vise à promouvoir la lutte avec l’art et la culture avec un caractère pacifique. Initié par un groupe de jeunes, Révolte Arts est ouvert à toute personne voulant apporter sa contribution. Artistes peintres, chanteurs, poètes, musiciens, danseurs, photographes, et conteurs sont là pour investir la placette de l’ex-Mairie, située au centre-ville à Tizi Ouzou. Les Rencontres Cinématographiques de Béjaia 2019 La 17e édition des rencontres cinématographiques de Béjaia se tiendra du 21 au 26 septembre 2019. C’est le rendez-vous immanquable des cinéphiles de la régions. À cette occasion, l’association Project’heurts, organisatrice des rencontres, lance un appel à films
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Sofiane BAKOURI
pour la programmation de l’édition 2019 de ce rendez-vous cinématographique annuel. Court ou long métrage, fiction ou documentaire, tous les formats sont permis aux Rencontres Cinématographiques de Béjaia. Les Rencontres Cinématographiques de Béjaïa, ont vu un taux de succès croissant dès les trois dernières éditions avec la présence de plusieurs réalisateurs et cinéastes algériens, des acteurs et aussi différents corps des métiers du cinéma. RESTEZ BRANCHÉS SUR MONOKROME, POUR AVOIR PLUS DE DÉTAILS SUR LA 17eme ÉDITION DES RENCONTRES CINEMATOGRAPHIQUES DE BEJAIA LORS DE NOTRE PROCHAINE ÉDITION.
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“JE SUIS NÉ POUR RÉPARER” LE CORDONNIER AMBULANT Mustapha Kamal BENRAMDANE
La Kabylie est la terre sainte des artisans ambulants. La poterie, la tamiserie ou l’orfèvrerie font partie de ces métiers d’artisanat qui ont longtemps été exercés dans de petits locaux, dans la rue ou sur les places de marchés. Des métiers manuels qui demandent beaucoup de patience et de maîtrise. Aujourd’hui, nous partons à la rencontre de l’un des derniers artisans des anciennes générations, un personnage unique en son genre. Si vous pensez que le métier de cordonnier signifie travailler dans un local, entouré de chaussures et respirer rarement l’air frais, vous n’avez pas tout à fait raison. Armé de son couffin à outils, Dda Rabeh est un cordonnier ambulant. Eté comme hiver, il part sur les routes à la rencontre des gens pour leur offrir ses biens et services. De village en village, il sillonne la Kabylie comme un voyageur destination et répare toute chaus© Lyessans ouarab sure qui lui passe par les mains. Il n’a pourtant pas toujours exercé que ce métier. Né en 1948 à At Wasif en Kabylie, Rabeh Ait Ouyakoub a toujours vécu attaché à sa région natale, où il a été initié aux métiers d’artisans au milieu des années soixante par son père Mohamed, artisan-tamisier.
Yasmine Guechoud
“C’est un métier que j’appelle héréditaire”, nous confie Dda Rabeh à propos de la tamiserie. “Mon père me l’a transmis et je continue encore à le perpétuer en parallèle avec la cordonnerie. C’est avec lui que j’ai découvert tous les villages qui nous entourent et où je continue toujours à travailler, d’ici jusqu’aux horizons de Michelet à l’est, des At Yiraten au nord ou des Iwadhiyen à l’ouest. » Dda Rabeh et son père avaient pour coutume de se déplacer à pieds afin de fabriquer et réparer des tamis à couscous de différents types dans les villages de haute Kabylie. Dans ce métier-là, leur clientèle était presque exclusivement féminine. Durant les années soixante-dix et quatrevingt, Dda Rabeh a exercé comme horloger chez un particulier à Iwadhiyen, puis indépendamment à partir de 1984. Une profession qu’il avoue lui avoir inculqué de bonnes valeurs telles que la droiture et la ponctualité. A partir des années 2000, Dda Rabeh s’est orienté vers la cordonnerie afin de diversifier son activité. Un métier qui, de coutume, s’exerçait dans un local, mais dont il a fait le choix de convertir en un métier de rue, voire ambulant. Nous le rencontrons aujourd’hui au village dit Iguer Adloune avec son couffin à outils. Colle, 64 I www.monokromemag.com
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ciseaux, fils à couture, aiguilles, enclume et marteau, etc, il transporte avec lui tout ce qui est nécessaire pour son travail. Après avoir choisi l’endroit où s’installer, il s’assied à même le sol, et d’une main ferme, commence à coudre une chaussure pour une vieille dame avec qui il parle de faits divers.
Yasmine Guechoud
Yasmine Guechoud
“Ce métier n’est pas aussi facile qu’il ne paraît. Je commence d’abord par voir tous les endroits où la chaussure est endommagée. Il est nécessaire de connaître les différents tissus des chaussures pour pouvoir les réparer. J’ai des tissus de rechange avec moi et des semelles, et je les monte selon le défaut qu’a la chaussure. Certaines sont à coller et coudre, mais d’autres à clouer. Pour la couture, j’insiste que les points soient équidistants. Mais pour les semelles cloutées, je dois faire attention à ce que les clous soient bien dissimulés du côté interne de la chaussure sinon ils risqueraient de faire mal au pieds. » Personne bien vivante, il aime discuter sans pour autant arrêter de travailler. Durant ses déplacements, il écoute la rumeur et la raconte, transmet les nouvelles et anime les sujets aux placettes des villages. En outre, il est un facteur de bienveillance. Aimé de tous, il a toujours été le bienvenu partout et souvent invité à une tasse de café. “J’aime aller à la rencontre des gens, cela me fait vivre davantage”, nous fait-il part. “Je ne suis pas motivé par l’argent, mais par le travail lui-même. Je suis né pour réparer. C’est ma raison d’être. Je trouve le bonheur à remettre en marche ce qui est brisé, à embellir ce qui ne va plus. C’est ainsi que je trouve la paix”.
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UN PLAT, UN REMÈDE Zahira MAKFOULDJI, artisane culinaire Narimene LOURDJANE « El-Hammama », cet héritage culinaire et médicinal transmis de génération en génération, un plat atypique aux nuances naturelles et aux arômes bien de chez nous, un couscous, mais pas des moindres et dont les secrets nous sont révélés par Zahira Makfouldji, une artisane expérimentée dans la gastronomie blidéenne
Quelle est l’histoire du plat el-hammama, celle de son nom et son origine ? Le nom el-hammama vient du terme « hammam » qui signifie, bain maure, car à l’époque des Ottomans, les plantes aromatiques qui font l’essence de ce plat considéré comme thérapeutique, étaient utilisées dans les bains maures « hammam ». Ces herbes aromatiques aux propriétés curatives étaient cueillies dans les hauteurs de la Mitidja et étaient utilisées dans la préparation du couscous. De nos jours, il existe trois régions connues pour la préparation de ce plat, à savoir: Blida, Alger et Koléa; cependant, son appellation diffère; chez nous à Blida elle conserve sa dénomination d’antan « el-hammama », a contrario des algérois et des koléens qui l’ont nommé “couscous el-helhal” . Pouvons-nous trouver ce plat en vente ? Et auprès de qui pouvons-nous l’acquérir ? A l’époque de nos mères et grands-mères, el-hammama était considéré comme un plat local incontournable, par conséquent toutes les femmes de tous les foyers blidéens se devaient de maîtriser cet art culinaire. Mais, les temps ont changé, de nos jours, nous pouvons nous le procurer séché empaqueté dans des sachets comme du couscous ordinaire, il est mis en vente au niveau du souk de Blida, ou bien auprès des herboristes “Laâchachbia”. Parfois, il est commandé auprès de vieilles femmes qui le préparent chez-elles, comme pour les gâteaux traditionnels ou tout simplement le couscous ordinaire.
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Quels ingrédients qui le composent et comment est-il préparé ? “El-hammama” est un couscous à la couleur noirâtre, qui se compose de quatre-vingt-dix-neuf herbes, l’ingrédient principal étant la lavande sauvage, communément appelée “el-halhal” en darja, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, en dehors de Blida, el-hammama porte le nom de “couscous el-helhal”. C’est d’ailleurs, la lavande qui offre à ce plat sa couleur qui sort du commun pour du couscous. En plus de la lavande; le thym, le laurier, caroube, le genévrier, l’origan, le safran, mais aussi les feuilles d’arbres fruitiers tels que le mûrier et l’abricotier sont utilisés dans le mélange. La particularité du couscous el-hammama est non seulement sa couleur mais aussi ses attributs, ces derniers voient le jour dans la manière de le préparer, c’est tout un processus où chaque étape a son importance. Ce que nous appelons “leftil” est l’opération par laquelle est formé le grain de couscous à partir de la semoule, pour se faire, il faut mélanger la semoule en l’aspergeant continuellement d’eau préalablement salée, tout en appliquant des mouvements circulaires, c’est à cette étape, que le couscous el-hammama trouve son originalité, car l’eau utilisée lors de cette opération, est une infusion des quatre- vingt-dix-neuf herbes et plantes fraîchement cueillies dans la région.
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Quels sont les bienfaits de ce plat traditionnel ? “El-hammama” est réputé pour ses bienfaits préventifs et curatifs, c’est un plat qui est considéré comme un vaccin administré annuellement aux heureuses personnes qui ont la chance d’en manger. Selon des revues médicales, les herbes et plantes utilisées dans la préparation de ce plat, ont des propriétés médicinales, il est dit que la lavande a des propriétés apaisantes pour traiter les problèmes de peau, que le caroube est prescrit contre les problèmes digestifs, que le genévrier est utilisé pour soulager les douleurs liées aux rhumatismes et comme stimulant d’appétit, ou encore l’origan qui est considéré comme un antioxydant et connu pour ses propriétés antalgiques, toutes ces herbes font parties d’une multitude d’autres qui compose notre délicieuse hammama.
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En plus de toutes ces herbes aromatiques aux nombreux bienfaits, parfois le couscous est préparé à base de blé d’orge, qui est connu pour ses faveurs nutritives. Comme on ne dit “jamais deux sans trois”, il faut savoir qu’après cuisson à la vapeur, le couscous el- hammama est obligatoirement relevé avec de l’huile d’olive. Nous pouvons assurément nommer el-hammama comme étant un repas parfaitement “healthy”. A savoir que les anciens affirmaient qu’El-hammama permettait de filtrer et de nettoyer le sang circulant dans le corps. A quelle période prépare-t-on ce repas et par quelles occasions? Jadis, tout se préparait à la maison, notamment les repas de famille, et c’était au printemps
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qu’el-hammama apportée de la joie et surtout de la vitalité dans les foyers, car les plantes utilisées dans sa préparation voyaient la lumière à cette période de l’année. C’est à partir du mois de Mars jusqu’au début du mois de Mai que les arbres fruitiers fleurissent et que les bonnes herbes poussent, dépassant cette période, la chaleur engendre la sécheresse de ces composantes qui perdent toutes leurs facultés nutritionnelles. Malheureusement, de nos jours la valeur essentielle de ce plat se perd, car afin de pouvoir le commercialiser et d’en bénéficier tout au long de l’année, beaucoup de vendeurs font sécher el-hammama comme cela se fait avec le couscous ordinaire, et ce processus d’assèchement ôte tous les bienfaits des herbes tout en conservant leurs arômes, à cet effet le goût est peut-être au rendez-vous, mais l’apport thérapeutique ne l’est point. D’ailleurs, c’est au printemps que nous privilégions des cures diététiques afin d’atténuer les toxines dans le corps, particulièrement les déchets organiques tels que l’acide urique et elhammama, grâce à ses propriétés drainantes et dépuratives, réduit considérablement les maladies. Existe-il différentes manières de préparer el-hammama ? L’art culinaire évolue comme toute chose, mais en ce qui concerne el-hammama, le plus important est de conserver les bienfaits de chaque ingrédient. Cependant, les ingrédients peuvent différer d’une région à une autre, par exemple, dans la région de Blida, il est recommandé d’utiliser un maximum d’herbes, car ces derniers sont plus accessibles au vue de la localisation géographique propice à leur pousse. Par contre au niveau d’Alger ou Kolea, vous allez retrouver beaucoup moins d’herbes. La différence réside aussi dans l’aliment de base utilisé pour la préparation du couscous, entre la semoule ou l’orge, parfois c’est une question de goût et d’autres fois cela dépend du besoin. D’ailleurs, la nouvelle tendance est d’utiliser du couscous séché, que nous trouvons en vente sur le marché ou dans les supérettes. Il est également possible de consommer el-hammama de différentes manières, sucrée ou salée selon vos préférences.
Avec le développement socioculturel que nous vivons et constatons, est-ce possible de préserver ce patrimoine culinaire ? En ce qui concerne la préservation de ce plat local, il est à noter que le plat en lui-même existe et est toujours consommé par les grands et les petits, mais la maîtrise de sa préparation “traditionnelle” se perd, car la nouvelle génération ne semble pas en être intéressée, et considère que c’est une perte de temps considérable. Il faut savoir aussi, que la cueillette des herbes et des plantes servant à la préparation d’el- hammama n’est réalisée que par des personnes âgées et elles se font de plus en plus rares. De nos jours, le peu de jeunes à participer à la cueillette, n’ont pas acquis un savoir botanique suffisant afin d’assurer la relève, d’ailleurs, si vous demandez à certaines vieilles qui préparent encore el-hammama, elles vous confieront, qu’elles acquièrent quelques herbes disponibles auprès des cueilleurs, et que par la suite, elles doivent fournir un effort personnel afin de combler elles-mêmes le reste des herbes moins connues. Si vous deviez classer ce couscous dans les le top 10 des plats algériens, quelle position lui donneriez-vous ? Il faut avouer qu’un classement global des plats traditionnels algériens serait compliqué à réaliser, au vu de la richesse de notre patrimoine culinaire. Après les avoir tous listé, il serait judicieux de commencer par les scinder en différentes catégories. Mais si nous devions classer el-hammama selon l’apport nutritionnel et diététiques, à l’évidence nous pouvons lui attribuer sans aucun doute la première place, les adeptes de la véritable hammama traditionnelle, peuvent vous le confirmer. Un dernier mot ... Nous aurons beau faire son éloge, ça ne sera jamais à la hauteur de ce qu’el-hammama nous procure. Il suffit de repenser à vos grands-parents, aux joues roses et à la force vitale incommensurable, ils jouissaient d’une excellente santé et ce grâce à la simplicité de leurs repas, ils se fiaient à la nature et la nature le leur rendait merveilleusement bien.
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BABA SALEM, DE LA “URBAN” À LA “WORLD” MUSIC Younes FOUDIL
Le personnage de musicien/chanteur de rue existe pratiquement dans toutes les cultures et civilisations. En règle générale, ce musicien chanteur ou poète, en solo ou en groupe, se produisait dans les cours royales et princières, les demeures des nobles et des riches marchands, ou dans les amphithéâtres ou autres grandes places publiques; agora, forum, etc. D’autres musiciens chanteurs se produisaient en solo enchantant ainsi les badauds, les marchands, les artisans et même les enfants de leurs mélodies et leurs poèmes. L’histoire universelle et les contes populaires ont immortalisé quelques personnages, mythiques ou réels, formellement nommés ou collectivement baptisés. Le dieu de la mythologie grecque, Dionysos, et son pendant dans le panthéon romain, Bacchus, sillonnaient les campagnes et les villes de la Grèce et de la Rome antiques, accompagnés de nymphes et de satyres, en jouant une musique aux airs endiablés et aux rythmes ensorcelants. Homère, personnage ayant réellement existé, est l’auteur qui a déclamé et légué à la postérité deux des premiers poèmes épiques les plus célèbres au monde : l’Iliade et l’Odyssée. Les personnages de “l’Aède” en Grèce antique ou du “Barde” dans la culture gallo-celtique, et plus tardivement celui du “Troubadour” en Europe occidentale, étaient la représentation même du poète/musicien qui flânait dans les rues, déclamant des poèmes et des chants lyriques célébrant victoires et exploits militaires ou racontant des histoires d’amour impossibles et des passions tragiques. C’est en grande partie grâce à eux que des chapitres entiers de l’histoire et de la littérature universelle nous sont parvenus. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ces personnages ont forcément dû exister par l’effet de l’acculturation et du brassage civilisationnel, surtout lors de la période de la domination hellénistique consécutive à la conquête d’Alexandre le Grand, mais, l’imaginaire collectif n’en a retenu aucun malheureusement. Préméditation ou simple amnésie ? Des restrictions sociales et cultuelles en seraient la cause. L’Islam bannirait, selon la quasi-majorité des oulémas, toute forme de production artistique ou autre, susceptible de distraire les croyants de la pratique religieuse et de corrompre leurs mœurs, mais la nature humaine, transcende tous ces interdits pour continuer à célébrer la beauté et la création artistique sous toutes ses formes; poétiques, musicales, picturales, chorégraphiques...Une revanche en quelque sorte de l’esthétique sur le dogmatique. Le Maghreb ne déroge pas à cette règle. Pour preuve, la grande richesse de son folklore très largement influencé par la composante amazighe. Si dans les campagnes ces manifestations artistiques revêtaient essentiellement des aspects assez populaires, inspirées de l’amour, de la nature ou célébrant les saisons, avec un brin de réminiscences païennes, dans les villes par contre, ces créations artistiques étaient beaucoup plus raffinées et codifiées, mode de vie oblige. Le tarab andaloussi, le gharnati, le malouf, la nouba, le malhoun ou le chaabi, étaient l’apanage des citadins, plus particulièrement des grandes familles du Maghreb. Ces genres musicaux se produisaient “indoor” généralement et occasionnellement lors de grandes fêtes de mariages ou autres célébrations privées. Toutefois, pendant les autres jours, les jours ordinaires, les jours de labeur, les jours où on ne célébrait rien de particulier, il en existait, quand même, des artistes qui s’invitaient au quotidien des villes et campagnes du Maghreb pour briser leur monotonie, égayer l’ambiance et y apporter une touche de gaieté et de bonne humeur. En solo, duo, trio, quatuor ou en troupe, ces poètes musiciens faisaient partie intégrante du décor urbain et continuent, pour certains d’entre eux, d’assumer ce rôle dans des environnements plus ou moins organisés et professionnels. Le personnage de Baba Salem ou Khali Mbara ou Baba el gnawi en est l’un d’eux. 72 I www.monokromemag.com
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Younes Foudil Descendant d’esclaves ramenés au Maghreb, à partir du 16e siècle d’Afrique subsaharienne, principalement du Mali, du Niger, du Burkina Faso ou du Tchad actuels, Baba Salem a été contraint d’embrasser la foi de ses maîtres, l’Islam, et de renier ses croyances animistes et ses rites païens. Ainsi, des centaines de milliers d’hommes et de femmes, originaires des tribus Haoussa, Yoruba, Bambara, Foulani, etc. ont été réduits en esclavage, et contraints à une acculturation forcée. Beaucoup d’entre eux sont restés bon gré mal gré attachés à leurs croyances et à leur culture et ont tenté de la préserver en “l’islamisant” et en “l’arabisant”. Ainsi, toutes les divinités païennes qui étaient invoquées en toutes circonstances pour conjurer le mauvais sort ou pour accorder la bonne fortune se sont vues accorder des noms de saints musulmans tout en gardant leurs attributs initiaux. Désormais, c’est Allah et Mohamed qui sont invoqués à chaque refrain par les gnaouas. Les autres saints sont quant à eux évoqués, tour à tour, au fil du déroulement de la cérémonie, mais toujours après les incontournables louanges à Dieu et à son prophète. Ce n’est que lors des cérémonies privées d’exorcisme et de transe que les authentiques esprits d’Afrique subsaharienne étaient présents. Les quatre éléments: eau, terre, air et feu, et leurs esprits sont célébrés. Offrandes et sacrifices sont faits en leurs noms, des encens et des “bkhours” sont brûlés pour solliciter leur bienveillance, des rites particuliers sont pratiqués selon une tradition jalousement transmise de génération en génération pour conjurer le mal et chasser les mauvais esprits. Le tout accompagné d’une musique envoûtante et de prières et d’invocations mystiques chantées par le maître de cérémonie, le maalem et sa troupe de gnaouas ou qarqabou. C’est justement cette fonction qui a valu à Baba Salem à la fois mépris et admiration, crainte et respect, rejet et attirance de la part de nos arrières grands parents et jusqu’à une période assez récente par nous autres. On le méprisait pour sa couleur de peau mais on l’admirait pour sa fierté, on le craignait pour ses pouvoirs “spiritualistes” mais on le respectait pour sa sagesse, on le rejetait pour sa condition d’esclave mais on était attiré par son aura particulier. Un personnage assez controversé au final ce Baba Salem. Un personnage qu’on aime craindre, qu’on déteste respecter, un personnage qu’on préfère écouter mais ne pas voir. Sacré Baba Salem ! www.monokromemag.com I 73
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Finalement, avec l’arrivée du colonisateur français et ses idéaux révolutionnaires, notre Baba Salem va recouvrer sa liberté et sa dignité. Mais cette nouvelle condition humaine ne changera pas beaucoup à sa condition sociale qui a été et qui restera précaire pour longtemps après. Beaucoup d’esclaves affranchis sont restés auprès de leurs anciens “maîtres” n’ayant nulle part où aller et ne sachant pas quoi faire. D’autres ont été tenté par l’aventure avec des fortunes plus ou moins diverses. Par contrainte ou par aventure, notre Younes Foudil Baba Salem deviendra un personnage familier dans le quotidien de nos villes et campagnes, avec son guembri ou de ses qraqebs ou de son tbel, jouant des sonorités envoûtantes et déclamant des paroles et des prières que la majorité aimait ne pas comprendre en raison de la charge symbolique qu’on leur accordait. Il était là, avec son accoutrement particulier rappelant ses origines subsahariennes, sa chechiya ornée de petits et précieux coquillages blancs appelés “Wdaa” et son long fil avec à son bout une touffe de laine qu’il fait tournoyer dans un geste plein de grâce et de maîtrise sans pour autant perdre le rythme. Vêtu d’une jellaba ou gandoura aux couleurs d’un des “esprits” du panthéon gnaoui, il déambulait dans les ruelles des médinas, flânait dans les souks, animait les moussems et foires en jouant des airs du vaste répertoire gnaoui que les gens adoraient écouter. Avec sa fierté innée, il choisissait souvent un emplacement stratégique, sur la route du marché ou de la mosquée ou près des riches demeures pour jouer sa musique et faire étalage de tout son art. Il ne demandait pas l’aumône mais acceptait les petites pièces et les dons en nature. C’était sa vie, sa passion, son gagne-pain. J’ai toujours dit que le luxe c’est de vivre sa passion et de vivre de sa passion Des années sont passées, de profondes transformations sociales ont bouleversé notre vie. Les villes se sont développées, notre quotidien est devenu plus complexe, le droit à l’éducation et à l’emploi garantis pour tous, les descendants des Baba Salem sont désormais des citoyens à part entière contribuant au développement de leur pays. La tradition gnaoui ou qarqabou a été, de ce fait, confinée dans des cercles fermés et restreints, autour des confréries et des zaouias où des maalems ont veillé jalousement à la préservation et à la transmission fidèle de ce patrimoine à la postérité. Jamaa El Fna, place mythique de Marrakech au Maroc, a largement contribué à la préservation et à la sauvegarde du personnage de Khali Mbara et à travers lui, du patrimoine gnaoui. A tout moment de la journée ou de la soirée, vous trouverez un Baba Salem gnaoui en train de danser et de jouer de la musique. Il est l’une des attractions touristiques incontournables de la Place. Dans les autres villes, on voit de moins en moins de Baba Salem ou Khali Mbara. Ils jouent plutôt dans les restaurants ou lors des lilas et cérémonies privées dans des environnements beaucoup plus professionnels. Depuis une vingtaine d’année, ce patrimoine a été érigé en art et célébré lors d’un festival annuel dans la ville d’Essaouira au Maroc dont l’image de Baba Salem en est devenue l’icône et le symbole. Ceci a permit au patrimoine musical de Baba Salem d’être préservé, enrichi et revisité. Il fait désormais partie de la world music. Baba Salem a fini par arracher une sacrée reconnaissance. Quelle belle Remontada !
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TOUR D’ALGÉRIE EN FRESQUE Nadjlaa LAMRI
L’art urbain, un mouvement d’art contemporain regroupant toutes les formes d’art réalisées dans la rue, ne cesse d’investir les rues d’Algérie. Les initiatives des artistes algériens se multiplient, donnant un souffle nouveau à nos rues. Aux moyens de quelques pinceaux et de sauts de peinture, les artistes s’accaparent les murs des villes et partagent leurs arts avec les citoyens. Cette énergie nouvelle n’investit pas que le béton, elle habite aussi l’âme d’une nouvelle génération. Ces artistes témoignent d’une volonté de partage à la recherche d’un dialogue et veulent ainsi ouvrir le débat à travers la création d’un circuit parallèle d’expression. En plus de rendre l’art plus abordable aux citoyens, le street art en Algérie, de par la qualité des œuvres réalisées, vient bousculer les préjugés des graffitis anarchiques et du vandalisme qui rendaient certains quartiers “peu fréquentables”. D’Alger en passant par le Tassili N’ajjer ou Saïda, ces fresques murales s’imposent petit à petit comme instrument de mise en valeur du patrimoine architectural local.
Yacine TOUMACHE
Yacine TOUMACHE
Cet art visuellement attractif, tout en restant profondément engagé, communique avec le public à travers les formes du visuel ainsi que les lettres ou symboles du lisible et en faisant fin des normes traditionnelles. La beauté du visuel détient pour fonction de partager plus facilement les discours transgressifs tout en assurant une longévité aux œuvres dans l’espace urbain du fait de leur aspect artistique. Cette activité ne date pas d’hier et traverse les temps, de la préhistoire à nos jours, comme pour témoigner du besoin constant de l’être humain de partager sous forme perpétuelle sa vision de la société et du quotidien vécu. Nous allons alors nous intéresser à 8 fresques murales tout en traversant l’Algérie de bout en bout. Les Fresques du Tassili Se trouvant dans le massif de Tassili N’ajjer au sud du Hoggar et datant d’au moins 6000 av. JC, ces peintures rupestres nous assurent que le Sahara n’a pas toujours été un désert. Nous pouvons y admirer des girafes mangeant les feuilles d’arbres, des hippopotames s’ébrouant dans l’eau, des éléphants chargeant la trompe en l’air ! Cette exposition de peintures préhistoriques hautement artistiques démontre une grande précision dans les proportions et les détails. www.monokromemag.com I 75
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Yacine TOUMACHE Certaines d’entre elle d’une hauteur de 6m, nous montrent des personnages massifs et remarquables, décorés de motifs divers. Le Sahara néolithique reste une des plus grandes richesses de notre pays.
La Fresque de Mesli Une des rares présences de l’art dans l’espace public Algérien, situé à droite du parc Sofia et à l’entrée du parking Tafourah au plein centre d’Alger, la fresque murale du grand artiste Choukri Mesli est devenue, au fil des ans, un élément du décor, un repère urbain, un signe de connivence entre l’artiste et la ville. Installée au début des années quatre-vingt, avec ses couleurs vives, sa composition rythmée et ses formes dynamiques oscillant entre l’abstrait et le semi-figuratif. Cependant,la fresque subit des dégradations intolérables et qui, au long terme, peuvent provoquer sa disparition complète. Il est donc de toute urgence que la communauté artistique se mobilise afin de sauvegarder cet héritage. La Fresque de François Fauck Elle a été découverte vers la fin de 2018 à Oran. Il s’agit d’une fresque du peintre François-Raymond Fauck. Cette œuvre géante de 29 mètres de long et de 6 mètres de large, a été réalisée sur le mur d’un local servant pour le contrôle technique de véhicules appartenant à la Sonelgaz dans les années 50. Réalisée selon d’anciennes techniques avec de l’argile et en bas-relief, l’œuvre représente les douze signes du Zodiaque en plus d’autres motifs. On a appris l’existence de cette fresque, grâce à un artiste, durant un salon des arts plastiques, organisé à Oran. Depuis, des spécialistes ont été dépêchés sur les lieux afin d’étudier les possibilités de revalorisation de cette fresque. Sa restauration a été entamée après constatation des dégradations qu’elle a subies, par la suite elle a été déplacée vers l’esplanade du nouveau stade olympique à Belgaïd où elle est plus visible.
La révolution des Escaliers Une frénésie créatrice a saisi les jeunes qui ont entrepris ces dernières années de dissiper la grisaille de leurs quartiers en couvrant l’espace public de couleurs vives. Encadrées par des associations de quartier ou complètement autogérées, ces initiatives convergent, tel un ballon d’oxygène dans un pays où l’urbanisation accélérée et anarchique, étouffe le paysage. Ces projets consistaient à orner les escaliers abandonnés à leur triste sort de quoi mettre les passants en joie. Postées sur Internet, les photographies des escaliers multicolores ont soulevé l’enthousiasme et 76 I www.monokromemag.com
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suscité des émules dans tout le pays. À Alger, à Tiaret, à Aïn Témouchent, à Blida ou à Jijel, les fresques rivalisent d’inventivité, dessinant un mouvement citoyen d’un nouveau genre. À Tizi Ouzou, un “escalier piano” a pris corps, avec touches noires et blanches, croches et clés de sol échappées d’une portée. Là-bas, à Mascara, c’est un paon qui arbore une traîne rouge, vert et bleu, comme prêt à faire la roue. Dans la capitale, au seuil d’une école, un escalier remaquillé de pastels s’est changé en ludique table de multiplication. Les marches du Rialto, à Skikda, se sont transformées en vagues azurées sur lesquelles flotte un voilier. De nombreux citoyens et internautes ont salué le geste de ces nouveaux artistes qui participent, avec de belles couleurs et à leur manière, à l’aménagement de leur villes. La Fresque de Maâmora 45 ans après sa réalisation, l’œuvre est dans un état de préservation remarquable. Accrochée dans une des classes de l’école primaire Bekhouda Abdelkader à Maâmora, village à quelques kilomètres sur les piémonts de la wilaya de Saïda, son histoire particulière commence avec la trilogie des révolutions Algériennes. Il s’agit sans doute ici de la première œuvre collective créée dans l’histoire de l’art Algérien. Elle sera réalisée en une journée, le tout fait dans le délire artistique byzantin, quatre individualités pour une œuvre collective; Boukhari Zerrouki, Denis Martinez, Mohamed Khedda et Mohamed Baghdadi. Mille et une péripéties, mille et une aventures seront vécues par cette création hautement symbolique, aux couleurs de la Révolution; ce passé récent encore en mémoire des Algériens. La Fresque en Bronze de Mila Officiellement désignée comme étant “la plus grande fresque en bronze en Algérie”, mesurant 86 m de long, elle se compose de plusieurs tableaux représentant les diverses phases historiques de la ville de Mila, depuis l’époque numide à ce jour. Son exécution a nécessité un travail ininterrompu de six mois. Elle fut totalement installée pour la célébration du 57ème anniversaire du déclenchement de la Révolution en 2012 par l’artiste Mohamed-Cherif Derbal. Ce travail représente, entre autres des monuments, la fontaine romaine Ain El-Blad, la statue de Milo et la mosquée antique de Sidi Ghanem. Fresque murale de Djelfa C’est à la gare de transport universitaire du campus universitaire “Ziane Achour” de wilaya de Djelfa, que cette belle initiative citoyenne et artistique est née, portée par un groupe d’étudiants qui ont décidé de changer le visage “rebutant” du site, en y lançant une large campagne de nettoyage. Cette initiative créera un effet boule de neige, car un groupe de jeunes de l’association locale “Fikra”, idée en arabe, décida de marquer de son empreinte la place publique “Mohamed Boudiaf” au centre-ville de Djelfa, en y réalisant une fresque au beau milieu de laquelle trône majestueusement l’emblème national; reflet, pour eux, d’un amour infini pour la patrie. Cette oeuvre est une expression positive de la forte conviction que la jeunesse d’aujourd’hui est capable d’opérer le changement. Le Graffiti Le street art se décline aussi à travers l’art du graffiti, qui est loin d’être du vandalisme. Le graffiti exprime un besoin viscéral des jeunes artistes de rendre compte de leur réalité, d’échapper à la monotonie qu’ils subissent afin d’habiller leur quotidien de nouvelles couleurs. Il défie tout cadre légal, et n’a pas encore dit son dernier mot. Il s’agit là d’une porte ouverte à la culture pour secouer le conformisme dans un cadre où de nombreuses avenues d’exposition manquent parfois aux artistes algériens. Le graffiti marque alors cette rencontre entre un art de réhabilitant le patrimoine et une forme engagée d’expression libre. L’art urbain continue d’évoluer à travers les générations, et ne cesse de prendre des formes surprenantes, de nombreuses figures du street art ont éclos ces dernières années, et ce mouvement incite des jeunes artistes à révéler leurs talents au grand jour. En plus de rendre l’art plus accessible aux Algériens, on voit bien que l’art urbain vient secouer et broyer les préjugés qu’avait de ce dernier dans la mémoire collective.
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LA GENÈSE D’UNE FRESQUE Moh à Tlemcen Hichem MERRADJI
Les pigeons picoraient les bouts de pain éparpillés à la place publique, quand la voix du muezzin de la Grande Mosquée réussit à se faire de la place, délicatement, dans le champ sonore des environs, pas loin d’ici, Moh était comme atteint par le regard de la méduse, saisi, ses yeux étaient braqués avec adresse et résolution, vers un collier d’émeraude, qui se démarquait, timidement au milieu des bijoux étalés, seule la dernière phrase du muezzine, provenant du minaret, construit sous le règne d’Yghomracen Ibn Zayn à l’année 1236, avait réussi à retirer Moh de son état d’absence. Il leva la tête un peu; une plaque concise interdit le potentiel acheteur de photographier, “éphémère plaisir” pensa amèrement Moh, un peu plus vers le coin, une caméra veille sur le butin de luxe. L’air était riche en oxygène, l’humidité d’Alger n’est désormais qu’un lointain souvenir, Moh emprunta le trottoir, il était inutil de prendre le bus, il n’était pas sûr de sa destination. Il longea le Palais d’el Mechouar, plus il marche plus l’imposante muraille confirme la position cruciale que Tlemcen tenait dans les temps anciens, elle était de couleur ocre et a résisté plutôt bien aux siècles. La muraille entourait El Mechouar, siège des Rois Zianides, il était le lieu où une assemblée de notables avertis étudiaient les décision que Tlemcen devrait prendre, un peu comme le Kremlin russe aujourd’hui, bien des décision sages sont sorties de cet édifice, d’autres étaient, hélas moins .. Bientôt, face à Dar El Hadith Moh se délecta de la façade sobre et fine, l’édifice bâti en 1937 grâce aux cotisations des habitants de la ville, serait un centre de rayonnement culturel, où on se félicitait d’envoyer ses enfants apprendre science et théologie. Le touriste posa sa main sur un tronc géant de platane, il le trouvera froidement humide “étais-tu là quand Ibn Arabi traversait Tlemcen ?” lui demanda Moh, “sûrement pas” répon-
Auteur inconnu
dit-il à sa propre question, en souriant à l’arbre, dégarni de ses feuilles, attendant lui aussi, comme les prairies des alentours, l’arrivée du printemps. Au croisement de la route qui menait vers le mausolée de Sidi Boumediène, Moh s’arrêta, il était devant une clique de jeunes abandonnés au
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pied d’un mur blanchi, Il ouvre ses bras face au mur “comme un nouveau né” cria t-il, “que sera ton fardeau, O mon ami” déplora Moh, la dernière note de sa phrase trahissait un état d’âme triste et comme ravagé par une douloureuse découverte. “Nous voulons dessiner le mur.. heu, mais nous n’avons aucune idée de ce qu’on pourrait dessiner” se lamenta le peintre au béret. Un autre, une clope au bec ajouta “syndrome de la feuille blanche m’sieur” il parlait cigarette toujours entre ses lèvres, Moh se demandait comment ça se fait qu’elle ne tombe pas. “Pouvez-vous nous aider Monsieur ?” demanda le dernier. “Je ne sais pas comment vous aider”. Il se fait une place au milieu des peintres, il se fond dans l’ambiance de spleen et de méditation, mais contrairement à ses compagnons silencieux, lui ne tenait pas à garder ses lèvres collées, dans un flot de mots sincères, il s’épanchait: “aujourd’hui, j’ai vu un collier d’émeraude, comme on ne voit qu’une seule fois dans sa vie”, ses yeux brillaient comme s’ils reflétaient le scintillement du bijou, ‘sa pierre verte était polie comme par des mains de l’au delà, comment peut-on être beau à ce point ?”, sa poitrine se gonfle, son souffle s’accélère, Il risquait de peu le syndrome de Stendhal, “j’ai honte, je n’avais qu’une envie, le posséder, qu’il soit à moi, à moi seul”. Moh tient sa chemise, au niveau de son cœur, et ajouta “l’avidité... est toujours là. Où pourrai-je aller ainsi ? Nul part, elle me tient, je le sens, comme du plan dans les ailes”, la tête entre ses mains, Moh pleurait en silence. “J’ai trouvé ! » cria le peintre au béret après un long moment de silence “une échelle”, “quelqu’un qui monte une échelle…”. “En bas une main surgit, depuis les abîmes voulant le retenir” proposa le troisième peintre. “oui oui, garni de bagues et d’émeraudes, la guerre l’entoure, le profit et l’intérêt”, ajouta avec enthousiasme le peintre au béret. “Sur fond de zellige, l’échelle monte vers la lumière, le ciel est sauvegardé, ainsi que la terre” a conclu le troisième peintre. Quand le peintre au béret commençait à mélanger la couleur, Moh était déjà parti. Auteur inconnu
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DOSSIER SPÉCIAL
L’ART EST PUBLIC UN SAUT À BLIDA
Co-rédaction Radhia KELLOU Amir GUERMI Mohamed Réda GHIAT -Yara- Rim MENIA
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Jugurtha Malek
“De l’art où que nous allions, et nous allons à la rue !” Une maxime, un engagement d’une dizaine d’artistes et bénévoles algériens, un challenge et une initiative citoyenne “ L’ART EST PUBLIC ”. Ce bout de réhabilitation et de revitalisation des espaces publics grâce à une dynamique collective basée sur l’engagement civique de la jeunesse algérienne n’est plus un mythe mais une réalité engagée et engageante qui s’est propagée il y a peu de temps dans les quatre coins de notre cher continent qu’est l’Algérie. Dans le but de démocratiser l’art de rue, de 82 I www.monokromemag.com
Karim Mellouka
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se réapproprier l’espace public ainsi que de sensibiliser les citoyens à une citoyenneté active, la seconde édition de L’ART EST PUBLIC en Algérie s’est tenue du 01/05/2019 au 03/05/2019, dans les quatre coins du pays. Ce sont des quartiers populaires à Sidi Bel Abbes, Oran, Bejaia, Tizi Ouzou, Jijel, Alger, Blida, Skikda et Laghouat qui ont hébergé l’événement grâce à une forte mobilisation et une forte envie de renouveau.
Karim Mellouka Les Orangeries ou Ain El-Sbaa, un quartier populaire à Blida, fut le l’endroit pour accueillir cette seconde édition dans laquelle trois principales activités ont été proposées et réalisées avec succès, grâce à une bonne organisation, soutenue par un véritable travail d’équipe, entre coordinateurs, artistes, bénévoles, et la générosité des locaux. La première activité qui a précédé les autres et s’est par la suite prolongée jusqu’au deuxième jour, fut “l’opération de nettoyage”, instaurée d’abord par les bénévoles à laquelle se sont joint des habitants et enfants du quartier : “les habitants nous ont vu à la tâche, nous ont non seulement prêté main forte mais nous ont également aidé en nous fournissant eau et matériel nécessaire au nettoyage, notre effectif s’est donc vu rapidement grandir, ce qui nous a davantage facilité le travail” confie Khegar Hamza, bénévole. Ainsi cette activité qui, à la base avait pour objectif de sensibiliser et faire naître une conscience écologique chez les enfants tout comme les adultes, a vu son but atteint, chacun sentait qu’il était de son devoir de participer et de mettre la main à la pâte.
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La seconde activité; “l’opération d’embellissement”, s’est déroulée sur la totalité des trois jours. Réalisée par des artistes locaux, autodidactes, amateurs ou professionnels, tous ont contribué de leur énergie et imagination pour démocratiser l’art urbain et ainsi vulgariser la culture dans un environnement dont les occupants manquent d’élargissement, “un véritable challenge !” complimenté par des “merci pour ce magnifique travail…”, “que Dieu vous bénisse les jeunes” ou encore “vous avez égayé Blida avec vos couleurs et nos vies par la même occasion, merci” que lançaient quotidiennement les passants et les habitants à l’intention des artistes en plein labeur, souvent les habitants manifestaient même leur joie par des dons de peinture, de bouteilles d’eau, de la nourriture, etc. “ceci est une très bonne chose, je dis bravo à nos artistes, le résultat est juste magnifique” ajoute Menouar Youcef, le crémier du quartier. Ceci dit, les peintures murales réalisées étaient un véritable succès par la variation des styles artistiques qui en émanaient mais encore pour les différents messages qu’elles portaient et l’énergie positive qu’elles dégageaient reflétant l’image d’une génération consciente, active et pleine d’espoir entre des fresques trompe l’œil telle que “wings of hope” ou “les ailes de l’espoir” en français de Meriem Lahiani et Amine Hanini, et “Souriez” de Linda Messaoudene, ou encore le canard jaune de Anouar Moussaoui, des fresques de Mandala de Khatima Kebar et bien d’autres. “Je voulais réaliser une fresque qui remonte le moral, et qui renvoi à la joie, la mienne demande aux gens et aux passagers de sourire de positiver…” confie Linda Messaoudene, auteure de la fresque intitulée: souriez, “de l’espoir et un peu plus, ainsi s’intitule mon œuvre” confie Nour Taieb Ezzraimi, coordinateur de l’évènement à Blida et une des artistes ayant participé à l’opération d’embellissement en ajoutant, “ma fresque est un mélange entre l’abstrait, l’art naïf et un style africain avec une touche berbère parsemés d’un peu de floral: un printemps d’espoir, une étincelle de liberté et une brise d’un joyeux matin dans une Algérie meilleure”.
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Karim Mellouka Ysmail-Dahlouk walid Comme jamais deux sans trois, la troisième activité “Ateliers de dessin pour enfant” fut elle aussi un succès. Cette activité visant à encourager la participation des enfants à l’événement et laisser libre cours à leur imagination fut accueillie par cette catégorie avec grande joie et motivation. Animé par des artistes bénévoles et soutenu également par la directrice du collège du quartier, “nous leur avons donné d’abord des portraits à dessiner, puis nous avons laissé libre cours à leur imagination pour s’exprimer” confie Amira Feredj, artiste bénévole, en ajoutant “voir l’expression d’émerveillement et de joie sur leurs visages face aux feuilles et crayons de couleur fut pour moi un début d’accomplissement, je suis presque sûre que certains n’ont même pas les moyens de se voir offrir des fournitures de dessin, nous avons même décelé des talents artistiques innés, cette activité a redonné le sourire à des enfants démunis. J’ai adoré faire partie des animateurs, j’espère qu’on verra d’autres initiatives de ce genre plus souvent”. Comme chaque bonne chose a une fin, la seconde édition s’est achevé le 03/05/2019, laissant derrière une belle empreinte artistique, une bonne prise de conscience, des sourires redessinés sur des visages juvéniles et des liens sociaux renforcés davantage, plus important encore, des perspectives de continuité et donc à envisager des réalisations et accomplissement du même genre. La culture urbaine a forcé les portes des différentes sociétés à travers l’histoire, l’universalité de sa forme et de son fond la caractérisant comme étant l’outil idéal pour un échange concret et efficace. Le développement de toute nation commence par l’émancipation de ses artistes. Ces derniers ont un rôle majeur quel que soit le pays ! La manifestation de cette “composante” via les différents moyens d’expressions qui lui sont dûment donnés est un atout majeur dans l’évolution des cultures et des sociétés. www.monokromemag.com I 85
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L’art de rue donne une accessibilité et une réactivité plus qu’innatendue de la part du public/ peuple. Au vu de cette dernière information, le bloc social algérien ayant été témoin de toute sorte de scénarios, changements ou bouleversements qu’on peut attribuer à un pays en voie de développement, on peut dire que la classe artistique y a été plus que marginalisée, cette dernière souffre d’un vide social et structurel ! Malgré que certains de ces scripts nuancent un manque cruel d’harmonie, de tact ou simplement de goût, les nuances changent au rythme de la marche vers le progrès, et l’artiste prend la rue comme seule et unique scène ! Certaines initiatives venant du peuple ou de collectifs associatifs s’avèrent pouvoir être bénéfiques au sein d’une société malade, essoufflée … Mais loin d’être à bout de souffle, encore moins à court d’idées, c’est ce que nous prouvent les différentes démonstrations artistiques dans nombreuses wilayas, villes et villages à travers nombreuses manifestations d’envergure au sein du territoire Algérien, des exemples sont à citer et non pas des moindres ! Mais l’interaction se limitait à une région/ville/village à l’exemple du Raconte-Arts dans les zones rurales de la kabylie ou la marche du 1er mai à Oran. Ces évènements artistiques sont certes très appréciés et accueillis en trombe, mais comme il est cité plus haut, la limite géographique en amoindrit l’impact. À la différence de certains, le mouvement connu sous le nom de L’ART EST PUBLIC se voit très prometteur, privilégiant le contact direct avec le peuple, ainsi que l’échange et l’interaction réelle et effective avec ce dernier. Ce mouvement ose se manifester dans plusieurs villes, à l’aide des artistes locaux, mais aussi des habitants ! Depuis sa naissance en août 2017, différentes opérations de nettoyage ainsi que des ateliers dans différents domaines à caractère artistique, non sans mentionner les rencontres-débat, ont connu un franc succès et un accueil sans pareil de la part des participants, comme le citent nombreux artistes ayant contribué à l’événement L’ART EST PUBLIC ! L’art hue la rue et ce qu’elle est devenue… Il est du devoir d’un artiste de l’investir, la conquérir, la gagner ! Dans l’art et la manière des choses ! Comme il est de son droit de s’y exprimer, et d’y performer son art. La république a besoin de plus de manifestations telle que L’ART EST PUBLIC ! Plus qu’une bouffée d’air souhaitée...un renouveau !
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