MONOKROME ISSUE 05

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monokrome magazine d’art et de culture I www.monokromemag.com

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L’influence de l’art af ricain dans la production artistique contemporaine : un héritage intacte, détourné, revalorisé ? Pourquoi et comment ?



MONOKROME #06 AVRIL-MAI-JUIN 2020

DIRECTEUR DE PUBLICATION | Idris FELFOUL RÉDACTRICE EN CHEF

| Gaëlle HEMEURY

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

| Imen Nour BOUDIAF

DIRECTRICE DE COMMUNICATION | Sabrina Nour-El-Houda LEMMOUI ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Amir GUERMI Insaf Maissa MESSAOUDI Nour TAIEB EZZRAIMI Manel DRARENI Zhor BENSEDDIK © Photo de couverture | Nicole RAFIKI


ART AFRICAIN

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ÉDITO 05

ISSUE05

L’influence de l’art africain dans la production artistique contemporaine : un héritage intacte, détourné, revalorisé ? Pourquoi et comment ?

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eunes, passionnés et dynamiques, telles sont les qualités pour qualifier une nouvelle génération d’artistes en émergence. Forts de leurs parcours éclectiques et de leurs expériences singulières, ils renouvellent les codes au travers de leur art. Intégrés dans le milieu artistique au-delà de leurs frontières et en passe de devenir des artistes reconnus, ils n’en n’oublient pas pour autant leurs racines, les histoires et les décors qui ont marqué leur enfance. En effet, leurs productions, parfois étonnantes et originales, ne sont pas détachées de leurs références africaines.

L’art africain, aussi dense et hétérogène soit-il, est présent et visible dans ces productions contemporaines où il coexiste avec l’usage de nouvelles techniques. Adapté, ré-inventé, détourné, l’art africain est présent tant dans le processus créationnel que dans la création en ellemême. Ainsi, Monokrome a décidé pour ce 5e numéro de mettre en lumière : un art qui puise dans ses racines pour prendre son envol.

Gaëlle HEMEURY Rédactrice en chef


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L’ART AFRICAIN DU PRIMITIF À LA GLOIRE Bizek DEBILI

L’ARCHITECTURE AFRICAINE: L’HÉRITAGE D’HIER ENJEU D’AUJOURD’HUI Fadia LOKBANI

UN DESIGN OBJECT NORD AFRICAIN ET CONTOMPORAIN Manel DRARENI

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DE L’ORALITÉ AU NUMÉRIQUE Nassim MOUSSAOUI

L’AFRIQUE À L’ÈRE NUMÉRIQUE Insaf Maissa MESSAOUDI

RÉCIT FANTASTIQUE « ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ » Amir GUERMI

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POÉSIE « L’ART DE TRANSMETTRE DES SENSATIONS » Amir GUERMI

FICTION « L’ART DE FAIRE VIVRE L’ABSTRAIT» Amir GUERMI

APPELEZ-LE SERDAS ! Sabrina Nour EL houda LEMMOUI

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TANIT« UNE DÉESSE SECRÈTE » Imen Nour BOUDIAF

ADREINNE NTANKEU : UNE FEMME AUX AILES LOURDES Imen Nour BOUDIAF

CRESCENDO SCHOOL I UN NOUVEAU FOYER POUR ARTISTES À BLIDA Radhia KELLOU


SOMMAIRE NUMÉRO 05 - AVRIL / MAI / JUIN 2020

INTERVIEWS

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JOE OKITAWONYA : QUAND NOS ORIGINES NOUS GUIDENT Narimane LOURDJANE

NICOLE RAFIKI : UN VISAGE DE L’ART CONTOMPORAIN Idris FELFOUL

RIM LAREDJ : L’ARTISTE AUX MULTIPLES TALENTS Imen Nour BOUDIAF

KHARI RAHEEM : UNE MASCOTTE AU SERVICE DE L’ART Mounia GHEZLENE


INTRODUCTION

L’ART AFRICAIN DU PRIMITIF À LA GLOIRE Bizek DEBILI

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llant de Picasso à Matisse, la culture africaine a exercé une forte influence au début du XXème siècle sur les géants de l’art occidental. Constituant le berceau de l’humanité, l’Afrique s’est ouverte au monde avec un bagage ethnique sans équivoque. Elle a donné par la suite naissance à des artistes de renoms. Lorsque l’on aborde de la thématique de l’art africain on est bien rapidement confronté à un problème définitionnel ainsi qu’à de nombreux stéréotypes. En effet, Considéré comme art inférieur et méprisé pendant des décennies, ce n’est qu’au début du XXème siècle que l’art dit « nègre » vit le jour dans les musées ethnographiques d’Europe. De fait, la mode de l’art primitif s’impulse et influence durablemment les artistes. Sans conteste, nous pouvons évoquer le rôle des masques sur la production artistique de Picasso et son oeuvre « les Demoiselles d’Avignon ».

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Plusieurs artistes et intellectuels se sont inspirés des sculptures africaines et de leurs formes, objets qu’ils ne connaissent en dehors du contexte culturel et ethnique. Le style de certaines sculptures africaines a permis à ces artistes de s’attaquer aux conventions artistiques de la culture occidentale. Ces artistes ne connaissaient pas les cultures africaines. Pour eux, ces objets sont le symbole d’une force artistique particulièrement expressive, qui s’exprimait sans repère aux cultures créatrices. Si la sculpture africaine devient en ce moment élément intrinsèque de « l’histoire de l’art », c’est justement en fonction de ses analogies avec l’art moderne européen. Depuis, l’art africain a été directement lié au concept du « primitif » ou plutôt au « primitivisme », deux notions étroitement liées à l’épisode douloureux de la colonisation de l’Afrique.


AFRICAN MUSEUM, CADIER EN KEER, NETHERLANDS CRÉDIT IMAGE © PIERRE SWILLENS

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Ce rapprochement n’a jamais cessé de conditionner la façon dont « l’art africain » fut modelé ou interprété par les artistes en Europe. Les premiers qui se sont focalisés sur la sculpture s’éblouissaient de sa forme. Cette dernière leur paraissait libre, non limitée ou obstruée par des asservissements culturels comme cela était le cas pour l’art européen. Pour eux, le « Primitivisme » est l’incarnation même d’une libération, capable de faire naître une force expressive frappante. L’idée que celleci représenterait nécessairement des forces spirituelles mystiques remonte à la découverte de la sculpture africaine vers 1906. Pablo Picasso lui-même a exprimé cette notion dans l’une de ses correspondances avec Malraux. La spiritualité reste aujourd’hui la locomotive de cet art si riche et varié, de la richesse rythmique aux pratiques tribales des chants Voodoo, l’art africain puise dans cet univers toute son âme.

«Je crois que l’art est la seule forme d’activité par laquelle l’homme en tant que tel se manifeste comme véritable individu. Par elle seule, il peut dépasser le stade animal, parce que l’art est un débouché sur des régions où ne domine ni le temps, ni l’espace.» Marcel Duchamp En dehors du champs occidental, l’art africain existe pour lui même et devient le support du retournement de stigmate opéré, connu sous le nom de “négritude”. Aujourd’hui, réinvesti tel quel dans les oeuvres contemporaines ou quelque peu modifié, il n’en demeure présent et structurant dans le processus créationnel des artistes.

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ART AFRICAIN

ARCHITECTURE

L’ARCHITECTURE AFRICAINE L’HÉRITAGE D’HIER L’ENJEU D’AUJOURD’HUI Fadia LOKBANI

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Nous ne pouvons pas nier le fait que le continent africain soit mal identifié et mal qualifié. Ce dernier, souvent décrit comme pauvre, en guerre, en voie de développement recouvre dans les faits une réalité bien différente. Notre continent, qu’il convient à tous ceux qui y habitent de connaitre et de s’approprier, comprend de nombreuses richesses naturelles minières, fauniques et floristiques. Mais ce continent comprend également une grande richesse architecturale et artistique. Dans son ensemble, les productions architecturales et culturelles africaines sont en manque de reconnaissance, à l’exception de quelques pays comme l’Egypte. Les productions sont le plus souvent perçues comme banales, primitives, sans valeurs ou encore reléguées à l’attrait exotique. En conséquence, les canons esthétiques occidentaux ont restreint le développement de la vision du monde envers l’architecture africaine. Toutefois, l’architecture africaine existe et s’avère complexe. Elle demande à être analysée et interprétée à la convergence de cadres physiques, technologiques, socio-culturels et politicoéconomiques. La compréhension de la traduction des formes humaines, animales et naturelles en formes artistique propre à la culture, à la philosophie africaine s’avère indispensable. Autrement dit, l’environnement, le milieu, fournit la matière première pour la construction des espaces. Quand à la technologie naturelle adjacente, elle fournit une vraie boîte à outils pour la manœuvre des ressources matérielles présentes in-situ. Les aspects socioculturels, socio-économiques et sociopolitiques fournissent le cadre de la restructuration de l’espace naturel en un espace créé par l’homme. L’Afrique, deuxième plus grand continent du monde, bénéficie d’une grande diversité de climat et en conséquence de paysages, de végétations et de peuplements. Ces paramètres se reflètent sur l’architecture. À titre d’exemple nous pouvons évoquer l’Afrique tropicale. Cet espace bénéficiant d’un climat chaud et humide et deux saisons implique la construction d’abris permettant la ventilation. Cela se traduit architecturalement par la mise en place d’un système de persiennes ou des ouvertures naturelles sur des murs en Bambou. Ceci, assure alors une circulation optimale de l’air à l’intérieur de l’espace. De plus, les planchers sont souvent élevés pour profiter de la fraîcheur de l’océan. De nombreuses constructions peuvent encore témoigner de cette ingéniosité notamment à Abidjan, Accra, Lagos, et Dakar.

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©Magda EHLER

’architecture africaine illustration d’un continent ancien, riche et ingénieux à l’encontre des stéréotypes misérabilistes.


©Yasir HAYATON

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GHANA : DISTINCTIVE LAND FEATURES AND UNIQUE ORIENTATIONS

De nos jours, cette architecture a beaucoup évolué et compose désormais avec les constructions contemporaines. Il existe de nombreux exemples qui tentent d’associer le traditionnel et le contemporain. A titre d’exemple nous pouvons évoquer l’hôpital général de Niamey (République du Niger). Ce dernier a été construit par l’entreprise chinoise CITIC qui a mis en œuvre une hybridité entre contemporanéité et traditionnel. Ainsi, dans cette région semi aride, les architectes ont fait prévaloir des murs extérieurs vaporisés de Tyroline, (un mélange de sable et de ciment blanc) tout en adoptant un processus traditionnel de construction, des corridors profonds, des patios et des cours, pour assurer la ventilation optimale à l’intérieur du bâtiment dans un climat très sec. Les toits sont construits de panneaux en béton isolés pour réduire les transmissions de la chaleur. D’ici 2050, la population africaine sera amenée à doubler pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. En conséquence, il est estimé de construire plus de 700 millions d’unités d’habitation, 300 milles écoles, et 100 milles centres de santé. Ceci est un appel pour les architectes africains et une invitation à une projection dans le futur, comment assurer ces besoins? Et surtout quel modèle de construction suivre ? www.monokromemag.com I 11

©Liu CHAO

En dehors de l’influence du climat, L’Afrique entretient une relation importante avec les membres de la communauté et la hiérarchie qui l’organise. À cet effet, les villages africains traditionnels avaient développé leur propre mode d’implantation, la composition du village reflétait alors le mode de vie social du village. A titre d’exemple, l’orientation du village était vers la maison du chef du village, quand ce dernier décède, l’orientation du village changeait à nouveau vers le nouveau chef. Autre élément important qu’il ne faudrait négliger la production artistique. L’art africain occupe une place importante dans la culture africaine, et il est intégré comme élément primordial dans la conception architecturale. Il est introduit comme élément décoratif, ainsi qu’un moyen pour chasser les mauvais esprits et comme moyen de communication (exemple: des lions aux accès pour montrer le statut social). De plus, il est assez connu que l’architecture africaine inclut des symboles mythiques relatant la culture et les histoires de ces peuples.


ART AFRICAIN

ARCHITECTURE

UN DESIGN OBJECT NORD AFRICAIN ET CONTEMPORAIN Manel DRARENI

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©Jilani BENCHEIKH

a région nord africaine porte en elle une culture riche, fruit des populations qui s’y sont enracinées depuis des siècles. Si leurs parcours n’ont pas été linéaires, elles ont marqué durablement cet espace en transmettant leur savoir-faire de manière visuelle et orale. À cet effet, on observe aujourd’hui la présence de cet héritage à travers le patrimoine poétique ou encore les dictons qui se transmettent. Cet héritage est également visible dans les techniques de construction et au détour des objets décoratifs. Actuellement, cet héritage traditionnel transmis de génération en génération n’échappe pas à la concurrence avec le capitalisme et le consumérisme qui tendent à reléguer les héritages traditionnels. Toutefois, une nouvelle génération de designers, dynamiques, enthousiastes, parfois diplômés à l’étranger, n’oublient pas leur héritage et cherchent à le faire revivre, à le redécouvrir. À cet effet, par le biais de la maitrise des nouvelles technologies, ils réussissent à le moderniser et à l’appliquer dans leur région.

Parmi l’une de ces designers, nous nous sommes intéressés de plus près à Hind BEN JABEUR, talentueuse tunisienne diplômée d’un master spécialisé en design Néo industriel à l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle- Les Ateliers, à Paris, qui tente de percevoir le design tant dans ses dimensions pratiques que stratégiques. Pour Hind Ben Jabeur, l’objet est un instrument 12


ISSUE05 d’échange, capable de répondre aux besoins, aux émotions ainsi qu’aux cahiers des charges des clients, d’où vient la nécessité de sa création. Son profil axé sur le design thinking lui a permis de concrétiser son projet Zojrof, motif arabesque décoratif, qui consiste à moderniser les arabesques et les faire revivre à travers différentes utilisations et nouvelles techniques digitales et numériques. En premier lieu, nous avons les logiciels indispensables à la création comme Grasshopper* qui peut être intégré au logiciel de modélisation Rhinocéros. Grasshopper a un algorithme génératif utilisant des codes nous permettant de dupliquer différents motifs. Quant à la concrétisation de ces motifs, il existe des outils efficaces comme les fraiseuses, les imprimantes 3D sans oublier la précision des découpes laser. Mise en lumière du projet ZOJROF ZOJROF qui signifie « mosaïque » en arabe est un projet qui consiste à revisiter les techniques artisanales de la conception de l’art arabesque. Pour créer des produits décoratifs, Hind réalise ses projets en s’appuyant sur les nouvelles technologies en particulier les outils numériques, tout en ayant à cœur de préserver une certaine authenticité. Son avantage réside dans cette double vision qu’elle porte sur l’art arabesque pour moderniser ses motifs. Elle intervient sur ses diversités, ses répétitions et ses abstractions pour donner une nouvelle approche industrielle, mais surtout contemporaine. Les premiers tests de motifs qu’elle a effectué sont parties de réalisations 2D qu’elle a appliqué par la suite sur des panneaux muraux, paravents, papier peint, textile, tapis et elle affirme que ca marche bien!

ZOROF

Sa vision de l’objet design nord africain Hind Ben Jabeur partage : « Actuellement, on trouve très peu de produits arabesques. Dans les magasins. On trouve les motifs japonais, africains, scandinaves...Mais les produits nord africains sont restés tels qu’ils étaient. Leur forme et design ne ce sont pas modernisés. Et c’est là où ma vision entre en jeu car j’aspire à faire revivre ces objets autrement, avec l’utilisation des nouveaux matériaux ou ayant recours aux techniques de production. Hind Ben Jabeur exprime sa culture à travers des objets qui ont du sens pour elle et qui s’intègrent dans l’Afrique du nord actuelle.

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ART AFRICAIN

ARTS NUMÉRIQUES

DE L’ORALITÉ AU NUMÉRIQUE Nassim MOUSSAOUI

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a connaissance. Quelle que soit sa source, son origine, toute la puissance qu’elle contient, la connaissance est l’essentiel profond qui fait la compréhension de la vie, l’essentiel de ce qui a fait et qui fait l’homme. La connaissance est l’énergie qui fait jaillir la lumière.

«La clarté ne naît pas de ce qu’on imagine le clair, mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur.» Carl Gustav Carl Gustav Jung L’être humain est relié aux siens entre un passé et un avenir, dans un présent où la nécessité «de connaitre» n’a d’égal que l’immensité des informations disponibles et dont il faudra probablement maitriser le flux et la véracité. Le monde se développe, il évolue. Des premiers enseignants de l’humanité à la découverte de leur histoire sur nos tablettes numériques et autres outils de notre temps, la boucle serait-elle bouclée ou bien le cycle de la vie poursuivrait-il sa route comme un cercle d’éternité, qui au lieu de cesser de recommencer, serait bel et bien en train d’avancer ?

«La connaissance conduit à l’unité comme l’ignorance à la division.»Râmakrishna L’oralité s’est-elle éteinte ? Les technologies vont-elles par leurs capacités de stockage et de mémorisation la rendre obsolète ? Les échanges oraux constituent une source phénoménale d’échange, accompagnés des innombrables messages du non verbal, nos gesticulations, nos gestes, nos signes, nos regards, nos sourires, parfois une larme, toutes ces expressions qui rendent toute l’étendue 14

de notre humanité. L’oralité s’est protéger, pérenniser par le livre au rythme des siècles et des millénaires, à travers les mystiques, les scribes et autres détenteurs de la science de l’écriture, de la reproduction et de la transmission. N’oublions pas toutefois, la richesse de l’héritage des peintures rupestres qui ont su nous faire parvenir les messages d’autrefois, mais cela est une autre histoire à vous compter, celle des formes, du langage et de leur évolution. L’oralité, a pu, a su acquérir sa survie. L’oralité aujourd’hui, découvre un nouveau support, le numérique ! Il s’agit bien là d’évolution, quand les sons deviennent une voix, quand la voix devient encre sur le papier, quand le papier se fait numériser, c’est la connaissance transposée.

«L’oralité est un mode de signifiance fort, dont ne sont pas pourvus tous les discours oraux. Le poème le porte au plus haut point : La voix qui dit le poème n’est pas la voix qui parle, parce qu’elle ne dit pas la même chose »Henri Meschonnic : Critique du rythme, Anthropologie historique du langage La sagesse du peuple «Yoruda», peuple ancestral d’Afrique, a mis la parole au firmament des relations humaines. L’éloquence de leurs transmissions, ordinaires ou religieuses voire spirituelles quoique ces dernières soient inévitablement liées, a su donner à «la parole» toutes ses lettres de noblesse.

«La parole est dans les yeux» Peuple Yoruda


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La parole, aujourd’hui, a perdu beaucoup de ses sens, mais elle ne s’est ni tue ni s’est murée en silence. Elle se redécouvre, évolue pour enfin renaitre. Elle comprend que pour continuer d’exister et transmettre ses savoirs elle doit elle aussi, à son tour, acquérir de nouvelles connaissances, de nouveaux moyens de transmissions et de communications pour rallier à sa cause une nouvelle génération. Une génération qui paradoxalement ne parle plus, mais s’exprime au travers de sons, d’images, d’effets visuels, de silences violents. N’est-ce pas là une forme de non verbal ? Retrouvons toutes les générations à la croisée des chemins. La puissance de la parole, l’impact phénoménal du livre, la nouvelle force du numérique sont à même, si le combat est mené cœur battant, esprit vaillant et coudes serrés, de laisser une empreinte indélébile dans les grandes salles des bibliothèques de l’histoire humaine. L’Afrique se met en marche quand la technologie du goutte-à-goutte se fait rattraper par le numérique qui s’installe, se multiplie et s’ouvre à un espace infini. Le livre numérique, sans pour autant entrer dans les méandres des maisons d’édition, est plus rapidement disponible qu’il soit payant ou gratuit, et de ce fait, s’offre à lui-même une vitrine bien plus immense, un lectorat bien plus large, en un temps que l’édition classique ne saurait égaler. Sans abandonner cette dernière, les textes, les poèmes, les récits et autres contes africains forment, aujourd’hui et de plus en plus, un panel très riche de littérature, tel un champ immense cultivé pour la culture et ouvert sur le monde, avide d’être lu et reconnu. L’Afrique doit s’ouvrir à elle-même et aux autres.

L’Afrique met à profit tous les moyens technologiques à sa disposition. Quand le taux de pénétration d’internet est encore faible au vu de ses capacités réelles, les téléphones, tablettes et ordinateurs de toutes sortes exploitent les outils de transmission d’un livre d’un nouveau genre. C’est ainsi que : e-book, audio book, courtes capsules thématiques sonores ou filmées, se déclinent sous des formats divers. Ils permettent au plus grand nombre, si ce n’est au monde de s’enrichir des connaissances africaines et ainsi découvrir, voir redécouvrir un continent qui est en mesure de bercer l’humanité au fil de ses histoires : celles du passé, de demain, mais le plus important et le plus vital, celles d’aujourd’hui. Que d’auteurs africains pourraient être cités : Frantz FANON, Léopold Sédar SENGHOR, KATEB Yacine, Assia DJEBAR, et tant d’autres encore portés par cette innombrable et riche Afrique qui a tant besoin de retrouver toute la valeur intrinsèque de sa littérature et la faire découvrir aux générations futures. Ces littératures orales, écrites, numériques, loin d’être en antinomie, sont une évolution du mode de transfert de la connaissance africaine. Elles s’allient, toute en concordance, dans un contexte plus que jamais mouvant, changeant et imprévisible. Il sera toutefois nécessaire d’adopter une certaine cohérence dans le développement à venir, nécessaire d’acquérir une certaine maturité afin d’être à même d’atteindre les cimes illuminées.

«Grâce à l’apport du numérique, le champ des possibles est devenu infini. Nous sommes à l’aube

L’auteur stratège ; quel qu’ait été son cheminement,

de changements radicaux dans l’approche que nous

perçoit désormais les avantages et les inconvénients

avons de nos métiers». Extrait de « MÉTIERS D’ART

des deux voies. Extrait de «Publier son livre à l’ère du

et numérique» de Institut national des métiers d’art

numérique»

Paris. www.monokromemag.com I 15


ART AFRICAIN

ARTS NUMÉRIQUES

L’AFRIQUE À L’ÈRE NUMÉRIQUE Maissa Insaf MESSAOUDI

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oin de toute image misérabiliste et de tout regard péjoratif que porte le monde sur les pays sous-développés, le continent africain s’impose de plus en plus dans la course au développement numérique qui tente radicalement de transformer et révolutionner les modes de vie et les façons de produire. Le domaine artistique n’est pas en reste en sachant que les arts numériques obéissent à des instructions précises, ce qui est un véritable défi que le continent africain est prêt à relever. De ce fait, l’art africain contemporain ne se borne plus, quels que soit le style des œuvres artistiques, le médium utilisé (sculpture, peinture, photographie, dessin ...) ou le mouvement artistique auxquelles elles appartiennent. Même si l’Afrique est marquée par un important retard de développement et un accès à un réseau très lent qui est désormais considéré comme étant le plus faible dans le monde, elle a pu tracer son chemin dans la société de l’information et il en va de même pour la création artistique qui se concrétise par l’ambition et le dynamisme des artistes africains, favorisés certainement par la propagation des TIC sur le continent. Ainsi le numérique se fait graduellement un nom dans les milieux culturels africains. Les œuvres numériques sont très diverses et prennent différentes formes, telles que des installations interactives ou immersives qui sont cette nouvelle forme de représentation du monde, sur le plan technologique numérique et bien que le concept de la réalité virtuelle, déjà bien implanté en Europe et notamment en France, est en train de débarquer en force dans toute l’Afrique. Les Africains sont de plus en plus nombreux et surtout curieux à se rendre dans les lieux publics qui proposent des expériences en réalité augmentées pourvu que certains pays

FAKEBA TRIAS CULTURE

comme l’Afrique du Sud ou le Kenya par exemple montrent une révolution plus remarquable, avec des initiatives clairement orientées vers l’art numérique qui devient le monopole de la création artistique ces dernières années. 16


ISSUE05 L’impact du numérique dans le processus de création et de production des œuvres fut marquant. L’application des outils numériques par le biais de la formation artistique est devenue dans ce cas primordiale, surtout que l’art digital se propage de plus en plus en Afrique et plus particulièrement à Dakar. La capitale du Sénégal possède tous les critères lui permettant d’être en pointe et de se classer en premier dans le domaine de la création digitale en étant au service de la création artistique pour la promotion de l’art numérique à travers un concours ‘’Africa ArtBox Award’’. Cet art numérique a été lancé par Trias culture, une entreprise sénégalaise qui cible les artistes africains ou non africains vivant en Afrique pouvant entrer en concurrence et s’activant dans le numérique. L’objectif de ce concours consiste à pouvoir créer un espace de partage où ces artistes émergeant peuvent se retrouver et se reconnaitre dans cette nouvelle discipline qu’est l’art numérique ainsi que l’intégration des nouveaux médias dans le parcours professionnel des acteurs culturels au Sénégal et en Afrique. MASCOTTE DU CONCOURS AFRICA ART BOX AABA

CONCOURS AFRICA ART BOX-AABA 2017

Aujourd’hui encore, la notion du ‘ numérique ‘ a évolué et l’articulation du digital par rapport aux autres formes de l’art est indéniable. Donc, l’intérêt se manifeste déjà bien présent, ce qui laisse désormais le champ libre aux artistes pour développer toujours plus de créations. Les initiatives autour du numérique se sont développées de plus en plus dans le continent Africain qui gagnera sa place dans le monde à travers la contribution des arts numériques à la reconnaissance artistique de l’Afrique qui est actuellement jugée immense. www.monokromemag.com I 17


ART AFRICAIN

POÉSIE ET LITTÉRATURE

RÉCIT FANTASTIQUE « ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ » Amir GUERMI

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e rêve depuis toujours fascine, il demeure à ce jour et cela malgré plusieurs études et recherches sans explications logiques. Cette mysticité lui a valu d’être un sujet de superstitions et d’interprétations dans beaucoup de cultures et croyances. Dans l’art, le rêve est souvent représenté comme source d’inspiration, et la littérature ne fait pas l’exception. Le récit fantastique ou fantasmagorique tire son noyau du psychisme et de la libre création et association des objets et des mondes, s’autorisant même de remettre en question la réalité. Subjectif, il a en commun avec le rêve la distorsion du réel, ne respectant aucune logique ni rationalité. En littérature ce genre de récits mélange réalité et rêve «le premier influençant le deuxième ‘’. Le rêve épouse la réalité donnant naissance à sa singularité esthétique. Mettant le doute sur une situation réelle, ce récit intellectualise l’hésitation la rapprochant plus du rêve que de la réalité. Ceci est représenté par des images qu’on qualifie d’apparitions, des incohérences et des paradoxes qu’on aimerait assimiler à la réalité.

HOFFMANN CONTES ET FABLES : UN HOMME TUANT UN MONSTRE

Représentatif de l’effroi, le récit fantastique se veut traducteur des images qu’on peut se faire du vécu fantastique ou du rêve. Les rapprochements qu’on fait avec la réalité, les dépassements qui caractérisent cette catégorie de fiction, diffèrent d’un auteur à un autre. Quand l’un fait du rêve son moteur et source d’écriture l’autre ne distingue plus la réalité du rêve. Le résultat se trouve le même au fil du récit, le doute et l’incompréhension s’installent et même parfois la question de la folie est posée. C’est là que se pose la question de la relation qu’il y’a entre le rêve et le fantastique. Leur relation repose sur le «récit», qui permet à l’auteur de transcrire le vécu du moment fantastique ou celui du rêve qu’on croirait être la réalité, au contraire des contes (récits merveilleux) et la science-fiction (récits normalement basés sur des vérités scientifiques). Ces différentes sortes d’écrits varient entre romans et nouvelles. Les sciences neurologiques aussi ont apporté une déviante des récits fantastiques en essayant d’expliquer ces phénomènes, car en effet la perception de ces derniers a changé au fil du temps et avec les découvertes des recherches scientifiques, de nouvelles définitions sont apparues, donnant naissance à de nouvelles explications. L’axe principal qui est pris dans les récits fantastiques passe forcément par l’effroi, la peur et une sorte d’épouvante. Dans la manière de décrire les événements, les endroits, l’auteur se laisse aller à des descriptions plus ou moins effrayantes, car lui-même ressentait cela au moment où il le vivait. Dans une certaine mesure l’auteur doit toujours faire douter le lecteur sur la nature des faits qu’il raconte. Enfin, le fantastique ou le rêve raconté relève du visuel avec une sensibilité accrue. 18


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POÉSIE « L’ART DE TRANSMETTRE DES SENSATIONS »

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entrer. La poésie de ce fait s’approprie plusieurs fonctions.

Toute poésie vit dans les mouvances du « je » et meurt dans les rebords du « tu », s’exaltant et sublimant à tour de rôles, en versets ou en prose, dans la plupart des écrits poétiques l’amour joyeux ou inquiet qui se trouve au centre. Dans toute son expansion « Amour » fraternel, celui d’une femme, ou celui d’une mère aussi, presque tout et tous peuvent être célébrés.

En effet la poésie existe dans le langage de l’engagement, celui qui traduit la pensée nonexprimée, l’opinion cachée, dévoilant le monde. Dans ce contexte, le poète se transforme en artisan du verbe, allant là et là. Habilement il joue des mots, transforme des expressions, en invente aussi. Il va en décrivant les objets, les choses, en les faisant vivre. La poésie en cela devient un outil de connaissance, elle décrypte sans retenu le monde le mettant à porter des sens.

a justesse du mot et sa portée est très importante en littérature. Cette particularité terminologique se délecte plus précisément dans la description des événements, des objets ou des personnes. La précision sémantique nous permet de savoir au juste ce que l’auteur veut transmettre et surtout ce qu’il veut nous faire imaginer, dans le moindre petit détail depuis cette perspective. Il est donc possible de faire connaître à travers des mots, des sensations ou des émotions aussi complexes que paradoxales.

La poésie est un art unique en son genre. Elle mélange souffrance et extase, de par sa complexité mais surtout de par l’inspiration qui est requise pour sa création, qui en est la base. Evidemment, on peut être doué dans sa manière d’utiliser les mots sans jamais feindre des sentiments ou des sensations. La précision du mot, bien choisir et bien nuanc– er n’est pas à la portée de tous. Le poète a pour mission de faire vivre mais aussi de traduire les émotions qu’il ressent. De ce fait, il se meut en créateur d’expressions, car la poésie est en elle-même l’expression du moi intérieur du poète, mettant en avant l’irrationnel et ainsi faisant appel au lyrisme qui exprime en lui la passion, en peignant à son tour à travers des mots l’abstrait qu’on ressent. Dans cette configuration, le poète s’imagine un nouveau monde où il nous fait

De ce point de vue, l’expression du sentiment personnel est donc le moteur de toute création poétique. Dans cette introspection on peut dire que le poète doit être doté d’une sensibilité aiguë, celle-ci lui permettant d’exprimer avec des mots l’irrationnel qu’incarnent les sentiments. Ceci étant, la fonction première et même presque omniprésente de la poésie n’en est pas la seule.

La relation de l’univers et tout ce qui nous entoure dans le moindre petit détail avec la poésie, fait du poète l’orateur du monde. Ceci lui permet de rendre intime les rapports qu’on peut avoir avec des objets du quotidien transformant les sentiments personnels en universels, usant des variétés d’expressions à savoir (Satire, Ironie, …). On peut aussi parler de l’art pour l’art, pour la beauté et pour l’esthétisme de la phrase ou du mot, comme pour célébrer l’esprit et l’intelligence. Créer pour émouvoir et pour transmettre, est la seule et unique raison d’être de l’art. En fin de compte la poésie incarne l’âme des arts. Sans rien feindre, le poète se donne l’obligation de donner de son être pour pouvoir arriver à créer.

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ART AFRICAIN

POÉSIE ET LITTÉRATURE

FICTION « L’ART DE FAIRE VIVRE L’ABSTRAIT» Amir GUERMI

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a fiction par définition est l’art de faire vivre son imagination. L’œuvre fictive est une invention totale de l’auteur, mais on peut aussi la définir comme étant l’imagination d’une réalité améliorée. A partir de ces définitions on peut dire que la fiction est un écrit qui ne vit que par la réalisation de l’auteur et n’est réalisée que par le lecteur. Limitée par la créativité de l’auteur, la fiction est parée par des bornes imaginaires, et son existence dépend en partie de l’absence des autres récits à savoir l’historique, la biographie ... etc. Cette optique de conceptualisation abstraite, lie de manière proportionnelle la fiction à la pure invention artistique. Elle n’en est pas pour autant l’essence du récit, mais elle suffit pour pouvoir en construire un. ALICE, PERSONNAGE DE FICTION EMBLÉMATIQUE DE L’ŒUVRE DE LEWIS La fiction est avant tout une idée CARROLL abstraite, et sa survie dépend essentiellement du lecteur. Son accroche au récit est aussi importante que le contenu, c’est donc grâce à la relation qui constitue l’entonnoir entre l’auteur et le lecteur que la fiction trouve son épanouissement, car sans ça, l’intentionnalité est vite dépassée, laissant l’influence autobiographique prendre le dessus et la fiction disparaîtrait.

Comment le lecteur peut se laisser entraîner dans le récit fictif ? Le lecteur peut grâce à des indicateurs déduire que le récit est une fiction, dans la mesure où la fiction repose sur la 1ere personne du singulier, mais aussi l’auteur devine aisément les pensées des personnages de son histoire, on peut aussi se référer à la réalité du contexte du récit (époque, environnement ...). Le point de vue du lecteur est aussi à prendre en compte, car il peut être influencé d’emblée avant de commencer sa lecture, en sachant qu’il doit faire semblant pour donner vie au roman il joue une part dans l’aboutissement de l’œuvre. Ceci rend la fiction dépendante du lecteur et sa prédisposition à se laisser embarquer dans l’histoire. Cette flexibilité permet à l’auteur de flâner çà et là dans les vérités du monde sans avoir peur d’être pris au sérieux.

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MONOKROME PORTFOLIO

www.monokromemag.com 1 JANUARY 2015 OBTENEZ LA CHANCE DE VOIR VOTRE TRAVAILDANS NOTRE SITE WEB ET RESEAUX SOCIAUX.

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ART AFRICAIN

ARTS PLASTIQUES

APPELEZ LE SERDAS ! Sabrina Nour El houda LEMMOUI

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ESAAD Farès est un artiste plasticien algérien. Originaire de la ville de Béjaia, où il y a passé 23 ans de sa vie au cours desquelles il étudie le droit à l’université avant de rejoindre en 2011 Alger pour ses études de sculpture à l’école supérieure des beaux arts « ESBA ».

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YESAAD Farès est un artiste plasticien algérien. Originaire de la ville de Béjaia, où il y a passé 23 ans de sa vie au cours desquelles il étudie le droit à l’université avant de rejoindre en 2011 Alger pour ses études de sculpture à l’école supérieure des beaux arts « ESBA ». Très jeune, à l’âge de 13ans, influencé par le travail de son oncle qui consistait à peindre des murs pour les commerçants en Kabylie et quelques œuvres murales commémoratives, il touche pour la première fois à la matière et découvre ainsi son amour pour la rue. Un artiste est né et existe désormais à travers le mur qui lui offre « une tribune d’expression ». La rue est sa muse et ses murs sont pour lui des toiles sans fin. SERDAS s’inspire de tous les éléments qui constituent son identité : de la petite histoire racontée par sa grandmère jusqu’aux interactions avec les classes sociales qui l’entourent et dans lesquelles il évolue. Tout son environnement est source d’inspiration; pour lui Il n’y a rien de banal : «Tout ce qu’on considère comme banal cache une immensité de réalités, que ce soit les jeux d’enfants, nos rapports à la nature, à l’extérieur au végétale et à l’animal. Nos rapports au folklore, à l’histoire également. L’évolution du langage, que ce soit à travers le parlé, les symboles et le geste m’inspirent aussi fortement». Très marqué par ses origines, il proclame avec fierté l’africanité de son art : Toutes les cultures africaines et leurs évolutions, les luttes menées sur les terres de ce continent sont au centre de son intérêt en tant qu’artiste. Et quand on observe son travail artistique, on retrouve autant de couleurs que de formes, qui font rappeler la diversité culturelle et artistique de l’Afrique. Selon lui, dans la recherche artistique, hormis l’effort fourni pour construire

l’idée et trouver le sujet, l’artiste se doit de proposer une esthétique riche en palette et en formes. Ainsi il offre un sentiment de gaieté à celui qui veut bien le ressentir. Quand il a un message à faire passer, sa façon de le communiquer balance entre le directe et le subtile. Mais essentiellement, il ne veut transmettre rien d’autre que de la beauté, un message esthétique qui contribue à exprimer picturalement les éléments de son univers. Ce qui intéresse avant tout notre artiste, c’est d’établir un lien entre la mémoire collective et le monde actuel à travers le recours aux masques, aux jeux et aux symboles. Après ses études aux Beaux-Arts, où il y fait d’inspirantes rencontres avec des artistes tel que: PANCHOW, SNEAK; il participe à quelques expositions et résidences artistiques : DJART’14 à Alger ou il rencontre BELDA 16, LMNT et d’autres avec qui il a pu fonder 213 WRITERS. Il y a eu aussi la résidence croisée Alger-Marseille et Delirium à Seen Art Gallery en 2017, Ched Med à Daka et JACC en Tunisie en 2018. 2016 fut l’année de ses participations les plus marquantes : Entitled 01, organisée par le collectif LIKIP dont il est membre en compagnie d’autres artistes qui affectionne y travailler avec comme : PANCHAW, VATO, BELDA 16, RENSA et BLS ; et aussi : Picturie Générale au marché Volta. Les deux sont le fruit d’un long travail entièrement indépendant et autonome, en compagnie d’artistes dont il affectionne particulièrement le travail. Il considère la tenue de ces expositions comme une contreculture : «ça montre que l’on n’est pas tenu d’attendre les institutions pour organiser ce genre d’événements». Aujourd’hui, c’est à Paris que SERDAS continue son parcours artistique qu’il qualifie d’une grande aventure.

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ART AFRICAIN

VOYAGE ET DÉCOUVERTE

TANIT « UNE DÉESSE SECRÈTE » Imen Nour BOUDIAF

Voudriez-vous voyager avec nous à travers le temps ? Ça vous dirait de nous accompagner des milliers d’années en arrière au temps des mythes?

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es récits transmis de génération en génération avaient une visée informative sur la société et pédagogique voir moralisants pour les générations futures. On observe la présence de mythe dans nombres de civilisations y compris en Afrique ainsi que la diffusion et adaptation de ces mythes entre eux. L’afrique, fruit de nombreuses civilisations qui s’y sont établies, parmi lesquels pour n’en citer que quelques uns : Le royaume de Kerma / Koush, qui est un royaume Couchite qui régna sur la Nubie entre les années 2450 av. J.-C et 1480 av. J.-C, sur 1 000 km ou encore la civilisation d’Égypte Antique, fondée en 3150 av. J.-C, qui demeure une des plus importantes civilisations dont les secrets n’ont pas encore été totalement dévoilés. Il y a également, la civilisation Carthaginoise ou civilisation Punique qui a existé de 814 av. J.- C. à 146 av. J.-C et dont elle résulte du mélange de la culture autochtone, constituée par les Berbères en Afrique, et de la culture qu’apportèrent avec eux les Phéniciens. Elle demeure l’une des plus grandes forces d’Afrique. Cette succession de civilisation a finalement donné naissance à plusieurs mythologies due à la diversité des croyances et idéologies. Parmi ces mythes, nous dénotons : Tanit, abrégée en TNT, qui est une déesse punique et libyque chargée, selon les croyances berbères et carthaginoises, de veiller à la fertilité, aux naissances et à la croissance, elle est l’équivalant de : Aphrodite ( chez les Grecs), Vénus ( chez les Romains), Anaïtis ( chez les Libyens) , Dercéto ( chez les Syriens) , Mylitta ( chez les Chaldéens d’Assyrie) , Ishtar ( chez les mésopotamiens), Isis ( chez les Egyptiens), Astarté ( chez les Phéniciens), Innana ( chez les Sumériens) ,ou encore Al-Lat ( chez les antéislamiques). Tanit est symbolisée par un triangle, soutenu par une ligne droite et surplombé par un cercle. Ce symbole est interprété par le professeur danois de philologie sémitique philologue, F.O. Hvidberg-Hansen comme une femme levant les mains. Ce signe pourrait être un symbole représentant une personne priant, les bras levés vers le ciel. On trouve parfois une tête d’un lion au

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Stèle sur le tophet de Carthage dédiée à Ba’al Hammon


ISSUE05 lieu du cercle, cette différence est significative selon HvidbergHansen à sa qualité de guerrière. On peut découvrir les traces de Tanit un peu partout dans le nord-africain, notamment en Algérie, à Constantine plus exactement, dans un sanctuaire archéologique sur une colline ( El Hofra ), ou à Ouargla où son symbole orne ses sept portes mais aussi en Tunisie, où elle est évoquée lors du rituel du mariage, connu sous le nom de Jelwa, en sachant que plusieurs noms de rues portent également son nom à Carthage et à Tunis.

MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE DE CATALOGNE, BARCELONE

Tanit est en d’autres termes une mère protectrice, guerrière, infirmière et déesse qui a pendant longtemps protégé la progéniture. Néanmoins, il faut tout de même noter que plusieurs historiens lui ont donné une image très différente de celle-ci si bien, qu’ils lui ont attribué l’image d’une consommatrice de chair et de sang. Déesse de bonté divine, ou déesse barbare, Tanit reste présente jusqu’à présent dans différent cultes pratiqués dans la région Nord-Africaine, ce qui accentue d’avantage sur le fait qu’elle demeure une source d’inspiration culturelle importante pour l’identité Africaine. Si vous voulez aller à sa recherche vous pouvez trouver quelques uns de ses vestiges matériels dans les musées suivants : « Musée Cirta, à Constantine en Algérie », « Musée Des Antiquités à Alger en Algérie », « Musée Cherchell à Tipaza en Algérie » ou encore « Musée Carthage à Tunis en Tunisie ». Que vous soyez Africains ou non, nous vous invitons vivement à aller sur la trace de cette mystérieuse déesse qui a su graver son nom dans l’histoire pour notre plus grand plaisir. www.monokromemag.com I 25


ART AFRICAIN

ARTISANAT DE L’ART

ADREINNE NTANKEU UNE FEMME AUX AILES LOURDES Imen Nour BOUDIAF

« Il ne faut pas avoir peur de soi- même et on doit s’accepter comme on est. La peur empêche de faire beaucoup de choses » Adrienne NTANKEU

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drienne NTANKEU, 42 ans, est d’origine Camerounaise. Issue d’une famille polygame qui l’a matraitait à cause de sa différence physique, car – albinos en Afrique noire, est une situation difficile dans la société. Ses parents ont donc décidé de se séparer d’elle à 5ans, troquant ainsi, sa vie au Cameroun, sa famille et ses racines contre une vie meilleure. En France plus exactement, où encore une fois, elle a été maltraitée, mais cette fois-ci par sa famille d’accueil qui n’a pas accepté son physique différent du leur puisqu’il ne rentrait pas dans le cadre idéaliste que la société d’aujourd’hui nous inflige, et en a fait d’elle son souffredouleur pour la faire sentir à chaque fois seule et vulnérable…

Une fois adulte, elle a fini par se faire une place au sein de la société et c’est là qu’est intervenu son engagement pour l’albinisme. En février 2011, révoltée par les massacres d’albinos en Afrique, elle crée l’association ANIDA. Elle décide de mener le combat, avec d’autres associations pour défendre cette cause.

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©Natydred

Telle une battante, elle n’a pas facilement baissé les bras, si bien qu’elle a décidé de tracer son destin, et ce, en cherchant à s’émanciper dès l’âge de 16ans ans afin de se prendre ellemême en charge car les adultes ne savaient lui faire que du mal. C’est ainsi qu’elle a appris à être une adulte bienveillante et aimante comme elle en aurait eu besoin pour grandir et s’épanouir sereinement.


ISSUE05 Optimiste mais réaliste, elle préfère aider, soigner et donner de l’espoir à ses égaux dans le monde entier. Elle veut également changer les mentalités et dire aux ignorants qu’être albinos n’est pas un fardeau. Elle est sûre que l’Homme sera amené à transcender pour évoluer spirituellement et physiquement ainsi sa perception changera, car les regards ne changeront que si l’Homme change. Puis, un jour, on lui demande de poser comme mannequin. On trouve alors que son physique authentique dégage beaucoup de charisme, et c’est au cours de cette expérience, qu’elle décide de tout quitter et entrer dans le monde de la mode et créer ainsi sa marque de vêtements avec assez d’audace pour prendre ce risque. Ce que l’on ignore également, c’est qu’Adrianne est maman de trois enfants. Sa famille fait partie intégrante de sa vie, et elle en est fière.

©Anne MULOT

Adina ne commence jamais ses journées sans libations à ses ancêtres ainsi qu’à ses enfants. Entre vie professionnelle et vie familiale elle tente de concilier un équilibre. Ses proches et ses enfants tout particulièrement la soutiennent et l’inspirent. Elle leur demande d’ailleurs parfois de poser pour elle. Adrianne nous a avoué que les difficultés qu’elle avait rencontrées étaient liées à sa perception d’elle-même à cause de son enfance difficile, et de cette partie sombre de sa vie, où elle n’arrivait pas à s’aimer et s’accepter pour ce qu’elle était. Elle a bien assurément rencontré d’autres problèmes, telles que les difficultés que rencontrent n’importe quelle entrepreneuse, qu’elles soient économiques ou structurelles, car il faut s’investir dans son projet, et organiser sa vie afin de l’adapter à son choix. Pour ce qui est de sa souffrance, elle demeure une arme à double tranchant, cependant Adrianne l’a utilisé pour en faire une force et canaliser cette haine qu’avaient les gens envers elle et la transformer en un amour à transmettre aux autres par le biais de ses créations qui sont un magnifique mariage entre l’Afrique et l’Europe : des tenues modernes inspirées de la mode occidentale avec des tissus, des designs et des âmes Africaines. On sent parfaitement que ces créations viennent du cœur, et sont là pour étaler et propager l’amour et la tolérance. Ayant un but assez noble, elle met encore une fois en avant sa famille avant tout, puisque son principal but est de bien prendre soin de ses enfants, puis d’avoir une autonomie financière par son travail afin de pouvoir aider les personnes qu’elle aime ; y compris sa famille, soutenir les personnes www.monokromemag.com I 27


ART AFRICAIN

©KAMSON PHOTOSHOOT

atteintes d’albinisme, fabriquer de la crème solaire locale en Afrique et pouvoir distribuer des bourses scolaires.

Etant donnée que la totalité de ses objectifs ne sont pas encore atteints, ses projets à venir demeurent en la commercialisation de ses créations à tout le monde en délivrant un message universel à travers son travail. Pour le moment, elle est beaucoup plus concentrée sur la qualité que l’aspect économique car ceci est un gage qui donnera de la valeur à ses tenues et permettra de faire vivre son association pour mettre en place ses projets envers les personnes sans mélanine. Actuellement, elle travaille sur son site internet : www.adina-couture.store afin de mettre en ligne sa collection. Elle termine aussi quelques pièces de la collection Freedom et prépare la 2eme collection intitulée Sekhmet 2020.

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©KAMSON PHOTOSHOOT

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adina_ntankeu anida.fr

Comme toute personne humble, elle ne dit pas qu’elle a réussi sa vie, elle préfère dire qu’elle est heureuse au quotidien de faire le travail dont elle a toujours rêvé, de réussir à prendre soin de ses enfants et d’elle-même, de venir en aide aux personnes sans mélanine, et surtout de pouvoir s’aimer et s’accepter telle qu’elle est car pour elle : c’est cela la réussite. Nous lui avons demandé si elle regrattait ses choix, elle nous a dit qu’elle n’en regrettait aucun car regretter ses choix voulait dire renier ce qu’elle est aujourd’hui et qu’elle « Aime la femme qu’elle voit dans la glace tous les matins ». Elle a peut-être pris du temps pour s’accepter, elle a beaucoup souffert, mais une chose est sure, nous apprécions également la superbe femme qu’elle est devenue actuellement. Pour finir, elle conseille aux autres de ne pas avoir peur car c’est normal, mais il ne faut pas y céder : « Parfois on marche avec quelque chose que la peur nous fait voir comme un fardeau sur nos épaules mais le jour où on a le courage de se retourner pour regarder ce que l’on porte, on se rend compte qu’en fait ce sont nos ailes ! On peut tout faire avec ces ailes et tout être. »

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ART AFRICAIN

CRESCENDO SCHOOL

UN NOUVEAU FOYER POUR ARTIS Radhia KELLOU

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epuis le début de l’année 2019, Blida connait une immense vague artistique ayant particip Emportée par cette même vague, Crescendo School : une école, voir un foyer pour artistes d fondée par CHINE Fatima et SLIFI Djamel Eddine : deux jeunes musiciens diplômés de l’In

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STES À BLIDA

pé à l’embellissement de la ville et réconcilié sa communauté avec l’art. de toutes disciplines confondues est née au sein de la ville. Elle demeure nstitut Régional de la Formation Musicale d’Alger.

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ART AFRICAIN

Qu’est-ce que Crescendo School ? Fatima : Crescendo School est une école d’art établie à Blida, active depuis l’été 2019.

Comment l’idée du projet est-elle née ? Djamel : Nous nous sommes connus Fatima et moi en intégrant l’association culturelle « RafArt » à Blida dont nous étions membres, et j’ai découvert en travaillant au sein de cette association - comme formateur de violon – que Fatima partageait le même rêve que moi ; celui de créer une école d’art. Lorsqu’elle m’a proposé de nous associer afin d’en faire une réalité, je n’ai pas hésité, et c’est ainsi que le projet Crescendo School est né. Fatima : De plus, en travaillant dans RafArt, nos activités consistaient principalement en l’enseignement de disciplines artistiques et de la musique de façon académique. C’est d’ailleurs avec cette expérience que nous avons eu assez d’assurance pour franchir le pas vers l’entreprenariat et ainsi réaliser le rêve de toute une vie… Le nom de l’école est Crescendo, ce dernier est accompagné du slogan « Home of Art », pour dire « maison ou refuge de l’art » en français. Pourriez-vous nous expliquer ces concepts ? Djamel : Dans le jargon musical et les partitions, Crescendo fait référence à l’augmentation progressive du volume du son, ainsi, métaphoriquement, la progression de nos élèves au cours de leurs formations se fera de cette manière. Ils avanceront doucement mais surement et nous les verrons grandir et avancer vers l’excellence. Fatima : C’est exactement cela. De plus, nous voulons faire de ce lieu plus qu’une école, un refuge… Faire en sorte que l’on se sente chez soi une fois à l’intérieur et ce, que ce soit pour les artistes, nos élèves, les parents, ainsi que toute personne qui nous fera l’honneur de sa visite. Notre espace convivial sera ouvert à tout le monde, d’où le slogan « Home of Art ».

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Quelles sont les activités proposées par Crescendo School ? Fatima : L’ensemble des activités artistiques ainsi que tout ce qui a de près ou de loin une relation avec l’art ; La musique classique et andalouse, les arts plastiques dont le dessin, la peinture et la poterie, le théâtre, la photographie, la dance classique … etc, pour tout âge, et tout type de niveau (débutants, amateurs…etc).


ISSUE05 Pouvez-vous nous parler de votre littéraire ?

café

©Amine RAHMANI

Djamel : Notre café littéraire, est le symbole de notre pensé à notre ville. Il est connu que Blida manque véritablement en espaces de lecture… En créant celui-ci, nous espérons participer à l’éducation culturelle de la ville : accueillant toute personne qui désire bouquiner mais ne trouve pas d’endroit approprié pour le faire, mais également inviter les personnes non passionnées de lecture à la découvrir, et à profiter de cet espace de détente, encourager les rencontres, débats artistiques et culturels, et offrir la chance à des écrivains affirmés ou pas de la ville à se faire connaitre.

Quelle est votre perspective vis-à-vis de l’art à Blida et en Algérie ? Fatima : De façon générale, en Algérie, et surtout à Blida, le mot art, est systématiquement lié à la musique traditionnelle Andalouse. Il est limité à celle-ci. Cela dit, Alger nous devance par le nombre assez important d’écoles d’arts y existant déjà, réussissant ainsi à faire tomber cette restriction en introduisant de nouvelles activités culturelles de tous types... Ce n’est pas encore le cas ici, à Blida…

Fatima : Et probablement par la suite, ouvrir l’espace pour la culture et les rencontres cinématographique… Quels sont vos projets futurs ? Djamel : Agrandir notre projet actuel : l’école, en activités et en espace. Contribuant ainsi d’avantage au bon essor de l’art de façon générale dans notre ville.

Un mot pour nos lecteurs …

C’est également ce qu’on veut changer : apporter plus de choix, faire connaitre l’art d’avantage avec toutes ses variétés, et mieux encore, le perpétuer, et contribuer à sa transmission en héritage.

Djamel : En créant cette école, ce fut pour moi un rêve de réalisé, mais pas seulement… C’est également une humble contribution au progrès culturel de ma ville. J’aime beaucoup Blida. Lui rendre son âme artistique d’entant me tient énormément à cœur, je dirai que c’est même le cas de tous les artistes avec qui nous travaillons, c’est d’ailleurs en grande partie ce qui nous a réuni. Notre école est ouverte à toutes les personnes qui expriment ces mêmes motivations. Ensemble, main dans la main nous y parviendrons…

Djamel : Parfaitement, par exemple, à Crescendo, il est possible de suivre des cours de musique classique, ainsi que d’instruments rarement enseignés ou pas du tout ici à Blida et ailleurs, tels que: la trompette, la clarinette, le violoncelle… etc, alors qu’autrefois, les passionnés de tels instruments devaient faire la navette jusqu’à Alger, -moi même concerné- et bien entendu, il est de même pour les autres disciplines telles que la poterie.

Fatima : Vous savez, ce projet, il n’y a quelques temps de cela, n’était que quelques idées échangées entre deux collègues, il n’aurait jamais vu le jour s’il n’y avait pas eu de motivation et travail acharné de notre part. J’encourage ainsi toute personne à travailler dur pour réaliser ses rêves. Le nôtre représente celui de toute une vie, et nous y sommes enfin parvenus. Il ne faut donc jamais baisser les bras : Avancer crescendo, mais surement !

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INTERVIEWS

JOE OKITAWONYA QUAND NOS ORIGINES NOUS GUIDENT Narimane LOURDJANE

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n artiste africain qui revendique ses origines dans ses oeuvres, nous partage son expérience et sa vision du monde, pas simplement en tant qu’artiste ou en tant qu’africain, mais surtout et avant tout entant que citoyen du monde.

Parlez-nous de OKITAWONYA?

vous,

qui

est

Joe

J’ai vu le jour en République Démocratique du Congo, j’y ai grandi jusqu’à l’obtention de mon Baccalauréat artistique, par la suite j’ai reçu une bourse pour poursuivre mes études en Algérie à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts. Je me considère comme étant un artiste qui n’a pas de limite, j’aime croire que je suis une personne qui voit toujours grand et qui essaye toujours de repousser ses limites culturelles et comportementales afin de partager une vision du monde tel que je le perçois. Chacun de mes tableaux raconte une histoire, du moins c’est ce que j’essaye toujours de transmettre grâce à la peinture, j’ai notamment choisi comme sujet de prédilection, la cause de la femme. Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours professionnel ? Concernant mon parcours, avant même d’être diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger en 2009, j’ai eu l’opportunité de travailler au sein de la Radio Nationale Algérienne, et ce entant que chroniqueur au côté de Omar Zelig et Abdellah Benadouda. Nous animions ensemble l’émission « Réaction et chaînes ». Après mes études, j’ai entamé ma carrière d’artiste peintre, j’ai pu réaliser plusieurs expositions en Algérie. J’ai même contribué à la réalisation de la fresque qui orne le mur en

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face de l’Etablissement Public de Télévision. Aujourd’hui, je vis en France, et j’expose mes œuvres un peu partout sur le territoire européen, notamment en France, en Belgique et en Italie. Mes œuvres ont même été exposées au Musée du Louvre et j’ai eu l’immense plaisir de gagner le troisième prix « Espace Pierre Cardin » en 2013. Parmi mes dernières expositions, j’ai participé au festival Afro Punk de 2019 qui s’est déroulé à Paris.


ISSUE05 Je suis un artiste peintre, mais j’ai plusieurs casquettes, notamment celle d’écrivain, puisque mon premier livre « L’évangile selon Joe » a été édité en Algérie par la maison d’édition Lazhari Labter en 2014. Je vais prochainement éditer en France, mon second livre portant le titre « Le 8éme jour de la semaine ». Je vous invite à visiter mon site web joeokitawonya.com afin de voir un peu plus dans le détail tout ce que j’entreprends. Vous aviez déclaré lors d’une autre interview « Je suis né deux fois, la première fois biologiquement au Congo, la deuxième fois artistiquement en Algérie », pouvez-vous nous expliquer la raison de cette réflexion ? Effectivement j’aime me présenter ainsi, aujourd’hui je peux même dire que je suis né trois fois, biologiquement au Congo, artistiquement en Algérie et professionnellement en France où je vis. Et pour vous expliquer un peu pourquoi je me présente ainsi, il faut savoir que j’ai vécu douze années de ma vie en Algérie, juste après mon baccalauréat. J’ai quitté mon pays natal dans le but de finir mes études, l’Algérie m’a accueilli alors que je n’étais encore qu’un enfant, ce pays m’a fait grandir, m’a fait évoluer. J’ai pu côtoyer de grands artistes, j’y ai rencontré de bons amis et celui qui est aujourd’hui mon meilleur ami à savoir : Amine LABTER.

concerne j’ai été influencé par beaucoup de grands artistes, notamment par Picasso, Michel-Ange, Amedeo Modigliani, et puis par d’autres artistes congolais qui m’ont beaucoup inspiré. Ces différents courants m’ont aidé dans ma façon de travailler, mais il faut savoir que l’inspiration peut émaner de tout : d’un débat entre amis, d’une conversation ou échange avec d’autres personnes de différentes cultures. Tout ceci apporte du cachet à mon style, c’est en mélangeant mes connaissances et mes inspirations, qu’est né mon propre style « le poingeisme ». Je considère aussi que l’art africain est cubiste, c’est un courant qui a eu énormément d’impact sur mon approche artistique. Mes œuvres n’ont rien d’ordinaire car j’accorde énormément d’importance au regard des personnes qui admirent mes peintures, je recherche toujours la fascination et l’extase dans leurs yeux.

Ce pays m’a ouvert les yeux sur plusieurs sujets, notamment celui de la situation de la femme au sein de la société. Tout cela a permis de construire ma vie professionnelle et entamé une carrière artistique. C’est pour cette raison que je dis souvent et le répéterai toujours, que je suis une personne divisée en deux, une partie de moi est congolaise et la seconde partie se réclame être Algérienne. Mes années de folies je les ai vécu à Alger, d’ailleurs, je dis souvent que je suis le plus algérois des congolais. Alger m’a vu grandir et devenir un homme, ce qui fait d’elle mon second lieu de naissance, je me considère également comme un ambassadeur de l’Ecole Supérieure des Beaux- Arts, car c’est cette école qui m’a permis d’être l’artiste que je suis aujourd’hui. » Vous êtes un artiste qui a su s’exprimer au moyen de ses pinceaux, si vous pouviez définir votre style artistique, ce serait lequel et pourquoi l’avoir choisi ? Il y a eu plusieurs révolutions artistiques, et chacune a eu un impact sur l’art, en ce qui me www.monokromemag.com I 35


INTERVIEWS

poingeisme_ joeokitawonya.com

Vos œuvres sont très colorés, et représentent souvent des femmes africaines, peut-on y voir un message engagé et lequel ce serait ? Je vous l’accorde, mes peintures sont très colorées, car pour moi le monde ne saurait être sans couleur. Je viens d’Afrique Centrale, et chez nous la couleur a une grande importance, chaque couleur représente un symbole, un message, nous communiquons grâce à ces couleurs. En ce qui concerne mes représentations féminines, il faut savoir que j’ai grandi entouré de femmes, et chez nous la relation entre les hommes et les femmes est assez différente de celle des algériens, c’est quelque chose que j’ai vite compris quand je suis arrivé en Algérie. Cette différence comportementale m’a interpellé, j’ai remarqué comme une frontière imaginaire dans la tête de la plupart des algériens. Mon ami, Amine LABTER, m’a beaucoup aidé à comprendre la culture et les 36

traditions algériennes, c’est grâce à lui que j’ai pu m’adapter et faire de l’Algérie ma seconde patrie. Au fur et à mesure que les années passaient, j’ai pu comprendre les frontières culturelles qui subsistaient au sein de cette communauté, mais cela ne changeait rien au fait à mon impression. La femme paraissait prisonnière de sa condition féminine, c’est quelque chose qui me révolte, et puis je ne supporte pas la maltraitance et l’oppression. C’est ce qui m’a poussé à démontrer mon soutien envers la cause de la femme dans mes peintures, car elle mérite d’être indépendante et libre de choisir sa destinée. Pour moi l’enfer c’est un monde sans femme, j’ai toujours eu beaucoup de respect envers toutes les femmes, elles sont à mes yeux libres, c’est pour toutes ces raisons que ma ligne de conduite est d’œuvrer pour la cause féminine grâce à mon art.


ISSUE05 Vous qui êtes un natif du continent africain, où est née votre passion pour la peinture et l’art en général. Pourriez-vous nous dire si vos origines africaines vous ont guidé sur ce chemin artistique, si oui de quelle manière cela vous a inspiré ? Oui, je peux affirmer que mes origines africaines ont eu un énorme impact artistique sur ma vision du monde, vous savez l’Afrique est le berceau de l’art mondial, et quand je parle de l’Afrique je compte aussi l’Algérie. Nous sommes un peuple qui a une façon de vivre unique. La diversité de nos traditions est enrichissante de manière générale. Nous les africains, nous sommes connus pour avoir le sang chaud, nous sommes hargneux, on s’énerve et on se met en colère pour un rien. En fait, nous sommes toujours dans l’exhibition de nos émotions. Nous avons toujours besoin de les montrer au monde, et pour moi ces exhibitions émotionnelles sont une grande source d’inspiration. A mon sens, les plus grands mouvements artistiques ont puisé leur essence de l’Afrique, tel que le cubisme. C’est la raison pour laquelle mes œuvres ont toujours une connotation africaine, car tant que je n’aurai pas exploité toute l’inspiration qui émane de mes origines, je n’aurai nul besoin de voir ailleurs. Pour tout vous dire je me considère comme un citoyen du monde, même si je reste au fond un africain avec un sang africain, et j’en suis fièr car cela m’a permis de retrouver l’artiste qui sommeillait en moi, cela m’a guidé à trouver ma voix, mes origines m’influencent même dans ma manière d’écrire. Il m’arrive souvent d’apporter de vieux souvenirs du Congo, des tissus africains que j’utilise même dans mes créations. Nous vous remercions Joe pour votre témoignage, un dernier mot pour nos lecteurs ? Je dirais tout d’abord à tous les jeunes africains, particulièrement aux algériens, que nous faisons tous partie du même continent, malgré nos différences, nous devrions nous considérer comme des frères et sœurs. Ensuite, j’aimerai remercier toutes les personnes qui m’ont aidé et soutenu quand je vivais en Algérie, et j’aimerai attirer votre attention sur quelque chose qui m’a marqué, les personnes qui m’ont appris à aimer et à faire de l’Algérie ma seconde patrie, avaient tous des livres dans leur mains, c’étaient des intellectuels, qui m’ont convié sous leur toit sans égard à ma couleur de

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peau ou à ma religion. Ces personnes ont vu en moi un être humain tout simplement, c’est une culture que tout africain, tout humain devrait avoir afin de s’unir. Jusqu’à aujourd’hui, je reçois énormément de messages d’amis artistes qui vont à l’Ecole des Beaux- Arts de Kinshasa (République Démocratique du Congo), et qui me demandent de les conseiller sur le plan artistique, et d’autres amis algériens qui me demandent aussi comment réussir. A mon sens, le secret c’est d’être honnête avec soi-même avant tout, l’art doit être transparent, l’artiste doit être comme un miroir. Il faut travailler énormément car seul l’effort paye et puis il faut oser sortir de sa zone de confort, voir autour de soi, sortir découvrir le monde, voir ce que les autres font, on en apprend tous les jours, il suffit de sortir de chez soi, rester ouvert à l’échange. L’art est une grande porte qui s’ouvre sur l’univers, il facilite le contact avec autrui. On ne peut pas être artiste et rester tout le temps enfermé. Les jeunes, croyez en vos rêves et travaillez dur de sorte à ce qu’ils se réalisent et n’oubliez jamais d’où vous venez. www.monokromemag.com I 37


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NICOLE RAFIKI UN VISAGE DE L’ART CONTEMPORAIN Idris FELFOUL

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icole RAFIKI est une artiste contemporaine basée à Oslo, en Norvège, ses expériences de migration et d’exil sont l’inspiration et la force de son travail. Son parcours l’a menée à travers une carrière dans le journalisme, le marketing, l’aide humanitaire et, plus récemment, l’art. Le travail de Rafiki aborde la relation entre identité et le lieu dans le contexte de la migration. Parlez-nous un peu de votre parcours? Je suis une artiste en Art contemporain basée à Oslo, en Norvège. J’ai commencé à prendre des photos comme illustration de mes articles alors que j’étais journaliste. En 2017, j’ai commencé à travailler sur mon premier documentaire photo majeur qui a été exposé dans tout le pays ici en Norvège. Pendant la production de ce projet, j’ai également commencé à remettre en question ma propre pratique. Plus tard, j’ai réalisé que je voulais documenter mes expériences avec la migration et l’exil de mon propre point de vue. À partir de là, mes propres expériences de vie sont devenues l’inspiration et la force de mon travail. Quelle est la meilleure partie de votre travail? Le monde est dans un état triste et les gens sont blessés. Heureusement, l’art guérit. Je me concentre sur la santé mentale dans mon travail et cela m’apporte aussi la guérison. Je rencontre également de nombreuses personnes incroyables qui deviennent souvent des amis voir même de la famille. En commençant un projet, comment procédez-vous généralement pour établir les exigences du projet? Certains projets sont très soigneusement planifiés sur plusieurs mois ou années. Cela nécessite des voyages, du maquillage, du design, des modèles, etc. Je passe beaucoup de temps à planifier et à budgétiser. D’autres, mon

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autoportrait nécessite généralement moins de planification, mais il est toujours nécessaire car chaque détail comme l’équipement, la conception, l’emplacement, l’ambiance et la météo devraient être en faveur de chaque séance photo. Comment organiser, planifier et prioriser votre travail habituellement ? Pour les projets plus importants, j’économise et je me déplace vers des endroits spécifiques. Là, je parcours les marchés des arts et de l’artisanat pour trouver des accessoires, me connecte avec les habitants sur les réseaux sociaux ou dans des espaces créatifs et fais des repérages. Ensuite, je produis le textile. Pouvez-vous nous guider dans votre réflexion en créant un «style» de tenue? Est-ce les couleurs, la forme, la texture? Qu’est-ce qui vous inspire dans ce processus créatif? Puisque mon travail est très personnel, il provient principalement de mes goûts personnels en termes de couleur, de forme et de texture. En tant qu’artiste interdisciplinaire, j’utilise le symbolisme comme outil d’engagement. Je conçois les palettes textiles et couleurs en fonction du thème de chaque œuvre et des émotions que je souhaite évoquer auprès du public. J’utilise également ces symboles pour réinventer et remettre en question la représentation stéréotypée des espaces, des contextes et des personnes touchées par la migration mondiale.


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ISSUE05 pas à l’économie de l’art; très peu de galeries, investissent ou même s’adonnent à l’art. Cela, à son tour, oblige les artistes africains à dépendre des investisseurs, mécènes et acheteurs occidentaux, qui collectionnent une grande partie des œuvres d’art africaines contemporaines du monde. Il y a très peu ou pas d’éducation sur l’art africain contemporain ou classique dans le système éducatif de la plupart des pays africains à moins que les étudiants choisissent de poursuivre des études supérieures coûteuses en art. Il s’agit d’une évolution alarmante, car une grande partie de nos chefs-d’œuvre (œuvres plus anciennes) sont en fait des biens volés qui sont encore conservés ou vendus aux enchères comme «art primitif» aux musées, collections privées et autres établissements en dehors du continent. Nous avons encore un long chemin à parcourir. Quelle a été votre expérience la mémorable lors d’une séance photo?

Quelle est votre opinion concernant l’évolution de l’art contemporain africain? Je crois que c’est un moment très important pour être actif dans le domaine de l’art contemporain. Nous avons atteint un point où les Africains du continent et de la diaspora créent leurs propres plateformes pour discuter, partager et défier les perspectives philosophiques, artistiques, politiques et culturelles dominantes qui ont longtemps été dominées par la pensée occidentale. C’est un moment où les artistes découvrent lentement leur place importante dans la construction de l’histoire. Beaucoup remettent en question le statuquo dans l’industrie de l’art en se forgeant leur propre chemin en tant qu’artistes indépendants. Je ne sais pas s’il est juste d’appeler cela une révolution, étant donné que le monde de l’art est toujours une sphère très dominée par les hommes à prédominance blanche à l’échelle internationale. Ce qui est encore plus alarmant, c’est que de nombreux Africains sur le continent et dans la diaspora ne participent

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J’ai eu beaucoup de plaisir à tourner la série «Babidi Mbapite», qui parle de femmes embrassant leur authenticité), à Johannesburg au début de l’année dernière. Nous nous sommes liés d’une grande conversation, d’un temps incroyable et de beaucoup de rires. La chanteuse Siki Joan est devenue l’une des femmes les plus incroyables de la chanson et est arrivée dans le top 3 de The Voice South Africa la même année et je ne pourrais être plus fière. C’était une expérience incroyable. Beaucoup disent que les médias sociaux sont très importants. À quel point est-ce important dans votre carrière? Je pense que l’exposition, l’accessibilité et l’accès aux opportunités sont extrêmement importants pour un artiste. C’est ce que nous fournissent les médias sociaux. J’ai interagi avec des gens du monde entier sur IG, des gens que je n’aurais jamais rencontrés sans les réseaux sociaux. Je suis au courant du monde de l’art à travers ces plateformes. Des projets à venir? Toujours! J’ai hâte d’apprendre à fabriquer le textile de batik traditionnel Yoruba (Nigeria) appelé «Adire» lors d’une résidence avec Nike Gallery. Ce sera pour moi une porte ouverte à de nombreuses nouvelles œuvres passionnantes. J’ai également hâte de me présenter à Afropunk Paris en juillet. www.monokromemag.com I 41


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RIM LAREDJ L’ARTISTE AUX MULTIPLES TALENTS Imen Nour BOUDIAF

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im LAREDJ est née à Damas de parents Algériens, ayant des origines multiples, elle a vécu en Algérie, aux Etats-Unis et en France. C’est une jeune artiste multidisciplinaire aux mains de fées qui réussit avec brio tout ce qu’elle entreprend. Une vraie boulle d’énergie positive, Rim est bourrée de talents ce qui lui a permis d’exceller à chaque fois. Auteure, cinéaste, réalisatrice, comédienne, dessinatrice, peintre, photographe et designer, cette génie est pleine de ressources et d’imagination pour nous faire entrer dans son petit paradis ... Qui êtes-vous ? Et comment définiriez-vous votre art ? Je suis LAREDJ Rim réalisatrice et auteure, parallèlement je suis plasticienne et historienne de l’art, designer en street art, tag et graffiti. et il y a un an, j’ai lancé Baytrim Créations qui est une maison de création principalement axée sur le street wear et la street joaillerie. J’utilise le graffiti Arabe pour orner des vêtements et des bijoux ainsi que les motifs berbères qu’on retrouve sur les tatouages de nos anciens que je réactualise en essayant de propager au maximum cette beauté millénaire sans pour autant en divulguer les mystères. Pour moi l’art est multiple… Ce ne sont que des passerelles qui permettent de raconter encore plus d’histoires. Le média diffère selon ce que l’on veut raconter… Pour moi un scénario de film, une réalisation de documentaire ou une création de bijoux sont liés… Ils me permettent de me libérer, de diffuser la beauté, d’aller au- delà de mes zones de confort, au-delà de ce qui m’est connu et maîtrisable… Par ailleurs, j’adore prendre des risques, m’aventurer à ce que je ne connais pas L’exploration est mon champ de prédilection ; je crois que c’est une manière de rencontrer l’autre…

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Comment pouvez-vous jongler entre différentes activités artistiques avec excellence ? Et comment une artiste multidisciplinaire comme vous peut mener une vie de super maman et briller dans le monde professionnel ? Je ne sais pas si je brille mais en tous les cas ce que je fais, je le fais avec une honnêteté totale et un amour inconditionnel, ce qui me permet d’impliquer mes proches. J’ai inculqué à travers mon travail de vraies valeurs à ma fille, du moins j’essaye. Elle est souvent avec moi en voyage pour le choix des matériaux, des nouvelles collections… Alya regarde, observe, chine, donne son avis et je crois que c’est une belle manière de lui montrer qui est sa mère. Ma vie et mon travail sont totalement liés. J’écoute mon enfant, je le regarde et je l’observe de cette manière je la responsabilise au monde. Sur les tournages, elle est souvent là aussi, elle suit les différentes étapes de mon travail quel qu’il soit, ça me permet d’être honnête avec elle ; aussi c’est ce qui lui permet de comprendre parfois mes périodes d’absences … etc. Ma vie de famille, et mes parents sont pour moi très importants et précieux j’en prends soins ; tout ce que je fais c’est aussi pour eux car sans eux rien ne serait possible. Ensuite, ça demande de l’organisation, de l’instinct, de l’écoute et des calendriers bien ciselés…


©Eloise GODOT

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Quels sont vos sources d’inspirations ? Mon inspiration principale est la culture berbère et arabe, l’histoire de nos ancêtres, notre terre, notre patrimoine que j’essaye de moderniser et diffuser afin de permettre à nos différentes cultures de coexister, de se fondre l’une à l’autre avec beauté… C’est ça Baytrim, c’est un magma en union, en fusion, c’est moi, vous, et tous ceux qui ont envie de hisser haut une identité plurielle …. La calligraphie arabe et la culture islamique sont omniprésentes dans vos créations, pourquoi ? Ce n’est pas l’art islamique qui est présent dans mon travail mais la calligraphie arabe qui est présente dans mon travail et qui est antéislamique car la calligraphie précède le religieux. J’ai une grande passion pour les arts d’Islam. Que j’ai étudiée à l’école du Louvre mais je ne suis pas calligraphe dans le sens pure du terme c’est un art savant et mon art est un peu au-delà des limites que cet art impose. J’ai une passion pour la poésie arabe que j’utilise pour mes calligraffitis. Le sens des mots, les histories qu’il véhicule, ma façon d’aborder la calligraphie est très urbaine, très street, très loin des règles savantes préétabli depuis des siècles… Et que j’admire par ailleurs beaucoup, mais que je suis juste incapable de faire. Parmi vos projets, parlez-nous de votre coup de cœur… Baytrim est au cœur de mes préoccupations actuelles c’est une maison que j’ai envie de faire grandir et voir évoluer, j’ai envie de lui donner toutes ses chances de succès en travaillant dur. Baytrim est très demandée, très appréciée, les commandes fusent, les expos sont pleines à chaque fois... C’est vraiment formidable car on n’est pas dans une perspective purement commerciale mais plutôt éthique et culturelle et ça change tout... La personne qui vient acquérir une pièce Baytrim est une personne qui vient se procurer un bout d’histoire, une identité forte, étique et métisse. Je suis émue de voir mes créations de plus en plus portées, ça m’a affirmé que je ne me suis pas trompée sur mes choix… Quels sont vos projets futurs ? Mes projets sont un défilé pour mai et la sortie de mon documentaire pour le mois d’avril, les choses s’enchaînent sans empiéter les unes sur les autres… Un ouvrage à venir sur le tatouage berbère aussi, vous voyez les choses sont ancrées dans une certaine logique et une certaine perspective…

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KHARI RAHEEM UNE MASCOTTE AU SERVICE DE L’ART Mounia Chahrazed GHEZLENE

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hari Reheem est «nourri par l’art depuis le plus jeune âge»... Ses inspirations sont vastes et incluent en grande partie ses expériences. Tous furent source des émotions auprès de ce jeune artiste. Il a toujours ressenti le besoin de créer et se consacre désormais à sa passion. Parlez-nous de votre parcours. Qui est Khari Raheem ? Je m’appelle Khari Turner, j’utilise souvent mon deuxième prénom qui est Rahim prononcé Raheem. Je suis né à Milwaukee, WI, USA et y ai vécu toute ma vie jusqu’en 2015, quand j’ai déménagé à Clarksville, Tennessee pour aller à l’Université d’État d’Austin Peay pour être Cheerleader et mascotte. Après avoir terminé mon BFA au TN, j’ai déménagé à NY pour aller à Columbia University et maintenant je suis ici. Pourriez-vous nous décrire votre Art en quelques lignes? Mon travail représente une figure d’histoires passées et présentes à travers la création de traits, l’abstraction et la peinture figurative du nez et des lèvres. C’est aussi un reflet direct de ma vie et de mes expériences. Le but est d’avoir une conversation sur la douleur et les épreuves, mais comme arrière-plan du triomphe de cette douleur. Vos peintures contiennent souvent le trope récurrent d’une sorte de visages noires et colorés. Quelle a été la genèse de ces images? Je me concentre sur la peau noire pour deux raisons. L’une comme une célébration directe des traits noirs des nez plus larges et des lèvres plus épaisses comme avant-garde. La seconde est que ces mêmes caractéristiques ont été

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liées à des personnes aux lèvres plus épaisses, au nez plus large et à la peau plus foncée qui ont des peines de prison plus longues. L’image amène le spectateur avec les traits, la couleur et la composition, mais quand les gens reconnaissent les même caractéristiques toujours, ils se demandent pourquoi et ensuite je leur donne le deuxième aspect du travail. C’est toujours pour capturer le traumatisme passé de la peau noire avec la conquête de nos tribulations en tant que noirs maintenant, à travers la lutte, nous nous élevons encore. Comment définissez-vous la beauté en 140 caractères ou moins? La beauté est dans l’œil du spectateur à coup sûr! La beauté est relative et un lien profond entre quelqu’un et n’importe quoi. Vous pouvez trouver de la beauté dans presque tout ce qui est de bonne nature.


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www.kharirahim.com L’aspect colorimétrique est remarquable dans vos œuvres notamment les couleurs fluorescentes. Une petite explication? J’essaie toujours de comprendre la couleur par la pratique. La meilleure façon de commencer pour moi est d’utiliser les couleurs les plus brillantes qui stimulent directement l’œil et dégagent des réponses fortes. J’utilise actuellement des couleurs plus douces mélangées à des fluorescents, mais j’aime ce que font les couleurs fluorescentes. Dans quelle mesure pensez-vous que votre site Web et vos profils de médias sociaux sont à la fois pour la promotion et la vente de votre art et pour établir des liens avec des acheteurs potentiels? Mon site Web et mes médias sociaux sont très importants pour moi. Être artiste, c’est avant tout des relations et des opportunités. J’ai vécu quelques citations, l’une est «La chance est ce qui se passe lorsque la préparation rencontre

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l’opportunité» par Seneca. L’idée d’une grande pause pour un artiste est toujours qu’il y est préparé. Mon site Web et Instagram ont créé tellement d’opportunités pour moi car ils étaient disponibles et accessibles à des gens que je n’aurais peut-être jamais rencontrés. La création de ces sites et la possibilité de publier du travail quelques minutes après l’avoir fait me permettent de me préparer aux opportunités provenant de l’exposition de ce travail. Enfin, pouvez-vous nous dire sur quoi vous travaillez actuellement ? Je travaille sur une série en noir et blanc sur papier avec quelques tableaux que j’essaie de réaliser moi-même. J’ai maintenant une exposition à Miami, en Floride, et j’en ai une pour IRIS Project qui se tiendra en avril à Venice Beach, en Californie. Il y avait des plans pour quelques autres spectacles, mais avec la pandémie, beaucoup de choses ont été suspendues.


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