MONOKROME MAGAZINE ISSUE 06

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De l’art témoin à l’art engagé


Monokrome Monokromemag


MONOKROME #06 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2020

DIRECTEUR DE PUBLICATION | Idris FELFOUL RÉDACTRICE EN CHEF

| Gaëlle HEMEURY

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION

| Imen Nour BOUDIAF

DIRECTRICE DE COMMUNICATION | Sabrina Nour-El-Houda LEMMOUI ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Manel DRARENI Nour TAIEB EZZRAIMI Insaf Maissa MESSAOUDI Zhor BENSEDDIK Fariza CHEMAKH Kaouther KIOUANE Smail Lif Mehdi FELFOUL Amir GUERMI © Photo de couverture | ‘Super Nurse’ FAKE -

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DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

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ÉDITO 06

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De l’art témoin à l’art engagé

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ace à la situation inédite que nous vivons actuellement nous espérons tout d’abord que ce nouveau numéro de monokrome vous trouvera en bonne santé. Nous avons imaginé cette nouvelle édition en écho avec le contexte afin de faire résonner la puissance de l’art à la fois témoin de situations difficiles à la fois engagé dans la mesure où les artistes s’investissent dans leur production et rendent compte des envers du décors que tout à chacun peut vivre. Être artiste en temps particulier c’est être intermédiaire entre soi et l’artiste entre l’autre et son ressentiment. Être artiste dans ces situations c’est

également rendre visible et porter un discours, c’est critiquer et divertir, c’est proposer et soulager. À cet effet nous avons souhaité mettre en lumière les initiatives positives et novatrices qui sont actuellement à l’œuvre. En vous souhaitant une bonne lecture confinée et prudente. Prenez soin de vous.

Gaëlle HEMEURY Rédactrice en chef


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VERS UNE ARCHITECTURE POST LE NUMÉRIQUE À LA COVID-19 RESCOUSSE DES INITIATIVES Fadia LOKBANI / Manel DRARENI ARTISTIQUES Insaf Maissa MESSAOUDI

STREET ART ET NUMÉRIQUE Nassim MOUSSAOUI

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TSUNDOKU ! /LA VERITABLE MUSE / LE THÉÂTRE DE L’ÉPIDÉMIE DEFIS DE LALITTERATURE EN TEMPS Fariza CHEMAKH DE CRISE - Amir GUERMI

LA MUSIQUE AUX MOMENTS DE CRISE Mehdi FELFOUL

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SONIA OUAJJOU : L’ART SIGNÉ COVID-19 Sabrina MEDJKOUNE

MUSTAPHA SEDJAL : ÊTRE ARTISTE EN TEMPS DE CONFINEMENT Gaëlle HEMEURY

L’ART AU TEMPS DU CORONA Narimene LOURDJANE

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LES ÉTUDIANTS DE L’ISMAS PRENNENT L’INITIATIVE « I-SHARE » Smail LIF

SOUAD DOUIBI, DE LA PERFORMANCE ARTISTIQUE A LA REALISATION DE FILM Smail LIF

LE CINÉMA ALGÉRIEN INCARCÉRÉ ENTRE DEUX PÉRIODES Smail LIF


SOMMAIRE NUMÉRO 06 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2020

INTERVIEWS

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JAVIER MARTIN : DU NÉON AU SERVICE DE L’ART Idris FELFOUL

BABA ALI MOHAMED EL HABIB : CO-FONDATEUR DE NBOUJIW Zhor BENSEDDIK

MINA LACHTER : UNE ACTRICE EN TEMPS DU CONFINEMENT Smail LIF

AURELIA KHAZAN: L’ACTRICE AUX MULTIPLES TALENTS Mehdi FELFOUL


AVANT-PROPOS Kaouther KIOUANE Vous êtes toujours là, depuis plusieurs mois, avez pris votre courage à deux mains, pour affronter un virus aussi sournois ! Vous nous donnez la main pour notre bien, hélas ! nous ne pouvons vous aider que de loin. Médecins, infirmières et infirmiers, ambulanciers, membres du personnel d’entretien et administrateurs : sachez qu’on admire vos efforts et dévouement inestimables. Vous risquez vos vies ; hantés constamment par la peur de perdre l’un des siens, menacés par la fatigue, l’angoisse et le découragement quand vous regardez l’insouciance et le déni de certains. Et pourtant vous continuez à donnez vos vies en s’oubliant. On vous voit aller au front sans protection, se disant combien de jours va-t-il falloir dénombrer avant que ça s’arrête ! Vous méritez reconnaissance et respect sans ces événements. Un merci est bien petit mais on vous le dit. ‘MERCI’ Nous prions pour vous, demandons à Dieu tout Puissant de vous donner force et protection dans cette mission et d’accueillir dans son vaste paradis ceux qui l’ont déjà rejoint.

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©Fake

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INTRODUCTION

assés la peste entre 1462 et 1467, crue comme punition divine dans les mentalités anciennes; et la Syphilis, championne des maladies socioculturelles, c’est ce petit virus finalement qui porte la couronne de la catastrophe sanitaire, inélégante, d’allure surréaliste de tout les temps ! Paradoxalement bénin comparé à une grippe saisonnière; le corona virus, aussi stressant qu’invisible fait descendre des morts en cascade, confinant l’humanité aussi longtemps à une fin imprévisible, mais qu’on doit tout de même vivre avec, dans un quotidien -nouveau- . Nous assistons à une légende qui se fait histoire vécue ; à raconter ou transmettre aux historiens du lendemain, qui n’a guère besoin d’être magnifiée par la science-fiction tel le scénario de Steven Soderbergh dans ‘Contagion’ ou la fable de Will Smith dans ‘I AM legend’ ! La Covid-19 ne fut certainement pas la première pandémie vécue. Elle a ressuscité les anciennes œuvres d’art et de littérature tel l’HOMME SYPHILITIQUE ou la Peste de la Fontaine , racontant les travers des sociétés de l’époque. Les épidémies et la culture sont allées de pair depuis des siècles. Ces crises traumatisantes ont ranimé toujours l’enthousiasme des

artistes mais aussi les pousser vers plus de créativité comme la fait Boccace dans le ‘Décameron’ inspirant Shakespeare dans sa pièce ‘ALL’S WELL THAT END’S WELL ‘ – ‘Tout est bien qui finit bien ‘.

©Hyoung CHANG

Aujourd’hui on s’interroge sur les images, les peintures, les pièces théâtrales, les films que consultera notre descendance sur la crise que nous traversons. Qu’est ce que nos œuvres leurs révéleront de nous demain ! Du fait des mesures imposées de confinement, nombre de cérémonies musicales, d’expositions artistiques ont été annulés ou reportés à des dates ultérieures ! Cependant, c’était l’occasion de développer de nouvelles méthodes de communication pour se rapprocher plus que jamais des amateurs d’art à travers le web et les réseaux sociaux pour déverrouiller les portes de l’inconnu ! Ce petit, capable de fédérer le monde incarnera-t-il le rôle du Héro, finalement, qui marquera le passage vers un monde plus moderne ? Ce qui est certain, c’est que le jour d’après notre victoire ne sera pas comme le jour d’avant. Le futur qui adviendra est aujourd’hui entre nos mains en l’attente de nos actions, de nos volontés et de nos rêves ! www.monokromemag.com I 9


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARCHITECTURE

VERS UNE ARCHITECTURE POST COVID-19 Fadia LOKBANI / Manel DRARENI

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epuis Janvier 2020, nous sommes témoin et victime de l’épidémie du Covid 19. Ce virus, apparu dans la ville de Wuhan en Chine, ne cesse de prendre de l’ampleur à l’échelle mondiale. A cet effet, depuis plusieurs mois, de nombreux pays sont contraints de confiner leur population et cesser de nombreuses activités. Dès lors, entre prise de conscience des limites du modèle mondialisé et critiques sur la gestion de la crise sanitaire, l’année 2020 est-elle celle du changement ? La mobilité remise en cause avec les appels à #resterchezvous (#baqrifidar), l’habiter chez soi revisité, contraint l’individu à expérimenter une société dans l’immobilité et le confinement. Nous dansons sur une chorégraphie orchestrée par des limites dans l’espace public. Tout cela semble très inhabituel et ne favorise pas la bonne santé de la société. Tout d’abord il nous faut rappeler que les espaces publics sont conçus main dans la main par des architectes et des experts de la santé publique afin que les individus puissent se sentir bien dans les espaces. A titre d’exemple, nous pouvons évoquer le rôle des espaces verts et des arbres en milieu urbain ayant pour objectif d’inciter à la détente et ayant un effet cathartique sur la violence potentielle des individus. Face à la crise sanitaire que nous traversons, nous observons que l’espace public peut être défavorable à ses habitants dans la mesure où il est le lieu de la prolifération des bactéries et microbes. De plus, le chez soi est également revu entre redécouverte de son habitat et modification de celui-ci à travers le salon qui ne reçoit plus les invités et qui se transforme un temps en salle de sport ou atelier de couture, et le balcon investi comme parloir avec les voisins, échappatoire éphémère au confinement. Ainsi, on observe que l’habiter dans lequel nous évoluons, n’est pas adapté à la situation que nous traversons. Cet habiter a le pouvoir de nous protéger tout autant qu’il a le pouvoir de nous exposer.

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LE TROLLEY BUS À ATHENES

©Ferran NADEU

Nous constatons également que l’architecture contemporaine ne répond pas à la nécessité de la population, et représente davantage un outil économique et relève d’une volonté politique. Tous ces paramètres remettent en cause notre vision du futur et le devenir de l’architecture. Et il semble impératif de repenser l’organisation des espaces urbains et leur modèle de développement vers un modèle durable. La mobilité devra être vue autrement et c’est déjà le cas dans la ville d’Athènes en Grèce ou les trolleybus circulent dans toutes les ruelles sous des lignes électriques. Il en est de même à Barcelone, où il existe des vélos mécaniques et électriques pour les résidents de la ville afin de favoriser la micromobilité. L’intérêt de réorganiser et d’adapter les rues en repensant aux dimensions et dispositions des éléments qui la compose assure la fluidité du mouvement des marchandises et des usagers tout en respectant les consignes d’hygiènes.

STATION BICING DU PASEO MARÍTIM À BARCELONE CATALOGNE ESPAGNE


©Iwan BAAN

©Mass DESIGN GROUP

En dehors de l’organisation spatiale, il faut également revoir la conception des équipements scolaires et sanitaires notamment. A cet égard nous pouvons évoquer la création en 2008, du groupe visionnaire et multidisciplinaire nommé le MASS. Il s’agit d’un group design formé pour la conception et la promotion d’une architecture qui a du sens, qui répond aux exigences et aux besoins d’une communauté, « une architecture qui guérit et qui porte de l’espoir ». Ses fondateurs Alan Ricks et Michael Murphy, n’étaient alors qu’étudiants à la Harvard Graduate School of Design, quand le professeur Paul Farmer leur parla du manque MASS DESIGN GROUP’S MICHAEL MURPHY (À GAUCHE) ET ALAN RICKS d’équipements d’éducation et de santé dans les pays en voie de développement. Actuellement, ce collectif regroupe plus de 120 architectes, ingénieurs, designers, écrivains, médecins, réalisateurs et chercheurs représentants 20 pays différents. Selon eux « L’architecture peut être un moteur de changement profond ». Michael Murphy, son fondateur principal et directeur exécutif de MASS group design, défend l’opinion qui s’exprime autour du service des grands architectes, les plus innovants et les plus visionnaires qui à travers leurs réalisations architecturales ne servent personne et ne rapportent rien à la communauté qui accueille le projet. Il a été mentionné que l’équipe de MASS group design comprend des médecins, notamment Dr. P. Farmer, qui lors de sa conférence affirme que les hôpitaux sont parmi les causes de la propagation des maladies. Ainsi, ils se sont interroger : comment construire des hôpitaux sains? A cet égard ils ont conçu un projet au Rwanda.

©Suzanne KREITER

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BUTARO HOSPITAL

Aujourd’hui l’hôpital de Butaro, est assez atypique et privilégie les patients en leur permettant d’avoir une vue qui donne directement sur l’extérieur. Il est conçu avec des couloirs extérieurs, car les études ont révélé que ces derniers sont la cause principale de la rapide propagation des maladies dans les hôpitaux. Le bâtiment respire naturellement et n’a pas besoin d’une maintenance. Lors de sa construction, les entrepreneurs ont fait appels aux artisans de la région. De fait, ce projet se révèle sain tant au niveau sanitaire qu’au niveau social, durable il œuvre pour l’intérêt public. C’est vers ce à quoi la dramatique situation que nous traversons doit nous amener à réfléchir, “voir chaque décision de conception comme une opportunité d’investir dans la dignité ou l’on travaille” M.Murphy. www.monokromemag.com I 11


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS NUMÉRIQUES

LE NUMÉRIQUE À LA RESCOUSSE DES INITIATIVES ARTISTIQUES Insaf Maissa MESSAOUDI

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Depuis le tout début de la propagation de pandémie , le secteur artistique et culturel est fragilisé par la fermeture des galeries d’art , les cinémas, les lieux culturels, les musées , les théâtres ainsi que la suspension des événements et des festivals mais les initiatives artistiques se sont multipliées avec le temps et ont inondé le monde de la toile, une consommation en hausse de l’Internet est enregistrée pendant le confinement. Pour entretenir une continuité dans le processus de la création et de la diffusion artistique et procurer du VISITE MUSÉE VIRTUEL, AMSTERDAM, NETHERLANDS contenu en ces temps de distanciation sociale . Quoi qu’il en soit pour tremper l’ennui, partager des oeuvres d’art , apporter un de réconfort, de propager les ondes positives ou adresser des messages de prévention, les intuitions culturelles et artistiques se sont retournées aux nouvelles technologies de diffusion et de communication, des outils numériques venus à la rescousse de l’art qui ont permi de garder le lien entre les artistes et le public. L’accès à l’art n’a jamais été aussi facile et rapide grâce au numérique offrant une bouffée d’air frais dans une période qui provoque l’anxiété et la quiétude. Le Web est devenu ainsi un espace alternatif, accueillant des concerts de musique, des festivals de cinéma ou encore des expositions, les concerts se font en ligne, visites virtuelles des musées, orchestres à distance et des cours de danse . 12

© Christian FREGNAN

’époque actuelle est inédite dans l’histoire de l’humanité, la vie quotidienne est bouleversée de la cave au grenier, à l’heure du nouveau coronavirus, le monde entier est touché de plein fouet. Les pays du monde se sont efforcés de mettre en place des mécanismes d’alerte sanitaire de large échelle pour contrôler les existences dans leurs moindres pas. Actuellement, la vie sociale et culturelle, sont mises à rude épreuve mais font naître en revanche de très belles réactions de solidarité et de gestes humanitaires à travers le globe.


©Jamie WOODLEY

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L’EXPOSITION CRANACH PAR COMPTON VERNEY

Chaque jour, des initiatives sont lancées par une variété d’artistes partout dans le monde, notamment pour les opéras de Munich, Stockholm ou Vienne, par exemple. L’Opéra de Vienne propose ainsi chaque jour une nouvelle représentation à suivre gratuitement en ligne. Les Noces de Figaro, Roméo et Juliette, Der Rosenkavalier (Le Chevalier à la rose) ou Cendrillon, dans une version pour enfants, sont ou ont été proposés. Les musées et les galeries d’art sont devenus des espaces disponibles et faciles à y accéder en ligne sans être obligés de se déplacer en respectant les consignes sanitaires, les heures du confinement ainsi que les règles de la distanciation sociale. Le public à travers le monde entier peut maintenant consulter les œuvres d’art des grands artistes les plus connus à travers des plateformes numériques. En Algérie, L’artiste plasticien autodidacte fasciné par l’univers figuratif, Khaled Rochedi n’est pas en reste, il se retourne vers le numérique et ouvre les portes de son atelier aux visiteurs pour exposer son processus de création et quelques-unes de ces peintures et sculptures à la faveur d’une exposition virtuelle publiée sur Internet par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel, c’est le cas pour de nombreux artistes algériens qui ont décidé de continuer d’exercer ,chez eux, leur passion de toujours pendant la période du confinement. La création artistique mondiale n’a pas fait une pause pendant la crise de la pandémie, bien au contraire, la période de distanciation sociale s’est avérée favorable à la créativité et à l’inventivité des artistes qui ont lancé leurs œuvres d’art sous les lumières bleus de nos écrans en adaptant des bonnes pratiques numériques . Ce confinement était une nouvelle expérience qui a apporté sa pierre à l’édifice des artistes , une nouvelle lumière qui a animé le monde à travers un voyage créatif étonnant durant quelques mois passés entre quatre murs. www.monokromemag.com I 13


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS NUMÉRIQUES

STREET ART ET NUMÉRIQUE Nassim MOUSSAOUI

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e street art, art de la rue ou art urbain, a su impacter la vie des personnes et la société, grâce à sa puissance visuelle créatrice, influençant les opinions et marquant les esprits.

©Cristina RIGUTTO

«L’œuvre, ce n’est pas l’image elle-même, mais ce qu’elle provoque d’interrogation sur le lieu». Ernest Pignon-Ernest

GRAFFITI ART, LISBONNE PORTUGAL

Le street art est un art éphémère. Parfois immortalisé par la vidéo ou la photographie, restant souvent accessible aux seuls initiés sachant où le trouver, dans une documentation, somme toute, assez rare. Cependant, le street art n’est pas un art figé mais davantage en perpétuel renouvellement. Il a su évoluer avec la ville, avec les habitants, les modes de vie et avec la société qui l’a parfois accepté, souvent refusé et condamné, tout autant qu’il a contribué à faire évoluer en retour la ville. C’est également un art de la contestation. Il s’exprime par et pour une poignée d’artistes, puis le voila aller au-devant des gens, sur les murs, sur les trottoirs, les bus, les wagons de trains, sous ou sur les ponts, en des endroits visibles, petits ou grands, en des endroits parfois improbables, voir insolites. Il a grandi et que l’on soit pour ou que l’on soit contre, sa valeur artistique intrinsèque reste indiscutable. Sa force de propagation en a fait le messager du désir de renouveau, de la volonté de changer le monde. Il s’exprime de tant de manières différentes : graffitis, dessins, tags, 14


ISSUE06 fresques, trompes l’œil, peintures, pochoirs, collages, et tout cela, en s’intégrant au décor, en s’adaptant sans perdre son essence, il porte ses histoires. «Une image vaut mille mots». Confucius

Aujourd’hui l’art urbain a fait une heureuse rencontre avec l’art numérique. Ils se sont croisés sur les chemins et s’en est suivi une explosion de créativité toujours aussi forte, visuelle, parfois sonore, mais laissant aux spectateurs une émotion profonde inoubliable et indélébile. Leurs volontés de revendications se sont alliées pour s’offrir une nouvelle façon d’exister, une autre façon d’être vu, connu, apprécié dans une société de plus en plus assoiffée de technologie. Ils ont su créer ensemble une nouvelle dynamique artistique qui leur a ouvert des perspectives phénoménales. Ce sont deux arts distincts, indépendants, qui s’associent pour une évolution individuelle et commune en se partageant au final un accueil extraordinaire. Des installations technologiques pour des projections numériques créatives qui utilisent l’espace public comme une salle de cinéma, des édifices architecturaux mis en valeurs par des créations originales, à l’instar de l’œuvre de Robert Lepage qui lui a valu le titre de « la plus grande image projetée » pour commémorer l’histoire de la ville de Québec , le street art et l’art numérique s’offrent un spectateur de choix : «le monde». Leurs échanges mutuels sont des plus fructueux, chacun y gagnant une audience accrue. Non seulement ils se diffusent sur toute la planète, avec une ampleur, une vitesse inimaginable, mais voila que d’éphémère dans la rue, souffrant des intempéries naturelles, de l’usure du temps et de l’ignorance d’individus à qui l’on n’a pas appris à ouvrir le cœur et l’esprit, le street art s’offre grâce aux outils du numérique une accessibilité, une pérennité, qui le fait passer à la postérité . Ce qui offre également à l’art numérique un panel de couleurs plus élargi lui permettant d’accroitre sa légitimée croissante, une autre façon de côtoyer l’art par le biais d’une vitrine digitale. Il est nécessaire, voir vital, d’apprendre à découvrir, à apprécier l’Art et notamment le street-art. Car au final, c’est un musée à ciel ouvert, accessible à tous, quelques soit notre langue, notre nationalité, notre religion, ou encore nos origines. L’art de rue est fédérateur des esprits libres, épris de partage et de solidarité, capable de construire, si l’on s’en donne la peine, un environnement meilleur pour tous. N’est-ce pas là le rôle de l’art en général ? Le groupe algérien « L’art est public» en est un bel exemple : un tel élan artistique mené par des artistes d’horizons divers, des amateurs passionnés d’art, des profanes qui veulent en être, qui s’allient sur des zones géographiques éloignées tient simplement d’une magie incroyable, d’une synergie créative que seul un art profond a pu rendre possible. «La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société». Victor Hugo De part le monde, de nombreux artistes du Street art ont pu bénéficier de l’apport du numérique. Que leur notoriété ait été grande ou non à l’origine, cette association qui s’exprime sur «le mur digital» à été bénéfique aux créateurs et aux spectateurs amateurs ou avisés. En passant par Jérôme Mesnager, le père de « l’Homme en blanc », Branksy avec ses créations satiriques et humoristiques, JR avec ses collages photographiques, Merine Hadj-Abderrahmane et «la main du peuple» et par tant d’autres, le street art a investi les réseaux sociaux, devenant ainsi quasi incontournable, présent à tous les instants. «Une expression universelle», c’est toute la force du street art, «le coup de griffe, l’égratignure, l’éraflure,» une expression finalement bien portée. Le street art n’est pas là pour faire joli, il est un éveilleur de consciences, ce que le numérique appellerait «un influenceur». L’art urbain a traversé les âges, il est une constante de l’humanité. De l’homme préhistorique aux peintures rupestres, à l’homme numérique aux écrans digitaux il a su transmettre les messages de son temps, qu’ils soient d’actualités ou prémonitoires, des messages qu’il serait peut être sage d’apprendre à écouter, et d’apprendre à voir.

«L’œil ne voit que ce que l’esprit est prêt à comprendre» Bergson www.monokromemag.com I 15


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

POÉSIE ET LITTÉRATURE

TSUNDOKU ! Amir GUERMI

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n entrant dans une librairie pour feindre un intérêt pour la culture et la lecture, ou pour faire son approvisionnement en livres et autres lectures, le but est le même, qui est : « acheter des livres ». La question maintenant qui se pose c’est : est ce qu’ils vont être lu ?

Les japonais ont répondu à cette question dans leur langue et culture durant l’ère « Meiji » en appelant ce phénomène « TSUNDOKU ».Défini comme étant compulsif le « PAL » comme on l’appelle en Europe, est un phénomène que la bourgeoisie nippone par souci d’apparence intellectuelle a adopté en pilant les livres sans jamais les ouvrir. Toujours d’actualité à notre époque , cette pathologie qu’on retrouve plus fréquemment chez les jeunes étudiants, dont certains ont trouvé un malin plaisir à prendre en photo ces piles de bouquins où chacun selon son caractère ordonné ou désordonné (salon, cuisine, chambre à coucher, et même les toilettes …). Ces témoignages visuels apparus sur le net et même dans des revues dernièrement ont popularisé ce phénomène, qui pour la majorité est devenu une tendance, car la plupart des livres mis en Tsundoku ont été ouvert, entamé mais jamais terminé. A croire qu’on incite les jeunes à ne plus finir ce qu’ils ont commencé. Comme des calendes grecques le désir de possession aura consumé toute envie de lecture et l’objet tant convoité devient un débris dont on n’arrive plus à se défaire. A terme, la lecture devient secondaire voir même absente et le désir de possession devient frustrant ce qui peut transformer une inoffensive manie en un trouble psychologique. Ce bibliophile existe depuis longtemps, on peut le trouver cité chez La Bruyère en 1688 :«… dire que sa galerie est remplie à quelques endroits près, qui sont peints de manière qu’on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l’œil s’y trompe ; ajouter qu’il ne lit jamais, qu’il ne met pas le pied dans cette galerie …» ; Ou encore dans l’Encyclopédie de 1751 : « … C’est un homme possédé de la fureur des livres… Un bibliomane n’est donc pas un homme qui se procure des livres pour s’instruire : il est bien éloigné d’une telle pensée, lui qui ne les lit pas seulement. Il a des livres pour les avoir, pour en repaître sa vue ; toute sa science se borne à connaître s’ils sont de la bonne édition, s’ils sont bien reliés : pour les choses qu’ils contiennent, c’est un mystère auquel il ne prétend pas être initié ; cela est bon pour ceux qui auront du temps à perdre. Cette possession qu’on appelle bibliomanie, est souvent aussi dispendieuse que l’ambition et la volupté. » 16

@Thoughtcatalog

Collectionneur ! C’est le comportement addictif qu’ont les personnes atteintes de bibliophilie, cette pathologie liée aux livres est caractérisée par l’achat compulsif de livres dans un but de possession, les tasser les uns sur les autres de sorte à construire une tour de Babel de livres nonlus.


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LA VERITABLE MUSE INSPIRATION, REVE ET CAUCHEMAR Amir GUERMI

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a production littéraire est une machine qui parfois fait défauts, et force est d’admettre que les différents problèmes que rencontrent les sociétés dans le monde sont sources de peur et d’angoisses ou de joie et de soulagement, et par conséquent d’inspiration ;C’est cet ascenseur émotionnel qui est le principal moteur de production artistique, que ce soit en peinture en musique ou en littérature. C’est cette dernière qui dénonce et met en lumière les désolations et les joies du monde. Quand on parle de « Muse », on parle d’inspiration, non de l’origine du mot qui vient de la mythologie grecque. Élan de l’âme pour la création artistique, la muse fait songer et est souvent le résultat d’une recherche profonde de l’artiste dans son intérieur, où là-bas il tire de sa révolte ou souffrance cette « Muse », labeur de l’âme écorchée ou en extase. Au-delà de l’inspiration, la création dans l’art en général et en littérature en particulier émane des problèmes et fléaux qui touchent la société en somme, l’artiste dans ce contexte dénonce, il raconte et témoigne des souffrances, des injustices et des inégalités. En temps de paix l’artiste fait face à l’ogre qu’on nomme « Ennui », ce monstre délicat comme le décrit Baudelaire est une cause du phénomène de la page blanche que redoutent les auteurs. C’est pour cela qu’ils ont recours à la consommation de substances hallucinantes pour remédier au manque d’inspiration. Avec le temps, c’est devenu une case presque obligatoire pour tout artiste pour trouver l’inspiration ou l’état de grâce qu’espèrent les auteurs pour écrire ; Ou encore simplement pour alléger la chimère qui ploie l’être sous ses angoisses. Pour ce faire Baudelaire a laissé un joli éloge ou pas de ce qui peut provoquer l’inspiration dans son livre « Le Paradis artificielle ». Le paradis artificiel d’un génie selon Amir Guermir A la manière d’un récit documentaire mais propre à la plume outragé de Baudelaire, « le paradis artificiel » comme son titre l’indique est alimenté par l’attirance qu’a l’auteur pour l’excès, toujours en quête d’idéal face à la laideur qu’il voit en ce monde, il a cherché en passant par tous les chemins à atteindre la pureté et la beauté. Il a ainsi exploré à travers sa poésie un monde plus léger que le monde réel, plus beau mais aussi parfois très obscur. Dans l’ouvrage qui nous intéresse (Le Paradis Artificiel), que j’ai lu étant plus jeune, je pensais que l’extase passait forcément par l’ivresse poétique ou amoureuse, mais Baudelaire à sa manière loin de faire l’apologie des drogues qu’il cite et dénonce dans son « paradis artificiel » déclinant les effets néfastes qui suivent l’extase par ses mots : «… ils ne trouveront dans le haschisch rien de miraculeux, absolument rien que le naturel excessif … ». Comme pour donner l’exemple. En le relisant j’ai trouvé le livre un peu moral mais bien expliqué. Dans la première partie d’une façon très clinique il relate ce que le consommateur du haschisch recherche et ce qu’il va trouver, racontant ainsi sa propre expérience ayant été lui-même un consommateur en décrivant les effets qu’il a eu sur lui. Il parle aussi de son aspect en général.

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DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

CHARLES BAUDELAIRE PAR ÉTIENNE CARJAT VERS 1862

Dans la deuxième partie il fait l’étude de l’opium en expliquant comment on peut facilement tomber dans les abysses de l’opium (euphorie, dilatation du temps, extrême fatigue et paresse). De cette substance on peut se dessiner les ondoyantes qui relatent et expriment les angoisses engendrées et déjà vécues, nous permettant de revivre des scènes du passé avec plus de précision en poussant l’imagination à être plus féconde. Cette lecture que je qualifie de rebelle, de malsaine aussi, a en quelque sorte dénoncé des maux qui font souffrir nos sociétés, ainsi elle m’a fait comprendre que la destruction du soi n’est en aucun cas un passage obligé pour la création artistique, car moi-même sans avoir eu à passer par une quelconque drogue, j’ai lu avec avidité et ivresse ce que je définirais comme un voyage artificiel en prose où Baudelaire cherche à expliquer avec des mots ce qui le transcendait alors ! Là où l’âme humaine peine à se faire une place dans cette obscurité journalière, il nous raconte son monde invisible où il a essayé de fuir, entre dieu et diable cherchant l’infini et l’éternité. A la fin on remarque que cet essai est un témoignage de la relation qu’il y’a entre la création poétique et la consommation de stupéfiants (Haschisch, Opium), avec une description assez cru sur les altérations psychiques qui surviennent au fil du temps, et au fur et à mesure des pages, on se rend compte de la descente aux enfers que subit cet amoureux de l’extase, jusqu’à en devenir son esclave. Enfin de compte son style « nouveau » à son époque comme il fut nommé la « prose », pour moi était un prélude du roman fantastique, car dans sa recherche frénétique de l’absolu et sa torture apparente entre horrification et exaltation, paradis et enfer, Baudelaire a simplement essayé d’expliquer à sa manière ses addictions. 18


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DEFIS DE LA LITTERATURE EN TEMPS DE CRISE Amir GUERMI

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e tous temps l’humanité a connu des périodes durs durant lesquelles des sociétés entières ont disparu, on pourrait même dire des civilisations. Mais ne parlons plus de sociétés car en somme ce sont elles les moteurs de toute production littéraire, parfois même les instigatrices des révoltes populaires avec des écrits qui dénoncent les injustices et les inégalités. Au-delà de ça, à bien des égards l’écrit est le plus surs des héritages pour les générations suivantes, un héritage pour apprendre et pour se rappeler, mais aussi la littérature a fait l’homme de lettre, l’homme du verbe, celui qui rédigea la vie sociale et celui qui la critique. Partout dans le monde les crises sociales ont donnés naissance à des créations, et des cris de détresse. Ils ont vu naître des plumes, entendu des voix s’élever plus haut que les autres. On notera que les plus anciennes démocraties, et les républiques les plus chevronnées ont vu le jour grâce à de illustres écrivains. Pendant la renaissance, l’homme se questionna sur ses conditions, et son rapport à la nature, à cela se sont suivis des découvertes scientifique relayées magistralement par des plumes que la postérité appellera « Lumières » ; Toutes les classes sociales ont été touchées, et un nouveau souffle d’idées prend forme avec un goût de justice sociale et de critique des croyances. En France, Diderot avec ses quelques milliers d’articles dans l’œuvre de sa vie « Dictionnaire des sciences, des arts et des métiers », fut emprisonné après la parution de sa « Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient ». Il fut considéré comme un danger pour ceux qui cabalent contre les philosophes de l’époque. Voltaire de par sa vocation pour l’égalité et la liberté a fortement contribué à la révolte française. Dans ses « lettres philosophiques » il parle de son idéal social, il prône le droit civique plutôt que le laïque, il dénonce aussi le despotisme de l’époque et l’obscurantisme. Ce fut en France puis partout en Europe que se sont propagées les idées et concepts de civilité et de justice sociale. Mais ailleurs et plus tard surtout, d’autres populations ou peuples ont connu leurs heures de révolte donnant naissance à des témoignages et des récits. A cet égard nous pouvons citer le poète arabe, Nizar Kabbani. Surnommé le poète de l’amour pour ses écrits consacrés aux femmes, ces derniers sont en réalité des métaphores qui relatent la nation arabe en train de naître suite à l’occupation étrangère et la création de l’Etat d’Israël.

©Brooke DIDONATO

Pourtant cette fois il n’y a ni guerre ni religion ni conflits, il y’a ce micro-organisme, qui a reclus le monde dans son terrier, qu’en va-t-il ressortir ? Quelles seront les voix ? Les plumes ? Pour la postérité, que dirons-nous ? Cette perfection des moyens, cette confusion des buts, ce qui symbolise notre époque à tout point de vue, c’est l’inaction et l’intolérance, partout dans le monde on voit toujours les maux d’hier qui étaient déjà là, et aujourd’hui encore perdurent et demeurent, l’homme de lettre manque, le cupide s’étale, et dans un brouhaha le monde s’évapore.

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DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS DE LA SCÈNE

LE THÉÂTRE DE L’ÉPIDÉMIE Fariza CHEMAKH

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©Julian MOMMERT

e théâtre de l’épidémie n’est pas un nouveau genre théâtral qui traite des épidémies, puisque plusieurs hommes du domaine théâtral ont déjà traité des maladies dans leurs textes et sur les planches tels que Le Malade imaginaire de Molière, L’Epidémie d’Octave Mirabeau, Rhinocéros d’Eugène Ionesco ou encore La Peste d’Albert Camus…

LE RHINOCÉROS DE EUGÈNE IONESCO

Cependant, il est aujourd’hui un art engagé, un théâtre témoin des vices et des idéologies qui entraînent des épidémies qui mènent à des tragédies. Des tragédies qui sont à leur tour de toute évidence, « essentielles » pour une production théâtrale de haute qualité. L’histoire du théâtre de l’épidémie n’est pas nouvelle ; inspiré des épopées et codes narratifs et historiques anciens, elle est là et agit comme un témoin des différents contextes. L’objectif de ces pièces était de raconter le carnage et son influence sur l’esprit et les valeurs des individus. Elles étaient également présentes pour témoigner de la souffrance. Au commencement, lorsque Caïn tua son frère Abel, Adam aperçoit un corbeau qui enterrait son compagnon mort, à cette scène, il apprit ce que Dieu attendait de lui. Cette scène théâtrale, a appris à l’Homme ce qu’il devait faire, elle l’a guidé pour accomplir ce qui devient un rituel universel. Elle a également été là pour témoigner de la première tragédie sur terre : la cupidité, l’envie et la jalousie, elle a témoigné des premiers symptômes d’une épidémie qui rongea l’âme de l’Homme puis le poussa à commettre toute sorte d’atrocités. 20


ISSUE06 Au Ve siècle avant J.-C., Sophocle a écrit la tragédie «Œdipe le roi» dont le héro Œdipe s’efforce de déterminer la cause de la peste qui a frappé sa ville Thèbes, et détruit la plantation et la progéniture ; la terre était remplie de cadavres et le chaos régnait, seulement pour découvrir que la cause était une erreur commise par le plus haut dirigeant de la ville, Œdipe. La source de l’épidémie, selon Sophocle, était le «péché humain», un fils qui tua son père et épousa sa propre mère, dans une situation sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

OEDIPE DE SOPHOCLE, MISE EN SCÈNE DE ROBERT WILSON, PRODUITE PAR TEATRO GRANDE SCAVI, POMPEII, ITALY

Sophocle, dans sa pièce Œdipe Le roi, s’est concentré sur le comportement et les valeurs humaines. Et cette épidémie, selon lui, n’est pas venue uniquement pour punir l’homme mais également pour faire tomber les masques, révéler les secrets et dénuder les péchés qui sont à l’origine de la souffrance humaine, pour, ensuite, attribuer le salut à la solution religieuse, avec la prière et l’obéissance aux dieux et aux instructions des temples. Après les Grecques, et selon la bible, les épidémies apparaissent souvent avant ou après les conflits sociaux et les guerres, et sur ce point, l’homme du théâtre et théoricien Antonin Artaud, dans son œuvre « Le Théâtre et son double : le théâtre et la peste », introduit son hypothèse que ce fléau peut être considéré comme « l’instrument direct ou la matérialisation d’une force intelligente en étroit rapport avec ce que nous appelons la fatalité. » Selon Artaud, la peste est comme une sorte de malédiction qui révèle le comportement sordide de l’homme, ainsi il dresse un parallèle entre le théâtre et la peste disant: « Si le théâtre est comme la peste, ce n’est pas parce qu’il est contagieux, mais parce que comme la peste il est la révélation, la mise en avant, la poussée vers l’extérieur d’un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu ou sur un peuple toutes les possibilités perverses de l’esprit … L’action du théâtre, comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie ; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eue sans cela.» Tout au long de l’histoire, le théâtre a traité les vices et les conflits douloureux des gens et des sociétés, pour critiquer ce qui peut être critiqué d’une manière douce et indirecte, il est né de la souffrance humaine et reflète des sentiments

ANTONIN ARTAUD

et des vices, tels que la douleur, la peur, l’envie, la cupidité, la jalousie, la perte, la trahison et les épidémies. Oui, il était là depuis le début, on l’appelle théâtre, mais il est considéré comme une épidémie affectant l’élite dans le monde. On ne lui a pas trouvé de vaccin final, pour aucune autre raison que lui même est un vaccin qui nous transporte vers les profondeurs de l’esprit, il nous montre nos vices et nos horreurs pour ensuite nous guider vers la purification et l’illumination. www.monokromemag.com I 21


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

MUSIQUE

LA MUSIQUE AUX MOMENTS DE CRISE Mehdi FELFOUL

P

eut-on transmettre de l’émotion apaisante là où la peur et le stresse règnent ? Une question pertinente, où une réponse s’impose au fil du temps de l’adaptation aux conséquences d’une crise. L’émotion a plusieurs définitions, (affective, physiologique, motivationnelle …), mais en abordant la définition comportementale, c’est la réponse émotionnelle observable de l’extérieure qui est prédominante. Celle-ci engendre chez une catégorie de personnes, les artistes notamment, de la créativité. En cette période de pandémie, obligeant les habitants du monde à s’enfermer dans leurs espaces restreints, l’artiste qui a l’habitude de s’envoler dans les cieux de l’imagination et de la création , pour éparpiller en partage des émotions qui reflètent des sentiments, par des toiles et des couleurs, ou encore par des instruments musicaux afin de bercer les âmes, est resté coincé chez lui .

Cette dernière qui a été un intrus pour l’esprit artistique, contraignant l’instinct artistique créatif ,s’est avéré en ces temps particuliers être un moyen primordial pour la continuité et le partage de l’art , en assurant le rapprochement de ces artistes à leurs publics , ainsi qu’entre eux , où l’internet est devenue l’acteur principal dans le maintien de l’ union . Différents logiciels et applications ont créé une forte dynamique de rapprochement et collaborations entres artistes , puis leurs présence pour éblouir les fans et mélomanes, notamment en music, dont on enregistre plusieurs débats, fusions, conférences et échanges, des plateformes aux différents réseaux sociaux se sont distingués par leurs travail de coordination, pour but de réaliser une ambiance similaire à la vie normale, et adéquate à l’actuelle situation, afin de transmettre tout effort artistique au grand public . En Algérie, des groupes, pages Facebook et Youtube se sont faites remarquées par l’organisation des concerts lives en solo ou en groupe, avec la participation de musiciens et chanteurs 22

©Jallen FOSATI

L’impacte de cette crise est important sur tous les plans, cela a gelé dans le monde ce mouvement de paix et de solidarité que représente l’Art dans toute sa splendeur. Mais la force et l’énergie de l’art, qui ont toujours fait face à la peur et la haine ont réussit dans cette situation stressante à se régénérer autrement, pour extérioriser, en brisant toute frontière et obstacles imposés, en s’associant notamment avec la technologie.


ISSUE06 de différents styles, marquant même des occasions religieuses ou nationales, comme la fête de l’indépendance de 05 juillet . Une page comme Andalus’Na, gérée par l’Artiste Benkhalfat Djelloul, a initié ses lives avec des artistes d’affiche en musique traditionnelle arabo-andalous. Une autre page similaire, qui s’intitule l’Algérie en musique, gérée par plusieurs artistes en musique andalouse également, principalement, le producteur Mounir Ghanem, et supervisée par le maitre et le chef d’orchestre Smail hini, consacrée essentiellement aux lives quotidiens, impliquant un grand bouquet de chanteurs maghrébins. Des institutions culturelles officielles, à l’exemple de l’Aarc ( Agence algérienne pour le rayonnement culturel) , qui a bien saisi la situation, et contribue à cette dynamique culturelle, en organisant des différentes activités virtuelles, comme des concerts, débats et conférences en ligne . Certains artistes ont profité de l’occasion pour développer leurs potentiels dans des collaborations, à l’exemple du maestro Khalil Baba Ahmed au violon ,compositeur et chef d’orchestre, accompagné par le talentueux luthier Walid Hakim, qui ont représenté l’Algérie dans un concours international de music « Worl Falc Vision », dont ils ont atteint les étapes finales, et se sont classés cinquièmes parmi des milliers d’artistes du monde entier, et cela malgré l’absence médiatique qui devait être en leurs faveur . Cette crise répond à la question initiale, en confirmant que l’art, et la musique en particulier nourrit l’âme de l’apaisement dans toutes les circonstances. Des artistes de renom ont accompagné leurs publics pendant le confinement en ayant recourt à des audiovisuelles sur télé ou internet. Parmi les artistes qui étaient présents et actifs, on a choisi trois noms distincts de différents styles.

LE MAITRE SALIM FERGANI Une icône de la musique traditionnelle Arabo-andalouse au Maghreb, de l’école de « Malouf» à l’est de l’Algérie. Issu d’une famille artistique par excellence, originaire de la capitale de l’est Algérien : Constantine, dont le père est le maitre incontestable de ce genre de musique : le défunt «El Hadj Tahar El Eergani ». En côtoyant cet entourage de maitres, il a forgé son potentiel artistique, et éblouit un public connaisseur avec la force de sa magnifique voix, qui vibre majestueusement, et son jeu remarquable de plusieurs instruments traditionnels. Son parcours musical riche et exceptionnel a commencé dans sa ville natale dès son très jeune âge avec son défunt père jusqu’aux plus grandes scènes et festivités nationales et internationales à présent, notamment au siège de l’ONU pour la journée Algérienne au siège des nations unies . Salim Fergani est tout simplement, une fierté Algérienne, et une légende vivante de cette musique ancestrale. Pouvez-vous nous parler de vos débuts impressionnants, et de choix que vous avez opté pour la continuité dans ce patrimoine Malouf si vaste et complexe ? Tout d’abord mes débuts était en 1968 à coté de mon père « Hadj Tahar El Fergani » comme musicien guitariste, puis en 1969 je suis passé au luth, je l’ai appris rapidement avec lui en l’accompagnant souvent aux mariages et festivités, jusqu’en 1972 où je suis devenu un musicien confirmé dans son orchestre. Mon défunt père, a constaté que j’avais un don et ce, par l’apprentissage et une oreille musicale très juste, ce qui l’a poussé à m’encourager à me SALIM FERGANI

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DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ perfectionner dans l’usage des instruments, et par suite au chant, où j’ai enregistré pour la première fois en 1975. A partir de cela, j’ai pris mon élan vers ce monde musical.

Malouf–Jazz , puis, j’ai fait une fusion Oud-Piano avec le grand pianiste mondial Jean-François Zigel, ensuite, une conteuse Libanaise Hiba El Kawwas à l’Opéra de Soltanat Amman.

On capte votre maitrise remarquable sur les instruments traditionnels et spécialement le luth « l’Oud » , Avez-vous commencé comme musicien d’abord avant de commencer à chanter ?

Parlez-nous de vos expériences à l’étranger avec le public, sachant que vous avez promu le « Malou » dans les 04 coins du monde !

En effet , j’ai appris à joué à tous les instruments comme la mandoline, la guitare, le violon et l’Oud, et notamment la percussion pour mieux apprendre les rythme avant de me diriger vers le chant.

On a véhiculé le patrimoine Malouf partout dans le monde, où on a assuré la bonne promotion de cette musique, d’ailleurs, le public étranger a beaucoup apprécié l’ambiance et l’harmonie de nos prestations dont on a marqué remarquablement nos passages.

Votre coffret discographique contient Racontez-nous comment étaient les combien d’enregistrement pendant votre répétitions et l’apprentissage que vous avez longue carrière ? acquis, avec la rigueur des différents maitres Jusque-là j’ai pu réaliser dans mon parcours qui vous ont enseigné cet art millénaire ! plus de 55 enregistrements (CD), 40CD réalisés Les répétitions avec « Elhadj Tahar Fergani » dans le cadre de la préservation du patrimoine étaient très sérieuses, car il était rigoureux dans (de l’anthologie) , et des enregistrements les moindres détails : comme la ponctualité, réalisés à Tlemcen par Monsieur Faiçel Belkalfat l’accordement des instruments, dans la , et puis une dizaine de CD éditée et produite (la prestation musicale et l’apprentissage des dizaine) en Espagne, et d’autres enregistrés en Algérie, sans oublier celui qui a été enregistré textes … à la Cité Internationale Des Arts –Paris- dans le Comment vous vous êtes distingué par la cadre de la music du monde . suite, afin de prendre votre envol, marquant votre nom parmi les grands interprètes dans Avez-vous pensé à la formation ? la scène nationale, puis maghrébine ? Oui j’ai toujours pensé à la formation, déjà on Je me suis démarqué après que j’ai appris tout assure la transmission à partir de l’anthologie le répertoire constantinois, à ce moment-là, qui contient toutes les Nouba, Mahdjouz et je me suis rendu compte que j’étais capable M’dih, qu’on a mis à la disposition, mais on et prêt, et je me focalisais sur tout ce qui est aimerait bien faire une formation directe, le seul inédit pour marquer mon emprunte, avec souci épineux c’est qu’on manque d’un endroit l’accompagnement des maitres, le défunt où on peut rassembler les intéressés. père et le défunt cheikh « Toumi », ainsi, j’ai commencé à imposer mon prénom déjà , vue Comment avez-vous géré la période de cette crise de pandémie en confinement, et quelle que le nom « Fergani » existait déjà . était votre façon pour vous rapprocher de Avez-vous essayé de chanter d’autres écoles votre public ? Andalouse à part l’école du «Malouf » ? Pendant cette crise, on a quand même eu Evidement, je ne me suis pas figé sur l’école des difficultés à cause des annulations des de Constantine, puisque j’ai chanté à l’école contrats ici en Algérie et surtout à l’étranger, ou de Tlemcene et à l’école d’Alger, et même reporter à des dates ultérieures. On aurait aimé l’Andalous marocain et l’Andalous ou Malouf un soutien de la part des autorités dans ces Tunisien,. Je pense qu’il faut toucher à toutes moments difficiles, mais malgré cela, on s’est rapprocher de nos publics bénévolement par le les écoles qui viennent de la même source… biais d’émissions télé ou des lives de chez nous Avez-vous fait des fusions avec d’autres pour ne pas laisser notre cher public seul, et ne pas le priver de music et surtout, essayer de genres musicaux ? créer un cadre de vie normale pour surmonter J’avais fait des fusions importantes, comme les moments difficiles du confinement. 24


ISSUE06

KHALIL BABA AHMED De l’Andalousie au Maghreb, une traversée dans l’histoire, où le savoir mauresque s’est transmis par excellence, comme la music, préservée par des générations jusqu’au temps présent, laissant en héritage un acquis musical harmonieux riche par sa poésie et mélodie rythmique. La nouvelle génération de cette catégorie conservatrice maitrise avec perfection, et exploite son savoir, afin de s’ouvrir aux autres musiques et créer de nouvelles sonorités, à l’exemple du virtuose chef d’orchestre algérien Khalil BABA AHMED. Un Architecte qui dérive son ingéniosité, à la création d’une magie d’harmonie.

Khalil Baba Ahmed, un des noms incontournables dans la création et l’exploitation de cette musique, pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours si divertissant ? Je suis né à Tlemcen, au sein d’une famille de mélomane, de fait, mon contact avec la musique fut réalisé dès mon jeune âge où j’étais bercé par les mélodies d’Abdel Wahab , Oum Kalthoum ainsi que la musique Algérienne de tous genres, dont la musique Andalouse qui occupait une place particulière. J’ai commencé mon apprentissage très jeune à l’association. Il était difficile pour moi d’adhérer à la méthodologie d’enseignement qui me perdait entre les textes et la musique. A la recherche d’autres choses, j’ai intégré un atelier de musique à la Maison de la culture où j’ai pu découvrir la musique classique, le solfège et la théorie avec mon professeur Mr.Chafa Belaid puis le musicien Mr Jalouk qui m’a fait évoluer dans les sonorités orientales. Enfin, j’ai intégré l’association Andalouse ‘Awtar tilimcen’, où j’ai découvert la Nouba, ses secrets et ses dérivés. Rapidement, en parallèle de mes études d’architecture, j’intégrais des orchestres pour animer des soirées et concerts, où je découvrais par la même occasion le domaine professionnel. Durant un long moment, j’ai mené ma vie d’architecte et d’artiste de manière concomitante. Puis j’ai décidé de suivre mon choix de cœur et mener une carrière d’artiste. J’ai eu une profonde réflexion sur ce choix qui m’a amené à me concentrer sur la composition et l’enseignement. De fait, j’ai développé toute une série de projets nationaux et internationaux, de concerts, master class, ateliers de musique et résidences artistique à travers le groupe Jarka, puis, par la suite par Khalil Baba Ahmed, et la création de l’atelier ‘Baba Ahmed’ qui s’est érigé par la suite sous forme d’une entreprise d’enseignement culturel et littéraire portant le nom de l’atelier des arts et des lettres .

KHALIL BABA AHMED

Comment vous avez procédé pour arriver à mixer cette musique Andalouse ancienne qui est un héritage par oreille, aux autres musiques Orientales ou Occidentales à base du solfège ? Le solfège et la théorie musicale ne sont que des outils parmi tant d’autres, il est évident que les partitions m’ont permis dans un premier temps de pouvoir développer un langage rapide, fluide et facile avec d’autres musiciens ou interprètes et cela me permet de consacrer plus de temps à l’interprétation et à l’esthétique. Ma démarche était de pouvoir concilier entre deux catégories de musiciens. Au début, mes répétitions étaient comme un laboratoire vivant où il fallait ajuster et réajuster, inventer et imaginer des solutions. Actuellement, en Algérie, et par rapport à ce qu’on constate dans le paysage culturel, on se concentre plus sur l’aspect formel, on présente au public de l’image, une belle scène avec de beaux décors et des orchestres. S’il est agréable de soigner ces aspects de présentation, il ne faut pas que ce soit au détriment de la production musicale. On constate souvent que c’est plus du remplissage d’orchestre qu’autre chose et l’effet de la masse engendre le niveau de qualité. www.monokromemag.com I 25


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ Je pense qu’il est temps de revoir les méthodes dans leurs fonds, de comprendre le pourquoi et le comment et d’essayer de construire des bases et une nomenclature qui nous permettra à la fois de valoriser l’authenticité de notre patrimoine et d’ouvrir des voies et des pistes pour la création. Une démarche qui demande beaucoup d’efforts et de moyens. Parlez-nous de votre passage d’un musicien solo à la direction d’un orchestre (ensemble) que vous avez créé ! Cette étape , était un passage presque utopique pour moi, il faut bien reconnaître que je n’avais ni les connaissances requises ni la possibilité avant de faire des études pour devenir chef d’orchestre, j’avais toujours eu cette ambition mais sans pour autant y chercher au-delà, je me retrouvais un peu cloîtré dans ce que je faisais, et cela ne me permettait pas d’avancer vers d’autres horizons . L’aventure a surgit après un concert à l’opéra de Lille où j’accompagnais le professeur Tewfik Benghabrit. Des musiciens locaux nous ont contactés et ont exprimer le vœux de venir à Tlemcen et de monter un projet mixte avec les artistes locaux . Le projet a pris forme, et Mr Benghabrit m’a chargé de la direction artistique étant donné que j’étais le plus académique dans l’ensemble, et pour accueillir cet orchestre classique rançais, j’avais passé plusieurs heures à apprendre et lire sur la question, faire des essais et surtout transcrire la musique Andalouse, qui était prévue dans le programme. Ce fut pour moi une étape pleine de découvertes et ça a pris forme après la rencontre avec la cheffe d’orchestre Française qui m’a encadré et a fini par me remettre sa baguette, en me demandant de prendre la direction de l’orchestre. Une véritable révélation pour moi qui m’a donné les premiers outils pour construire ma nouvelle vision artistique. Dès lors j’enchaîne les expériences et les projets. Quelles sont vos expériences en tant que compositeur avant la création de votre orchestre, et par suite après sa création ? Mes premières tentatives de composition remontent déjà à mes débuts, où j’avais écrit quelques essais, mais les premières productions publiques sont apparues avec le groupe Jarka, où j’avais composé à l’époque, plusieurs titres pour le groupe. Naturellement, le processus se développe constamment, j’ai pu par la suite composer pour orchestre traditionnel 26

ou universel, et aussi pour mon ensemble, l’ensemble Khalil baba Ahmed dans le cadre de mes spectacles, je cite ‘’ Mystic muse over time ‘’, ‘’ nuits blanches ‘’… Avec le temps, on se construit une identité, une image, on se fixe des objectifs et des principes. Mes travaux sont souvent axés sur la métaphore du partage et du vivre ensemble, de l’amour et de l’espoir. J’essaye de raconter mon vécu, mes expériences et ma philosophie, de présenter des messages de paix et de transmettre de l’énergie positive autour de moi. Avez-vous composé ou accompagné des chanteurs sur des concerts ? Dans le cadre de mes activités il m’arrive souvent de collaborer avec des chanteurs et des interprètes de divers styles, j’ai vu défiler sur la scène à mon grand honneur plusieurs grands noms de la chanson Algérienne et même internationale. Quels sont les exploits que vous avez élaborés dans la formation et la transmission de votre savoir et expérience ! Je n’aurai jamais la prétention de parler d’exploits, j’estime qu’à mon niveau, j’essaye de faire avancer les choses à ma manière, de donner de ma personne et de mes connaissances accumulées durant mes modestes années de travail. Je compte à mon actif, plusieurs master class pour les jeunes, qui ont abouti à la création de l’ensemble Safar; un ensemble regroupant de jeunes artistes Algériens avec son spectacle conte et musique ‘’ mon étoile’’ , l’atelier des arts et des lettres qui occupe actuellement une place incontournable dans le paysage culturel de ma ville, un espace dédié à la culture qui offre aux jeunes de la ville une véritable plaque tournante d’échange et de formation. Chaque spectacle que je produis au public a, à mon sens, beaucoup de messages à révéler. Que ce soit sur une philosophie de soi ou porté sur notre identité et notre culture. A l’exemple du projet’’ sérénade de l’amitié ‘’ : un projet Algéro-Serbe produits à l’opéra d’Alger; où musique classique universelle a cohabité avec notre patrimoine, un spectacle qui a enregistré la participation de la diva Jadranka Jovanovic. Ou encore, notre dernier concert en Corée du Sud où nous avons dignement représenter la culture Algérienne en impliquant des musiciens coréens, une chorale et une soprano, un projet organisé par l’ambassade d’Algérie à Séoul.


ISSUE06 Quels sont vos projets actuels, et quels sont vos projets à venir ?

participants à travers le monde, parlez-nous de cette honorable expérience ?

J’allais présenter une nouvelle version de mon spectacle ‘’ Nuits blanches ‘’, au théâtre régional d’Oran durant le mois de mars dernier, malheureusement reporté suite aux conditions sanitaires présentes. Je développe de nouveaux thèmes de spectacles dont j’espère avoir l’occasion de présenter au public, avec des thématiques qui tournent au tour du soufisme, de la spiritualité, et du patrimoine national. J’ai aussi comme projet l’enregistrement d’un nouvel album , une forme de synthèse. Il y avait aussi une ébauche sur la création d’un rendez-vous culturel et artistique important et d’ordre international qui devait avoir lieu à Tlemcen, mais encore une fois la crise mondiale a fait que tout soit reporté.

Le World folk vision est un festival international portant sur plusieurs disciplines artistiques tel que la musique, le chant et la danse. Organisé sous forme de concours artistique qui se déroule chaque année dans un pays choisi et parrainé par l’UNESCO, cette année, il a été organisé en version virtuelle vue les circonstances, il a enregistré près de 4000 participants à travers le monde, et plus de 24 millions de votes Public pour la phase finale. Nous avons participé avec deux travaux : une pièce en orchestre, une réadaptation du madih ‘’ Tachafaa Ya Rassoul Allah ‘’, et une pièce en duo ; une composition qui s’intitule ‘Rose Noire’ que j’ai eu le plaisir de présenter avec mon ami l’artiste Walid Hakim. Je ne vous cache pas notre joie à la découverte que nos deux travaux ont été qualifiés parmi les 180 demi-finalistes. Suite à cela, la composition rose noire se retrouve en finale. Se voir sélectionnés parmi tant d’artistes talentueux à travers le monde est déjà en luimême un accomplissement et une satisfaction personnelle. Ça nous a permis de nous placer et de pouvoir porter une évaluation sur l’impact de notre musique. Après la délibération et les résultats finaux, on se retrouve classer 5e mondialement…C’est véritablement un honneur pour nous que de placer l’Algérie dans une telle position, sachant que c’était une première. À travers notre qualification, l’Algérie aura la possibilité d’organiser et d’accueillir désormais cet événement d’ampleur international ayant des retombées économiques culturelles et sociales considérables. A ce titre, nous avons transmis les courriers des organisateurs au ministre de la culture et nous espérons faire de notre mieux pour être des ambassadeurs dignes de notre pays.

Comment avez-vous géré artistiquement la période du confinement, en cette crise de pandémie ? La période du confinement était particulièrement difficile à gérer, d’ailleurs, c’était le cas pour la plus part des individus. Le vide Artistique qui s’est installé par la suspension des spectacles et des regroupements en tout genres nous a poussé à nous tourner vers le monde virtuel et les réseaux sociaux pour grader le contact avec le public ainsi que nos élèves. Cependant, cette situation m’a particulièrement inspiré pour composer un nouveau titre que j’ai fait exécuter à des musiciens de diverses nationalités à distance ; ce titre qui s’intitule : ‘note d’espoir’, symbolise pour moi la force du langage de la musique, et communique à travers l’Union de tous ces artistes, quel que soit leurs origines ou leurs cultures, un message fort d’amour-propre, solennel, et rempli d’espoir. Nous avons profité aussi de l’occasion de l’Aïd el fitr, pour proposer au public une nouvelle version du chef-d’œuvre de Abdelkrim Dali: un projet qui nous a été proposé par l’artiste maître Hadjkacem Brahim ; une version maghrébine impliquant des artistes d’Algérie du Maroc et de la Tunisie. Le confinement nous a aussi donné du temps pour réfléchir à d’éventuels nouveaux projets. Votre participation avec l’artiste Hakim Walid dans le fameux concours mondial « World Folk Vision » a été récompensée par la qualification au final, et de vous classer en cinquième place parmi des milliers de

Quels messages voudrez-vous transmettre aux jeunes musiciens qui s’inspirent de vos exploits ? Faire ce qu’on veut avec amour et conviction, mais aussi avec beaucoup de détermination. Ce sont des principes qui m’ont beaucoup aider à tenir le cap, et croire en mes réalisations, l’ambition de vouloir apporter une plus-value à notre entourage et à notre société, et c’est cette même ambition qui nous mènera vers la réussite. Je pense que la clé de chaque succès et de savoir donner avant de recevoir . www.monokromemag.com I 27


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS PLASTIQUES

SONIA OUAJJOU L’ART SIGNÉ COVID-19 Sabrina MEDJKOUNE

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es plus belles œuvres naissent dans la douleur, telle est la devise adoptée par plusieurs artistes durant ce confinement. Parmi eux Sonia OUAJJOU, cette illustratrice-auteur de livres pour enfants, ayant fait ses débuts dans les années 2000.

SONIA OUAJJOU

Fière de ses origines marocaines, Sonia n’hésite pas à illustrer les traditions dans ses nombreuses réalisations et les exposer dans les galeries les plus convoitées du monde. À travers sa rude vie, Sonia a pris l’art comme un refuge, ou une manière de voir la vie autrement. C’est ainsi qu’elle a posé un regard sur la situation du confinement. 28


ISSUE06 Dans son monde, Sonia allie beauté et dénonciation. Cette artiste libérée, adepte de l’acrylique sur papier et sur toile, généreuse en couleurs, met en scène des situations réalistes à travers des personnages parfaitement caricaturés et très significatifs. Sans détour, Sonia fait un zoom sur les différents profils observés pendant ce confinement. On observe ainsi de nombreuses planches consacrées aux balcons. Ces quelques mètres carrés étaient et sont encore très prisés pour prendre un peu l’air, voir quelques rayons de soleil. Alors qu’ils sont devenus une pièce à part entière de l’habitat, ils ont offert à Sonia une ouverture sur la vie de ses habitants. Echappatoires des amoureux de musique et de dance, sasse de discussion entre voisins, ils sont passés de délaissés à convoités et leur occupation a révélé le moral des confinés. Les heureux pour lesquels la frontière avec le temps des vacances était mince, les voyeurs aux heures perdues, les vendeurs de nourriture en douce, ainsi que les exacerbés de la situation pour lesquels le confinement a rimé avec détresse et violence. Les illustrations de Sonia sont révélatrices. Très inspirée, elle se penche sur de nombreux aspects en faisant à chaque fois passer un message pour ceux qui veulent bien entendre.

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DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS PLASTIQUES

MUSTAPHA SEDJAL ÊTRE ARTISTE EN TEMPS DE CONFINEMENT Gaëlle HEMEURY

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rtiste plasticien visuel algérien, Mustapha SEDJAL a réalisé depuis Paris, ville dans laquelle il vit, un carnet de 55 dessins et 23 vidéos expérimentales durant le confinement, faisant de fait écho à la situation inédite de l’épidémie du covid-19 et de ses conséquences. Diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts d’Oran puis d’Alger (D.N.B.A), avant de rejoindre Paris en 1987 où il s’inscrit à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs (spécialité artvidéo) et des Beaux-Arts (D.N.S.B.A / Peinture), Mustapha SEDJAL envisage l’artiste comme un intermédiaire à l’aune de la production .MUSTAPHA SEDJAL. CARNET COVID-19 artistique qui agit comme médium, c’està-dire comme un « entre-deux », entre une situation et les individus. Autrement dit, selon lui, l’artiste met des mots, des images, des sons sur des situations, des sentiments, des doutes individuels et/ou collectifs. De fait, il met en scène et il rend compte. Accompagné de ces carnets, « les coulisses de ma création » comme il les défini, il pose dès lors sur le papier ses observations et ses interrogations graphiquement et expie « l’expérience que chacun de nous vit à sa manière dans ces moments difficiles ». M.Sedjal en confinement : Loin du confinement qui s’impose à l’artiste en temps de création, ce dernier forcé fut une période trouble et stressante au commencement, mais bénéfique par la suite. Il fallait s’organiser et mettre en place des projets pour ne pas sombrer dans l’angoisse et tenir jusqu’au bout. M.Sedjal s’est donc programmé des activités régulières à suivre tout au long du confinement : un temps pour le « Journal de bord » dessin quotidien sur son carnet, un autre pour la vidéo expérimentale d’une minute, la lecture, et scruter l’horizon pour le jour d’après. Selon lui, la création aux temps de cette épreuve de confinement Covid-19 (du 17 mars au 10 mai 2020) aide à réfléchir et à prendre du recul sur la situation, afin de mieux comprendre nos émotions, nos comportements, nos réactions. Si cette pandémie nous isole les uns des autres, elle nous donne aussi l’occasion d’une forme d’introspection et nous invite à recréer du lien autrement. Le carnet de confinement : Durant la période de confinement en France, c’est-à-dire entre le 17 mars et le 10 mai, il s’est attaché à réaliser un dessin par jour et une série vidéo d’une minute. Il s’est selon ses mots « imposé un double confinement », à savoir un confinement de fait, physique, et un confinement créatif. Cette démarche intervient comme une manière d’extérioriser le contexte anxiogène, de rendre compte de soi, d’interagir avec l’extérieur et de s’affranchir du confinement dans une certaine mesure. 30


ISSUE06 Dans cette optique, les dessins agissent comme des médiums entre le contexte et le récepteur entre soi et autrui. Ces derniers, que l’on pourrait définir comme des marqueurs temporels qui fixent à un moment donné une situation, sont mis en scène par des vidéos expérimentales. Cette démarche artistique tente d’allier la lenteur, que le confinement incombe, à l’exigence esthétique. L’objectif étant de rendre compte dans la mise en scène de la situation que nous traversons (avons traversé), « de confronter des idées vagues avec des images claires ». Ainsi nous avons en collaboration avec M.Sedjal choisi de vous présenter trois dessins réalisés durant la période de confinement. Tout d’abord (le visuel 1) qui s’interroge sur le virus. Ensuite (le visuel 2) qui représente le portrait d’une andalouse traditionnelle masquée. Enfin, (le visuel 3), la représentation de l’invisibilité du virus. Ces trois productions artistiques abordent chacune d’elle la situation inédite dans sa configuration surprenante, contraignante et inquiétante.

LE CERNET DE CONFINEMENT

Par delà le confinement : Face à cette situation inédite, de nombreux artistes se sont mobilisés via les réseaux sociaux pour partager leurs sentiments et rendre compte du contexte. Ainsi bien que de nombreux événements aient été annulés, de nouveaux projets ont émergé. A cet égard M.Sedjal a participé à quelques évènements comme le festival des arts confinés au sein de « Agora-off.com » sur le web, organisé par des artistes curateurs qui proposaient une programmation d’artistes souhaitant transmettre leurs créations au public. Il y’a eu également la Cinémathèque de Paris qui avait sélectionnée et réuni des films (courts métrages, art-vidéo, cinéma / vidéo expérimentale) sur sa chaine Viméo. Enfin, Elbirou Art Gallery, une galerie d’art contemporain à Sousse (Tunisie), qui a partagé sur son site web « les Fruits Confinés » d’artistes contemporains tunisiens et internationaux, dans leurs ateliers, pour découvrir l’intimité de leurs démarches créatives. De son côté, M.Sedjal entretenait le lien avec son public sur sa page Facebook, en postant chaque soir le dessin du jour et une vidéo tournée et montée la veille.

mustapha.sedjal sedjalmustapha.jimdofree.com/ www.monokromemag.com I 31


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

ARTS PLASTIQUES

L’ART AU TEMPS DU CORONA Narimene LOURDJANE

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e début de l’année 2020, a été tumultueux, et peu joyeux en raison des l’épidémie de la Covid 19 et du confinement qui en a découlé. Face à cet ennemi invisible qui nous a contraint à l’arrêt et a entaché nos libertés, nous observons dans l’adversité, des productions artistiques optimistes et critiques sur les événements. De fait, nous allons rendre hommage à toutes ces personnes qui ont su dépasser la sphère négative et anxiogène qui découle de cette tragédie, et qui ont réussi à trouver la force en eux pour avancer, nuancer et faire de leur mieux pour partager des ondes positives et enfin pour démontrer leur solidarité et leur soutien au monde qui les entoure. C’est pour cette raison que nous vous partageons toutes ces initiatives artistiques qui sont nées pendant la période du confinement, et qui ont aidé à apaiser certains esprits, et à délivrer un message d’espoir. Quand vous ne pouvez vous rendre au musée, c’est lui qui vient à vous Le confinement a été la solution la plus efficace pour faire face aux conséquences physiques, mais qu’en est-il de notre esprit ? Celui-ci a besoin d’évasion et d’aération. C’est dans cet objectif, que de nombreux musées dans le monde ont mis en place une initiative des plus généreuses : faire vivre leurs expositions en ligne, afin d’apporter un moment de réconfort et une échappatoire dans chaque demeure. Le musée d’art contemporain de Lyon, a eu l’idée d’utiliser les réseaux sociaux, notamment Twitter, pour présenter quotidiennement une œuvre d’anciennes expositions sous l’hashtag #oeuvrequifaitdubien. Et pour leur premier post le musée a choisi une œuvre au symbole fort au vu des circonstances, qui était « Le jardin synthétique à l’isolement ». D’autres musées se sont prêtés au jeu, c’était le cas du réseau des musées de Normandie, grâce à une base d’œuvres numérisées, les adeptes d’art peuvent admirer jusqu’à 70.000 objets artistiques (peintures, sculptures, costumes.) depuis leur salon, et tout cela grâce au web et aux réseaux sociaux. Aujourd’hui plus que jamais les musées profitent de l’air du digital afin de maintenir le lien avec les visiteurs et les adeptes d’art, grâce au partage de contenu numérique (images des œuvres, vidéos de visites guidées et même des ateliers) via leurs sites web ou leurs réseaux sociaux. Le virtuel a permis au monde confiné, de perpétuer certains de leurs loisirs, dont les visites aux musées , ce qui a augmenté le trafic et les visites sur leurs sites (par exemple les visites sur le site internet du Louvre est passé de 40.000 à 400.000 par jour). Les musées ont su être créatifs, afin d’attirer plus de visiteurs sur la plateforme numérique, et ce en mettant à la disposition des internautes : des conférences filmées, ou encore des visites guidées. La Tate Modern à Londres avait proposé des ateliers pour les enfants afin de les occuper pendant le confinement. La Koenig Galerie a proposé via son Instagram des interviews quotidiennes avec différents artistes, en Italie, pas moins de sept visites virtuelles sont proposées, aux visiteurs pour découvrir la chapelle Sixtine. Ainsi que d’autres musées, tels que le musée du Belvédère à Vienne, le célèbre musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg qui ont fait de même. 32


ISSUE06 En Algérie, nos musées aussi, notamment le Musée des Beaux-arts d’Alger, a suivi le mouvement et a initié des expositions virtuelles pendant la période du confinement. En mettant à disposition des admirateurs, une galerie numérique qui expose les œuvres du musée pour notre plus grand plaisir.

©NerOne ART

Quand la photographie se lie à la peinture Après avoir fait preuve de créativité, certains musées ont poussé les internautes à faire travailler leur imagination, notamment le Getty Museum de Los Angeles, qui a lancé un challenge sur son Twitter : recréer des œuvres d’art avec des objets que nous pouvons retrouver dans nos maisons. Un challenge qui a fait le tour du monde. En Algérie particulièrement, une artiste algérienne sous le pseudonyme de NerOne, passionnée par la photographie et les arts plastiques, s’est REPRODUCTIONS DE TABLEAUX FAITES MAISON - LE GETTY lancée le même challenge, en voulant rendre MUSEUM hommage aux figures féminines représentées dans des œuvres de grands artistes, tels que : « La jeune fille à la perle » de Johannes Vermeer, « Autoportrait à la robe de velours » de Frida Kahlo, « Tête de femme de Biskra » de Marie Caire ou encore « Jeune fille de Bousaâda » d’Etienne Dinet. Lien page « NerOne Art »: https://www.facebook.com/Nemerina.Narimene/

PHOTO INSPIRÉE DE JEUNE FILLE DE BOU-SAÂDA D’ETIENNE DINET

PHOTO INSPIRÉE DE TÊTE DE FEMME BISKRA DE MARIE CAIRE

Quand la créativité artistique prend le dessus Malgré les difficultés liées à la conjoncture actuelle, les artistes du monde entier ont démontré que rien ne pouvait les démotiver, nombreux sont ceux qui ont prouvé leur audace et leur esprit d’initiative sur la toile offrant à tout un chacun un moment d’évasion agréable. Et ce, en créant une œuvre graphique collective sous l’hashtag #CoronaMaison sur Twitter : l’idée était de créer un cadavre exquis* sous forme d’immeuble, où chaque artiste pouvait proposer le croquis d’une pièce à l’image de son univers. Cette initiative a créé un élan de solidarité universelle, entre tous les confinés du monde. Sans oublier que cela a mis en avant les talents et la créativité des illustrateurs, mais surtout l’importance et l’apport de l’art dans nos vies et dans les moments les plus difficiles.

CORONA HOUSE PAR CAMILLE PAGNI

*Le cadavre exquis est un jeu graphique ou d’écriture collective inventé par les surréalistes, en particulier Jacques Prévert et Yves Tanguy, vers 1925. www.monokromemag.com I 33


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

Une artiste brésilienne Rafamon, qui avait l’habitude de dessiner sur les murs, s’est adaptée à la conjoncture et a eu l’ingéniosité de diffuser ses œuvres sur un mur grâce à un projecteur, l’artiste se confie sur son Instagram et diffuse un message d’espoir : «Nous traversons un moment que nous n’aurions jamais pensé vivre. Un moment incertain mais qui nous fait réfléchir sur la vie et sur L’IMPORTANCE DE LA DISTANCIATION ET DU CONFINEMENT POUR ce qui est essentiel. (…) Chaque nuit LUTTER CONTRE LA PROLIFÉRATION DU VIRUS-ANIMATION 3D de notre quarantaine, j’utiliserai cet immense mur pour concevoir mes dessins. Qu’ils donnent à tout le monde l’espoir que je ressens aujourd’hui. Cela va passer.» L’Algérie aussi regorge de nombreux jeunes artistes, ambitieux et désireux de partager leur vision du monde à travers leurs œuvres. D’ailleurs, un groupe sur Facebook « SA9SI Arts » a été créé dans le but de promouvoir ces jeunes talents et le partage de savoir et d’idée entre amateurs et professionnels. Pendant la période du confinement, dans un objectif de passer agréablement le temps en ces moments plutôt pénibles, et de susciter la créativité des membres, des concours photographiques ont été mis en place, par « SA9SI Arts ». Dont les thèmes avaient un lien particulier avec la conjoncture, tels que : « Le sourire », afin de ne jamais oublier de relativiser malgré tout et de garder le sourire même dans les moments difficiles, ou encore « la fenêtre » comme sujet, dont la symbolique n’est pas à démontrer. Lien groupe « Sa9si Arts »: https://www.facebook.com/groups/Sa9si.arts/ Quand l’artisanat est solidaire Les artistes ne sont pas les seuls à avoir fait preuve de créativité, les artisans aussi ne manquent pas d’imagination et surtout de force d’adaptation, comme nous l’ont prouvé deux sœurs algériennes, Wassila KHALFALLAH, jeune styliste modéliste ayant son propre atelier de couture avec sa sœur Samira. Elles ont eu l’ingéniosité de lancer, durant la période du confinement, à savoir au mois de Mai 2020 où les gestes barrières sont devenues indispensables, même vitales, une boutique en ligne de confection de bavettes de protection personnalisées, et ce via une page Facebook au nom de « Pimp My Mask ». Ces bavettes (ou masques) sont conçus avec un tissu non-tissé médical, sous les normes recommandées, elles sont lavables et stérilisées à la livraison. La caractéristique qu’offrent ces jeunes sœurs, est la possibilité de choisir la couleur de la bavette, mais aussi de la personnaliser avec des dessins en broderie: le rendu est juste exceptionnel. Leur objectif, a été en premier lieu de contribuer à leur manière, au combat contre la pandémie qui règne encore dans le monde et spécifiquement en Algérie, mais aussi de donner envie aux gens de se protéger, en donnant aux bavettes un esthétisme raffiné et attirant, pour se démarquer et faire ressortir la personnalité de la personne qui la porte. Lien page « Pimp my mask »: https://www.facebook.com/pimpmymaskdz/ 34

©Juan DECLAN

D’autres artistes ont usé de leur talent pendant cette période pour faire de la sensibilisation, comme l’a fait l’artiste visuel américain Juan Delcan, en illustrant la nécessité du respect de la distanciation sociale grâce à une vidéo qui met à l’image une série d’allumettes alignées qui s’enflamment l’une après l’autre, mais le phénomène s’arrête lorsque l’une des allumettes sort de la file.


ISSUE06 Quand les artistes en parlent Nous avons interrogé quelques artistes afin d’avoir leur perception sur la vie d’artiste pendant la période du confinement, et nous avons eu les retours suivants : Zatco, artisan bijoutier algérien : « Pour ma part, le confinement lié à la pandémie n’a pas eu de réel impact sur moi, je suis isolé chez moi depuis que je suis artisan, à part une légère baisse des commandes clients, rien n’a changé». Joe Okitawonya, artiste peintre congolais : « Pendant mon confinement, j’ai continué à travailler le soir, et en journée pendant que j’étais chez moi, j’ai pu finaliser des peintures et en entamer d’autres, j’ai même réalisé une fresque dans mon salon. C’est vrai que cette période a été assez stressante, car on s’est habitué à pouvoir sortir quand on le voulait, faire un petit tour pour prendre l’air, et là on vous empêche de sortir, c’était plutôt compliqué au début, mais avec le temps la productivité prend le dessus, d’ailleurs j’en ai profité pour customiser un meuble de chez moi. Ça m’a permis aussi de peaufiner les derniers détails avec mon éditeur, concernant mon second livre « Huitième jour de la semaine ». En résumé, mis à part la crainte de tomber malade, le confinement m’a permis de laisser libre court à ma créativité. » NerOne, dessinatrice et artiste peintre algérienne : « Au début c’était comme des vacances, par la suite le confinement m’est devenu pesant, cependant, je dois avouer que c’était l’occasion pour moi de me renouveler. Je me plaignais toujours de ne pas avoir du temps à consacrer à mes passions, avec l’avenue du confinement, je n’avais plus d’excuses. C’est pour cela d’ailleurs que je me suis lancée le challenge de « Photos inspirées par des œuvres connues », et j’ai même eu envie d’essayer de nouvelles choses, telles que la couture et la broderie. En ce qui concerne ma créativité, certes l’artiste a juste besoin de son imagination pour travailler, mais je suis le genre de personne qui se nourrit et s’inspire énormément du monde extérieur, la sensation de liberté qui emporte mon esprit vers d’autres lieux et d’autres univers». Abdelhadi, dessinateur et artiste peintre algérien : « C’était l’occasion de me consacrer à mes tableaux, je dois reconnaître que l’isolement a nourri en moi une certaine imagination morbide, mais en tout cas cette période reste très bénéfique, ma productivité a augmenté, ce qui m’a permis de m’essayer à de nouveaux styles artistiques. Le fait d’être un artiste a bien évidemment aidé à surmonter cette période, je dois dire que c’est dans les périodes obscures que nous sommes le plus illuminés ». Radhia, dessinatrice et artiste peintre algérienne : « Alors faut savoir qu’avant que le confinement ne soit imposé à Blida, je m’étais lancé un challenge qui était de réaliser un dessin par jour et ce pendant un mois. A partir du moment où la décision du confinement est tombée, j’ai certes, été occupé avec mon challenge, mais ce dernier était sur le point d’être achevé. Donc, je n’ai pas eu de soucis lors de la première semaine, malheureusement par la suite j’ai éprouvé quelques difficultés, notamment parce que j’étais dans le besoin de renouveler mon matériel artistique, cependant le seul fournisseur qui se trouve à Blida a été contraint de fermer. Au vu de l’atmosphère qui devenait pesante, moi et d’autres amis artistes, voulions apporter quelques « positives vibes » sur les réseaux sociaux, en réalisant des « art videos » de nos domaines respectifs, tout en incitant les gens à rester en sécurité chez eux. Dès que la possibilité de renouveler mon stock de matière a été possible, j’ai profité du temps qui était à ma disposition, pour m’essayer à de nouveaux arts, tels que la calligraphie, et de nouveaux styles artistiques, ce qui a été extrêmement réjouissant et enrichissant. » www.monokromemag.com I 35


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

CINÉMA ET MEDIA ARTS

LES ÉTUDIANTS DE L’ISMAS PRENNENT L’INITIATIVE « I-SHARE » Smail LIF

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es étudiants de l’Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’Audiovisuel (ISMAS) à Alger représentent le nouvel espoir de l’audiovisuel et du cinéma en Algérie. A l’initiative de quelques anciens et nouveaux étudiants, dont N. Larabi, S. Herkous et A. Mohcene, ont décidé de promouvoir leur institut et leurs compétences à travers des activités. De fait, ces derniers ont activement participé au « divertissement artistique » durant le confinement. Avant l’épidémie, ces jeunes artistes voulaient créer une plateforme sous forme de site internet sur lequel les étudiants de l’ISMAS pouvaient publier leurs travaux (Pièces Théâtrales, Scénographies, Films notamment…) avec une description détaillée de leurs projets et de leurs investigateurs (études, expériences) afin de les valoriser. Les choses avançaient bien jusqu’à ce que l’épidémie se propage et que le confinement bloque les aspects logistiques pour mettre au point cette plateforme. Malgré la difficulté, ils ont persisté dans leur projet qui prenait en ces temps de confinement une dimension plus importante. Dès lors, ils ont créé un groupe facebook du nom de « i-Share » dont la lettre « i » signifie le nom de l’institut ISMAS et « Share » qui veut dire PARTAGE, afin de donner une vie à l’initiative sur le réseau sociale facebook dans un premier temps. « Ce groupe facebook s’intéresse aux domaines artistiques: cinéma, théâtre, danse, arts plastiques, écriture, critique, culture, festivals, colloques et agit comme un groupe de communication proposé par tous ceux qui sont passés par l’ISMAS, à tous les artistes et amateurs d’art. » Ce groupe facebook a connu un grand succès auprès des intervenants du cinéma en Algérie, notamment les techniciens et les comédiens et compte à présent près de 2.000 membres actifs. Au programme du i-Share on retrouve des projections filmiques une fois par semaine (courtmétrage, long-métrage ou documentaire) des projections théâtrales qui sont suivis par un débat live avec le réalisateur ou metteur en scène et tous les membres du groupe peuvent interagir et poser leurs questions, ce qui crée un certain dynamisme et activité au sein du groupe. D’autres membres du groupe qui sont aussi d’anciens étudiants de l’Institut et professionnels du domaine ont aussi apporté leur plus au groupe. A l’exemple de Fouzi Benbrahim (Metteur en scène et réalisateur de grands spectacles) qui proposait des Master Class virtuels pour parler de l’art de la mise en scène théâtrale pour un groupe entre 10 et 15 personnes et ce, une fois par semaine. Ensuite, Smail Soufit( ScriptDoctor) s’est également adonné à des Master Class virtuels pour l’écriture de court métrage pour les membres du groupe. L’intiative i-Share n’est pas seulement technique, puisqu’elle est également une plateforme humaine dont l’objectif est de promouvoir la production artistique et culturelle, promouvoir les artistes professionnels et en devenir; et offrir au public une large et éclectique production. 36


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SOUAD DOUIBI, DE LA PERFORMANCE ARTISTIQUE A LA REALISATION DE FILM Smail LIF

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our ceux qui ne connaissent pas Souad Douibi, c’est une artiste plasticienne, performeuse et enseignante d’art thérapie Algérienne. Diplômée de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger en 2008. Elle est exposée comme artiste peintre, photographe et vidéaste en Algérie et en Europe depuis 2005. Après une coupure avec le monde artistique qui a duré presque deux années, elle revient à la scène comme artiste performeuse engagée dans les rues d’Alger avec plusieurs performances dont Imraà et NeqqiMokhek. Ces titres lui ont permis de réaliser des séries de performances de rue dans des festivals en Espagne, La MugaCaula (Les Escaules) 2017, Art D’ (Centre del Carme, Valence) 2017, Ciudad Bailar (Matadero-Inermediae, Madrid) 2018 et (JISER Résidence) 2019. En fin d’année 2019, Souad préparait une nouvelle performance à donner dans les rues d’Alger. L’idée du film chez Souad a commencé par une envie de faire un documentaire sur ses performances artistiques et son engagement de street artiste, mais par la suite, elle s’est rendu compte que dans son travail artistique elle n’avait jamais était le sujet. Elle a donc décidé de décentrer sa personne vers des personnages incarnés dans le but de mettre en valeur une situation sociale qui l’interpelle.

Parmi tous les personnages que Souad a incarné dans ces performances, son personnage réel dans les rues d’Alger est le médecin de société, celui qui reste à l’écoute des autres et qui les pousse à se questionner pour s’échapper de leurs problématiques du quotidien. Delà est né le film « M9awda ‫ » ْمقَ ْوَدة‬qui se veut une traduction du vécu d’une ville, de ces habitants, et du paradoxe qu’une personne algérienne vit en une seule journée.

Le film devait sortir en Mars 2020, mais pour des raisons sanitaires sa projection est reportée à une date ultérieure.

©Yacine HAMMA

« M9awda ‫ » ْمقَ ْوَدة‬est un film documentaire basé sur une expérience sonore qui se déroule à Alger, où la performeuse Souad Douib nous entraîne dans les rues d’une ville/métropole malade, qu’elle prend pour objet de consultation.

SOUAD DOUIBI- « M9AWDA ‫ » ْمقَ ْوَدة‬LE FILM


DE L’ART TÉMOIN À L’ART ENGAGÉ

CINÉMA ET MEDIA ARTS

LE CINÉMA ALGÉRIEN INCARCÉRÉ ENTRE DEUX PÉRIODES Smail LIF

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ommunément désigné comme le 7e art depuis le critique RicciottoCanudo dans les années 1920, le cinéma, est un genre artistique qui projette des vues animés. En Algérie, ce dernier s’est développé récemment à travers des festivals et autres activités culturelles. Et malgré son jeune âge et le manque de moyen qui lui est attribué, il est le seul pays arabe et africain à avoir reçu une palme d’or au festival de Cannes et l’un des trois pays africains à avoir obtenu l’oscar du meilleur film étranger.

L’ORANAIS, RÉALISÉ PAR LYES SALEM, SORTI EN 2014.

Le cinéma algérien prend racine pendant la guerre, dans la zone V ou cinq combattants de l’ALN (Armée de Libération Nationale) qui avaient des notions cinématographiques constituent une équipe de tournage. A cet effet ils ont réalisé plusieurs émissions pour la télévision au sujet des infirmières de l’ALN et de l’attaque des mines de Ouenza (symbole de la colonisation) par les Moudjahidines. Dans la même lignée nous pouvons également 38

évoquer le rôle joué par les cinéastes étrangers acquis à la cause algérienne comme C.Decugis, R.Vautier ou encore P.Clément qui constituent les premières images d’archives du cinéma algérien. En 1960-61, Mohamed Lakhdar Hamina, devient le premier réalisateur algérien avec le long métrage « Djazairouna » réalisé en partenariat avec R.Vautier et D.Chenderli prenant appui sur la base de donné d’images de « Une Nation, l’Algérie ».


ISSUE06 A l’indépendance, le gouvernement se saisie du genre cinématographique et entreprend la création de plusieurs officies comme le CDP (Centre de Diffusion Populaire), le CNC (Centre national du Cinéma), l’ INC (L’Institut National du Cinéma) ou encore l’ONCIC (Office National pour le Commerce et l’Industrie Cinématographique) grâce auquels de nombreux films ont vu le jour tel que l’Aube des damnés (Ahmed Rachedi, 1965), La Nuit a peur du soleil (Mustapha Badie, 1965), Le Vent des Aurès et Hassan Terro (Mohamed Lakhdar Hamina, 1966 et 1968), l’Opium et le Baton (Ahmed Rachedi, 1970), Patrouille à l’est (Amar Laskri, 1971), Les vacances de l’inspecteur Tahar (Moussa Haddad, 1973), Omar Gatlato (Merzak Alloucha, 1976) et Touchia (Rachid Benhadj, 1993). Durant cette période, de 1962 à 1991, le cinéma algérien se constitue progressivement autour de nombreux films évoquant la guerre et le colonialisme. Durant les années 1990, le cinéma algérien comme l’ensemble de la production artistique, traverse les « années noires ». De nombreux artistes, menacés, cessent leurs activités artistiques ou les poursuivent depuis l’étranger. De fait, on assiste à un vide culturel, les quelques films sorti durant ces années ont en réalité et réalisé auparavant, comme De Holywood à Tamanrasset de Mahmoud Zemouri » et Carnaval Fi Dechra, Oukaci. Seul le film Bab el Oued City réalisé par Merzak Allouache en 1993 est tourné la même année dans le quartier de Bab el Oued dans les conditions de la guerre civile. Ainsi, l’équipe de tournage est contrainte à la mobilité c’est-à-dire à changer de lieu de tournage quotidiennement. Le magazine français Télérama avait écrit à cet égard qu’il était impossible de tourner ce film au moment de sa sortie en novembre 1994 car les attentats s’étaient multipliés. Ces événements, qui ont indéniablement entaché la production artistique, achevés au début des années 2000, sont devenu assez rapidement une source d’inspiration pour la nouvelle génération de cinéaste. A cet effet nous pouvons citer le film Rachida de Yamina Bachir-Chouikhpour qui fut bien reçu au festival de Canne dans la section Un Certain regard. La réalisatrice déclara à cet effet, ‘’ L’écriture douloureuse de Rachida fut une théarapie. 5 ans pour raconter de l’intérieur cette « guerre sans nom » qui déchira l’Algérie au cours des années 1990 ‘’. Dans la même lignée nous pouvons citer les films de Nadir Moknèche Viva Laldjérie qui a eu deux prix en

2005, El Manara de Belkacem Hadjadj, ou encore les réalisations de Tariq TEGUIA qui aborde les conséquences de cette tragédie notamment à travers l’immigration de la jeunesse avec son film Roma wa la n’touma en 2006. Ainsi, nous observons que ces deux périodes ont marqué les cinéastes algériens tant au niveau des menaces qui ont pesé sur leur production qu’au niveau de l’inspiration. Encore récemment, plusieurs films réalisés ont abordé ces périodes tels que Le Repenti de Merzak Alloucha qui narre la vie d’un djihadiste repenti bénéficiant d’une amnistie par la loi de la concorde civile, ou encore L’Oranais de Lyes Salem qui revient sur l’histoire de trois héros de la guerre d’indépendance algérienne qui vivent progressivement une forme de désillusion après l’euphorie de la victoire. Ces deux films abordent ces événements en distinguant subtilement de ce qui relève de l’histoire et de la mémoire. A côté de ces productions indépendantes, on observe une production nationale, officielle, consacrée aux personnages emblématique de la révolution arabe tels que Mustapha Ben Boulaid, Zabana, Larbi Ben Mhidi, Abdelhamid IbnouBadis, Emir Abdelkader, Les Sept Ramparts de la Citadelles, produits par le Ministère de la Culture par le biais de l’Agence Algérienne pour le rayonnement culturel – AARC et/ou le Centre Algérien du Développement Cinématographique – CADC , avec le soutient du Ministère des Moudjahidine. Il en est de même pour les films abordant les années noires avec En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui, Les Bienheureux de Sofia Djama, Maintenant ils peuvent venir de Salem Brahimi et la liste est longue. A travers ces différents films, on observe que la production cinématographique est intimement liée au contexte. Le cinéma agit comme un moyen de mettre des mots et des images sur des situations qui ont pu être difficile. De plus, on observe que ces mises en mots et en image portent en elle un discours, en évolution selon la période, selon le temps de deuil et d’acceptation face au passé, oscillant dès lors entre histoire et mémoire. A cet effet, tant le mouvement du Hirak que l’épidémie du Covid 19 et le confinement en conséquence, sont dors et déjà des thématiques en discussions auprès des réalisateurs. A cet égard nous pouvons évoquer le prochain film de Merzak Alloucha Une famille, qui s’aime et qui se déteste et celui de R.Bouchared dédié au Hirak. www.monokromemag.com I 39


INTERVIEWS

JAVIER MARTIN DU NÉON AU SERVICE DE L’ART Idris FELFOUL

JAVIER MARTIN

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riginaire de Marbella, en Espagne, Javier Martin est un artiste espagnol contemporain qui vit et travaille actuellement à Miami, en Floride et à Marbella. Il crée des situations qui invitent à la réflexion sur des sujets imminents dans le monde d’aujourd’hui. Martin a commencé à peindre à l’huile à l’âge de sept ans et a fait sa première exposition à l’âge de huit ans; cependant, il ne s’est jamais laissé influencer par une formation artistique formelle. Au lieu de cela, il s’est appuyé sur ses expériences, ce qui lui a permis d’explorer les possibilités de divers matériaux et outils qu’il intègre aujourd’hui dans son travail. Au cours de l’été 2012, Martin a participé à sa première exposition dans Asia M50 Art District. En 2014, il était officiellement représenté par la galerie Matthew Liu Fine Art à Shanghai.

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ISSUE06 Javier, pourriez-vous nous parler un peu plus de votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir artiste à l’origine? Mon premier contact avec l’art a eu lieu quand j’avais sept ans, lorsque je me suis intéressé à la peinture à l’huile. J’ai rencontré de nombreuses difficultés à l’école et dans ma vie personnelle et les cours de peinture ont eu un effet thérapeutique. Quand j’ai commencé ces cours, mon instructeur m’a donné la liberté d’expérimenter, donc j’ai toujours peint ce que j’ai vu dans mon esprit et mes émotions, et à ce moment-là, je me suis rendu compte que l’art était un moyen pour me distancier de ma réalité. Je ne me concentrais pas sur un style particulier, à l’époque je le voyais juste comme une opportunité de m’exprimer. J’ai commencé à peindre à l’âge de 7 ans et j’ai eu ma première exposition à 8 ans après, pendant mon adolescence j’ai commencé à explorer et à travailler pour apprendre différents métiers. Mon parcours artistique a évolué à partir de mes expériences personnelles et de mes voyages, de part les visites de musées et expositions à travers le monde. Où vous sentez-vous vraiment inspiré pour créer? S’il y a un processus que vous traversez pour stimuler la créativité, faites-le nous découvrir. Il y a beaucoup de choses qui m’inspirent en réalité, mais au fur et à mesure que la vie continue, il est important de partager les choses qui vous inspirent, c’est pourquoi je trouve la meilleure inspiration lorsque je parle à ma partenaire des choses qui m’entourent et des différentes expériences. MAKI GALLERY JAPAN

BLINDNESS GEMELAS DE LUZ

Comment décririez-vous votre vision personnelle à travers ce qui est publié sur votre site Web? L’idée de mon site web est d’être aussi proche que possible d’un portfolio, je veux que le spectateur puisse voir un CV de ma carrière dès son entrée et lui permettre de comprendre facilement mon travail et mon concept. Parlez-nous de votre première exposition? Ma première exposition a eu lieu quand j’avais 8 ans, j’ai gagné une modalité de peinture et dessin pour le concours pour enfants «Caja Madrid». C’était un moment influent pour moi parce car c’est à cet instant que j’ai compris que l’art était ma passion. J’ai également participé à de nombreuses expositions de groupe à l’adolescence et en 2011, j’ai eu ma première exposition solo dans la ville où j’ai grandi, à Marbella en Espagne. Il était important pour moi de présenter le début de ma “Blindness Collection” et de recevoir une réponse et un soutien formidable. Quelle fut votre première participation à l’étranger ? Même si je faisais partie de quelques expositions de groupes à Paris, au Portugal et dans d’autres endroits en Europe. Je dirais que ma première participation à l’étranger a été à Shanghai et c’était une étape très importante dans ma carrière.

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INTERVIEWS

ANDONG CULTURAL CENTER KOREA

Vous avez expérimenté la peinture, le collage, la sculpture, l’art de la performance et l’art vidéo. Qu’est-ce qui vous intéresse actuellement et comment cela alimente-t-il votre pensée créative?

d’une touche de peinture, depuis j’ai travaillé avec différents matériaux et la collection a toujours évolué. Dans mon travail, les yeux classiquement associés au reflet des émotions humaines sont toujours cachés. L’élimination de l’élément le Pour moi, ces moyens ont toujours été liés au plus puissant et le plus expressif d’une personne message et au concept que je voulais exprimer est représentative de la façon dont la banalité à ce moment-là, c’est pourquoi j’ai toujours de la société nous aveugle et nous éloigne de ce qui est vraiment important. expérimenté différents types. Pour le moment, même si je pensais toujours travailler sur le concept de la lumière, je Vous avez observé le comportement de la commence à expérimenter à nouveau des société pendant de nombreuses années afin matériaux avec lesquels j’ai commencé à un de développer l’une de vos collections les jeune âge, comme les couleurs à l’huile et à plus emblématiques, “Blindness” .Pouveztravailler simultanément sur une nouvelle vous nous dire de quoi parle cette collection? collection où je touche plus d’espace. J’ai commencé ma collection “Blindness” parce Votre travail ne cesse d’exprimer un reflet des que j’ai remarqué comment une partie de la émotions humaines, nous voyons des yeux société est emportée par le visuel et dans de cachés que ce soit derrière un trait de peinture nombreux cas par ce qui est superficiel j’ai vibrant ou un néon lumineux. Pourriez-vous donc décidé d’utiliser la mode pour cacher les messages sociaux, pour cacher les yeux afin de nous en dire plus sur cette approche? travailler sur la réflexion sur l’importance des Quand j’ai commencé ma collection “Blindness” valeurs intérieures. La collection a évolué pour il y a 12 ans, les yeux du sujet étaient recouverts inclure la lumière au néon parce que je voulais 42


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ALMA SEOUL MUESUM

étendre davantage le message en ajoutant un élément technologique et le connecter avec ce que nous vivons maintenant. J’ai choisi les néons parce qu’ils étaient l’un des premiers éléments d’éclairage et de technologie que les marques vendaient, ce qui met le message de la consommation au premier plan dans mon art. Que voulez-vous que les gens retiennent de cette métaphore visuelle? En tant qu’artiste, je souhaite envoyer un message à travers mon art, j’aimerais que les gens réfléchissent ou se questionnent sur la société dans laquelle nous vivons, et ce qui est le plus important pour moi est de les déplacer à l’intérieur de leurs âmes d’une manière positive ou négative. Vous avez présenté votre première exposition de musée solo au Musée de Séoul au printemps 2019. Pourriez-vous nous parler de cette expérience.

L’exposition solo au «Seoul Museum» a été une expérience enrichissante pour moi car j’ai été le premier artiste international invité au «Borderless Artist Project» et le premier artiste espagnol à avoir une exposition solo dans ce musée. C’était ma plus grande exposition dans un musée, le processus de son organisation a été excitant pour moi car j’ai pu rassembler dans une exposition une partie des 12 ans de ma collection «Blindness», toute l’évolution et toutes les différentes étapes de cette collection. Et je suis très reconnaissant pour tout le soutien que j’ai reçu. Pouvez-vous nous parler des projets à venir qui vous intéressent particulièrement? L’un des projets sur lesquels je travaille depuis un an et qui sortira prochainement est ma première collaboration avec la marque LIMITATO réalisant une collection de vêtements en édition limitée avec mon concept «Blindness» et je travaille également sur mon deuxième solo show pour un musée en Corée plus tard cette année.

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javiermartinart.com

MAKI GALLERY JAPAN


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MAKI GALLERY JAPAN

javiermartinart

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BABA ALI MOHAMED EL HABIB CO-FONDATEUR DE NBOUJIW Zhor BENSEDDIK

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ABA ALI MOHAMED EL HABIB est un jeune Algérien passionné par l’entreprenariat et qui à travers ses projets, tente de transmettre de manière contagieuse l’amour qu’il a pour l’Algérie !

Parlez-nous d’abord ?

de

vous

tout

Je m’appelle BABA ALI Mohamed El Habib alias Midou, j’ai 26 ans, je suis de Bab El Oued. Co-fondateur du site Androiddz.com et NBOUJIW. J’ai fait des études de géologie, puis de management commercial. En dehors de mes études, je suis passionné de photographie. A cet effet, j’ai lancé le projet artistique Tarbouche. Ce dernier consiste à poster sur les réseaux sociaux une de mes photos d’un lieu, objet, en d’autres mots des instants de vie propre à l’Algérie et contribuer ainsi à raconter son histoire. L’objectif étant de faire découvrir l’Algérie aux Algériens et aux étrangers. De là est né le projet Nboujiw. Parlez-nous de la création de NBOUDJI’W, de ses fondateurs, des inspirations et des services. Nboujiw est une startup spécialisée dans le développement du tourisme local. Nous œuvrons à créer des circuits, des programmes d’activités, des séjours, weekends et sorties sur tout le territoire national en collaboration avec des partenaires locaux basés dans l’ensemble de l’Algérie. 46


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Ainsi nous proposons aux participants une expérience unique à savoir vivre parmi la population locale. Nous contribuons de fait à la création de nouveaux emplois dans plusieurs régions à travers le pays dans les secteurs du tourisme (hébergements, repas traditionnels, guides, artisans, artistes musiciens) afin de développer un tourisme durable et écologique. Nous proposons nos services (des produits « sur mesure » aux particuliers (séjours d’anniversaire ou de mariage) et aux entreprises (séminaire, team building). Nous proposons également à travers notre département Istichar de l’audit, (Nboujiw Istichar) des services de conseil et de communication destinés aux acteurs du domaine touristique comme les agences de voyages, les hôtels, ou encore les résidences. Qâadat Zmane, un voyage dans le temps,

la Casbah d’Alger et d’une maison millénaire qui a abrité les moujahidines (moujahidat) et les chahid et chahidat de la guerre d’Algérie. Ensuite, une pause repas était proposée autour de plats algérois (Rechta, Chorba, Mtawem, Mhalbi…) avant de clôturer la journée par une soirée avec un orchestre Chabbi et bien sur des accompagnements : thé, café, gâteaux algérois également…

Pouvons-nous avoir plus de détails ? Qâadat Zmane fut un évènement lancé pour le ramadhan de 2019. Face au succès rencontré, nous avons décidé de renouveler l’expérience. L’idée était de proposer aux participants de vivre l’expérience des anciennes soirées algéroises. L’événement commençait donc par la visite de www.monokromemag.com I 47


INTERVIEWS Pourquoi avoir choisi le tourisme local uniquement ? Nous voulons proposer un concept qui apporte du positive en Algérie sur le plan économique et social. De fait, nous avons cherché à nous distinguer des agences internationales qui travaillent pour des groupes hor-sol et avons fait le choix de privilégier des acteurs locaux. Quelles sont vos réussites et vos difficultés ? Cela fait un an désormais que le projet prend forme. Et même si, les difficultés sont nombreuses, notre réussite c’est de commencer à se faire connaitre et de répondre aux attentes de nos clients. NBOUJIW s’est adapter avec le confinement, par le lancement du slogan ma Nboujiwch, parlez-nous des émissions en live sur les réseaux sociaux. On voulait sensibiliser les gens à rester chez eux et respecter le confinement. De fait nous avons lancé Ma’Nboujiwch en deux concepts. Le premier propose des histoires, similaire au projet Tarbouche afin de faire connaitre l’Algérie. Ensuite, le deuxième invite les voyageurs, vlogger, entrepreneur touristique, prestataire touristiques en Algérie et à travers le monde à partager leurs expériences. NBOUDJI’W dans (05) cinq ans ? On espère devenir une tour-opérateur algérienne et peut être exporter notre concept de tourisme écologique et durable à travers l’Afrique. Comment on NBOUJIW ?

peut

contacter

Page Facebook : facebook.com/ Nboujiw Nboujiw Community : http://www. facebook.com/groups/401769967283148 Instagram : instagram.com/nboujiw LikendIn : linkedin.com/company/ nboujiw Twitter : https://twitter.com/nboujiw Youtube : https://bit.ly/35oxduT

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Nboujiw Nboujiw linkedin.com/company/Nboujiw @Nboujiw Nboujiw


ISSUE06 Dans la situation du confinement, beaucoup d’entre nous ont redécouvert leur quartier, et parfois leur quartier d’enfance. Midou, parlez- nous de votre quartier Je suis né et j’ai grandi à Bab El Oued. Il s’agit de l’un des quartiers les plus populaires et connu en Algérie. Je l’affectionne énormément. C’est un lieu qui a marqué la personne que je suis. C’est pour moi, une école de vie au-delà de son histoire, de sa beauté architecturale et de ses poubelles ! Quelle belle description, Donc on profite de ces moments de confinement pour lancer un challenge, (hachatg /3arafni 3la houmtek) tout le monde est invité à nous présenter son quartier à sa façon, photo à l’appui avec une citation ou une description, Qu’en dites-vous ? Oui excellent GO ! Sur ce, je lance la description de mon quartier : J’ai grandi à Ruisseau, plus précisément à la Régie ; un quartier populaire autrement bâti par les colons, dans les (30) trente, situé entre El Hamma et Hussein dey, entre le ravin de la femme sauvage et les sablettes (plage de la Méditerranée). La régie pour les anciens du quartier est un souvenir rempli de plein de jolies choses, pour moi c’est une nostalgie, une odeur des grands- parents et surtout une appartenance.

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INTERVIEWS

MINA LACHTER UNE ACTRICE EN TEMPS DU CONFINEMENT. Smail LIF

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ina Lachter, jeune comédienne passionnée de thêatre depuis toute jeune, a commencé à jouer des pièces avec l’association « Mouvement Theatral de Kolea ». Ensuite elle a basculé vers la télévision avec une première expérience dans la série tv Saad El Guat, un premier rôle qui a eu un grand succès en 2013. Mina s’est également épanouie au cinéma dans le film de Merzak Allouache Normal. Récément présente dans le rôle de Timoucha qui a illuminé l’écran pendant le mois de Ramadhan 2020. Aujourd’hui Mina s’ouvre au Monokrome Mag et partages avec nous son temps d’artiste en confinement.

Chez Monokrome, nous souhaitons connaitre l’actrice Mina LACHTER dans la situation de confinement?

De nos temps, qu’elle est l’utilité de l’Art, et quel est le rôle de l’artiste en ce temps de confinement ?

Comme tout le monde, je ne peux échapper à cette situation. Je suis donc confinée. J’ai fait le choix de me rapprocher de ma famille, au bord de mer afin d’être auprès des miens et de changer de paysage pour m’apaiser face à ce contexte anxiogène. Mais en ce qui concerne la situation de confinement en tant que telle, je me rend compte que je suis très souvent confiné. En tant qu’artiste, solitaire, je reste très souvent chez moi et lorsque je sors c’est pour rejoindre une autre maison.

L’art est très important dans une société. Il agit comme un miroir au sein de la société et il encourage au développement. A mon sens on ne peut pas vivre sans art et il est dommage qu’en Algérie, beaucoup d’individue n’en aient pas conscience. L’artiste doit impérativement mettre son art au service de son public, car c’est son public qui a fait de lui ce qu’il est, c’est pourquoi il doit donner quelque chose pour le nourrir, en trouvant un juste équilibre entre divertissement et engagement sociétal. Mais sans artiste, notre monde serait un néant.

Cette 6ème Edition du Monokrome s’intitule « De l’Art témoin à l’Art engagé » Que pensestu du thème ?

Beaucoup de personnes pensent que les conséquences de l’épidémie sont défavorables pour la production artistique. Les Monokromiens, veulent que tu leurs parles des différentes manières dont l’artiste peut bénéficier du confinement à son égard?

Je trouve ce thème très poétique. L’art est sans contexte un témoin de l’histoire, du contexte et à cet égard la production artistique devient dans une certaine mesure engagée. De plus, l’engagement se discute à deux niveaux, tant dans le discours que l’on aborde, que dans la position que l’artiste entretien avec sa production, « il s’engage » dans ce qui le passionne. Ce témoignage, cet engagement a un réel pouvoir pour changer le regard sur les choses, voir pour changer les choses. 50

En effet, le confinement, même s’il est difficile, peut profiter à l’artiste. Tout d’abord, il est à noter qu’en temps d’écriture l’artiste est souvent confiné. Donc il est très probable que cette période se traduise pour les artstes par des temps d’écriture et de production diverse. En revanche, la situation anxiogène peut également entacher le processus de création,


©Mourad GUECHOUD

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MINA LACHTER

tout comme il peut le favoriser. Il m’est difficile de me prononcer pour l’ensemble des artistes, chacun vit cette période de manière singulière. Quelle est ta position actuelle envers ton art ? Est-ce que tu envisages un nouvel engagement de pop art ou une autre dérive artistique avec ta présence digitale ? Personnellement je suis entrain d’écrire des texte et je prépare un nouveau projet mais j’ignore quand est ce qu’il verra le jour. Je peux seulement dire qu’il ne relève pas de la comédie.

Mina! Tu connaissais Monokrome Mag ? J’ai connu Monokrome à travers Smail, l’un des fondateurs du magazine, je ne vais pas mentir, je ne le connaissais pas avant, mais chaque chose a un début, j’espère pouvoir vous suivre de très prêt Que signifie ce mot « Monokrome » pour toi en une phrase ? Je connais le terme monochrome, c’est-à-dire une couleur unifiée… www.monokromemag.com I 51


INTERVIEWS

AURELIA KHAZAN L’ACTRICE AUX MULTIPLES TALENTS Mehdi FELFOUL

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’un talent particulier par sa diversité, qui l’a fait s’envoler dans les cieux de l’art, papillonnant de micro du chant avec sa mélodieuse voix, aux scènes du théâtre, des plateaux des shooting photos , jusque devant les caméras du cinéma, l’élégante Aurelia Khazan , chanteuse et actrice française marque ses passages remarquablement, par sa forte présence, et la perfection dans ses performances artistiques, récompensées déjà par des prix, et qui trace son chemin soigneusement vers la cours des stars.

Salutation chère Aurelia , certainement que votre talent se démarque dès votre jeune âge, parlez-nous de vous d’abord et de vos débuts artistiques, et inspirations ?

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© Phototimes

Bonjour et tout d’abord merci de me consacrer cette interview. Mon approche de l’art s’est d’abord faite par la musique. J’ai commencé par apprendre le violon très jeune (4 ans et demi) puis j’ai eu la chance de continuer mon apprentissage de l’instrument pendant plusieurs années jusqu’à même envisager une carrière de soliste, une blessure au bras droit m’en ayant éloignée par la suite... Puis je me suis tournée vers le théâtre plus tard, grâce au cours d’art dramatique d’Alexandre Grec, comédien de la Comédie Française, un homme extraordinaire qui m’a appris les classiques du répertoire français. Il était déjà âgé quand je suivais ses cours et j’ai eu le privilège de suivre son enseignement alors que j’étais très jeune, sa façon d’aborder les textes et d’envisager les personnages ne m’a pas quitté depuis. Par la suite j’ai poursuivi mes premières amours avec la musique, mais non pas en tant que violoniste mais à travers la chanson, ayant toujours cette volonté de mélanger les différents arts ensemble. Après être montée sur les planches pour plusieurs pièces de théâtre et m’être essayée au difficile exercice de chanter dans les piano-bars parisiens… je me suis intéressée au cinéma indien. Cela a été une révélation pour moi : on jouait la comédie, chantait, dansait. J’ai alors décidé de tenter ma chance, je suis partie à Mumbai et ai passé l’examen d’entrée de l’école de cinéma d’Anupam Kher, acteur et AURELIA KHAZAN


réalisateur indien particulièrement célèbre en Inde. J’ai été prise et même diplômée de l’école quelques temps plus tard. C’est alors que j’ai commencé à tourner en tant qu’actrice et prêté mes traits pour plusieurs photoshoot en tant que modèle. Ayant appris l’hindi et les bases de la danse classique indienne, j’ai pu tourner à la fois pour Bollywood et le cinéma indépendant. Puis je suis rentrée en France, grâce à ma sélection en tant que Jeune Talent représentée à la Galerie des Portraits du Festival de Cannes. Et une autre aventure a commencé alors. J’ai par la suite décroché le rôle principal du film américain « Love Me Haïti » pour lequel j’ai reçu le Prix Unesco « Jeune Talent pour la Paix et Meilleure Interprétation – Dikalo Award » lors du Festival du Film Panafricain. Ce film, entièrement tourné en créole haïtien, portait sur une histoire vraie de corruption à Port au Prince et mettait en lumière le combat d’une femme pour libérer son mari injustement emprisonné. Puis j’ai de nouveau tourné en France et notamment pour le film de Philippe Barassat « La Rupture » dans lequel je joue le rôle d’une star de cinéma iranienne. Comment gérez-vous la diversité que vous explorez en musique, théâtre et puis cinéma ? Pour moi ces domaines sont reliés par l’ « interprétation », que l’on soit sur les planches, devant l’objectif d’une caméra ou d’un appareil photo ou même au service d’une chanson, c’est l’expression du personnage qui prime. Nous sommes au service d’un texte, d’une création, d’une mélodie et de paroles qui nous permettent de donner corps à un personnage de fiction qui doit alors trouver sa vérité. Et c’est cette recherche qui me passionne, j’essaie de la gérer au mieux dans ces différents domaines, même si parfois ce n’est pas facile de jongler ! Sincèrement, qu’est ce qui a pris le dessus en vous, la musique, le théâtre ou le cinéma, et pourquoi ? Vous me posez une question difficile… je dirai que cela dépend des périodes. C’est vrai que je ne suis pas remontée sur les planches pour du théâtre depuis quelques temps et en ce moment l’accent est plus porté sur le cinéma et la musique. Mais cela serait dur pour moi de choisir, l’expérience est tellement différente et puis cela dépend aussi des opportunités qu’on me propose et des choix de projets que je peux faire en fonction de l’emploi du temps du moment.

© Patience EDING

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Parlez nous de vos projets et exploits musicaux ! Exploits, je suis flattée (rires) ! Je travaille en ce moment sur un EP et jusqu’ici j’ai eu la chance de chanter dans le cadre de plusieurs évènements aussi divers que variés et dans différents endroits du monde. Je me suis notamment produite lors de l’événement Mode et Droits de l’Homme « Mélanges feat. JP Gaultier » à San Francisco, le Gala d’Action Innocence à Genève, la « Lakmé Fashion Week » de Mumbai, le Festival « Les Sommets du Classique au Jazz » à Crans-Montana, la Pinacothèque de Paris, la Fashion Week de Paris, la French European Indian Fashion Week qui s’est tenue au premier étage de la Tour Eiffel, pour « Le Mans Fashion Show » qui avait lieu sur le circuit des 24h du Mans, en Showcase lors du Festival de Cannes, dans le cadre de l’action d’Octobre Rose ou encore à l’UNESCO. Ce sont des expériences fabuleuses et à chaque fois différentes, même si je ne cache pas qu’elles sont aussi stressantes car c’est vraiment se jeter sans filet devant un public. Mais c’est ce moment de partage que je recherche, donc c’est de l’adrénaline positive ! Pour le théâtre, combien de pièces avez-vous joué ; et de quel genre ? J’ai joué plusieurs pièces, principalement du théâtre classique français (« Les femmes savantes », « L’école des femmes », « Britannicus »…) mais aussi du vaudeville via des pièces de Labiche et Feydeau qui sont aussi un régal (« Chat en poche », « Doit-on le dire ») ! J’ai également interprété du Tenessee Williams dans sa pièce « La Descente d’Orphée ». Pour la plupart de ses productions, nous étions semi-professionnels, donc je ne parlerai pas de « super productions » théâtrales mais l’exigence et le professionnalisme était cependant au rendez-vous www.monokromemag.com I 53


INTERVIEWS Avez-vous introduit votre potentiel musical dans le théâtre ? et que sentez-vous quand vous associez la diversité de vos talents ? Oui bien souvent, c’est ce que je trouve le plus intéressant car cela donne tout de suite une autre dimension. Après il faut évidemment que la pièce ou l’événement l’impose, si ce n’est pas le cas cela peut paraître aussi superflu. C’est une question de dosage. Je crois que c’est important d’essayer d’être le plus complet possible en tant qu’artiste et l’on ne fini jamais d’apprendre dans ce domaine. Je pense notamment à une performance que j’avais faite à la « Lakmé Fashion Week de Mumbai » (Inde) pour laquelle j’étais showstopper. J’ai préféré interpréter un personnage plutôt que de défiler car je suis une interprète pas un mannequin (les professionnelles le font bien mieux que moi). J’ai alors ouvert le show en proposant une interprétation dansée dans la tradition de la danse classique indienne « kathak » sur le thème de l’amour d’une mère pour son enfant, qui était aussi le thème du défilé. Je me souviens que cela avait été très bien accueilli et le public avait été étonné et enthousiaste face à cette interprétation. Quel genre de rôle préférez-vous qu’on vous donne, au théâtre ou cinéma ? Jusqu’ici on m’a confié des rôles très différents avec des nationalités et langues très variées également et je trouve ça formidable. J’ai pu pratiquement la même année être une jeune étudiante française et un espion américain, une expatriée belge et une star de cinéma iranienne ou encore une tueuse à gage et une espagnole déracinée en France… Changer de nationalité et de langue pour moi c’est une motivation supplémentaire car cela oblige à un travail d’étude différent avant d’aborder le personnage. En général j’aime les rôles de femmes engagées, après tout dépend du contexte. Il y a de formidables personnages de comédie aussi. Comment vous vous êtes trouvé au cinéma ? et comment c’était l’expérience ? Je vous avoue qu’en général j’évite de regarder (rires) ! Je me souviens de ma toute première projection d’un court-métrage dans lequel j’avais joué, dans une petite salle de cinéma. Plus le film se déroulait plus je m’enfonçais dans mon siège en espérant disparaître complètement... Cela a été une sensation particulièrement désagréable, je 54

voyais tout ce qui n’allait pas dans mon jeu ou même physiquement. Avec le temps l’expérience est moins violente et j’ai pris de la distance. Je ne me vois pas en tant que telle mais je vois un personnage qui évolue, j’oublie presque que c’est moi. Mais mon regard ne peut s’empêcher d’être particulièrement critique, je pense que c’est une manière de continuer à évoluer. Lors de votre film « La rupture » , votre prestation était digne d’être jugée grandiose ,racontez-nous le secret de ce rôle et cette expérience, et les critiques que vous avez eu ? Merci beaucoup ! Le réalisateur Philippe Barassat recherchait une actrice iranienne pour ce rôle. Je savais qu’il avait initialement contacté Golshifteh Farahani, une magnifique actrice que j’admire beaucoup. J’ai pourtant été conviée pour l’audition. Je me suis alors préparée pour le rôle en m’inspirant de figures féminines iraniennes comme Farah Diba et Golshifteh, j’ai regardé un nombre considérable d’interviews et travaillé mon accent afin qu’il soit le plus crédible possible sans être caricatural. Et il me semble bien que cela a fonctionné, puisque je joue le rôle de Fatih, la star de cinéma iranienne dans ce film « La rupture ». La presse a cru que j’étais iranienne et je reçois bon nombre de messages me félicitant de parler aussi bien français pour une jeune femme perse et me demandant si j’allais continuer à jouer dans des films français (rires). Je suis ravie d’avoir pu convaincre, cette confusion est le plus beau compliment pouvait me faire pour un tel rôle ! Parlez-nous des différents festivals que vous avez participé ? Je participe assez régulièrement au Festival de Cannes, d’abord parce que j’étais sélectionnée parmi les Jeunes Talents de la Galerie des Portraits, puis pour le film « Love Me Haïti » et dernièrement parce que j’y chantais en showcase. C’est un peu un rendez-vous incontournable. Ensuite au Festival du Film Panafricain qui m’a honoré par la remise du prix que j’ai évoqué. Aux Etats Unis j’ai participé au « Haïti Movie Awards », qui est un festival du film américano-haïtien parrainé par Cody Walker, le frère du regretté Paul Walker acteur notamment de la saga « Fast and Furious ». Nous avons été primé pour le même film au cours de la cérémonie.


ISSUE06 J’ai également participé au « Hollywood International Moving Pictures Film Festival » et au « Miami Independant Film Festival » puisque le film « Dernier rendez-vous/The Last Meeting » dans lequel je joue et que j’ai réalisé y était finaliste. Et en tant que chanteuse, j’ai chanté dans le cadre du Festival International «Les Sommets du classique au Jazz » de Crans Montana (Suisse), une très belle expérience. Quels sont vos futurs projets ? Je jouerai prochainement dans le long-métrage « L’enfant perdu – The lost child » réalisé par Pierre Roberson- Roland Neptune et qui sera tourné à Boston (USA) puis l’on m’a proposé un très joli rôle dans une série inédite sur le milieu des forains que j’ai hâte d’interpréter. D’autres projets sont en cours, en musique également, mais vous savez comment c’est, par superstition on n’en parle pas (rires).

AURELIA KHAZANPRIX JEUNE UNESCO TALENT POUR LA PAIX MEILLEURE INTERPRÉTATION

Connaissez-vous un peu l’Algérie ? J’ai un lien particulier avec l’Algérie à la fois musical et cinématographique. Musical car j’ai eu la chance de rencontrer Rachid Taha qui était venu m’écouter chanter sur scène à Paris il y a quelques années. Je me souviens de sa gentillesse et des propos élogieux qu’il avait eu envers mon interprétation ce soir-là, j’avais été très touchée. Il était question peut-être de partager la scène sur l’une de ses premières parties ou de chanter ensemble sur un titre, malheureusement il nous a quitté trop tôt et bien soudainement. Et curieusement, il y a quelques mois, la réalisatrice Elise Mc Leold s’est adressée à moi pour jouer dans le courtmétrage « The songlines – La chanson du passé » qui est un hommage à Rachid Taha avec Slimane Dazi dans le rôle-titre, sans même savoir que je l’avais rencontré auparavant. Dans ce film je suis algérienne et je chante en arabe la chanson « Ya Kalbi Khelli El Hal ». Comme quoi, sans avoir eu la chance de voyager en Algérie, c’est un pays que je connais un peu grâce aux arts qui me passionnent ! Derniers conseils ou suggestions à donner ? © JC GENTON

Je ne sais pas si l’on peut véritablement parler de conseil mais je pense qu’il faut s’autoriser à faire ce qui nous passionne quand bien même la route est sinueuse. Je crois que la persévérance, la passion et le travail portent toujours leurs fruits. www.monokromemag.com I 55



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