Ciel & Espace n°543

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Septembre / octobre 2015 – n° 543

l’univers de l’association française d’astronomie

historique

les images de pluton décodées univers

les galaxies oubliées de coma

EXOPLANÈTES L’EXTRAVAGANTE PLURALITÉ DES MONDES

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observation

l’œil, premier outil de l’astronome ISSN 0373-9139. Andorre : 6,60 € - Dom : 8,10 € - Tom : 1 700 xpf - Allemagne : 8,50 € - Belgique : 6,60 € - Suisse : 10 chf - Canada : 9,4 $can - Espagne : 6,90 € - Grèce : 6,90 € - Italie : 6,90 € Luxembourg : 6,90 € - Autriche : 6,90 € - Mayotte : 8,60 € - Port Cont : 6,90 € - SPM : 7,50 € - Maroc : 60 mad - Tunisie : 5,9 tnd - Zone CFA : 4600 fcfa



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ÉDITORIAL

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Alain Cirou directeur de la rédaction

n octobre 1995, les astronomes Michel Mayor et Didier Queloz annoncent à leurs collègues la découverte, à l’aide d’un télescope de l’observatoire de Haute-Provence, d’une planète grosse comme Jupiter. L’originalité, c’est qu’elle tourne autour d’une étoile faiblement visible à l’œil nu, située à 42 années-lumière de la Terre : 51 Pegasi. À l’époque les scientifiques ne cachent pas leur perplexité : l’astre est improbable. Il orbite en seulement 4 jours autour de son étoile, soit six fois plus près que Mercure ne l’est du Soleil… La confirmation de cette observation indirecte, annoncée quelques semaines plus tard par l’équipe californienne de Geoffrey Marcy, est un choc qui précipite l’astronomie dans une nouvelle ère. D’abord parce qu’on sait maintenant découvrir des “exoplanètes” sans les voir. L’idée, basée sur l’attraction gravitationnelle de deux corps, est simple : une planète fait tourner son étoile autour d’un point. Son déplacement est détectable en décomposant sa lumière. Mieux, parfois même, la planète passe devant l’étoile et provoque une mini-éclipse, détectable elle aussi. Ensuite, parce qu’il n’y a plus de tabou : partout, autour de toutes les étoiles, la moisson est fructueuse. La découverte de planètes, puis de systèmes entiers, autour des naines rouges, qui représentent les deux tiers de la population stellaire, enfonce le clou d’une affirmation extraordinaire : dans l’Univers, les planètes sont un sous-produit de la formation des étoiles ; et il y en a partout ! Vingt ans plus tard, nous avons voulu faire un point complet sur l’état de l’art. Un exercice d’autant plus utile que les annonces fréquentes et spectaculaires se multiplient. N’aurait-on pas, déjà, trouvé une “sœur jumelle” de la Terre, voire des planètes habitables, suggérant par là même qu’elles sont… habitées ? Évidemment, la réalité est moins séduisante que l’anticipation mais, au bout du compte, tout aussi fascinante. Ce qui frappe, indéniablement, c’est la multitude et la diversité d’exoplanètes dans l’Univers. L’extravagance d’une population de corps célestes bien difficiles à ranger dans des cases. La collecte des premiers télescopes spatiaux dédiés à cette recherche (Kepler, Corot), comme celle des instruments au sol les plus pointus (Harps, Sphere, etc.), montre qu’un afflux de données augmente mécaniquement la quantité de branches dans l’arbre des possibles. Et dans ce printemps de la découverte, notre dictionnaire s’enrichit sans cesse de mondes nouveaux : Jupiter chaudes, superterres, mini-Neptune, planètes-océans… Au point qu’il devient quasi impossible aujourd’hui de donner une définition universelle du mot planète… Sur la nôtre, d’antiques questions y trouvent une nouvelle jeunesse. Sommesnous seuls dans l’Univers ? Y a-t-il une pluralité de mondes habitables et habités ? Notre Système solaire est-il original, particulier ? Et même si, comme dans le conte musical pour enfants de Prokofiev Pierre et le loup, l’annonce régulière de la découverte de “cousines de la Terre” risque de lasser, il est évident que seules les premières pages du grand livre des exoplanètes sont ouvertes. Mais quoi qu’il advienne, pour tous le ciel ne sera plus jamais le même : une infinité de mondes peuplent l’Univers.



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SOMMAIRE 3 éditorial 7 télescopages 8 tout image 12 actualités 22 New Horizons dévoile le visage fascinant de Pluton 32 regard sur l’actualité une période merveilleuse 36 l’homme sur mars, à quel prix ? 42 le dessous des cartes le voyage vers Mars, la fin du géocentrisme et la pensée écologique 44 galaxies extrêmes dans l’amas de coma 70 reportage la résurrection d’el monstruo 78 h istoire comment l’écho du big bang a échappé aux français

84 l’œil d’alain giraud-ruby

86 astropratique l’œil, notre premier outil pour regarder le ciel 94 observation le 28 septembre, la lune s’éclipse 96 éphémérides du 15 septembre au 15 novembre 106 vous avez la parole 108 ouvert la nuit 112 conseil photo 116 test la lunette Omegon Photography Scope 72/432

SEPTEMBRE/OCTOBRE 2015

50 EXOPLANÈTES L’EXTRAVAGANTE PLURALITÉ DES MONDES Depuis 1995, les découvertes sur les exoplanètes ont été de plus en plus surprenantes. Panorama d’un bestiaire très éclectique. Photomontage : Getty - Nasa/Ames/JPL-Caltech/C&E Photos

120 initiatives

122 du côté de l’association Sidéral : former la nouvelle génération d’astronomes 126 agenda 128 lire, voir 130 regard douces nuits

Revue de l’Association française d’astronomie  17, rue Émile-Deutsch-de-la-Meurthe 75014 Paris. Tél. : 01 45 89 81 44  Fax : 01 45 65 08 95. Sites : www.cieletespace.fr. www.cieletespacephotos.fr. www.afastronomie.fr Directeur de la publication : le président de l’Association française d’astronomie, Olivier Las Vergnas. Directeur de la rédaction : Alain Cirou, alain.cirou@cieletespace.fr. Rédacteur en chef : Philippe Henarejos, philippe.henarejos@cieletespace.fr. Rédacteur en chef adjoint, chef de projet First Light : David Fossé, d.fosse@cieletespace.fr. Chefs de rubrique : Jean-Luc Dauvergne, jl.dauvergne@cieletespace.fr, Émilie Martin, e.martin@cieletespace.fr. Ont collaboré à ce numéro : André Brahic, Paul de Brem, Pierre Lagrange, Raphaël Chevrier, James Lequeux, Alain Giraud-Ruby, Patrick Pelletier, Nicolas Outters. Secrétaire de rédaction : Emmanuelle Lancel, e.lancel@cieletespace.fr. Direction artistique : Olivier Hodasava, o.hodasava@cieletespace.fr, assisté de Florence Can. Rédacteur en chef photo : Franck Séguin, f.seguin@cieletespace.fr. Community manager : Jessica Garreau.  Publicité et développement commercial :  Adrien Champagne, a.champagne@cieletespace.fr. Ciel & Espace Radio : Nicolas Franco, n.franco@ afanet.fr. Renseignements aux lecteurs : Sandrine Dorbais, s.dorbais@cieletespace.fr. Comptabilité : Catherine Allart, c.allart@@cieletespace.fr. Ventes en kiosque : Europresse Promotion. tél. : 01 42 96 00 55. Mail : europromo@orange.fr.  Abonnements :  Abomarque Ciel & Espace CS 63656 - 31036 Toulouse Cedex 1. Tél. : 05 34 56 35 60 (10 h-12 h/14 h-17 h). Mail : www.boutique-cieletespace.fr/contact.php. Abonnement Canada : Express Mag, 8155 rue Larrey, Montréal (Québec) H1J 2L5. Tél. : 1(800) 363 – 1310 ou (514) 355-3333. Mail : expsmag@expressmag.com. Abonnement États-Unis : Express Magazine, PO Box 2769 Plattsburgh (New York) 12901 – 0239. Tél. : 1(800) 363 1310 ou (877) 363 1310. Mail : expsmag@expressmag.com. Partenariats diffusion numérique : contact@2050factory.fr. ISSN n° 0373-9139 — CPPAP n° 1018 G 83672. Impression : Imaye Graphic 53000 Laval, France. Imprimé en France. Distribué par Presstalis. N° 543 – 09/10 2015. © 2015 AFA. Dépôt légal à parution.



543 |  7 Télescopages ÉCRIVEZ-NOUS Ciel & Espace, 17, rue Émile-Deutsch-de-la-Meurthe, 75014 Paris revue@cieletespace.fr

La vitesse des galaxies

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ans l’article “Naissance des galaxies”, il est dit Aujourd’hui, le taux d’expansion de l’Univers est tel qu’une qu’une galaxie ayant un redshift de 8 a “une vitesse galaxie située à 1 million de parsecs, c’est-à-dire enviapparente supérieure à deux fois celle de la lumière” ron 3 millions d’années-lumière, s’éloigne de nous à (C&E n°542, p. 24). Or, si j’applique la formule apprise dans une vitesse de 70 km/s. Une galaxie dont la lumière est un cours d’astronomie : z +1= √(c+v)/(c-v) pour z supérieur décalée par un facteur 8 (1) se trouve à une distance de à 1, je trouve que v = 0,975 609 76 pour un redshift de 8. 8 843 millions de parsecs. Comme chaque million de PIERRE WADIER parsecs d’espace entre nous et la galaxie s’étend de 70 km à chaque seconde sous l’effet de l’expansion de l’Univers, la galaxie s’éloigne de nous à 2,06 fois la vitesse de la La formule que vous indiquez est celle de l’eflumière (2). En pratique, la vitesse propre des galaxies fet Doppler, qui est liée à la “vitesse propre” d’un objet (dans l’espace) ne dépasse jamais celle de la lumière. dont on reçoit la lumière. On distingue en astronomie C’est l’espace lui-même qui s’étend. la vitesse propre des galaxies, par exemple la vitesse à DAVID ELBAZ Responsable du laboratoire Cosmologie et évolution laquelle une galaxie se déplace dans un amas de galaxies, des galaxies au service d’astrophysique du CEA de sa vitesse d’éloignement liée à l’expansion de l’Univers et qui est responsable du décalage vers le rouge noté z. (1) Qui possède donc un décalage spectral égal à z = 7, car le décalage spectral Cette dernière est d’autant plus élevée que la distance mesure le rapport entre la différence “longueur d’onde décalée – longueur d’onde d’une galaxie est grande. C’est la fameuse loi de Hubble : émise” et la longueur d’onde émise. vitesse = H x distance. (2) La vitesse d’éloignement des galaxies dépasse la vitesse de la lumière au-delà d’un À l’origine, Hubble pensait que le paramètre H était le même décalage spectral de z = 1,4. partout dans l’Univers, et donc constant dans le temps, d’où le terme généralement employé de “constante de Hubble”, H0. En réalité, le paramètre de Hubble varie au cours du temps et donc aussi avec le décalage spectral : H dépend de z. C’est cette variation qui a permis de déterminer l’accélération de l’expansion de l’Univers et Dans le hors-série “Hubble”, pp. 56-57, les deux photos de d’en déduire l’existence d’une constante cosmologique. nébuleuses planétaires et la carte concernent l’anneau de la Lyre, et non Helix. Toutes nos excuses pour ces erreurs.

erratum

Une sonde bien plus rapide

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bonné de longue date, j'ai bien apprécié la nouvelle revue. marche de l'ordinateur se ferait en 6 minutes… alors qu’un La couverture est plus fine mais agréable au toucher. ordre de la Terre prend plusieurs heures pour arriver. […] Elle a l’avantage d'être moins brillante et donc plus facile à EMMANUEL POTRON lire en plein soleil. Les articles sont nombreux et variés, les polices bien lisibles. Il reste encore de l'information récente Merci de votre fidélité et de votre lecture attentive. en plus des articles de fond. Tant mieux, je ne regarde pas En dépit de nos quatre niveaux de relecture, il arrive que tous les jours les sites internet d'information immédiate. Un des coquilles subsistent malheureusement. Concernant point agaçant : des erreurs auraient pu être détectées par une l’ordinateur, son système de secours se déclenche au bout relecture attentive. Ainsi, page 58, la sonde New Horizons se de 6 minutes, avant même que la Terre n’intervienne. déplace à 14 km/s, et non 14 km/h. Page 59 : la remise en ÉMILIE MARTIN


TOUT IMAGE

Curiosity satisfait Même sur Mars les robots n’échappent pas à la folie du selfie ! Le 5 août dernier, après avoir méticuleusement creusé une roche surnommée Buckskin, Curiosity a étendu son bras et pris une série de clichés qui, une fois assemblés, nous permettent de le voir dans son environnement, au fond du cratère Gale. Derrière lui, à gauche, la montagne orange, qui semble toute petite en raison de la distorsion optique de l’objectif, se trouve le mont Sharp (près de 5000 m de hauteur). C’est dans cette direction que ses roues endommagées conduisent maintenant le robot qui a parcouru plus de 11 km depuis son arrivée sur Mars le 6 août 2012. © Nasa/JPL-Caltech/MSSS

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TOUT IMAGE

Griffures rouges sur Téthys Avec l’été boréal qui avance dans le système de Saturne, les scientifiques de la mission Cassini ont eu la surprise de voir apparaître clairement des lignes rouges incurvées zébrant la surface de Téthys, l’un des satellites glacés de la planète géante. Les conditions d’ensoleillement leur ont en effet permis, en additionnant des clichés pris avec différents filtres de faire ressortir ces structures mystérieuses qui resteraient très difficiles à voir en lumière naturelle. Une seule certitude : ces griffures sont jeunes à l’échelle géologique car elles traversent de nombreux cratères anciens. © Nasa/JPL-Caltech/SSI

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Dans et à travers la Lagune Le télescope Hubble avait déjà photographié en détail le centre de la nébuleuse de la Lagune, alias M 8, située à 5 000 années-lumière dans la constellation du Sagittaire. Mais une nouvelle image, publiée fin juillet, assemble deux vues à la fois en infrarouge et en lumière visible. Outre un plus grand champ couvert que sur les précédentes photos, cela permet de voir à la fois les étoiles jeunes habituellement masquées par des nuages de poussière et ces nuages eux-mêmes. © Nasa/ESA

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actualités

UN TÉLESCOPE SPATIAL GÉANT EN 2030 ?

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e James Webb Space Telescope (JWST) n’est pas encore lancé, son budget initial a déjà été multiplié par 10 et son calendrier affiche 13 ans de retard par rapport au projet initial… Mais cela n’arrête pas les astronomes qui réfléchissent déjà à son successeur pour les années 2030. Dans un long rapport publié en juin, l’Aura (Association of Universities for Research in Astronomy) propose que celui-ci — pour l’instant baptisé HDST, pour High Definition Space Telescope — comporte un miroir de 12 m de diamètre et que son premier objectif scientifique soit la découverte et l’étude de dizaines d’exoplanètes de taille similaire à la Terre. Ardent défenseur du projet, le Britannique

Le HDST, télescope spatial de 12 m de diamètre, reprend l’architecture du JWST. Il pourrait être lancé dans les années 2030 par la Nasa. Mais la route de cet explorateur d’exoplanètes est encore longue. © Nasa/GSFC 12

Martin Barstow, président de la Royal Astronomical Society, précise : “Cette mission consistera en un observatoire multiscience comme le télescope Hubble. Cependant, je pense que l’objectif le plus palpitant, et qui pousse la technologie, est la capacité de photographier des planètes comme la Terre dans la zone habitable d’étoiles proches et d’en faire des spectres à basse résolution pour chercher des marqueurs biologiques.” De fait, l’Aura avance qu’un tel télescope spatial saurait déceler la présence d’océans à la surface de ces exoplanètes et qu’il détecterait les changements liés aux saisons. Le projet ne se limite cependant pas à un “chasseur de nouvelles Terre”. Un réflecteur d’un tel diamètre,

sensible à l’infrarouge proche, au rayonnement visible et à l’ultraviolet — un véritable remplaçant de Hubble —, fera aussi un excellent outil pour percer les secrets de la formation des galaxies et scruter plus en profondeur encore la naissance des étoiles dans les nébuleuses. Situé dans l’espace, il atteindrait en effet son pouvoir de résolution théorique au point qu’il pourrait produire des images de Pluton aussi détaillées que celles prises par la sonde New Horizons, quelques jours avant son survol historique du 14 juillet 2015. Mais ce projet, sur lequel la réflexion est engagée depuis deux ans, a-t-il une chance d’aboutir ? En particulier, les dérives budgétaires du

Cette image simule comment le HDST verrait le Système solaire interne depuis une distance de 45 années-lumière. Jupiter, mais aussi la Terre et Vénus seraient aisément perceptibles. © Courtesy L. Pueyo et M. N’Diaye


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LA GALAXIE LA PLUS LOINTAINE

EN CHIFFRES

C’est, en milliards de dollars, le coût estimé du HDST. Il est du même ordre que celui du JWST, dont le miroir ne mesure que 6,5 m de diamètre et qui n’explore l’Univers que dans l’infrarouge.

JWST ne risquent-elles pas d’inciter la Nasa à le laisser en attente ? “C’est un souci, reconnaît Martin Barstow, mais les développements technologiques sont conçus pour le réduire. L’expérience du JWST va également beaucoup contribuer à cette mission.” En effet, le futur géant utilisera en grande partie la technologie mise au point pour son prédécesseur, en particulier le miroir principal dépliable. Un premier design suggère un assemblage de 36 miroirs hexagonaux de 1,7 m de diamètre. Celui-ci serait plié pour prendre place dans une fusée Delta 4 Heavy. Le rapport consacre d’ailleurs un chapitre à la “stratégie de contrôle des coûts”. Laquelle inclut le recours à des économies d’échelle dans la fabrication des composants, toutes les technologies déjà éprouvées par la Nasa, et à des instruments qui ne seront pas refroidis par cryogénie (une technique coûteuse et complexe). La Nasa pourrait donc se laisser séduire par le projet pour son Astronomy Decadal Survey, une série d’études lancées dans le but de décider quels seront les instruments d’astronomie prioritaires à mettre en chantier lors de chaque décennie. Prochaine échéance pour cet exercice : 2020. Or, bien qu’elles n’aient qu’une valeur d’avis pour la Nasa, les recommandations qui en résultent sont souvent devenues, historiquement, les futurs programmes de l’agence spatiale américaine. “Nous essayons donc de positionner cette mission

parmi les recommandations du Decadal Survey”, dit Martin Barstow. Pour cela, un soutien des astronomes européens, qui sont encore peu nombreux, ne serait pas de trop. En effet, si le projet est finalement choisi par la Nasa, le Vieux Continent pourrait apporter une part du savoir-faire et du financement, comme il l’a fait pour Hubble et le JWST. “Il serait presque impensable pour l’Europe de ne pas participer à un projet si important”, commente Martin Barstow. La partie risque de se jouer vraiment en 2018, date annoncée du lancement du JWST. Un succès ouvrira probablement la route au géant de 12 m. Un échec pourrait le condamner à demeurer à l’état d’éternel projet. Hubble 2,4 m

JWST 6,5 m

HDST 11,7 m

Tailles comparées des miroirs du télescope Hubble, du JWST et du HDST, dont le pouvoir de résolution serait 24 fois meilleur que celui de Hubble.

Une équipe du Caltech (California Institute of Technology) utilisant l’un des télescopes Keck de 10 m, à Hawaï, a identifié la galaxie la plus lointaine connue. Appelée EGSY8p7, celle-ci se trouve à un redshift (ou décalage spectral vers le rouge) de 8,68. Les astronomes l’observent telle qu’elle était alors que l’Univers, aujourd’hui âgé de 14 milliards d’années, n’avait que 600 millions d’années. La datation de cette galaxie — donc son éloignement — a été établie grâce à un spectre dans lequel l’émission de l’hydrogène a pu être identifiée.

PROTON ET ANTARÈS SUR LE RETOUR Le lanceur russe Proton, immobilisé après son échec de mai 2015, a repris ses vols dès le 28 août avec la mise sur orbite d’un satellite Immarsat. La cause de l’échec de mai a été identifiée : un défaut ayant entraîné d’importantes vibrations sur l’un des moteurs du troisième étage. Proton doit lancer la première sonde européenne de la mission Exomars début 2016. Dans le même temps, le lanceur américain Antarès prépare aussi son retour. L’engin, propulsé par deux moteurs russes RD-181, avait explosé quelques dizaines de mètres au-dessus de son aire de lancement le 28 octobre 2014, entraînant la destruction du cargo Cygnus chargé de ravitailler la station spatiale internationale. De nouveaux moteurs ont été livrés en juillet et les vols devraient reprendre en mars 2016.

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© O. Hodasava/C&E Photos

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actualités

SANCTUAIRE ÉTOILÉ AU CHILI Le premier “sanctuaire de ciel noir” vient d’être créé au Chili, autour des observatoires du Cerro Tololo et du Gemini Sud. Cette nouvelle désignation définie par l’International Dark-Sky Association (IDA) concerne les territoires sur lesquels le ciel est totalement dépourvu de pollution lumineuse — des lieux d’où l’on peut découvrir la voûte étoilée telle qu’elle apparaissait avant l’apparition de l’électricité. Il s’agit donc de zones très peu peuplées. En France, le Pic du Midi est depuis 2013 une des rares réserves de ciel noir (neuf en tout) dans lesquelles une bonne qualité de ciel est préservée par un engagement des villes qui s’y trouvent.

EUROPA SUR LES RAILS La sonde américaine Europa, qui doit explorer en détail le satellite de Jupiter Europe dans les années 2020, est entrée dans sa phase de conception. Le 10 août, pour la première fois, tous les scientifiques et les ingénieurs qui ont travaillé au projet depuis deux ans se sont réunis. Objectif : affiner les objectifs scientifiques des neuf instruments qui ont été sélectionnés au mois de mai. Et aussi : préparer le plan de vol qui doit conduire à plus de 40 survols d’Europe, dont la surface glacée cache sans doute un océan d’eau liquide.

SPACESHIP TWO VERSION 2

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rreur humaine, mais pas seulement. Telle est la cause de l’accident qui a entraîné la destruction en vol de l’avion suborbital Spaceship Two et la mort de son copilote Michael Alsbury, le 31 octobre 2014. Fin juillet, le National Transportation Safety Board (le NTSB, l’organisme américain chargé de l’enquête) a rendu ses conclusions, qui confirment ce que les premiers éléments connus après le drame laissaient supposer. Le copilote a déverrouillé l’empennage arrière (aussi appelé “la plume”) qui doit être en position ouverte quand l’engin a dépassé la vitesse de Mach 1,4. Or, sa manœuvre, effectuée 14 secondes après que le Spaceship Two a été largué par son avion porteur, est intervenue à Mach 0,9. Si le copilote n’a pas actionné l’ouverture de la plume, la charge aérodynamique et les vibrations étaient telles pendant cette phase propulsée, que les vérins qui la maintenaient n’ont pas pu empêcher son ouverture prématurée. La conséquence a été la destruction

ANCIEN LAC MARTIEN Il y avait probablement un lac d’eau légèrement salée à la surface de Mars voici 3,6 milliards d’années, longtemps après la période durant laquelle une atmosphère dense entourait la planète. C’est la conclusion d’une équipe de l’université du Colorado, à Boulder, qui a décelé du chlorure au fond d’un cratère de Terra Meridiani, à 200 km du site où se trouve le rover Opportunity. Or, cet élément se forme par l’activité d’un cycle hydrologique. Il pourrait s’agir d’un des derniers lacs à avoir existé sur Mars. Le deuxième exemplaire du Spaceship Two, en construction en mai 2015. © Virgin Galactic 14

de l’appareil en plusieurs gros morceaux. Le pilote, Peter Siebold, a été éjecté et a pu s’extraire de son siège pour descendre en parachute malgré de sévères blessures. S’il est clair que le copilote n’aurait pas dû déverrouiller la plume à cet instant du vol, le NTSB pointe que, malgré son expérience, il n’était pas au courant des conséquences de ce geste à cet instant du vol. En cause surtout : la négligence du constructeur, Scaled Composites, qui n’a pas assez pris en compte les effets d’une seule erreur humaine dans le pilotage de son avionfusée. En cela, la société privée n’a pas consulté assez tôt l’Administration fédérale de l’aviation (FAA) qui aurait eu un regard critique sur la conception de son appareil. Virgin Galactic, qui est l’opérateur des vols, a fait modifier le système de verrouillage de la plume, ajouter au manuel de procédures de l’appareil une mention explicite sur le danger d’ouvrir prématurément la plume, améliorer la formation des pilotes et éliminer toute action humaine unique pouvant entraîner un accident.


Q& R

Duncan Forgan, astrophysicien et astrobiologiste de l’université DR

de Saint-Andrews, en Grande-Bretagne

“SI NOUS TROUVONS DES CIVILISATIONS DISPARUES, NOUS RÉPONDONS AU PARADOXE DE FERMI” Dans un article paru dans l’International Journal of Astrobiology, trois astrophysiciens explorent les possibilités de détecter une civilisation extraterrestre par les signatures de son autodestruction. Quatre scénarios sont privilégiés : une guerre atomique totale ; l’éradication de la vie par un agent biologique ou chimique ; la prise de contrôle d’une planète par des robots autorépliquants ; une pollution excessive d’une planète, d’une étoile ou d’un environnement interplanétaire. De telles signatures seraient décelables avec les prochains télescopes géants bien qu’elles s’effacent assez rapidement (des milliers d’années au mieux). Comment avez-vous eu l’idée d’explorer les signatures de destruction au lieu de chercher plus d’indices de développement technologique ? Nous avons eu l’idée au cours d’un atelier sur les planètes habitables, organisé au UK Centre for Astrobiology. Il nous est apparu que nous devrions examiner chaque angle possible pour détecter des signes de vie intelligente. Il est un peu déprimant de chercher des civilisations mortes, mais si nous en trouvons, cela nous dira quelque chose d’important sur notre propre civilisation. Une solution possible au paradoxe de Fermi (l’étrange absence de signes de vie intelligente) est que les civilisations meurent avant de se rendre visibles par diffusion de signaux. Si nous trouvons des signes de civilisations disparues, alors nous pouvons finalement répondre à cette question.

sommes plus probablement loin de les capter. Mais nous devons essayer toutes les voies pour chercher de l’intelligence et nos signatures de destruction sont un exemple de sous-produit de Seti [NDLR : Search for Extra-Terrestrial Intelligence, ou recherche d’intelligence extraterrestre], qui utilise des données astronomiques d’autres missions (dans ce cas, la détection d’exoplanètes et leur caractérisation).

Est-il plus facile de trouver dans l’atmosphère d’une exoplanète la signature d’une pollution catastrophique plutôt que l’ozone ou

la chlorophylle, produits par la vie ? Il est sans doute vrai que les polluants artificiels comme les CFC [chlorofluorocarbures, destructeurs de la couche d’ozone] laissent une trace très distincte dans l’atmosphère d’une planète, et plusieurs groupes ont pointé qu’elle serait détectable avec le James Webb Space Telescope. Si des CFC sont présents tout comme l’ozone ou la chlorophylle, les probabilités de détecter les uns ou les autres sont similaires. Mais la pollution requise devrait être catastrophique, dix fois nos pires niveaux de CFC, voire plus. Propos recueillis par Philippe Henarejos

Les explosions nucléaires d’une civilisation extraterrestre sont-elles détectables par nos instruments ? DR

Pensez-vous que ces signatures de destruction soient plus faciles à découvrir que les signatures de vie avec les instruments actuels ? Si des aliens transmettent des signaux radio à travers la Voie lactée, nous 543 |  15


actualités

Le nombre de taches solaires, qui sont autant de régions actives (très brillantes sur cette image), a été mal compté depuis des siècles. La rectification innocente un peu plus le Soleil dans le changement climatique terrestre.

JACKPOT POUR SETI Le milliardaire russe Yuri Milner a fait un don de 100 millions de dollars à la recherche d’intelligence extraterrestre Seti. Ce financement est le plus important depuis que la Nasa a retiré son soutien au programme en 1993. Grâce à lui, plus d’un million d’étoiles seront surveillées (contre un millier actuellement), avec une sensibilité 50 fois meilleure qu’aujourd’hui.

© Nasa/SDO/AIA

http://www.cieletespace.fr/node/18601/

GENÈSE D’UNE GALAXIE NORMALE Le radiotélescope Alma, au nord du Chili, a été utilisé pour observer de lointaines galaxies, telles qu’elles étaient 800 millions d’années après le big bang. Les astronomes européens ont pu ainsi voir pour la première fois des détails dans une galaxie normale (telle que la Voie lactée). Ils ont découvert que des nuages froids essentiellement composés de carbone se trouvaient à sa périphérie. Ils expliquent ce “décentrement” par le fait que le rayonnement intense d’étoiles jeunes, nées d’abord au centre de la galaxie, a détruit les nuages dans lesquels elles sont apparues. Au contraire, le carbone détecté semble provenir du milieu intergalactique et aurait été attiré par la jeune galaxie.

HUIT SATELLITES DE PLUS En sondant l’Univers en vue de comprendre l’énergie sombre, le télescope de 4 m du Cerro Tololo (Chili) fait aussi des découvertes dans la banlieue de notre galaxie. Ses clichés ont révélé huit concentrations d’étoiles distantes de 80 000 à 700 000 a.-l. — probablement des galaxies naines satellisées autour de la Voie lactée. Situées près des Nuages de Magellan, elles viennent s’ajouter à une vingtaine d’autres décelées depuis un an. Au cours de cette période, le nombre de galaxies satellites connues a ainsi doublé. 16

CLIMAT : L’ACTIVITÉ SOLAIRE INNOCENTÉE

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’activité du Soleil n’a pas augmenté au cours du XXe siècle. Il n’y aurait donc pas de corrélation entre l’intensité du cycle solaire et le réchauffement climatique sur Terre. Cette conclusion est celle d’une équipe dirigée par Frédéric Clette, du World Data Center (Belgique) et composée de spécialistes du Soleil du National Solar Observatory et de l’université de Stanford (États-Unis). Ces scientifiques ont découvert plusieurs sources d’erreurs dans le comptage des taches solaires depuis les premières observations de Galilée en 1610. Si bien qu’après révision, le recensement des taches (qui sont des indicateurs du niveau de l’activité magnétique du Soleil) montre qu’il n’existe pas de “grand maximum moderne”, comme certains chercheurs le pensaient. “En 2011, nous avons pris la décision de monter un atelier pour unifier les deux séries existantes de comptage des taches solaires”, explique Laure Lefèvre, chercheuse au WDC. En effet, des écarts très variables apparaissaient selon les époques entre la méthode de Rudolf Wolf établie en 1848, qui visait à compter chaque tache

individuellement, et celle du Group Sunspot Number datant de 1998 et qui recense les groupes de taches. Une situation qui supposait l’existence d’erreurs de mesure dans les deux méthodes. “Nous avons entrepris des recherches pour comprendre les sauts ou les changements progressifs entre les deux séries”, poursuit Laure Lefèvre. Leur enquête a révélé de nombreuses sources d’erreurs. Par exemple, en 1947, le directeur de l’observatoire de Zurich a estimé que les grosses taches devaient compter davantage que les petites, ce qui a ponctuellement augmenté leur nombre dans les relevés faits par la suite. Ce fait, non documenté, était passé inaperçu. C’est l’un des observateurs de cette époque qui en a fait état à l’équipe du WDC. Il en résulte que les cycles solaires du XXe siècle ont été moins intenses qu’on ne le pensait, leur maximum ne dépassant pas ceux des fortes périodes d’activités observées autour de 1850 et de 1775. Un élément de plus qui innocente le Soleil dans le réchauffement climatique (lire aussi notre dossier “Climat, la vraie part des astres”, C&E n° 540, mai 2015).


LES TROUS NOIRS FAISEURS D’ÉTOILES

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eux équipes étudiant indépendamment les galaxies elliptiques sont arrivées à une même conclusion : les trous noirs hypermassifs qui se trouvent au centre de ces galaxies entretiennent un cycle de formation des étoiles. Par les jets de matière très véloces qu’ils émettent, ces astres denses créent du mouvement dans le gaz résiduel et diffus qui englobe chaque galaxie. En effet, une partie du gaz qui est éjecté par un trou noir se refroidit et s’agrège à des nuages présents sur son trajet. Ces nuages retombent alors vers la galaxie tout en se contractant et en donnant naissance à des étoiles. À partir d’observations menées avec Hubble, Galex et Herschel, les deux équipes américaines ont constaté que le mécanisme s’autorégulait. Si le gaz environnant se refroidit trop, le jet du trou noir devient plus puissant et le réchauffe. Au contraire, si les jets chauffent trop le gaz, ce dernier retombe moins vers le trou

noir, le prive d’alimentation, ce qui réduit les jets. Des simulations numériques produites à l’université du Michigan décrivaient le phénomène. Les observations correspondent bien à ces modèles. Cette découverte explique pourquoi les grandes galaxies elliptiques continuent à former des étoiles alors qu’elles disposent d’assez peu de gaz mais aussi pourquoi cette matière éparse ne produit pas des flambées d’étoiles soudaines.

MACS J931

Vues en ultraviolet par le télescope Hubble, les régions centrales de galaxies elliptiques MACS J931 et MACS J1532 comptent des “grumeaux” gazeux alimentés et contrôlés par les jets de trous noirs hypermassifs. © Nasa/ESA

MACS J1532

SUR LA TOILE

Donnez un nom aux exoplanètes Il vous reste un mois et demi pour choisir les noms d’une première fournée d’exoplanètes. Elles sont au nombre de 32 et se trouvent dans 20 systèmes stellaires sélectionnés par l’Union astronomique internationale (UAI). Dans une première phase, des structures de médiation scientifiques ont été invitées à proposer des noms. Depuis le 12 août, tout un chacun peut

voter parmi les appellations retenues par l’UAI. Parmi les systèmes éligibles : 51 Pegasi, mais aussi PSR 1257+12, Fomalhaut et Epsilon Eridani. Aucune formalité n’est nécessaire ; il suffit de se connecter sur le site dédié et de voter ! Date limite des suffrages : le 31 octobre 2015 à 23 h 59 TU… http://nameexoworlds.iau.org/exoworldsvote/

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actualités

UN ANNEAU ET DEUX SATELLITES Les scientifiques en étaient convaincus : l’anneau F, le plus extérieur des anneaux de Saturne les plus denses, résultait d’une collision entre deux petits satellites glacés. Mais ils n’arrivaient guère à expliquer la présence, de part et d’autre, de Prométhée et de Pandore, deux corps de quelques kilomètres de diamètre. Une solution à l’énigme est sortie des simulations numériques d’une équipe japonaise de l’université de Kobe : si les deux satellites qui se sont percutés pour disperser les particules ayant donné naissance à l’anneau avaient un cœur dur, alors ce “noyau” a dû survivre à la rencontre. Dans ce scénario, Prométhée et Pandore seraient donc ces cœurs, et du même coup les vestiges des deux petits astres qui ont formé l’anneau F.

CROISSANCE RAPIDE POUR JUPITER ET SATURNE Au commencement étaient Jupiter et Saturne. C’est ce qu’indiquent les différents modèles de formation du Système solaire. Seulement, pour que les deux géantes se constituent avant les autres planètes, il faut qu’elles le fassent rapidement. Trop rapidement pour les modèles qui jusque-là ne concevaient que des processus d’accrétion prenant au moins 100 millions d’années. Une équipe canadienne du Southwest Research Institute (SWRI) et de Queen’s University vient de publier une solution dans les colonnes de la revue Nature : au lieu d’agréger des corps de plus en plus gros, les planètes géantes se seraient essentiellement nourries d’éléments très petits (maximum 30 cm de diamètre). Le gaz de la nébuleuse primitive aurait accéléré le processus au point que seules 10 millions d’années auraient été nécessaires pour former Jupiter et Saturne.

GRANDE AVANCÉE DANS LA PHOTOGRAPHIE DES EXOPLANÈTES

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lles ne sont encore que quelquesunes, les exoplanètes dont les astronomes ont réussi à obtenir une photo. Mais avec 51 Eridani b, cette galerie de portraits promet de s’agrandir vite, et surtout, de s’enrichir de mondes assez similaires à ceux connus dans le Système solaire. Car cette planète géante, photographiée par le télescope Gemini Sud grâce à son tout nouvel instrument, le Gemini Planet Imager (GPI), se démarque de toutes les autres. D’abord par sa masse, équivalant à 2 fois celle de Jupiter, qui en fait la plus petite planète extrasolaire photographiée. Elle surclasse en effet GJ504b, une planète de 4 masses joviennes photographiée en 2013 à 60 années-lumière de la Terre autour d’une étoile de type solaire de la constellation de la Vierge par le télescope japonais Subaru. Avec 51 Eridani b, les astronomes viennent d’augmenter leur capacité de détection photographique. L’étoile parente (51 Eridani) affiche

Taille de l’orbite de Saturne autour du Soleil

Pour en savoir plus sur 51 Eridani b : http://www.cieletespace.fr/node/19015

10 UA

Cette photo prise en lumière infrarouge, sur laquelle l’étoile a été masquée artificiellement (au centre), révèle une planète gazeuse de 2 fois la masse de Jupiter, 51 Eridani b. © J. Rameau (Irex/U de M) et C. Marois (NRC)

51 Eridani

51 Eridani b 18

1,75 masse solaire et seulement 20 millions d’années. Distante de 96 années-lumière, elle est encore entourée d’un petit disque de poussière, vestige des éléments qui ont permis à cette planète — et peut-être à d’autres — de se former. Quant à la géante, elle n’est qu’à 2,2 milliards de kilomètres de son étoile (soit un peu plus proche de son soleil qu’Uranus). Enfin, les données spectrales récupérées par l’instrument GPI ont permis d’identifier une grande quantité de méthane dans son atmosphère. Compte tenu de la jeunesse du système, les spécialistes estiment qu’ils ont sous les yeux une jeune Jupiter, un corps qui pourrait leur révéler quelques secrets de la formation de la géante du Système solaire. Première prise de GPI, cette planète laisse augurer d’autres découvertes autour d’étoiles similaires au Soleil mais plus jeunes.


Vol de nuit au-dessus de Dioné

La sonde Cassini, qui est sur orbite autour de Saturne depuis 2004, amorce ses adieux. Le 17 août, elle a commencé par Dioné, l’un des satellites de la planète aux anneaux, qu’elle ne croisera plus jusqu’à la fin de sa mission en septembre 2017. L’engin est passé à 474 km au-dessus de ce globe glacé de 1 100 km de diamètre. Et bien que Cassini l’ait survolé d’encore plus près en 2011 (100 km), c’est cette fois que la sonde a produit les vues les plus détaillées du sol de Dioné. Pourtant, l’imagerie n’était pas l’objectif principal de ce survol. Les astronomes ont utilisé le vaisseau pour mesurer le champ de gravité du satellite de Saturne et mieux comprendre sa composition interne. Mais la caméra était en service. Bien qu’elle n’ait pas pu être dirigée, elle a pris à la volée les clichés les plus étonnants de ce petit monde lointain.

Dioné

Saturne

La photo semble floue. Et elle l’est ! À cause de la vitesse phénoménale de la sonde Cassini par rapport à la surface toute proche de Dioné, il en résulte un léger “bougé”. Mais cette image, prise d’une distance de 537 km, est aussi la plus résolue jamais obtenue de ce satellite : 3 m par pixel ! © Nasa/JPL-Caltech/SSI

À la limite entre l’hémisphère diurne et l’hémisphère nocturne, Cassini a photographié de près cette région tectonique située non loin d’un cratère nommé Butes. La sonde n’était qu’à 588 km au moment de la prise de vue. Avec sa caméra à haute résolution, une partie du champ surexposé permet de discerner des détails dans l’ombre. Ils sont faiblement éclairés par le “clair de Saturne”. © Nasa/JPL-Caltech/SSI

Il fait nuit sur Dioné, mais Saturne renvoie une clarté suffisante pour que la caméra à grand champ de Cassini perçoive les reliefs avec un temps de pose de 10 millièmes de seconde ! Depuis 970 km d’altitude, elle a saisi ce terrain cratérisé avec une résolution de 58 m par pixel. © Nasa/JPL-Caltech/SSI 542 |

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actualités

UN FLOT DE GAZ FROID À L’ORIGINE DES GALAXIES

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L’image de cette proto-galaxie distante de 10 milliards d’années-lumière est petite, mais elle montre bien comment cet objet est alimenté en gaz pour ses futures étoiles par un filament appartenant à la toile cosmique. © PCWI/Caltech

e vénérable télescope de 5 m du mont Palomar (Californie) fait encore des merveilles. Équipé depuis 2009 d’un instrument dédié à la cosmologie, le Cosmic Web Imager, il vient de délivrer une image essentielle dans la compréhension de la formation des galaxies. Il a capté la lumière d’un tourbillon de gaz situé à 10 milliards d’annéeslumière et qui est clairement relié à l’un des filaments gazeux qui constituent les grandes structures de l’Univers. Jusque-là, les spécialistes devaient se contenter de leur modèle datant de 1996, appelé “cold-flow” (écoulement froid) pour décrire la formation des premières galaxies. Ils ont maintenant la première observation directe de ce que prédisait leur scénario, à savoir que le gaz froid des filaments qui font le maillage de l’Univers s’écoule directement vers les galaxies en formation. Celle-ci, d’un diamètre de 400 000 années-lumière (quatre

fois la taille de la Voie lactée), est rendue particulièrement visible par la présence à proximité de deux quasars qui l’éclairent de leurs puissants faisceaux lumineux. Ces deux astres extrêmement brillants permettent aussi de voir la liaison gazeuse entre la future galaxie et un filament cosmique. Mieux, des mesures spectrales indiquent que le disque tourne sur lui-même à 400 km/s et que le gaz venant du filament s’écoule à une vitesse relativement constante. L’équipe du Caltech dirigée par Christopher Martin, qui a signé la découverte dans la revue Nature, indique par ailleurs avoir repéré deux autres disques similaires qui semblent recevoir du gaz froid venu de la toile cosmique.

CLIN D’ŒIL

Le méridien de Greenwich déplacé ! Depuis 1884, il était établi que le méridien d’origine du système de coordonnées terrestres passait par le milieu du bâtiment abritant la lunette méridienne de l’observatoire de Greenwich, en Angleterre. Sur le parvis de l’observatoire, une belle ligne métallique en témoigne. Mais les visiteurs de l’illustre établissement devront se décaler de 102 m vers l’est s’ils veulent vraiment avoir les 20

pieds sur le méridien d’origine. Un article paru dans le Journal of Geodesy du 1er août 2015 explique les raisons de cet étonnant glissement : une différence entre les coordonnées astronomiques utilisées en 1884 et les coordonnées géodésiques utilisées depuis 1984. Avec les progrès des mesures, il apparaît que selon ce dernier référentiel, le méridien d’origine n’est plus tout à fait à sa place…


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deviennent alors destructives.” Dans ce tableau, l’astre binaire qu’était Chury aurait dû subir des chocs au point d’être scindé et de ne jamais arriver jusqu’à nous… Pour Philippe Lamy, pas besoin cependant de remettre en question les modèles décrivant les processus qui ont eu lieu en ces époques lointaines : “Il y a peu de noyaux cométaires binaires — on n’en connaît qu’un autre, celui de 8P/Tuttle —, mais il y en a. On trouve aussi quelques binaires parmi les Centaures, qui sont les précurseurs des comètes. On peut les expliquer par le fait qu’ils se sont formés en marge du disque de planétésimaux initial, où la densité en petits corps était la plus faible, et relativement tard, de sorte qu’ils ont pu survivre à la phase destructive de l’accrétion.” Chury serait donc une comète tout à fait dans la norme, mais d’une forme qui, sans être exceptionnelle, reste peu courante.

EN CHIFFRES C’est le nombre de cargos automatiques Cygnus que la Nasa a commandé à la société privée ATK Orbital. Ces vaisseaux sans équipage doivent participer au ravitaillement de la station spatiale internationale (ISS). Le 28 octobre 2014 pourtant, la fusée Antarès qui propulsait le troisième de ces cargos vers l’ISS avait explosé peu après son décollage. ATK Orbital doit reprendre ses vols dès décembre, mais avec une fusée Atlas 5.

Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne, David Fossé, Philippe Henarejos et Émilie Martin

DR

La scientifique française, spécialiste d’astrobiologie et de la planète Mars (elle avait milité pour que le robot Spirit se pose dans le cratère martien Gusev), a été nommée à la tête du Centre Carl Sagan du SETI Institute, aux États-Unis. Ce centre est dédié à l’étude de la vie dans l’Univers.

À L’A P O G É E

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AU PÉRIGÉE

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a comète ChuryumovGerasimenko est née de l’assemblage de deux petits corps. Dans un article publié dans Astronomy and Astrophysics, une équipe internationale écarte l’hypothèse d’un astre unique qui aurait pris son étrange forme de “canard” à la suite d’une érosion irrégulière. Les strates géologiques en forme de “pelures d’oignon” observées sur chacun des lobes de la comète témoignent qu’il s’agit de deux blocs restés collés après être entrés en contact. Or, cette collision à vitesse réduite (moins de 10 m/s) pose quelques questions. Si, voici 4,5 milliards d’années, à quelques dizaines d’unités astronomiques du Soleil, les rencontres en douceur de ce type étaient légion entre les petits planétésimaux glacés, elles n’ont pas duré. “Après une phase d’agrégations calmes, le phénomène s’emballe rapidement, précise Philippe Lamy, l’un des auteurs de l’étude. Les embryons de planètes qui se sont alors formés augmentent la vitesse des autres corps pour la porter aux alentours de 100 km/s. Les collisions

NATHALIE CABROL

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CHURY, UNE COMÈTE NORMALE, MAIS MARGINALE

EDGAR MITCHELL Pour le sixième homme à avoir marché sur la Lune, lors de la mission Apollo 14, les extraterrestres existent, ils sont venus et ils ont agi pour garder la paix sur Terre… L’astronaute, âgé de 84 ans, a précisé au Mirror Online que l’armée américaine avait repéré des ovnis au-dessus des lieux de test des bombes nucléaires à partir de 1945. Après Harrison Schmitt (Apollo 17) et Charlie Duke (Apollo 16), qui contestent la réalité du réchauffement climatique, Edgar Mitchell s’enfonce… http://www.mirror.co.uk/news/ technology-science/science/peaceloving-aliens-tried-save-6235113/

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NEW HORIZONS DÉVOILE LE VISAGE FASCINANT DE PLUTON Ciel & Espace a vécu depuis Washington un moment historique : la découverte de ce qui était hier encore la neuvième planète. Pluton est surtout la porte de la troisième zone du système solaire : après les mondes de roche et les mondes gazeux, voici les mondes de glace !

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© B.Ingalls/Nasa

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lors que l’Europe est endormie ce 14 juillet, le Laboratoire de physique appliquée de l’université Johns Hopkins (APL) vit un moment d’une rare intensité. À mi-chemin entre Washington et Baltimore, le centre est ceinturé de grilles. Le petit lac sur lequel s’ébattent d’innombrables bernaches ferait presque oublier que le lieu est placé sous haute sécurité. Principalement dédié aux programmes militaires, l’APL possède un petit département civil à qui on doit la sonde New Horizons. C’est donc d’ici — et non depuis la Nasa — qu’est pilotée l’exploration de Pluton. La Nasa se contente de financer et communiquer. Cela fait plus de 20 heures que le vaisseau fait silence. Dans les dernières heures, il s’est concentré sur sa mission : observer Pluton et ses satellites à la vitesse folle de 14 km/s. “C’est de la véritable exploration. Nous avançons dans l’inconnu”, soulignait la veille le directeur de la mission Alan Stern avec un brin de superstition. Le risque ? La collision avec une particule. Il a été évalué à 1 sur 5 000. Plus inquiétant : la menace d’une panne informatique pendant le survol. Le 4 juillet, le contact a déjà été perdu dans une phase critique. L’ordinateur a dû être réinitialisé et quelques données ont été perdues. Il était attendu une panne de ce type au cours de la mission, mais il y en a eu une par an


© J.-L. Dauvergne/C&E Photos © B.Ingalls/Nasa

En haut : l’équipe de New Horizons à l’instant précis du survol. De gauche à droite, Glen Fountain, Alan Stern, John Grunsfled et Annette Tombaugh, fille du découvreur de Pluton. Quelques heures plus tard, Alice Bowman, Alan Stern et John Grunsfeld ont dévoilé la vue globale la plus détaillée de Pluton prise le 13 juillet. Le lendemain vers 11 h 30, les premiers clichés du survol sont reçus sur Terre. Le visage d’Alan Stern parle de lui-même !

en moyenne ! De quoi donner des sueurs froides à l’assistance qui scrute la moindre émotion sur le visage concentré d’Alice Bowman. Non sans malice, elle se présente ellemême comme “MOM” [maman en anglais, NDLR]. Elle est la Mission Operation Manager de New Horizons : en clair, c’est elle qui a piloté le vaisseau jusqu’à Pluton. Enfin, à 20 h 52 heure locale, la sonde passe son “coup de fil” très attendu vers la Terre. À leur poste, les ingénieurs énumèrent l’état des systèmes. Alice Bowman esquisse un sourire, avant de formuler dans un immense soulagement l’annonce tant attendue : “Nous avons un vaisseau en bonne santé, et nous avons enregistré les données sur le système de Pluton !” À leur tour, chercheurs et invités explosent de joie. Le matin même, un grand raout avait été organisé au moment précis où New Horizons survolait Pluton au plus près. S’en est suivie une scène de liesse patriotique. Des drapeaux distribués à tous les invités se sont agités, et la foule s’est mise à scander : “USA, USA, USA”. Pour mesurer la différence culturelle, essayez de transposer cette scène à l’atterrissage du robot européen Philae sur la comète Chury… “Nous voulons que les Américains soient fiers de ce que l’on fait ici. C’est important pour obtenir des crédits”, nous confie John Grunsfeld. L’astronaute, qui a participé à deux missions de réparation de Hubble, administre aujourd’hui le conseil scientifique de la Nasa. Pour mieux comprendre les craintes de l’agence, il faut avoir en tête le contexte politique : une cohabitation tendue entre un occupant de la Maison-Blanche démocrate et un Congrès républicain. Quoi qu’il en soit, l’exploit technique est complet. Après neuf ans de voyage, Pluton a été survolée à seulement 543 |  23


12 400 km d’altitude. Pour un budget de 720 millions de dollars, c’est un succès de la politique du “better-fastercheaper” insufflé par l’ancien patron de la Nasa Daniel Goldin (1992-2001). Pluton aura été explorée pour un coût de 0,15 $/km ! Et ce succès ferait presque oublier que cette politique s’est aussi soldée par la perte de deux sondes martiennes. L’exploit est d’autant plus inouï que la mission a été montée en quatre ans seulement ! Pour le chef de projet de la mission Glen Fountain, “le plus gros défi était d’être sur le pas de tir à l’heure ! Sinon, on ratait l’assistance gravitationnelle de Jupiter, et nous aurions mis cinq ans de plus”. Mais il y a plus, New Horizons nous dévoile un astre d’une magnifique complexité. “La phase de reconnaissance du Système solaire nous a gardé le meilleur pour la fin”, plaisante même Alan Stern. De là à relancer le débat sur le statut de Pluton, il n’y a qu’un pas. “Il est vraiment difficile de ne pas la considérer comme une planète, estime Alan Stern. Elle a une atmosphère, un potentiel océan interne, des saisons et des satellites.” Ironie de l’histoire : la neuvième planète du Système solaire a été déclassée par l’UAI en planète naine quelques mois seulement après le départ de New Horizons ! Et si c’était à refaire ? “La position de la Nasa est simple. On

se moque complètement de savoir comment on définit Pluton. Elle vaut la peine d’être explorée. C’est la troisième zone du Système solaire”, affirme Jim Green, directeur des sciences planétaires à la Nasa. Il est d’ailleurs envisagé une prolongation de mission pour visiter en 2019 un petit objet de Kuiper découvert par le télescope spatial Hubble. Et si celui-ci trouve d’autres cibles, pourquoi ne pas viser plus loin encore. “Nous avons assez de plutonium à bord pour tenir jusque dans les années 2030”, assure Glen Fountain. Mais déjà tout le monde rêve d’une nouvelle mission vers Pluton. “J’ai travaillé secrètement sur une proposition d’atterrisseur pour la Nasa”, indique Alan Stern non sans malice. En fait, le chercheur songe à un atterrisseur sur Charon car, par sa proximité, le satellite offre un point de vue idéal sur la zone qui n’a pas été détaillée par New Horizons. En réalité, la barrière technique à franchir est énorme. “Mon sentiment est qu’il n’y aura pas de nouvelle mission vers Pluton pour le prochain plan décennal, car il y a d’autres priorités”, estime John Grunsfeld. En attendant, il reste aux chercheurs une moisson de données à traiter. Et il faudra 16 mois pour toutes les télécharger sur Terre ! Jean-Luc Dauvergne

UNE ATMOSPHÈRE DE 1 600 KM

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usque dans son atmosphère, Pluton déconcerte les chercheurs. Le 24 juillet, Mike Summers a dévoilé une image très attendue prise par la sonde lorsqu’elle est passée dans l’ombre de Pluton. Elle montre un anneau de gaz épais, diffusant la lumière du Soleil. “La brume s’étend au moins à 160 km de la surface. Et ça, c’est une grosse surprise, c’est 5 fois plus haut que ce que nos modèles prévoyaient, a commenté le spécialiste des atmosphères. C’est un mystère que l’on doit résoudre. On peut voir différentes couches. Il y a un débat dans l’équipe pour savoir si elles se forment par un processus dynamique ou bien chimique.” En 1989, Pluton était au plus près du Soleil, et c’est depuis cette époque que les astronomes savent détecter et mesurer son atmosphère lors d’occultations d’étoiles. Depuis, la planète naine — située sur une orbite très elliptique — s’éloigne du Soleil. Sa température baisse et l’atmosphère d’azote devrait se condenser. “Mais on a vu exactement l’inverse ces dernières années”, s’étonne Mike Summers. Du moins jusqu’à aujourd’hui. “L’instrument

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Rex a montré que la pression ne dépasse pas 10 microbars. La masse de l’atmosphère a donc au moins chuté d’un facteur 2 en 2 ans. C’est stupéfiant !” Ce résultat est préliminaire. “Il serait surprenant que cela vienne d’une erreur instrumentale. Et parallèlement, certains remettent en cause les mesures faites lors des occulations stellaires”, souligne Tanguy Bertrand, étudiant en doctorat sur l’atmosphère de Pluton, à l’université Paris 6. Le changement de saison a pu mettre au jour une zone australe riche en azote, jusque-là plongée dans la nuit. Elle aurait pu finir par s’épuiser provoquant un arrêt brutal du renouvellement de l’atmosphère. “Il est probable que la pression continue de décroître, estime Tanguy Bertrand. Il était temps que New Horizons arrive !” New Horizons a également observé la luminosité du Soleil alors qu’il passait derrière l’atmosphère de Pluton. Et là, c’est de nouveau la surprise : elle détecte l’enveloppe gazeuse à partir de 1 600 km d’altitude. Les mesures faites depuis la Terre n’étaient pas capables de la détecter à plus de 270 km. “À partir de 1 600 km, les molécules


© Nasa/JPL/JHUALP/E.Lakdawalla

“L’atmosphère de Pluton s’échappe à raison de 500 tonnes par heure”

Couches de brume

d’azote commencent à absorber le rayonnement solaire. Plus bas, à environ 275 km d’altitude, la baisse de la luminosité devient plus forte : le méthane et les brumes d’hydrocarbures absorbent le rayonnement”, détaille Tanguy Bertrand. Cette atmosphère est la plus intéressante, les vues de Pluton en couleur naturelle montrent un monde d’une teinte uniforme rouge cuivré. Les chercheurs pensent que le méthane atmosphérique se transforme en molécules carbonées plus longues sous l’effet du rayonnement ultraviolet du Soleil. New Horizons a détecté de l’acétylène et de l’éthylène, mais d’autres hydrocarbures plus complexes seront probablement annoncés par la suite. Ils s’aggloméreraient en fines particules et recouvriraient la surface de Pluton de tholins. C’est-à-dire d’une matière bitumineuse brun sombre, plus ou moins épaisse selon les régions. C’est peut-être cette même matière que l’on retrouve au pôle du satellite Charon (voir page 30). En effet, cette atmosphère s’échappe car la gravité de Pluton est trop faible pour la retenir. Dès le 13 juillet, Alan Stern annonçait un

82 km 50 km © Nasa/JHUALP/SRI

Ci-dessus : une juxtaposition de l’atmosphère du satellite de Saturne Titan à gauche, et de Pluton à droite. Deux vues prises à contre-jour par les sondes Cassini et New Horizons. La similitude est étonnante pour ces deux enveloppes d’azote. Ci-contre : un zoom sur Pluton. La vue en fausses couleurs montre que l’atmosphère n’est pas homogène. La courbure du sol a été aplatie.

Surface de Pluton

premier résultat : “New Horizons a détecté de l’azote s’échappant de Pluton 5 jours plus tôt que prévu”. Soit à une distance de 6 millions de kilomètres au lieu des 1 à 2,5 millions de kilomètres attendus. Cette atmosphère s’échappe donc à un taux plus important qu’anticipé. “D’après nos modèles, on estime que Pluton perd 500 tonnes par heure. En comparaison, Mars perd 1 tonne par heure”, détaille Fran Bagenal, responsable de l’étude des plasmas de Pluton. À ce rythme-là, tout le gaz s’échapperait en seulement 6 000 à 7 000 ans ! Pour maintenir cette cadence, il faut donc une source pour renouveler l’atmosphère. Et là, le débat est ouvert. “Si on extrapole l’échappement de l’atmosphère sur l’âge du Système solaire, Pluton aurait perdu l’équivalent de 300 à 3 000 m d’épaisseur d’azote à sa surface”, souligne Fran Bagenal. Est-ce que le rayonnement du Soleil est suffisant pour changer la glace de surface en atmosphère, ou bien est-ce qu’il faut invoquer des processus géologiques comme des geysers ? La question divise déjà les chercheurs ! Jean-Luc Dauvergne

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© J.-L. Dauvergne/Nasa/JHUALP/SRI

Cette vue de Pluton a été prise à 450 000 km de distance. Les plus fin détails font 2,2 km. Les couleurs sont accentuées pour révéler les différences subtiles de composition chimique en surface. Notre œil verrait plutôt une teinte cuivrée uniforme, comme sur la page de droite.

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© Nasa/JHUALP/SRI

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UNE CALOTTE POLAIRE STRIÉE

Le pôle Nord de Pluton est bien dégagé sur cette vue en couleurs accentuées. La zone dorée en haut, est centrée dessus. L’axe de rotation de Pluton est incliné de 122°. En conséquence, ses pôles se retrouvent exposés en continu au Soleil pendant plusieurs dizaines d’années. Juste après avoir reçu cette vue globale le 14 juillet, Cathy Olkin s’est livrée à une première lecture du terrain depuis l’APL : “On peut voir de larges structures linéaires près du pôle. Elles ont l’air parallèles entre elles, avec des différences de couleur, décrit la planétologue. Mais il faudra plus de données pour savoir s’il s’agit d’une différence de composition chimique ou de géologie.” Il est possible que, comme sur Mars, certaines zones glacées des pôles passent plus rapidement à l’état gazeux pendant l’été. À tout le moins, ce que les chercheurs savent, c’est que l’abondance en méthane est plus 2 forte qu’ailleurs dans cette zone. Cette molécule se transforme en éléments 3 plus complexes dans l’atmosphère.

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L’ŒIL BLEU DE LA BALEINE

Surnommée “la baleine” puis “Cthulhu Regio”, une large zone sombre marque l’équateur de Pluton. “Je trouve cette région particulièrement intéressante”, souligne Cathy Olkin. “On y voit des cratères avec des structures blanches et d’autres sombres. L’un de mes collègues a surnommé le plus gros d’entre eux ‘l’œil bleu de la Baleine’, plaisante la chercheuse. Ce que l’on peut imaginer, c’est qu’il y a une couche sombre d’hydrocarbures en surface, et que l’impact a dévoilé la glace située en dessous. Je suis très curieuse de savoir ce que montreront les spectres.” Ce qui frappe également, c’est la densité de cratères dans cette zone. Elle est ancienne. Probablement plusieurs milliards d’années. Nous avons interrogé de nombreux chercheurs sur ce point, mais aucun ne se risque encore à avancer une datation. Il faudra compter les cratères, mais le résultat sera approximatif. “Déjà connaître le taux de bombardement vers Jupiter et Saturne est difficile. Le seul étalonnage que l’on ait, c’est la Lune. Alors pour Pluton…” ironise le géologue français Pierre Thomas.

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DES FAILLES DE 500 KM

“Dans cette partie sombre, on voit des structures linéaires. Elles ont peut-être une origine géologique. Il peut s’agir de failles”, avance Cathy Olkin lors d’un décryptage à chaud. Ces quatre formations sont assez espacées les unes des autres. Elles sont visibles à la fois sur des terrains sombres et clairs, et toutes orientées sur un axe est-ouest. La plus longue d’entre elles au nord fait 500 km. Sur la Lune, de telles structures sont soit des failles d’effondrement suite à un mouvement de terrain (grabens), soit des tunnels de lave dont le plafond s’est effondré après le retrait de la lave. Avec plus de recul, Pierre Thomas, de l’ENS de Lyon, tente de trancher : “Ici, les failles me semblent parfois trop arquées pour qu’il s’agisse de grabens, mais pas assez sinueuses pour des tunnels effondrés. S’il fallait choisir entre les deux, je pencherais plutôt pour le graben”. Sans qu’il y ait de tecto4 nique, la formation de graben reste possible : lorsqu’une planète se refroidit, des contraintes se créent dans le manteau et peuvent faire apparaître de telles structures.

4

U N TERRAIN TRÈS ACCIDENTÉ

Vues de loin, les zones les plus claires de Pluton dessinaient une belle forme de cœur propice au buzz sur la Toile. Mais plus la sonde New Horizons s’est approchée, et plus le cœur s’est ouvert et complexifié. “Il y a un ventricule droit et un ventricule gauche bien distincts”, s’est amusé le géologue William McKinnon en présentant l’image à la presse. En fait, dans la partie gauche, il y a du monoxyde de carbone au moins en surface. À droite, le bleu pourrait être lié à la présence de glace d’eau. Le “ventricule droit” n’a pas été observé en haute résolution, mais la zone apparaît particulièrement chaotique, et plus encore la zone située juste à droite avec des failles profondes, probablement de plusieurs milliers de mètres. “Les grosses structures visibles peuvent dater du tout début de l’histoire de Pluton, lorsqu’elle était encore active dans les premières centaines de millions d’années”, estime Sébastien Rodriguez, planétologue au laboratoire AIM du CEA. Notamment en se refroidissant, la surface de Pluton a subi une contraction capable de former de tels reliefs.

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Cas unique dans le Système solaire, Pluton a une calotte glaciaire située à l’équateur ; elle est surnommée Tombaugh Regio*. Le reste de la planète est également glacé mais cette zone est dépourvue de cratère. Elle est donc jeune (moins de 100 millions d’années). Est-ce un hasard si Charon est dans l’exacte direction opposée ? Comme pour la Lune, les masses ne sont pas réparties uniformément dans Pluton, et il y a peut-être un excès d’éléments plus légers de ce côté-là (et donc de glace).

© Nasa/JHUALP/SRI

*Pour en savoir plus sur les noms informels de Pluton : www.cieletespace.fr/node/18737/

1

Sputnik Planum Tombaugh Regio

Krun Regio 4

Sputnik Planum

3

Hillary Montes 2

Norgay Montes Cthulhu Regio

28


DES GLACIERS D’AZOTE

2

La découverte de montagnes hautes de 3 500 m sur Pluton est totalement inattendue. “La glace d’azote n’est pas suffisamment rigide pour former des structures aussi grosses, explique le planétologue Richard Binzel. On peut imaginer des montagnes faites de glace d’eau à la base et recouverte de glace d’azote.” Sur une très longue période de temps, les variations de température saisonnières pourraient former de tels reliefs. “On a l’impression que les glaciers érodent les flancs des montagnes. On dirait des nunataks”, commente le planétologue François Forget. Les nunataks sont des montagnes émergeant des inlandsis. Ci-dessous à gauche ceux de la côte est du Groenland.

DES GEYSERS ?

4

DES POLYGONES DÉBATTUS

Une grande partie de Tombaugh Regio est couverte de structures polygonales plus ou moins régulières. “Quand j’ai vu ça, j’ai tout de suite pensé au réseau hexagonal de fractures à la surface de l’ancien lac de lave Kilauea à Hawaï ; en étant conscient de la différence de taille et de nature”, lance le planétologue Pierre Thomas. Il s’agirait d’un processus lent de convection. Mais personne ne sait quelle serait la source de chaleur. Ces structures peuvent aussi se former sous l’effet de chocs thermiques par variations saisonnières. Il y a de tels polygones sur les sols gelés de Mars (image de gauche) ou de la Terre. De la matière sombre a pu remonter d’en dessous, ou bien être mise au jour par la sublimation de la glace. © Nasa/MSSS

© Nasa/JHUALP/SRI

“Ces traînées sombres semblent être alignées. Elles ont pu être causées par le vent à la surface de Pluton”, avance le géologue Jeff Moore en rendant publique cette image le 17 juillet. “Ces structures font penser aux traces de panaches de Triton (image de gauche)”, poursuit-il. Certains chercheurs estiment même qu’il pourrait y avoir de l’azote liquide sous la surface de Pluton en raison de la pression des glaces. “Mais comme pour Triton, on peut aussi supposer plus simplement que la lumière passe à travers la glace par endroits et réchauffe l’intérieur. Ce serait suffisant pour former des geysers et faire remonter de la matière organique sombre située sous la glace”, propose Sébastien Rodriguez. © Nasa/JPL

© Nasa/JHUALP/SRI

© Nasa/EO

© Nasa/JHUALP/SRI

© Nasa/EO

“Découvrir que Pluton est géologiquement active, c’est un rêve qui devient réalité”, s’est enthousiasmé le géologue William McKinnon, lorsqu’il a dévoilé cette image. “On voit des flux de glace visqueuse, similaires aux glaciers sur Terre. La différence majeure, c’est qu’ils ne sont pas faits d’eau.” L’eau est trop rigide à si basse température. “En revanche, les glaces de méthane, de monoxyde de carbone et d’azote restent molles”, précise le chercheur. L’azote prédomine en surface à 98 % en moyenne. On voit les glaciers avancer sur un terrain ancien, et notamment dans un cratère érodé. La comparaison à gauche avec l’écoulement du glacier Chapman au Canada est éloquente.

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DES MONTAGNES ÉNIGMATIQUES

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© Nasa/JHUALP/SRI

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DES SATELLITES D’UNE COMPLEXITÉ INSOUPÇONNÉE

A

Photos : © Nasa/JHUALP/SRI

vant même de survoler Pluton, New Horizons a soldé l’inventaire de ses satellites. Ils sont cinq, pas un de plus. “J’ai été très surpris. Je pensais que l’on pouvait encore en trouver d’autres”, regrette John Spencer, responsable du volet géophysique de la mission. En effet, Charon est connu depuis 1978, mais les autres satellites ont été débusqués sur le tard avec Hubble : en 2005 pour Nyx et Hydra, et en 2011 et 2012 pour Kerbeos et Styx. Mais qu’importe, les satellites réservaient d’autres surprises lors du survol. En particulier, Charon. Les astronomes espéraient pouvoir évaluer l’âge de Pluton en prenant la surface de son plus gros satellite comme référence. Avant de présenter la vue globale détaillée de Charon le 15 juillet, Cathy Olkin prévient l’assistance : “Je pensais voir un terrain ancien, couvert de cratères.” Le satellite est supposé inerte, sans atmosphère, avec une surface figée depuis des milliards d’années. Si New Horizons a bien confirmé

l’absence d’atmosphère, il a aussi montré une surface qui était loin d’être cratérisée uniformément ! “En voyant cette image, nous avons été soufflés. Nous étions excités : “Regarde là, et là, c’est incroyable !”, témoigne Cathy Olkin. Une partie de la surface semble avoir été recyclée. “Peut-être qu’elle a été active récemment”, avance la chercheuse. Les planétologues peinent à imaginer quelle serait la source de chaleur interne de Charon. Il est moitié plus petit et 9 fois moins massif que Pluton ! Le débat ne fait que commencer pour expliquer l’impensable. “On peut voir aussi une falaise longue de 1 000 km, qui s’est peut-être formée avec des processus internes”, décrit Cathy Olkin. La zone la plus étonnante est située au sud de cette ligne. La surface est assez lisse. Le gros plan envoyé par New Horizons ressemble à s’y méprendre au fond d’une mer lunaire. On y voit des failles et des cratères isolés, gravés dans une plaine d’aspect lisse. “En

Pluton et Charon forment une planète double car leur centre de masse est situé à l’extérieur de Pluton. Ils sont si proches qu’il n’y aurait même pas la place de mettre deux Terre entre eux. Les forces de marées ont verrouillé leur rotation : ils se présentent perpétuellement la même face. Comme la Lune, Charon s’est probablement formé suite à une collision entre Pluton et un autre corps. Ci-contre : Pluton, Charon, Nix et Hydra à la même échelle.

Pluton 2 370 km

Charon 1207 km

19 570 km

30


New Horizons a permis de connaître la taille des satellites Nix (à gauche) et Hydra : 42 x 36 km et 55 x 40 km. Nix est vu en fausses couleurs. La zone rouge est un cratère à confirmer avec plus de données. Sur Hydra, vu en noir et blanc, on distingue trois ou quatre cratères. Les images de Styx et de Kerbeos seront reçues sur Terre mi-octobre.

remontant un peu plus haut, à 2 h environ, on distingue un canyon de 6 à 10 km de profondeur. C’est fascinant ! Il y en a également un sur l’autre face. Il fait de 5 km de profondeur”, ajoute Cathy Olkin. Mais ce n’est pas tout, le pôle Nord est très sombre. “Nous avons informellement nommée cette zone Mordor” (1), s’amuse Cathy Olkin. La chercheuse pense que le pôle a capté une partie de l’atmosphère de Pluton. Cette région est plus froide une partie de l’année plutonienne. Elle reste donc plongée dans la nuit pendant des dizaines d’années, créant ainsi un point froid propice à la condensation. Le reste de la planète est de teinte neutre en lumière naturelle. Mais en forçant la saturation, Charon devient bleu. “C’est lié à la présence de glace d’eau”, explique Cathy Olkin. Voilà un point commun avec le petit satellite Hydra. L’image la plus résolue a été présentée par Hal Weaver, directeur scientifique de New Horizons. “Il a une réflecti-

vité de 45 %, intermédiaire entre celle de Charon et celle de Pluton. Il est composé en majorité de glace d’eau, c’est la seule façon pour qu’il soit aussi brillant… et c’est plutôt cool”, s’est réjoui le chercheur. Finalement, dans le système de Pluton, on trouve des molécules organiques complexes, de l’eau en abondance et de l’azote. À croire que le qualificatif de “terre mise au congélateur” attribué à Titan irait encore mieux à Pluton et ses satellites ! Ces découvertes font la passerelle avec la mission Rosetta, car les comètes ont apporté vers la Terre des matériaux issus de ce royaume des glaces, situé au-delà de Neptune. Jean-Luc Dauvergne

(1) La nomenclature officielle autorise l’utilisation des noms liés au voyage et à l’exploration dans la fiction pour nommer la surface de Charon. On retrouve ainsi Kirk, Alice et Skywalker. La carte complète est sur notre site : http://www.cieletespace.fr/node/18737

L’instrument Ralph met en évidence en fausses couleurs les composés à la surface de Pluton et de Charon. En bleu, l’eau ; en jaune, l’azote mêlé à du méthane au niveau du pôle, et à du monoxyde de carbone sur Tombaugh Regio. Les zones rouges sur les deux corps sont probablement des hydrocarbures complexes issus de l’atmosphère de Pluton.

Cette vue globale de Charon montre une surface complexe. Le seul zoom de qualité disponible montre un terrain lisse avec des failles comme sur les mers lunaires. À droite, un zoom sur Rimae Hyginus sur la Lune, avec un tunnel de lave en bas, et des grabens en haut.

Nix 42 km

Hydra 55 km

48 695 km 64 700 km 543 |  31


regard sur l’actualité

andré brahic

UNE PÉRIODE MERVEILLEUSE

A

vec le survol de Pluton par la sonde américaine géantes et leurs satellites. J’ai aussi le bonheur d’apparNew Horizons, et la visite de la comète Churyumov- tenir à l’équipe d’imagerie de la sonde Cassini qui tourne Gerasimenko au moment de son passage au péri- autour de Saturne depuis 2004 et jusqu’en 2017. Faire hélie par le vaisseau européen Rosetta, l’année 2015 partie des premiers humains à admirer de près Uranus, correspond à l’accomplissement du “Grand Tour” du Neptune, Encelade, Triton et les quatre familles d’anSystème solaire. Ce projet ambitieux des années 1960, neaux est une émotion que seuls les premiers exploabandonné pour des raisons budgétaires, aura finalement rateurs européens ont éprouvé en découvrant de été réalisé cinquante ans plus tard. Planètes, satellites, nouveaux continents avec toutefois une énorme difanneaux, naines, comètes, astéroïdes de la ceinture prin- férence : ils ont souvent payé de leur vie leur aventure cipale et de celle d’Edgeworth-Kuiper auront tous été visités unique. Nos seuls désagréments consistaient à supporpour connaître notre environnement et comprendre son ter l’air conditionné et la nourriture industrielle de nos importance pour nous, habitants de la Terre. amis américains. Cette exploration n’avait évidemment Tels de modernes Christophe Colomb partis à la pas pour seul but de satisfaire une poignée d’astronomes découverte de terres inconnues, nous avons franchi une professionnels. Son intérêt est multiple aussi bien sur les nouvelle frontière, celle de l’espace. Nous vivons une plans économiques que culturel ou scientifique. époque extraordinaire de notre histoire qui restera dans L’argent donné aux industriels pour construire des les mémoires, celle où l’homme commence à mettre le composants d’une fiabilité à toute épreuve les fait propied hors de son berceau. Des astres qui n’étaient pour gresser. En effet, il n’existe aucun garage spatial. Toute nos ancêtres que des points de lumière dans le ciel sont panne même mineure entraînerait la fin de la mission. devenus des mondes à part entière et ils nous apprennent La rupture d’une simple soudure, facile à réparer sur beaucoup sur notre propre Terre. Loin des neurasthé- Terre, serait catastrophique sur un vaisseau d’exploraniques dont le fonds de commerce est de décrire “la crise”, tion. C’est ce lien étroit entre industriels et scientifiques notre époque correspond à un tournant de l’histoire et à qui permet aux deux de progresser. des mutations sans précédent. La recherche, la science, En nous révélant la diversité des astres du Système l’éducation et la culture sont les clefs de notre futur. solaire et les phénomènes qui s’y déroulent, cette exploDepuis le début de l’ère spatiale, plus d’une centaine ration contribue à diffuser la connaissance et à propager de robots ont quitté la Terre pour visiter notre environ- la culture. Elle passionne nombre de jeunes et de moins nement. Les États-Unis, l’Union soviétique, l’Europe et jeunes. Elle nous encourage à ne pas nous replier sur le Japon ont été les premiers acteurs de cette exploration. nous-mêmes et elle nous donne l’envie d’aller toujours D’autres pays sont en train de rejoindre le club des puis- plus loin. Elle intervient opportunément à un moment sances spatiales. Entre le survol de Vénus par la sonde où certains, des astrologues aux fondamentalistes reliMariner 2 en 1962 et le passage de Voyager 2 près de gieux en passant par ceux qui rejettent la science, proNeptune en 1989, les huit planètes ont été atteintes en pagent l’obscurantisme si mortifère pour notre société. moins d’une génération. En 1986, cinq sondes approNotre perception du Système solaire a totalement chaient la comète de Halley et trente ans plus tard une changé. Il suffit de lire les livres de Camille Flammarion vingtaine de petits corps (comètes et astéroïdes) et de de la fin de XIXe siècle, d’admirer les dessins de Lucien planètes naines (Cérès et Pluton) avaient été visités. Rudaux du milieu du XXe siècle et de consulter des cours J’ai eu la chance de participer à cette aventure en universitaires des années 1960 pour réaliser combien particulier comme membre de l’équipe d’imagerie des nous avons progressé. Les découvertes sont multiples. Il sondes Voyager, qui nous ont dévoilé les quatre planètes est hors de question ici de les citer toutes. La totalité de

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ce numéro ne suffirait pas à les énumérer. La leçon de ces grosses, plus ou moins denses ou plus ou moins chaudes, cinquante dernières années d’exploration peut se résu- il est possible de mieux comprendre le rôle de chaque facmer en deux mots : richesse et diversité. La variété règne teur physique tel que la taille, la masse ou la température. en maître d’un astre à l’autre. L’ensemble des observa- Des phénomènes météorologiques terrestres ont ainsi été tions constitue maintenant un trésor pour l’humanité et mieux compris grâce à des observations des atmosphères sera utilisé par plusieurs générations. de Mars et de Titan. Au moment des interrogations sur Nous avons compris que Vénus est un véritable enfer notre climat et sur l’influence d’un effet de serre imporbien différent de la Terre même si les deux planètes ont tant, il n’est pas inutile d’étudier l’évolution passée du clipu être considérées comme jumelles à une certaine mat sur Vénus et sur Mars. Dans le premier cas, la planète époque. Autrement dit, des conditions initiales proches est devenue un enfer avec l’emballement de l’effet de serre. peuvent conduire à des configurations finales bien éloi- Dans le second cas, un climat doux et humide, initialegnées l’une de l’autre. Nous savons que les Martiens ment favorable à l’apparition de la vie, a disparu dès que verts des romans de science-fiction n’existent pas. Nous l’effet de serre s’est éteint avec l’évaporation d’une grande sommes maintenant persuadés que de l’eau liquide partie de l’atmosphère primitive. Cette planète est devea coulé dans le passé sur Mars et nous nous deman- nue inhabitable à sa surface. dons si la vie y a démarré un jour avant de disparaître Par ailleurs, l’économie de demain ne se limitera pas ou bien si quelques poches abritant une vie martienne à la Terre. Des matières premières seront récupérées dans auraient pu subsister de nos jours. Nous avons compris l’espace, telles que le fer ou le nickel sur certains astéroïdes que seule la Terre abrite une vie macroscopique. Les ou encore des isotopes de l’hélium sur la Lune ou d’autres plus grandes surprises proviennent de l’environnement satellites. Il est souhaitable que les astres du Système des planètes géantes avec la découverte de multiples vol- solaire, tout comme l’Antarctique, restent la propriété de cans actifs sur Io et celle des geysers sur Encelade et sur toute l’humanité et non pas d’un pays ou d’un autre. Triton. La découverte d’immenses mers souterraines Dire que nous avons accompli ce premier Grand Tour sur Europe, Ganymède, Callisto, Titan et Triton nous fait ne signifie pas que nous devrions mettre un point final complètement reconsidérer les possibilités d’apparition à cette aventure. Loin d’être terminée, elle ne fait que de la vie. En effet, on retrouve en ces endroits de l’eau commencer. D’innombrables scientifiques ont parcouru liquide, de l’énergie et une chimie du carbone complexe. la Terre depuis des siècles, des centaines de satellites ont Autrement dit, les conditions nécessaires à la présence été lancés pour mieux connaître notre planète et nous de vie règnent sur ces terres lointaines. Il faut vite y sommes loin d’avoir tout compris. Vénus et Mars ont retourner pour voir si elles sont complètement arides reçu, chacune, la visite d’une quarantaine de vaisseaux ou bien si elles abritent quelques micro-organismes. La terrestres et nous n’avons pas répondu à toutes les quescomplexité des anneaux planétaires autour des quatre tions que l’existence de ces planètes soulève. Nombre planètes géantes nous a émerveillés et beaucoup sur- de cibles, qui n’ont été approchées que par une ou deux pris. Elle nous fait complètement reconsidérer les phé- sondes, attendent leur tour. Autrement dit, si nous nomènes dynamiques à l’œuvre dans ces anneaux et voulons vraiment bien connaître nos voisins, il nous progresser dans la compréhension des mécanismes faudra des millénaires. Explorer en détail les astres du d’accrétion et de fragmentation, si importants pour Système solaire ne suffira pas. La découverte de planètes comprendre la formation des planètes. Nous consta- extrasolaires nous donne l’envie d’aller encore plus loin. tons que nombre de corps astronomiques, initialement Les vertus de la science et de l’exploration sont considérés comme géologiquement morts, avaient en multiples, nous ne pouvons que souhaiter que notre fait connu à leur surface une activité récente à l’échelle enthousiasme ne faiblisse pas et rêver de ce que sera astronomique. Le dernier exemple nous est donné par l’exploration de demain : l’Univers nous attend ! les plaines dénuées de cratères à la surface de Pluton. Contrairement aux esprits chagrins qui se demandent pourquoi on dépense tant d’argent pour aller dans l’esAndré Brahic est astrophysicien au Commissariat à pace alors qu’il y a tant de problèmes sur Terre, l’explol’énergie atomique. Spécialiste des planètes, ration spatiale nous permet de mieux la connaître. Une il a participé aux missions Voyager et Cassini. nouvelle discipline est née : la planétologie comparée. En En 1984, il a découvert les anneaux de Neptune. © A. Poilleux/C&E Photos comparant la Terre à d’autres planètes plus ou moins 543 |

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Photomontage : M2/ESO/C&E Photos

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L’HOMME SUR MARS À QUEL PRIX ? Envoyer des astronautes sur Mars est à la fois risqué et difficile. Horriblement cher, aussi. Les adversaires d’une telle aventure l’estiment à 1 500 milliards de dollars. Ses partisans, à 6 milliards seulement. Qui a raison ?

O

© Ch. Lamontagne/COSMOS

n ignore encore quand l’homme posera le pied sur la planète rouge. De même que la nationalité des membres d’équipage, la durée du voyage ou le contenu de la mission. Mais on peut être sûr d’au moins deux choses. Que le monde entier suivra avec passion cet exploit, le plus extraordinaire que l’espèce humaine aura jamais réalisé. Et que toute cette aventure coûtera cher. Très, très cher. Et pour cause. Il s’agit d’une des odyssées les plus risquées que l’on puisse imaginer. “Parmi les buts possibles [pour

543 |

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l’exploration spatiale], le plus lointain et difficile est l’atterrissage d’êtres humains à la surface de Mars, qui nécessite de surmonter des risques techniques, financiers et des défis programmatiques sans précédent”. C’est ce qu’écrivait voici un an le National Research Council (NRC), instance scientifique américaine reconnue, dans un rapport officiel réalisé à la demande du Congrès. Dans une lettre au magazine américain Space News, deux spécialistes ont récemment enfoncé le clou : “Chacun des systèmes [d’un futur vaisseau martien] doit fonctionner sans réapprovisionnement pendant toute la durée de la mission et, cela, avec une fiabilité plusieurs fois supérieure à celle de la station spatiale internationale”, écrivent Paul Spudis, géologue spécialiste de la Lune, et Glenn Smith, ancien patron de l’ingénierie de la navette. Les scénarios à la Apollo 13 sont donc exclus. En avril 1970, les astro-

COÛTS DES GRANDS PROGRAMMES SPATIAUX AMÉRICAINS en milliards de dollars 2008 APOLLO

NAVETTE SPATIALE

ISS

200 150

185 165

100

Période de Période de financement financement

1959 - 1973 1971 - 2013

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freiner à l’aide de puissantes rétrofusées.” La méthode a bien été employée avec succès en 2012, mais avec un rover, Curiosity, qui ne pesait que 900 kg. “Le voyage d’astronautes vers Mars présente des difficultés gigantesques. La Lune, à côté, c’était un voyage d’agrément”, estime Richard Heidmann. Alors parlons gros sous. Des développements aussi innovants et risqués entraîneront des dépenses sans précédent. Combien, au juste ? Le plus récent rapport sur le sujet, celui du NRC (1), donne un ordre de grandeur. Selon les nombreux et éminents auteurs, il faudra débourser l’équivalent de “75 à 150 missions robots phares (en supposant un coût moyen de 1 à 2 milliards de dollars chacune)”. Ou encore “deux à quatre fois l’investissement des États-Unis dans la station spatiale internationale, qui se monte à 150 milliards de dollars, en incluant les coûts de lancement”. Soit, au total, 100

COÛT ESTIMÉ DU VOYAGE VERS MARS SELON LES SCÉNARIOS

SATELLITE D’ESPIONNAGE AMÉRICAIN

PORTE-AVION NUCLÉAIRE

2,5

4

200 CENTRALE EPR DE FLAMANVILLE

105

50 0

nautes Jim Lovell, Ken Mattingly et Fred Haise avaient dû attendre leur retour sur Terre trois jours plus tard pour être sauvés. Leur vaisseau en partance pour la Lune avait été endommagé par l’explosion d’un réservoir d’oxygène. Mais un voyage vers Mars aller-retour prendra au moins deux ans, sans possibilité de faire demi-tour en cours de route. En cas d’avarie, les astronautes ne pourront compter que sur eux-mêmes. Le rapport pointe également le besoin de “systèmes d’entrée dans l’atmosphère, de descente et d’atterrissage afin de poser des charges utiles d’envergure sur Mars”. C’est là le plus épineux problème, estime Richard Heidmann, ancien ingénieur en propulsion spatiale : “On ne sait tout simplement pas comment poser un vaisseau de plusieurs dizaines de tonnes sur le sol martien. L’atmosphère est trop ténue pour employer des parachutes. Il faudra se

Période de financement

1985 - 2016

milliards de dollars

milliards d’euros

8,5 milliards d’euros


à 600 milliards de dollars. Pire encore, selon Paul Spudis et Glenn Smith, les deux auteurs de la lettre à Space News, il faudra racler les fonds de tiroir avec les ongles. Selon leurs calculs, la facture se montera à 1 500 milliards de dollars pour l’envoi de neuf équipages successifs, comme le programme Apollo. Une somme énorme. Ce qui pose un léger problème : personne sur Terre n’est aujourd’hui en mesure d’investir des sommes aussi colossales pour voir marcher quelques astronautes sur la planète rouge. Le fait est connu depuis 1989. À cette époque-là, George Bush père, alors président des États-Unis, lance un nouveau programme d’exploration spatiale, la Space Exploration Initiative. Il s’agit rien moins que de placer une station sur orbite (la future station spatiale internationale), de construire une base lunaire et de permettre à quelques êtres humains de

fouler le sol de Mars. Afin de donner à cette annonce le plus grand retentissement, Bush senior s’entoure de tous les symboles possibles. Il la fait le 20 juillet 1989, vingt ans jour pour jour après l’alunissage de la mission Apollo 11, sur les marches du célèbre musée national de l’Air et de l’Espace, à Washington, des vétérans de renom à ses côtés. Mais cela ne suffit pas. L’étude de coût de la Nasa conclut trois mois plus tard qu’il faudra débourser pas moins de 500 milliards de dollars de l’époque — ce serait bien plus aujourd’hui — pour réaliser l’ensemble du programme. Vent debout contre le faramineux projet, les élus démocrates le font capoter lors de son passage au Congrès. Bush junior retiendra la leçon. En 2004, il présente des objectifs bien moins ambitieux que ceux de son père. Sa Vision for Space Exploration se contente de prévoir l’installation d’une

à 1 500 RETOURNER SUR LA LUNE (SELON LES SCÉNARIOS)

base permanente habitée sur la Lune. Un tel objectif pourrait être atteint en augmentant le budget annuel de la Nasa d’un seul petit milliard de dollars, estime le nouveau président. Autant dire pratiquement rien. Alors, certes, le projet est voté au Congrès. Mais il fait une victime au passage : le programme martien, qui est renvoyé aux calendes grecques. Faut-il donc renoncer à Mars en raison de ses coûts exorbitants ? Certainement pas, répondent les partisans de l’aventure, rassemblés au sein d’associations comme la Mars Society ou Explore Mars. D’abord, “Paul Spudis n’est pas crédible avec ses 1 500 milliards de dollars”, s’étrangle un amoureux de la planète rouge, car il défend de longue date un projet de retour de l’homme sur la Lune. Et peut être soupçonné de vouloir torpiller le programme concurrent. Ensuite, il existe un moyen de réduire

Budget annuel du Cnes

milliards de dollars

PRÊTS CONSENTIS À LA GRÈCE DEPUIS 2010

CUMUL DES PLACEMENTS DU LIVRET A

2,12

milliards d’euros Budget annuel de l’ESA

4,43 milliards d’euros

de 10 à 100 260 260 3,2 milliards de dollars

543 |

milliards d’euros

milliards d’euros

17,46 milliards de dollars

Chiffre d’affaires de milliards l’astrologie et des d’euros sciences divinatoires 39

Infographie C&E - © images DR

Budget annuel de la Nasa


En attendant le grand voyage vers la planète rouge, les agences spatiales et les promoteurs de cette destination multiplient, sur notre bonne vieille terre, les tests humains et matériels. Autant pour entretenir le rêve que pour dresser la liste des difficultés à résoudre. © Nasa

les coûts, à condition de bouleverser l’ordre des priorités : “Il faut prendre pour premier critère l’affordability”, c’est-à-dire le caractère financièrement abordable du projet, insiste Richard Heidmann. Cet ardent militant des voyages habités vers la planète rouge, fondateur de l’association Planète Mars, branche française de la Mars Society, suggère que les agences spatiales créent un pot commun. Elles dépenseraient ensemble 10 milliards de dollars chaque année, dont 7 milliards aux seuls États-Unis — une somme raisonnable — “et en quinze ans, vous êtes sur Mars !” Plus for t encore, il y a Bas Lansdorp. Voici trois ans, cet ingénieur néerlandais spécialiste d’énergie éolienne a lancé le projet fou 40

d’envoyer quatre hommes et femmes vers la planète Mars en 2024 pour y établir une colonie. Sans vaisseau pour revenir sur Terre. Les explorateurs partant pour cette destination lointaine seraient donc assurés d’y rester… dans tous les sens du terme. À défaut d’être éthique, le projet présente l’avantage d’être particulièrement économique. Se passant des moyens nécessaires au retour des explorateurs, il est chiffré par son créateur à 6 milliards de dollars seulement. Autant dire rien du tout. Mais il y a un hic. Une équipe de scientifiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology) s’est penchée sur les détails du projet voici quelques mois. Pour s’apercevoir que les cultures de plantes nécessaires à

la production de nourriture produiraient trop d’oxygène, entraînant un danger d’incendie. Que les procédés d’extraction de glace dans le sol afin de produire l’eau de boisson n’existent encore que sur le papier. Ou qu’il faudrait tirer non pas six, mais quinze fusées Falcon Heavy pour envoyer sur Mars l’équipement nécessaire à la survie des intrépides explorateurs. Bref, le projet n’est “pas réalisable” dans sa forme actuelle. Et coûterait bien plus cher qu’annoncé. Alors combien coûte Mars exactement ? “Le problème est que plus un projet est innovant, plus les incertitudes qui pèsent sur son coût final sont élevées”, explique Michel Van Pelt, ingénieur coût à l’Agence spatiale européenne. Le James Webb Space Telescope en est


Mission “Flag and footprint” de quelques jours ou exploration scientifique plus longue, l’ambition du premier voyage martien conditionnera son coût

un bon exemple. En 2000, la Nasa prévoit qu’il coûtera 1 milliard de dollars. Après des aléas techniques et des difficultés managériales, le successeur du télescope spatial Hubble voit son étiquette-prix exploser. En 2011, il est entendu qu’il faudra débourser presque neuf fois plus d’argent que prévu, soit 8,8 milliards de dollars. “En tant qu’ingénieur coût, mon job est de limiter ces dérives. Mais on ne peut les exclure. Sinon, on ne se lancerait que dans les projets qu’on a déjà réalisés et on ne progresserait plus”, analyse Michel Van Pelt. Tout de même, un voyage habité vers Mars penche-t-il du côté des 6 milliards de dollars de Mars One ou des 1500 milliards de Paul Spudis et Glenn Smith ? “La question est mal posée, tranche François Spiero, responsable des vols habités au Cnes, l’agence française de l’espace. Donnez-moi d’abord votre profil de mission, car tout dépend du scénario envisagé.” Les coûts ne sont pas les mêmes s’il s’agit d’une mission “Flag and footprint” (drapeau et empreinte de pas) laissant les explorateurs à la surface de Mars quelques jours, ou d’une mission plus ambitieuse sur le plan scientifique, leur laissant le loisir d’y demeurer plusieurs mois. Le nombre de membres d’équipage, qui peut aller de trois à sept (un chiffre impair est recommandé pour que se dégage une majorité en cas de vote), constitue également un facteur de coût important. Sera-t-on capable de recycler les déchets de tous ordres, notamment 543 |

l’air vicié, l’eau salie, les fluides et matières corporelles, ou faudra-t-il emporter tous les consommables, sachant que tout ce qui alourdit une mission spatiale se paie en monnaie sonnante et trébuchante ? De même, voyagera-t-on avec les ergols (carburants) ou les fabriquera-t-on sur place avec les ressources naturelles disponibles ? Un super-lanceur unique sera-t-il développé envoyant d’un coup le vaisseau spatial vers Mars ou celui-ci sera-t-il assemblé sur orbite basse terrestre au moyen de lancements multiples avant de s’envoler pour la planète rouge ? Emploierat-on la propulsion chimique, qui a le mérite d’être maîtrisée, ou mettra-t-on au point un système de propulsion nucléaire, théoriquement plus efficace ? “Si on jongle avec l’ensemble de ces paramètres, on parvient à des coûts se chiffrant en centaines de milliards de dollars, explique François Spiero. Mais je suis incapable de vous dire s’il faudra en dépenser 200 ou 1000.” L’ensemble des grandes agences spatiales a à cœur de faire avancer la question d’un vol habité vers Mars. Le Cnes, la Nasa, les agences européennes, r usse, japonaise, chinoise, etc., se réunissent régulièrement au sein d’une structure commune, l’ISECG (International Space Exploration Coordination Group), pour en discuter et établir une feuille de route. D’étude de coût, il n’a pas été encore question au sein de l’ISECG. “Chacun a pporte sa pier re pour

construire un projet commun, explique François Spiero, qui y représente le Cnes : les uns fourniront le lanceur, les autres, le support-vie, d’autres encore, les habitats, chacun assumant ses propres dépenses.” Façon habile de ne pas aborder la question épineuse de l’argent. “Au fond, peu importe si le ticket final coûte 200 ou 1 000 milliards de dollars, justifie François Spiero. C’est comme si on se demandait si la surface de l’étoile vers laquelle on se dirige est à 1 ou 10 millions de degrés : quelle que soit la température, on est certain de se brûler.” Un chiffre précis, accompagné d’un scénario détaillé, provenant d’un acteur crédible, pourrait toutefois être rendu public dans les semaines qui viennent. Elon Musk, le bouillonnant patron de Space X, société qui a réussi à réduire drastiquement les coûts d’accès à l’espace avec ses lanceurs Falcon, réfléchit à une mission habitée vers Mars. Elle emploierait un superlanceur unique bien plus puissant que la Saturne 5 des missions Apollo, propulsé par un moteur-fusée innovant brûlant un mélange de méthane et d’oxygène — ce qui n’a jamais été réalisé. Avec ces fondamentaux, Mars pourrait être conquise en l’espace de dix ans. Elon Musk a promis de révéler tous les détails du projet avant fin 2015. Quel sera le prix affiché ? Les paris sont ouverts. Paul de Brem

(1) Intitulé “Pathways to Exploration – Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration”, disponible en ligne.

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le dessous des cartes

pierre lagrange

Le voyage vers Mars, la fin du géocentrisme et la pensée écologique

P

ourquoi voulons-nous tant aller sur Mars ? France. Comme au temps des canaux, Mars impresCertes tout le monde ne souhaite pas entre- sionne celui qui le contemple de loin. Une fois au sol, prendre le voyage. Est-ce donc pour cela que ce désert révèle des lits de fleuves asséchés, des collines nous n’avons toujours pas décollé ? Tout le monde ne sculptées par les eaux. S’il y a eu de l’eau, il y a eu, il voulait pas non plus aller sur la Lune. Il n’empêche y a peut-être encore, de la vie. Sans parler du “visage” que… Donc reposons la question : pourquoi alors que de la plaine de Cydonia qui pour beaucoup semblait nous en parlons tant, n’avons-nous toujours pas fait déplacer sur Mars le mythe de l’Atlantide. le voyage ? Selon les prévisions des années 1960, on Maintenant que nous avons quelques bonnes devrait déjà être installé sur la planète rouge, depuis raisons d’y aller, pourquoi n’avons-nous toujours pas un bon moment. fait le grand saut ? Il y a un “je ne sais quoi” qui semble Prenons les questions dans l’ordre. Pourquoi rendre le voyage martien infaisable. Certes, les condivouloir y aller ? Parce que Mars est à part. De tous les tions ont bien changé depuis l’optimisme un peu paraastres qui peuplent notre ciel, Mars est incontesta- doxal, car teinté de guerre froide, des années 1950 et blement celui qui a généré (avec la Lune, on l’oublie 1960. Et notamment la crise écologique ! aujourd’hui) et continue de générer un imaginaire Mais il y a peut-être autre chose, comme une d’une puissance exceptionnelle. Il suffit de pronon- opération intellectuelle et physique que nous ne cer le nom de cette planète pour susciter réactions parvenons pas à faire. En effet, non seulement nous et commentaires. Mars c’est, immédiatement, les ne parvenons pas à entreprendre le voyage mais on Martiens, les canaux, La guerre des mondes, John Carter, constate que sur le plan de l’imaginaire, non plus. Le les soucoupes volantes, Orson Welles, Ray Bradbury, cinéma, auquel rien ne résiste plus, a multiplié les etc. Bien sûr, dans les années soixante, les sondes invasions martiennes mais n’a toujours pas réussi à Mariner et Viking ont, dans un premier temps, calmé nous transporter sur Mars. Nous allons dans d’autres quelque peu cet élan imaginaire. “Mars c’est ça !” titrait, galaxies, à bord du Nostromo, sur Pandora, etc., mais avec déception, Paris Match en 1976 sous l’une des pas sur Mars. Certes la conquête spatiale au cinéma a premières photos de ce sol désertique à perte de vue parfois, comme avec Avatar, des arrière-goûts de décoenvoyées par la sonde Viking, après avoir spéculé la lonisation et de crise écologique. On va sur Pandora semaine précédente sur l’existence de palais martiens. mais surtout on en revient, chassé par les “indiMais à peine cette déception encaissée et l’imaginaire gènes” ! Mars serait dépourvu de leçon à tirer ? Il y a martien repartait, rebondissait même, de plus belle. peut-être autre chose. D’abord parce que Mars donne l’impression d’avoir été La raison pour laquelle il est peut-être plus facile créé pour nos regards de visiteurs, pour être vu du ciel : de sauter directement de la Lune aux autres étoiles un canyon qui balafre sa surface sur plus de 6 000 km et galaxies tient sans doute au fait que, malgré tout de long ; un volcan de plus de 27 km de haut couvrant ce que nous affirmons, nous ne sommes toujours pas une superficie grande comme les deux tiers de la coperniciens. Avant d’aller plus loin, ouvrons une

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parenthèse. Depuis plusieurs siècles, nous pensons, perdre la Terre de vue, mais nous devrons accepter grâce à Copernic, avoir changé radicalement de point de la perdre de vue pour longtemps et donc de nous de vue sur notre place dans l’Univers. Dans les faits, forger de nouveaux repères. L’organisme devra faire c’est un peu plus compliqué : la Terre avant Copernic la conversion à mesure que la Terre disparaîtra du était non pas au centre mais au fond de l’Univers, ce champ de vision ! Bien sûr, les sondes envoyées vers qui n’est pas tout à fait pareil, et l’Univers de Copernic Mars ont fait l’expérience, mais nous n’avons jamais était toujours fermé. Admettons, pour l’exercice, le suivi leur voyage en temps réel. Comme pour la Lune, mythe copernicien ! Sommes-nous vraiment coper- il a fallu qu’un homme fasse le déplacement pour que niciens ? Certes nous ne cessons de l’affirmer, et nous prenions conscience, grâce à de l’empathie que d’en vouloir à ceux qui ne le seraient toujours pas nous éprouvions à son égard, du décalage. Au cours (un tiers des Français selon un sondage du début des longs mois durant desquels nous devrons nous des années 1980). Mais il suffit de passer une soirée montrer capables d’éprouver de l’empathie pour les dans un club d’astronomie et d’utiliser une carte du voyageurs martiens et de mobiliser des ressources ciel pour constater qu’il est toujours beaucoup plus pour nous bâtir un autre cadre, nous commencerons pratique d’être précopernicien. Nous continuons à vraiment saisir cette idée que la Terre n’est qu’une de regarder le ciel depuis la Terre. Résultat, dans le planète parmi d’autres. Comme il y a des chances cosmos de notre expérience quotidienne le ciel, le pour que nous soyons alors connectés aux voyageurs Soleil, la Lune et les planètes tournent toujours comme nous le sommes dans certains jeux vidéo, autour de notre planète ! En allant sur la Lune, la l’exercice sera total. Souvenons-nous d’Apollo 8 et de Terre commence elle-même à tourner, mais on en sa célèbre photo du lever de Terre depuis la Lune qui revient avant d’avoir vraiment eu le temps de réali- a tant fait pour nous familiariser avec cette idée que ser. En allant dans les galaxies, le ciel n’est plus du la Terre est une planète et non pas une collection de tout le même et la question n’a plus de sens. C’est nationalités. Elle restait tout de même à portée de en allant sur Mars que nous payons le prix de ce fusée et la realpolitik n’était pas bien loin. Mars, c’est que signifie être copernicien, car nous avons six ou une “autre paire de manches”. Nous ne pourrons neuf mois pour réellement perdre tous nos repères prétendre commencer à comprendre ce qu’implique géocentriques et pour nous contraindre à nous en l’idée d’occuper un cosmos non géocentré que le jour forger de nouveaux qui prennent en compte le même où la Terre n’occupera effectivement plus le centre. ciel avec, détail important, la Terre en moins. Certes, Dans la foulée, l’exercice aura sans doute une nous regardons de moins en moins le ciel réel et de autre conséquence : nous faire prendre conscience plus en plus de ciels de papier ou sur écran ; et nous de la place tout à fait unique, au sens darwinien, de passons donc constamment de ciels géocentriques à la Terre et du fait que le gaspillage écologique auquel des ciels héliocentriques. Mais dans les faits, la plupart nous nous livrons risque de la faire disparaître pour d’entre nous n’effectuent jamais le travail de traduc- de bon. Une Terre devenue absente tout en étant la tion nécessaire pour passer d’un ciel géocentrique à seule à être capable de nous offrir un cadre vivable. un ciel héliocentrique. Seuls ceux qui sont entraînés, L’écologie ne cesse de nos jours de faire des progrès habitués aux conversions mentales et graphiques mais ceux qui connaissent les chiffres remarquent entre le ciel de l’expérience quotidienne ou des plani- que notre prise de conscience est bien trop lente par ciels et celui de l’astronomie héliocentrique, savent rapport à nos comportements anti-écologiques qui ont vraiment ce que cela implique. Mais ils sont peu mis en branle, depuis le XIXe siècle, la bombe à retardenombreux et cela n’est guère utile dans la vie de tous ment climatique. En nous contraignant à perdre vrailes jours (n’oublions pas que Sherlock Holmes, ce ment de vue la Terre, le voyage martien va-t-il nous génie, se fichait pas mal de l’astronomie !). rendre enfin responsables ? Avec le voyage vers Mars, tout change. Pendant neuf mois, nous passons peu à peu d’un cadre Pierre Lagrange enseigne l’anthropologie à l’École supérieure d’art d’Avignon. géocentrique à un cadre qui, sans être héliocentrique, Il est l’auteur de Sur Mars, guide nous décale totalement par rapport à nos percepdu touriste spatial, EDP Sciences, 2003. tions. Non seulement nous devrons accepter de DR 543 |  43


L’amas de galaxies de Coma, vu en champ large à gauche et au centre, n’est pas très lointain : 323 millions d’années-lumière. Pourtant, en se concentrant sur une petite portion de 6’ de côté, le télescope Subaru (8,2 m) y a décelé plusieurs galaxies peu brillantes, car très pauvres en étoiles (à droite). © Nasa/ESA/HHT/C&E Photos - © Nasa/ESA - © NAOJ

GALAXIES EXTRÊMES DANS L’AMAS DE COMA Une équipe d’astronomes vient de débusquer près d’un millier de galaxies peu communes, nichées au cœur de l’amas de Coma. Ces objets ultradiffus témoignent de violentes interactions au sein d’un environnement confiné.

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C

’est ce que l’on appelle une pêche fructueuse. En dépouillant des données d’archive du télescope Subaru, à Hawaï, une équipe d’astronomes vient de mettre la main sur une fourmilière de près d’un millier de galaxies pas comme les autres. Nichées au centre de l’amas de Coma, à 323 millions d’années-lumière de la Terre, elles présentent une structure extrêmement diffuse, certaines aussi vastes que la Voie lactée, mais contenant… 1000 fois moins d’étoiles ! Comment de tels objets exotiques ontils pu s’amasser en si grand nombre dans une région confinée ? Au fil de

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leur enquête, les scientifiques sont parvenus à mettre en lumière les violentes interactions à l’œuvre au sein des amas de galaxies, ainsi que le rôle prédominant de la matière noire. C’est à l’aide du télescope japonais Subaru de 8,2 m de diamètre, perché sur le Mauna Kea, que l’équipe de Jin Koda (université de Stony Brooke, États-Unis) a pu mettre la main sur ces étranges spécimens, blottis au sein de l’amas de Coma dans un espace confiné sur 20 millions d’annéeslumière de diamètre. Ainsi, 40 % de ces galaxies atteignent la taille de la Voie lactée, avec un rayon effectif (1)

supérieur à 5 000 années-lumière. En revanche, leur masse stellaire moyenne ne dépasse pas la masse de 500 millions de soleils. Soit… 1 000 fois moins que notre galaxie ! Placés à égale distance de la galaxie d’Andromède, ces objets apparaissent comme des nuages diffus, sortes de brouillards difficiles à découper sur la toile céleste. C’est pourquoi les astronomes ont mis si longtemps à débusquer ces galaxies ultradiffuses, dans un amas pourtant scruté en détail depuis les années 1950. En réalité, une petite fraction de ces structures, 57 exactement, ont été observées dès novembre 45


2014 par l’équipe de Pieter Van Dokkum, de l’université Yale, à l’aide du petit télescope Dragonfly. Cet objectif photo de 14 cm, formé d’un réseau de plusieurs lentilles, est en service depuis 2013 au Nouveau-Mexique (ÉtatsUnis). Il est conçu pour observer, dans le domaine visible, les surfaces faiblement lumineuses de galaxies proches. “Cependant, à cette distance, les galaxies de Coma apparaissent relativement petites sur nos images”, précise Roberto Abraham, de l’université de Toronto, concepteur du dispositif expérimental. C’est donc grâce à l’œil expérimenté de Pieter Van Dokkum, qui a l’idée de diriger le télescope en direction de l’amas, que ces objets nébuleux sont débusqués pour la première fois. “Avant nos résultats, je pense que les astronomes ne parvenaient pas à détecter les enveloppes faiblement lumineuses de ces objets, estime Roberto Abraham. En n’observant que leur noyau, ils les ont sûrement confondus avec des galaxies compactes.” Ces 57 galaxies ont tout pour intriguer. Certaines sont aussi vastes que la Voie lactée, comme c’est le cas de la galaxie la plus étudiée par l’équipe, baptisée Dragonfly 44, mais ne possèdent que 1 % des étoiles de notre galaxie. Par ailleurs, leur localisation au sein de l’amas de Coma est encore incertaine. Il se pourrait que ces galaxies soient en réalité bien plus proches de la Terre et positionnées dans la direction de l’amas. Leur diamètre s’apparenterait alors davantage à celui d’une galaxie naine tout à fait régulière (2). Donc, beaucoup moins exotiques. Ces résultats éveillent la curiosité de Jin Koda, qui décide de braquer son attention dans cette direction du ciel. “Environ la moitié de la zone observée par le groupe de Pieter avait déjà été examinée avec le télescope Subaru, pour d’autres raisons scientifiques, raconte 46

l’astronome. Personne n’avait regardé cette population particulière de galaxies.” Son équipe entreprend alors d’éplucher les archives du télescope japonais. “Nous savions que les données de Subaru seraient de bien meilleure qualité que celles présentées par Pieter Van Dokkum, mais nous ne nous attendions pas à découvrir autant de galaxies de ce type !” précise Jin Koda. Mieux : les analyses montrent une distribution symétrique des galaxies au sein de l’amas, avec une nette concentration en son centre, confirmant non seulement qu’elles appartiennent bien à la structure, mais qu’elles en sont des membres très anciens ! “Imaginez un matelas au milieu duquel vous déposez une grosse boule de pétanque, explique Alessandro Boselli, spécialiste de la formation des galaxies au laboratoire d’astrophysique de Marseille. Les petites billes que vous placez à la périphérie finiront par tomber vers le centre avec le temps”. Par ailleurs, la population stellaire de ces galaxies semble en moyenne assez âgée, comme le montre leur couleur rougeoyante. Pour comprendre les caractéristiques particulières de ces objets, il faut revenir aux mécanismes de formation des galaxies, dont les modèles sont régulièrement ajustés en fonction de la grande diversité de galaxies observées jusqu’à présent. Car ce n’est pas la première fois que les astronomes débusquent des structures diffuses dans notre environnement proche. Si la plupart correspondent à des galaxies naines, telles que Fornax, Leo I, Sculptor, Sextans ou encore Carina, d’autres présentent des profils beaucoup plus extrêmes. À l’image de la galaxie Malin 1, découverte en 1986 à 1,2 milliard d’années-lumière du Soleil, dans la constellation de la Chevelure de Bérénice, d’un diamètre de 650 000 années-lumière, soit envi-

ron 6 fois plus étendue que la Voie lactée ! Ou encore UGC 628, d’une surface similaire à notre galaxie hôte, mais beaucoup plus sombre. “Le point de départ tient sur cette observation empirique que plus une galaxie est diffuse, plus sa proportion de matière noire est importante”, précise Françoise Combes, astrophysicienne membre de l’Académie des sciences et professeure au Collège de France. Estimée à partir des vitesses de rotation des étoiles et des galaxies au sein des amas, cette source de matière hypothétique, par définition invisible, composerait la majeure partie des galaxies de l’Univers, répartie dans des halos sphériques englobant le disque galactique et lui conférant sa stabilité. “La matière noire joue un rôle majeur dans la formation des galaxies, confirme Alessandro Boselli. Dans nos modèles cosmologiques, on forme d’abord ces halos de matière noire, capables d’attirer les gaz et de déclencher des formations d’étoiles.” Selon ces modèles, qui prédisent l’évolution de la distribution de la matière dans l’Univers, la matière noire tend à s’amasser en halos de petite taille, formant de nombreuses galaxies naines. “À leur naissance, ces petites galaxies sont les plus riches de l’Univers en gaz”, précise Alessandro Boselli. Si les astronomes observent d’importantes quantités de matière noire autour des galaxies diffuses, cela signifie que soit ces dernières ont perdu beaucoup de matière visible au cours de leur histoire, soit des phénomènes astrophysiques ont empêché le gaz interne de former des étoiles. Ou encore, une combinaison des deux processus. La première hypothèse, qui s’applique principalement aux galaxies naines, fait appel au rôle crucial des supernovae dans la formation d’étoiles. Ces explosions d’astres en fin de vie permettent de répartir le gaz


Le télescope Subaru est l’un des plus gros du monde. Il est situé au sommet du volcan Mauna Kea, sur l’île d’Hawaï. © NAOJ

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au sein du disque galactique, fournissant du carburant pour enclencher de nouvelles naissances stellaires. Or, pour certaines galaxies de petite taille, la quantité de matière noire n’est pas suffisante pour retenir le gaz éparpillé lors de l’explosion des premières étoiles au sein du disque, les privant ainsi de combustible pour relancer la machine stellaire. Dépeuplées de leurs étoiles, sombres et dif fuses, ces galaxies conservent en revanche une grande proportion de matière noire. Pour les galaxies plus grandes, le gaz interne aurait été perturbé au moment de la réionisation, époque correspondant à un rayonnement intense du milieu interstellaire, provoqué par l’illumination des toutes premières générations d’étoiles, considérées comme très massives. Le gaz au sein des galaxies situées à proximité ne se serait pas refroidi suffisamment pour s’accumuler dans les halos de matière noire et déclencher la machine stellaire, d’où leur aspect diffus. Dans cette grande diversité de mécanismes de formation, où se situe le cas extrême des galaxies ultradiffuses débusquées au centre de l’amas de Coma ? À cette question, les scientifiques peinent à trouver un consensus. Selon Richard Massey, de l’Institute for Computational Cosmology à l’université de Durham, “ces bulbes flous semblent représenter une toute nouvelle classe d’objets, bien différents des galaxies telles que nous les connaissons”. Pour le théoricien, les mécanismes conduisant les galaxies naines à perdre de grandes quantités de matière ne peuvent s’appliquer pour ces grandes galaxies. Cependant, comme le rappelle Alessandro Boselli, “la taille est une définition un peu floue. Une dimension angulaire n’est pas forcément représentative de la masse d’une galaxie. La masse stellaire peut-être déterminée à 47


La galaxie spirale NGC 4911 apartient aussi à l’amas de Coma. Elle est entourée de courants d’étoiles que seuls des clichés à long temps de pose comme celui-ci peuvent mettre en évidence. © Nasa/ESA/ C&E Photos

partir de la luminosité et de la couleur, mais la masse dynamique nécessite de la spectroscopie à haute résolution qu’il est difficile d’obtenir pour ce type d’objet à faible brillance surfacique”. Dif ficile, dans ces conditions, de savoir à quel type de galaxies, massives, ordinaires ou petites, ces galaxies ultradiffuses correspondent. Greg Stinson, du Max Planck Institute (Allemagne), réduit alors la question à deux options : “Soit ces galaxies résultent de mécanismes de formation spécifiques à l’environnement de l’amas, soit elles sont le produit de processus de formation plus généraux, et nous les voyons du fait que les observateurs ont regardé dans cette direction, faussant les statistiques.” En effet, si de telles galaxies ultradiffuses étaient aussi communes que ce qui est observé dans l’amas de Coma, il en existerait… 100 000 dans un rayon de 330 millions d’années-lumière. Or, ce n’est pas ce que nous voyons autour de nous ! Mais pour détecter des objets aussi diffus, les astronomes doivent combiner deux difficultés : celle de régler leurs instruments sur des objets faiblement lumineux, tout en conservant un champ très large. 48

“Ce qui frappe ici, ce n’est pas la nature des galaxies, mais leur nombre dans un espace si restreint”, souligne Françoise Combes. Ainsi, l’environnement fortement perturbé de l’amas serait propice à produire ce type de galaxies diffuses. Il existe en effet deux grandes sources d’interaction dans ces espaces confinés. La première concerne l’interaction gravitationnelle à forte composante d’effets de marées. “La seconde implique le contact du gaz présent à l’intérieur d’une galaxie avec le gaz interstellaire au sein de l’amas, indique Alessandro Boselli. Ils réagissent comme n’importe quel mélange de gaz froid dans un gaz chaud : on assiste à une évaporation thermique. Un peu comme les cheveux longs d’une fille à moto sont soulevés par l’effet du vent.” En pénétrant dans ces zones galactiques denses, les interactions gravitationnelles arrachent par effets de marées le gaz interne des nouvelles arrivantes, qui est expulsé ensuite de l’amas par son interaction avec le gaz interstellaire. Amputées d’une bonne partie de leur carburant, ces galaxies ne parviennent non seulement plus à former de nouvelles étoiles, mais elles deviennent même incapables de retenir les enveloppes gazeuses éjectées

lors de l’explosion de ses plus vieux astres en supernovae. La combinaison de ces phénomènes leur conférerait cet aspect diffus extrême. “Nous pensons que si ces galaxies ultradiffuses ont survécu dans l’amas, c’est grâce à l’importante quantité de matière noire qu’elles contiennent”, note Jin Koda. Pour confirmer cette hypothèse, les astronomes vont devoir mener des mesures spectroscopiques plus poussées. “Dans un premier temps, nous souhaitons connaître l’abondance en métal de ces galaxies, qui nous en dira davantage sur l’histoire de la formation des étoiles qui les composent”, explique le chercheur. Des mesures spectroscopiques encore plus précises permettraient d’estimer le mouvement des étoiles les unes par rapport aux autres. “Ces mesures de cinématique interne nous renseigneront sur la masse totale d’une galaxie, donc la quantité de matière noire qu’elle renferme”. Raphaël Chevrier (1) Le rayon effectif d’une galaxie correspond au rayon à l’intérieur duquel la moitié de la luminosité totale du système est émise. (2) Les galaxies naines sont des petites galaxies composées d’environ 10 milliards d’étoiles — à comparer aux quelque 200 à 400 milliards d’étoiles de notre propre galaxie, la Voie lactée.


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EXOPLANÈTES

L’EXTRAVAGANTE PLURALITÉ DES MONDES 811

Nombre de planètes découvertes par année (au 15 juillet 2015)

190 154

182

3

1

6

8

11

33 29 19 13 30 27 31

60 61

83

63

1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

© J. Swanepoel

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Vingt ans après leur première découverte, les astronomes en sont convaincus : les exoplanètes pullulent dans la Galaxie. Géantes ou minuscules, torrides ou glacées, plus denses que le plomb ou plus légères que l’eau, à quoi ressemblent-elles ? Et surtout : la découverte d’une “Terre 2.0” viendra-t-elle un jour briser notre solitude cosmique ?

“E

n voilà bien assez pour un homme qui n’est jamais sorti de son Tourbillon !” L’érudit Bernard Le Bouyer de Fontenelle aurait été bien aise d’être transporté à notre époque, un peu de plus de trois siècles après la publication de ses Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). Il aurait pu répondre aux questions qu’il s’y posait : “Les étoiles fixes sont autant de Soleils, notre Soleil est le centre d’un Tourbillon qui tourne autour de lui, pourquoi chaque étoile fixe ne serait-elle pas aussi le centre d’un Tourbillon qui aurait un mouvement autour d’elle ? Notre Soleil a des planètes qu’il éclaire, pourquoi chaque étoile fixe n’en aurait-elle pas aussi qu’elle éclairerait ?” Surtout, aux assauts de sa délicieuse interlocutrice, la pertinente et vive marquise de G*** (“Ne faut-il pas pourtant que les Mondes, malgré cette égalité, diffèrent en mille choses, car un fond de ressemblance ne laisse pas de porter des différences infinies ?”), il aurait pu répliquer avec plus d’assurance que ses devinettes. “Que sais-je ? Un Tourbillon a plus de planètes qui tournent autour de son Soleil, un autre en a moins. Dans l’un il y a des planètes subalternes, qui tournent autour des planètes plus grandes, dans l’autre il n’y en a point. Ici, elle sont toutes ramassées autour de leur Soleil, et font comme un petit peloton, au-delà duquel s’étend un grand espace vide […], ailleurs elles prennent leur cours vers les extrémités du Tourbillon, et laissent le milieu vide. […] Enfin, que voudriez-vous ?” Nous savons aujourd’hui que les étoiles sont en effet d’autres soleils et que les systèmes planétaires pullulent dans le ciel comme des confettis. Les astronomes estiment la population d’exoplanètes de notre seule galaxie à plusieurs centaines de milliards (dont peut-être une bonne moitié hors des systèmes planétaires !). Et près de 2 000 ont déjà été dénom-

brées depuis 1995, date qui marque, avec la découverte de 51 Pegasi b par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz à l’observatoire de Haute-Provence, le véritable coup d’envoi de la recherche sur les planètes extrasolaires (1). “Parce qu’elles sont les plus faciles à détecter, on a beaucoup parlé des ‘Jupiter chaudes’ comme 51 Peg b. Mais elles ne comptent sans doute que pour 1 % des exoplanètes”, souligne Michel Mayor (lire aussi son interview p. 58). Fontenelle n’aurait sans doute pas pu concevoir ces astres, comparables à notre géante gazeuse mais qui tournent en quelques jours autour de leur étoile et sont portés à plus de 1 000 °C. Il aurait encore moins pu s’imaginer que ces planètes ont migré sur des centaines de millions de kilomètres avant d’arriver là. Ou que certaines tournent à rebours de leur étoile… “Certaines Jupiter chaudes ont une orbite très inclinée, comme celle de certaines comètes. Lorsque l’inclinaison est de 90°, la planète passe au-dessus des pôles de son étoile. Lorsqu’elle atteint 180°, elle tourne dans son plan équatorial, mais à l’envers”, confie Guillaume Hébrard, de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP). En 2008, il a été le premier avec ses collègues à annoncer la découverte d’une planète inclinée, XO-3d. “Depuis, on a découvert une trentaine d’autres cas, dont une dizaine qui tourne dans le sens inverse de leur étoile.” Qu’est-ce qui explique des orbites aussi bizarres ? “Il y a plusieurs scénarios et, à vrai dire, on n’est même pas sûr que c’est la planète qui change de plan de révolution. Il est possible que ce soit l’étoile qui bascule !” répond l’astrophysicien. Une chose semble certaine, ces configurations sont liées à des interactions dynamiques avec un autre objet : disque de gaz aujourd’hui disparu,


52 Les super-Terre possèdent-elles des océans ? En mars 2015, Laura Schaefer et Dimitar Sasselov publient une étude sur la question. Le résultat est contrasté : selon le modèle théorique choisi, les planètes de plus de 2 masses terrestres commencent leur vie comme des planètesocéans, puis s’assèchent en 6 milliards d’années. Ou, au contraire, sont sèches au départ pour finir couverte d’eau à 35 % ! Seules les planètes de 1 à 2 masses terrestres conservent une surface océanique raisonnable tout au long de leur vie. © D. Durda/C&E Photos

planète éjectée, étoile proche… “On pense que 30 à 60 % des Jupiter chaudes sont des planètes inclinées”, estime le chercheur. Au plus près des étoiles, les astronomes découvrent aussi d’étranges planètes rocheuses. C’est le satellite français Corot qui, en 2008, ouvre le bal avec une planète de 1,7 rayon terrestre dont la masse est mesurée l’année suivante. Corot-7 b, première planète solide jamais découverte, est un monde de lave à 2 500 °C qui fait le tour de son étoile en seulement 20 heures. Il y pleut peut-être des gouttes de pierre ! À mesure que d’autres tombent dans les filets des astronomes, une hypothèse surgit. Et si ces planètes étaient des cadavres d’anciennes Jupiter chaudes, dépecées par le souffle de leur étoile ? Après tout, c’est ce qui arrive à la planète géante HD 209458 b dans la constellation de Pégase. Les planètes chtoniennes, du nom de ces divinités grecques associées au monde souterrain et aux Enfers, viennent de naître. “Leur origine reste quand même sujette à caution. Il pourrait aussi s’agir de planètes nées rocheuses, tout simplement, comme on commence à en découvrir partout”, tempère Franck Selsis, du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. Tandis que leurs moyens s’améliorent, les observateurs accèdent en effet à des corps de plus en plus petits, proches des gabarits de Vénus ou la Terre. “Entre 1990 et 2015, nous avons divisé la masse minimale que nous sommes capables de mesurer par 3 000”, se félicite Michel Mayor. Kepler-68 c, dans la constellation du Cygne (où observe le satellite américain Kepler, découvreur d’environ 1 000 planètes, plus 5 000 à confirmer), ne fait que 91 % de la taille de la Terre et pèse entre 1,8 et 7,8 masses terrestres. Kepler-138 b, elle, ne fait que 6 % de la masse de la Terre et est moitié plus petite. C’est une “Mars extrasolaire” ! Toutes deux, et des centaines d’autres, tournent dans ces “petits pelotons” qu’imaginaient Fontenelle et sa marquise : des systèmes planétaires compacts, qui pourraient entièrement tenir dans l’orbite de Mercure. Plus étrange encore, Kepler-138b tourne en plus autour d’une naine rouge. Moitié moins massives et moitié moins grandes que le Soleil (et parfois plus chétives encore), ces étoiles représentent les trois quarts de la population de la Galaxie. C’est l’une des nom-

breuses surprises de ces vingt dernières années : la plupart des exoplanètes ne sont pas en orbite autour d’étoiles semblables au Soleil (2). Autre surprise de taille, la découverte des super-Terre. En 2005, l’instrument Hires installé sur le télescope Keck à Hawaï détecte la première planète d’une masse supérieure à la Terre mais inférieure à celle d’Uranus ou de Neptune. Avec ses 7,5 masses terrestres (ramenées à 5,4 depuis), Gliese 876 d est une variété de planètes qui n’a pas d’équivalent dans le Système solaire… Mais le véritable coup de théâtre a lieu en 2009, lorsque Gliese 1214 b devient la première super-Terre dont la masse et la taille sont mesurées : avec ses 2,7 rayons terrestres et ses 6,3 masses terrestres, sa densité est de seulement 1,7 g/cm3 (contre 5,5 g/cm3 pour la Terre) ! Ne s’agit-il pas plutôt d’une “mini-Neptune” ? Trois modèles de structure interne reproduisent en fait ses caractéristiques. Aujourd’hui encore, nous ne savons pas si Gliese 1214 b est une planète de fer et de roches enveloppée dans une atmosphère massive d’hydrogène, un cœur de glaces et de roches dans du gaz, ou… une “planète-océan” nimbée de vapeur. C’est que la géophysique exoplanétaire n’en est qu’à ses balbutiements ! Dans le carnaval des exoplanètes, aucune de ces hypothèses n’est interdite. “La composition chimique primordiale des disques où se forment les planètes peut être très différente d’une étoile à une autre”, souligne enfin Franck Selsis. On observe déjà que les planètes géantes accompagnent plus souvent des étoiles enrichies en éléments “lourds” (carbone, oxygène, azote, fer, etc.) que les autres. “On peut aussi envisager le cas où l’abondance primordiale du carbone dans un disque est supérieure à celle de l’oxygène. Là, on ne forme plus des roches [des silicates, où l’oxygène s’associe au silicium, NDLR], mais tout autre chose… Par exemple du carbure de silicium, qui est une céramique”, reprend le chercheur. Voilà des mondes bien étranges à imaginer… Si étranges, à vrai dire, que les astronomes en perdent leur latin. Il leur serait pourtant bien utile, comme à Linné au temps de Fontenelle, pour mettre un peu d’ordre dans leurs découvertes ! Planètes géantes surchauffées, naines rouges

On découvre maintenant des exoplanètes plus petites que la Terre


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UN BESTIAIRE TRÈS VARIÉ

GU Psc b

Taille, masse, distance à leur étoile... Les astronomes savent désormais qu’ils n’ont fait qu’effleurer la variété des exoplanètes. Nous avons représenté ici celles dont la masse est connue (1071) et mis en exergue quelques spécimens emblématiques. Bien d’autres types d’exoplanètes existent sans doute.

Bien qu’étant presque aussi près de son étoile que Mercure, Kepler-186 f se trouve dans la zone habitable de cette naine rouge, qui brille à 4 % de la luminosité solaire. Sa taille similaire à celle de notre planète suggère qu’elle est de type terrestre.

ter re str es

6m ass es

Inconnue / 1,1 RT / 0,356 UA

Moi ns d e

KEPLER-186 F, PRESQUE LA TERRE

P

Masse / Taille / Distance à son étoile MT : masse de la Terre. MJ : masse de Jupiter. RJ : rayon de Jupiter = 11 RT

10 de s lu

r ite up J e sd se s ma

Terre Kepler-186 f Mercure

GJ 1214 B, UNE PLANÈTE OCÉAN ? 6,5 MT / 2,7 RT / 0,014 UA

GJ 1214 b

Classée “super-Terre” lors de sa découverte par transit en 2009, GJ 1214 b n’a probablement rien d’une planète rocheuse. Sa faible masse volumique (1,8 g/cm3) est compatible avec l’hypothèse d’une planète recouverte d’un océan.

0,001 UA 0,01 UA 0,1 UA 1 UA

KEPLER-11 D, PETITE NEPTUNE 7,3 MT / 3,12 RT / 0,159 UA Kepler-11 d appartient à un système de six planètes situé à 2 000 années-lumière du Soleil. Sa taille et sa masse en font une miniNeptune, probablement composée d’hydrogène et d’hélium pour l’essentiel. Elle flotterait sur l’eau.

10 UA

e nèt pla a l 1 000 UA de nce oile a t Dis on ét às 100 UA

Corot 7b

Neptune

COROT-7 B, PLANÈTE DE LAVE

De 6

7,4 MT / 1,7 RT / 0,017 UA Son rayon et sa masse pourraient laisser penser que Corot-7b ressemble à la Terre. Il n’en est rien. Orbitant extrêmement près de son étoile, la première planète rocheuse identifiée est un monde de lave, chauffé à 2 500 °C.

Kepler-11 d

Planète dont la masse et la distance à son étoile sont connues, mais pas la taille.

à3 0m as se st err est res

© O. Hodasava/D. Fossé pour C&E. Source : exoplanet.eu/Mayor et al. 2011


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GU PSC B, SUPER-JUPITER De 0,1 à

11 MJ / 1,35 RJ / 2 000 UA Détectée par imagerie autour d’une naine rouge, elle montre que des planètes bien plus massives que notre Jupiter peuvent exister. Où finit le royaume des planètes, où commence celui des naines brunes ?

10 ma sse sd eJ up ite r

HIP 11915 B, UNE AUTRE JUPITER ? 0,99 MJ / Inconnue / 4,8 UA

HIP 11915 b

Annoncée comme une jumelle de Jupiter tournant autour d’un jumeau du Soleil, HIP 11 915 b pourrait être le premier indice de l’existence d’un système planétaire semblable au nôtre, à 187 annéeslumière de la Terre.

Taille inconnue.

51 PEG B, PREMIÈRE JUPITER CHAUDE

51 Peg b

0,46 MJ / 1,9 RJ / 0,052 UA Moitié moins massive que Jupiter, mais deux fois plus grande, 51 Peg b boucle une révolution en 4 jours et 6 heures ! L’archétype des “Jupiter chaudes” est aussi la première planète découverte autour d’un autre Soleil en 1995.

KEPLER-10 C, SUPER-TERRE 17,2 MT / 2,4 RT / 0,241 UA Super-Terre, voire “méga-Terre”, Kepler-10 c est une planète rocheuse version XXL. Avant sa découverte en juin 2014, les astronomes pensaient qu’une planète solide de cette taille ne pouvait pas exister.

Kepler-10 c Jupiter

En 2015, l’essentiel des exoplanètes dont la masse et le rayon sont connus circulent plus près de leur étoile que la Terre du Soleil. Celles inférieures à 6 masses terrestres ne comptent que pour 6 % du total. Il s’agit d’un biais dû à nos méthodes de détection (voir p. 55). Sur ce schéma, l’échelle des distances à l’étoile est logarithmique et les diamètres des planètes ont été portés à la puissance 1/3.

Plus de 10 MJ 4%

De 0,1 à 10 MJ 12 %

Moins de 6 MT 51 %

De 6 à 30 MT 33 %

1 MJ = 318 MT

La proportion réelle des exoplanètes en fonction de leur masse ressemble probablement à cela. Toutes les études statistiques et les modèles de formation planétaire pointent vers une écrasante majorité de planètes inférieures à quelques masses terrestres.


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Quelques mondes extrasolaires rêvés par des artistes… L’étrangeté de ces paysages, pour marquante qu’elle soit, pourrait encore être bien en deçà de la réalité. Mais nous ne pouvons que l’effleurer : il y a des centaines de milliards de planètes dans la Galaxie ! Illustrations : © Nasa.

cernées de près, mondes de glace sous reposerait que sur la masse et le rayon atmosphère d’hydrogène, planètes- d’une planète (les seuls paramètres dont océans, astres inclinés, boules de lave nous disposions aujourd’hui pour juger sur orbite : pourrait-on classer les de sa composition). On peut en effet ima1 930 planètes extrasolaires découvertes giner des planètes couvrant en continu à ce jour dans des catégories ? “Je pense ces domaines depuis les caractéristiques que nous ne sommes pas au bout de nos sur- de la Terre jusqu’à celle de Jupiter. Idem prises et qu’il est encore trop tôt pour définir pour la température ou l’ensoleillement des catégories arrêtées. Pour le moment, (liés à la nature de l’étoile et à l’orbite de contentons-nous des concepts hérités la planète). “À masse et rayon identique, des planètes du Système solaire, et adap- s’il n’y a pas de différence majeure autre tons-les. On peut même s’appuyer sur les que ces paramètres, il est gênant de faire satellites. Si je vous annonce la découverte des classes sachant qu’ils varient continûd’une super-Io, vous comprendrez immédia- ment.” Par exemple, où commencent et tement de quoi je parle. Après tout, c’est ce où finissent les “Jupiter tièdes” (3) ? qu’on a fait dès la découverte de la première Ces problèmes de frontière se posent planète extrasolaire, une Jupiter chaude !” avec encore plus d’acuité lorsqu’il explique Jérémy Leconte, qui présentait s’agit de définir les exoplanètes ellesses réflexions sur le sujet lors d’un col- mêmes. En juin 2015, les Allemands loque à l’IAP en juillet. Plus fondamen- Artie P. Hatzes et Heike Rauer publient talement, Franck Selsis s’interroge sur un diagramme dans lequel ils tracent la pertinence d’une classification qui ne la densité des astres (planètes, étoiles

ou naines brunes) en fonction de leur masse. Surprise : trois régions se distinguent clairement. En deçà d’un tiers de la masse de Jupiter, les planètes ont des densités variées, qui ne semblent obéir à aucune règle. Les corps plus massifs, jusqu’à 60 masses de Jupiter, obéissent en revanche à une loi très stricte dans laquelle la densité augmente avec la masse. Pour les objets plus massifs encore, la loi s’inverse : lorsque la masse augmente, la densité décroît. Qu’en conclure ? Qu’au-delà de 60 fois la masse de Jupiter, nous entrons clairement dans le domaine de la physique des étoiles. Mais surtout, et plus étonnant, que sous l’angle de la physique, rien ne permet de faire le tri entre des planètes comme Saturne (un tiers de la masse de Jupiter) et des naines brunes comme, disons, Gliese 229 b et ses 20 à 50 masses de Jupiter ! “La définition


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classique qui fait débuter le domaine des naines brunes et cesser celui des planètes à 13 fois la masse de Jupiter, masse au-delà de laquelle s’enclenche la combustion nucléaire du deutérium, est ridicule ! Certaines naines brunes ne brûlent pas de deutérium, et certaines planètes le font”, martelait le théoricien Gilles Chabrier à l’IAP en juillet. Sur quel critère, alors, les distinguer ? Gliese 229b ne pourrait-elle pas être gratifiée du titre de planète ? C’est ce que pensent Hatz es et Rauer. Pour eux, les objets inférieurs à 0,3 fois la masse de Jupiter devraient être appelés “planètes de petite masse” (quelle que soit leur composition), et les corps de 0,3 à 60 masses de Jupiter devraient simplement être nommées “planètes géantes”. Saturne serait ainsi une “planète géante de faible masse” et Gliese 229b une “planète géante de grande masse”. “Ces difficultés montrent

qu’en 2006, on n’en savait pas assez pour graver dans le marbre une définition du mot planète. On s’est d’ailleurs limité à définir ce qu’est une planète dans, et seulement dans, notre Système solaire !” souligne Jérémy Leconte. En 2015, les astronomes ont donc des centaines de milliards de planètes extrasolaires sous les yeux mais ne savent pas exactement ce qu’est une planète… Une chose est sûre, “les exoplanètes sont fondamentalement des aliens. Pratiquement aucune de leurs propriétés n’avait été prédite ou anticipée”, notent les chercheurs américains Greg Laughlin et Jack Lissauer, dans un article de revue publié cette année. Pour Franck Selsis, qui a “l’impression parfois d’être replongé dans les univers de science-fiction de [s]a jeunesse”, c’est la leçon numéro un des vingt années qui viennent de s’écouler. “La question de la pluralité des mondes

ne se pose plus de la même manière. Avant, nous nous demandions autour de quelles étoiles nous trouverions un jour un système solaire. Sous-entendu, comme le nôtre. Aujourd’hui, nous savons que notre situation n’est qu’un exemple dans une immense diversité.” Un îlot de raison dans l’extravagante pluralité des mondes. (1) Les trois premières exoplanètes ont en fait été détectées en 1992 autour d’un pulsar. La présence de planètes autour d’un reste de supernova a paru si incongrue que personne n’y a vraiment cru à l’époque. (2) Il existe aussi des systèmes planétaires géants, par exemple celui de HR 8799, photographié par le télescope Keck (voir p. 64). L’étoile possède quatre planètes de 5 à 7 fois la masse de Jupiter en orbite à 14,5, 24, 38 et 68 fois la distance Terre-Soleil. (3) Il est amusant de noter que Franck Selsis rejoint ici Buffon qui, favorable à l’idée d’une gradation continue entre les êtres vivants, jugeait la classification de Linné arbitraire et inutile.


Michel Mayor, découvreur de la première exoplanète

“Nous ne cherchons pas une Terre, nous en cherchons plusieurs” Sa détection de 51 Peg b, en 1995, ouvre la chasse aux planètes extrasolaires. Vingt ans après, les exoplanètes sont une multitude où Michel Mayor a bon espoir de découvrir des planètes comme la Terre… Et la vie ? © E. Martin/C&E Photos

>E

n 1995, les Suisses Michel Mayor et Didier Queloz repèrent une planète autour d’une étoile semblable à notre Soleil, située dans la constellation de Pégase. Une première permise grâce à leur nouveau spectrographe installé à l’observatoire de HauteProvence (OHP). L’astre, une planète géante tournant tout près de son étoile, constitue un véritable choc conceptuel. Tous les systèmes planétaires ne ressemblent pas forcément au nôtre, loin de là…

En novembre prochain, nous fêterons le 20e anniversaire de votre article annonçant la détection de la planète 51 Pegasi b. Racontez-nous les circonstances exactes de cette découverte. Michel Mayor : Elle s’est faite en deux temps. Les premiers indices de la présence d’une planète autour de l’étoile 51 de Pégase sont apparus en novembre 1994. À cette époque, j’étais en visite à l’université d’Hawaï et c’est mon étudiant en thèse, Didier Queloz, © IAU Infographies : M2

qui faisait les observations avec le nouvel instrument que nous venions d’installer à l’OHP. Ce spectrographe mesurait le va-et-vient d’une étoile provoqué par la perturbation gravitationnelle d’un astre compagnon, avec une précision de 15 m/s. C’était théoriquement suffisant pour découvrir une naine brune en orbite, voire une grosse planète. Depuis avril, nous suivions 142 étoiles semblables au Soleil, sélectionnées par mes soins. Et parmi celles-ci, dix étaient observées plus souvent, surtout afin de mieux comprendre le comportement de notre tout nouvel instrument. Nous avons eu de la chance, car 51 Peg était l’une de ces dix étoiles !

Avez-vous su tout de suite que vous veniez de faire une grande découverte ? Lorsque Didier m’a envoyé ses premières mesures, il était trop tôt pour parler de découverte. Notre spectrographe pouvait nous jouer des tours. L’étoile était peut-être aussi moins calme que je ne le pensais et

son activité pouvait nous tromper. Il nous fallait plus de données, et nous avons donc continué à observer 51 Peg jusqu’à ce qu’elle disparaisse du ciel nocturne, fin février. Nos mesures suggéraient la présence d’un objet de masse comparable à Jupiter tournant en 4 jours autour de son étoile. Comment y croire ? Pour en avoir le cœur net, nous avons décidé de refaire quelques observations dès le retour de Pégase dans le ciel. C’était au début de juillet 1995. Le signal périodique était toujours là. Nous tenions notre planète ! Pour la petite histoire, au même moment se tenait à l’OHP un colloque sur la recherche des exoplanètes. Entendre les gens discuter des méthodes les plus prometteuses, des chances d’aboutir, c’était assez amusant...

Il n’a pas été trop difficile de garder le secret ? Non, nous avons même fêté la découverte sous les arbres de l’OHP, en famille, à la Clairette de Die ! Juillet en Provence, ce n’est pas le pire moment... Bon, c’est vrai que


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à d’éventuels objets proches, sans a priori. Nous avons eu de la chance : mieux qu’une naine brune, c’est une planète qui nous a sauté à la figure.

lorsque mon fils qui avait 18 ans m’a dit : “Je connais le nom de votre planète...”, je me suis demandé avec Didier si on ne devait pas le sacrifier ! [Rires] Garder le secret sur 51 Peg b était indispensable : avec le télescope de 4 m qu’ils utilisaient, les équipes des Américains Geoff Marcy ou Paul Butler l’auraient trouvée tout de suite s’ils avaient pointé dans la bonne direction. Eux cherchaient des planètes depuis des années.

Comment expliquez-vous qu’avec un télescope de seulement 2 m, c’est vous qui avez trouvé la première planète extrasolaire ? En 1994, avec notre tout nouveau spectrographe Élodie, nous étions au même niveau de sensibilité que les Américains. Mais nous avions un petit plus : notre méthode de traitement de données était plus efficace. Avec Didier, nous avions conçu un logiciel qui nous permettait de visualiser les résultats de nos mesures quelques minutes après la fin de la pose sur le télescope. Le but officiel de sa

thèse, c’était d’ailleurs l’amélioration du traitement des données, pas la recherche des exoplanètes. Ça aurait été de la folie d’engager un thésard sur cette voie incertaine, alors qu’on n’avait aucun indice de leur existence ! Toujours est-il que nous allions plus vite et que nous pouvions observer deux fois plus d’étoiles. Autre point crucial : notre stratégie de recherche était plus ouverte que celle de nos concurrents. Marcy, comme tout le monde à cette époque, avait le Système solaire en tête : il cherchait des objets tournant en plusieurs mois, voire plusieurs années autour de leur étoile. Quand nous avons commencé notre programme de recherche, il ne devait pas être très inquiet. Il avait plusieurs années d’avance et mécaniquement, comme il faut que la planète effectue plusieurs tours de son étoile pour qu’on la détecte, il était assuré de les trouver avant nous. Sauf que nous, parce qu’on cherchait aussi des naines brunes dont on ne savait rien, nous nous intéressions aussi

Après l’annonce, comment vos collègues ont-ils réagi ? Une planète de la masse de Jupiter bouclant sa révolution en 4 jours, c’était dur à avaler. Il faut se souvenir que, début 1995 encore, le théoricien Alan Boss écrivait dans Science que la détection des planètes géantes prendrait des années, à cause de leur longue période orbitale ! Les petites planètes, à l’époque, on n’en parlait même pas car elles étaient inaccessibles à nos instruments... Il n’empêche que les théoriciens ont globalement mieux réagi que les observateurs. C’est Alan Boss qui a exhumé le premier de vieux travaux théoriques sur la migration des planètes (qui explique la présence de 51 Peg b si près de son étoile). Les théoriciens nous disaient : “Vous êtes sûr de vos observations ? OK, alors continuez et ne vous préoccupez pas de savoir si c’est plausible ou pas. C’est à nous de trouver l’explication.” Les observateurs, eux, avançaient toutes les raisons de ne pas y croire : les plans orbitaux du Système solaire et de 51 Peg étaient inclinés de façon particulière, ou nous étions victimes d’une anomalie statistique... Geoff Marcy, cependant, m’a envoyé très vite un mail de félicitations après avoir refait les observations. Vous veniez de découvrir la première planète autour d’un autre soleil. Aujourd’hui, nous en connaissons près de 2 000. Qu’avons-nous appris ? D’abord, qu’il y a une grande diversité de planètes. Qui aurait pu


imaginer la foison de super-Terre que l’on trouve dans la Galaxie, ou l’existence de planètes océans ? La découverte de 51 Peg b, si atypique, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille ! Ensuite, nous avons beaucoup progressé dans nos méthodes de détection. Aujourd’hui, avec Harps, le successeur d’Élodie installé sur le télescope de 3,6 m de La Silla, nous atteignons une sensibilité de 0,3 m/s sur la vitesse radiale des étoiles. Peu après sa mise en © IAU Infographies : M2

service en 2003, les planètes sont sorties des données comme des champignons après la pluie, on n’arrivait plus à toutes les suivre ! En 1999, la découverte du premier transit planétaire a aussi joué un rôle énorme. En convainquant les derniers sceptiques de l’existence des planètes extrasolaires, d’abord, et en inaugurant ensuite une nouvelle méthode de recherche et de mesure de la taille des planètes. Notre horizon, désormais, ce sont les planètes semblables à la Terre.

Votre but ultime est donc la découverte d’une planète de la même taille et de la même masse que la Terre, à bonne distance de son étoile pour que de l’eau liquide s’y trouve ? Mais nous ne cherchons pas une Terre, nous en cherchons plusieurs ! Avec Harps, mon collègue Francesco Pepe observe en permanence dix étoiles très brillantes de type solaire autour desquelles on peut espérer trouver des Terre. Le but est de mettre en place un catalogue de petites


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Pour chercher la vie, une planète ne suffit pas. Il nous faut plusieurs cibles potentielles à explorer, afin d’avancer sur la question. © ESO

planètes rocheuses dans la zone habitable de leur étoile, qui pourront servir de cibles pour les futures missions de recherche de vie. Une planète ne suffit pas. Si on n’y trouve aucune signature de vie, que pourrat-on conclure ? Rien. Il nous faut plusieurs planètes potentiellement habitables pour avancer sur le sujet de la vie extraterrestre.

Depuis votre découverte de 51 Peg b, vous êtes constamment en contact avec la communauté des exobiologistes. Quel est votre point de vue sur la possibilité d’une vie ailleurs ? Il faut bien dissocier ce qui relève du sentiment personnel et ce qui relève de la science. Ce que m’a appris le tourbillon médiatique qui a fait suite à la découverte de 51 Peg b, c’est qu’avec ces sujets, nous ne sommes plus dans le cadre de la recherche habituelle ! Si l’on s’en tient aux connaissances scientifiques, la réponse à la question de savoir s’il existe une vie ailleurs est : “On n’en sait rien.” D’un côté, il y a énormément d’endroits où la vie peut apparaître — c’est ce que nous ont appris Harps, le satellite Kepler et les modèles de formation planétaire. De l’autre, nous n’avons aucun moyen de calculer la probabilité d’apparition de la vie sur une planète. Le prix Nobel de médecine Christian de Duve était absolument persuadé que le développement de la chimie qui conduit à la vie est très banal. Pour

lui, la vie est “un impératif cosmique”. Son apparition n’est qu’une question de temps. Mais j’ai aussi discuté avec des grands noms de la biologie qui, inversement, jugeaient les astronomes beaucoup trop enthousiastes sur ce sujet, sachant la complexité effrayante de ce qu’est la vie. Pour eux, la probabilité de développement de la vie, même sur une planète accueillante, était nulle ! On en revient donc au “sentiment personnel”... En ce qui me concerne, je suis assez à l’aise avec l’idée d’une vie extraterrestre. J’aime assez l’idée de Christian de Duve sur l’impératif cosmique. Mais une fois cela dit, il faut le prouver. C’est là que j’en reviens à ma bonne vieille méthode de bûcheron : observer, observer et observer. Ou alors, il faut reproduire la vie en laboratoire. Mais pour le coup, je n’y crois guère.

On peut aussi espérer détecter un signal en provenance d’une civilisation extraterrestre... Oui, mais la probabilité d’y parvenir est si faible ! S’il y a une civilisation extraterrestre suffisamment proche pour que l’on puisse l’entendre, il faut encore qu’elle veuille communiquer. Et si elle le fait, à quelle longueur d’onde faut-il l’écouter ? Les chercheurs de la communauté Seti, qui écoutent le ciel dans l’espoir d’un contact, sont très bons techniquement. Et ils ont un degré de persévérance qui force le respect. Mais je suis sceptique sur leur chance de succès. Il reste que le thème de la vie extraterrestre en général est passionnant. Quand je faisais mes études, c’était bien simple : il y avait la Terre, et puis c’est tout. Aujourd’hui, personne

n’oserait affirmer que la vie ailleurs est impossible, même la vie actuelle, même sur Mars ! C’est un beau sujet de recherche pour les générations futures...

Vous avez reçu de nombreux prix, médailles et autres distinctions depuis vingt ans. Cet été encore, vous avez reçu le prix Tycho Brahé de l’European Astronomical Society, la médaille d’or de la Royal Astronomical Society et le prix Kyoto de la Fondation Inamori. Il ne vous manque que le prix Nobel ? C’est vrai, je ne peux pas dire que je sois en manque de reconnaissance ! J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet. Vous connaissez ces médailles que l’on donne aux enfants lorsqu’ils passent un niveau au ski ? En général, ça leur fait très plaisir. Eh bien, ma petite-fille, quand elle avait 5 ans, a boudé la sienne. Quand sa monitrice lui a demandé pourquoi, elle a répondu : “Grand-papa, il en a de plus belles.” [Rires] Plus sérieusement, je serais évidemment très heureux et très fier de recevoir le prix Nobel. Mais honnêtement je ne l’attends pas et je pense que ce serait une erreur énorme de vivre en y pensant. Vous savez, je connais une personne qui est tombée malade de ne pas l’avoir ! Et puis il ne faut pas oublier qu’il se fait des choses extraordinaires dans les laboratoires du monde entier. Si l’on recensait tous les nobélisables en physique, on réaliserait qu’il y a au moins un millier de personnes qui le méritent en ce moment. Alors pourquoi moi ? Propos recueillis par David Fossé

Nous remercions l’hôtel Prince de Conti (75006 Paris) de nous avoir accueillis pour cette interview.


37

62

UN ARBRE QUI PORTE SES FRUITS

MTerre

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Panorama des méthodes de détection des planètes extrasolaires

623

10MTerre

ctée déte

DEPUIS LE SOL

DEPUIS L’ESPACE

37 Planètes flottantes

MJupiter PHOTOMÉTRIQUE

1

10 MJupiter RADIO

604

ASTROMÉTRIQUE

OPTIQUE ASTROMÉTRIE Voir colonne de droite

MICROLENTILLE

VITESSE RADIALE

GRAVITATIONNELLE

Voir colonne de droite

4 Étoiles binaires à éclipses

Sous-naine

VARIATION DE DURÉE DE TRANSIT

8 1 Naines blanches

Pulsars millisecondes

5

Pulsars lents

Cette méthode est liée à celle des transits. Lorsque la durée d’un transit planétaire varie, c’est parce que le mouvement de la planète qui obscurcit son étoile est perturbé par une autre planète. Ce qui la trahit.

CHRONOMÉTRAGE Tout astre émettant un signal régulier peut servir à détecter une planète. Lorsque son rythme d’émission semble osciller, c’est probablement qu’une planète perturbe son mouvement. Les deux premières exoplanètes ont été découvertes ainsi, autour d’un pulsar.

La masse courbe l’espace, comme l’avait compris Einstein dès 1916. Conséquence : un trajet lumineux qui passe à proximité d’une étoile est dévié. La présence d’une planète en orbite provoque un effet spécifique. Voir colonne de droite

DYNAMIQUE Cette famille de méthodes tire parti des faibles perturbations gravitationnelles périodiques qu’exerce une planète sur le mouvement de son étoile (ou sur d’autres planètes, dans le cas de la variation des transits). La mesure de ces oscillations permet d’estimer la masse d’une planète.

MÉTHODES DE DÉTECTION

© Infographies : O.Hodasava pour C&E - Adapté de Michael Perryman (2015) - Chiffres : www.exoplanet.eu


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VITESSE RADIALE

En juillet 2015

1930 exoplanètes

DEPUIS L’ESPACE

Étoile

Soumise à l’influence gravitationnelle de sa planète, une étoile décrit un petit cercle. Lorsque le plan de l’orbite planétaire est vu de profil, le mouvement de l’étoile se traduit par un va-et-vient qui provoque alternativement rougissement et bleuissement de son éclat apparent.

Coronographie, interférométrie

59

Planète

ASTROMÉTRIE

DEPUIS LE SOL

1270

Avec optique adaptative

IMAGERIE

Étoile

SATELLITES DE PLANÈTES

La photographie semble la façon la plus évidente de découvrir une planète. Mais c’est la plus difficile, à cause de la différence d’éclat entre une planète et une étoile. Cependant, les progrès dans ce domaine sont rapides.

Un satellite perturbe légèrement la trajectoire de sa planète. On repère ainsi sa présence lorsque la planète passe devant son étoile.

Planète

996

Lorsque le plan de l’orbite planétaire est vu de face, on peut directement observer le mouvement circulaire (infime) que la planète provoque sur son étoile.

DEPUIS L’ESPACE MICROLENTILLE GRAVITATIONNELLE

TRANSIT

Planète

Voir colonne de droite

PHOTOMÉTRIE Toutes les méthodes consistant à capter la lumière d’une étoile ou de sa planète relèvent de la photométrie (mesure de la lumière).

215

DEPUIS LE SOL

Ponctuellement, certaines observations peuvent révéler des planètes : observations de sillons dans les disques de débris qui entourent les jeunes étoiles, mais aussi émission X des planètes elles-mêmes, émission radio, etc.

Étoile

Étoile d’arrière-plan

Une étoile qui passe devant une autre dévie les rayons lumineux de celle-ci et les focalise, d’où une brève augmentation d’éclat. Ce sursaut est plus intense lorsque l’étoile d’avant-plan possède une planète.

LUMIÈRE RÉFLÉCHIE par la planète

DIVERS

Terre

Disques de débris

TRANSIT Étoile

Capacité actuelle… … et d’ici dix à vingt ans

Planète

En passant devant son étoile, une planète en diminue légèrement l’éclat. Cette méthode permet de mesurer la taille d’une exoplanète.


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la décennie décisive À l’aube de la 2000e exoplanète découverte, les astronomes rêvent désormais de sonder ces autres mondes. Quelle est leur composition ? Comment sont-ils apparus ? Au sol ou dans l’espace, les dix prochaines années seront décisives.

I “

l y a beaucoup d’hésitation en ce moment sur le chemin à suivre dans l’étude des exoplanètes. Leur diversité nous laisse un peu bouche bée !” À l’image de Franck Selsis, spécialiste des atmosphères d’exoplanètes au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux, les astronomes sont aujourd’hui saisis par le doute. Il y a vingt ans, ils savaient ce qu’ils cherchaient : une planète comme la Terre, dans un système planétaire comme le Système solaire, exhibant dans son éclat la signature de l’ozone et du méthane. Ils n’étaient pas certains que cette planète, ni même d’autres systèmes solaires existent, ils savaient que son étude serait difficile, mais enfin, ils avaient un objectif ! Et même un projet de mission spatiale pour l’atteindre : Darwin, un interféromètre qui aurait dû être lancé par l’ESA en… 2014. Vingt ans plus tard, les choses se sont beaucoup compliquées. D’un côté, bien sûr, tout le monde se réjouit du succès de la chasse aux exoplanètes. Avec 2 000 et bientôt 20 000 spécimens au compteur, les astronomes savent maintenant que les systèmes planétaires prolifèrent autour de nous. Ils se préparent donc à une nouvelle étape : la caractérisation des exoplanètes, au-delà de ces chiffres un peu arides que sont leur taille, leur masse et la distance à leur étoile. D’un autre côté cependant, il faut admettre que l’extraordinaire variété des mondes possibles a révélé aux astronomes la profondeur de leur ignorance. Ils cherchaient une planète comme la Terre ? Elle existe à coup sûr, mais d’autres sont peut-être plus intéressantes pour trouver de la vie... Ils cherchaient un autre système solaire ? Les étoiles de type G (solaire) possèdent des planètes, mais les naines M, dix fois plus abondantes, elles aussi… Ils cherchaient la trace de l’ozone et du méthane ? Ils ne sont plus tout à fait sûrs de la fiabilité de ces “signatures de vie” (1)... “Soyons clairs : nous n’en connaissons pas assez sur le comportement des atmosphères exoplanétaires pour nous lancer dans

Si la détection directe d’une Terre est hors de portée, les astronomes commencent à découvrir des planètes géantes à bonne distance de leur étoile (ici, le système de HR8799). Pour voir des planètes plus proches, les télescopes de 8-10 m s’équipent tous actuellement d’instruments d’imagerie performants. Il faudra aussi compter sur eux ces dix prochaines années. © Keck Observatory et ESO

la recherche de biosignatures. Nous n’en savons pas assez sur les exoplanètes elles-mêmes ! Si nous lancions aujourd’hui la conception d’un instrument dédié à cette recherche, nous risquerions de nous retrouver finalement dans la même situation que les exobiologistes qui cherchaient la vie sur Mars avec les sondes Viking, à la fin des années 1970 : ils n’en connaissaient pas assez sur Mars pour comprendre le résultat (ambigu) de leurs expériences.” Avec à la clé, une pause dans la recherche de vie martienne qui aura duré plus de trente ans. “Ce que nous devons faire maintenant, c’est caractériser les planètes extrasolaires, confirme Michel Mayor (lire aussi p. 58). Mais pour cela, il nous faut des cibles plus proches

c

b

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que celles découvertes par Kepler.” Les satellites Tess et Plato, qui seront lancés respectivement par la Nasa et l’ESA en 2017 et 2024, sont justement conçus pour les trouver. Annoncé comme le successeur du valeureux Kepler (près de 1 000 découvertes à lui seul), Tess observera des étoiles 100 fois plus brillantes, sur la totalité de la voûte céleste. Il devrait découvrir plus de 300 super-Terre pendant sa mission de deux ans, et une quarantaine de planètes de taille terrestre. Plus ambitieux encore, Plato scrutera un million d’étoiles pendant six ans. Il devrait découvrir des milliers d’exoplanètes, dont un grand nombre de planètes rocheuses dans la zone habitable de leur étoile. Cheops, lancé par l’ESA (2017), mais dont le but est plutôt de mesurer la taille des planètes dont on connaît déjà la masse, fournira aussi quelques cibles intéressantes pour l’étude des atmosphères exoplanétaires. Aux découvertes de ces satellites dédiés à la recherche de planètes à transit, plus faciles à étudier puisqu’elles filtrent la lumière de leur étoile, s’ajouteront celles d’Espresso, qui sera installé sur le Very Large Telescope en 2017, voire de Gaïa, déjà sur orbite. “Les objectifs principaux d’Espresso sont la détection de planètes rocheuses autour d’étoiles naines, mais aussi le suivi des planètes à transit, notamment celles découvertes par Tess et

Cheops”, explique Éric Emsellem (ESO). Avec une précision en vitesse radiale meilleure que 10 cm/s, les planètes identiques à la Terre circulant dans la zone habitable d’une étoile de type solaire échapperont de peu au successeur de Harps (la Terre imprime une oscillation de 9 cm/s au mouvement du Soleil). Mais dans la zone habitable d’une naine rouge, elles seront vues (l’oscillation est de 1 m/s). Le satellite d’astrométrie Gaïa découvrira, quant à lui, “entre 15 000 et 30 000 planètes géantes à période longue, dont une trentaine faisant des transits, d’ici 3 à 4 ans”, selon Michael Perryman, l’un des “pères” de Gaïa. Pour aller plus loin et enfin connaître la composition de toutes ces cibles (ou du moins celle de leur atmosphère), il faudra dans un premier temps compter sur le JWST. Annoncé pour 2018, équipé d’un miroir de 6,5 m, le futur télescope spatial pourra étudier 100 à 200 planètes géantes par spectroscopie (2). Lorsqu’elles passeront devant leur étoile (essentiellement des naines rouges, sur lesquelles les transits sont plus faciles à observer) ou, mieux, lorsqu’elles seront éclairées par elle, avant de passer derrière (éclipse secondaire). Des dizaines de mini-Neptune seront aussi analysables, ainsi peut-être qu’une ou deux planètes rocheuses, si elles en valent la peine, car l’observation sera très gourmande en temps...


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Pour ces exoplanètes à l’atmosphère si fine (celle de la Terre fait 50 km, à comparer à son rayon de 6370 km !), il faudra plutôt compter sur la génération de l’E-ELT. En 2024, ce géant de 39 m de diamètre installé au Chili engloutira les photons 500 fois plus vite que les plus grands télescopes actuels. Équipé du nec plus ultra de la spectroscopie, il pourra observer sans problème les molécules des géantes gazeuses, et peut-être ces fameuses “signatures de vie” dans l’atmosphère des planètes rocheuses autour des naines rouges. Mais même si on les trouve, aura-t-on découvert la vie pour autant ? “Nous ne saurons pas interpréter ces spectres d’atmosphères planétaires tant que nous n’en aurons pas étudié beaucoup”, estime Franck Selsis. Avec des collègues d’une douzaine de pays, l’astrophysicien plaide pour une mission spatiale dédiée à l’analyse de l’atmosphère de quelques centaines d’exoplanètes. Ariel pourrait être lancé en 2024 et concernera essentiellement les planètes gazeuses. “Pour qui espère bientôt trouver la vie sur une jumelle de la Terre, le chemin peut paraître long et frustrant, reconnaît Franck Selsis. Mais croire qu’il y a un raccourci vers la découverte de la vie serait une grave erreur. Nous devons explorer le monde des exoplanètes sans a priori.” (1) Shawn Domagal-Goldman (Nasa) et son équipe ont ainsi montré récemment qu’une fraction significative d’ozone pouvait s’accumuler dans l’atmosphère d’une planète sans cause biologique. D’autre part, la biologiste Marie-Christine Maurel (université Paris VI) souligne que la notion d’êtres vivants et de biomarqueurs est très difficile à généraliser. Rien que sur Terre, nous ne connaissons que 1 % de l’ensemble des espèces vivantes aujourd’hui, ellesmêmes ne comptant que pour un millième de toutes les formes de vie qui ont occupé la Terre depuis 3,45 milliards d’années !

DR

(2) Il s’agit de disséquer la lumière pour en tirer des informations sur les espèces chimiques qui l’ont émise, et dans quelles conditions physiques (densité, température…).

Étoile naine

Étoile naine

Terres binaires Géantes gazeuses avec 5 lunes rocheuses Terres binaires en orbite troyenne

Zone habitable

Zone habitable

Le système solaire ultime Quel est le maximum de planètes habitables que peut contenir un système extrasolaire ? Si vous ne vous êtes jamais posé cette question, l’astrophysicien Sean Raymond, lui, y a déjà répondu : soixante ! En optimisant les possibilités offertes par la nature — planètes doubles ou troyennes (circulant à 60° d’une autre, plus massive), satellites rocheux de planètes géantes, orbites planétaires compactes —, ce spécialiste de la formation des planètes au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux est parvenu à construire le système planétaire ultime, dans lequel deux naines rouges tournant à 100 UA l’une de l’autre, hébergent chacune 24 et 36 planètes dans leurs zones habitables. “Ce système n’existe probablement pas, mais il fonctionne rigoureusement, selon les lois de la physique, explique le chercheur. Je l’ai conçu pour m’amuser, mais aussi parce que je pense qu’en tant que théoricien, mon travail ne doit pas se limiter à tenter de reproduire ce que l’on connaît déjà.” Cette période d’explosion de découvertes, dans laquelle la nature semble bien souvent plus inventive que les hommes, lui donne raison. Et si le Système solaire et son unique planète où coule de l’eau n’était que l’option la plus fade parmi une myriade de systèmes habités ? Voir (en anglais) : http://planetplanet.net/the-ultimate-solar-system

© IAU Infographies : M2


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LA TERRE EST-ELLE UNIQUE ? En vingt ans, les chasseurs d’exoplanètes n’ont toujours pas trouvé une autre “planète bleue”. Mais ils comprennent peu à peu que chercher une jumelle de la Terre n’est peut-être pas la seule voie pour trouver la vie.

Q

La variété des exoplanètes incite les astronomes à imaginer d’autres modèles pour l’apparition de la vie. Par exemple, des mondes où une épaisse atmosphère d’hydrogène permettrait le maintien d’eau liquide à leur surface. © L. Bret/C&E Photos

u’elles s’appellent Kepler-452 b, Kepler-186 f ou Gliese 667C c, aucune des 1 930 exoplanètes découvertes dans la Galaxie ne peut prétendre au statut de jumelle de la Terre. Celle-ci tourne dans la zone habitable d’une étoile qui ressemble au Soleil, elle a presque la bonne taille, mais on ne connaît pas sa masse et on ne sait donc même pas si elle est rocheuse. Celle-là a des mensurations presque parfaites, à peine un léger embonpoint, mais son astre du jour est une étoile naine froide qui l’éclaire d’un rayonnement n’ayant guère à voir avec celui qui baigne notre planète. Cette autre encore ferait bien l’affaire, mais sa masse est suspecte et on la soupçonne d’être plutôt une super-Terre… La “Terre 2.0”, comme l’appellent certains, existe-t-elle seulement ? Si cette expression décrit une planète de la taille et de la masse de la Terre, en orbite dans la zone habitable d’une étoile de type solaire, la réponse est mille fois oui. Sa découverte est même probablement imminente. Sauf que notre planète bleue ne se résume pas à ces trois paramètres : masse, taille, distance à son étoile. “Ce qui caractérise la Terre, c’est la présence de la vie. Les organismes vivants ont un profond effet sur elle, en particulier sur sa physionomie et son climat”, souligne le planétologue Mark Jellinek (université de Colombie-Britannique). Le cycle du carbone, qui agit comme un thermostat et explique la présence d’eau liquide sur Terre depuis des milliards d’années, est par exemple intimement lié à la vie. Ce sont en effet les organismes vivants qui assurent l’essentiel de la captation du CO2 atmosphérique, ce puissant gaz à effet de serre, et le transforment en roches (calcaires). L’abondance d’oxygène dans l’atmosphère, qui pourrait être détectée à des années-lumière, est aussi une manifestation du vivant à l’échelle de la planète. Par contraste, pas très loin de nous et malgré son 0,95 rayon terrestre, notre “jumelle” Vénus est un enfer à 460 °C… Avons-nous échappé à ce destin par un exceptionnel concours de circonstances ?


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L’histoire de la Terre est en tout cas ponctuée de petits miracles. À commencer par l’origine de l’eau. “L’eau terrestre actuelle ne provient pas de l’accrétion primordiale de la planète. Elle vient du Système solaire externe et a été apportée par les petits corps glacés qui ont bombardé massivement notre planète quelques centaines de millions d’années après sa naissance”, rappelle Franck Selsis, du Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. Sans ce bombardement, la planète bleue serait peut-être sèche. “Or, celui-ci a été provoqué par le déplacement de Jupiter et de Saturne dans le Système solaire, mouvement qui aurait pu ne pas se produire si la masse ou l’orbite des planètes avaient été différentes”, poursuit le chercheur. La composition interne de notre planète aurait aussi dû jouer en notre défaveur, d’après Mark Jellinek et son collègue Matthew Jackson (université de Californie à Santa Barbara). Si celle-ci n’avait pas été modifiée par d’innombrables impacts d’astéroïdes 20 à 30 millions d’années après sa formation, la Terre n’aurait sans doute jamais été habitable. “On a longtemps cru que la composition des silicates de la Terre reflétait celles des chondrites, ces météorites qui sont les reliques de la formation des planètes, expliquent en substance les chercheurs dans un article publié fin juillet dans la revue Nature Geoscience. Or, il a été découvert récemment que ce n’était pas le cas : certains éléments ne sont pas aussi abondants sur Terre que dans les météorites.” En particulier, une quantité d’uranium, de thorium et de potassium équivalant à l’ensemble de ce que recèlent les continents actuels manquent à l’appel. Comme il s’agit d’éléments radioactifs, dont la Terre tire sa chaleur interne, c’est toute l’histoire de notre planète qui est à revoir ! Les chercheurs estiment même que, si Vénus est devenue une planète infernale, c’est qu’elle a subi beaucoup moins d’impacts que ceux qui ont débarrassé la Terre d’une partie de ses atomes radioactifs… Un argument supplémentaire en faveur de la singularité de notre planète bleue, fruit d’une extraordinaire série de hasards ? “Il est clair en tout cas que ce n’est pas la distance à son étoile qui contrôle l’habitabilité d’une planète. La zone habitable est une fiction !” martèle Mark Jellinek. Mais l’on peut aussi regarder les choses sous un autre angle, et souligner qu’après tout, de bombardement en bombardement, la Terre a été mise à rude épreuve… Et si la vie était apparue et s’était maintenue sur Terre en dépit de l’histoire mouvementée du Système solaire (dont la cause principale est le déplacement de Jupiter), plutôt que grâce à elle ? “On peut tout à fait imaginer un Système solaire où les abondances chimiques primordiales des planètes auraient été différentes et pour lequel, sans

qu’une planète soit plus bombardée qu’une autre, nous aurions deux planètes bleues”, reconnaît Mark Jellinek. Par ailleurs, même définie comme la région de l’espace où peut se maintenir de l’eau liquide à la surface d’une planète, la zone habitable d’une étoile est peut-être bien plus large qu’on ne le croit. “Les modèles ont été construits bien avant qu’on ne découvre des super-Terre ou des mini-Neptune. Autrement dit, pour des atmosphères connues, celles de Mars, la Terre ou Vénus, pour lesquelles c’est l’effet de serre dû à la vapeur d’eau et au gaz carbonique qui réchauffe la surface. Mais depuis quelques années, on commence à imaginer des atmosphères différentes, pour lesquelles des planètes peuvent conserver de l’eau liquide en surface bien plus loin de leur étoile”, révèle Franck Selsis. Dès 1999, le Néo-Zélandais David Stevenson propose que des planètes éjectées très tôt de leur système planétaire, et donc encore dotées de leur épaisse enveloppe primordiale d’hydrogène et d’hélium, pourraient subir un effet de serre suffisamment important grâce à ces gaz pour conserver de l’eau liquide en surface. Des planètes flottantes, éloignées de tout Soleil, seraient donc habitables… En 2011, les Américains Raymond Pierrehumbert et Eric Gaidos montrent que la température de surface d’une planète de 3 masses terrestres placée à la distance de Saturne, mais dotée d’une atmosphère de 40 bars d’hydrogène, serait d’environ 10 °C. Parfait pour le développement d’une forme de vie dans de l’eau liquide, d’autant que l’hydrogène est transparent au rayonnement visible des étoiles ! L’année suivante, Robin Wordsworth (1) enfonce le clou : puisqu’une atmosphère riche en hydrogène est particulièrement favorable à la chimie organique, ces planètes si différentes de la Terre ne seraient-elles pas plus favorables à l’émergence de la vie que l’a été notre propre monde ? Comme le souligne Franck Selsis, “nous commençons tout juste à découvrir que la Terre n’était peut-être pas le lieu idéal pour l’origine de la vie…” Souvenons-nous donc de la leçon des exoplanètes. “En 1990, j’ai présenté mes travaux sur la fréquence des étoiles doubles à un colloque de bioastronomie, se souvient Michel Mayor. Elles comptaient pour deux tiers de toutes les étoiles. Comme on pensait à l’époque que les planètes ne pouvaient pas se former autour d’étoiles doubles, j’en tirais des conclusions pessimistes, mais ‘solides’, sur la fréquence des planètes. Quelle naïveté !” Aujourd’hui, plus d’une centaine de planètes ont été découvertes dans des systèmes binaires. Parmi elles, une “Terre 3.0” ?

la zone habitable serait plus large qu’on ne le croit

(1) Alors au laboratoire de météorologie dynamique de l’Institut Pierre-Simon Laplace.

© ESO

Dossier réalisé par David Fossé


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LA RÉSURRECTION

D’EL MONSTRUO Au cœur de l’Argentine, un ancien géant est en train de renaître. Le télescope de Bosque Alegre, jadis le plus grand de l’hémisphère Sud, accueille aujourd’hui une nouvelle génération d’astronomes venue se former à l’observation.

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La coupole d’El Monstruo est surdimensionnée pour laisser de la place à la nacelle située devant le cimier. Du temps de la photo argentique, celle-ci servait à charger les plaques à l’avant du télescope.

A Córdoba Sierras Chicas Buenos Aires ARGENTINE

Falkland (R.U.)

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u détour d’une route sinueuse de montagne, un éclat argenté perce la crête boisée et accroche le regard. Il s’agit d’une gigantesque coupole, posée sur un bâtiment en pierre de taille. Le lieu ressemble étrangement à l’observatoire du mont Wilson, rendu célèbre par les découvertes d’Edwin Hubble au XXe siècle. Pourtant, si nous sommes bien sur le continent américain, nous sommes très loin des ÉtatsUnis. Bienvenue dans les Sierras Chicas, une chaîne de montagnes située non loin de Córdoba, en Argentine. Le nom de Bosque Alegre ne vous dit peut-être rien, mais ce lieu a connu son heure de gloire. L’impressionnante coupole de 18 m de diamètre en témoigne. Elle cache un télescope de 1,54 m, modeste au regard des stan-

dards actuels, mais gigantesque pour son époque. “La construction du bâtiment date de 1931, mais la mise en service n’a eu lieu qu’en 1942”, explique Diego García Lambas, le directeur de l’observatoire. Sa conception, elle, remonte à 1909. Charles Dillon Perrine, le directeur de l’époque, aimait alors à l’appeler El Monstruo (lire p. 85). “Pendant près de dix ans, ce télescope a été le plus grand de l’hémisphère austral !” souligne Diego García Lambas. Il n’a été détrôné qu’en 1951, avec la construction du télescope Radcliffe (1,9 m) en Afrique du Sud. Aujourd’hui, El Monstruo est toujours en activité. Et malgré son âge, il peut encore rendre de grands services à l’astronomie ! Ce soir-là justement, une équipe d’astronomes


Il est possible d’entrer dans un télescope aussi imposant, et même d’y tenir debout pour les petits gabarits. C’est parfois utile pour démonter un instrument.

français vient faire des tests pour installer une caméra. Le but est d’observer dans quelques jours le passage de Chariklo devant une étoile. Cet astéroïde est devenu célèbre en 2014 avec la découverte des anneaux qui l’entouraient. À l’intérieur de l’immense coupole, d’innombrables détails rappellent l’âge de l’instrument et lui confèrent un charme désuet : le parquet, l’échelle en bois, les cadrans à aiguille, ou encore l’énorme nacelle au pied du cimier. À l’ère de la photographie argentique, elle servait à hisser l’opérateur jusqu’à l’ouverture de l’instrument afin de changer les plaques photo. Elle devrait être bientôt démontée car, à l’heure de l’imagerie numérique, elle gêne plus qu’autre chose. 543 |

Pour piloter l’instrument, deux générations sont aux commandes. Cecilia Quiñones, une étudiante toujours souriante, et Carlos Colazo. Dès qu’il s’agit d’aller observer, ce grand gaillard à la barbe grise bien taillée déborde d’énergie. D’ailleurs, si El Monstruo est passé à deux doigts de l’abandon définitif (il a été fermé en 2003, suite à la crise financière du pays), il doit en grande partie sa résurrection à Carlos. Enseignant en physique et simple astronome amateur à l’origine, l’homme ne manque pas de modestie : “L’acteur central de la remise en route du télescope est Diego García Lambas. C’est lui qui m’a invité à venir. Il connaissait le travail que je faisais avec mon observatoire personnel ‘El Gato Gris’ [le chat gris].” Référencé à l’Union astronomique

internationale sous le code I19, son télescope de 356 mm est utilisé pour des mesures scientifiques. “J’ai commencé à m’occuper de Bosque Alegre, il y a cinq ans, raconte Carlos Colazo. Le télescope était alors à mon entière disposition. Personne ne voulait plus observer ici ! Mais avec les techniciens de l’observatoire, nous l’avons modernisé peu à peu. Nous avons changé sa configuration optique, qui est passée du Cassegrain au Newton (1) pour avoir un champ plus large. Il y avait aussi des soucis de maintien du miroir, désormais corrigés.” Au fil du temps, l’instrument renaît de ses cendres, une nouvelle caméra est installée, et les résultats ne tardent pas. Carlos Colazo multiplie les observations d’exoplanètes et publie ses mesures. En 2013, à force de persévérance, il obtient enfin un détachement 73


Le nouveau défi de Carlos Colazo consiste à remettre en route ce télescope centenaire de 76 cm. Il y a quelques mois encore, l’instrument était sous une coupole en ville à l’observatoire de Córdoba.

de l’enseignement pour consacrer tout son temps à l’observatoire. “Ces résultats ont redonné envie aux gens d’utiliser le télescope. Du coup, depuis un peu plus d’un an, il fonctionne à plein temps. Je ne dispose plus que cinq nuits par an pour mes propres observations, note-t-il sans une ombre d’amertume. Ce qui compte maintenant, c’est de former des jeunes à l’observation. C’est notre point faible en Argentine, nous avons surtout des théoriciens”, ajoute ce passionné. “Avec l’avènement des télescopes géants, notamment au Chili, les astronomes argentins se sont peu à peu détournés de l’observation dans les années 1980 et 1990, découragés par la modestie des instruments dont ils disposaient”, explique à son tour Diego García Lambas. Mais, 74

un peu partout dans le monde, il y a aujourd’hui un regain d’intérêt pour les télescopes de moins de 2 m. Moins demandés que les géants du Chili ou d’Hawaï, ils peuvent être consacrés à des études de longue haleine, comme l’observation des astéroïdes ou le suivi d’exoplanètes. Mieux, ce genre d’instrument est particulièrement formateur pour les étudiants. “Utiliser un instrument vieux de plus de 90 ans demande une certaine débrouillardise. La nuit, il faut savoir résoudre les problèmes seul et rapidement”, témoigne Cecilia Quiñones. Pour initialiser le télescope, la jeune femme vise une étoile brillante et se sert ensuite des cercles de coordonnées pour pointer les autres objets — à l’ancienne. La coupole,

quant à elle, n’est pas encore asservie au télescope. Il faut donc la faire tourner au fur et à mesure des observations. Pour changer de caméra, là aussi, l’opération est manuelle. L’étudiante longiligne se glisse dans le télescope pour dévisser l’instrument. À l’intérieur d’El Monstruo, elle tient facilement debout ! Même si le géant a été largement surclassé depuis sa mise en service, il reste imposant. Dehor s, des halos orange se dessinent à l’horizon nord-est. La qualité du ciel de Bosque Alegre est un peu pénalisée par les lumières de la capitale régionale Córdoba : une agglomération de 3 millions d’habitants, située à 40 km. Mais cette proximité a aussi des côtés positifs. Elle facilite l’accès au site des astronomes et des


Avec El Monstruo, il faut encore parfois mettre l’œil à l’oculaire. Ici, celui d’une lunette utilisée pour viser une étoile lors de l’initialisation du télescope. Ce rapport direct entre l’astronome et le télescope fait le charme des vieux instruments.

La longue gestation d’un géant En 1909, le directeur de l’observatoire de Córdoba, Charles Dillon Perrine, décide de construire un télescope de 1,5 m — un gabarit identique au télescope Hale du mont Wilson, le plus grand réflecteur du monde pour quelques années encore. Le défi est énorme : à l’époque, le savoir-faire n’existait pas en Argentine. Dès 1913, la coupole est construite. La structure du télescope, commandée aux ÉtatsUnis, était terminée en 1922. Et la coupole a été posée en 1931, achevant ainsi la construction du bâtiment. Manque de chance, l’opticien argentin chargé de réaliser le miroir décède avant d’en venir à bout. La pièce est envoyée aux États-Unis, où les contrôles de la surface optique mis au point avec les Argentins serviront pour le 5 m du mont Palomar. Perrine part à la retraite en 1930, avant la mise en service d’El Monstruo, en 1942.

Comme un clin d’œil au passé, les ampoules rouges du labo photo sont toujours en place.

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étudiants, avec le minibus de l’observatoire. “En dessous de 30° de hauteur, la pollution est gênante, mais au-dessus, le ciel reste relativement bon”, estime Diego García Lambas. En effet, l’altitude de l’observatoire de 1250 m limite un peu l’impact du halo lumineux de Córdoba. Il y a même des nuits où les nuages en contrebas recouvrent la ville, et le ciel devient alors très bon. Une fois les tests de caméra effectués, les obser vations débutent. “Dans la journée, j’ai préparé ma liste d’étoiles à viser. Avant de commencer, je vérifie si les conditions sont propices, explique Cecilia Quiñones. Mon équipe étudie les exoplanètes. Nous cherchons à mesurer la baisse de luminosité quand la planète passe devant son soleil.” La jeune femme passe ainsi sa nuit dans le silence, voguant d’étoile en étoile. Seule derrière ses écrans de contrôle, elle évoque un peu un gardien de phare. Carlos Colazo s’affaire dans une coupole voisine. Un vieux télescope de 76 cm vient d’y être installé. Il y a quelques mois encore, il se trouvait à l’observatoire historique de Córdoba, en train de se couvrir de poussière, non

Le directeur Diego García Lambas, avec les outils d’El Monstruo en main.

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loin d’une des coupoles de la Carte du ciel (2). Pour le moment, Carlos est le seul à parvenir à se servir de cet instrument bientôt centenaire. La remise en route va prendre du temps car le télescope ne possède pas de caméra, ni même de système de mise au point. L’observatoire manque de moyens, mais Carlos Colazo demeure confiant. Il lui reste cinq ans pour remettre le télescope en route, avant de partir à la retraite et d’emménager pour de bon dans son propre observatoire. D’ici là, il se prépare à passer le flambeau aux jeunes. Plusieurs télescopes sont en cours d’installation dans la cordillère des Andes, et l’Argentine a besoin d’observateurs. Une nouvelle génération d’astronomes que Carlos contribue à former grâce à El Monstruo. Texte et photos : Jean-Luc Dauvergne

(1) Sur un télescope Cassegrain, un miroir convexe renvoie l’image derrière le miroir principal (percé d’un trou central). La forme du miroir secondaire démultiplie le pouvoir de grossissement du miroir principal, le champ est donc petit. La formule optique du Newton est plus simple : un miroir plan renvoie la lumière du miroir principal sur le côté. (2) Lancée en 1887 par l’observatoire de Paris, la “Carte du ciel” visait à cartographier l’ensemble du ciel en photos avec des lunettes de 33 cm. Ce projet ambitieux impliquait une vingtaine d’observatoires à travers le monde.

La coupole construite en 1913 et le bâtiment datant de 1931 constituent un patrimoine d’exception pour l’Argentine. Le lieu est ouvert au public pendant l’été austral, en janvier et février, et toute l’année pour les groupes scolaires.


Córdoba, un passé tourné vers le futur Le quartier général des astronomes est en pleine ville à l’observatoire historique de Córdoba. Outre les vieilles coupoles du XIXe siècle, on y trouve de nombreux ouvrages remplis de cartes du ciel extraordinaires, précieusement conservés dans la bibliothèque. Dans le jardin verdoyant où s’épanouissent de nombreuses essences exotiques, trônent deux coupoles flambant neuves, encore posées sur leurs palettes. “Elles vont être montées à Salta, sur un site en face de Cerro Paranal, à 5 000 m d’altitude, explique Diego García Lambas. L’une de ces deux coupoles abritera un télescope russe de 1 m dédié au proche infrarouge, dont nous disposerons d’une partie du temps d’observation. L’autre va accueillir le Meade de 400 mm actuellement à Bosque Alegre. Celui-ci servira à l’étude des astéroïdes.”

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COMMENT L’ÉCHO DU BIG BANG A ÉCHAPPÉ AUX FRANÇAIS La découverte du fond diffus cosmologique par Penzias et Wilson a 50 ans. À l’occasion de cet anniversaire, l’astronome James Lequeux témoigne sur un épisode méconnu des débuts de la radioastronomie hexagonale : comment cet indice du big bang aurait pu être découvert en France dès 1955.

L

e hasard a joué un grand rôle dans l’essor de la radioastronomie. Lorsque les jeunes ingénieurs des Bell Laboratories Arno Penzias et Robert Wilson ont découvert le rayonnement fossile de l’Univers (lire p. 84), qui correspond à celui d’un corps à 2,7 degrés absolus, ils s’intéressaient en fait aux propriétés d’un prototype d’antenne radio pour les télécommunications. En 1933 déjà, le rayonnement radio de la Voie lactée avait été découvert par hasard. Karl Jansky, autre ingénieur des Bell Laboratories, étudiait les parasites radio d’origine industrielle. L’épisode s’est répété en 1942 lorsque l’émission radio du Soleil a été découverte fortuitement par les radaristes anglais. Cette découverte était demeurée secrète car les pilotes de la Royal Air Force mettaient à profit cette propriété en volant devant le Soleil pour aveugler les radars allemands. Mais un phy-

sicien français qui avait rejoint Londres et travaillé sur le radar en Angleterre était au courant. C’est grâce à lui, Yves Rocard, qu’est née la radioastronomie en France. Nommé directeur du laboratoire de physique de l’École normale supérieure (ENS) en 1946, Yves Rocard y fonde un groupe de radioastronomie, à la tête duquel il place le jeune physicien Jean-François Denisse (1). Denisse rassemble une petite équipe d’ingénieurs et de physiciens qui, au lendemain de la guerre, cherchent tous un peu leur voie. Ils travaillent avec un ancien projecteur de DCA de 1,5 m de diamètre converti en radiotélescope, jusqu’à ce que Rocard parvienne à récupérer des antennes radar allemandes de type Würzburg, du nom de la ville où elles avaient été construites par centaines. L’une de ces antennes, de 3 m de diamètre, est placée sur le toit du laboratoire, en plein Paris.

Au lendemain de la guerre, la récupération d’antennes allemandes, les Würzburg, permet aux physiciens français de commencer leur exploration du ciel en radio. Ils détectent un rayonnement de fond, mais faute d’instrument plus performant, n’iront pas plus loin. © DR et obs. de Nançay

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Antennes radar de type Würzburg.

James Lequeux et Geneviève Benoit.

Émile Le Roux, qui étudia la Voie lactée en radio avec James Lequeux.

Inauguration en 1965 du grand radiotélescope de Nançay par le président Charles de Gaulle.

Les trois autres, de 7,5 m de diamètre, trop lourdes, sont installées pour l’une à l’observatoire de Meudon, et pour les autres à Marcoussis, sur un terrain de la Marine nationale, à 15 km au sud de Paris. Il est à noter qu’à cette époque, les membres du groupe ont en commun de ne rien savoir en astronomie. C’est d’ailleurs le cas de presque tous les premiers radioastronomes qui forment à la même époque des groupes de recherche en Angleterre, aux Pays-Bas (lesquels avaient aussi récupéré une antenne Würzburg), en Australie, au Japon, en Allemagne, aux États-Unis, etc. Cependant, le groupe français a une ambition : construire un grand instrument — qui sera un temps le plus grand radiotélescope du monde, à Nançay — pour étudier les émissions radio du Soleil. C’est à ce moment qu’a commencé mon histoire personnelle. À l’été 1954, j’arpentais les couloirs du laboratoire de physique à la recherche d’un groupe de recherche accueillant. J’étais en effet entré à l’ENS en 1952 et en troisième année, après la licence, nous devions faire une année de recherche dans le cadre du Diplôme d’études supérieures (2). Je suis rapidement tombé sur le groupe de radioastronomie, que j’ai trouvé éminemment ouvert, dynamique et sympathique. Cette rencontre a décidé de ma carrière en astronomie, discipline pour laquelle je n’avais auparavant pas d’attirance particulière. Je n’étais pas la seule jeune recrue. Deux autres normaliens, Jean Delannoy et Bernard Morlet, 80

ont rejoint le groupe, ainsi qu’une sévrienne, Geneviève Benoit, que j’ai épousée deux ans plus tard. Tandis que Geneviève se voyait confier un travail sur l’activité radio du Soleil, Delannoy, Morlet et moi-même étions chargés de l’un des deux grands Würzburg de Marcoussis. Un chercheur très habile et inventif, Émile Le Roux, venait d’y installer un récepteur pour une longueur d’onde de 33 cm (fréquence 900 MHz). Notre but était d’étudier les propriétés de l’antenne et de l’utiliser en particulier pour obtenir une carte de l’émission radio de la Voie lactée meilleure que celle de Grote Reber. Pendant la guerre, cet astronome amateur américain avait réalisé depuis son jardin la première carte radio de la Galaxie, avec un radiotélescope de sa construction ! Mais pour atteindre notre objectif, la première chose à faire était d’établir le diagramme de réception du Würzburg — son “champ de vision”, qui n’est pas un simple cône puisqu’une parabole est également sensible au rayonnement qui vient de derrière elle (lobe arrière). Pour ce faire, ayant installé à 400 m de distance un émetteur sur 33 cm de longueur d’onde, il fallait orienter l’antenne dans tous les sens et mesurer la réponse du récepteur en fonction de cette orientation. Autant dire que nous avons passé beaucoup de temps à Marcoussis autour de cette antenne… C’était une parabole, en l’occurrence d’excellente qualité, qui concentrait en son foyer le rayonnement radio sur une petite antenne dipôle connectée au récepteur.


Photos : Archives de Nançay

Le physicien Yves Rocard, père de la radioastronomie française.

Jan Oort, Leo Goldberg, Marcel Minnaert et Jean-François Denisse (de g. à d.), à Nançay en 1962. Construction du grand radiotélescope de Nançay.

J’étais spécifiquement chargé de cartographier le ciel radio, ce qui était une opération pénible, car l’antenne avait une monture altazimutale et non équatoriale. Or il fallait savoir à tout instant quel était le point du ciel observé. Il n’y avait pas d’ordinateur à cette époque : je devais construire des abaques sur papier millimétré afin de faire la nécessaire transformation de coordonnées. Nous avons ainsi cartographié tout le ciel, ce qui a fourni la première image radio de la Voie lactée accessible depuis l’hémisphère Nord, obtenue avec une résolution angulaire de 2°. Elle était bien meilleure que celle de Grote Reber dix ans auparavant, d’une résolution angulaire de 6°. De nouvelles structures se révélaient, notamment un grand éperon de la Voie lactée vers le pôle Nord céleste – en fait une partie d’une énorme bulle créée par des supernovae ayant explosé non loin du Soleil. Nous pensions que l’émission radio de la Voie lactée était due à son gaz ionisé. En réalité, ce n’est pas le mécanisme dominant à la longueur d’onde de 33 cm à laquelle nous observions. Nous l’ignorions, bien qu’un autre mécanisme ait été proposé plusieurs années auparavant par Iosif Chklovski en URSS et Karl-Otto Kiepenheuer en Allemagne. Il s’agissait du rayonnement dit synchrotron,

du nom des accélérateurs où il a été observé pour la première fois en 1947. Il est produit par des électrons de très haute énergie dans le champ magnétique de la Voie lactée. Ces électrons font partie de ce qu’on appelle à tort les rayons cosmiques (qui sont en fait des particules). Notre méconnaissance provenait du fait que les radioastronomes que nous étions n’avaient pas encore beaucoup de contacts avec les astrophysiciens ; ces contacts n’existaient alors en France qu’à propos de l’émission radio du Soleil, dont Denisse était un spécialiste reconnu. Il nous a fallu apprendre les bases sur le tas ! Plus tard, Le Roux puis moi-même avons enseigné les mécanismes d’émission radio naturels à l’université, et c’est alors que nous avons réellement compris ce qui se passe dans la Voie lactée. Il faut dire que la situation était semblable dans la plupart des groupes de radioastronomie qui existaient à l’époque : ils étaient totalement centrés sur la technique et ce sont des astrophysiciens extérieurs qui ont le plus souvent interprété les observations. L’une d’elles nous intriguait. Nous avions remarqué qu’en laissant l’antenne fixe, le ciel défilant devant elle en raison du mouvement diurne, le signal radio reçu était sensiblement uniforme, pour peu que l’on s’écarte de plus

À l’époque, nous n’avions pas encore beaucoup de contacts avec les astrophysiciens

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d’une dizaine de degrés de la Voie lactée. Quelle était l’intensité de cette émission ? C’était un problème difficile, car le rayonnement du ciel est superposé aux émissions beaucoup plus intenses de l’environnement et au bruit propre du récepteur. Or, tous sont de même nature : il s’agit dans tous les cas d’un bruit dépourvu de tout signal organisé, plus ou moins périodique. Si on envoie ce bruit dans un haut-parleur après le changement de fréquence nécessaire pour le rendre audible, on entend un crachotement continu (seuls les bips-bips réguliers des pulsars font exception). Il faut donc, pour obtenir le rayonnement du ciel, estimer la contribution des autres bruits. En 1965, c’est le soin extrême apporté à ce travail par Penzias et Wilson sur une antenne par ailleurs d’excellente qualité, qui convaincra de la réalité d’un rayonnement radio issu de toutes les directions de l’Univers. En 1955, avec notre vieux radar allemand reconverti en radiotélescope, nous avons trouvé une température du ciel presque nulle, inférieure à 3 K. Publié en français dans les Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences, ce résultat est passé inaperçu à l’époque. Il ne prit tout son intérêt qu’après la publication de Penzias et Wilson. Leur mesure, de 3,5 ± 1,0 K, était certes proche de la nôtre, mais elle n’était pas cette fois une limite supérieure ! Deux collègues d’Émile Le Roux, lequel était devenu professeur de physique à l’université de Rennes, se sont pourtant empressés de publier un petit article où, prenant leurs désirs pour des réalités et une limite supérieure pour une vraie valeur, ils affirmaient que nous avions découvert le rayonnement de l’Univers avant tout le monde ! Le Roux n’en était pas signataire : il avait de bonnes raisons pour cela, car, deux ans après nos mesures de 1955, il avait lui-même publié avec Denisse, Delannoy et Morlet une étude détaillée d’où il ressortait que les erreurs sur nos mesures avaient été sous-estimées, notamment celles sur le diagramme de rayonnement de l’antenne. Tout ce que l’on pouvait affirmer avec certitude était que la température du ciel était inférieure à 20 K, ce qui n’avait guère d’intérêt. Contrairement à une rumeur qui a longtemps couru, nous n’avons donc pas découvert le rayonnement de l’Uni-

vers en 1955. Il aurait fallu pour cela bénéficier d’une antenne bien meilleure que nos Würzburg. C’était le cas du grand cornet de Crawford Hill utilisé par Penzias et Wilson. La plupart des mesures du rayonnement de l’Univers qui ont suivi ont d’ailleurs été obtenues avec des antennes en forme de cornet, non de parabole. L’antenne de Penzias et Wilson recevait lorsqu’elle visait le zénith un bruit de 6,7 K au-dessus du bruit du récepteur, lequel était bien plus faible que dans notre cas ; 2,3 K provenaient de l’émission de l’atmosphère, 0,9 K du rayonnement de l’antenne ellemême et seulement 0,1 K de ce qui était reçu du sol dans le lobe arrière, pratiquement inexistant. Le reste était ce fameux rayonnement de l’Univers, qu’ils ont donc estimé à 3,5 ± 1,0 K (la valeur finale obtenue avec les satellites Cobe, WMAP et Planck est 2,728 K). Pour notre antenne Würzburg, la seule contribution du lobe arrière était déjà de l’ordre de 6 K et il est évident qu’elle ne pouvait rivaliser avec le cornet de Crawford Hill. Cependant, nous autres radioastronomes français aurions pu avoir accès à une antenne dotée de ce niveau de sensibilité… Le grand cornet de Penzias et Wilson n’était pas destiné à l’astronomie, mais était un prototype pour les télécommunications. À cet effet, un cornet identique muni d’un récepteur extrêmement sensible, dont le bruit propre était très faible, avait été monté en 1962 à PleumeurBodou (Côtes-d’Armor). Cet ensemble avait permis pour la première fois le 11 juillet de cette année-là de recevoir un programme de télévision émis depuis les États-Unis, par l’intermédiaire du premier satellite de télécommunications, le satellite Telstar de la Nasa. Nous avons demandé à cette époque à utiliser cette merveilleuse antenne pour faire des observations astronomiques, mais nous n’en avons jamais obtenu l’autorisation. Si nous l’avions eue, peut-être aurions-nous découvert le rayonnement cosmologique avant Penzias et Wilson. Mais on ne refait pas l’histoire. James Lequeux, astronome émérite à l’observatoire de Paris (1) Né en 1915, il vient de décéder à presque 100 ans. (2) Qui est devenu par la suite la thèse de 3e cycle.

Arno Penzias (à gauche) et Robert Wilson posent devant l’antenne avec laquelle ils ont détecté le fond diffus cosmologique. Une découverte récompensée par un prix Nobel en 1978. Le satellite Cobe cartographiera ce rayonnement en 1992 (fond). © Nasa

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l’œil de

alain giraud-ruby

UN TERRAIN FÉCOND POUR UNE GRANDE DÉCOUVERTE

P

(1) MIT : Massachusetts Institute of Technology.

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ourquoi le rayonnement fossile de l’Univers n’at-il été détecté qu’en 1965 ? Et pourquoi aux États-Unis ? Comme pour beaucoup de grandes découvertes, le hasard a joué un rôle indéniable. Mais l’avance dont disposaient les Américains en matière de techniques de télécommunication, ou la fécondité de leurs milieux académiques, à l’époque exceptionnellement riches et ouverts, expliquent que les choses se soient passées ainsi. Arno Penzias et Robert Wilson étaient deux jeunes ingénieurs recrutés en 1962 et 1963 par les Bell Labs, le centre de recherche de la compagnie privée AT&T. Passionnés de radioastronomie (Wilson avait suivi les cours d’astrophysique de Fred Hoyle, à Pasadena), ils avaient la chance en 1964 de disposer d’une antenne géante en cornet orientable, installée sur la colline Crawford, près de Holmdel (New Jersey). Celle-ci avait été conçue à l’aube des communications spatiales, pour détecter le satellite passif Echo, simple ballon réflecteur en orbite basse lancé par la Nasa en 1960, et ne servait plus. Penzias et Wilson n’avaient pas, semble-t-il, un programme d’observations radioastronomiques bien précis, observations qui d’ailleurs ne figuraient pas parmi les tâches qu’on leur avait confiées. Mais les Bell Labs, pépinière de prix Nobel — dont aucun ne relève à proprement parler de recherches pour les télécommunications —, laissaient volontiers leurs jeunes chercheurs faire ce qu’ils voulaient… Dans ce temps-là,

en outre, presque n’importe quel équipement performant promettait de réaliser de nouvelles découvertes en radioastronomie. Penzias et Wilson pouvaient donc espérer obtenir des résultats originaux. À la fin de l’année 1964, ils avaient réussi à calibrer soigneusement l’équipement, identifiant toutes les causes de bruits parasites, y compris la “substance diélectrique” (les déjections, en fait) que des pigeons avaient déposée en abondance sur l’antenne. Toutes sauf une : un bruit de fond d’environ 3 K subsistait, quelle que soit la direction du ciel pointée. Perplexes, Penzias et Wilson furent avertis par un collègue du MIT (1), Bernard Burke, qu’une équipe dirigée par Robert Dicke de l’université de Princeton, à moins de 50 km de Crawford Hill, cherchait justement à détecter un tel bruit de fond cosmique. Aujourd’hui, la théorie du big bang élaborée par l’abbé Lemaître, puis George Gamow dans les années 1930-1940, fait partie des idées enseignées pratiquement dès l’école primaire. Mais à l’époque, rien n’était très évident, même sur le plan théorique. L’hypothèse “stationnaire” de création continue et éternelle de Tom Gold, Hermann Bondi et Fred Hoyle était tout aussi plausible (ou farfelue) que celle de l’explosion de “l’atome primordial” postulée par Georges Lemaître pour expliquer l’expansion de l’Univers, mise en évidence depuis des dizaines d’années. Et l’idée d’arriver à trouver des preuves de l’une ou l’autre théorie semblait assez irréelle.


Pourtant, Gamow et ses élèves Alpher et Herman avaient prédit dès 1946 que la “lueur” du big bang (en fait, de “l’atomogenèse” qui suivit lorsque l’Univers, ayant refroidi à 5000 K, devint transparent), décalée par l’expansion de l’Univers jusqu’aux ondes radio, devrait subsister comme une “mer” de rayonnement thermique du ciel à environ 5 K. Cette prédiction, apparemment oubliée, avait été reformulée au début des années 1960, de façon indépendante, par de jeunes cosmologistes théoriciens : James Peebles aux États-Unis, et Doroshkevitch et Novikov en Union soviétique. Ils avaient conclu que ce rayonnement pouvait être détectable, et Novikov avait même noté que l’antenne cornet des Bell Labs était particulièrement adaptée à cette tâche. Jim Peebles, sans connaître les prédictions de Gamow ou de Novikov, travaillait avec l’équipe dirigée par Robert Dicke à Princeton, où ils élaborèrent un projet afin de rechercher le rayonnement fossile qu’il avait calculé. Dicke confia à deux jeunes physiciens, Peter Roll et David Wilkinson, la tâche de construire un radiomètre conçu dans ce but. Cet équipement allait être installé sur la tour du laboratoire de géologie de l’université, et c’est un exposé de Peebles mentionnant le projet qui avait mis Burke au courant. Un mardi à midi, au début de l’année 1965, l’équipe de Princeton était réunie comme toutes les semaines dans le bureau de Dicke pour faire le point sur l’avancement des travaux lorsque le téléphone sonna. C’était Penzias, qui se présenta et expliqua de quoi il retournait. Après avoir obtenu quelques précisions, Dicke raccrocha et se tourna vers les autres : “Well, guys, we’ve been scooped !” (“Bon ben, les gars, on s’est fait doubler !”) Dicke proposa que deux lettres soient soumises à l’Astrophysical Journal et publiées simultanément. La première, signée de Penzias et Wilson, ferait état de la méthode et du résultat expérimental. La seconde, signée Dicke et al., en donnerait l’interprétation en termes cosmologiques. Leur publication ne devait avoir lieu que le 1er juillet 1965. Mais dès le 21 mai, le doyen des journalistes scientifiques américains, sans doute bien introduit auprès de la rédaction de l’Astrophysical Journal, fit paraître un article dans le New York Times, qui annonçait en première page : “Signals Imply a Big

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Bang Universe” (Des signaux impliquent le big bang de l’Univers). Malgré le scepticisme initial qui accueillit l’annonce, Fred Hoyle reconnut dès septembre que si le spectre de ce fameux rayonnement présentait l’allure d’une émission thermique, sa théorie de l’Univers stationnaire serait en difficulté (ce qui ne l’empêcherait pas de continuer de la défendre). Et c’est bien ce qui se passa. A posteriori, il apparut que des occasions manquées auraient pu préempter cette découverte. McKellar, au Canada, avait conduit dès 1941 des mesures optiques de la “température rotationnelle” des molécules interstellaires CN+ qui l’avaient conduit à estimer qu’elles baignaient dans un champ thermique entre 1,8 et 3,4 K. Plusieurs observations radioastronomiques avaient fixé des bornes supérieures au bruit thermique du fond du ciel : par Dicke déjà en 1946, puis par Tanaka au Japon en 1951, Denisse, Lequeux et Leroux en France en 1955 (lire p. 78), et Shamonov en Russie en 1957. Et en 1961, Ohm, travaillant avec l’antenne cornet des Bell Labs sur l’expérience du satellite Echo, avait déjà détecté ce bruit de fond à 13 cm de longueur d’onde, lequel avait été attribué à tort à l’atmosphère. En toute rigueur, la mesure effectuée à une seule longueur d’onde par Penzias et Wilson ne pouvait suffire à caractériser le phénomène. Il fallut attendre de nouvelles mesures à plus haute fréquence — à commencer par celles du groupe de Princeton — pour confirmer la nature thermique du rayonnement détecté. Une dizaine d’années plus tard, une fois ces résultats considérés comme établis, le comité Nobel distingua les seuls Penzias et Wilson. Certains, dont Peebles, trouvaient que Dicke auraient dû être également récompensé. Mais ce dernier, beau joueur, admit que l’histoire de la découverte du rayonnement cosmologique fossile, remontant aux années 1940 ou même auparavant, était une affaire complexe et que l’académie suédoise avait bien fait de simplifier les choses en s’en tenant à la première mesure positive effectuée.

Alain Giraud-Ruby est écrivain scientifique. Il est l’auteur d’une histoire de l’astronomie (Le ciel dans la tête, Actes Sud 2010) et d’une histoire des sciences de la Terre (Terre, Actes Sud 2015). © D. Fossé/C&E Photos

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OBSERVATION

L’ŒIL, NOTRE PREMIER OUTIL

T

out astronome amateur le sait bien, pour déceler les merveilles qui se cachent dans le ciel nocturne, il faut d’abord savoir l’arpenter à l’œil nu. En montagne, par une belle nuit sans Lune, il est possible de percevoir jusqu’à 3 000 étoiles. Et, parmi

Courtesy Ph. Wagneur/Muséum de Genève

À l’instar des grands astronomes de l’Antiquité, les amateurs d’aujourd’hui utilisent un outil ultraperfectionné pour scruter les étoiles : l’œil humain. Un instrument avec ses limites et qu’il faut apprendre à utiliser, tout comme on le ferait d’un télescope.

elles, de reconnaître les amas de Persée et d’Hercule, la nébuleuse d’Orion et la galaxie d’Andromède, à 2,5 millions d’années-lumière de la Terre. Pour contempler toutes ces beautés, notre œil est un outil précieux. Nébuleuse dans le ciel ou tartelette dans la vitrine, il


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POUR REGARDER LE CIEL est le premier organe à nous renseigner sur les couleurs et sur les formes de notre environnement. La vue est le sens que nous sollicitons le plus : 70 % des récepteurs sensoriels de l’organisme sont localisés dans nos yeux. Et, que ceux-ci soient ronds ou en amande, ils fonctionnent

tous de la même manière. Petite leçon d’anatomie : “Le rôle de l’œil est de capter la lumière et de transmettre cette information au cerveau (cortex visuel) via le nerf optique pour former une image nette et claire de l’environnement”, explique Alicia Torriglia, directrice de recherche à l’Inserm (1).

Pour nous permettre de voir le monde, l’œil fonctionne comme un appareil photo. À chaque structure, sa fonction. À l’instar du diaphragme de l’objectif, l’iris régule la quantité de lumière qui pénètre par la pupille. Juste derrière, le cristallin permet de “faire le


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OBSERVATION

Dans l’œil, la lumière traverse la cornée, passe par la pupille plus ou moins ouverte grâce à l’iris, avant d’atteindre la rétine, où sont situés les photorécepteurs (cônes ou bâtonnets). Ces derniers transforment le signal lumineux en signal électrique, envoyé au cerveau via le nerf optique.

Fovéa

Pupille

Corps vitré

Cornée

Iris Nerf optique

Cristallin Rétine

point”, c’est-à-dire de focaliser l’image sur la rétine. Tapissant le fond de l’œil, cette dernière fait office de capteur photo en recueillant l’information. “Le signal nerveux est formé après réception des photons (2) par les 250 millions de récepteurs que compte la rétine, des cellules appelées cônes et bâtonnets, décrit Alicia Torriglia. Il est acheminé jusqu’au cortex visuel. À notre cerveau, ensuite, d’interpréter l’information et de construire une image.” Voyons-nous pour autant toute la réalité du monde qui nous entoure ? Pas exactement. La lumière contient beaucoup plus d’informations que notre œil est capable d’en détecter. Il n’est sensible

qu’à une toute petite partie des ondes lumineuses émises dans l’Univers. Cette portion, le “domaine visible”, comprend les rayonnements de longueurs d’onde comprises entre 400 et 750 nm — soit la gamme de couleurs de l’arc-en-ciel. Infrarouge, ultraviolets, rayons X nous échappent totalement. Qu’importe, c’est tout à fait suffisant si vous souhaitez admirer les beautés célestes. Pour cela, choisissez une nuit sans Lune, d’un beau noir d’encre. Une fois dehors, un peu de patience. “Il faut en moyenne une vingtaine de minutes pour que nos yeux s’adaptent à l’obscurité, souligne Serge Bertorello, de l’Association


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marseillaise d’astronomie (Amas). Mais dès 3 à 4 minutes, la Voie lactée se révèle.” En effet, dans l’obscurité, l’iris s’ouvre afin de capter davantage de lumière. Puis, phénomène plus long, nos photorécepteurs passent en “mode nuit”. “Ce sont les cônes qui s’adaptent en premier, en 7 minutes environ. Ensuite, les bâtonnets poursuivent l’adaptation à l’obscurité, et ce processus prend quelque 20 minutes. Ce n’est qu’à ce moment-là que la rétine est pleinement habituée à l’obscurité, et cette durée est principalement déterminée par le temps nécessaire à reconstituer les stocks de rhodopsine, protéine responsable de la transduction de la lumière en signal électrique

dans les photorécepteurs, nous expliquait Sylvain Roy, ophtalmologue et lecteur dans un “Télescopage” (C&E n° 518). D’un point de vue évolutif, il est intéressant de constater que le temps d’adaptation à l’obscurité correspond grosso modo au temps moyen que dure le crépuscule civil aux latitudes moyennes (30-35 minutes).” À moins qu’un imprudent ne vous éblouisse à coup de lampe torche et que la phase d’adaptation soit à recommencer, vous voilà prêts. Et le jeu en vaut la chandelle : en moyenne, nous pouvons distinguer des astres jusqu’à la magnitude 6,5. À vous, grande nébuleuse d’Orion, beaux amas d’étoiles…

PAGE DE GAUCHE Lorsqu’elle est à l’horizon, on compare la Lune au paysage et aux monuments, ce qui la fait paraître plus grosse. © M. Claro/C&E Photos. CI-DESSUS Par une nuit sans Lune, il vous faudra une vingtaine de minutes afin que votre œil s’habitue à l’obscurité. © M. Weigand/C&E Photos.


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De l’avis de tous les amateurs, l’observation à l’œil nu est celle qui procure le plus d’émotions. © M. Claro/C&E Photos.

lorsqu’il est au plus haut dans le ciel. Rassurez-vous, La Lune n’est pas en train de se rapprocher de la Terre. Vous êtes simplement victime d’une illusion d’optique. Pour évaluer la taille de la Lune, notre cerveau a besoin de repères : il la compare aux objets environnants. Quand elle culmine, la Lune nous paraît petite dans l’immensité du ciel, alors qu’elle nous semble énorme à l’horizon quand elle passe au voisinage d’arbres ou de montagnes. “Or, c’est justement le contraire, corrige Serge Bertorello. Quand la Lune est à l’horizon, elle est plus éloignée de l’observateur d’environ 6500 km (le rayon terrestre).” C’est entendu : la Lune ne grossit pas quand elle flirte à l’horizon, mais pourquoi s’habille-t-elle de rouge ? La couleur est déterminée par la faculté d’un

corps à réfléchir telle ou telle fraction du spectre visible. Ainsi, un corps nous apparaît blanc s’il en réfléchit la totalité. C’est le cas de la Lune… la plupart du temps. Mais à l’horizon, sa lumière doit traverser une couche d’atmosphère bien plus épaisse. Or l’atmosphère terrestre disperse davantage le violet et le bleu (courtes longueurs d’onde du spectre visible) que le jaune et le rouge. Du coup, la Lune ou le Soleil nous apparaissent orangés à leur lever ou à leur coucher. À présent renseignés sur les capacités de vos prunelles, vous êtes prêts à dévorer le ciel des yeux. Oui, mais voilà : la plupart des astres sont très faiblement lumineux et, même en cherchant bien, vous ne les percevrez sans doute pas. La solution ? Ne pas les regarder en face, mais légèrement de biais. Une technique

Et avec des lunettes ? Faut-il ôter ses lunettes avant de regarder dans un télescope ? Myopes et presbytes, c’est votre cas. Avec la bonnette de votre oculaire, vous pourrez en effet ajuster la mise au point en fonction de votre défaut optique, de la même manière que vous réglez l’oculaire © J.-L. Dauvergne/C&E Photos

Cependant, si vous êtes néophytes, rien de tout cela ne vous sautera aux yeux — hormis la Lune, bien sûr. “Un observateur peut chercher un grand nombre de fois une nébuleuse dans le ciel sans la trouver, explique Serge Bertorello. Et une nuit, il la verra enfin. Il réalisera alors qu’il la voyait depuis le début ; simplement, elle ne ressemblait pas à l’idée qu’il s’en faisait.” En effet, c’est l’expérience qui permet au cerveau d’interpréter ce qu’il voit. Ainsi, un aveugle de naissance qui recouvre la vue après une opération ne comprendra pas tout de suite ce qu’il perçoit, car son cerveau n’a pas été éduqué à la vision. Repérer un astre n’est pas tout. Encore faut-il, s’il est suffisamment lumineux, pouvoir le détailler. “Au centre de la rétine se trouve la fovéa, décrit Alicia Torriglia. C’est cette zone peuplée de cônes qui permet de voir distinctement.” En outre, l’aptitude de l’œil à distinguer les objets est limitée. “Il peut séparer deux points distants de 1 minute d’arc”, souligne François Colas, astronome à l’observatoire de Paris. C’est-à-dire qu’il parvient à distinguer deux points distants de 3,4 m et séparés de 1 mm. Avec un peu d’entraînement, au télescope, la Grande Tache rouge de Jupiter, la division de Cassini et les détails des cratères lunaires vous sauteront aux yeux. Si l’astronome amateur doit éduquer son œil à l’observation, il doit aussi se méfier des pièges qu’il lui tend. L’un d’entre eux est célèbre. Quand la Lune se lève, elle surgit de l’horizon au-dessus des paysages lointains. Son disque rougeoyant vous paraît bien plus grand que

de votre appareil photo à votre vue avant de l’utiliser. Astigmates, vous devrez en revanche conserver vos lunettes, à moins d’investir dans une gamme d’oculaires spécialement conçue pour compenser l’astigmatisme et disponible uniquement chez le fabricant TeleVue.


92

que les astronomes appellent “vision décalée”. “Les bâtonnets, les photorécepteurs les plus sensibles, sont plus nombreux à la périphérie de la rétine, explique Alicia Torriglia. Il vaut mieux axer votre regard légèrement à côté de l’astre pour en capter davantage de lumière. Petit inconvénient : c’est grâce à la seconde catégorie de photorécepteurs, les cônes, que nous voyons distinctement. La vision périphérique est donc moins nette que la vision centrale.” Bien entendu, vous chasserez d’autant mieux les objets célestes avec un télescope. Celui-ci vous permettra d’observer des astres bien plus faibles que ceux perceptibles à l’œil nu. “Un télescope géant de 5 m de diamètre capte un million de fois plus de lumière que l’œil humain, indique François Colas. Il nous donne ainsi accès à des astres de magnitude 30.” Le spectacle peut commencer. Pourtant, lors de vos premières observations, vous direz-vous peut-être : “Je ne vois que des taches grises…” comme beaucoup de novices dépités. Et pour cause, avec un télescope de 115 mm d’ouverture, le ciel nocturne se dévoile en noir et blanc. Pourquoi ? Parce que les cônes, les photorécepteurs qui nous permettent de voir les couleurs, ont besoin d’une certaine intensité lumi-

CI-CONTRE Un observateur même peu entraîné est capable de saisir la différence de couleurs d’étoiles ; par exemple, jaune et bleu dans le système double Albiréo. © Capella Observatory/C&E Photos. PAGE DE DROITE La nébuleuse Helix. Certains télescopes sont capables d’enregistrer les rayonnements ultraviolets ou infrarouges. L’œil humain, lui, n’est sensible qu’à la portion “visible” du spectre électromagnétique. Il ne perçoit donc pas la totalité de l’information existante. © J. Schedler/C&E Photos.

OBSERVATION

neuse pour s’activer. Voici pourquoi la nuit tous les chats sont gris. “Cependant, même peu entraîné, on peut distinguer la couleur des étoiles, note François Colas. Ainsi, le rouge d’Antarès ou d’Aldébaran est facilement perceptible. La différence de couleurs est encore plus frappante pour les étoiles doubles. Par exemple, Albiréo, dans la constellation du Cygne, se compose d’une étoile jaune d’or et d’une autre bleuvert.” Les nébuleuses, quant à elles, ne dévoilent que rarement leurs couleurs. Peut-être saisirez-vous cependant des

nuances (pourpres, vertes ou bleues, selon les observateurs !) de la nébuleuse d’Orion ou les teintes turquoise de NGC 6572… Pour capter les couleurs, l’œil humain a un sacré concurrent : la photographie. Vous serez d’autant plus déçu par votre premier coup d’œil à l’oculaire si vous connaissez bien les splendides clichés du télescope spatial Hubble. Disparus, l’anneau vert clair bordé de rouge de la nébuleuse Helix, l’aquarelle émeraude et rosée de celle de la Lagune, etc. Même


93

543 |

aidée d’un télescope, notre rétine ne fait pas le poids. En effet, la photographie possède un avantage majeur : elle permet d’accumuler la lumière. Un capteur photo mis derrière un télescope, avec un long temps de pose, révèlera des détails invisibles à l’œil nu. Certes, l’œil possède la même efficacité quantique qu’un capteur photo, soit 80 % (il détecte 80 % des photons émis). La différence tient dans le temps d’exposition : la persistance d’une image sur la rétine peut aller jusqu’à 1/3 de seconde. Il suffit de dépasser ce temps

de pose pour surpasser l’œil humain. Ne renoncez pas pour autant. Car, nous l’avons dit, l’œil a plus d’un tour dans son sac. Ainsi, il est très performant en basse lumière, quand le bruit de lecture induit par l’appareil photo dégrade le signal. Il restitue aussi mieux les contrastes que ne le fait la photo. Prenez autant de clichés de la Lune que vous voudrez, aucun ne rendra exactement ce que l’œil perçoit des cratères abrupts et des mers tranquilles. “Évidemment, il faut mériter ces objets ; apprendre à les regarder

parfois des heures durant pour connaître peu à peu leurs moindres détails, leurs contours les plus diffus”, tempère Serge Bertorello. “J’invite celui qui veut améliorer sa vision nocturne à dessiner ses observations. Les fantastiques carnets de Lucien Rudaux (3) sont la preuve que le dessin est souvent plus ‘honnête’ que la photo, ajoute François Colas. C’est d’ailleurs comme cela que procédaient les anciens. Le résultat était toujours très impressionnant.” Apprenti astronome, vous voici prévenu : vous ne percevrez jamais nébuleuses et galaxies comme le Very Large Telescope (VLT) ou le télescope Hubble, tous équipés d’imagerie numérique à la pointe de la technologie. Mais dans ce cas, peut-on dire que les images somptueuses de ces instruments sont fidèles à la réalité ? “Si nous pouvions nous approcher suffisamment de ces astres, nous verrions en effet tous ces tableaux spectaculaires que l’on découvre dans les magazines et sur le web, répond François Colas. À quelques détails près. Ces images sont parfois prises au moyen de filtres sélectionnant des rayonnements que notre œil ne perçoit pas (ultraviolet, infrarouge…). Certaines régions de formation stellaire, de gaz ou de poussières nous échapperont donc toujours.” L’observation visuelle a encore de beaux jours devant elle. Ne serait-ce que par l’émotion qu’elle procure : “Si explorer les trésors célestes demande quelques efforts, ceux-ci sont toujours récompensés par le plaisir qu’on en retire, confirme Serge Bertorello. Car aucun instrument, si performant soit-il, ne suscite tant de fascination que la découverte de la voûte étoilée à l’œil nu.” Émilie Martin

(1) Institut national de la santé et de la recherche médicale. (2) Particules de lumière. (3) Peintre et astronome, Lucien Rudaux (1874-1947) a publié des ouvrages de vulgarisation, dont un Manuel pratique d’astronomie (1925) et Sur les autres mondes (1937).


94

OBSERVATION

LE 28 SEPTEMBRE, LA LUNE S’ÉCLIPSE Observable à l’œil nu ou au télescope, une éclipse totale de Lune est un événement spectaculaire à ne pas rater. D’autant que celle du 28 septembre est la dernière visible avant 2018.

I

l faudra attendre le 27 juillet 2018 pour admirer de nouveau une éclipse totale de Lune depuis l’Europe ! Voilà une excellente raison de ne pas manquer celle qui a lieu dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 septembre. Si vous n’avez encore jamais vu un tel spectacle, vous devez savoir que, lors d’une éclipse de Lune, notre satellite naturel passe dans l’ombre de la Terre. Un observateur situé sur la Lune verrait le même spectacle que la sonde New Horizons lorsqu’elle est passée dans l’ombre de Pluton (voir article p. 22). Au lieu de disparaître totalement, la Lune devient très sombre et se pare d’une belle robe rouge brique. Elle est alors éclairée par les rayons du Soleil fortement diffusés par l’atmosphère de la Terre — un phénomène similaire à ce que l’on observe lors d’un coucher de Soleil, quand la lumière de notre étoile traverse une épaisseur plus importante d’atmosphère. L’éclipse se déroule en trois temps : l’entrée dans la pénombre de la Terre ; le passage dans l’ombre de notre planète, avec une phase de totalité ; puis une sortie à nouveau dans la pénombre (voir dessin p. 95, en haut). C’est à 0 h 11 TU (2 h 11, heure de Paris) que la Lune entre dans la pénombre. Cette phase est assez peu spectaculaire. La Lune reste blanche et le dégradé de lumière est peu évident à l’œil. À 1 h 07 TU, la Lune commence à entrer dans l’ombre de la Terre. Un bord s’assombrit. Le phénomène sera visible aux jumelles et au télescope. Quelques minutes supplémentaires seront nécessaires pour le discerner à l’œil nu. Au télescope, la transition entre l’ombre et la lumière n’est pas franche. Vous pouvez constater dans cette zone un dégradé avec des teintes variées, allant du jaune au vert. À partir de 2 h 11 TU, plus aucun rayon solaire n’atteint la Lune directement. C’est le début de la totalité ! Dans cette phase, notre satellite peut montrer un très beau dégradé de couleurs, du rouge orangé vers le centre de l’ombre, jusqu’au jaune-vert (parfois même du bleu) au bord. L’aspect de la Lune à cet instant dépend nettement de la composition de l’atmosphère, sa densité en particules, et donc de la météo. Dans les minutes qui suivent, la teinte orangée gagne tout le disque et il est de plus en plus sombre, jusqu’au paroxysme à 2 h 51 TU. Si vous êtes dans un site protégé de la pollution lumineuse, le ciel devient aussi noir qu’en l’absence de Lune. Les

ÉC

LIP TIQ

Alnath

M 31

UE

TAUREAU Bételgeuse

ANDROMÈDE

Aldébaran

Bellatrix

ORION Rigel Lune BALEINE

Vesta

20°

SUD

Le 28 à 2 h 51 tu


543 |  95

éclipses ont pourtant lieu par définition au moment de la Pleine Lune. C’est donc le seul moment où il est possible d’admirer la Voie lactée à la Pleine Lune, ou encore la galaxie d’Andromède, M 31, non loin ! Vers le sud-est, ne manquez pas de profiter de la présence d’Orion et de la Voie lactée d’hiver (voir carte p. 94). La fin de la totalité a lieu 33 minutes plus tard, à 3 h 23 TU. De nouveau, soyez attentif au dégradé de couleurs particulièrement intéressant dans les minutes qui précèdent. Il est rare que les teintes soient les mêmes au début et à la fin de la totalité. La sortie complète de l’ombre a lieu à 4 h 27 TU, et la sortie de la pénombre à 5 h 22 TU (7 h 22, heure de Paris). Il sera temps alors pour certains de se préparer à prendre le chemin de l’école ou du travail !

Pour les photographes NORD ÉC

LIP TIQ

Pénombre de la Terre

UE

Ombre de la Terre EST P4

OUEST O4

5 h 22 tu 4 h 27 tu tu : temps universel

Visible au lever de Lune

O3 3 h 23 tu

O2 2 h 11 tu SUD

Entièrement visible

P4 P4 O4 O3 O2 O1 P1

O1 1 h 07 tu

P1 0 h 11 tu

Visible au coucher de Lune

Non visible

P4 O4 O3 O2 O1 P1

P1 : entrée dans la pénombre de la Terre. O1 : entrée dans l’ombre de la Terre. O4 : sortie complète de l’ombre terrestre. P4 : sortie complète de la pénombre.

PHOTO PAGE DE GAUCHE En juxtaposant plusieurs photos prises lors des phases partielles, vous pouvez visualiser les bords de l’ombre de la Terre. L’entrée et la sortie de l’ombre ont été traitées en haute dynamique (HDR) pour gérer le contraste élevé sur le disque lunaire. © J.-L. Dauvergne/C&E Photos.

Un compact expert, posé sur un trépied, permet de photographier une éclipse. Il convient d’utiliser l’appareil en mode manuel. Pendant la phase de totalité, choisissez des temps de pose de quelques secondes à 400 ou 800 ISO, après avoir réglé la mise au point manuellement sur l’infini. Mais pour obtenir un bon résultat, un appareil doté d’un grand capteur est préférable, qu’il soit à visée reflex ou électronique. Vous avez le choix principalement entre deux stratégies : soit photographier le paysage pendant l’éclipse de Lune en l’incluant dans le champ, soit vous concentrer sur la Lune elle-même avec une longue focale. Dans le premier cas, un objectif grand-angle est nécessaire. Inutile d’utiliser une focale très courte car la Lune est à une vingtaine de degrés de l’horizon au moment de la totalité. Un objectif de 24 à 35 mm convient sur les appareils au format APS-C. Pour le plein format, des optiques de 35 à 50 mm sont adaptés. Un simple pied photo, avec l’objectif utilisé à sa pleine ouverture, suffit pour des temps de pose de 20 à 30 s. Si vous voulez détailler la Lune, un équipement plus lourd est nécessaire. Misez sur une focale de 500 à 1200 mm avec une lunette ou un télescope installé sur une monture équatoriale motorisée. Pendant la totalité, le temps de pose varie entre le début et la fin. Nous vous conseillons de conserver une sensibilité modérée, de l’ordre de 400 à 800 ISO maxi. Avec ces paramètres, un temps de pose de quelques secondes conviendra. Contrôlez le résultat à l’écran pour adapter le temps de pose au fur et à mesure. Dans les phases où la Lune est à cheval entre l’ombre et la pénombre, le contraste est très fort. Vous pouvez tenter d’utiliser les techniques de haute dynamique, en fusionnant en mode HDR des images prises avec trois ou quatre temps de pose différents. Photoshop possède une telle fonction. Sinon, certains logiciels sont dédiés à ce type de traitement. Le plus réputé est Photomatix. Vérifiez tout de même si votre appareil n’est pas capable de faire ce traitement lui-même. Cette fonction HDR est de plus en plus répandue. Certains préféreront toutefois garder la main sur les paramètres de prise et vue et sur le traitement. Sur un sujet aussi délicat, c’est sans doute plus prudent ! Ensuite, ne manquez pas de nous envoyer vos meilleures photos à : ouvertlanuit@cieletespace.fr Jean-Luc Dauvergne


96

éphémérides

DÉBUT DE NUIT

DU 15 SEPTEMBRE AU 15 OCTOBRE

NORD SE

SO

EST

OUEST

N E

O N

Ciel visible à la latitude de Clermont-Ferrand (45° 47’ N). Si vous habitez au nord de cette ville, l’Étoile polaire sera plus haut dans le ciel et les étoiles de la partie sud de la voûte céleste seront plus proches de l’horizon (et inversement si vous habitez au sud).

FIN DE NUIT

NORD EST

OUEST

E

N

N

O

SUD

LÉGENDE

SE

Amas ouvert Amas globulaire Nébuleuse planétaire Nébuleuse diffuse Galaxie Astéroïde Planète

SO

Symboles

Noms Orion Constellation Spica Étoile Vénus Planète

SUD


543 |  97 Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne

MILIEU DE NUIT

O N

NORD OUEST

N E SE

SO

EST COMMENT UTILISER CES CARTES

1 Éloignez-vous de toute source lumineuse. Laissez vos yeux s’habituer à l’obscurité pendant au moins 15 minutes. Pour lire la carte sans être ébloui, utilisez de préférence une lampe rouge.

2 Le centre de la carte correspond au zénith, le point situé au-dessus de votre tête. Une constellation représentée à mi-distance du centre et du bord de la carte est donc à égale distance de l’horizon et du zénith.

3 Si, par exemple, vous observez vers l’ouest, tenez la carte comme indiqué ci-contre, en plaçant le mot “ouest” vers le bas. Les constellations dessinées au-dessus de l’horizon ouest vous font face sur le ciel.

Cartes : © C&E

SUD


98

éphémérides

LES PLANÈTES SEPTEMBRE/OCTOBRE

mercure

Les planètes à viser en ce moment sont Neptune, Uranus et Vénus. Les deux premières sont à découvrir au télescope. Invisible à l’œil nu, Neptune apparaît comme une petite bille sans détail dans un instrument. Fin juillet, on signalait à sa surface une tempête très brillante. Si celle-ci est encore active, il est possible de la détecter avec une caméra vidéo, un télescope de 300 mm et un filtre rouge-infrarouge. Uranus mérite également un suivi météo que seuls les amateurs peuvent assurer avec régularité. Vos images peuvent être partagées avec la commission des planètes de la SAF. Sous un bon ciel, pensez aussi à chercher Uranus à l’œil nu. Elle est faiblement visible, et c’est le point le plus lointain du Système solaire accessible sans moyen optique. En fin de nuit, profitez de Vénus, dont la taille apparente surpasse celle de Jupiter ! Elle est basse, mais reste visible à l’œil nu en plein jour. Il ne faut donc pas hésiter à l’observer après le lever du Soleil. Un filtre rouge permet d’assombrir le fond de ciel.

POSITIONS HÉLIOCENTRIQUES 0°

Uranus

Neptune

15/9

tailles apparentes relatives des planètes

constellation

15/9

1/10

1/10

vierge

vierge

cancer

lion

magnitude

0,7

5,1

-4,5

-4,5

diamètre apparent

8,6"

10,2"

42,3"

52,5"

élongation

24° e

1° o

36° o

43° o

distance (ua)

0,7819

0,6581

0,3973

0,5051

7 h 42/18 h 28

5 h 55/17 h 15

2 h 33/16 h 08

2 h 04/15 h 39

lever/coucher intérêt visibilité

Terre

Vénus 90°

vénus

Pour voir MERCURE miseptembre, il faut être sous les tropiques. Depuis la France, elle se couche moins de 30 minutes après le Soleil. Dans les jours qui suivent, elle se rapproche encore plus du Soleil et n’est plus observable.

VÉNUS se montre à l’aube avec une taille apparente généreuse. N’hésitez pas à la viser au télescope et, pourquoi pas, à prolonger l’observation après le lever du Soleil. Elle se montre sous la forme d’un croissant.

270°

Mercure

lundi

mardi

mercredi

jeudi

15/9

16

17

Saturne 7 h 24 |

Mars

21

Jupiter

18 h 59

22

8 h 23 |

19 h 28

23

9 h 21 |

18 h 50

15 h 28 |

0 h 53

24

180°

Les planètes sont positionnées pour le 15 octobre. Pour Mercure, Vénus, la Terre et Mars, la portion de courbe plus large indique leur déplacement depuis le 15 juillet.

LE SOLEIL DU 15 SEPTEMBRE AU 15 OCTOBRE lever

méridien

coucher

15/9

5 h 25

11 h 42

17 h 59

20/9

5 h 31

11 h 41

17 h 50

25/9

5 h 37

11 h 39

17 h 40

30/9

5 h 44

11 h 37

17 h 30

5/10

5 h 50

11 h 36

17 h 21

10/10

5 h 56

11 h 34

17 h 11

15/10

6 h 03

11 h 33

17 h 02

13 h 08 |

22 h 49

28

13 h 58 |

23 h 48

29 17 h 55 |

5 h 52

5

18 h 31 |

13 h 28

12

7 h 10

17 h 03

1er/10 19 h 11 |

8 h 27

7 –|

14 h 08

13 5 h 18 |

30

6 23 h 26 |

14 h 45 |

17 h 31

9 h 39

1 h 23 |

15 h 14

8 h 14 |

18 h 34

8 0 h 24 |

14 h 43

14 6 h 16 |

19 h 54 |

15 7 h 15 |

18 h 01


543 |  99

mars

jupiter

saturne

uranus

neptune

1/10

1/10

1/10

1/10

1/10

lion

lion

balance

poissons

verseau

1,8

-1,7

1,4

5,7

7,8

3,9"

31,4"

15,7"

3,7"

2,3"

34° o

27° o

53° e

168° o

150° e

2,3882

6,2725

10,561

19,001

29,09

2 h 43/16 h 26

3 h 25/16 h 39

10 h 26/19 h 50

17 h 50/6 h 55

16 h 25/3 h 15

MARS est visible à l’aube, mais sa taille apparente et sa hauteur la rendent peu intéressante au télescope.

JUPITER est dans une situation analogue à Mars. Mais sa taille apparente plus généreuse permet de distinguer quelques détails au télescope.

URANUS passe à l’opposition le 12 octobre. C’est donc le moment idéal pour l’observer.

NEPTUNE culmine en première partie de nuit et se trouve toujours dans une situation idéale pour la viser au télescope.

vendredi

samedi

dimanche

18

19

20

10 h 19 |

20 h 33

25

11 h 17 |

21 h 12

26 16 h 07 |

2 h 04

2

16 h 44 |

3 h 18

10 h 47

9 15 h 43

4 h 35

OCÉAN DES TEMPÊTES

21 h 33 |

11 h 48

La Lune est au plus haut début octobre. Le 2, elle culmine en fin de nuit, le 3 au début de l’aube et le 4 au milieu de l’aube. Ne manquez pas de l’observer le 28 septembre : elle s’éclipse, mais c’est aussi la plus grosse Pleine Lune de l’année puisqu’elle est au périgée à cette date !

MER DE LA SÉRÉNITÉ

Copernic Terminateur le 3

4

10 2 h 22 |

17 h 20 |

LA LUNE AU SOMMET

MER DES PLUIES

21 h 57

27

3 20 h 41 |

12 h 14 |

SATURNE n’est plus visible d’au crépuscule, dans ces conditions elle devient peu intéressante au télescope.

Terminateur le 4 22 h 28 |

MER DES NUÉES

12 h 41

11 3 h 21 |

16 h 10

4 h 19 |

Tycho

16 h 36

Taille angulaire : 32’

Clavius

périgée le 28 sept. apogée le 11 oct. premier quartier le 21 septembre pleine lune LÉGENDE Lever | Coucher

le 28

9h 2 h 51

date

2h

356 876 km

13 h 406 388 km

hauteur méridien phase

2 octobre

60°

3 h 19

78 %

dernier quartier le 4 octobre

21 h 07

3 octobre

62°

4 h 14

68 %

nouvelle lune

0 h 07

4 octobre

62°

5 h 08

58 %

le 13


100

éphémérides

DÉBUT DE NUIT

DU 15 OCTOBRE AU 15 NOVEMBRE

NORD SE

SO

EST

OUEST

N E

O N

Ciel visible à la latitude de Clermont-Ferrand (45° 47’ N). Si vous habitez au nord de cette ville, l’Étoile polaire sera plus haut dans le ciel et les étoiles de la partie sud de la voûte céleste seront plus proches de l’horizon (et inversement si vous habitez au sud).

FIN DE NUIT

NORD EST

OUEST

E

N

N

O

SUD

LÉGENDE

SE

Amas ouvert Amas globulaire Nébuleuse planétaire Nébuleuse diffuse Galaxie Astéroïde Planète

SO

Symboles

Noms Orion Constellation Spica Étoile Vénus Planète

SUD


543 |  101

MILIEU DE NUIT

O N

NORD OUEST

N E SE

SO

EST COMMENT UTILISER CES CARTES

1 Éloignez-vous de toute source lumineuse. Laissez vos yeux s’habituer à l’obscurité pendant au moins 15 minutes. Pour lire la carte sans être ébloui, utilisez de préférence une lampe rouge.

2 Le centre de la carte correspond au zénith, le point situé au-dessus de votre tête. Une constellation représentée à mi-distance du centre et du bord de la carte est donc à égale distance de l’horizon et du zénith.

3 Si, par exemple, vous observez vers l’ouest, tenez la carte comme indiqué ci-contre, en plaçant le mot “ouest” vers le bas. Les constellations dessinées au-dessus de l’horizon ouest vous font face sur le ciel.

© C&E

SUD


102

éphémérides

LES PLANÈTES OCTOBRE/NOVEMBRE

mercure

En première partie de nuit, nous vous conseillons d’observer Uranus et Neptune. La première est faiblement visible à l’œil nu, mais la seconde requiert un télescope. Les conseils d’observation donnés page 98 restent entièrement valables. En fin de nuit, Vénus, Jupiter et Mars se livrent à un drôle de ballet formant un tableau évolutif, passionnant à suivre de jour en jour. En observant tous les matins, vous percevrez littéralement le mouvement des planètes. Mars croise Jupiter les 18 et 19 octobre. Les 25 et 26, c’est au tour de Vénus de rejoindre la planète géante, de la doubler, pour finalement rattraper Mars le 2 novembre. Cerise sur le gâteau, du 6 au 8 novembre, le croissant de Lune complété par une belle lumière cendrée s’invite dans le tableau ! Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte. Mars est d’un éclat moyen, mais Vénus et Jupiter brillent plus que n’importe quelle étoile. Il est également vivement conseillé de les viser au télescope pour voir les phases de Vénus et les satellites de Jupiter.

POSITIONS HÉLIOCENTRIQUES

15/10

tailles apparentes relatives des planètes

constellation

vénus

15/10

1/11

1/11

vierge

vierge

lion

lion

magnitude

-0,4

-1

-4,4

-4,3

diamètre apparent

7,2"

5,1"

27,7"

22,9"

élongation

18° o

10° o

46° o

46° o

distance (ua)

0,9397

1,3191

0,6081

0,7374

4 h 26/16 h 33

5 h 25/16 h 18

2 h 04/15 h 20

2 h 20/14 h 57

lever/coucher intérêt

Uranus

Neptune

visibilité

Terre

90°

MERCURE est visible à l’aube mi-octobre. Elle perd ensuite de la hauteur et devient plus difficile à observer après le 25. Début novembre, elle se noie dans l’aube et n’est plus observable.

VÉNUS est à son élongation maximale le 26 et son angle au Soleil est stable sur cette période. En revanche, sa taille apparente diminue. Il ne faut donc pas perdre de temps pour la détailler au télescope.

270°

Vénus

lundi

Mercure

mardi

mercredi

jeudi

15/10 Saturne 8 h 14 |

Mars

19

20

21

18 h 34

22

Jupiter 180°

11 h 53 |

Les planètes sont positionnées pour le 15 septembre. Pour Mercure, Vénus, la Terre et Mars, la portion de courbe plus large indique leur déplacement depuis le 15 août.

LE SOLEIL DU 15 OCTOBRE AU 15 NOVEMBRE lever

méridien

coucher

15/10

6 h 03

11 h 33

17 h 02

20/10

6 h 10

11 h 32

16 h 53

25/10

6 h 17

11 h 31

16 h 45

30/10

6 h 24

11 h 31

16 h 37

5/11

6 h 32

11 h 31

16 h 29

10/11

6 h 39

11 h 31

16 h 22

15/11

6 h 46

11 h 32

16 h 17

21 h 38

26

12 h 40 |

22 h 39

27 16 h 24 |

4 h 40

2

17 h 02 |

12 h 06

9

5 h 57

23 h 15 |

15 h 34

17 h 42 |

12 h 44

7 h 13

16 h 03

18 h 29 |

8 h 25

0 h 14 |

13 h 46

7 h 06 |

17 h 11

5 –|

13 h 17

11 5 h 07 |

14 h 02 |

29

4

10 4 h 08 |

23 h 45

28

3 22 h 15 |

13 h 23 |

12 6 h 07 |

16 h 35


543 |  103

mars

jupiter

1/11

saturne

1/11

uranus

1/11

neptune

1/11

1/11

vierge

lion

scorpion

poissons

verseau

1,7

-1,8

1,4

5,7

7,9

4,2"

33"

15,2"

3,7"

2,3"

45° o

51° o

26° e

159° e

119° e

2,2024

5,9648

10,886

19,048

29,469

2 h 23/15 h 04

1 h 54/14 h 50

8 h 40/17 h 57

15 h 46/4 h 47

14 h 22/1 h 11

Tout comme Mars, JUPITER gagne du terrain sur l’aube. Elle est suffisamment haute pour suivre ses nuages et ses satellites.

SATURNE se noie dans les lueurs du crépuscule. Elle est visible à l’œil nu mais trop basse au télescope.

MARS gagne de la hauteur mais sa taille apparente en fait toujours une cible difficile au télescope.

vendredi

samedi

dimanche

16

17

18

9 h 12 |

19 h 12

23

10 h 09 |

19 h 54

24 14 h 38 |

0 h 55

30

11 h 03 |

2 h 08

15 h 48 |

MER DES PLUIES

20 h 43

3 h 23

1/11

31

NEPTUNE culmine en première partie de nuit. Il est encore temps de l’observer au télescope.

LA LUNE AU SOMMET

25 15 h 13 |

Passée à l’opposition le 12 octobre, URANUS est dans sa période idéale pour une observation au télescope.

OCÉAN DES TEMPÊTES

MER DE LA SÉRÉNITÉ

Copernic

MER DE LA TRANQUILLITÉ

Terminateur le 31 Terminateur le 1er

19 h 20 |

9 h 32

6

20 h 16 |

10 h 31

7 1 h 13 |

14 h 14

13 17 h 53

11 h 22

3 h 10 |

15 h 06

8 2 h 11 |

14 h 40

14 8 h 04 |

21 h 15 |

OCÉAN DES NUÉES

Tycho

18 h 40

Taille angulaire : 33’

Clavius

15 9h|

9 h 52 |

19 h 33

LÉGENDE Lever | Coucher

La Lune est au plus haut fin octobre en fin de nuit. Ne manquez pas de l’observez aussi dans les jours qui précèdent car elle est proche du périgée et sa taille apparente dépasse 33’. Le 27 est elle pleine mais dès le 28 des relief se dévoilent au limbe.

périgée

le 26 oct.

13 h 358 463 km

apogée

le 7 nov.

22 h 405 722 km

premier quartier le 20 octobre

20 h 32

date

pleine lune

12 h 06

30 oct.

61°

le 27

hauteur méridien phase 1 h 59

91 %

dernier quartier le 3 novembre

6 h 28

31 oct.

62°

2 h 56

83 %

nouvelle lune

17 h 48

1er nov.

62°

3 h 50

74 %

le 11


104

éphémérides

septembre 15

mardi

Mercure est à 5° de la Lune. Trop proche de l’horizon depuis la France, ce rapprochement est à observer sous les tropiques.

18

vendredi

Le croissant de Lune est à 4,5° de Saturne en début de nuit. Le rapprochement est également intéressant le 19.

23

mercredi

Équinoxe d’automne.

25

Les coefficients de marée avoisinent leurs maxima. La Pleine Lune la plus proche de l’équinoxe a lieu au moment où elle est au plus près de la Terre. À Brest, le 28, la pleine mer a un coefficient de 114 à 16 h 03 TU. Le 29, il atteint 117 sur une échelle de 120 pour les pleines mers de 4 h 26 et 16 h 48.

29 L’astéroïde Vesta passe à l’opposition dans la constellation de la Baleine. C’est le moment idéal pour observer cette petite planète visitée l’an dernier par la sonde Dawn. Sa taille apparente est de 0,5’’ et sa magnitude de 6 la rend en théorie faiblement visible à l’œil nu.

octobre 3

9

signification des pictos jumelles télescope

samedi

L’astéroïde Eunomia passe à l’opposition dans la constellation de Pégase. Sa magnitude devient de 7,9 le rend visible aux jumelles.

lundi

Éclipse totale de Lune visible dans son intégralité depuis la France. La totalité a lieu de 2 h 11 à 3 h 23 TU et le moment central à 2 h 48 TU. Lire aussi p. 94.

œil nu

mardi

vendredi

Mars est en conjonction avec Régulus, l’étoile principale de la constellation du Lion. Les deux astres rivalisent d’éclat. Ils sont séparés de 0,8°. Jupiter et Vénus les accompagnent dans le ciel de l’aube. Le trio de planètes se resserre de plus en plus dans le mois qui vient !

28

29

vendredi

Maximum d’activité de l’essaim d’étoiles filantes des Draconides. Le taux d’activité est variable.

9 En fin de nuit, Vénus surplombe le croissant de Lune à 4°. Mars et Jupiter sont en contrebas à 6° et 9°.

10

samedi

Jupiter surplombe la Lune à 4,5°. Mars et Vénus juste au-dessus complètent le tableau.

11

23

lundi

À partir de ce matin et dans un site protégé de la pollution lumineuse, vous pouvez chercher la lumière zodiacale à l’aube vers l’est.

12 À l’aube, cherchez au télescope le fin croissant de Lune. La Nouvelle Lune a lieu dans 18 heures.

12 Uranus passe à l’opposition. C’est la période la plus favorable pour l’observer. Elle est faiblement visible à l’œil nu.

9 16

Le croissant de Lune surplombe Saturne située à 2,5°.

17

25

samedi

Jupiter est à 0,4° de Mars en fin de nuit.

dimanche

Passage à l’heure d’hiver. À 3 h, reculez vos montres d’une heure.

26

Jupiter est à 1,1° de Vénus à l’aube. jeudi

De 21 h 38 à 22 h 42 TU, la Lune occulte Aldébaran. L’étoile disparaît au bord clair et réapparaît au limbe sombre.

novembre mardi

Mars est à 0,7° de la Lune.

CHAQUE MOIS, RETROUVEZ LES ÉPHÉMÉRIDES SUR w w w. c i e l e t e s p a c e r a d i o . f r

jeudi

Maximum d’activité des Taurides Sud. Le taux horaire est de 5 météores.

6

vendredi

En fin de nuit, Jupiter est à 5° de la Lune.

6 Vénus passe à seulement 0,2° de l’étoile Zavijava dans la Vierge (magnitude 3,6).

7

samedi

Mars, Vénus et la Lune sont regroupées sous un angle de 3,5°. Jupiter les surplombe à 8°.

10

26

3

5

lundi

Vénus est à son élongation maximale (46°) dans le ciel du matin. Elle se lève 4 heures avant le Soleil.

29

16

vendredi

Mars, Jupiter et Vénus forment un trio serré à l’aube. Les trois astres sont regroupés sous un angle de 4,5°. Plus bas à l’horizon, Mercure se lève.

vendredi

Mercure est à son élongation ouest maximale (18°). Elle fait une belle apparition dans le ciel de l’aube.

mercredi

Maximum d’activité de l’essaim d’étoiles filantes des Orionides. Jusqu’à 30 météores par heure sont visibles.

dimanche

Un fin croissant lunaire se dessine à l’aube, 43 heures avant la Nouvelle Lune.

12

21

mardi

À l’aube, cherchez un fin croissant sélène 36 heures avant la Nouvelle Lune.

11

mercredi

Chercher la lumière zodiacale à l’aube vers l’est. Un ciel noir est requis.

12

jeudi

Maximum d’activité des Taurides Nord. Le taux horaire est de 5 météores.

13

vendredi

Au crépuscule, le fin croissant de Lune est à 8° de Saturne. LES HORAIRES SONT EN TEMPS UNIVERSEL Pour obtenir l’heure légale en France métropolitaine, ajoutez 2 heures avant le 25 octobre, et 1 heure après.


543 |  105

vendredi

25 septembre à 4 h 50

Écl ipt iqu

e

Vénus Algieba Mars

LION

Régulus

Zosma Alphard

Jupiter

20°

HYDRE FEMELLE

BALEINE

10°

Écl ipti que

SEXTANT Diphda EST

samedi

Vesta

Deneb Algenubi

29 septembre à 0 h

mardi

3 octobre à 0 h Alphératz

Écl ipti qu

e

POISSONS

Eunomia Scheat

10° Algenib

10°

PÉGASE

Uranus

POISSONS li Éc iqu pt

Markab

e

lundi

e

23 octobre à 5 h

CHIENS DE CHASSE Cor Caroli

LION

Hydrobius

Mars Zavijava

Régulus

SEXTANT CHEVELURE DE BÉRÉNICE

Denebola

Vénus Jupiter Mars

Jupiter

Denebola

CHEVELURE DE BÉRÉNICE

Écl ipti que

Écl ipt iqu

vendredi

12 octobre à 0 h

Vindemiatrix

Alphard

HYDRE FEMELLE

Lune

Vénus

Muphrid

COUPE

20°

30°

VIERGE

CORBEAU

COUPE Mercure EST

EST

samedi

7 novembre à 5 h


106

Vous avez la parole

PATRICK PELLETIER Expert en matériel d’observation, Patrick Pelletier est jeune retraité. Il anime des stages de l’Association française d’astronomie et il est secrétaire de l’association Astro Image Processing.

En partenariat avec Astro Images Processing

NIKON D810A : UN PLEIN FORMAT DÉDIÉ À L’ASTRONOMIE J’ai toujours été séduit par la simplicité d’utilisation des reflex numériques pour un usage nomade. Au fur et à mesure des progrès techniques, mes boîtiers sont renouvelés régulièrement, et c’est avec un grand intérêt que je me suis livré au test du D810A mis à disposition par Nikon pour Ciel & Espace. “A” comme astronomie : c’est la première fois que Nikon commercialise un boîtier dédié à cet usage. Canon s’est déjà aventuré deux fois sur ce marché avec le Canon EOS 20Da et le tout dernier EOS 60Da. La réponse de Nikon est cette fois de taille, car c’est la première fois qu’un fabricant propose un appareil dédié à l’astronomie en plein format. Soit un capteur de 24 x 36 mm, pour 36,6 millions de pixels. Les Canon dédiés à l’astronomie ont un capteur au format APS-C, 2,6 fois plus petit. La plus grosse modification sur ces appareils par rapport aux versions grand public est l’utilisation d’un filtre devant le capteur dont la sensibilité a été étendue dans le rouge. Elle devient ainsi bien supérieure dans la raie de l’hydrogène H alpha (656 nm). Or, l’hydrogène est le premier constituant de l’Univers. Les pixels de 4,88 microns offrent la possibilité d’utiliser des focales courtes, tout en conservant une bonne résolution. Ce boîtier Nikon D810A peut aussi être utilisé en photo de tous les jours, la balance des blancs est équilibrée et correcte en mode RAW (images brutes). La prise en main du Nikon D810A est agréable. Même si l’ergonomie n’est pas une caractéristique essentielle pour des

applications en astronomie, ce point reste appréciable pour apprivoiser l’outil. Comme tous les astrophotographes, je suis exigeant sur les vibrations engendrées par l’obturateur. Un sélecteur dédié offre la possibilité de les éliminer pour des vitesses de prise de vue lentes. Le miroir reste relevé en permanence ; l’obturation se fait de manière électronique. Autre point fort du D810a, il dispose d’un intervallomètre intégré : il est possible par le menu de programmer la prise de vue de plusieurs photos sans télécommande

filaire. Les câbles de liaison engendrent souvent des vibrations dans un site soumis au vent ou se rigidifient dans le grand froid. J’ai utilisé une télécommande uniquement pour m’aider dans la phase de cadrage. En plus du classique mode M, la position M* sur le sélecteur (mode manuel, exposition prolongée) est vraiment une particularité de ce boîtier : la limite est de 900 s, ce qui est amplement suffisant même dans des sites protégés de la pollution lumineuse ! Autre détail appréciable, aucune LED témoin

Reflex Nikon D810A Prix : 3 700 €

>

Le Nikon D810a est à gagner en participant au Photo Nightscape Awards 2015, dans la catégorie ‘In Town’. Envoyez vos photos avant le 30 septembre prochain. Informations : www.photonightscapeawards.com


543 |  107 Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne

Cette vue des nébuleuses de la Lagune et Trifide résulte de l’addition de 47 poses de 30 s prises à 3 200 ISO au foyer d’une lunette Vixen VSD (100/380 mm). © Courtesy P. Pelletier

de fonctionnement au cours de la pose. On peut fermer manuellement le viseur avec un petit volet interne. Du côté de la sensibilité, il faut trouver une valeur idéale pour avoir suffisamment de signal, mais pas trop de bruit. J’ai réalisé des essais de jour à différentes valeurs, et les images montrent que jusqu’à 3 200 ISO le bruit est peu visible lorsque l’on additionne une trentaine d’images. À cette sensibilité, le bruit de lecture mesuré est de 1,3 électron. C’est très bas ! Le Nikon se rapproche ainsi du Sony alpha 7s testé en mars 2015 dans Ciel & Espace. J’ai profité de ces essais pour me familiariser avec le logiciel Camera Control, qui offre la possibilité de travailler en LiveView directement sur l’écran de mon ordinateur. La liaison avec port USB3 assure un taux de transfert rapide, c’est appréciable. J’utilise toujours cette méthode pour assurer la mise au point. La précision et le confort sont meilleurs qu’avec l’écran du boîtier. Notons néanmoins que l’écran de 3,2” (8 cm) est confortable, la visualisation peut se faire même hors axe sous un angle très ouvert. Sur le ciel, j’ai réalisé des images avec la lunette Vixen VDS-100 dotées d’un champ plan de 80 mm. Une fois la mise au point effectuée, j’ai pointé la nébuleuse de la Lagune M8 en vérifiant le cadrage à 25 800 ISO pour gagner du temps. Quelques secondes de pose, et la nébuleuse est bien visible. Mon but est de faire une belle image avec les extensions de M 8 avec sa compagne M 20. Dernière étape, je recherche le temps de pose convenable pour mon site en fonction de la pollution lumineuse limitant à la sensibilité 3 200 ISO. Je constate avec étonnement que 30 secondes suffisent pour avoir un bon signal sur les nébuleuses ! La réponse du capteur dans le rouge et l’infrarouge est très élevée. J’ai pu enchaîner mes 50 images dans ce temps record.


108

ouvert la nuit

Laurent Huet Cette vue inhabituelle du ciel est le fruit d’un travail de titan (en bas et zoom en haut à gauche). Elle est composée de 231 champs assemblés en mosaïque pour un résultat de 440 millions de pixels ! Elle couvre la quasi-totalité de la Voie lactée sous les latitudes tempérées nord et met en valeur les nébuleuses grâce à l’ajout d’un filtre hydrogène. Laurent a utilisé une projection de type Aitoff, semblable à celle produisant des planisphères terrestres en forme de ballon de rugby. Objectif Zeiss Makro-Planar 100 mm f/2 / Caméra CCD Sbig STL 6303e / Assemblage de 231 images de 12 fois 5 min chacune avec un filtre Hα

Nicolas Jongis Cette superbe aurore boréale a été photographiée en Suède en février 2015. La présence de la Lune est ici un atout, car elle apporte une teinte bleutée au fond de ciel tout en éclairant la neige. C’est plus esthétique que le vert des aurores. Autre point fort : les draperies rouges sont très développées. Elles sont généralement bien plus discrètes que les aurores vertes. Enfin, Jupiter est de toute beauté avec sa lumière légèrement diffusée par un cirrus. Objectif de 14 mm / Reflex Nikon D610 / 25 s à 1 600 ISO

COUP DE CŒUR


543 |

109 Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne


110

Jean-Paul Mission Quelques jours avant la rencontre serrée entre Vénus et Jupiter, les deux astres ont reçu, le 20 juin, la visite de la Lune. Pour ce rendezvous, Jean-Paul a choisi de grimper au col de Turini, au nord de Nice. Le rendu de la brume au crépuscule dans la vallée est superbe. Le temps de pose bien dosé met en évidence la lumière cendrée de la Lune, c’est-à-dire la partie nocturne éclairée par le clair de Terre. Objectif 35 mm / Reflex Canon EOS 6 D / 10 s à f/6,3 et 800 ISO

Jean-Marc Mary Le 30 juin 2015, Vénus et Jupiter étaient si proches qu’il était possible de les observer simultanément au télescope. La difficulté est de gérer la forte différence de luminosité. Jean-Marc a choisi de surexposer Vénus, dont la surface ne présente aucun détail dans le domaine visible. Il aurait également été possible de combiner trois images réalisées avec un temps de pose différent : une pour la surface de Vénus, une pour Jupiter et un troisième pour les satellites joviens. Télescope amateur de Calern de 400 mm / Reflex Canon EOS 700D

Lucie Maquet Pour réussir vos photos de conjonction, tout réside dans le choix de l’avant-plan. Celui-ci donne l’échelle et renforce la sensation de rapprochement entre les deux astres. Ici, Vénus et Jupiter le 30 juin 2015, alors qu’elles étaient à 22’ l’une de l’autre. Le décor choisi est le château de Manzanares el Real, au nord de Madrid. Autre ingrédient important : ne pas attendre la nuit tombée. Un ciel crépusculaire est toujours plus beau sur ce type de cliché. Objectif Canon 50 mm f/1,8 / Reflex Canon EOS 450D / 6 s à f/11 et 200 ISO

Adressez-nous vos photos à : ouvertlanuit@cieletespace.fr

Merci de nous envoyer vos images à leur résolution maximale, de préférence dans un ­format JPEG peu compressé.

ouvert la nuit


543 |

111


112

CONSEIL PHOTO

NICOLAS OUTTERS Passionné de photographie du ciel profond, Nicolas Outters est à l’origine de la découverte de plusieurs nébuleuses planétaires. Il est également président de l’association AIP. En partenariat avec Astro Images Processing

COMMENT PRÉTRAITER VOS IMAGES Nous avons vu dans le C&E n° 542 les défauts, dus au capteur ou à l’optique, dont souffre une image d’astronomie. Il existe de multiples logiciels pour les corriger, mais il est indispensable de bien comprendre le processus pour ne pas commettre d’erreur. Rappelons que trois types d’images sont nécessaires pour “cartographier” ces défauts. Ce sont l’offset (correspondant au signal de lecture), le dark (signal thermique) et le flat (ou plage de lumière uniforme). Pour traiter vos images brutes, il vous faut : – une centaine d’offsets d’un temps de pose proche ou égal à 0 s, pris dans le noir ; – quelques dizaines de darks du même

La galaxie spirale M 101. Temps de pose de 20 min, avec un télescope RCOS de 300 mm à F9.

temps de pose et même température que les images brutes, pris dans le noir ; – 5 à 7 flats d’une intensité lumineuse entre 40 et 60 % du niveau maximal du capteur, pris sur une source de lumière uniforme.

3 Création du dark maître. Le logiciel combine les darks calibrés en faisant une moyenne ou une médiane pour obtenir un dark maître.

Le traitement en 7 étapes

maître. Chaque flat contient également l’offset ; il faut donc lui soustraire l’offset maître pour obtenir un flat “calibré”.

1 Création de l’offset maître. Le logiciel

récupère les 100 offsets et les combine en faisant une moyenne ou une médiane (1). Le bruit de l’offset maître est ainsi réduit. 2 Calibration de chaque dark par l’offset

maître. Chaque dark contient également le signal d’offset. Il faut donc soustraire l’offset maître à chaque dark pour obtenir des darks calibrés.

4 Calibration de chaque flat par l’offset

5 Création du flat maître. Le logiciel va récupérer les flats calibrés et les combiner en faisant une moyenne ou une médiane pour obtenir un flat maître. 6 Le prétraitement. Une fois les images

de calibration créées, il faut procéder

M 101, suite au traitement de 53 images de 20 min, avec le même télescope. Photos : courtesy N. Outters


543 |  113 Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne

1

2 3 4 Image calibrée

Combinaison de quatre images calibrées

au prétraitement des images brutes. Chacune subira le traitement suivant : image brute – offset maître = image 1 puis image 1 – dark maître = image 2 puis image 2 / flat maître = image finale Dans le cas de l’offset et du dark, on comprend aisément pourquoi on doit soustraire le signal de lecture et le signal thermique à l’image brute. Dans le cas du flat, l’opération de division est plus compliquée à appréhender. En fait, les défauts de luminosité de l’image brute sont proportionnels à ceux du flat. Si une zone de l’image brute est trop lumineuse, elle va être divisée par la valeur donnée du flat. Une autre zone avec une anomalie 2 fois plus forte encore sera divisée par une valeur du flat 2 fois supérieure. Et ainsi toute l’image se retrouve nivelée. Le flat est bien plus lumineux que l’image brute. On divise donc des petites valeurs par des grandes. Pour tout rehausser, le logiciel multiplie l’ensemble de l’image par une valeur, généralement la moyenne des valeurs d’intensité contenues dans le flat. 7 L’empilement des images. Lors des

prises de vue, une photo unique suffit sur un paysage car, au-delà de 30 à 50 s, le ciel tourne. Au télescope en revanche, il est possible de réaliser un grand nombre d’images afin d’augmenter le rapport signal/bruit de l’image finale. Avant d’empiler les images, le logiciel de prétraitement va les aligner en se basant sur la position des étoiles. Il est possible

5

Combinaison de seize images calibrées

de corriger des translations, mais aussi des rotations. C’est utile lorsque la mise en station n’est pas parfaite ou que les prises de vue sont étalées sur plusieurs nuits. Certains logiciels comme Pixinsight corrigent même des défauts d’échelle. La focale et donc la taille du champ peuvent légèrement varier au cours de la nuit au gré des variations de température.

Le choix du logiciel Effectuer ces traitements est la spécialité de Deep Sky Stacker, gratuit et facile d’utilisation : http://deepskystacker.free.fr/french/

Une photo (1) est entachée de plusieurs informations parasites : l’offset (5), le signal thermique caractérisé par le dark (4), plus des variations locales de sensibilité caractérisées par le flat (3). Le prétraitement débarrasse l’image brute (2) de ces défauts. © J.-L. Dauvergne

gérer l’automatisation d’un observatoire, et même l’exploitation scientifique : http://www.prism-astro.com/fr/Materiel.html/

http://www.astrosurf.com/buil/iris/iris.htm/

Le logiciel Pixinsight est le “Photoshop” des astrophotographes. Il est le meilleur pour un rendu esthétique. En revanche, son interface est peu intuitive. L’association AIP organise régulièrement des stages de formation. Elle propose également à ses membres 28 % de réduction sur le prix public de 278,30 €.

Prism, développé par Cyril Cavadore, est un couteau suisse pour les utilisateurs de caméra CCD. Il coûte 238 €. Il peut

(1) Une médiane retient la valeur du milieu dans une série ordonnée. Dans la série 30, 40, 200 par exemple, la médiane est 40, alors que la moyenne est 90.

Conçu par Christian Buil, Iris est très performant, mais moins intuitif :

COMMENT OBTENIR UN FLAT Dans la pratique, obtenir un flat (ou plage de luminosité uniforme) est parfois délicat. Dans le cas d’une photo de paysage nocturne, il faudrait trouver une source uniforme très grande pour couvrir tout le champ de l’objectif. Mission impossible. Heureusement, l’assombrissement de l’image dans les coins (vignetage) peut être corrigé dans de nombreux logiciels, comme Photoshop. Dans le cas d’un appareil photo, une seule série de flats est nécessaire, car il produit directement des images en couleur. Avec une caméra CCD en revanche, il faut réaliser une série par filtre. Il existe plusieurs méthodes pour prendre ces flats. Juste avant le lever du Soleil lorsque les étoiles ne sont plus visibles, mais que le ciel n’est pas encore trop lumineux. Autre solution de nuit : utiliser un écran blanc éclairé par un coup de flash. Il existe aussi des modèles d’écrans rétroéclairés par LED dans le commerce.


PHOTOS

Offrez-vous le tirage de votre choix ! Retrouvez ces images et bien d’autres avec différentes propositions de formats et de finitions sur : http://www.cieletespacephotos.fr/main.php/v/tirages-prestige/CE543/

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CEE543

43/7 - Civilisation Extraterrestre par D. Florentz 41x60 cm - 38 € - http://goo.gl/I6TYwY

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Bon à retourner accompagné de son règlement par chèque à l’ordre de l’AFA (Association française d’astronomie), à :

CIEL & ESPACE PHOTOS AFA, 17, rue Émile-Deutsch-de-la-Meurthe 75014 Paris 43/8 - Ville d’Exoplanète par Manchu 60x38 cm - 38 € - http://goo.gl/LTa2Fh

www.pictogalerie.fr/gallery/ciel-et-espace-photos

543 |  115


116

TEST

Lunette Omegon Photography Scope 72/432 ED

LUNETTE LA NUIT, TÉLÉOBJECTIF LE JOUR Depuis dix ans, l’offre en petites lunettes qualitatives s’est envolée. Dans ce contexte de forte concurrence, Omegon se démarque avec sa 72/432 ED. Son système de mise au point original permet de l’utiliser comme un téléobjectif à mise au point manuelle. Diamètre : 72 mm Focale : 432 mm Rapport focale/diamètre : 6 Magnitude limite : 11,4 Accessoire fourni : valise de transport Poids : 2 kg Prix : 599 €

Première approche : une ergonomie de téléobjectif L’offre en petites lunettes de 72 mm s’est multipliée ces dernières années. La marque Omegon n’est pas en reste avec un modèle qui se démarque de la concurrence. Sa Photography Scope 72/432 ED est dotée d’un système de mise au point hélicoïdal comme sur un téléobjectif photo. Il est ainsi possible de l’utiliser à main levée avec un appareil photo, en faisant la mise au point d’une main et déclenchant de l’autre. Le choix est plutôt astucieux, car ces petites lunettes ont une certaine popularité chez les photographes animaliers. Elles permettent à moindre coût d’avoir un téléobjectif puissant et de qualité. En effet, ces lunettes sont conçues avec seulement deux ou trois

lentilles, là où il en faut généralement entre quinze et dix-huit sur un téléobjectif pour assurer le zoom et l’autofocus. Il en résulte des images souvent plus détaillées. Ce choix se fait au détriment de la facilité d’utilisation et de la réactivité. Qui peut le plus, peut le moins : cette ergonomie est tout à fait adaptée à un usage de nuit en astrophotographie, ou pour de l’observation visuelle de jour comme de nuit.

Tube optique : une belle mécanique À réception de la lunette, le premier bon point est sa valise de transport en aluminium. L’instrument est bien calé à l’intérieur, dans une mousse taillée sur mesure. Ainsi protégé, il est envisageable de le faire voyager dans la soute d’un avion.


543 |  117 Textes et photos : Jean-Luc Dauvergne

Avec une Barlow 5x, la Lune montre de nombreux détails et l’image est contrastée. Il s’agit ici d’une mosaïque de trois images prises avec une caméra DMK41. Un filtre orange a permis de limiter le chromatisme.

Un sabot sous le tube fait office de queue-d’aronde pour monter l’instrument directement sur une monture équatoriale. La pièce est bien dimensionnée, elle fait 7 cm de long. C’est suffisant pour un maintien rigide sans être trop encombrant. En dessous sont disposés deux patins en liège sur toute la longueur. C’est un détail appréciable : ils évitent à l’instrument de glisser en cas de mauvais serrage et apportent une certaine souplesse au serrage, utile en cas de changement de température. Le système de mise au point est peu habituel pour un instrument d’astronomie. Une bague hélicoïdale permet d’effectuer la mise au point par déplacement de l’objectif. Ce choix mécanique est bien plus complexe qu’un simple porte-oculaire. Mais il y a plus : une seconde bague moins large, plus proche du porte-oculaire, permet aussi d’agir sur la mise au point avec une démultiplication. Elle sert aux réglages fins. Les mesures faites sur le banc optique montrent que le déplacement de l’objectif n’altère pas l’alignement optique. On note simplement un jeu faible sur les deux bagues de réglage. Pour une utilisation manuelle, ce n’est pas gênant. En revanche pour une mise au point automatisée avec une courroie, il faudra prévoir un paramétrage de compensation du jeu. Le porte-oculaire est classique, au coulant 50,8 mm (2 pouces). En cas de besoin, cette partie peut se dévisser pour monter d’autres accessoires faits sur mesure. Le pas de vis est, lui aussi, au diamètre de 2 pouces.

Planètes : de bonnes performances En visant la Lune avec un oculaire de 8 mm (54x), le chromatisme n’est pas visible et l’image est très fine. Avec un 3,5 mm (143x), l’image est assombrie, mais reste encore très bonne. Le

chromatisme n’est visible que lorsque l’on défocalise un peu. Avec ce même oculaire, Jupiter montre de nombreux détails : la planète se partage en sept bandes d’un pôle à l’autre. Les pôles sont assombris, ainsi que les deux bandes subéquatoriales. Avec un oculaire de 2 mm, l’image reste lisible malgré le grossissement excessif pour le diamètre (215x). En revanche, il n’y a pas plus de détails qu’à 143x. La mise au point est incisive avec la bague principale, mais elle devient agréable lorsque l’on affine avec la bague démultipliée. En photo, les performances sont également très bonnes pour le diamètre. Les vues de la Lune sont fines et contrastées. Bien entendu, 72 mm, c’est limité et ce genre d’instrument sert plus volontiers à photographier les couchers de Soleil ou les éclipses. Dans ce cas, l’ajout d’un complément optique est souhaitable comme pour la photographie du ciel profond.

Ciel profond : un bon téléobjectif Pour l’observation visuelle, il faut ajouter un accessoire mécanique pour allonger le chemin optique. Soit un renvoi coudé, soit un tube allonge. Avec un renvoi coudé 2”, la latitude de mise au point est un peu juste avec certains oculaires au coulant 31,75 mm. Il est conseillé d’avoir un réducteur de coulant mince entre le 50,8 mm et le 31,75 mm, ou plus simplement d’utiliser un renvoi coudé directement au coulant 31,75 mm. Avec un tube allonge, un modèle de 9 cm de long convient pour parvenir à effectuer la mise au point ; pour un appareil photo, choisissez un modèle plus court, de 2 à 3 cm. Sur les images prises directement au foyer, la courbure de champ est acceptable sur un capteur au format APS-C, et elle devient prononcée sur un capteur plein format. Ce défaut vient


TEST

La nébuleuse d’Orion a été photographiée avec un appareil plein format, le Sony alpha 7s, et un aplanisseur de champ 0,8 x Televue. Les étoiles sont relativement fines sur tout le champ, mais certains coins comme celui en haut à gauche sont plus fins que les autres.

Cette vue de la comète C/2014 Q2 a été prise avec un appareil plein format (Sony alpha 7s), aucun correcteur n’a été utilisé. L’allongement des étoiles dans les coins est très fort. Le rectangle rouge délimite le champ d’un capteur au format APS-C. La déformation des étoiles se limite aux coins, mais elle reste relativement importante.

du fait que, sur une lunette, l’image nette se forme sur une surface courbe. Du coup, lorsque la mise au point est bonne au centre, elle ne l’est plus dans les coins. Il est donc vivement conseillé de coupler la lunette à un aplanisseur de champ. Nous avons fait le test avec le modèle Televue TRF-2008, qui offre en plus l’avantage de réduire la focale. Le champ est plus grand, et les temps de pose plus courts. La focale passe de 430 à 344 mm. On dispose ainsi d’un petit téléobjectif lumineux. Des défauts optiques restent perceptibles dans les coins avec un capteur plein format (24 x 36), mais sont néanmoins acceptables. On constate en revanche que la correction n’est pas aussi bonne dans tous les coins, ce qui montre que le capteur n’est pas parfaitement perpendiculaire à l’axe optique. Sur l’instrument, il n’y a pas de système de réglage pour pallier ce défaut. Il faut recourir à des accessoires pour le corriger. Skymeca, par exemple, propose une bague avec système de réglage, et le foyer de la lunette est suffisamment reculé par rapport au tube pour l’intercaler. Ce problème ne se pose pas avec un capteur APS-C, les étoiles sont impeccables jusque dans les coins. C’est donc le bon outil à coupler à cette lunette pour former un ensemble homogène. Les caméras CCD à capteur de taille moyenne conviennent aussi. Visuellement, l’intérêt d’une telle lunette est de disposer d’un champ très large en ciel profond. Avec un oculaire de 30 mm haut de gamme, vous disposez d’un champ de près de 6° ! C’est l’idéal pour les grandes comètes, les Pléiades, la galaxie

d’Andromède ou encore les Dentelles du Cygne. Ces dernières sont faiblement visibles en haute montagne et deviennent évidentes avec un filtre OIII.

Observation terrestre : une alternative aux téléobjectifs La conception de cette lunette vise clairement à la rendre compatible avec une utilisation en tant que téléobjectif. La mise au point hélicoïdale permet même une utilisation à main levée. Dans la pratique, le confort est loin de celui d’un objectif photo, mais les images sont bonnes. Elles sont très piquées, avec néanmoins un petit manque de contraste. Pour une utilisation de jour, la qualité des diaphragmes internes est importante, ainsi que l’intérieur du tube. Il doit être aussi mat que possible pour éviter les reflets parasites. Sans doute que l’un de ces deux points n’est pas suffisamment optimisé. Néanmoins, la petite perte de contraste peut facilement être compensée au traitement. L’argument principal de ce genre de lunette est d’offrir une focale de 400 mm pour un coût bien inférieur à celui d’un téléobjectif photo (à partir de 1 000 €). L’inconvénient est l’absence de stabilisation et d’autofocus. Ce choix est donc surtout valable pour des sujets immobiles photographiés au grand jour. Nous remercions Nimax pour la mise à disposition du matériel et Airylab pour les mesures optiques.


543 |  119 À éviter

Médiocre

Moyen

Bien

Très bien

Parfait !

Rubrique réalisée par Jean-Luc Dauvergne

Nos conclusions Omegon n’est pas le seul fabricant à produire des lunettes de 72 mm dotées d’une optique de qualité. Mais il a su se démarquer de la concurrence avec son système de mise au point interne très apprécié lors de nos essais. Mieux, les mesures faites sur le banc optique hissent cette lunette au rang des meilleurs instruments testés jusqu’ici dans cette rubrique. Même s’il y a moins de périls à triompher avec un petit diamètre, la performance mérite d’être saluée ! Couplée à un aplanisseur de champ, elle se transforme en objectif photo lumineux pour un reflex au format APS-C ou une petite caméra CCD (avec un capteur plus grand, une lunette plus haut de gamme est préférable). On est proche du sansfaute. Pour le prix, on aurait simplement souhaité avoir quelques accessoires comme un chercheur et un adaptateur photo.

NOTATION Qualité optique Mécanique du tube Finition Observation visuelle Imagerie planétaire Imagerie du ciel profond

NOUS N’AVONS PAS AIMÉ

NOUS AVONS AIMÉ

Le faible jeu dans la mise au point L’absence d’accessoires

Le système de mise au point La qualité optique

VIGNETAGE À mesure que l’on s’éloigne du centre du capteur, l’image s’assombrit. Ce défaut est appelé vignetage. Sur un capteur au format APS-C (22 x 15 mm), la perte de lumière dans les coins est acceptable, elle est de 14 %. Sur un capteur 24 x 36, la perte de lumière devient gênante, elle est de l’ordre de 30 %. Il faut bien veiller à utiliser une bague d’adaptation spécifique aux grands capteurs. Les bagues T2 classiques font 42 mm de diamètre, c’est plus petit que la taille du capteur (43 mm de diagonale). Dans ce cas, la perte de lumière dans les coins grimpe à 60 %.

UNE ÉTOILE À LA LOUPE

100 %

0

86 % 27 mm

QUALITÉ OPTIQUE Ci-dessous, le front d’onde mesuré en collaboration avec Airylab (avec en bleu, les creux et en vert, les bosses). Voici le résultat obtenu dans le vert, excellent. Ceux obtenus dans le bleu sont bons, et très bons dans le rouge. En termes d’échelle, on considère qu’un instrument est proche de la perfection lorsque les défauts sur le front d’onde sont au maximum de l/4 PTV et l/20 RMS. Niveau atteint sur tout le spectre visible. C’est une belle prouesse.

Rouge (635 nm)

Écart extrême (PTV)

Écart type (RMS)

l/6,2 (102 nm)

l/37 (17 nm)

Vert (543 nm)

l/9,4 (58 nm)

l/54 (10 nm)

Bleu (473 nm)

l/3,9 (122 nm)

l/21,5 (22 nm)

L’observation d’une étoile à fort grossissement montre un anneau concentrique autour de la figure de diffraction. Il faut forcer le contraste pour le faire ressortir, car il est très peu lumineux, signe d’une bonne optique. L’alignement optique est quasi parfait. C’est un point important, car il ne peut pas être corrigé sur ce genre d’instrument. Les tests optiques montrent d’excellents résultats dans chaque couleur avec un rapport de Strehl (1) de 0,97 dans le rouge et 0,95 dans le bleu. Le vert approche la perfection avec un rapport de 0,99 ! L’instrument a donc été optimisé pour le milieu du spectre visible (le vert). Ce choix à la conception permet d’avoir un bon niveau de performance dans tout le spectre visible. (1) Rapport de Strehl : c’est le rapport entre l’énergie mesurée au centre de la tache image de l’instrument testé et celle d’un instrument parfait. Une optique parfaite a un Strehl de1, et pour attendre la limite de diffraction il faut être au-dessus de 0,8.

CHROMATISME En mesurant la position du foyer dans diverses longueurs d’onde, on constate un étagement de 120 μm entre le foyer bleu et le foyer vert. Cette valeur est proche de celle mesurée sur la lunette haut de gamme Vixen VSD. Le foyer rouge est relativement proche du foyer bleu à 40 μm, et le foyer vert est situé 80 μm plus loin. Avec une mise au point intermédiaire, les étoiles restent fines sur tout le spectre visible même avec les petits pixels d’un reflex numérique. 120 µm


INITIATIVES

DEVENEZ SAVANTURIER !

T

ous les parents le savent : les enfants sont des petits chercheurs. Alors, pourquoi ne pas s’appuyer sur les méthodes de la recherche pour favoriser leurs apprentissages ? Au sein du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), Ange Ansour s’y emploie depuis 2012 en développant des projets pédagogiques novateurs. Neuroscience, éthologie, astronomie... “Notre approche consiste à associer professeurs et scientifiques afin de transformer la classe en laboratoire à hauteur d’enfant. Nous intervenons aussi à Paris dans le cadre des ateliers périscolaires”, explique la coordinatrice pédagogique du programme. Chaque année, dans plusieurs écoles de France, enfants, enseignants et chercheurs deviennent “savanturiers”. Ils embarquent ensemble pour un voyage dont la curiosité des uns est le moteur, l’expérience pédagogique des autres est la carte, et la méthodologie des troisièmes est le gouvernail. Objectif : développer une pédagogie différenciée et transdisciplinaire. “La Les Savanturiers Centre de recherches interdisciplinaires 8, rue Charles-V 75004 Paris mail : savanturiers@cri-paris.org twitter : @savantures http://les-savanturiers.cri-paris.org

Les Savanturiers transforment la classe en laboratoire, où la curiosité devient le moteur de l’expérimentation. © Les Savanturiers.

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recherche scientifique préserve la curiosité naturelle des enfants et la transforme en méthodologie. Par ailleurs, elle défend des valeurs de partage et participe à la lutte contre l’obscurantisme. Elle a donc toute sa place à l’école !” souligne Ange Ansour. D’ailleurs, les Savanturiers sont labellisés “La science s’engage” et sont lauréats du fonds Investissements d’avenir, ainsi que du Fonds d’expérimentation pour la Jeunesse. Évidemment, l’astronomie occupe une place de choix chez les Savanturiers. “Dès la première année, beaucoup de doctorants en astrophysique ont eu envie de s’impliquer”, se réjouit Ange Ansour. Et de citer pêle-mêle des projets sur les galaxies, la notion de temps en astronomie ou la construction d’un rover martien. “L’année dernière, deux groupes ont été lauréats du concours ‘Découvrir l’Univers’ de la SF2A (1).” Notamment celui de Fred Ngolé, spécialiste de traitement d’images en thèse au CEA. Le jeune homme garde un excellent souvenir de son expérience auprès des enfants de

l’école Damrémont (Paris 18e) : “Notre projet consistait à reproduire une mission d’exploration planétaire en miniature. Nous sommes partis du concept de gravitation, pour ensuite aborder le Système solaire, avant de nous frotter à la robotique. C’était très varié, et les enfants, du CE2 au CM2, ont accroché tout de suite.” Quant à lui, il a beaucoup appris sur la manière de transmettre la science. Il rempile d’ailleurs cette année, avec d’autant plus d’enthousiasme que Ange Ansour souhaite accentuer encore la présence de l’astronomie chez les Savanturiers : “Nous invitons tous les professeurs des écoles qui veulent développer un projet autour de l’astronomie à se faire connaître. Nous les mettrons en relation avec des chercheurs volontaires pour les accompagner.” L’appel à projets sera ouvert jusqu’au lendemain des vacances de la Toussaint. Et en juin, les élèves pourront présenter leur projet à l’occasion d’un grand événement ! David Fossé (1) http://sf2a.eu/spip/spip.php?rubrique26/


Émeric Bron, Caroline Barban et Alain Diressoundiram, de l’observatoire de Paris, vous enseigneront comment “peser l’Univers” dans un nouveau cours en ligne. © Observatoire de Paris.

L’OBSERVATOIRE DE PARIS LANCE SON MOOC

I

l y a quelques mois, nous vous annoncions que l’École polytechnique de Lausanne lançait le premier Mooc (Massive Open Online Course) d’astronomie en français. Désormais, l’observatoire

de Paris propose également un cours en ligne, sur la plateforme FUN (France université numérique). Son thème : “Comment peser l’Univers et ses différents constituants ?” Du 14 septembre au 19 octobre 2015,

ce cours abordera notamment les différentes méthodes utilisées pour mesurer la masse des planètes, des exoplanètes, des comètes… Pour le suivre, un niveau bac scientifique est requis.

Inscriptions jusqu’au 12 octobre 2015 : https://www.france-universite-numerique-mooc.fr/courses/OBSPM/62001/session01/about

Financez un cosmophone ! Cet appareil détecte le flot permanent de particules qui s’abattent chaque seconde sur la Terre (et sur le spectateur !). Il matérialise leur passage en émettant un son qui dépend de la particule et de sa trajectoire. Le spectateur est plongé dans une mélodie mystérieuse, dont le chef d’orchestre est l’Univers. Le Laboratoire d’astrophysique de

Marseille et le planétarium de Vaulx-en-Velin s’associent pour ajouter un cosmophone dans l’exposition permanente “Histoire de l’Univers” du planétarium. Pour finaliser son installation, 3 000 € sont à réunir. Si cette somme est atteinte, vous pourrez découvrir l’objet dès les prochaines vacances de Noël, dans une nouvelle salle de l’exposition permanente.

http://www.planetariumvv.com/participez-a-lacquisition-dun-cosmophone

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DU CÔTÉ DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE D’ASTRONOMIE

Sidéral : former la nouvelle génération d’astronomes Pour les enfants et les adolescents

C’est le but premier de l’Association française d’astronomie (AFA) : diffuser les connaissances astronomiques le plus largement possible. Le projet Sidéral (Stratégie de développement des réseaux astronomiques locaux) contribue pleinement à cet objectif : il a pour ambition de transformer la curiosité spontanée des enfants pour l’astronomie en un intérêt pérenne. L’objectif final est de toucher 20 000 enfants et adolescents sur quatre ans, et de pouvoir en toucher autant tous les ans par la suite, ce en formant tout un réseau d’animateurs compétents pour mener des stages d’initiation à l’astronomie, les stages “Petite Ourse”.

Un réseau labellisé

Pour ce faire, l’AFA développe tout un réseau de structures labélisées, dont les “Écoles d’astronomie”. Celles-ci sont destinées notamment à former ces animateurs, mais également à jouer le

Apprendre aux jeunes les rudiments de l’astronomie, mais aussi former des animateurs : tels sont les objectifs de Sidéral. © N. Franco/AFA - DR

rôle de centre de ressources en mettant à leur disposition un kit matériel (1) pour mener à bien les stages Petite Ourse. Elles proposent en outre tout au long de l’année des initiations et des activités de découverte de l’astronomie ouvertes à un plus large public, comme les stages “1, 2, 3 Étoiles”. Sur Sidéral, l’AFA travaille en collaboration avec le mouvement d’éducation populaire des Francas, qui encadre de nombreux centres de loisirs. Lancé en 2013, Sidéral est d’ores et déjà fort de très beaux succès : – 10 structures ont été labélisées “École d’astronomie” (AFA, REPERES, Le monde de la ferme des étoiles, observatoire des Baronnies provençales, Observatoire populaire de Laval, planétarium d’Épinal, planétarium de la Coupole, planétarium de Vaulx-en-Velin, PSTJ, Espace Pierre Mendès-France) ; - 32 animateurs ont été habilités formateurs pour organiser des stages d’agréments ;


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3 900

167 Petites Ourses ont été délivrées.

Explorez le Chili et le ciel austral

du 10 au 23 mars 2016 à partir de 4 940 €

Visitez l’observatoire du Gornergrat, le Cern et Genève

4 jours du 17 au 20 octobre 1 370 €

animateurs ont été agréés © P. Henarejos/ C&E Photos

(1) Dans une malle sur mesure, ce kit comprend : trois lunettes astronomiques de 102 mm d’ouverture et de 500 mm de focale ; un télescope de 127 mm équipé d’un système automatique de pointage ; six paires de jumelles ; quinze cartes du ciel tournantes.

Depuis le lancement du projet Sidéral en 2013, plus de

© J.-M. Lecleire/ C&E Photos

Ainsi, plus de 3 900 enfants de 8 à 14 ans ont décroché leur Petite Ourse, c’est-à-dire leur premier niveau d’autonomie dans l’utilisation d’un instrument (télescope ou lunette) sur le ciel, dans l’observation sans danger des astres, dans le repérage de planètes et de constellations. L’AFA a également conçu le “Carnet de bord Petite Ourse”. Véritable guide de terrain pour les stagiaires, il a pour objectif de suivre le jeune durant tout son parcours d’astronome en herbe, pendant la Petite Ourse et après, lors de ses sorties nocturnes. Il y retrouvera ainsi tout ce dont il aura besoin pour se repérer, observer des phénomènes astronomiques, comprendre le ciel qui l’entoure et partager ses plus belles découvertes. Grâce à Sidéral, la relève des astronomes amateurs et pro est assurée !

© Capella Observatory/ C&E Photos

Savoir utiliser un télescope

© Capella Observatory/ C&E Photos

découvrez de nouveaux horizons avec l’afa

- 23 stages ont permis à 160 animateurs de recevoir leur agrément pour organiser des stages Petite Ourse.

Dans les steppes mongoles

12 jours en er Mongolie du 1 au 11 juin 2016 2 350 €

Éclipse totale et volcans en Indonésie

Du 26 février au 13 mars 2016 4 990 € Programmes détaillés et inscriptions sur www.afastronomie.fr Des voyages réservés aux membres de l’AFA (cotisation 18 €)


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DU CÔTÉ DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE D’ASTRONOMIE

Festival des 2 infinis : comprendre et rêver l’univers Notez bien ce rendez-vous : le Festival des 2 infinis se tient cette année du 8 au 18 octobre. C’est une occasion unique de comprendre notre Univers, des premières particules de matière aux grandes structures, du visible à l’invisible, au travers d’une programmation riche et originale : conférences par de grands spécialistes, concours de thèse, randonnées astro… Des soirées d’observation à Paris, dans le parc Montsouris (où se tient le siège de l’AFA), mais aussi un peu partout dans les clubs d’Île-de-France, compléteront les festivités.

Dix grandes conférences Énergie noire, matière sombre, antimatière, particules élémentaires… Notre Univers n’est pas facile à saisir. Pour le rendre plus accessible, et dresser l’état des lieux de la cosmologie moderne, dix conférences seront proposées gratuitement au public. Au menu, par exemple : “Quoi de neuf depuis le redémarrage du LHC ?”, “La quête de la matière noire”, “La lumière des neutrinos révèle l’invisible”…

5 minutes pour une thèse Une quinzaine de doctorants franciliens en astronomie s’affronteront dans le cadre de “Ma thèse en 5 minutes”. Ce concours, doté notamment d’un télescope et d’une visite au CERN, a pour objectif de sensibiliser les jeunes chercheurs à la médiation, mais aussi à faire découvrir au public les sujets actuels de recherche en astronomie. Les doctorants souhaitant concourir doivent adresser un mail avant le 1er octobre à : eric.piednoel@afanet.fr

Randonnées astronomiques

À l’occasion du festival, rendezvous au parc Montsouris, à Paris, pour des soirées d’observation.

Le patrimoine astronomique parisien est riche ! Des guides-conférenciers vous le feront découvrir au travers de balades le long du méridien de Paris. Plusieurs formules sont possibles : “Circuit cadrans de Paris”, “De Montsouris à l’observatoire de Paris”, “Le long de la méridienne, vers la mire Nord”, “Observatoire de Juvisy”, “Circuit Louvre-observatoire de Paris”. Randonnées gratuites mais inscriptions obligatoires.

Le ciel en mouvement

© N. Franco/AFA

Lors du festival, vous pourrez visionner les plus beaux time-lapses du moment, réalisés depuis l’Atacama, l’Islande, le Portugal… Les projections seront entrecoupées de deux interventions d’astrophotographes, qui vous livreront leurs trucs et astuces pour mettre le ciel en mouvement.

FESTIVAL DES 2 INFINIS Du 8 au 18 octobre, en Île-de-France Programme détaillé sur : www.afastronomie.fr


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Une année réussie pour les Nuits

Stages 1, 2, 3 étoiles Première étoile à Épinal Apprendre à utiliser sa lunette ou son télescope, choisir un oculaire, lire des éphémérides, préparer sa soirée, mettre en station son instrument, s’initier aux montures à pointage automatique. Tel est le programme du stage 1re étoile organisé par le planétarium d’Épinal le 14 novembre. À l’issue de ce stage, vous serez capable d’utiliser votre télescope, de le mettre en fonction sur le ciel, de savoir quoi regarder et quand. Profitez de vos nouvelles compétences pour aller ensuite observer le beau ciel de la région !

“Malgré un ciel plombé sur toute la journée, le club a réussi sa Nuit des étoiles 2015 avec quelque 300 personnes accueillies”, “Grand succès, avec 750 personnes mobilisées !” “Une magnifique Nuit des étoiles 2015 : près de 900 personnes sont venues découvrir le ciel étoilé et les anneaux de Saturne”. Dans la région de Nantes, à Douai, à Belle-Île-en-mer, à Paris ou à Nice, les Nuits des étoiles 2015 furent un succès. Ces images de foule curieuse en témoignent.

Réservations obligatoires. Planétarium d’Épinal, planetarium.epinal@wanadoo.fr, 03 29 35 08 02

Formation intensive en Provence

© Ciel Montbéliard

© Cocher 44

De gauche à droite et de haut en bas : le Cocher 44, Ciel Montbéliard, le Club astro vendéen, l’Association astronomique de Belle-Île, et observation à la tour Montparnasse.

Vous êtes de nature impatiente et souhaitez recevoir une formation accélérée en astronomie ? L’observatoire des Baronnies provençales propose justement une formation immersive et intensive de 6 jours et 5 nuits à l’observatoire. Durant ce laps de temps, vous passerez vos 1re, 2e et 3e étoiles. Vous apprendrez ainsi à lire le ciel, utiliser un petit instrument et même piloter un gros calibre de 820 mm de diamètre ! Du 8 au 13 octobre, à partir de 900 € en chambre double, à Moydans (05), www.obs-bp.com/

Stages Petite Ourse

© Centre astro vendéen

Il n’est jamais trop tôt pour débuter en astronomie, notamment grâce aux stages “Petite Ourse”, comme ceux qu’organise le planétarium de la Coupole, à Wizernes (Pas-de-Calais). Les enfants de 9 à 13 ans y apprendront à reconnaître cinq constellations et à repérer la Polaire, à faire la différence entre une étoile et une planète, et même à observer dans un instrument (jumelles, lunette, télescope) avec séance pratique. Du 19 au 21 octobre, ou sous forme de modules à partir du 4 novembre. Rue André Clabaux 62570 Wizernes, 03 21 12 27 27, www.lacoupole-france.com/

© J. Garreau

© AABelle-Île

Autres dates et lieux : www.afastronomie.fr


AGENDA

PATRIMOINE CÉLESTE

STAGES PHOTO

NUITS ÉTOILÉES D’AUVERGNE

Chaque année, les Journées européennes du patrimoine sont l’occasion de visiter les observatoires historiques français. L’observatoire de Marseille, par exemple, vous invite à découvrir le télescope de 80 cm réalisé par Léon Foucault en 1864, ainsi que la grande lunette de 25 cm construite en 1872. Des séances de planétarium seront proposées aux visiteurs. L’observatoire de Lyon permettra également d’admirer son patrimoine classé aux Monuments historiques. Des conférences ainsi qu’un concert compléteront la visite.

Vous êtes passionné par l’astrophotographie et souhaitez améliorer votre technique ? Les stages AIP (Astro Images Processing) sont là pour ça ! Ainsi, du 18 au 20 septembre, vous pourrez apprendre à traiter vos images des planètes et du Soleil à la Ferme des étoiles (Gers). Le même week-end, les débutants s’initieront à la photo astro au domaine de la Grande Garenne (Cher). Du 5 au 8 novembre, un autre stage d’initiation est organisé cette fois au Maroc ! Et du 7 au 15 février 2016, une découverte de PixInsight est organisée à Lyon.

Toute la France – 19 et 20 septembre

Astro Images Processing

L’Auvergne a ses Nuits des étoiles ! Au cœur du parc national des Volcans, dans la ville de Châtel-Guyon, le Collectif d’astronomie de la région Auvergne (qui regroupe 17 structures) organise trois jours et trois nuits d’observation et d’animations gratuites pour tous. Outre une dizaine de conférences (25 ans d’Hubble ; Leonov, premier piéton de l’espace ; d’où vient la Lune…) et de nombreux ateliers, un lancement de ballon-sonde et un concours d’histoires courtes astronomiques sont prévus. Le public est aussi invité à observer le Soleil en journée, puis le soir venu, les planètes, les constellations et le ciel profond.

Journées du patrimoine :

http://astro-images-processing.fr

http://journeesdupatrimoine.culturecommunication.

Châtel-Guyon (63) – Du 1er au 3 octobre

gouv.fr

06 85 10 23 59

Observatoire de Marseille : 04 13 55 21 55,

coutege@wanadoo.fr

andromede.13@live.fr

http://www.astronomie-auvergne.fr

Observatoire de Lyon : 04 78 86 83 83, accueil-

© R. Gendler/C&E Photos

osu@univ-lyon1.fr

FLEURANCE (32)

NANTES (44)

MARSEILLE (13)

PARIS (75)

Avec “Les mystères de l’Univers”, la Ferme des étoiles propose de faire le point sur les grandes questions astrophysiques. Ces présentations laisseront place le soir à l’observation du ciel à l’œil nu et aux instruments. Du 25 au 27 septembre, 276 €, 05 62 06 09 76,

La Société astronomique de Nantes vous invite à suivre le passage de la Lune dans l’ombre de la Terre (lire p. 94) avec, pendant la totalité, une découverte du ciel d’automne. Le 28 septembre, de 2 h à 7 h. Parc du Grand Blottereau, boulevard Auguste-Péneau,

http://www.fermedesetoiles.fr

http://www.san.asso.fr

De Mars à Chury, un voyage exobiologique dans le Système solaire, avec l’astronome François Raulin, du Lisa. Le 18 septembre, à 20 h 30. Observatoire de Marseille (entrée place Rafer, bd Cassini). 5 € ; gratuit pour les adhérents. Renseignements : 04 13 55 21 55, andromede.13@live.fr

Colloque “Les lanceurs européens de Diamant à Ariane 6, la réponse compétitive de l’Europe pour son autonomie d’accès à l’espace”. À la fin des sessions, les orateurs dialogueront avec les participants. 3 et 4 novembre. Université Pierre et Marie Curie, place Jussieu (5e), 05 34 25 03 80, marine.vilia@ academie-air-espace.com.

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EXPOSITION COMÈTES

DES ÉTOILES ET DES AILES

SOUS LES ÉTOILES DE SION

Avec la sonde Rosetta, les comètes sont au cœur de l’actualité scientifique. Une exposition au musée de l’Air et de l’Espace est dédiée à ces astres voyageurs et à l’extraordinaire mission européenne. Maquettes inédites, vidéos, panneaux interactifs font le point sur l’état actuel de nos connaissances sur les comètes, reviennent sur les enjeux et les grandes étapes de Rosetta, et révèlent les premiers résultats tirés des observations de la comète Churyumov-Gerasimenko. Des activités pédagogiques sont par ailleurs proposées au public pour comprendre les notions les plus difficiles.

L’aérospatial sera à l’honneur à la Cité de l’espace du 13 au 15 novembre, dans le cadre du festival Des étoiles et des ailes. Le week-end s’ouvre par une Nuit du cinéma, avec une sélection de films sur l’espace et l’aviation. Au programme des deux jours suivants : salon du livre, démonstrations de drones et de simulateurs de vol, conférences sur l’archéologie en aviation, nos connaissances sur l’Univers, la voltige au féminin…

À 40 km au sud de Nancy, la colline de Sion-Vaudémont offre une vue exceptionnelle, allant des Côtes-de-Moselle jusqu’à la crête des Vosges. Le site bénéficie en outre d’un ciel préservé. C’est là qu’auront lieu, les 3 et 4 octobre, les Rencontres des clubs d’astronomie du Nord-Est (RCANE). Le samedi 3, vous pourrez assister à des conférences données notamment par André Brahic, astrophysicien au CEA, ou Agnès Acker, astronome à l’observatoire de Strasbourg. Le dimanche sera consacré aux ateliers pratiques afin de vous initier ou de vous perfectionner à l’imagerie du ciel profond, la photométrie d’étoiles variables, etc.

Toulouse (31) – Du 13 au 15 novembre Cité de l’espace http://www.desetoilesetdesailes.com/festival

Le Bourget (93) – Jusqu’au 3 janvier 2016 Musée de l’Air et de l’Espace

Colline de Sion-Vaudémont (54) – 3 et 4 octobre

http://www.expo-cometes.fr

Hébergement et repas possibles en écrivant à :

© P. Wagneur/Museum de Genève

rcane2015@gmail.com

GRETZ-ARMAINVILLIERS (77) “Gagarine ou le rêve russe de l’espace”, par Yves Gautier, écrivain spécialiste de la Russie, 19 septembre, 21 h. “La planète Pluton”, par Alain Doressoundiram, de l’observatoire de Paris-Meudon. 17 octobre, 21 h, Uranoscope de l’Île-de-France, 01 64 42 00 02, http://uranoscope.free.fr

TONNEVILLE (50)

GENÈVE (SUISSE)

TOUTE LA FRANCE

Exposition “Nuit”, du 25 septembre au 15 novembre. Observation aux instruments le 25 septembre. Planétarium de Ludiver, 1700, rue de la Libération, 02 33 78 13 80,

Quand la Terre a été reléguée au rang de simple planète, 7 octobre, 18 h 30, suivi à 19 h 15, d’une présentation sur les logiciels de simulation du ciel. Villa Bartholoni, parc de la Perle du Lac, 128, rue de Lausanne, + 41 22 418 50 60,

Le Jour de la Nuit, opération de sensibilisation à la pollution lumineuse, à la préservation de la biodiversité nocturne et du ciel étoilé, des centaines d’animations prévues sur tout le territoire : balades de nuit, observations du ciel, extinction de l’éclairage public. 10 octobre,

www.ludiver.com

http://www.ville-ge.ch/mhs

http://www.jourdelanuit.fr

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LIRE, VOIR

VULGARISATION

L’UNIVERS (VRAIMENT) À PORTÉE DE NEURONES LE PUBLIC Écrit comme un roman, cet ouvrage de vulgarisation peut être mis entre toutes les mains, sans doute dès 14 ans. EN RÉSUMÉ Le héros de ce livre est un homme possédant la faculté de se transformer soudainement, et malgré lui, en pur esprit. Au fil des pages, à travers le regard fasciné de cet être dématérialisé, vous voyagerez à la vitesse de la lumière, visiterez l’antre d’un trou noir avant d’être éjecté à des millions d’années-lumière de là, vous naviguerez entre les quarks et les gluons au cœur d’un noyau atomique, vous volerez au-dessus de notre Voie lactée pour en contempler la silhouette. En vous invitant à vivre ces expériences cosmiques inédites, Christophe Galfard, docteur en physique théorique et ancien étudiant de Stephen Hawking, entend vous faire comprendre comment fonctionne l’Univers, du monde quantique à celui des grandes structures. NOTRE AVIS Il nous a fallu quelques pages pour accrocher à ce personnage éthéré qui arpente l’Univers sans aucune contrainte physique : la ficelle semblait un brin artificielle. Mais il faut bien avouer qu’il n’y a guère d’autres moyens que celui-ci pour assister à l’explosion d’une supernova sans être carbonisé, voyager au cœur d’un trou noir sans être broyé menu, se faire si petit que l’on peut se frayer un chemin entre les quarks et les gluons. La plume de l’auteur est simple, mais enlevée. Et l’ensemble est remarquablement bien construit de sorte que le lecteur est guidé du début à la fin. La somme des informations traitées, à la pointe de l’actualité, a achevé de nous convaincre que nous avions entre les mains l’un des meilleurs ouvrages de vulgarisation que nous ayons lus. Si vous souhaitez enfin comprendre — sans attraper de migraine — certains des concepts les plus arides de la physique (le temps relatif, les interactions quantiques, la première lumière de l’Univers, etc), un conseil : lisez ce livre… en plus de Ciel & Espace, bien sûr. EM

UNE RÉFÉRENCE POUR LES OBSERVATEURS LE PUBLIC Cet ouvrage vise les astronomes amateurs équipés d’une lunette ou d’un télescope. EN RÉSUMÉ Depuis le passage à l’ère numérique, l’observation des planètes a connu un véritable boom dans la communauté des amateurs. Ceux-ci disposent de moyens toujours plus performants pour détailler la surface de ces mondes lointains. Les progrès sont tels qu’il leur est même désormais possible de collaborer avec les astronomes professionnels. Ici, des observateurs parmi les plus aguerris partagent leur expérience et leurs connaissances. Le livre est plutôt orienté vers l’imagerie, mais une place est tout de même réservée à l’observation visuelle et au dessin. NOTRE AVIS Si vous aimez observer les planètes, courez vous procurer cet ouvrage. Il vient combler une lacune dans le domaine et fait déjà référence. Il permet à la fois d’avoir une foule de conseils techniques pour réussir ses obser vations, mais donne aussi de nombreuses informations sur chaque planète du Système solaire. Comprendre les mystères et les rouages de la météo de Jupiter ou de Saturne rend ces mondes encore plus passionnants. JLD

ASTRONOMIE PLANÉTAIRE L’UNIVERS À PORTÉE DE MAIN / Christophe Galfard Flammarion / 440 p. / 19,90 € / 128

Sous la direction de Christophe Pellier / Éditions Axilone / 290 p. / 39 € /


À éviter

Pourquoi pas

Bien

Excellent !

VULGARISATION

ESSAI

HISTOIRE

CAPTER LES RIDES DE L’ESPACE-TEMPS

IL SUFFIT DE PASSER LE PONT

LES MÉMOIRES D’UN ASTRONOME Camille Flammarion / Fe éditions / 380 p. / 22 € Quelle bonne nouvelle que cette réédition des mémoires de Camille Flammarion ! Ce conteur hors pair retrace là une existence riche de science et de rencontres. Vie dans l’Univers, inimitié avec Le Verrier, choses vues : plongez dans le XIXe siècle avec un astronome ! DF

LE PUBLIC Bien que le prologue laisse entendre que le sujet ne “nécessite pas de connaissance scientifique particulière”, mieux vaut avoir quelques notions de physique et d’astronomie pour ne pas se noyer au fil des pages. EN RÉSUMÉ Détecter une onde gravitationnelle “sera un événement majeur dans notre observation de l’Univers, comparable à la lunette de Galilée”, annonce Pierre Binétruy. Assurément, l’observation de ce phénomène – une course dans laquelle se sont lancés plusieurs pays – ouvrirait l’ère d’une nouvelle astronomie, non plus fondée sur la lumière mais sur l’un des effets de la force de gravitation. L’auteur retrace les balbutiements des scientifiques pour comprendre les différentes forces. Il revisite l’histoire de l’observation de l’Univers et les théories qui ont permis de le comprendre. Le tout, avec le souci de vulgariser : de nombreux schémas et encadrés viennent étayer un texte qui ne ménage pas les recours aux analogies accessibles au plus grand nombre. Le propos sur les ondes gravitationnelles proprement dites ne commence qu’en page 170 et se concentre surtout sur les différentes manières de les détecter. NOTRE AVIS Ce livre est une solide source d’informations sur l’exploration de l’Univers. Toutefois, le sujet arrive tard et les pages qui y sont consacrées se révèlent plus ardues que tout ce qui précède. Un peu difficile pour les néophytes. À LA POURSUITE DES ONDES GRAVITATIONNELLES / Pierre Binétruy Dunod / 256 p. / 19 € /

LE PUBLIC Le lecteur à la recherche de passerelles entre les disciplines ou de réflexions stimulantes, mais pas forcément liées à l’astronomie, est tout indiqué pour cet ouvrage. EN RÉSUMÉ L’art de l’Univers est la version augmentée et mise à jour d’un livre paru en 1995. En cinq grandes parties consacrées à l’évolution, les paysages, l’Univers et la musique, le cosmologiste et mathématicien John D. Barrow s’emploie à présenter “ces voies inattendues par où la structure de l’Univers — ses lois, ses environnements, son aspect astronomique — s’imprime dans nos pensées, nos préférences esthétiques et nos opinions sur la nature des choses”. NOTRE AVIS D’une ambition à première vue démesurée, cet ouvrage se découvre en réalité avec plaisir. Le lecteur régulier de Ciel & Espace n’apprendra peut-être pas grand-chose des chapitres consacrés à l’astronomie, mais sa curiosité sera forcément piquée par les réflexions de l’auteur sur les sources de la vision en couleur, Jackson Pollock ou la musique. Un joli pont entre arts et science. DF

L’ART DE L’UNIVERS / John D. Barrow Éditions Actes Sud / 480 p. / 30 € /

ESSAI

DIALOGUES AVEC L’UNIVERS Sylvie Vauclair / Éditions Odile Jacob / 170 p. / 21,90 € Les grandes questions de l’astrophysique (la Lune et les marées, le big bang, la courbure de l’Univers…) explorées en courts chapitres de deux ou trois pages. C’est concis, bien écrit et plein de références à l’histoire et à la mythologie. Passionnant. EM HISTOIRE

L’AVENTURE SPATIALE FRANÇAISE Philippe Varnoteaux / Nouveau Monde éditions / 430 p. / 25 € Cette enquête très documentée ravira les passionnés d’espace. Les autres risquent de s’ennuyer tant l’ouvrage entre dans les détails. Il s’agit néanmoins d’une source de référence. JLD ESSAI

LE FUTUR DU COSMOS Joseph Silk / Éditions Odile Jacob / 170 p. / 22,90 € Silk s’est rendu célèbre pour avoir fait le lien entre les fluctuations du fond diffus cosmologique et la formation des galaxies. Ici, il raconte l’évolution du cosmos, mais aussi les univers multiples ou le voyage dans le temps. JLD

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REGARD

Douces nuits

R

êver d’être astronaute, c’est possible ! Vivre son rêve toutes les nuits, c’est désormais faisable… Une société basée à Amsterdam propose une housse de couette et une taie d’oreiller qui transforment les enfants en voyageurs de l’espace. Pour la modique somme de 59,95 €, Peggy et Erik, les concepteurs de l’entreprise Snurk, expliquent révolutionner le monde de la literie en fabriquant des “choses amusantes et originales”. Parmi les offres visibles sur le site internet (1), il est possible de transformer son lit en panoplie de pompier, de pirate ou encore de clochard ; et pour les filles, en ballerine, amazone ou princesse. Un vrai voyage en apesanteur. © Snurk Alain Cirou

(1) https://www.snurkbeddengoed.nl/nl

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