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TRIBUNAL DE COMMERCE

les ateliers de l'euroméditerranée

marseille provence 2013


LES ATELIERS DE L'EUROMÉDITERRANÉE DE MARSEILLE-PROVENCE 2013 : une Capitale européenne de la culture en fabrique Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée (AEM) invite des structures non dédiées à l'art – privées ou publiques - à accueillir des artistes in situ pour leur permettre de créer une nouvelle œuvre. Ces résidences soulèvent trois enjeux : soutenir la création contemporaine, concerner et mobiliser de nouveaux publics et initier de nouveaux modes de production artistique. Leur vocation est de nourrir la programmation de l'année Capitale européenne de la culture dans toutes les disciplines artistiques.

L'ATELIER DE DJAMEL KOKENE Lors de sa résidence au Tribunal de Commerce de Marseille, l'artiste Djamel Kokene s'est intéressé aux règles d'aménagement qui régissent certaines formes architecturales de l'institution juridique, et particulièrement à celles qui témoignent de la représentation de notre justice. Son intervention a consisté en la réalisation d'une sculpture monumentale de dix mètres de long : « Double Bind ». Cette sculpture est la reproduction à l'échelle 1 d'un fragment du mobilier de la salle d'audience du tribunal coupée dans sa diagonale. Là où sont assis les acteurs de la justice, le jugé et le jugeant, le spectateur, le défendant et le défendu… À cette sculpture fait écho en miroir une ligne rapportée réalisée à partir d'une vue de profil. Cette ligne dessinée à même le mur crée un nouveau territoire imaginaire : s'agit-il d'une frontière géopolitique, d'une courbe économique, d'une cartographie subjective ? L'approche adoptée ici nous invite à nous interroger tant sur les paradoxes de la coupure (le fait de trancher) qu'induit la Loi à travers ses différents degrés d'application que sur la perception sensible que l'on peut avoir d'une œuvre. Nathalie Travers

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Né en 1968 à Ain El Hammam, en Algérie, Djamel Kokene vit et travaille sur l'Île-Saint-Denis. Réfléchissant sur les limites et les modes de production de l'art, l'artiste forge dès le début de son activité artistique divers outils ayant une forte dimension évolutive et mobile : le concept d'« artiste-stagiaire » fondé sur une capacité d'adaptation, de construction perpétuelle, puis celui de l'« Ecole Mobile », tour à tour activée à Alger, à Bourges, au Caire et à Shanghai. Entre 2002 et 2005, il initie le dispositif collectif Laplateforme, laboratoire mobile de création artistique contemporaine sur le pourtour méditerranéen et en 2006, il conçoit et édite Checkpoint, revue d'art et des pensées contemporaines. Djamel Kokene mène aussi un travail plus intime explorant les tensions entre langage, pensée, forme et représentation. Ses œuvres, du dispositif à la sculpture, mettent en jeu les contradictions propres à nos sociétés, écartelées entre la nécessité d'une communication-image et celle d'une compréhension par le langage et la pensée. Ainsi, il met en scène l'écrit dans de nombreuses œuvres, parfois associé à des objets, toujours dans un ancrage conceptuel fort, pièces labyrinthiques ou éclatées par lesquelles il met à l'épreuve du réel un ensemble de formes venant contrarier toute construction linéaire. Djamel Kokene, Double Bind

esquisse du projet/sketch of the project , 2012


SCULPTER L'INDICIBLE Entretien avec Djamel Kokene, dans son atelier, Ile Saint-Denis – Novembre 2012 D'où est venue l'initiative d'inscrire ton projet artistique dans le dispositif particulier qu'est l'Atelier de l'EuroMéditerranée ? C'est une proposition de l'équipe de MarseilleProvence 2013, entre autres, de Kenza Sammari et Juliette Laffon pour l'exposition Ici, ailleurs. Puis de Nathalie Travers d'Art to be pour réaliser un AEM et m'accompagner tout au long de ce projet. J'ai accepté. Pour autant, je me posais un certain nombre de questions sur les modalités de mon intervention, puisque l'AEM consistait à collaborer avec une entreprise ou une institution. Travailler dans ce cadre m'intéressait aussi, bien que l'idée d'amener l'art dans les entreprises ait déjà été proposée. Prenons l'époque de Fernand Léger. Aujourd'hui, Léger est oublié, mais il demeure une personnalité à part. Il avait très vite saisi la nécessité d'instaurer un lien ente l'art et le monde du travail. Comme il a très vite compris la déshumanisation en marche, conséquence d'un monde industrialisé qu'il avait alors anticipé à travers certaines de ses peintures en se référant au monde ouvrier avec qui il partagera son art, en exposant dans l'usine. On n'y fait plus référence. C'est dommage, car en revisitant certains aspects de son travail, on peut y trouver des similitudes avec notre époque également en transformation. Et tout comme dans son travail, notre environnement n'est-il d'ailleurs pas démantibulé, fragmenté, visible par parties ? C'est ce qui m'intéresse, c'est-à-dire désigner une partie du visible d'un vaste ensemble ou de tel échantillon, reproduire celui-ci et ne donner à voir que le fragment d'une totalité.

L'intérêt de ce type de projet est qu'il se construit dans la découverte et l'échange, avec des apports mutuels des uns aux autres, en prenant toutefois garde de ne pas servir de couverture ou cacher la misère intérieure en redorant le blason et l'image de l'entreprise ou de l'institution en question. Toute la difficulté est là. Et c'est là aussi l'un des enjeux majeurs des Ateliers de l'EuroMéditerranée : par ricochets, sensibiliser les gens aux arts en aménageant sur leur aire de compétences une proximité avec un processus de création, au sein même de leur milieu d'activité, là où ils sont performants et rendent service à la société et a priori ne sont pas inhibés, plutôt que d'essayer de les amener à la culture depuis les théâtres ou les lieux d'expositions. D.K : En effet, d'abord, en fractal, en loupe, ça crée de nouvelles impressions pour tous, et c'est enrichissant et, deuxièmement, pour moi aussi, ça s'inscrit dans une démarche. J'ai choisi le Tribunal pour cette raison. Et ce n'était pas gagné ! J'ai dû réinventer mon projet. Le Tribunal de Commerce étant une institution juridique qui n'a pas d'argent, c'était une question sensible, parce que liée au dispositif AEM qui inclut normalement un partenariat financier mais qui, après tout, est une forme inventée, à adapter aux réalités de chaque binôme artiste-lieu. Ce que vous avez fait, d'ailleurs, et moi aussi, en réajustant mon projet.

Quand une ville devient capitale européenne de la culture, je trouve qu'en tant qu'artiste invité, il est difficile de prévoir à l'avance ce qu'on peut apporter exactement. Il y a une certaine responsabilité. On ne peut pas proposer quelque chose de la même manière qu'ailleurs, en faisant l'économie de la situation géographique de la ville : à Marseille, on a tout de suite envie de prendre position pour les quartiers enclavés, les quartiers Nord (d'ailleurs, j'avais aussi fait une proposition destinée à cette partie de la ville) ; il y a des choses qui nous échappent, mais il y a des pôles, des polarités au sein desquels il faut prendre position. Éthiquement, il faut savoir ce qu'on fait là. Et ne pas entériner les exclusions. Marseille est la seule ville en France à avoir un modèle alternatif à celui du cœur de ville entouré d'une couronne périurbaine pour les plus pauvres. L'artiste a un rôle à jouer dans la pérennité de ce cosmopolitisme. Mon projet, sans qu'il s'intègre dans les quartiers Nord (il en a été autrement) et sans être démonstratif, dit cela : l'exclusion, le rejet. Tu as fait une maquette. Peux-tu nous la montrer et nous dire ce qu'est une maquette pour toi ? Une maquette permet d'avoir une idée sur le projet de manière assez directe, de le visualiser tout en sachant qu'elle n'est qu'une façon de l'appréhender et ne remplace pas la réalisation finale qui est ici une sculpture. Ce que je souhaite avec cette sculpture est qu'elle puisse s'off rir au regard comme objet de perception, un fragment. C'est sa réalité. Elle est moins une représentation de la justice qu'une trace d'elle-même.

Il y a l'idée d'un tiraillement de l'équité entre l'atteinte d'un idéal et sa réalité formelle qui se retrouve plus généralement dans la recherche par l'homme d'une unicité collective et la réalisation de ses désirs purement individuels. En tant qu'objet de perception, cette sculpture constitue de mon point de vue un processus à la fois mental et physique qui questionne les possibles de l'œuvre d'art. Il y a là un rapprochement, un dialogue équivoque entre les règles imposées par l'homme et pour lui-même, à travers le Droit, et celles qui régissent l'œuvre d'art et ses modes d'apparition. On reconnaît les objets qui composent cette sculpture mais ce pourrait tout aussi bien être le mobilier d'une salle de classe, d'une église, avec ses manquants. Cet objet est d'autant plus étrange qu'il y a de l'absence. Il m'échappe, et c'est une bonne chose. Une ligne, en dialogue avec la sculpture, est directement dessinée sur le mur de l'espace d'exposition. Frontière, territoire imaginaire… ça désigne quelque chose qui n'est pas là. Et puis, on est dans quelque chose que l'on ne parvient pas vraiment à nommer. --

Propos recueillis par Mélanie Drouère


LA DIAGONALE DE LA JUSTICE Le Tribunal de Commerce de Marseille est-il une structure dédiée à l'art ? La plupart des Marseillais ne le pensent certainement pas. Marseille-Provence 2013, avec le projet des Ateliers de l'EuroMéditerrranée 2013, était l'occasion de montrer que je ne partage pas ce point de vue et cette réponse fut heureuse puisqu'elle nous a permis de rencontrer Djamel Kokene. Qu'il ait été impressionné par la grande salle d'audience, qui lui a inspiré son œuvre, ne me surprend pas. Cette salle ne laisse personne indifférent lorsqu'on y pénètre pour la première fois. En effet, c'est sans doute là l'accomplissement de tout le travail d'architecte de Gaston Castel qui édifia le bâtiment qui abrite le Tribunal de Commerce. Trente-huit artistes ont participé, entre 1930 et 1933, à la création de cet ensemble architectural, où s'équilibrent la loi et le commerce, réalisé par un homme libre et non dogmatique. Le tribunal est un lieu de convention mais aussi un lieu d'écoute. Djamel Kokene nous rejoint là, doucement. Il organise l'espace à sa façon, la ligne, l'oblique qui partage de façon physique ou abstraite, le juge et le plaideur, les parties au procès entre elles. Mais aussi l'oralité des débats et l'écrit de la procédure, le fond et la forme si chers au juriste, la subjectivité des faits et l'objectivité du droit… À sa façon, Djamel Kokene prolonge l'œuvre de l'architecte qui, ne pensait pas ce bâtiment comme une coquille vide mais qui, entendait que les œuvres qui le décorent participent à lui donner un sens dans la Cité. Alors, le Tribunal de Commerce est-il une structure non dédiée à l'art ? L'œuvre de Djamel Kokene a trouvé ses racines au cœur du tribunal, il traverse la grande salle, là où une toile d'Henri Bremond a été réalisée « à la gloire de Marseille, capitale méditerranéenne » et projette son œuvre dans l'espace extérieur, elle est inspirée de la tradition et elle est la modernité. À l'image de notre Institution ! --

Georges Richelme, Président du Tribunal de Commerce de Marseille Marseille, février 2013

Djamel Kokene, Today and tomorrow photographie/photograph, 2012


Djamel Kokene, Double Bind

sculpture (dĂŠtail/detail), 2012-2013


JUGE ET PARTIE

Djamel Kokene, Cairo desert photographie/photograph, 2008


DK est avant tout un artiste mobile si ce n'est nomade, un artiste dont le travail ne saurait être enfermé dans un moule exclusif d'œuvre ou de procédure. Un artiste autrement plus flexible encore que le portrait de l'artiste en travailleur flexible dans un monde lui-même gagné par la flexibilité dressé par Venger. Le travail de DK ne se définit pas par une recherche d'unité ou d'identité formelle ou stylistique (une signature ou une marque) immédiatement repérable et identifiante, DK cherchant au contraire inlassablement à dé-jouer tout processus d'identification de son travail mais n'en continuant pas moins là à se situer dans la voie qu'il s'était donnée à ses débuts, celle de l' « artistestagiaire », à rebours des habituelles constructions de mythes d'artiste, l'artiste-stagiaire étant l'artiste non pas formé mais en formation, qui n'a pas encore trouvé (si tant est qu'il doive la trouver un jour) son identité (sa voie). DK allant jusqu'à toujours hésiter à se dire (avec ce que ça a déjà de par trop identitaire) artiste, à se prendre pour un artiste (là où les élèves des écoles d'art n'ont habituellement que trop tendance à se prendre pour des artistes). Et DK ayant pu effectivement se livrer à une activité quelque peu dispersée, protéiforme, assumant bien d'autres « rôles » (d'autres « identités ») que celui (celle) d'artiste : commissaire d'expositions, voire artiste-commissaire, initiateur de collectifs (Laplateforme, dispositif mobile d'échange, de rencontre et de recherche) et de revues (Checkpoint, là encore espace mobile d'échange) ainsi que du projet de l'École mobile, véritable zone artistique temporaire (TAZ non autonome) à vocation non tant didactique que pédagogique, formative… Et DK de toujours se refuser à livrer une interprétation par trop rigide de son travail qui l'appauvrirait. À trancher quant à l'interprétation à lui donner. Ses pièces ni n'ont caractère didactique ni ne sont des tracts ou des slogans quand bien même elles peuvent, comme dans Venez investir chez nous…, se mouler dans un slogan, non alors pour

l'affirmer (ou pour le transfigurer au sens de Danto1) mais pour le mettre en question. Non que DK ne pense pas ses pièces. Bien au contraire : DK est un artiste qui réfléchit beaucoup (et qui entend donner à réfléchir) mais ses pièces ne se bornent pas à illustrer des idées, pas davantage que, quelque usage qu'elles puissent faire du langage, elles ne se bornent à formuler des idées ou des concepts (l'artiste-stagiaire et l'École mobile ne sont pas des concepts, pas même des métaphores, voire des « métaphores absolues » au sens de Blumenberg2), quand bien même elles peuvent donner des idées, des idées non pensées par l'artiste (ainsi incliné-je pour ma part à penser une École mobile qui mobiliserait non seulement l'école mais les élèves en les transportant non seulement à l'intérieur d'une même ville-étape mais de ville en ville de par le monde). Et, si ses pièces sont savamment mûries, c'est en vue d'aboutir non à d'hypothétiques chefs-d'œuvre d'ingéniosité clos sur eux-mêmes mais à des propositions les plus ouvertes possible, à la fois ouvertes quant à leur interprétation et ouvertes sur le monde (et pas seulement sur le monde de l'art), allant, à l'encontre de la fameuse phrase de Duchamp, jusqu'à dé-jouer toute interprétation que le spectateur (ou le critique) peut chercher à en donner. Des propositions visant non tant à apporter quelque réponse que ce soit qu'à formuler de simples interrogations, y compris sur leur statut artistique. Interrogations portant là encore avant tout sur les questions d'identité et de communauté, notions qui ont fait contre toute attente un retour en force à l'heure de la globalisation mais qui, loin de s'y opposer comme elles veulent le croire ou le faire croire, font corps avec elle. Caractère cloisonnant de toute identité tant individuelle que collective,

1 / Arthur DANTO, La Transfiguration du banal, Une philosophie de l'art, 1981, tr. fr. Paris, Seuil, 1989.

2 / Hans BLUMENBERG, Paradigmes pour une métaphorisée, 1960, tr. fr. Paris, Vrin, 2006.

critiqué par Foucault3 pour replier l'individu (comme le collectif ) sur lui-même, cependant que Serres4 a dénoncé la faute logique qu'il y avait à confondre relation d'identité et relation d'appartenance. Déconstruction de la notion de communauté engagée par Nancy5, la seule notion de communauté qui vaille étant selon Agamben6 la communauté formée, en l'absence de toute condition d'appartenance, par des êtres quelconques, dépourvus de toute identité. À l'encontre de tous les communautarismes, identité sans identité et communauté sans rien de commun, mise en question de toute identité préexistante comme de toute construction identitaire… Identités tant ethniques ou sociales que genrées. Queerisation de toutes les identités. Interrogation menée sur l'espace commun, sur la formation et sur la crise de l'espace public que l'on ne saurait ramener au seul espace public bourgeois théorisé par Jürgen Habermas7… Aussi convient-il d'aborder un tel travail en évitant tant de prétendre en livrer la clef que d'en proposer une interprétation, voire même de seulement chercher à en ancrer le sens au sens de Barthes8. En évitant, à l'encontre de la critique habituelle, de vouloir trancher entre les interprétations possibles. Soit une sorte de métalecture (par delà le caractère métatextuel qui est déjà celui de toute lecture).

3 / Michel FOUCAULT, «Le Sujet et le pouvoir», 1982, tr. fr. Dits et écrits 1954-1988, tome IV, 1980–1988, Paris, Gallimard, 1994.

Ce quand bien même les éléments paratextuels que sont les titres n'ont déjà que trop tendance à orienter le sens de lecture des pièces. Si DK, à la différence d'autres artistes, n'en donne pas moins le plus souvent un titre à ses pièces, encore se méfie-t-il des titres et passe-t-il beaucoup de temps pour trouver des titres non pas le plus adéquats possible mais qui demeurent eux-mêmes le plus ouverts possible. Ainsi, pour ce qui est de Double Bind, alors que DK recherchait opiniâtrement son titre, avons-nous eu, lui et moi, l'occasion d'échanger de nombreux mails à ce sujet. J'avais beau, à sa demande, me risquer à lui proposer quelques titres de mon crû, comme de juste ces titres se heurtaient toujours à quelque réticence de sa part : ( JCM, 27.09.12) Autre titre possible pour ta pièce pour laquelle je t'ai déjà proposé TRANCHÉE : TRANCHE DE VIE, tout naturalisme écarté, bien entendu. (DK, 27.09.12) C'est drôle parce que j'avais noté ce titre. Tu fais référence à Hitchcock, non ? Notamment par rapport à cette question qu'on lui posa : « est-ce que le cinéma est une tranche de vie ? ». Hitchcock répondit : « Non, c'est plutôt une tranche de gâteau »9. J'avais hésité justement. (DK, 29.09.12) J'ai pensé à ça aussi : FRAGMENT DE DÉCOR. La salle d'audience est souvent qualifiée de scène de théâtre. ( JCM, 29.09.12) Je préférais nettement les titres dont nous avions parlé précédemment, mais c'est à toi de voir.

4 / Michel SERRRES, « La Faute », Libération, 15 novembre 2003 & L'Incandescent, Paris, Le Pommier, 2003. 5 / Jean-Luc NANCY, La Communauté désœuvrée, 1983, éd. revue et augmentée, Paris, Bourgeois, 1986. 6 / Giorgio AGAMBEN, La Communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, 1990, tr. fr. Paris, Seuil, 1990.

7 / Jürgen HABERMAS, L'Espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1962, tr. fr. Paris, Payot, 1978.

8 / Roland BARTHES, « Rhétorique de l'image », Communications n° 4, Recherches sémiologiques, Paris, Seuil, 1964.

9 / Allusion à l'entretien avec Hitchcock par Jean Domarchi et Jean Douchet (Cahiers du cinéma n° 102, décembre 1959) : « Les spectateurs qui vont au cinéma mènent une vie normale. Ils vont voir des choses extraordinaires, des cauchemars. Pour moi, le cinéma, ce n'est pas une tranche de vie, mais une tranche de gâteau ».


(DK, 29.09.12) Le truc est que TRANCHE DE VIE me semble trop vague et porte la pièce sur une réalité que ne traduit pas cette pièce. Ça fait trop « objet rapporté », non ? L'autre truc est que la justice, le lieu de la justice est vu et compris comme un espace de pouvoir. COUPE me paraît trop sec pour le coup. ( JCM, 29.09.12) FRAGMENT DE DÉCOR est encore bien plus vague. (DK, 03.10.12) Pour continuer sur les titres : DOUBLE-BIND. Sur l'idée de l'incertitude… ( JCM, 03.10.12) Là encore à mon sens trop passepartout. (DK, 03.10.12) Ce que tu dis ce n'est pas pas faux. Mais en quoi est-ce passe-partout ? Pourtant c'est bien la question de la justice dont il s'agit à travers cette expression, et pas uniquement bien sûr. Et c'est bien là l'enjeu. Il me semble qu'on est plus dans une allégorie. Seulement l'usage de l'allégorie par rapport à la justice en reste trop souvent à une représentation souvent simpliste… ( JCM, 03.10.12) Je préférerais à ce moment-là que tu baptises ton travail ALLÉGORIE, sans même indiquer de quoi c'est l'allégorie. … Allégorie au sens revalorisé par Benjamin10 et par ce que Foster11 a appelé le « postmodernisme poststructuraliste »12 pour sortir du présumé « littéralisme » moderniste (déjà critiqué par Fried13) sans tomber dans le symbolisme de ce que Foster désignait comme le « postmodernisme néoconservateur ».

10 / Walter BENJAMIN, Origine du drame baroque allemand, 1928, tr. fr. Paris, Flammarion, 1985. 11 / Hal FOSTER, « Polémiques post-modernes », 1985, tr. fr. L'Époque, la mode, la morale, la passion, Aspects de l'art d'aujourd'hui, 1977-1987, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987.

12 / Cf. Craig OWENS, « The Allegorical Impulse, Towards a Theory of Postmodernism », October nos 12 & 13, 1980.

13 / Michael FRIED, « Art and Objection », 1967, tr. fr. Artstudio n° 6, Art minimal, automne 1987.

Ici, en effet, ni théorie de la justice à la Rawls ni métaphore ou symbole de la justice. Encore ne chercherai-je pas même à conceptualiser ce pourquoi une coupe pratiquée dans un palais de justice, la citation d'une salle de tribunal — selon Marin14 coupe suivie d'une greffe (terme mi-botanique mi-chirurgical à homonyme juridique), d'une recontextualisation (ici dans la salle d'exposition où la coupe se trouve placée en diagonale, telle une barre de fraction ou d'opposition), d'un acte de montage —, coupe renouvelant à sa façon la technique sculpturale traditionnelle de taille redoublée par une coupe axonométrique… n'en peut pas moins constituer une allégorie de la justice quand bien même ce n'est pas une allégorie aussi évidente que celle en usage de la femme aux yeux bandés tenant dans ses mains une balance (le montage ayant lui-même, selon Buchloh15, caractère allégorique). Selon Benjamin, le propre de l'allégorie, à la différence du symbole, est de revendiquer ouvertement son caractère arbitraire, en tout arbitraire du signe (et de la coupe). Non pas théorie de la justice ni même interrogation sur la justice en tant que telle mais interrogation sur l'acte de juger, acte lui-même assimilable à un acte de trancher, à une opération (en un sens, là également, comme pour Bataille16, quasi chirurgical) de coupe. Procédure ramenée ici, de par la coupe, au simple face-à-face, à la Kafka, entre juge et accusé, en même temps qu'à la solitude tant de celui qui rend la justice que du justiciable (solitude qui est aussi celle d'un jury d'assise, lui-même coupé du monde pendant le temps du procès) quand bien même il ne s'agit pas même d'individus quelconques à la Agamben mais d'un simple jeu de places demeurant vides. 14 / Louis MARIN, « De la citation, Notes à partir de quelques œuvres de Jasper Johns », Artstudio n°12, Spécial Jasper Johns, printemps 1989. 15 / Benjamin BUCHLOH, « Allégorie et appropriation dans l'art contemporain », 1981, tr. fr. Essais historiques II, Art contemporain, Villeurbanne, Art édition, 1992. 16 / Georges BATAILLE, Manet, Étude biographique et critique, Genève, Soira, 1955.

Mais Double Bind (titre finalement retenu) : impossibilité de juger, caractère suspect de toute dichotomie, alors même que, quoiqu'en pense Deleuze17, il y a obligation de juger, même de l'indécidable ; à la fois obligation et impossibilité de juger. Dans le droit français, obligation, pour quiconque est inscrit sur les listes électorales, de faire éventuellement partie d'un jury d'assises. Obligation de prendre des décisions qui n'est pas seulement le fait de l'autorité judiciaire mais également celui du pouvoir politique, impliquant la nécessité de la démocratie non seulement représentative mais délibérative, non pas pour parvenir au consensus mais au contraire, comme l'indique Rancière18, pour rompre celui-ci. Et, en art même, obligation de juger esthétiquement ou artistiquement (l'œuvre sinon l'artiste), quand bien même c'est en l'absence de toute loi, de tout concept, et quel que puisse être le refus de l'historien d'art ou la volonté du sociologue19 de se maintenir dans l'attitude dite de neutralité axiologique et de refuser tout jugement de valeur. --

Jean-Claude Moineau – 01.01.2013

17 / Gilles DELEUZE, « Pour en finir avec le jugement », Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993.

18 / Jacques RANCIÈRE, La Mésentente, Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995. 19 / Ainsi, en sociologie de l'art, Nathalie HEINICH ( Ce que l'art fait à la sociologie, Paris, Minuit, 1998).


{…}

La forme que je cherche à mettre en place doit se donner comme manque, ce qui n'est pas là. {…}

Cette diagonale est une coupe d'une coupe, elle divise ce qui divise pour donner à voir des restes. {…}

C'est un fragment. Un corps coupé d'un autre corps plus vaste. Or cette coupe découle d'une décision qui s'appuie sur une loi. Laquelle ? De quelle loi s'agit-il exactement ? Il y a quelque chose de l'ordre de l'indécis là-dedans. {…}

Il y a un face à face, qui est aussi un « face à soi-même ». Aller vers ce vide, cet entre-deux fait apparaître l'impossibilité à nommer de manière univoque la violence, l'exclusion, l'obligation, l'identité, le territoire, le déchirement, la subjectivité, l'objectivité, etc. {…}

Ce dessin, cette « ligne rapportée », a son importance à mes yeux dans la mesure où ce territoire « inconnu » est en quelque sorte la « projection d'un système ». Cette question de territoire « imaginaire », « inconnu » participe d'un questionnement entre forme et fond, entre extérieur et intérieur, dont l'enjeu est la constitution de l'espace commun et la manière de le nommer par le langage. {…}

Il se dessine ici plusieurs niveaux de lecture : celle avec la question de l'objectivité / subjectivité en lien avec la partialité / impartialité de la justice, et donc de la loi elle-même en lien avec l'État (sa garantie de souveraineté), puis avec celle de territoire / identité également en lien avec l'État et donc de nouveau avec la loi, et enfin celle purement artistique où se joue sur le plan formel l'identité de l'objet qui laisse apparaître une certaine « nudité » dont l'identité reste à définir, ou pas d'ailleurs. Extraits de correspondance entre Djamel Kokene et Juliette Laffon, Commissaire de l'exposition « Ici, ailleurs », Friche la Belle de Mai Marseille-printemps 2013. Djamel Kokene, Double Bind

esquisse du projet/sketch of the project, 2012


Djamel Kokene, Double Bind

sculpture (1,8 x 10 m), 2012-2013

Installation pour l'exposition Ici, ailleurs

Djamel Kokene, Double Bind

ligne de faĂŽte de la sculpture /line of the ridge of the sculpture dessin mural au fusain /Wall drawing in charcoal (3 x 5 m), 2012-2013


Djamel Kokene, Double Bind

sculpture (dĂŠtail/detail), 2012-2013


COUPER CE QUI COUPE D'où parlons-nous ? D'où proviennent nos modes de représentation du monde ? Dans quels territoires circulons-nous ? s'interroge Djamel Kokene tout au long de son œuvre. À la Friche la Belle de Mai, l'artiste nous propose quelques pistes d'interrogations sous la forme d'une installation qu'il nomme Double Bind. Double Bind est une œuvre élaborée à partir d'une proposition de résidence au Tribunal de Commerce de Marseille qui se compose de deux éléments distincts : l'une est la représentation, sous forme de sculpture à l'échelle 1, en coupe longitudinale, de la salle d'audience du tribunal, l'autre est un dessin mural, réalisé au fusain et à main libre à partir d'une vue de profil de la sculpture. L'une a l'objectivité du géologue qui prélève un fragment de l'écorce terrestre pour en étudier la composition, l'autre a la fragilité et la vulnérabilité de la subjectivité du poète. L'une possède la perfection et le savoir-faire du chercheur consciencieux, l'autre affirme l'approximation et la rapidité d'un trait furtif. On l'aura compris, Djamel Kokene est un nouveau « psychogéographe ». Comme eux, et selon la célèbre définition de Guy Debord, il se préoccupe d'identité et de mémoire en observant avec attention l'effet des milieux géographiques et de la globalisation sur la psychologie des individus. Il peut ainsi publier, à intervalles irréguliers, et sous différents formats, une très belle revue intitulée Checkpoint, éditée à compte d'auteur en français, en anglais et en arabe, dont le dernier numéro traitait de l'extension du domaine du rêve et de l'utopie. Ou bien, plus récemment, en 2012, produire une œuvre archéologique superbe, Restance (petit pan de mur jaune), en peignant de sa propre main et d'un jaune très doux, un ancien hôtel en ruine de Saint-Denis qui a abrité, par le passé,

de nombreux émigrés en transit. Ou encore, exposer avec malice Fontaine 2012, une petite bassine pleine d'encre bleue dans laquelle les visiteurs sont invités à jeter des pièces de monnaie et à faire un souhait : chaque réussite entraîne une éclaboussure d'encre singulière sur le sol du centre d'art et finit par élaborer un territoire plastique inquiétant où personne ne peut plus marcher. À la Friche la Belle de Mai, l'œuvre en bois de chêne brut, de dix mètres de long et de cinquante centimètres de large, disposée sur une structure métallique, possède une présence énigmatique. Elle prend l'apparence d'une tranche de réel qui représente, une salle d'audience, en son milieu, sous sa forme générique. Une de ces instances de juridiction, qui au final, se ressemblent toutes dans leur configuration, qu'elles soient situées au plus profond de l'Afrique ou bien dans les pays occidentalisés. Elle possède la force des lieux de pouvoir tout en mettant en jeu la théâtralité et la fragilité des décisions des tribunaux. Djamel Kokene aime s'immerger physiquement dans d'autres lieux pour en comprendre les variables et les invariants. Il ne choisit cependant pas d'être une sentinelle qui surveille un espace précis, il préfère laisser l'esprit et le regard vagabonder afin de trouver des terrains de recherches plastiques par glissement et observer les frottements qui s'y produisent. Avec Double Bind, il s'empare d'une matière déjà donnée, dans un processus de déconstruction et de reconstruction, pour en analyser, voire en contester les nombreux présupposés que chacun entretient avec ces signes porteurs d'histoires personnelles ou collectives. Ici, il joue, non sans humour, avec la notion de justice qui le plus souvent traite, en dépit des discours politiques d'ouverture, les immigrés avec partialité.

« Je m'interroge sur les limites, sur les frontières car, pour moi, c'est l'une des questions essentielles de l'individu et de sa constitution identitaire. Mais, pour moi, l'identité n'est pas liée seulement à la racine, au lieu d'où l'on vient. Je suis conscient que le contexte de la naissance est fondamental, et que cela contribue à la manière d'être mais, quand on bouge sans cesse, pourquoi évoquer toujours le territoire des origines. Il faut plutôt s'interroger sur les modes de globalisation et les façons dont les subjectivités traduisent puis interprètent le monde. En dialoguant avec le Bâtonnier de Marseille, nous avons discuté de ces subjectivités qui s'exercent dans l'espace commun, de la façon dont les interprétations sensibles et partiales guident une partie des décisions de justice, d'autant plus qu'un tribunal de commerce n'est pas dirigé par des professionnels de la justice mais par des commerçants élus par leurs pairs. La loi tranche, sépare et moi, je choisis de couper ce qui coupe, de couper dans ce qui est déjà coupé. » conclut Djamel Kokene. --

Alain Berland


Djamel Kokene, Vallée des Rois, Egypte Valley of the Kings, Egypt photographie/photograph, 2008

Djamel Kokene, Sans titre/Untitled photographie/photograph, 2011

Mousse verte poussant à travers le bitume d'un quai de gare en région parisienne/ Green moss growing through the asphalt of a train station in Paris.


JUDGE AND JURY DK is above all a mobile artist, if not nomadic. He is an artist whose work cannot be simply labelled “artwork” or “process”. He is even more flexible than the portrait of an artist as a flexible worker in a world consumed by flexibility described by Venger. DK's work is not a search for unity or an immediately identifiable formal or stylistic sign or identity (a “signature” or “mark”). On the contrary, he tirelessly seeks to remove any process of identification from his work while continuing along the path upon he originally set for himself. This path is that of the artiste-stagiaire (artist-apprentice), which goes against the usual artistic myth constructs. The artistapprentice is an artist who has not been trained but is in training, who has not found yet (if he or she ever must) an identity (path). DK is still reluctant to label himself an artist (in the sense that the term is overly restrictive) or to consider himself an artist (unlike art school students who have a tendency to portray themselves as such). DK has taken part in many diverse activities, taking on other roles (or “identities”) than that of the artist. He has been an exhibition curator, an artist-curator, as well as the founder of various associations (Laplateforme, a mobile programme for exchange, meetings and research), journals (Checkpoint, another mobile space for exchange), and École Mobile (mobile school – a temporary artistic zone or TAZ that focuses on learning and exploring rather than teaching). DK refuses overly rigid interpretations of his work that might weaken it or dictate what it means. His pieces are not didactic, nor a form of propaganda. When taken at face value, they may appear to be slogans, as in Venez investir chez nous… (Come invest in us), but the intention is to question, not affirm (or transfigure, as suggested by Danto1).

This is not to say that DK does not put thought into his pieces. Nothing could be further from the truth: DK is an artist who thinks a lot (and who intends to make viewers think too). His art is not only about illustrating ideas and formulating concepts, even though it may use language (artist-apprentice and mobile school are not concepts or metaphors, or even absolute metaphors as defined by Blumenberg2). It stimulates ideas, ideas not considered by the artist (to me, a “mobile school” makes me think of a school where both the school and the students move, not only within a city but from city to city throughout the world). And while his pieces are carefully developed, they are not meant to be selfcontained hypothetical masterpieces of ingenuity but suggestions that are as open as possible, both in terms of interpretation and the world (and not only the art world). They go against Duchamp's famous views by preventing any interpretations that the viewer (or critic) may attempt to give them. His work does not aim to provide an answer, but to inspire questions, including about its artistic status. These questions often include issues related to identity and community. Surprisingly, these notions have held their ground in the globalisation era. They do not oppose globalisation, but are an integral part of it. DK's work explores how individual or collective identity is exclusive: Foucault3 criticised how identity leads individuals (and groups) to withdraw into themselves, while Serres4 pointed out how it is a logical error to confuse a sense of identity and a sense of belonging. DK examines Nancy's5 deconstruction of the notion of community, and Agamben's6 view that the only valid form of community is one that is formed by beings without any sort of identity and has no conditions of belonging.

2 / Hans Blumenberg, Paradigms for a Metaphorology, 1960, English translation, Cornell University Press, 2010. 1 / rthur Danto, The Transfiguration of the Commonplace: A Philosophy of Art, 1981, Harvard University Press.

3 / Michel Foucault, “The Subject and Power”, Critical Inquiry, Vol. 8, Issue 4 (Summer 1982), pp. 777-795, The University of Chicago Press. 4 / Michel Serres, “La Faute”, Libération, 15 November 2003 and L'Incandescent, Paris, Le Pommier, 2003.

5 / Jean-Luc Nancy, La Communauté désœuvrée, 1983, Revised and expanded edition, Paris, Bourgeois, 1986.

6 / Giorgio Agamben, The Coming Community (Theory out of Bounds), 1990, English translation, University of Minnesota Press, 1993.

DK's work goes against all forms of communitarianism, identity without identity and community without anything in common. It questions pre-existing identity or identity constructs, whether ethnic, social or genderrelated. It is the “queerisation” of all identities. It explores shared space, and the creation and crisis of public space that are all a part of the bourgeois public sphere described by Jürgen Habermas.7 For this type of work, we must not attempt to provide a key to understanding or an interpretation, or even to attach a meaning, as understood by Barthes.8 This means eschewing the tendency to choose from the many interpretations that emerge through the usual criticism. Instead, the work should be approached through a sort of metatextual reading (beyond the metatextuality that is already present in any reading). The paratextual elements of artwork – the titles – tend to give too much direction to the meaning of a piece. Unlike many artists, DK often titles his pieces, but he is cautious about doing so and spends much time searching not for the most “suitable” title but the most open one possible. As DK was looking for a title for Double Bind, he and I exchanged numerous emails on the subject. At his request, I made several suggestions, but there was something not quite right about each of them: ( JCM, 27.09.12) Another possible title for your piece for which I've already suggested TRANCHÉE: TRANCHE DE VIE [Sliced: Slice of life], excluding any reference to naturalism. (DK, 27.09.12) It's funny, I'd made a note of that title. You're referring to Hitchcock, right? Particularly H

7 / Jürgen Habermas, The Structural Transformation of the Public Sphere: An Inquiry into a Category of Bourgeois Society, 1962, English translation, The MIT Press, 1991.

8 / Roland Barthes, “Rhétorique de l'image”, Communications, Issue 4, Recherches sémiologiques, Paris, Seuil, 1964.

regarding the question he was asked: “Is cinema like a slice of life?” To which Hitchcock answered: “No, it's more like a slice of cake”9. I had considered that one. (DK, 29.09.12) I also thought of: FRAGMENT DE DÉCOR [fragment of decor]. The courtroom is often likened to a theatre stage. ( JCM, 29.09.12) I much preferred the titles we discussed earlier, but I'll leave the choice up to you. (DK, 29.09.12) The thing is that TRANCHE DE VIE seems too vague and moves the piece to another reality which doesn't reflect this piece. Don't you think it's too much of a objet rapporté ? The other thing is that justice, the setting for justice, is seen and understood as a space of power. COUPE [cut] seems overly harsh. ( JCM, 29.09.12) FRAGMENT DE DÉCOR is much more vague. (DK, 03.10.12) What about DOUBLE-BIND? To convey an idea of uncertainty… ( JCM, 03.10.12) I feel like that title is too catch-all. (DK, 03.10.12) Maybe, but how exactly is it “catchall”? The expression reflects what justice is all about, and not only that of course. And that's what it's all about. It seems to me that we're talking more about an allegory. Only that the use of allegory in terms of justice is too often a simplistic representation… ( JCM, 03.10.12) In that case, I think you should call your piece ALLÉGORIE [allegory], without making a direct reference to what the allegory is.

9 / Reference to the interview with Hitchcock by Jean Domarchi and Jean Douchet (Cahiers du cinema, Vol. 102, December 1959): “People who go to the cinema lead normal lives. They're going to see extraordinary things, nightmares. For me, cinema is not a ‘slice of life' but a slice of cake.”


This is an allegory, as understood by Benjamin10 and according to what Foster11 called “post-structuralist postmodernism”12 to get away from the supposed modernist “literalism” (already criticised by Fried13) without falling into the symbolism that Foster described as “neo-conservative postmodernism”. Here, DK's work does not refer to Rawls' theory of justice, nor is it a metaphoric or symbolic representation of justice. I will not even seek to conceptualise the reason for a coupe (cut) through the courthouse, the citation (summons) to a courtroom. According to Marin14, this cut is followed by a greffe (a graft – a botanical and surgical term with legal connotations in French), a re-contextualisation (here in the courtroom where the cut was made diagonally, similar to a bar of division or opposition) and an assembly. The cut puts a new twist on traditional sculpture by giving it an axonometric perspective. This can be read as an allegory of justice even if it is not as obvious an allegory as that of the blindfolded Lady Justice holding a set of scales (according to Buchloh,15 assemblies are of allegoric nature). For Benjamin, an allegory, as opposed to a symbol, openly embraces its arbitrary nature, the arbitrary nature of the sign (and the cut). It is not a theory of justice or even a questioning of justice in itself, but rather an exploration of the act of judging, an act which is similar to an act of dissection, a cutting of sorts (almost surgical, according to Bataille16).

10 / Walter Benjamin, The Origin of German Tragic Drama, 1928, English translation, Verso, 2009.

11 / Hal Foster, “Polémiques post-modernes”, 1985, French translation in L'Époque, la mode, la morale, la passion, Aspects de l'art d'aujourd'hui, 1977-1987, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987. 12 / See Craig Owens, “The Allegorical Impulse, Toward a Theory of Postmodernism », October, Vol. 12, pp. 67-86, The MIT Press, Spring 1980. 13 / Michael Fried, “Art and Objecthood”, Artforum, Vol. 5, 1967.

14 / Louis Marin, “De la citation, Notes à partir de quelques œuvres de Jasper Johns”, Artstudio, Vol. 12, Spécial Jasper Johns, Spring 1989. 15 / Benjamin Buchloh, “Allegorical Procedures: Appropriation and Montage in Contemporary Art”, 1981, Artforum 21, Vol. 1, 1982.

16 / Georges Bataille, Manet, Étude biographique et critique, Geneva, Soira, 1955.

Here, the cut reduces this process to a face-off between judge and defendant, in true Kafka style, and the solitude of the person handing out justice and the person being judged (the same solitude felt by a jury, which is cut off from the outside world during a trial). This is even though there are no actual people involved (as in Agamben's work) but a simple representation of empty seats. Double Bind (the title that was finally chosen) reflects the impossibility of judging and the suspect nature of the inherent dichotomy involved even though, regardless of what Deleuze17 believes, there is an obligation to judge, even for that which cannot be decided. In French law, all registered voters have an obligation to serve on a jury if requested. The obligation to make decisions is not only inherent to the judiciary but also political power, which implies the necessity of democracy that is both representative and deliberative, not to arrive at a consensus but to break from it, as discussed by Rancière18. And, with regards to art itself, there is an obligation to make aesthetic or artistic judgments (about the work, if not the artist) even though there is no law or concept to this effect. This is despite attempts by art historians and sociologists19 to remain neutral and refuse any value judgments. --

Jean-Claude Moineau (Traduction: Rhonda Campbell, Toni Jones)

17 / Gilles Deleuze, “Pour en finir avec le jugement”, Critique et clinique, Paris, Minuit, 1993. 18 / Jacques Rancière, La Mésentente, Politique et philosophie, Paris, Galilée, 1995. 19 / Here, in sociology and art: Nathalie Heinich, Ce que l'art fait à la sociologie, Paris, Minuit, 1998.

CUTTING WHAT CUTS Where do we speak from? Where do our portrayals of the world come from? Which territories do we move about in? These are the questions underlying Djamel Kokene's work. At the Friche Belle de Mai, the artist interrogates several themes through an installation named Double Bind. Double Bind is a piece of artwork that was developed as a result of an artist residency at Marseille's Commercial Court. It is composed of two separate elements: a full-sized architectural model of a cross-section of a courtroom, and a charcoal wall drawing tracing the sculpture's silhouette. The first is produced with the objectivity of a geologist who samples a piece of the earth's core to study its composition. The second has a poet's fragile and vulnerable subjectivity. The first could be the product of a conscientious researcher's perfection and expertise, and the second is an approximation – a furtive, quickly drawn line. Djamel Kokene is clearly a new “psychogeographer”. In line with Guy Debord's well-known definition of this term, he focuses on identity and memory by closely observing how geographical environments and globalisation affect individual psychology. He selfpublishes Checkpoint, a beautiful annual Journal in French, English and Arabic, on an irregular basis. The journal's last edition dealt with extending the realm of dreams and utopias. More recently, in 2012, he produced a superb piece of architectural artwork, Restance (little patch of yellow wall), where he painted in yellow a half-demolished hotel that migrants used to shelter in Saint-Denis (Paris suburb). He also created the playful installation Fontaine 2012, where visitors were invited to make a wish by throwing coins into a red plastic basin full of blue ink. Each time a visitor succeeded, ink splashed onto the floor. This created a strange artistic territory where people could no longer walk.

At the Friche la Belle de Mai (Marseille), the untreated oak sculpture has an enigmatic presence. It is ten metres long by fifty centimetres wide, and rests on a metallic structure. It is like a cross-section of real life, a generic courtroom environment. It is one of those legal bodies that all have similar configurations, whether they are located in deepest Africa or Western nations. It has the force inherent to places of power, yet stages the theatrical nature and fragility of tribunals' decisions. Djamel Kokene likes to physically immerse himself in places to understand their variable and invariable elements. However, instead of being a sentinel who watches over a specific area, he prefers to let his mind and spirit wander to find new grounds for artistic research and observe the frictions produced there. For Double Bind, he uses a material that already exists and subjects it to a deconstructive and reconstructive process, which analyses and even contests preconceived ideas of signs that reflect personal and collective histories. Not without humour, he plays with the idea of justice, which generally treats immigrants unequally despite political speeches on openness. “I ask questions about limits or borders because, for me, they are one of the most essential issues for individuals and the construction of identity. But I don't consider identity is linked only to roots or the place we come from. I know that the context in which you are born is of fundamental importance and that it contributes to the way we live, but we constantly move around, so why always bring up the territory of origin? Instead, we should focus on forms of globalisation and the ways subjectivities reflect and interpret the world. With the President at the head of the Bar of Marseille, we talked about the different subjectivities present common place, the way in which sensory and biased interpretations guide some legal decisions. This is especially true given that a Commercial Court is not run by legal professionals but by tradesmen elected by their peers. The law decides and separates, and I choose to cut what cuts, to cut into what has already been cut.” Djamel Kokene. --

Alain Berland


Jean-Claude Chianale, carnets Un carnet par Atelier, imaginé et réalisé par l'artiste Jean-Claude Chianale, témoigne de la richesse de chaque aventure, croisant regards d'artistes, entretiens avec les salariés, les usagers, et des complicités artistiques apportant un nouvel éclairage sur le projet. A la façon du journal de bord, il garde la trace du processus et de l'environnement atypiques de la création, photographie mouvante d'une œuvre en devenir. Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée : Marie Angeletti | Pébéo * Marco Baliani | AP-HM – Hôpital Sainte Marguerite Taysir Batniji | Savonnerie Marius Fabre Mustapha Benfodil | Espace Fernand Pouillon Aix-Marseille Université Alice Berni | Bataillon de Marins – Pompiers de Marseille – Caserne Saumaty Mohamed Bourouissa | Pôle emploi Joliette Séverine Bruneton et Laëtitia Cordier | Descours et Cabaud Jean-Michel Bruyère / LFKs | Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne – Site Georges Charpak de Gardanne Vincent Bourgeau | Lycée Saint Joseph les Maristes Anne-James Chaton | Maison de l'Avocat – Ordre des Avocats du Barreau de Marseille Sonia Chiambretto | Bureaux Municipaux de Proximité Jean-Claude Chianale | Imprimerie Azur Offset Mathieu Clainchard | Maison de ventes Damien Leclère Gilles Clément | AP-HM – Hôpital Salvator Kathryn Cook | Association Jeunesse Arménienne de France Antoine D'Agata | Archives et Bibliothèque Départementales de Prêt Robin Decourcy | Agence Bleu Ciel * Gilles Desplanques | Club Immobilier Marseille Provence Kitsou Dubois | Équipe de voltige de la base aérienne 701 Ensemble Musicatreize | Société Marseillaise de Crédit Ymane Fakhir | AP-HM – Hôpital de la Timone Christophe Fiat | Château de la Buzine Gaëlle Gabillet | Le Patio du Bois de l'Aune Dora Garcia | Hôpital Montperrin Anne-Valérie Gasc | Ginger cebtp Demolition Gethan&Myles | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde groupedunes | Apical Technologies - Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale Mona Hatoum | Arnoux-Industrie et Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA)

Célia Houdart et Sébastien Roux | Entreprises du Puits Morandat Ici-Même (Paris) | Centre Bonneveine Mathieu Immer & Benjamin Lahitte | EDF – Centre de Production Thermique de Martigues Katia Kameli | Futur telecom Djamel Kokene | Tribunal de Commerce de Marseille Yohann Lamoulère | Alhambra Le Phun | Domaine de la Tour du Valat Tsaï Ming Liang | Maison de la Région Cristina Lucas et Dominique Cier | Coordination Patrimoines & Créations Pascal Martinez | CIRVA Olivier Menanteau | La Marseillaise Amina Menia | Agence d'Urbanisme de l'Agglomération Marseillaise (AGAM) Joao Garcia Miguel | Habitat Alternatif Social (HAS) Jean-Marc Munerelle | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde Stephan Muntaner | La Poste Yazid Oulab | Centre Richebois Miguel Palma | Bâtimétal et Domaine de Saint-Ser Hervé Paraponaris | Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille Alexandre Perigot | Groupe Daher Franck Pourcel | Société Nautique de Marseille Marie Reinert | Compagnie maritime Marfret * Etienne Rey | IMéRA Karine Rougier | Vacances Bleues * Bettina Samson | OSU-Institut Pythéas Aix-Marseille Université Vanessa Santullo | Joaillerie Frojo * Zareh Sarabian | Boulangerie Farinoman Fou Nicolas Simarik | Newhotel of Marseille Zineb Sedira | Grand Port Maritime de Marseille Alia Sellami | Carniel Wael Shawky | ADEF – Ecole de céramique de Provence et le SATIS/ASTRAM Lab - Faculté des Sciences Aix-Marseille Université

Djamel Kokene, Double Bind 2012-2013 Œuvre réalisée dans le cadre des Ateliers de l'EuroMéditerranée – Marseille-Provence 2013 au sein du Tribunal de Commerce de Marseille. Production déléguée : Art to be / Nathalie Travers. Co-production : Marseille-Provence 2013 – Capitale européenne de la culture, Tribunal de Commerce.

Tribunal de Commerce Le Tribunal de Commerce est une juridiction dont les juges sont des commerçants élus par leurs pairs, le greffier, un officier public et ministériel nommé par le garde des sceaux. Le tribunal de commerce est chargé de régler les litiges entre commerçants et de gérer les procédures collectives. Art to be Composée aujourd'hui de Raphaële Jeune et Nathalie Travers, l'association Art to be est née de la volonté d'explorer les possibilités de rencontre entre l'art et le monde social et économique. Elle a réalisé « Valeurs croisées » et « Ce qui vient », les deux premières éditions des Ateliers de Rennes – Biennale d'art contemporain articulées autour du principe des SouRCes, des séjours de recherche et de création pour des artistes en entreprise. Alain Berland

Alain Berland a été membre du Comité de Rédaction du journal Particules (entre 2003 et 2010), il collabore régulièrement à la revue Mouvement depuis 2008 et est membre du Comité de Rédaction de la revue Questions d'artistes depuis 2010. Programmateur pour les arts visuels au Collège des Bernardins depuis 2010, il y a été commissaire d'expositions pour « Antony McCall- Between you and I » (2011), « Isabelle Cornaro – Du proche et du lointain » (2011) , « Judith Scott – objets secrets » (2011), « Céleste Boursier Mougenot- Videodrones »(2011), « Michel Blazy- Bouquet final »(2012) et « Bruno Perramant - Les aveugles » (2012). Il a été Conseiller artistique de la Biennale du Havre en 2010 puis Commissaire pour l'art contemporain de l'édition 2012. Il prépare une exposition monographique de Stéphane Vigny au Placé le Radieux en avril 2013. Il est membre de L'AICA.

Jean-Claude Moineau Jean-Claude Moineau a longtemps enseigné, par delà le découpage en disciplines consacrées, l'art et la théorie de l'art à l'Université de Paris 8 et a été, en 2006-2008, conseiller de la 15e Biennale de Paris. Il est l'auteur notamment de L'Art dans l'indifférence de l'art (Paris, P.P.T., 2001), de Contre l'art global, Pour un art sans identité (Paris, è®e, 2007) et de Retour du futur, L'Art à contre-courant, (è®e/Art 21, 2010). Remerciements : Wilfried Meynet, Avocat au Barreau de Marseille et de Luxembourg, Georges Richelme, Président du Tribunal de Commerce, Jérôme Gavaudan, Bâtonnier, Erick Campana, Bâtonnier en exercice, Akim Ayouche, les Ateliers de production ; l'équipe expositions de MarseilleProvence 2013, en particulier Kenza Samari, Juliette Laffon, Erika Negrel, Sandrina Martins ; Art to be, Nathalie Travers et Raphaële Jeune, tout le village de Tizi-Gueffres. L'artiste Djamel Kokene remercie également pour leurs regards : Jean-Luc Blanc, Michel Blazy, Dorothée Manière, Jean-Claude Moineau et Alain Berland.

Exposition Ici, ailleurs à la Tour - Panorama - la Friche la Belle de Mai, Marseille, 12 janvier / 31 mars 2013

* Projets proposés par Mécènes du Sud

Equipe des Ateliers de l'EuroMéditerranée Marseille-Provence 2013 Direction : Sandrina Martins Chef de projets arts vivants / coordination éditoriale des carnets : Mélanie Drouère Chef de projets arts visuels : Erika Negrel Assistant de projets / production : Jean-François Mathieu Stagiaire : Luisa Salvador

Djamel Kokene, Double Bind

L'association Marseille-Provence 2013, présidée par Jacques Pfister (Président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence), remercie ses partenaires :

Direction de la publication : Jean-François Chougnet, directeur général de Marseille-Provence 2013 Photos : Djamel Kokene / ADAGP, Clémentine Crochet Traduction anglaise : Rhonda Campbell et Teri Jones Impression : Imprimerie Azur Offset, Marseille

Partenaires officiels La Poste, Société Marseillaise de Crédit, Orange, Eurocopter, EDF

-ISBN 978-2-36745-008-7

www.mp2013.fr

Achevé d'imprimer en mars 2013

Partenaires institutionnels Ministère de la culture et de la communication, Union Européenne, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Conseil général des Bouches-du-Rhône, Ville de Marseille, Marseille Provence Métropole, Ville d'Aix-en-Provence, Communauté du Pays d'Aix, Ville d'Arles, Arles Crau Camargue Montagnette, Communauté du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, Communauté d'agglomération Pays de Martigues, Ville de Salon-de-Provence, Ville d'Istres, Ville de Gardanne, Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence.


jean-claude chianale,

Carnets les ateliers de l'euroméditerranée de marseille-provence 2013 ISBN 978-2-36745-008-7

5€


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