Carnet AEM_ Ilana Salama Ortar

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Ilana Salama Ortar

LAISSEZ-PASSER GW.Inox

les ateliers de l'euroméditerranée marseille provence 2013


LES ATELIERS DE L'EUROMÉDITERRANÉE DE MARSEILLE-PROVENCE 2013 : une Capitale européenne de la culture en fabrique Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée (AEM) invite des structures non dédiées à l'art – privées ou publiques - à accueillir des artistes in situ pour leur permettre de créer une nouvelle œuvre. Ces résidences soulèvent trois enjeux : soutenir la création contemporaine, concerner et mobiliser de nouveaux publics et initier de nouveaux modes de production artistique. Leur vocation est de nourrir la programmation de l'année Capitale européenne de la culture dans toutes les disciplines artistiques. L'ATELIER D'ILANA SALAMA ORTAR Ilana Salama Ortar poursuit depuis treize ans un travail pluridisciplinaire sur le camp du Grand Arénas, Marseille. Cette recherche recouvre les caractères politiques, sociaux, culturels des sujets d'immigration, de refuge, de déplacement et de déracinement. Marseille, en particulier le [mac], a ainsi accueilli plusieurs installations traitant du Grand Arénas, camp de transit construit dans l'immédiat après-guerre pour faire face aux mouvements de population suite à la démobilisation, au retour des camps et à la décolonisation. Dans le cadre de la Capitale européenne de la culture, l'artiste souhaitait concevoir une nouvelle œuvre architecturale pour proposer une approche plus large des thèmes de l'immigration et de l'exil. Aussi la structure de Laissez-Passer, tout en acier inoxydable, a-t-elle été fabriquée en résidence de création au sein de l'entreprise GW.Inox, l'utilisation de ce matériau « neutre » accompagnant l'intention artistique de transcender toute connotation à une mémoire en particulier pour se rapprocher d'un angle critique, soulignant la multiplication de « non-lieux » (centres de rétention, zones de contrôle, ghettos urbains) et le durcissement des procédures de régulation et d'identification. Le visiteur, lors de sa déambulation dans la structure, parmi les témoignages de migrants, sera donc également invité à s'interroger sur sa propre position. --

Née à Alexandrie, Egypte, Ilana Salama Ortar vit et travaille entre Tel Aviv, Londres et Berlin. L'artiste définit souvent sa pratique artistique comme relevant de « l'art civique » : des interventions urbaines pluridisciplinaires, incluant installation, performance et dessin et qui concernent l'architecture d'urgence dans l'espace public. L'art civique vient rendre sensibles et audibles les processus d'effacement de la mémoire dans l'espace public et vise à faire de celle-ci un accomplissement pratique, mobile, jouable, transformable. Ilana Salama Ortar, born in Alexandria, Egypth, lives and works between Tel Aviv, London and Berlin. She entitles her artwork as « civic art », with pluridisciplinar urban interventions such as performance, instalation and drawing concerning urgent architecture in public space. Laissez-Passer develops her political/poetic research of memory spaces. Ilana Salama Ortar has as support her own personal history, particularly her passage in the Grand Arénas at Marseille, to create a contemporary inox « shed ». Couverture : Palimpsest, 2004 Œuvre sur papier, 70 x 100 cm.

Bribe d'un mur d'une baraque du camp des juifs. Fouille archéologique au camp d'Arénas, Marseille, 2000.


Transmission, 1999-2000

Installation. Cittadelarte, Fondation Pistoletto, Biella, Italie.

Déracinement, exil et émigration à travers le camp du grand Arénas (dit “Camp des Juifs”), 1998-1999

Installation au Musée d'art contemporain de Marseille [mac].


Traces urbaines, Marseille, 2000.

Crayon, feutre, gouache blanche et tĂŠrĂŠbenthine sur papier, 70 x 100 cm.

Laissez-Passer, 2013 Simulation.


FusĂŠes en inox, dans l'entreprise GW.Inox, 2013.


Laissez-Passer, 2013. Simulation.


Fusテゥes en inox, dans l'entreprise GW.Inox, 2013.

Palimpsest, 2004. ナ置vre sur papier, 70 x 100 cm.


ENTRETIEN

avec Ilana Salama Ortar.

Propos recueillis par Mélanie Drouère, le 16.04.13, Marseille

Ilana, de quand dates-tu l'origine de ce projet ? Le considères-tu comme nouveau ou se situe-t-il dans la continuité de ton travail d'« art civique » ? Ce travail se situe dans la continuité du premier projet sur le camp d'Arénas réalisé pour le [mac] en 1998-1999, dans le cadre d'Israël au miroir des artistes. J'ai alors été invitée par les Musées de Marseille, plus précisément par leur directrice, Corinne Diserens qui à l'époque me proposait une carte blanche pour faire un projet urbain dans la Ville de Marseille, après qu'elle a découvert une installation que j'avais conçue à Haïfa, qui condensait l'histoire de la ville, mais aussi de tout le pays. Cette installation à Haïfa était ta première œuvre proposée dans l'espace public ? En effet, c'était « La Tour des Prophètes / La Villa Khury, Haïfa, Israël » - Le Visible et l'Invisible dans la mémoire Israélienne et la mémoire Palestinienne. Le projet évoquait la destruction des maisons palestiniennes à Haïfa, soulignant la construction d'un centre commercial à l'endroit même où existait une maison palestinienne. J'ai fait une exposition dans tout le centre qui parlait de la disparition de cette maison, qui était le centre de la guerre en 1948 et représentait selon moi un ancrage fort dans l'histoire du pays. À Marseille, tu as travaillé sur ce que tu nommes « l'artefact de la fusée-céramique », qui te passionne comme objet substantiel de la mémoire du camp d'Arénas. Peux-tu nous expliquer de quoi il s'agit ? À la fin de la seconde guerre mondiale, les autorités marseillaises durent loger d'urgence les prisonniers politiques, les travailleurs étrangers venus des colonies (Algérie et Indochine), les réfugiés et les soldats libérés. Pour ce faire, elles attribuèrent

un terrain au sud de la ville, loin du centre, près de la prison du quartier de la Cayolle, et confièrent l'entreprise à l'architecte Fernand Pouillon. À cette époque, où les matières premières et la main d'œuvre faisaient cruellement défaut, M. Pouillon réussit à accomplir sa tâche selon une méthode qui fut mise au point pendant l'occupation par l'architecte Jacques Couëlle : des bouteilles en céramique, au culot tronqué et dénommées fusées-céramique, étaient « embouteillées » les unes dans les autres, comme les maillons d'une chaîne, pour créer des formes voûtées, des paraboles. Ces fusées-céramique furent produites pendant la guerre dans une tuilerie proche de Marseille, qui avait signé un contrat selon lequel elle devait fournir trois millions de bouteilles à la société allemande TODT. Là-bas, elles devaient servir à la réfection des ponts détruits et des abris souterrains. La guerre finie, les bouteilles furent confisquées et entreposées dans les dépôts de l'armée américaine à Marseille, et l'architecte Pouillon est le seul qui osa relever le défi et utiliser un matériau de construction non conventionnel pour bâtir le camp d'Arénas. Du fait des circonstances, Marseille était devenue, après la guerre, la plaque tournante des activités des institutions juives en France, et le camp reçut des Juifs en provenance des camps d'exilés et d'Afrique du nord, tous « immigrants potentiels ». C'est la raison pour laquelle on lui attribua l'appellation de « camp des Juifs ». Comment s'articulait ton projet à toutes ces découvertes ? Corinne Diserens m'a proposé de faire des installations en succession qui montraient toutes mes découvertes, ou toute l'archéologie du camp dans le [mac] dans le cadre de l'exposition « 50 Espèces d'Espace », qui présentait la collection de Beaubourg, de l'automne 1998 au printemps 99. J'ai alors ouvert au musée d'art contemporain de la ville de Marseille


un « laboratoire de la mémoire », à l'intérieur d'un conteneur dans lequel j'ai « embouteillé » des fuséescéramique pour reconstituer un modèle réduit de l'espace typique d'une « baraque » telle qu'il en a existé au camp d'Arénas à la Cayolle. Dans les deux espaces étaient disposées sept installations, qui représentaient autant de couches « archéologiques » du camp. Je voulais que les regards se déplacent du présent vers les fragments de l'histoire. Je travaille la mémoire, la trace. Or la mémoire bouge : il faut donc des installations qui respirent, qui se meuvent. Est-ce à partir de ce premier jalon que ce travail que tu proposes aujourd'hui à Marseille, en résidence chez GW.Inox dans le cadre d'un Atelier de l'EuroMéditerranée, prend sens ? Les fusées-céramique du Grand Arénas sont effectivement la base conceptuelle de l'architecture de Laissez-Passer. Elles ne sont plus des objets porteurs de mémoire, en terre cuite de Marseille, verre d'Hébron, ou formica si caractéristique des années 50 en Israël, comme dans les projets précédents. Elles sont en acier inoxydable et ont été créées comme prototype dans une entreprise marseillaise. En choisissant ce matériau détaché de toute symbolique ou référence à une époque ou topos spécifiques, je tiens à distance toute nostalgie. J'élabore un travail de mémoire qui n'est plus fondé uniquement sur l'empathie, mais relève d'une approche critique quant à la représentation actuelle du phénomène de migration, des histoires individuelles qui ne peuvent se résumer en quelques mots ou images-choc, loin des manipulations médiatiques et politiques et des visions globalisantes.

Pourquoi avoir choisi l'inox en particulier ? La neutralité de l'acier inoxydable représente bien la dualité du projet. L'aspect esthétisant du matériau joue un rôle de leurre. De loin, l'installation est un bel édifice qui donne envie d'y pénétrer, une surface de « tuileaux », de bambous, et de courbes tendres dessinées dans l'espace. Dès que les témoignages se font entendre, l'intérieur devient oppressant. Mon choix artistique de créer une cellule carrée (et non de plus reproduire les tunnels du Grand Arénas) vise à placer le visiteur au centre de ce théâtre de la migration – une position qui lui off re la possibilité de se concentrer sur les diverses histoires diffusées et de questionner sa propre position en même temps. Est-ce à dire qu'avec le projet de construire une baraque en inox, cette fois, l'idée est de transcender les frontières entre mémoires, avec un matériau neutre, après avoir par le passé rassemblé des mémoires particulières – on pense aux bouteilles de céramique et aux bouteilles de verre bleu qui métaphorisent respectivement la mémoire palestinienne et la mémoire juive ? En effet, le projet d'aujourd'hui dit exactement cela, avec une matière certes noble, mais neutre, l'inox. J'ai eu beaucoup de mal à trouver un partenaire car l'inox est très cher ; cela faisait deux ans que je cherchais, avant l'Atelier de l'EuroMéditerranée. J'ai voulu me débarrasser de tout pathos. Ce projet que les AEM me permettent de faire parle de la migration en général, des Roumains, des Tziganes, etc. C'est pour moi LE sujet avec un grand L, le sujet d'aujourd'hui.

C'est un projet qui porte des valeurs et des engagements explicites et puissants : comment a réagi le chef de l'entreprise de GW.Inox quand tu le lui as présenté ? Quand nous sommes allés à la rencontre de l'entreprise avec Erika Negrel, qui pilote ce projet pour Marseille-Provence 2013, José Calvo, qui nous a ouvert la porte le premier, a été très ému et touché par les œuvres de « réunion des mémoires » que tu évoquais, que j'avais présentées en Israël, en particulier par la pièce sur la frontière libanaise, dans laquelle je mets la terre comme immigrée, comme immigrante : de fait, il a été casque bleu, notamment au Liban, et il a souvent visité Israël et adore les Israëliens. Il a adoré mes projets et a immédiatement été excité par l'idée de collaborer à une nouvelle œuvre. C'était donc une évidence de travailler avec cette entreprise. Comment travaillez-vous techniquement sur la réalisation de la pièce depuis ce premier rendez-vous ? Depuis, Xavier Calvo, son frère, est l'ingénieur qui a travaillé avec son équipe sur mon projet ; nous avons travaillé ensemble depuis l'échange d'idée. Ils ont lancé une grosse production de bouteilles en inox, après une validation concertée du prototype. Dans deux ou trois semaines, nous allons donc les monter sur place, au Parc de la mairie des 9ème et 10ème arrondissements de Marseille, dans le cadre du festival des arts éphémères. Ce projet entre sous deux volets à Marseille dans le cadre de MarseilleProvence 2013, puisqu'elle fait aussi partie de l'exposition Le Pont proposée par le [mac]. Comme l'exposition « Le Pont » est tentaculaire, elle inclura dans l'une de ses « annexes » le parcours par cette pièce dans le Parc du 9ème arrondissement, où elle restera donc six mois.


Traces urbaines, Marseille, 2000.

Crayon, feutre, gouache blanche et tĂŠrĂŠbenthine sur papier, 70 x 100 cm.


ENTRETIEN

avec José Calvo, P.D.G. de GW.Inox et Xavier Calvo, ingénieur chez GW.Inox Propos recueillis par Ilana Salama Ortar, GW.Inox, avril 2013

José, j'aimerais qu'il y ait ta voix, ton histoire, dans la structure, mêlée au son des témoignages sur le camp d'Arénas. Pour cela, si tu le veux bien, peux-tu me raconter ta propre expérience de la migration ? Quand j'ai vu pour la première fois les images de tes œuvres, cela m'a immédiatement rappelé le Liban, puisque quand j'étais dans le sud Liban, les abris de guerre étaient comme ça. C'est ce qui a surgi quand j'ai vu l'œuvre. Des images coincées entre le Liban et Israël. C'est ce qui a tout de suite suscité ma curiosité de vous connaître. Et il est vrai que, quand on rencontre Ilana Salama, il y a tout un tas d'émotions qui vous submergent. Je suis immigré, je viens du Nord-Est de l'Espagne, mais c'est vrai que, comme je suis là depuis des années, j'ai tendance à oublier mon histoire. Mais le fait d'avoir parlé avec Ilana fait resurgir toutes ces émotions. Car il y a l'exil Espagne-Marseille, et puis l'histoire avec Israël, mais aussi l'évocation du Moyen-Orient, dans laquelle je me suis senti comme si j'étais chez moi, tout ça a resurgi quand nous nous sommes rencontrés. Voilà pourquoi je me suis intéressé à cet ouvrage. Ce qu'il y a de paradoxal, c'est que, suite à notre rencontre, et alors que je ne connaissais pas le camp d'Arénas, j'ai discuté avec un ami d'enfance, Rolland, dont le père habitait à Mazarre et avait un mur frontalier avec le camps d'Arénas, et alors je me suis mis à m'intéresser à toute cette histoire. Mais encore une fois, vous en êtes la cause. Même si ce n'est pas mon histoire, il y a de toute façon tant de choses communes dans les histoires des immigrés… Vous me disiez souvent, en tout cas c'est ce que j'en ai retenu, que pour vous, le camp d'Arénas, c'était une arrivée, et un départ. J'aurais tendance à dire que ce n'est pas seulement le camp d'Arénas qui était une arrivée et un départ, c'est Marseille qui était une arrivée et un départ. Une arrivée parce qu'on arrive tous quelque part. Et un départ parce qu'à partir de Marseille, beaucoup de gens sont repartis pour une autre vie, mais même

à Marseille l'immigration a souvent fait un nouveau départ. Là, j'en reviens à mon histoire propre : du jour où mes parents sont arrivés dans cette ville, ils en sont tombés si amoureux qu'ils nous ont fait aimer Marseille. Marseille est devenue synonyme pour nous d'un nouveau départ. C'est toujours douloureux d'immigrer, de quitter ses racines, ses traditions, sa famille. Mais je suis convaincu qu'en matière d'immigration, il y a beaucoup plus de cas heureux que de cas malheureux. Il y a nécessairement beaucoup de gens qui ont mal vécu l'immigration, mais je suis persuadé que Marseille est une ville qui donne beaucoup de chances. C'est une ville très cosmopolite, dans laquelle on se sent rapidement intégré et, si on la respectait un peu mieux, Marseille a une identité propre. Marseille, ça a été pour nous une grande chance, comme terre d'accueil. Mon père, qui a maintenant plus de quatre-vingt ans, est le premier à ne jamais oublier que c'est la ville de notre nouveau départ. Ce sont toutes ces émotions que vous avez fait resurgir ! Dans ma vie, j'ai la chance de rencontrer des gens d'horizons très différents, mais j'ai rarement rencontré un artiste et il est vrai que ces émotions que j'ai ressenties en vous rencontrant ont été très fortes, mais dans un sens positif ; ça m'a beaucoup fait réfléchir, certaines choses ont pris du sens, je me suis dit : effectivement, Marseille, c'est une arrivée, mais aussi un départ pour une nouvelle vie. Et ça, je trouve que c'est extraordinaire. Je vous en remercie. Quelle émotion, my God. Et l'idée d'accueillir une artiste, qui parle de l'immigration, c'est vrai, mais qui fait une œuvre d'art, qu'est-ce que cela signifie pour toi ? C'est la première fois ? Oui, il y a des artistes qui nous ont contactés pour des choses ou d'autres, mais c'est la première fois qu'on va participer à une œuvre. Pour nous, c'est mettre un tas d'émotions en plus de la technique au service d'un artiste et c'est pour nous encore valorisant dans tous les sens du terme.

Quelle est votre histoire de l'immigration, à ton père et à vous ? Est-ce une histoire d'expulsion ? Non, nous n'avons pas été expulsés. Mon père avait des affaires en Espagne, dans les année 70 sous Franco, et il a tout perdu ; on en a beaucoup souffert et il est venu travailler à Marseille car il avait un haut niveau de technicité et qu'il y avait là beaucoup de raffineries à Fos, donc on est tous venus, avec ma mère, ma grand-mère, qui était aveugle et mes deux sœurs. Moi, j'avais quatorze ans. On est d'abord allé dans un hôtel ; puis on s'est installé dans les quartiers nord de Marseille, comme tout immigré. C'est là que j'ai connu des Tunisiens, des Arméniens. J'étais dans un HLM et en même temps j'avais l'impression de voyager ! On est resté trois ou quatre ans ; mon frère est né là-bas, d'ailleurs. La mentalité a changé, ce n'était plus le bien-vivre et la solidarité entre italiens, marocains, arméniens, espagnols… ça devenait malsain. Bon, avec l'éducation qu'on avait, nous, ce n'était plus possible. Alors on est reparti à Marseille. On a recommencé à zéro et on s'est tellement bien adapté, grâce à l'éducation et à l'amour de nos parents - parce qu'on n'avait rien, pas une chaise pour s'asseoir en arrivant, il y avait notre père qui travaillait, point. Et aujourd'hui mes sœurs ont fait des études, mon frère est ingénieur, moi j'ai une entreprise, donc on a réussi ce nouveau départ dans cette ville qui nous a aidés. C'est l'histoire de beaucoup d'immigrés : il faut beaucoup de courage, il faut y croire, il faut penser que la vie était tellement dure que tout ce qui se présentait devant nous ne pouvait être que mieux. Et ça, c'est tout un état d'esprit. Ca, dans ma vie, je l'ai rencontré une fois. C'est peut-être ce qui m'a servi d'exemple, m'a donné la force d'entreprendre, de monter une entreprise etc. Je l'ai rencontré en Israël. Je laisse de côté tout ce qui est religieux, ça ne m'intéresse pas. Je veux parler de la volonté. volonté La volonté d'arriver quelque part où il n'y a rien. Où tout reste à faire. Plutôt que de se morfondre et de se résigner.

Et ça, ça a été un exemple pour moi dans ma jeunesse. Car j'avais vingt-et-un ans, j'étais à l'armée. C'est lorsque je suis rentré en France, riche de cette expérience, que j'ai eu envie d'entreprendre. Il n'y a pas de raison que je ne puisse pas enrichir ma vie, que je ne puisse pas aller de l'avant, plus ce sera un challenge, plus ce sera passionnant et il n'y a pas de raison que je ne réussisse pas. Voilà ce que je me disais. Et la vraie motivation de ma vie a commencé là. L'immigration est une chose… Mon père me demandait encore ce week-end si je n'avais pas de regret, il a plus de quatre-vingt ans, comme je le disais et, souvent, quand on approche de la fin de sa vie, on se retourne un petit peu en arrière et il a peut-être peur, en ayant immigré, d'avoir gâché des possibilités pour moi, quelque part. Et je lui ai répondu que la ruine et l'exil, quand je me retourne sur cette période, sur l'union de notre famille, car c'est une véritable pépinière, cette famille, je lui ai dit : « en regardant tout ça, papa, je signe de suite. » Je veux dire : il n'y a pas un moment de regret. Car c'est tout ça qui a fait ce qu'on est et nous a donné une envie exceptionnelle. Ce qui me vient à l'esprit, c'est ça : mon histoire personnelle, cette émigration, ça m'a donné de la force ; il n'est pas pensable pour moi que les difficultés ne donnent pas du courage. Et puis il y a Israël. Quand j'étais à Yamit dans les années 72, quand on voit dans le désert ce qu'il est possible de faire avec de l'envie et du courage, aujourd'hui, ça me sert, y compris avec mon frère et avec mes enfants, je cite souvent ça en exemple. Parce que mon frère a vécu une histoire différente, il est né ici, déjà, et j'essaye de lui ré-inculquer ça, penser qu'il y a tellement de possibilités quand on a du courage et de la volonté. Car moi, je n'ai pas pu faire d'études, quand je suis arrivé ici, j'avais déjà quatorze ans, alors c'était compliqué et, encore une fois, je vois ces salades qui poussent dans le désert. De la volonté, du courage et de la passion : là, on a le moteur d'une vie. Voilà un petit peu mon histoire.


Et soudain le Casque Bleu rencontre une artiste israélienne… Oui, parce qu'il s'est passé des choses entre Israël et moi. Pourquoi, je ne sais pas. Parce qu'entretemps, j'ai rencontré beaucoup de gens, beaucoup d'Israélites avec qui j'ai plaisir à discuter d'Israël. Parce qu'il s'est passé des choses qu'aujourd'hui encore j'ai du mal à définir. Je me suis senti chez moi en Israël. Voilà, je suis arrivé, je me suis senti chez moi, c'est clair. Il y a deux endroits où je me suis senti chez moi en-dehors de Marseille, c'est évidemment la région où je suis né, et Israël. Pourquoi ? Je ne sais pas, c'était comme ça, c'était naturel pour moi. Encore une fois, toutes ces émotions, elles étaient enfouies, je ne les exprimais pas en permanence. Le fait de vous rencontrer, de rencontrer Ilana, et de reparler du camp d'Arénas, hé bien toutes ces émotions, je vais vous dire le jour où je vous ai rencontrée, quand je suis rentré le soir chez moi, hé bien on s'est couché à une heure du matin avec mon épouse, parce qu'il m'a fallu – tu m'avais fait cadeau d'un petit livre que j'ai ramené à la maison – et il m'a fallu lui expliquer toute l'histoire. Bon, bien sûr, elle la connaît, mais d'un coup il y a tout qui est remonté. Et ça, ça a été précieux pour moi. Ce qui est extraordinaire c'est que c'est une œuvre d'art qui t'a fait ça. Hé oui ! c'est ce qui est extraordinaire ! Moi je veux dire je rencontre plein de gens dans mon métier. Hé bien comment une œuvre d'art dans sa rencontre avec quelqu'un peut débloquer autant d'émotion, quoi, hein ? C'est ce qui s'est passé parce que mon frère m'en parle souvent (il rit) : je ne sais pas moi les gens ils voient un arc en inox avec des bouteilles, hein, moi, je ne peux pas me contenter de n'y voir que ça. Il y a tout un tas, c'est que ça surgit ; encore une fois, un tas d'émotions… Par moments même, on a du mal à l'expliquer, quoi.

Par moments, moi non plus, je ne trouve pas les mots. Viens, Xavier, joins-toi à nous. Et toi, que penses-tu de l'idée de faire une œuvre d'art qui parle de l'immigration, dans cette entreprise qui est si moderne, si high-tech ? Moi, j'ai un vécu complètement différent, donc je ne peux pas avoir la même approche. Par contre, on s'est investi comme vous avez pu le voir dans la réalisation, et on est loin de considérer ça simplement comme des bouts de tubes. Moi j'ai plus de technique, j'essaye de remettre à jour les plans et de vous les envoyer, de bien mesurer les contraintes de tenue, de voir les points de soudure : j'ai plus en tête aspects techniques, beauté, réalisation technique de ce que vous avez vous dans l'esprit, que la situation de l'œuvre dans l'histoire et dans l'environnement. Il y a quand même eu une discussion entre nous deux après que nous vous avons rencontrée. J'ai dit à Xavier : essaye de t'imprégner un petit peu de cette émotion, si on n'y voit qu'une réalisation technique, alors il ne faut pas y aller. Il y a un moment où émotionnellement, on ne saura pas investir cet ouvrage. Et on en est venu à reparler de cette histoire de quand j'étais casque bleu et des camps. Je leur ai dit : bien sûr, il y a la technique, mais j'ai dit même aux compagnons qui sont là en train de souder qu'il ne fallait pas simplement qu'ils soient là en train de souder, mais qu'ils comprennent ce qu'ils posent et qu'ils aient envie de savoir où cette œuvre se situe. Parce qu'y compris les gens qu'on a chez nous, quelque part, nous avons tous des origines et nous sommes tous des immigrés. Il fallait qu'ils se sentent aussi eux imprégnés de cette histoire. Si on réussit ça, si même celui qui soude a mis une partie de ces émotions là-dedans, alors là, on aura réussi à 100%. C'est pour ça que quand l'œuvre sera présentée, je souhaite qu'ils aillent la visiter avec cette envie. Qu'ils aient cette fierté. La plupart habite à Marseille, donc ce sera encore plus une fierté de montrer l'œuvre à la famille, qu'ils ont fabriquée.

Parce que qui l'a faite ? Il y a Daniel, qui est espagnol aussi, il y a des gens d'origine corse, italienne, il y a Marc qui est tunisien, non marocain. Finalement, c'est une histoire d'immigrés faite par des immigrés. Et à Marseille, s'amusent les deux frères. On ne peut pas rêver mieux car c'est précisément le but des Ateliers de l'EuroMéditerranée, que l'artiste vienne et propose autre chose, de plus émotionnel, à faire. Et votre rencontre avec nous alors ? Très chaleureuse. Dès la première seconde, je suis venue vous donner le dossier, j'étais émue, et puis vous m'avez fait faire le tour de l'entreprise. Oui il y avait l'inox et je vous ai expliqué pourquoi, mais c'est vous qui m'avez beaucoup émue, dès le début. J'ai fait cette sculpture en céramique, en verre, en formica. Mais pour moi c'était décoratif plus que construit. Maintenant, ce n'est plus que le camp d'Arénas, que les Juifs. Oui, c'est un projet ouvert, sur l'immigration. C'est ce qui nous a plu. Je voulais une matière qui soit noble, qui soit neutre. Ça m'a pris du temps de trouver. Et vous voyez aussi le temps que ça prend à réaliser : pièce par pièce ! Oh la la, oui, quel travail ! Merci !


Le camp des Juifs

Extraits de témoignages du film Le camp des Juifs (2003, 27 mn.)

Un émigrant originaire du Maroc. En 1956, alors qu'il avait vingt ans, il séjourna au camp en route pour Israël. Il habite Haïfa. Au camp, à Marseille, il faisait froid, trop froid, un froid comme je n'en ai jamais vu de ma vie. À Casablanca, on nous avait inscrits pour émigrer à Marseille. On y est arrivé comme des moutons. Il y a des malheureux qui sont venus en chemise. Seulement une chemise sur la peau. (…) Le camp était vaste, il y avait plusieurs familles par baraquement, que des baraquements… Le baraquement était noir car il avait appartenu aux allemands. On nous dit que c'était un ancien camp de concentration et qu'on l'avait transformé en camp de transit. Le camp était fermé. Il y avait une palissade tout autour et un portail, avec deux gardiens. Pour sortir il fallait un permis. On ne pouvait pas sortir comme çà, il fallait un permis. (…)

~ Un médecin juif habitant Marseille, qui a travaillé au camp de 1946 à 1960. Juste après la guerre, en 1946, fut organisé le voyage de l'Exodus. Les émigrants rescapés de la Shoah sont arrivés en train à la gare de Marseille et là les attendaient les gens qui travaillaient dans les camps de transit de Marseille. Ils arrivaient d'Allemagne, de Pologne et de toute l'Europe orientale. Tout juif qui avait souffert de l'occupation allemande pouvait arriver à Marseille et y prendre la route vers Israël. L'Exodus, qui partit de Marseille, avait été acheté par les Etats-Unis, un beau bateau qui avait été transformé en bateau d'émigrants. Il avait servi à l'origine 600 personnes, et on y fit monter 4.500 émigrants.

~ Le fils d'émigrants algériens musulmans de Marseille. Il est né dans le camp, en 1949, et y a séjourné jusqu'à sa destruction, en 1966. Il habite Marseille. Voilà, l'hôpital était ici. Il y a la flèche. Tout le quartier était fermé. Derrière nous il y avait un mur avec un portail de sortie. Le mur continuait jusqu'à l'esplanade, le centre. Là, à l'entrée, il y avait un poste de police et des tours de garde, avec une entrée sous contrôle. Il y avait une autre entrée, du côté de l'hôpital. Il n'y avait que ces deux entrées-là. Il y avait des moyens de contrôle et ceux qui sortaient de là [pour aller à l'hôpital] étaient eux aussi sous surveillance. Traces urbaines, Marseille 2000

Crayon, feutre, gouache blanche et térébenthine sur papier, 70 x 100 cm.

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Une émigrante originaire du Maroc. En 1956, âgée de 15 ans, elle séjourna au camp en transit vers Israël. Elle habite Tel Aviv.

Une émigrante originaire du Maroc. En 1956, alors qu'elle avait une vingtaine d'années, elle séjourna au camp en route vers Israël. Elle habite Jérusalem.

Sur le bateau qui nous amenait de Casablanca à Marseille, on était tous les uns sur les autres. Les gens vomissaient. Les immigrants avaient reçu l'instruction formelle de ne pas monter sur le pont supérieur. Nous occupions les ponts inférieurs du bateau. Nous étions là où dorment les marins, en bas, où il y avait des lits superposés, dans un encombrement terrible et avec une foule de gens et de bébés, des vieux et des vomissements. C'était très traumatisant. Comme des esclaves, on ne nous laissait pas monter. (…) On nous a sulfatés de DDT, quel remue-ménage ! Moi je n'ai pas voulu et on m'a sermonné que je ne fasse pas de problèmes. Et ils nous ont sulfatés et après ils nous mis une sorte de chapeau, pendant quelques mois.

On attribuait un bâtiment par famille. S'il était trop grand, et que dans la même semaine il y avait affluence de nouveaux venus, on plaçait deux ou trois petites familles dans le même bâtiment. Il n'y avait pas de portes, mais des rideaux de séparation. Non, il n'y avait pas de portes.

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Quand éclata la guerre d'Indépendance, les juifs d'Egypte commencèrent à ressentir le danger. Nous sommes arrivés à Marseille, d'où on nous transporta en camions au camp de transit d'Arénas. Il semble qu'à l'origine, il avait servi de camp militaire. Les habitations étaient des bâtiments en forme de saucisson dans lesquels avaient été disposés côte à côte, en de longues rangées de part et d'autre du passage, des sommiers et des lits militaires pliants en toile forte. Pour moi, enfant de presque 14 ans qui posait encore ses phylactères (“tefilin”), ce passage était un cauchemar incompréhensible, accompagné du sentiment que Dieu nous punissait pour nos mauvaises actions. Toute ma vie privée, mes effets personnels, mon milieu naturel, mes proches amis, tout cela avait disparu en l'espace de quelques jours.

Une musulmane d'origine algérienne. Elle avait à peu près trente ans lorsqu'elle habita au camp, avec les juifs, de 1950 à 1956. Elle habite Marseille. Les “tonneaux” ? C'était pour les allemands. Les allemands y ont d'abord habité, puis ils sont partis et les juifs sont entrés. On appelait çà le quartier juif. Tout le monde vivait ensemble, tout simplement, mais les juifs, en dehors… on vivait ensemble, mais les juifs, en dehors… ils n'étaient pas là-bas. Les “tonneaux” avaient été partagés en deux [zones]. Mais il n'y avait pas de problèmes, tous étaient comme frère et sœur. Les “tonneaux” étaient comme des châteaux. Il y avait le jardin, les poules, une grande pièce et après une pièce plus petite pour les enfants, et après la cuisine et les voisins. Tout le monde vivait ensemble : les kabyles, nous, mais les juifs étaient séparés. Mais même avec eux il n'y avait pas de problèmes.

~ Un émigrant originaire du Maroc. En 1963, alors qu'il avait une vingtaine d'années, il séjourna au camp en route vers Israël. Il habite Genève. Quelque part, on se souvient des détails d'un lieu qui nous a laissé de bons souvenirs, mais là, je crois que j'aurais certainement préféré tout évacuer. Tu sais, je me suis retrouvé au camp d'Arénas en avril 63, il y bien longtemps. Les souvenirs s'estompent. Et en fin de compte, même si le camp a représenté pour moi la déchirure, c'est cet endroit qui a décidé de ma séparation définitive avec mon pays d'origine, qui était le Maroc. Le camp était constitué d'espèces de baraques, comment puis-je dire çà ? Elles étaient en forme de voûtes, très longues. Il y avait des lits, il y avait une table, des bancs. Il est évident qu'on reçoit un choc quand on quitte une belle ville comme Marrakech et qu'on se retrouve dans ces espèces de baraquements, qui ont dû servir à je ne sais qui pendant la guerre, sans aucun confort, sans aucune intimité, ni vis-à-vis des parents ni vis-à-vis des autres. Ce n'était pas évident à accepter.

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~ Un émigrant originaire d'Egypte. En 1954, âgé de quatorze ans, il séjourna au camp en route vers Israël. Il habite au kibboutz Hagoshrim.

~ Un émigrant originaire du Maroc. En 1956, âgé de 12 ans, il séjourna au camp en route vers Israël. Il habite Maccabim . Ma mère, qui était très religieuse à l'époque, attendait et rêvait de Sion. (…) Maintenant vous n'êtes pas un père de famille, ce n'est plus çà. (…) Comme s'ils n'étaient déjà plus responsables de leurs propres enfants. (…) J'ai ressenti un immense soulagement quand vous m'avez parlé de cette technique architecturale et quand j'ai compris qu'il n'y avait aucun rapport avec les fours crématoires.

~ Un émigrant de Tunisie. En 1951, âgé de 16 ans, il séjourna au camp en route vers Israël. Il habite Rishon Letsion. Ici vous êtes temporaire. (…) Ici vous n'êtes que de passage. (…)

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« Des installations d'art civique pour penser l'incorporation du territoire »,

Sophie Wahnich (CNRS-LAIOS), Socio-anthropologie [En ligne], N°10 | 2001, extraits choisis. Article intégral, cf. http://socio-anthropologie.revues.org/index163.html

Un territoire devenu si intime Artiste israélienne de culture juive, Ilana Salama Ortar porte en elle le poids collectif du territoire : territoires d'exil, territoires effacés, territoires imaginés, territoires perdus, territoires occupés. Pour elle, le discours du territoire, réel ou métaphorique, a accompagné le peuple juif depuis son origine ; la notion de territoire ouvre un univers contradictoire. D'un côté le territoire renvoie à ce qui est durable, fixe, permanent, solide, stable, tenace, statique, dominant. De l'autre, d'une manière intime, le rapport au territoire c'est aussi un vécu fugace, passager, fluide, temporaire, périssable, un univers éphémère de secousses et de traces.

L'interstice L'interstice est, selon ses termes, un « lieu d'intersection entre le hors lieu et le hors temps ». Son « hors temps » serait comme une sortie de la ligne continue du temps. Ce pourrait être un passé éternellement présent, ou un présent continué qui rend prudent à l'égard de l'avenir. Un « hors temps », c'est dans une certaine mesure un rapport de temporalité qui efface les rapports passé/ présent/futur. Un « non-lieu » temporel, une bulle. L'objectif est de faire travailler la mémoire intime des visiteurs, de la faire travailler parfois presque à leur insu par effets d'associations, ou du fait d'un trouble lié à l'intrigue produit par une installation. Le rôle de l'artiste est de produire le dispositif qui déclenche ce travail personnel, d'inventer une signalétique sensible dans les interstices. L'objectif de l'artiste est alors de susciter un engagement, une quête personnelle, comme une fouille archéologique dans la mémoire collective, dans une mémoire familiale ou personnelle, au moins d'ouvrir une parole, qu'elle soit singulière ou non, qu'elle constitue témoignage ou pas.

Zim-zum Dans chacune de ses installations, qui ont toutes partie liée avec le territoire conflictuel en Israël, ce que l'on pourrait nommer un « impossible paysage », Ilana Salama Ortar prend le soin de toujours laisser une trace du travail précédent, ce qu'elle affirme être « sa manière de travailler sur le temps et le corps ». Et effectivement ces objets sont incorporés. Par exemple lorsqu'elle a travaillé sur le camp du Grand Arénas à Marseille, les bouteilles d'argile Fusées-céramique ont constitué un point de départ. Ces bouteilles étaient destinées à des constructions antisismiques et finalement elles ont servi à construire les baraques de ce camp. Le matériau a déterminé la forme des baraques, des sortes de demi-tonneaux ou de voûtes. Ces baraques ont hébergé toutes les migrations de passage à Marseille. Les corps des migrants en ont nécessairement gardé la mémoire. Pour elle, cet objet, la bouteille, est devenu un signe qui représente à la fois la mémoire, mais aussi le corps qui porte cette mémoire. Elle les a fait reproduire en verre bleu par un artisan de Hébron. Alors cette bouteille est devenue aussi un témoin, comme on parle du passage du témoin dans une course de relais. Quelque chose de ce qui fait tenir la société israélienne, le mythe de la terre, mythe collectif très puissamment incorporé, s'eff rite. Ce mythe avait donné aux Israéliens des certitudes et une stabilité impossible à trouver en diaspora. Ce qu'Ilana Salama Ortar déconstruit pour Israël, c'est finalement la valeur ou la possibilité de l'enracinement. Son travail acquiert alors une dimension de questionnement universel, le public visé n'est plus le seul public israélien.

Le paysage ment C'est alors seulement avec le blanc que l'on peut écrire et dire ce paysage. Parce qu'il est devenu impossible à lire et qu'il rend les Israéliens étrangers à eux-mêmes. Dans la « table d'orientation » la terre est sans couleur, elle est blanche, comme on parle d'une voix blanche, quand on reste sans voix. Cette terre blanche renvoie encore à un mot : « K'hallal ». C'est une véritable capsule concentrée pour entendre ce qui se joue pour l'artiste avec la notion « d'interstice ». « K'hallal » signifie à la fois un mort pendant une bataille, un soldat mort, un espace vide, un vide et espace, d'une manière générale. Ce mot renferme, pour elle, les termes qui lui permettent d'élaborer la notion d'interstice : bulle, vide, disparition des corps, disparition de la terre, passage de la terre. La mémoire du corps humain devient aussi celle du territoire qui est aussi la surface des dessins.


Jean-Claude Chianale, carnets Un carnet par Atelier, imaginé et réalisé par l'artiste Jean-Claude Chianale, témoigne de la richesse de chaque aventure, croisant regards d'artistes, entretiens avec les salariés, les usagers, et des complicités artistiques apportant un nouvel éclairage sur le projet. À la façon du journal de bord, il garde la trace du processus et de l'environnement atypiques de la création, photographie mouvante d'une œuvre en devenir. Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée : Marie Angeletti | Pébéo * Marco Baliani | AP-HM – Hôpital Sainte Marguerite Taysir Batniji | Savonnerie Marius Fabre Mustapha Benfodil | Espace Fernand Pouillon Aix-Marseille Université Alice Berni | Bataillon de Marins – Pompiers de Marseille – Caserne Saumaty Mohamed Bourouissa | Pôle emploi Joliette Séverine Bruneton et Laëtitia Cordier | Descours et Cabaud Jean-Michel Bruyère / LFKs | Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne – Site Georges Charpak de Gardanne Vincent Bourgeau | Lycée Saint Joseph les Maristes Anne-James Chaton | Maison de l'Avocat – Ordre des Avocats du Barreau de Marseille Sonia Chiambretto | Bureaux Municipaux de Proximité, Ville de Marseille Jean-Claude Chianale | Imprimerie Azur Offset Mathieu Clainchard | Maison de ventes Damien Leclère Gilles Clément | AP-HM – Hôpital Salvator Kathryn Cook | Association Jeunesse Arménienne de France Antoine D'Agata | Archives et Bibliothèque Départementales de Prêt Robin Decourcy | Agence Bleu Ciel * Gilles Desplanques | Club Immobilier Marseille Provence Kitsou Dubois | Équipe de voltige de la base 701, Armée de l'Air Ensemble Musicatreize | Société Marseillaise de Crédit Ymane Fakhir | AP-HM – Hôpital de la Timone Christophe Fiat | Château de la Buzine, Ville de Marseille Gaëlle Gabillet | Le Patio du Bois de l'Aune Dora García | Hôpital Montperrin Anne-Valérie Gasc | Ginger cebtp Demolition gethan&myles | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde groupedunes | Apical Technologies - Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale Mona Hatoum | Arnoux-Industrie et Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA) Célia Houdart et Sébastien Roux | Site du Puits Morandat

Equipe des Ateliers de l'EuroMéditerranée Marseille-Provence 2013 Direction : Sandrina Martins Chef de projets arts vivants / coordination éditoriale des carnets : Mélanie Drouère Chef de projets arts visuels : Erika Negrel Assistant de projets / production : Jean-François Mathieu Stagiaire : Luisa Salvador

Ici-Même (Paris) | Centre Bonneveine Mathieu Immer & Benjamin Lahitte | EDF – Centre de Production Thermique de Martigues Charlie Jeffery | Fondation Logirem - Cité de la Bricarde Katia Kameli | Futur telecom Djamel Kokene | Tribunal de Commerce de Marseille Yohann Lamoulère | Alhambra Le Phun | Domaine de la Tour du Valat Tsaï Ming Liang | Maison de la Région Provence Alpes-Côte d'Azur Cristina Lucas et Dominique Cier | Coordination Patrimoines & Créations Pascal Martinez | CIRVA Olivier Menanteau | La Marseillaise Amina Menia | Agence d'Urbanisme de l'Agglomération Marseillaise (AGAM) Joao García Miguel | Habitat Alternatif Social (HAS) Jean-Marc Munerelle | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde Stephan Muntaner | La Poste Yazid Oulab | Centre Richebois Miguel Palma | Batimétal et Domaine de Saint-Ser Hervé Paraponaris | Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille Alexandre Perigot | Groupe Daher Franck Pourcel | Société Nautique de Marseille Marie Reinert | Compagnie maritime Marfret * Etienne Rey | IMéRA Karine Rougier | Vacances Bleues * Ilana Salama Ortar | GW.Inox Bettina Samson | OSU-Institut Pythéas Aix-Marseille Université Vanessa Santullo | Joaillerie Frojo * Zareh Sarabian | Boulangerie Farinoman Fou Nicolas Simarik | Newhotel of Marseille Zineb Sedira | Grand Port Maritime de Marseille Alia Sellami | Carniel Wael Shawky | ADEF – Ecole de céramique de Provence et le SATIS/ASTRAM Lab - Faculté des Sciences Aix-Marseille Université * Projets proposés par Mécènes du Sud

Ilana Salama Ortar, Laissez-Passer Direction de la publication : Jean-François Chougnet, directeur général de Marseille-Provence 2013 Photos : Ilana Salama Ortar, Erika Negrel Impression : Imprimerie Azur Offset, Marseille Achevé d'imprimer en mai 2013

-ISBN 978-2-36745-021-6

Ilana Salama Ortar, Laissez-Passer Oeuvre réalisée en résidence au sein de GW.Inox dans le cadre des Ateliers de l'EuroMéditerranée de MarseilleProvence 2013, en partenariat avec l'École Supérieure des Arts et du Design Marseille Méditerranée (ESADMM), le Festival des Arts Éphémères, le Consulat général d'Israël, la Fondation du judaïsme français et le Conseil de la Loterie israélienne pour la culture et les arts. GW.Inox

Installée à Rognac, GW.Inox est une entreprise qui concentre son activité et savoir-faire autour de la transformation de l'inox et de l'aluminium. Cette entreprise en pleine croissance compte une équipe de 25 personnes.

Sophie Wahnich

Historienne, directrice de recherche CNRS à l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain (équipe Tram, transformations radicales des mondes contemporains). Spécialiste de la Révolution française, elle est l'auteure de nombreux ouvrages consacrés à la période ainsi qu'au discours révolutionnaire, parmi lesquels « La Longue Patience du peuple, 1792, naissance de la République » (Payot, 2008).

L'artiste remercie les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette oeuvre : José Calvo, Xavier Calvo ainsi que les l'équipe de GW.Inox, Anne-Marie d'Estienne d'Orves, Jean-Louis Connan et l'Atelier son de l'ESADMM, Lucien Bertolina, Patrick Sommier, Gérard Toubiana et l'équipe de Maison Blanche, Thierry Ollat et l'équipe du Musée d'art contemporain de Marseille, Xavier Nataf, Hassid Barnea, Pascale Nataf, Marie-Laure Cohen, Harald Sylvander, Michèle Sylvander, Sophie Wahnich, Isabelle Bourgeois. Les témoins du camp des juifs, et les citoyens de La Cayolle qui ont transité par le camp d'Arénas et aux témoins qui transitent à Marseille. Programmation en 2013 :

Dans le parc de Maison Blanche. 150, boulevard Paul Claudel – 13009 Marseille (Métro Dromel puis bus 16 et 16S Vallon de Toulouse ou Claudel Mairie des 9 et 10).

• Dans le cadre du Festival des Arts Éphémères : du 23 mai au 13 juin 2013. • Dans le cadre de l'exposition Le Pont proposée par le [mac] Marseille du 25 mai au 20 octobre 2013.

L'association Marseille-Provence 2013, présidée par Jacques Pfister (Président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence), remercie ses partenaires : Partenaires officiels La Poste, Société Marseillaise de Crédit, Orange, Eurocopter, EDF Partenaires institutionnels Ministère de la culture et de la communication, Union Européenne, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Conseil général des Bouches-du-Rhône, Ville de Marseille, Marseille Provence Métropole, Ville d'Aix-en-Provence, Communauté du Pays d'Aix, Ville d'Arles, Arles Crau Camargue Montagnette, Communauté du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, Communauté d'agglomération Pays de Martigues, Ville de Salon-de-Provence, Ville d'Istres, Ville de Gardanne, Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence.

www.mp2013.fr


jean-claude chianale,

Carnets les ateliers de l'euroméditerranée de marseille-provence 2013 ISBN 978-2-36745-021-6

5€


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