Carnet AEM_Zineb Sedira

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Zineb Sedira Transmettre en abyme GRAND PORT MARITIME DE MARSEILLE

les ateliers de l'euroméditerranée

marseille provence 2013


LES ATELIERS DE L'EUROMÉDITERRANÉE DE MARSEILLE-PROVENCE 2013 : une Capitale européenne de la culture en fabrique Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée (AEM) invite des structures non dédiées à l'art – privées ou publiques - à accueillir des artistes in situ pour leur permettre de créer une nouvelle œuvre. Ces résidences soulèvent trois enjeux : soutenir la création contemporaine, concerner et mobiliser de nouveaux publics et initier de nouveaux modes de production artistique. Leur vocation est de nourrir la programmation de l'année Capitale européenne de la culture dans toutes les disciplines artistiques.

L'ATELIER DE ZINEB SEDIRA En 2011, Zineb Sedira s'est vu proposer par Marseille-Provence 2013 un travail sur le port s'appuyant sur une résidence alternée de plusieurs semaines au Grand port maritime de Marseille dans le cadre d'un Atelier de l'EuroMéditerranée. Plusieurs séjours lui ont permis d'explorer le port lui-même sur les sites de Marseille et de Fos-sur-Mer. Elle en a parcouru les aménagements - darses, quais, môles, jetées et chenaux -, s'est imprégnée des paysages contrastés entre empilements de containers, alignements de voitures, bâtiments industriels, cargos et grues sur fond marin. Elle en a mesuré le rythme ponctué par l'arrivée et le départ des bateaux, la mise en branle des porte-containers, l'activité des hommes. Elle a enfin côtoyé les métiers, ceux de la réparation navale, de la manutention, de la capitainerie, du pilotage. Son regard sur le port de Marseille s'est finalement arrêté sur deux objets qui résonnent avec ses travaux précédents, auxquels elle a décidé de se consacrer pour évoquer le port : le sucre déchargé des bateaux, empilé dans le grand silo de l'usine sucrière Saint-Louis et l'archive photographique de la galerie Detaille à travers le regard d'Hélène Detaille, épouse et associée du photographe Gérard Detaille. Ces deux entrées renvoient au passé colonial de Marseille suggéré par les lieux de provenance du sucre et par les bateaux qui faisaient la jonction entre ces destinations lointaines. --

Zineb Sedira est née à Gennevilliers de parents algériens émigrés en région parisienne. Elle vit à Londres depuis 1986 et travaille entre Londres, Paris, et Alger. Son travail d'artiste, débuté dans les années 1990 après l'étude des Beaux arts à Londres, est d'abord nettement autobiographique. En 2004, à son retour d'Alger où elle n'était pas allée depuis quinze ans, elle poursuit son travail dans une démarche plus globale ancrée aux questions d'identité et de mémoire. Par l'oralité et la narration au sens large – ce que disent les personnes, ce que racontent les images, ce qu'évoquent des situations -, l'artiste croise différents registres : la pluriculturalité et la perte d'identité (Autobiographical Patterns, 1996 ; Mother Tongue, 2002 ; Mother, Father and I, 2003), la désuétude et l'abandon des objets de transport (Shipwreck series, The lovers, 2008 ; Car : The death of a Journey, 2009, Maritime Nonsense and Other Aquatic Tales, 2009), le glissement du temps et de l'histoire sur les phares de la côte algérienne (Lighthouse in The Sea of Time, Registre du phare, Broken Lens, The Light Above, Cap Caxine / Cap Sigli, 2011), la conservation d'une archive photographique de l'indépendance algérienne (Gardiennes d'images/Image Keepers, 2010), etc. L'ensemble de ces pièces se connectent les unes aux autres, dialoguent, se répondent, se complètent.

La production de l'œuvre de Zineb Sedira pour Marseille-Provence 2013 contient deux volets, l'un photographique captant les différents états du tas de sucre selon son degré de séchage, l'autre vidéographique s'attachant à la parole de la gardienne d'images Hélène Detaille à propos de son œuvre de conservation de la collection d'images de bateaux du fonds du photographe Baudelaire. Cette double entrée procède d'une quête intime dans les strates du produit agricole entassé et de la mémoire fixée sur les différents supports de l'archive photographique – plaques de verre, négatifs, tirages sur papier. L'artiste s'attache aux petits rituels, aux gestes répétés, aux attachements à la matière collectée, conservée, accumulée, au double sens de la notion d'attachement, à la fois passion et servitude à l'héritage et au devoir de transmission. Cette réflexion procède d'une mise en abyme de son propre travail, Zineb Sedira se décrivant elle-même comme une gardienne d'images. Filmer des photographies historiques ou fixer sur papier photographique un état du sucre correspond dans les deux cas à une archéologie du quotidien, témoignant du temps accumulé dans les strates d'une collection d'un siècle d'images portuaires, ou dans l'empilement en couches géologiques du sucre, métaphore du temps écoulé, matière inerte d'un sablier géant.


TÉMOIGNAGE de Zineb Sedira

Je me suis intéressée à l'arrivage et au stockage du sucre Saint-Louis, car c'est aujourd'hui une des rares usines de sucre encore en activité alors que bien d'autres ont fermé depuis l'époque où Marseille portuaire était une cité grouillante d'industries et de commerces. Mis à part le blé, le riz et le maïs, aucun produit agricole n'a autant façonné la géographie du monde que le sucre. Actuellement, le sucre déchargé au Grand port maritime de Marseille vient du Brésil, de l'Ile Maurice, de Zambie, des Antilles, du Burkina Faso, de Cuba, de Guyane, du Swaziland, de l'Ile de la Réunion. Mon intérêt pour le sucre est né de ses origines multiples et de son histoire. L'arrivage du sucre de cannes symbolise le voyage, sujet qu'on retrouve très souvent dans mes œuvres. Il devient une porte, une passerelle, un lieu de stationnement, métaphore de déplacements et de transits commerciaux et industriels. Le sucre dès lors dévoile des horizons et des panoramas surprenants d'un monde en pleine mutation et globalisé.

Le stockage du sucre en vrac monumental se transforme en un paysage universel, une cartographie géologique et topographique comprenant des couches et des coupes géographiques et historiques. On y trouve aussi des vues aériennes. Ces images deviennent des géoportraits, témoins des nombreuses provenances/pays et de leur passé. Par sa couleur et son odeur, on y retrouve le symbole de la terre et du sol, donc du chez soi. Cette œuvre poétique nous permettra donc de voyager au travers du temps et des terres lointaines. Je ne veux pas photographier l'usine de sucre ni les installations industrielles mais la matière, le sucre lui-même. Le sucre est pour moi une métaphore du port de Marseille, son image simplifiée, essentielle. L'histoire industrielle de Marseille, connectée à tous les coins du monde, se lit dans la stratification par couches que forment les empilements de la matière tels des sédiments rocheux. --

Propos recueillis par Elisabeth Leuvrey et Jean-Sébastien Steil



ENTRETIEN avec …

La galerie Detaille, rue Marius Jauff ret à Marseille, conserve les photographies de Fernand, Albert et Gérard Detaille et celles du photographe Baudelaire. L'ensemble de la collection constitue l'un des plus importants fonds iconographiques sur Marseille et la Provence. Le regard de Zineb Sedira s'est porté en particulier sur le fonds Baudelaire et sur le travail de conservation et d'archivage mené par Hélène Detaille, épouse et associée de Gérard Detaille, petit-fils de Fernand Detaille (1875-1954), fondateur du studio familial de photographie. Le studio photographique est créé en 1897 par Nadar au 21 rue Noailles (actuelle Canebière). En 1902, il est vendu à Fred Boissonnas, photographe genevois dont Fernand Detaille est l'assistant, qui le lui rachète avant de le transmettre à son fils Albert, père de Gérard. Comment avez-vous rencontré avec Zineb Sedira ? « J'ai rencontré Zineb Sedira par l'intermédiaire de Thierry Ollat, directeur du [mac] de Marseille. Thierry Ollat et Zineb Sedira ont travaillé ensemble à l'occasion de la rétrospective Zineb Sedira inaugurée fin 2010.1 L'artiste présentait entre autres sa pièce Gardiennes d'images dans laquelle elle souligne l'importance de la transmission de la mémoire photographique. Connaissant le fonds Detaille, Thierry Ollat lui en a parlé ; elle a manifesté le souhait de voir nos collections. Zineb s'est intéressée aux questions posées par la conservation, l'archivage, la diffusion et la valorisation du fonds et par le devenir d'une telle collection. Je raconte à Zineb nos débuts à l'atelier : Gérard, mon mari, reprend le Studio Detaille en 1972 ; les archives familiales sont stockées dans l'arrièreboutique. Après avoir exploré quelques boîtes

de plaques de verre, il découvre la richesse iconographique du fonds, prend conscience de sa valeur historique pour Marseille et la Provence et procède à une sélection de documents. C'est le début de la photothèque et de la mise en consultation auprès de nos clients d'albums de photographies de Fernand et Albert Detaille. Et nous nous mettons au travail : le fonds couvre une période de plus d'un siècle… Alors c'est un peu l'histoire de la photographie que nous explorons avec les différents supports de négatifs (verre, celluloïd, polyester), les différents formats d'originaux (plaques de verre 30x40, 24x30, 18x24, 13x18, 9x13, stéréo, négatifs souples 6x9, 6x6, 6x7, 6x17, 24x36 jusqu'à la carte mémoire), les tirages sur différents papiers. Zineb est sensible à cette mémoire conservée. Depuis un an, nous avons passé plusieurs journées ensemble. Elle voulait s'imprégner de tout cela avant de concrétiser son projet. Quel a été son angle de travail, sur quelle partie du fonds a-t-elle choisi de travailler ? Zineb décide de se concentrer sur les photographies de Baudelaire. Pourquoi ce choix ? Après Middlesea, elle projette de réaliser une vidéo d'artiste liée à la mer et à Marseille. Le projet pourra se faire dans le cadre de Marseille Provence 2013 qui lui passe commande d'une œuvre en lien avec le port de Marseille. Qui est Monsieur Baudelaire ? Monsieur Colas, dit « Baudelaire », ouvre le studio de photographie Photo Sport, Place du Change à Marseille vers 1935. Il opère dans différents domaines : le portrait, le sport, l'entreprise et surtout le domaine maritime. Après plus de cinquante ans de travail, il décède sans descendance. Sa femme nous propose alors de lui acheter une partie des archives : nous nous portons acquéreurs de ce fonds sur Marseille en 1996. Il s'avère très riche dans le domaine maritime - plus de 2000 bateaux, des reportages sur le port de Marseille, des commandes de compagnies maritimes…

Les photographies de sport avaient été cédées à un tiers. Le fonds avait été délesté des portraits de famille et des photos d'identité réalisés du studio. Beaucoup de photographes renoncent à conserver cette partie de leurs archives. La raison en est simple : les retirages sont rares et limités ; le coût de conservation, de conditionnement et de stockage n'est pas justifié.

Que retenez-vous du travail avec Zineb Sedira ?

Comment voyez-vous ce travail de Zineb Sedira, qu'a-t-il apporté à votre propre travail ?

Avec Zineb, j'ai réalisé avec plus d'acuité qu'il subsiste peu de traces des intentions de Baudelaire. Dans un fonds photographique, il est en effet souhaitable de conserver en plus des négatifs et tirages photographiques, des lettres, documents, bons de commande, agendas, répertoires clients, livres … qui témoignent de la vie personnelle et professionnelle de l'auteur. Ainsi dans nos répertoires sont consignés 150 000 noms de clients venus se faire photographier dans les studios Detaille. Le fonds Detaille a un contenu homogène. Sur un siècle, les archives ont été parfois soumises à des événements extérieurs : l'incendie des Nouvelles Galeries en 1938, les bombardements de la guerre et des inondations en ont détruit quelques-unes. Mais l'essentiel demeure.

Zineb va là où on ne l'attend pas. Les photographies de Baudelaire ne lui ont pas suffit. Elle s'intéressait aussi à l'homme, à sa vie. Mais le photographe Baudelaire était très secret, solitaire ; il reste pour nous une énigme. On ne connaît pas sa date de naissance et il y a un mystère sur son nom. L'acte de vente de la collection mentionne le nom de « Joséphine Donnadieu épouse Colas, dit Baudelaire ». On ne sait pas pour quelle raison il se faisait appeler Marcel Baudelaire alors que son état civil le désigne sous le nom de Yvon François Joseph Colas. Voilà les seules informations que je pouvais fournir à Zineb. Nous savons peu de choses de l'homme, mais ses archives nous renseignent sur sa passion : il photographiait de façon quasiment obsessionnelle tous les bateaux qui entraient ou sortaient du port de Marseille. Il se plaçait sur la jetée du large pour les cadrer en mer, détachés du quai, sous tous les angles. La collection est impressionnante.

Zineb a une approche profonde et humaine des choses. Ce sont des valeurs que j'apprécie beaucoup. Le travail qu'elle a entrepris est un hommage au travail photographique de Baudelaire. Elle met en lumière son activité professionnelle et sa passion de la collection. Je me réjouis que le travail de ce photographe soit valorisé grâce à son intervention.

Zineb est une belle rencontre. J'apprécie sa sensibilité et j'ai confiance en son œil d'artiste. Elle va réinterpréter nos archives à sa manière. Je sais qu'elle a saisi l'esprit de notre travail d'archiviste et notre souci de transmettre ce fonds familial. L'archiviste travaille dans l'ombre. Je redoutais la lumière des projecteurs. Elle a su vaincre mes réserves : avec elle et l'équipe du film, je me suis lancée. --

Propos recueillis par Mélanie Drouère


Zineb Sedira, Transitional Landscape, 2006. Š Zineb Sedira. Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris


Les photographies du fonds Baudelaire et Hélène Detaille, gardienne d'images… « En tant que femme artiste, je me pose la question de ce que j'aurai à transmettre, de la manière d'éduquer et de passer le flambeau. Dans l'histoire de l'art, les femmes participent souvent au travail de leur mari, mais généralement dans l'ombre. On ne parle pas d'elles mais elles tiennent une place importante dans leur travail. Elles s'occupent souvent de la conservation, de l'archivage, de la visibilité de l'œuvre et de la perpétuation de la mémoire de l'artiste. Elles entretiennent par-là la chaine de transmission. Dans le cas du fonds d'archive photographique Detaille, trois générations de photographes se sont succédées : le grand-père Fernand, le père Albert et le fils Gérard, époux d'Hélène. C'est elle qui a pris en main ce rôle de préservation de la mémoire iconographique. Je me suis attachée en particulier à la partie non familiale du fonds, la collection Baudelaire, du nom d'un photographe marseillais à la veuve duquel les Detaille ont racheté le fonds à la mort du photographe. Baudelaire (ce pseudonyme est un mystère puisque son véritable nom était Yvon Colas) était passionné par la photographie des bateaux entrant et sortant du port. J'ai beaucoup d'intérêt pour sa passion de collecte systématique, de collection d'images de bateaux. Il est devenu un collectionneur collectionné puisqu'à leur tour ses images faisaient l'objet d'échanges avec des collectionneurs partageant la même obsession.

Il est question dans ce travail de la passion symétrique d'Hélène Detaille, la gardienne d'images. Hélène sait de quoi elle parle, on voit qu'elle est très intéressée par la technique photographique, par le classement, la conservation, l'archivage. Ce sont des compétences qu'elle a développées seule car elle mène seule ce travail de conservation. Elle n'a pas reçu la photographie en héritage comme son mari. La vidéo va traiter de ces passions presque obsessionnelles, qui parlent d'abord d'un amour et d'une grande persévérance. C'est associé, pour Baudelaire comme pour Hélène, à un sens profond du devoir : permettre un accès à ces photos et assurer leur conservation pour l'avenir pour Hélène, donner accès à ses photos pour les collectionneurs chez Baudelaire. La relation avec mon propre travail se traduit dans le récit de sa pratique par Hélène. Elle a une grande sensibilité liée à la transmission orale et visuelle. Elle est très fine et ressent les choses très bien. C'est une artiste aussi qui s'exprime au travers des expositions photographiques qu'elle organise à la galerie. Safia, la veuve de Mohamed Kouaci (Gardiennes d'images/Image Keepers, 2010), était activiste politique avant d'être artiste. Chez Hélène Detaille, l'expression artistique passe au premier plan. Mais l'une comme l'autre partagent cette peur de perdre l'archive, c'est une question qui revient tout le temps dans leurs propos. Il est question de la fragilité de la mémoire, du processus de vieillissement et de l'héritage. » --

Zineb Sedira



ENTRETIEN

avec Hélène Detaille La galerie Detaille, rue Marius Jauff ret à Marseille, conserve les photographies de Fernand, Albert et Gérard Detaille et celles du photographe Baudelaire. L'ensemble de la collection constitue l'un des plus importants fonds iconographiques sur Marseille et la Provence. Le regard de Zineb Sedira s'est porté en particulier sur le fonds Baudelaire et sur le travail de conservation et d'archivage mené par Hélène Detaille, épouse et associée de Gérard Detaille, petit-fils de Fernand Detaille (1875-1954), fondateur du studio familial de photographie. Le studio photographique est créé en 1897 par Nadar au 21 rue Noailles (actuelle Canebière). En 1902, il est vendu à Fred Boissonnas, photographe genevois dont Fernand Detaille est l'assistant, qui le lui rachète avant de le transmettre à son fils Albert, père de Gérard. Comment avez-vous rencontré avec Zineb Sedira ? « J'ai rencontré Zineb Sedira par l'intermédiaire de Thierry Ollat, directeur du [mac] de Marseille. Thierry Ollat et Zineb Sedira ont travaillé ensemble à l'occasion de la rétrospective Zineb Sedira inaugurée fin 2010.1 L'artiste présentait entre autres sa pièce Gardiennes d'images dans laquelle elle souligne l'importance de la transmission de la mémoire photographique. Connaissant le fonds Detaille, Thierry Ollat lui en a parlé ; elle a manifesté le souhait de voir nos collections. Zineb s'est intéressée aux questions posées par la conservation, l'archivage, la diffusion et la valorisation du fonds et par le devenir d'une telle collection. Je raconte à Zineb nos débuts à l'atelier : Gérard, mon mari, reprend le Studio Detaille en 1972 ; les archives familiales sont stockées dans l'arrièreboutique. Après avoir exploré quelques boîtes

de plaques de verre, il découvre la richesse iconographique du fonds, prend conscience de sa valeur historique pour Marseille et la Provence et procède à une sélection de documents. C'est le début de la photothèque et de la mise en consultation auprès de nos clients d'albums de photographies de Fernand et Albert Detaille. Et nous nous mettons au travail : le fonds couvre une période de plus d'un siècle… Alors c'est un peu l'histoire de la photographie que nous explorons avec les différents supports de négatifs (verre, celluloïd, polyester), les différents formats d'originaux (plaques de verre 30x40, 24x30, 18x24, 13x18, 9x13, stéréo, négatifs souples 6x9, 6x6, 6x7, 6x17, 24x36 jusqu'à la carte mémoire), les tirages sur différents papiers. Zineb est sensible à cette mémoire conservée. Depuis un an, nous avons passé plusieurs journées ensemble. Elle voulait s'imprégner de tout cela avant de concrétiser son projet. Quel a été son angle de travail, sur quelle partie du fonds a-t-elle choisi de travailler ? Zineb décide de se concentrer sur les photographies de Baudelaire. Pourquoi ce choix ? Après Middlesea, elle projette de réaliser une vidéo d'artiste liée à la mer et à Marseille. Le projet pourra se faire dans le cadre de Marseille Provence 2013 qui lui passe commande d'une œuvre en lien avec le port de Marseille. Qui est Monsieur Baudelaire ? Monsieur Colas, dit « Baudelaire », ouvre le studio de photographie Photo Sport, Place du Change à Marseille vers 1935. Il opère dans différents domaines : le portrait, le sport, l'entreprise et surtout le domaine maritime. Après plus de cinquante ans de travail, il décède sans descendance. Sa femme nous propose alors de lui acheter une partie des archives : nous nous portons acquéreurs de ce fonds sur Marseille en 1996. Il s'avère très riche dans le domaine maritime - plus de 2000 bateaux, des reportages sur le port de Marseille, des commandes de compagnies maritimes…

Les photographies de sport avaient été cédées à un tiers. Le fonds avait été délesté des portraits de famille et des photos d'identité réalisés du studio. Beaucoup de photographes renoncent à conserver cette partie de leurs archives. La raison en est simple : les retirages sont rares et limités ; le coût de conservation, de conditionnement et de stockage n'est pas justifié.

Que retenez-vous du travail avec Zineb Sedira ?

Comment voyez-vous ce travail de Zineb Sedira, qu'a-t-il apporté à votre propre travail ?

Avec Zineb, j'ai réalisé avec plus d'acuité qu'il subsiste peu de traces des intentions de Baudelaire. Dans un fonds photographique, il est en effet souhaitable de conserver en plus des négatifs et tirages photographiques, des lettres, documents, bons de commande, agendas, répertoires clients, livres … qui témoignent de la vie personnelle et professionnelle de l'auteur. Ainsi dans nos répertoires sont consignés 150 000 noms de clients venus se faire photographier dans les studios Detaille. Le fonds Detaille a un contenu homogène. Sur un siècle, les archives ont été parfois soumises à des événements extérieurs : l'incendie des Nouvelles Galeries en 1938, les bombardements de la guerre et des inondations en ont détruit quelques-unes. Mais l'essentiel demeure.

Zineb va là où on ne l'attend pas. Les photographies de Baudelaire ne lui ont pas suffit. Elle s'intéressait aussi à l'homme, à sa vie. Mais le photographe Baudelaire était très secret, solitaire ; il reste pour nous une énigme. On ne connaît pas sa date de naissance et il y a un mystère sur son nom. L'acte de vente de la collection mentionne le nom de « Joséphine Donnadieu épouse Colas, dit Baudelaire ». On ne sait pas pour quelle raison il se faisait appeler Marcel Baudelaire alors que son état civil le désigne sous le nom de Yvon François Joseph Colas. Voilà les seules informations que je pouvais fournir à Zineb. Nous savons peu de choses de l'homme, mais ses archives nous renseignent sur sa passion : il photographiait de façon quasiment obsessionnelle tous les bateaux qui entraient ou sortaient du port de Marseille. Il se plaçait sur la jetée du large pour les cadrer en mer, détachés du quai, sous tous les angles. La collection est impressionnante.

Zineb a une approche profonde et humaine des choses. Ce sont des valeurs que j'apprécie beaucoup. Le travail qu'elle a entrepris est un hommage au travail photographique de Baudelaire. Elle met en lumière son activité professionnelle et sa passion de la collection. Je me réjouis que le travail de ce photographe soit valorisé grâce à son intervention.

Zineb est une belle rencontre. J'apprécie sa sensibilité et j'ai confiance en son œil d'artiste. Elle va réinterpréter nos archives à sa manière. Je sais qu'elle a saisi l'esprit de notre travail d'archiviste et notre souci de transmettre ce fonds familial. L'archiviste travaille dans l'ombre. Je redoutais la lumière des projecteurs. Elle a su vaincre mes réserves : avec elle et l'équipe du film, je me suis lancée. --

Propos recueillis par Jean-Sébastien Steil

1 / Thierry Ollat est depuis 2006 le directeur du [mac] musée d'art contemporain de Marseille. Entre le 19 novembre 2010 et le 27 mars 2011, le [mac] a accueilli la première exposition rétrospective de Zineb Sedira, intitulée « Les rêves n'ont pas de titre ». Cette exposition rassemblait les vidéos, photographies et installations réalisées par Zineb Sedira entre 1995 et 2009 selon un cheminement chronologique qui conduit des premières œuvres nettement autobiographiques de l'artiste, jusqu'à sa réflexion plus récente sur les enjeux des déplacements humains et les mirages de notre monde globalisé.


Jean-Claude Chianale, carnets Un carnet par Atelier, imaginé et réalisé par l'artiste Jean-Claude Chianale, témoigne de la richesse de chaque aventure, croisant regards d'artistes, entretiens avec les salariés, les usagers, et des complicités artistiques apportant un nouvel éclairage sur le projet. A la façon du journal de bord, il garde la trace du processus et de l'environnement atypiques de la création, photographie mouvante d'une œuvre en devenir. Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée : Marie Angeletti | Pébéo * Marco Baliani | AP-HM – Hôpital Sainte Marguerite Taysir Batniji | Savonnerie Marius Fabre Mustapha Benfodil | Espace Fernand Pouillon Aix-Marseille Université Alice Berni | Bataillon de Marins – Pompiers de Marseille – Caserne Saumaty Mohamed Bourouissa | Pôle emploi Joliette Séverine Bruneton et Laëtitia Cordier | Descours et Cabaud Jean-Michel Bruyère / LFKs | Ecole Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne – Site Georges Charpak de Gardanne Vincent Bourgeau | Lycée Saint Joseph les Maristes Anne-James Chaton | Maison de l'Avocat – Ordre des Avocats du Barreau de Marseille Sonia Chiambretto | Bureaux Municipaux de Proximité Jean-Claude Chianale | Imprimerie Azur Offset Mathieu Clainchard | Maison de ventes Damien Leclère Gilles Clément | AP-HM – Hôpital Salvator Kathryn Cook | Association Jeunesse Arménienne de France Antoine D'Agata | Archives et Bibliothèque Départementales de Prêt Robin Decourcy | Agence Bleu Ciel * Gilles Desplanques | Club Immobilier Marseille Provence Kitsou Dubois | Équipe de voltige de la base aérienne 701 Ensemble Musicatreize | Société Marseillaise de Crédit Ymane Fakhir | AP-HM – Hôpital de la Timone Christophe Fiat | Château de la Buzine Gaëlle Gabillet | Le Patio du Bois de l'Aune Dora Garcia | Hôpital Montperrin Anne-Valérie Gasc | Ginger cebtp Demolition Gethan&Myles | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde Groupe Dunes | Apical Technologies et OSU - Institut Pythéas Aix-Marseille Université Mona Hatoum | Arnoux-Industrie et Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA)

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Equipe des Ateliers de l'EuroMéditerranée Marseille-Provence 2013 Direction : Sandrina Martins Chef de projets arts vivants / coordination éditoriale des carnets : Mélanie Drouère Chef de projets arts visuels : Erika Negrel Assistant de projets / production : Jean-François Mathieu Stagiaire : Luisa Salvador

Zineb Sedira, Transmettre en abyme Direction de la publication : Jean-François Chougnet, directeur général de Marseille-Provence 2013 Photos : Zineb Sedira. Textes : Jean-Sébastien Steil Impression : Imprimerie Azur Offset, Marseille Achevé d'imprimer en décembre 2012

-ISBN 978-2-36745-011-7

Zineb Sedira, Transmettre en abyme Œuvre réalisée dans le cadre des Ateliers de l'EuroMéditerranée – Marseille-Provence 2013 en résidence au sein du Grand Port Maritime de Marseille, en partenariat avec Les Écrans du Large. Grand Port Maritime de Marseille

Le Grand Port Maritime de Marseille est le premier port français, le premier port de Méditerranée et le troisième port pétrolier mondial. Sa position géographique en Méditerranée et la quadrimodalité dont il bénéficie (fleuve, fer, route, pipeline) l'érige en porte d'accès naturelle aux marchés européens. Le port est constitué de deux bassins, les « Bassins Est » localisés dans la ville de Marseille sur 400 hectares et les « Bassins Ouest » situés à Fos (70 km de Marseille) sur un domaine de 10 000 hectares.

Les Écrans du Large

Créée pour accompagner le travail de la cinéaste Elisabeth Leuvrey, la société de production et de distribution Les Écrans du Large a comme objectif d'œuvrer également à la mise en place d'un réseau de création, de production et de diffusion en partenariat avec les pays du pourtour méditerranéen et plus spécifiquement avec Algérie.

L'artiste remercie : Le Grand Port Maritime de Marseille, Hélène et Gérard Detaille, Marcel Baudelaire, Saint Louis Sucre, Georges Lacroix, Suzie Lavelle, William Martin, Cyrille Carillon, Yasmina Reggad, Philippe Cas, Ymane Fakhir, Elisabeth Leuvrey, Jean-Sébastien Steil, Thierry Ollat, Coline Milliard, Marie Milliard, Christophe Raspoin, Kenza Sammari, Jalil Oumeddour, Amina Menia, Eric Castaldi, Olivier Raveux, Marie Bovo et la Galerie Kamel Mennour. Pour finir mes enfants, Zoulikha, Ali et Rahima ainsi que mes parents.

Remerciements à Jean-Claude Terrier, Directeur général et Président du Directoire du Grand Port Maritime de Marseille, Patrick Daher, Président du Conseil de Surveillance du GPMM ainsi que leur équipe Régine Vinson et Sophie Choquell. Programmation en 2013 : Exposition Ici, ailleurs à la Tour - Panorama - La Friche Belle de Mai, Marseille, 12 Janvier/31 mars 2013 : volet vidéo Exposition au J1 : Galerie La Jetée, 30 nov 2013 - 12 janvier 2014 : volet photo

L'association Marseille-Provence 2013, présidée par Jacques Pfister (Président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence), remercie ses partenaires : Partenaires officiels La Poste, Société Marseillaise de Crédit, Orange, Eurocopter, EDF Partenaires institutionnels Ministère de la culture et de la communication, Union Européenne, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Conseil général des Bouches-du-Rhône, Ville de Marseille, Marseille Provence Métropole, Ville d'Aix-en-Provence, Communauté du Pays d'Aix, Ville d'Arles, Arles Crau Camargue Montagnette, Communauté du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, Communauté d'agglomération Pays de Martigues, Ville de Salon-de-Provence, Ville d'Istres, Ville de Gardanne, Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence.

www.mp2013.fr


jean-claude chianale,

Carnets les ateliers de l'euroméditerranée de marseille-provence 2013 ISBN 978-2-36745-011-7

5€


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