Carnet AEM_Karine Rougier

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les ateliers de l'euroméditerranée marseille provence 2013

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LES ATELIERS DE L'EUROMÉDITERRANÉE DE MARSEILLE-PROVENCE 2013 : une capitale en fabrique Le programme des Ateliers de l'EuroMéditerranée (AEM) invite des structures non dédiées à l'art – privées ou publiques - à accueillir des artistes in situ pour leur permettre de créer une nouvelle œuvre. Ces résidences soulèvent trois enjeux : soutenir la création contemporaine, concerner et mobiliser de nouveaux publics et initier de nouveaux modes de production artistique. Leur vocation est de nourrir la programmation de l'année capitale dans toutes les disciplines artistiques.

L'ATELIER DE KARINE ROUGIER AU SEIN DE VACANCES BLEUES Artiste diplômée de l'école d'art d'Aix en Provence, Karine Rougier vit et travaille à Marseille. Les œuvres de cette jeune lauréate « Mécènes du Sud » en 2010 font déjà partie de nombreuses collections ; elle est représentée par les galeries Le Cabinet (Paris) Espace à Vendre (Nice) et CG Arte (Buenos Aires). S'exprimant principalement par le dessin, Karine Rougier observe, glane et collectionne spontanément les images, les motifs, les récits. Ses propres souvenirs, fictions ou recherches nourrissent l'élaboration complexe de ses dessins, produits par accumulation, effacement, superposition, collage… Des scènes étranges mêlant une population croisée, mi-personnages, mi-animaux, mi-végétaux, créent un univers aussi fascinant que singulièrement familier. C'est sur la proposition de Mécènes du Sud que Vacances Bleues, grand opérateur touristique, pionnier dans les démarches de mécénat, s'est intéressé à ce travail minutieux mêlant collecte concrète et immersion onirique. De fait, l'Atelier de l'EuroMéditerranée de Karine Rougier chez Vacances Bleues a permis d'explorer les connivences et les rapprochements entre le monde du voyage et l'univers imaginaire et foisonnant de l'artiste. Tous les salariés ont été invités par l'artiste à apporter un souvenir emblématique de leurs voyages, participant ainsi d'une grande collecte d'objets et d'images, exposés au fil des quatre mois dans l'Atelier sous forme de cabinet de curiosité au cœur du siège de Vacances Bleues. A partir de ces objets fétiches, Karine Rougier a réalisé « Le temps des vacances », un dessin de grand format intégrant un à un chacun de ces objets, et leur imaginant une vie nouvelle dans un scénario collectif. Artiste et auteur de textes liés au romanesque, à la poésie et aux arts contemporains, Luc Jeand'heur éclaire cette œuvre d'une lumière littéraire et audacieuse avec un corpus de textes critiques, entretiens de salariés et fictions.

KARINE ROUGIER ~ Vacances Bleues



LE JARDIN PLANÉTAIRE / UN PAYSAGE EN PROSE

Un grand dessein / Feuille de route

« André Breton : Qu'est-ce que la tête ? Alberto Giacometti : C'est la naissance des seins. » (1934) « Ensemble, nous décidons que la Terre est un seul et petit jardin. »

Le nom, et quelque part le destin, de l'espace dédié à l'art (Gilles Clément, Le jardin planétaire, 1999) contemporain au cœur des locaux du siège de Vacances Bleues a été choisi à 85% par les salariés : « l'Atelier ». Il intègre les « Nous sommes ici pour rêver en commun. » parties communes entre les deux corps du bâtiment, jouxtant (Benjamin Perret) la cour et la cafétéria. Partout autour, le monde est à sa façon le plus grand atelier de création qui existe dans lequel l'entreprise fait œuvre avec ses activités de voyage. L'art et le voyage sont de la « glutinum mundi »1. Ils coexistent ici pour un « impossible voyage »2. Karine Rougier est la première passagère de l'Atelier pour une résidence dans le cadre des Ateliers de l'EuroMéditerranée engagée sous le signe de l'hétérotopie3. Dans le même temps, l'Atelier devient son atelier et son « voyage ». Elle a écrit son synopsis : « Des personnages évolueront dans un environnement inspiré de l'univers du voyage, à partir de souvenirs de vacances personnels que me confieront les salariés qui souhaitent en partager les objets, les images et les récits. Je les mettrai en scène dans l'Atelier réunis dans une collection et une composition sur des étagères et les revisiterai tous ensemble sous la forme d'un grand dessin où chacun pourra ensuite revoir un peu de son histoire dans ce paysage imaginaire. » Cette aventure artistique et humaine off re aux salariés une résidence « commune ». Ils ne sont pas de simples spectateurs mais les invités permanents de l'Atelier, associés dans la résidence et le travail, « le temps des vacances ». Le dessin dessine / Une artiste de la sérendipité Considéré traditionnellement comme l'origine d'une œuvre4 et un art rhétorique, le dessin devient moderne au 20e siècle, un art plastique à part égale et acquiert par ce déplacement conceptuel une autonomie en tant qu'œuvre par rapport à son artiste-même. Il n'est plus seulement expression autographe, esquisse ou plan de montage, il va au-delà. Dans le travail de Karine Rougier, il y a les images et la pensée des images, et le dessin est ce qui amène l'un à l'autre. On peut toujours effacer ce qui arrive. Le reste appartient aux regardeurs. Cela laisse la place à une forme propre d'improvisation, un « arbitraire de l'esprit »5. Une étrange partie se dessine entre l'œuvre et l'artiste, dans laquelle les matériaux graphiques se rencontrent, se frottent, se superposent, s'échangent, se mêlent, se tordent. Les images rapportées ne sont pas que des modèles à reproduire, ce sont avant tout des matériaux à mettre en œuvre. Il y a quelque chose de l'ordre de l'innommable. Dans son approche, on cesse d'être voyeur ou juge6 pour devenir un regardeur. On s'absorbe dans la lecture de la virtuosité des détails, la médiumnité du dessin, avec trouble et enchantement. Les figures humaines oscillent d'une façon inquiétante entre l'apparition et l'effondrement. L'humain est ici la chimère absolue, figure d'elle-même et d'autres choses : désir, duplicité, énigme, métamorphose, manque... Chaque dessin se construit ainsi de plusieurs dessins, entre romantisme 1 / colle du monde. 2 / Marc Augé, L'impossible voyage. Le tourisme et ses images, 1997. 3 / Michel Foucault, Des espaces autres, conférence, 1967. 4 / « l'enfance de l'art » en quelque sorte. 5 / Paul Valéry, Degas, danse, dessin, 1938. 6 / Les voyeurs et les juges regardent de loin.

et surréalisme, un corpus d'œuvres poétiques, métaphoriques, mélancoliques et déchaînées, exaltant le mystère et le fantastique, cherchant l'évasion et le ravissement dans le rêve, le sublime, Eros et Thanatos. Le « blanc » du papier y compose à la fois une réserve et un lieu de glissement, voire d'effacement. Il dessine un écart que rien ne saurait combler. Ce polymorphisme de la dissémination entre dans le détail. Le dessin est une lutte dialectique subliminale/ subliminaire, réminiscence/émergence, entre deux typologies : le détail en fête, insignifiant dans la construction globale du sens, ornementation anonyme, figure de style, beauté décorative, graffiti artistique, dessin « à venir »... « ce n'est qu'un détail » ; le détail qui tue, à peine vu qu'il crève les yeux, l'accessoire irréductible et excentrique qui sublime tout par glissement/déplacement dans le discours de l'apparence et de l'apparaître... « Il faut lire et relire jusqu'à trouver la faille, s'y glisser et de l'intérieur déconstruire ». Un « détaillisme » chirurgical et poétique pour littéralement ouvrir l'œil. Mise en cène / Hétérutopie En visite dans l'Atelier de Karine Rougier, on admire les ressources étalées comme des graines, des boutures, des pollens, des arômes7... sa « récolte » déployée à plat comme les couleurs sur la palette d'un peintre. On feuillette les ouvrages et les vieux « grimoires » rangés dans les étagères. Nombres d'objets accouplés sont en connexion, les fétiches, les grigris, les encres potions, les amulettes, les poupées... inventant d'éphémères cabinets de curiosités. Au mur, des dessins, des reproductions d'images, des peintures qui sèchent, comme autant d'incantations complètent la scène. L'artiste aime s'entourer de ses merveilleux trésors. A toute cette cosmogonie viennent s'ajouter les off randes des salariés, prêtes à se fondre dans l'alchimie de l'art. Quelles que soient les sources iconographiques : glanées, chinées sur le web, personnelles, la Mimesis de « La chose a été là »8 se confronte à l'exorcisme du « Il était une fois ». Il ne s'agit pas ici d'une fenêtre ouverte sur un monde d'images mais de ce que Baudelaire appelle « une manière de sentir », à la fois mouvement d'appropriation singulière et digestion « libre de droits » de toutes les imageries pour créer des canevas d'images organiques sans « patron ». Le mot « collection » de cette bibliothèque explicite avec justesse un certain rapport « amoureux ». C'est l'ADN même du travail de Karine Rougier, de se donner les moyens plastiques nécessaires à l'affirmation d'une richesse intérieure qui affirme dans le même temps la richesse du monde et une position par rapport à celui-ci. C'est le chemin-même emprunté pour la résidence. C'est pourtant dans l'acte de dessiner Le temps des vacances que Karine Rougier s'est le plus oubliée. Cela donne une place à part à ce paysage. Elle a puisé les ressources de ce tableau-rébus dans d'autres strates que ses propres trouvailles iconographiques. Elle revisite à sa main les pièces rapportées des salariés venues s'insérer dans sa « collection ». L'imaginaire des uns fait l'imaginaire des autres.

7 / Un luxuriant terreau pour une imagination courtisane. 8 / Roland Barthes, La chambre claire,1980.


Vous êtes ici / Printemps dans le jardessin Le temps des vacances est un voyage sentimental dans un paysage, fantaisie graphique débridée et impossible territoire. Plus qu'une utopie cartographique -tout est sur roulettes, doué de déplacement9, l'œuvre dessine une imago mundi collective, une invitation à explorer le jardin planétaire « aux sentiers qui bifurquent »10 qui est en nous. Il y a une topologie archétypale du paysage, avec ligne d'horizon et point de fuite. Ce système technique de perspective conique s'éclate en événements surréalistes dont la scénographie ne possède pas de réel sujet central. Le totem babélien en « skatong » est une clef métaphysique, une allégorie chimérique qui répond à la prolifération des sources, leur incubation et leur hybridation. C'est l'esprit mythique des vacances et la vacance de l'esprit. Les souvenirs multicolores s'abandonnent en cadavres exquis dans des traits et des nuances de gris qui les unissent et les transgressent avec empathie. Cette vision graphite syncrétique révèle les trois puissances en œuvre dans un jardin selon Philippe Quéau : croissance, fertilisation, métamorphose -Germen, Pollen, Eden. L'œil de Sainte Lucie fait office de soleil, l'un des nombreux yeux disséminés dans le dessin, comme si « ce dessin, et tout ce qu'il contient, vous regarde ». Les regards sont à inventer. Sur le papier se déploient les tribulations d'un spectacle pittoresque, composition bacchanale mouvementée et kaléidoscopique de microrécits où jouent les âmes figurantes des salariés, avec tout ce que cela peut comporter de quête et de perdition, de joie et de mélancolie. Cette impression est déjà à l'œuvre face à l'étagère de la collecte des objets de voyages. L'artiste tisse des passages poétiques, savants et ludiques mais laisse à l'imagination le soin de commenter, de deviner, de dériver. Dans ce labyrinthe du sens, il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises voies de regard. Il faut voir comme rêver. Et à la fin de cet ultime voyage, nourri de leurs souvenirs de vacances et de leurs récits biographiques de voyageurs, ce paysage hypertropique et scopique off re aux salariés sur le lieu-même du travail un tableau romantique et joueur du « paradis perdu »11 à rapporter. Le jardin planétaire se découvre dans le moment où le monde devient dessin et le dessin devient monde. Le temps des vacances, ne sommes-nous pas tous un peu de songe, comme de voyage, comme de jardin, comme de dessin ? Luc Jeand'heur – mars 2012

9 / La représentation est un moyen de transport. 10 / Jorge Luis Borges, El jardín de senderos que se bifurcan, 1941. 11 / Une raison de l'absence de couleur attendue du dessin ?

ENTRETIENS ˜ extraits

« Je ne suis pas un bon exemple pour les objets de vacances. Je ne fais pas de photo, ne ramène pas d'objet. Je préfère vivre les moments. Quand on fait une photo, on essaie de voir les choses d'une façon différente. On se place à l'extérieur. L'image donnée à Karine s'est faite vraiment par hasard. J'avais passé deux heures à faire ce château de sable - le premier que je fais aussi beau, alors j'ai pris mon téléphone portable pour en faire une photo. Il a une signification mais pas de valeur particulière en lui-même. Plus qu'un objet, c'est un souvenir, un moment chargé d'histoire. Karine puise dans nos objets et dans nos paroles. Le jour où je suis venu avec mon château de sable, elle m'a posé des questions sur lui, sur ce qu'il signifiait. J'ai raconté sa petite histoire et pourquoi je l'avais amené. Elle s'approprie ensuite les souvenirs des gens et les intègre dans l'œuvre. Du coup, c'est agréable de le voir dans le dessin. Il m'a plu de voir les évolutions, comment elle revient sur des choses qu'elle a dessinées auparavant. Cela nous a familiarisé avec son monde. Pour apprécier les dessins de Karine, il faut s'avancer. Je suis allé regarder avec conviction, à vraiment rentrer dans les détails. Tu la vois en train d'interpréter en dessin ce qu'on lui a donné, de changer plein de choses. C'est plein de micro-récits. Une grande part de ce dessin est pour moi le partage, quelques mois où on l'a vu faire/gommer/refaire, et maintenant, j'ai l'impression que j'étais présent quand chaque petit détail a été réalisé. Il y a un vrai sens pour chaque objet représenté. J'ai vu l'objet en vrai à côté, donc cela me parle plus. Tu as bien le temps de te l'approprier. Pour moi, il y a une valeur forte dans ce dessin. C'est vraiment un échange. » Aloys Henry,

administrateur systèmes et réseaux

~ « De bizarre au départ, c'est à mesure devenu une très bonne idée. Je ne savais pas quoi penser de la démarche. Je ne suis pas du tout artiste, l'art et la comptabilité ne vont pas ensemble. Ma femme, elle, fait des tableaux depuis trois ans. Pour les 50 ans de ma cousine, elle a dit : tu vas voir, je vais lui faire moi un tableau ! Elle a pris du fer, des trucs, et fait du collage. Elle fait maintenant des œuvres pas mal. Maintenant, je ne peux plus bouger à la maison, il n'y a que des tableaux. C'est mon seul rapport à l'art. “L'Atelier” où est Karine est central ici au siège, pour ne pas venir, il faut le faire exprès. Tu viens toujours pour un café, pour traverser d'un bureau à l'autre. On vient voir l'œuvre en cours tous les jours. Cela a amené de la curiosité, de la vie dans l'entreprise. Karine travaille aux mêmes moments que nous. Nous passons la voir entre midi et deux, pendant les pauses, aux moments où elle est aussi en relâche. Quand j'ai vu comment cela évoluait, je me suis dit que c'était pas mal. Il fallait alors que je porte quelque chose. Cette petite voiture, un taxi antillais et ce petit cocotier en bois sont vraiment typiques. On a les deux côtés de la Martinique, le coin à touristes avec le taxi des Salines, et la zone agricole, au nord de l'île où j'ai travaillé 18 mois à partir de 1992. Je m'occupais de la comptabilité et de la gestion du “Leiris”, un hôtel que Vacances Bleues avait à ce moment-là, abandonné en 93. C'était la vraie Martinique, celle où tu fais des balades, pas le côté touristique. La nature un peu sauvage. Nous ne sommes pas retournés en Martinique en 2006 en famille pour les plages mais pour la faire découvrir à ma fille, née sur l'île mais ne la connaissant qu'à travers les photos et ce qu'on lui racontait. C'est vite découvert la Martinique mais tu peux faire tous les jours quelque chose de différent. » Denis Cinquini, comptable


« J'ai donné à Karine l'œil de Sainte Lucie. C'est un ravissant petit coquillage orange et jaune enroulé sur lui-même. On le polit, on le monte en bague, en collier, en boucles d'oreilles... Mon oeil est tout simple, juste tel qu'il est. On le trouve sur les plages du sud de la Corse. On dit là-bas que quand on vous donne un oeil de Sainte Lucie, mettez-le dans votre porte-monnaie et vous serez protégés d'un grand dénuement. Il y a une certaine spiritualité dans ce geste. Quoi qu'il en soit, on y croit. Donc j'ai toujours mon petit oeil de Sainte Lucie dans mon porte-monnaie et j'ai dit à Karine : “je te le prête”. Pour moi, c'est très important. Je suis corse par une de mes grands-mères, et j'adore la Corse. Dans tous les voyages que j'ai faits à l'étranger, il n'y a pas plus beau que la Corse. Vous avez tout là-bas : l'eau turquoise, les plages, les forêts, les torrents extraordinaires avec les baignoires pour se tremper, une population qui est merveilleuse à vivre quand on la connaît un peu. Pour moi, un moment de Corse en juin, où l'eau est encore trop fraîche mais où il n'y a pas trop de monde, ou en septembre, c'est merveilleux. Et même en février, on va manger les oursins. C'est le voyage que j'ai porté à Karine. Elle l'a mis en haut du dessin, un oeil de Sainte Lucie tout seul, et ensuite elle a ajouté un portrait de Sainte Lucie avec ses yeux. Elle m'a dit : “c'est l'œil qui surveille pour voir si tout se passe bien”. Je suis contente d'avoir apporté mon petit oeil et c'est aussi un symbole : c'est l'œil qui regarde, qui voit si toutes les petites choses ont été prises en compte, comment Karine les a traduites. C'est l'œil bienveillant du fondateur, un oeil affectueux. C'était ça notre rêve : que tout le monde joue le jeu d'une oeuvre collective qui aurait un lien avec notre activité économique qui est le voyage, l'accueil, le dépaysement, le souvenir de voyage, le rêve que l'on en a avant et le rêve que l'on en a après. » Hélène Arnaud-Roueche, présidente de l'association et de la fondation ~

Histoires d'objets ~ Luc Jeand'heur

« L'objet vient d'un voyage en amoureux en 2000. J'étais allée visiter un lieu que je voulais voir depuis longtemps : le musée Rodin, car il y a des oeuvres de Camille Claudel. J'avais rapporté les cartes postales de quelques oeuvres comme celle-ci, La vague, mais aussi La valse que j'ai dans mon bureau, avec ses deux personnages imbriqués, on voit vraiment le mouvement de la danse. Donner cette carte postale à Karine était assez émouvant car il y a derrière tout ce que j'ai vécu là-bas, la vraie vague que j'ai dans mon cœur. Je ne prends pas de photo car je préfère acheter des livres qui donnent un complément d'informations pas toujours accessibles ou des cartes postales aux photographies bien prises. Un voyage est propre à la personne, il ne se vit pas au travers de quelqu'un d'autre. On ramène quelque chose pour soi en soi et on ne peut pas l'expliciter forcément. Dans celle-ci, je vois l'œuvre intégrale de Camille Claudel, la beauté de la couleur de la pierre dans laquelle la sculpture a été taillée. J'ai toujours eu le sentiment que cette femme n'avait jamais pu avoir la place qu'elle voulait avec l'homme qu'elle aimait. Elle a essayé de le dire et de le redire. C'était peut-être l'état dans lequel elle était. Avec Karine, on a une chance inouïe. C'est un soleil. C'est une personne qui rayonne. Pour moi, le dessin traduit Karine. Ce qu'elle a fait des objets, comment elle les ressent et les réinterprète. Les salariés ont nourri son imaginaire mais derrière, il y a Karine. Les petites roues, c'est elle. Les petites choses qui volent et qui ne sont jamais posées, c'est elle. Je ne pense pas qu'un visiteur qui voit ce dessin puisse imaginer que nous avons été nombreux à fournir des objets pour le constituer. Karine aurait tout aussi bien pu les collecter d'une autre façon ou les inventer. Par contre, je trouve cette oeuvre gaie. Je la ressens joyeuse. » Roselyne Lechalupe, responsable administration des ventes


Bienvenue au Mosquizoo La petite Cindy visite le Mosquizoo - le zoo des moustiques. De retour à la maison, elle raconte ce qu'elle a vu et imite ses piqueurs-suceurs préférés à ses parents. « Il y avait un énorme moustique-mamouth, avec ses deux grosses palpes en forme de défenses de chaque côté de sa trompe avec laquelle il suce le sang. Il y avait aussi le moustique-paon qui écarte ses ailes aux irisations multicolores lorsqu'il pique. Elles produisent une jolie vibration acoustico-optique lorsqu'il vole. Il y a le moustique-yéti tout couvert de poils blancs qui se développe dans les sources chaudes des zones arctiques. » Son papa tente une sortie : « Tu connais la différence entre un moustique et une femme ? Le moustique ne t'embête que la nuit. » Sans effet sur le débit de la petite fille : « Il y a le moustique-marteau appelé comme ça à cause de sa trompe en forme de T qu'il ne faut pas confondre avec le moustique-rhinocéros. Il y a les moustiques-axolotls roses comme le petit Jésus qui passent toute leur vie à l'état larvaire. Ils se dévorent facilement entre eux. Il y a le moustique de Paradis qui est chromatophore. En période de fécondation, la femelle change de couleur et devient bleue car le bleu attire les moustiques. » « Et puis, ajoute Cindy tout excitée, j'ai vu le moustique-bonobo qui est mon préféré. C'est un sentimental qui ne pique qu'aux levers et couchers de soleil. Il adore l'être humain. Les militaires l' utilisent pour détecter la présence d'intrus dans leurs bases secrètes. Le clou du spectacle est le moustique-tigre avec ses rayures et son appétit vorace. Hyper-agressif, il pique de jour comme de nuit. Avec son instinct de compétition hyperdéveloppé, là où il s'installe, les espèces indigènes de moustiques disparaissent. Sa piqûre est tellement violente qu'il faut la soigner avec une crème à base de cortisone. Il paraît même que c'est lui qui a tué Alexandre le Grand. » - Pas la peine d'imiter celui-là, s'empresse de dire le Papa.

Contes et légendes de la réalité contemporaine : Pachamama et Pachatata 2 - Le retour Il était une fois Pachamama, la déesse Terre-Mère, et son jumeau Pachatata, le dieu Terre-Père, retirés du monde à la disparition de la civilisation Inca. Mais voilà qu'aujourd'hui, ces deux immortels s'ennuient à mourir. Ils décident de retourner s'encanailler dans le monde des hommes. Ils s'incarnent dans un seul et même corps, femme côté face et homme côté pile, et se lancent dans une folle aventure en Bolivie. Mais à force de se tourner le dos en permanence, Pachamama et Pachatata finissent par se perdre de vue. « Elle » tombe amoureuse d'un ingénieur dynamite américain spécialisé dans le forage minier sur un chantier d'autoroute à travers la Cordillère des Andes. Mais son amour est un joueur compulsif et malheureux. Les gros bras des Cartels de la drogue le menacent à mort pour obtenir le remboursement de sa dette. Il supplie « Elle » de le sauver. « Il » intègre une résistance marxiste qui se réclame de Che Guevara et devient un invisible guérillero de la jungle. Le combat politique se résume à kidnapper des mères, des pères, des enfants contre des rançons de leurs familles et leurs banquiers. Sans apport de capital, toute lutte armée est vouée au néant. « Elle » et « Il » décident de se sacrifier pour leurs compagnons et transforment leur corps en statue en or. Devant cette miraculeuse fortune, l'ingénieur jure d'avoir enfin gagné ce à quoi il avait droit et décide d'aller vivre à Hollywood. Les soldats de la Résistance baisent cette statue comme la Vierge Marie qui leur off re ce dont ils ont toujours rêvé : vivre comme les rois du libéralisme en Bolivie, et surtout des femmes. Ecœurés de cette tromperie, Pachamama et Pachatata transforment la statue d'or pur en une toute petite statuette en plomb. Guérilleros et ingénieur affolés s'accusent d'avoir volé l'or et s'entretuent sans laisser de survivant. Un enfant trouve cette curieuse poupée de métal. Un touriste remarque la statuette parmi ses pauvres jouets et lui échange contre le maillot de foot de Barcelone de Leo Messi.

Les yeux de Sainte-Lucie

L'Odyssée

A 20 ans, Lucien étouffait dans le confort désœuvrant de la vie parisienne. Il fréquentait les cours des miracles de la capitale pour écouter les récits de vagabonds carnavalesques. C'est dans les vapeurs d'opium qu'il rencontra Pas-de-nom, originaire d'une légendaire tribu apache située dans des maquis de Haute-Corse. Le lendemain, Lucien arrivait à Marseille. Il lui fallut deux ans pour trouver en Corse la trace des Apaches. Il commença par leur distribuer toutes ses affaires de voyage. Le Sorcier lui noua les cheveux dans une sorte de chignon à plumes, peignit son corps et y accrocha de gros anneaux en laiton. Pour finir, il lui apprit à fumer. Lucien rêvait de devenir un guerrier, surveiller le pays, lancer des signaux de fumée, faire des raids en ville, prendre des scalps, attaquer les familles d'émigrants, incendier les administrations françaises, voler du bétail et surtout, se battre sauvagement contre l'ennemi. Le Sorcier lui fit comprendre que la Beauté enracinée de l'île exige de l'Apache de connaître l'Apache qui est en lui : « Γνώθι σεαυτόν ». Lucien demeurait toujours au fond de lui un petit bourgeois confus de la Capitale. Il lui fallait chasser le mauvais œil, commencer à marcher comme un homme. Il plongea son bâton d'apprenti sorcier dans les braises ardentes d'un grand feu avant de s'appliquer l'extrémité enflammée qui dévora chacun de ses yeux. Le sorcier prit dans un sac en peau deux opercules d'un mollusque des rivages de l'île répondant au nom apache de « Turbo Rugueux », petit coquillage porte-bonheur que les Corses appellent « l'œil de Sainte Lucie ». Il les glissa dans les trous noirs des yeux de Lucien en chantant les esprits. Le garçon avait compris qu'aujourd'hui plus qu'hier, la foi était un acte de révolte. Le regard n'est pas qu'une chose qui arrive du dehors, ce n'est pas qu'une volonté de remplir les vides, c'est aussi une force qui vient de nous qui ne nous abandonnera jamais. Le lendemain, Lucien se réveillait à Marseille.

« Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite, Pour attraper au moins un oblique rayon. »

Charles Baudelaire

Pour le « navigaterre » qui possède la philosophie paradoxale du sport et un noble esprit de compétition, le voyage se paie en sueur et la vue se gagne. L'effort est un art, dont la pratique librement consentie rend libre. Une roue de vélo est comme une lyre qui fait chanter les dunes. Un quatuor classique de cyclo-méharée, voilà ce que nous formons avec le désert. Chaque soir au bivouac, nous rédigeons les comptes et un peu de poésie. Le Sahara nous projette à distance et nous renvoie à notre propre condition. On perd de vue le monde à l'horizon. Au bout de cette route, on a les paysages que l'on mérite. Après l'Atlas, le bac nous attend à Tanger pour franchir Gibraltar. Le prix de la douleur donne des ailes, en danseuse. En haut de la montagne, nous tombons d'épuisement et de jouissance sur le dos, et nous découvrons alors le ciel sous nos yeux. Les étoiles nous sont apparues dans un autre désert, tendu de noir. C'est pourquoi l'Univers est sur notre route. Le cosmonaute est le touriste absolu car il doit emporter avec lui dans l'espace intersidéral tout ce dont il a besoin pour vivre. Le vide est métaphore de tout ce que nous ne comprenons pas, une présence inconditionnelle, une nature radicale, une absence obsédante, un flottement mélancolique. On dit de chaque étoile qui nous attend qu'elle abrite le double de chacun d'entre nous. Nos vélos, modèles spécifiques créés pour les sorties extra-véhiculaires, seront embarqués dans la navette spatiale. Dans le vide, il n'y a plus de paysage à consommer dans l'effort, plus de panorama à élucider. Il est amusant de penser qu'à l'origine, pédaler est une activité indispensable pour entretenir sa masse musculaire en gravité zéro. On se voit déjà faire la course avec des comètes à travers la galaxie en notant nos performances au stylo Bic dans un cahier d'enfant. Seul le Big Bang pourra nous arrêter.


Jean-Claude Chianale, carnets

Karine Rougier, Le Temps des Vacances

Un carnet par Atelier imaginé et réalisé par l'artiste Jean-Claude Chianale témoigne de la richesse de chaque aventure, croisant regards d'artistes, entretiens avec les salariés, les usagers, et des complicités artistiques apportant un nouvel éclairage sur le projet. A la façon du journal de bord, il gardera la trace du processus et de l'environnement atypiques de la création, photographie mouvante d'une œuvre en devenir.

Œuvre réalisée par Karine Rougier en résidence au sein de Vacances Bleues à l'initiative de Mécènes du Sud dans le cadre des Ateliers de l'EuroMéditerranée – Marseille-Provence 2013. Période de résidence : décembre 2011 > mars 2012

À ce jour, le programme des AEM :

Fondée en 1971 à Marseille, Vacances Bleues, chaine hôtelière de loisirs, s'est développée en s'attachant à « donner du sens aux vacances ». Elle propose aujourd'hui cent quarante destinations de vacances, à travers hôtels, hôtels-clubs, hôtels-clubs famille et résidences locatives en France ainsi que des séjours à l'étranger. Par ailleurs mécène de l'art contemporain depuis le début des années 1990, l'entreprise a constitué une collection de plus de trois cent cinquante œuvres, exposées dans les bureaux et les hôtels du groupe. L'ensemble de ses actions de mécénat artistique, solidaire et humanitaire est aujourd'hui regroupé au sein d'un Fondation. Présidente : Hélène Arnaud-Rouèche Président du Directoire : Jean-Louis Largeteau Fondation Vacances Bleues, déléguée artistique : Françoise Aubert

Marco Baliani | AP-HM – Hôpital Sainte Marguerite Taysir Batniji | Savonnerie Marius Fabre Mustapha Benfodil | Espace Fernand Pouillon, Aix-Marseille Université

Alice Berni | Bataillon de Marins – Pompiers de Marseille –

Caserne Saumaty

Mohamed Bourouissa | Pôle Emploi Joliette Séverine Bruneton et Laëtitia Cordier | Descours et Cabaud Jean-Michel Bruyère / LFKs | Ecole Nationale Supérieure

des Mines de Saint-Etienne – Site Georges Charpak de Gardanne

Anne-James Chaton | Maison de l'Avocat – Ordre des Avocats

du Barreau de Marseille

Sonia Chiambretto | Bureaux Municipaux de Proximité Mathieu Clainchard | Maison de ventes Damien Leclère Gilles Clément | AP-HM – Hôpital Salvator Kathryn Cook | Association Jeunesse Arménienne de France Antoine D'Agata | Archives et Bibliothèque Départementales de Prêt

Robin Decourcy | Agence Bleu Ciel et Cie * Gilles Desplanques | Club Immobilier Marseille Provence Kitsou Dubois | La Patrouille de France Ymane Fakhir | AP-HM – Hôpital de la Timone Gethan&Myles | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde Dora Garcia | Hôpital Montperrin Anne-Valérie Gasc | Ginger cebtp Demolition Groupe Dunes | Apical Technologies et UPCAM-IMEP –

faculté Saint Jérôme

Mona Hatoum | Industries Arnoux et Centre international

de recherche sur le verre et les arts plastiques (CIRVA)

Célia Houdart et Sébastien Roux | Entreprises du Puits Morandat

Ici-Même (Paris) | Centre Bonneveine Mathieu Immer & Benjamin Lahitte | EDF – Centre

de Production Thermique de Martigues

Katia Kameli | Futur telecom Le Phun | Domaine de la Tour du Valat Pascal Martinez | CIRVA Jean-Marc Munerelle | Fondation Logirem – Cité de la Bricarde Yazid Oulab | Centre Richebois Miguel Palma | voyons voir Hervé Paraponaris | Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille

Alexandre Perigot | Groupe Daher et Lycée professionnel Gustave Eiffel

Franck Pourcel | Société Nautique de Marseille Marie Reinert | Compagnie maritime Marfret * Etienne Rey | IMéRA Karine Rougier | Vacances Bleues * Vanessa Santullo | Joaillerie Frojo * Zineb Sedira | Grand Port Maritime de Marseille Alia Sellami | Carniel Wael Shawky | ADEF – Ecole de céramique de Provence

Mécènes du Sud

Vacances Bleues compte parmi les membres fondateurs de Mécènes du Sud, collectif de 40 entreprises créé en 2003, qui affiche sa singularité dans le paysage du mécénat français par la mutualisation de moyens et la sélection des projets réalisée par un Comité Artistique réunissant des personnalités du monde de l'Art. Convaincues que le rayonnement d'une métropole repose tant sur son développement économique que culturel, ces entreprises ont souhaité soutenir la création artistique contemporaine liée au territoire Marseille-Provence en finançant et accompagnant plus de 75 projets, en initiant des résidences d'artistes en entreprises et en s'ouvrant de façon atypique et régulière aux rencontres avec les artistes. En expérimentant des résidences d'artistes dès 2007, Mécènes du Sud impulsait l'esprit des Ateliers de l'EuroMéditerranée. Présidente : Corinne Brenet Déléguée générale : Bénédicte Chevallier

Karine Rougier remercie l'ensemble des équipes de Vacances Bleues pour leur accueil, leur disponibilité et leur enthousiasme durant sa résidence dans les bureaux de Marseille, dans les hôtels Le Royal à Nice et Les Provinces-Opéra à Paris.

et la filière Argile

* Projets proposés par Mécènes du Sud

Equipe des Ateliers de l'EuroMéditerranée Marseille-Provence 2013

Karine Rougier, Le temps des vacances

Direction : Sandrina Martins Chef de projets arts vivants : Mélanie Drouère Chef de projets arts visuels : Erika Negrel Assistant de projets / production : Jean-François Mathieu

Direction de la publication : Jean-François Chougnet, directeur général de Marseille-Provence 2013 Coordination éditoriale : Mélanie Drouère Comité éditorial : Françoise Aubert, Mélanie Drouère, Christophe Imbert et Sandrina Martins Textes : Luc Jeand'heur Photos : Jean-Christophe Lett et Marif Deruffi Impression : Imprimerie Azur Offset, Marseille

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Vacances Bleues

Dessin sur papier, 190 X 145 cm, crayon, collage et pigment

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Achevé d'imprimer en mai 2012

ISBN 978-2-36745-000-1

L'association Marseille-Provence 2013, présidée par Jacques Pfister (Président de la Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence), remercie ses partenaires : Partenaires officiels La Poste, Société Marseillaise de Crédit, Orange, Eurocopter, EDF Partenaires institutionnels Ministère de la culture et de la communication, Union Européenne, Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Conseil général des Bouches-du-Rhône, Ville de Marseille, Marseille Provence Métropole, Ville d'Aix-en-Provence, Communauté du Pays d'Aix, Ville d'Arles, Arles Crau Camargue Montagnette, Communauté du Pays d'Aubagne et de l'Etoile, Communauté d'agglomération Pays de Martigues, Ville de Salon-de-Provence, Ville d'Istres, Ville de Gardanne, Chambre de commerce et d'industrie Marseille Provence.

www.mp2013.fr


jean-claude chianale,

Carnets les ateliers de l'euroméditerranée de marseille-provence 2013 ISBN 978-2-36745-000-1

5€


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