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EN PRATIQUE SOMMAIRE

N°09 JUILLET 2007

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Dossier

Financières de talent En Belgique, les femmes en finance ne manquent pas. A commencer dans les auditoires, dont elles représentent la moitié de la population, mais largement plus de cette moitié au moment de la distribution des diplômes. Mais après? Elles deviennent plus rares, surtout dans les comités de direction. Un tort, c'est sûr, à découvrir les trois financières de talent que Finance Management a rencontrées. FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°09 - JUILLET 2007


DOSSIER TEXTE : YVES-ETIENNE MASSART

Financières

de talent E 2

lles sont canadiennes, elles sont plus de 600. Six

aucune tendance préventive ou curative des clients pour recruter ou

cent femmes actives en finance et qui revendi-

pas une femme. Au feeling, j’ai même l’impression qu’une candida-

quent des réalisations impressionnantes dans un

ture féminine est considérée comme un atout, au regard des qua-

large éventail de secteurs. Leur compétence à sié-

lités qu’on leur reconnaît. »

ger au sein de conseils de direction ou d’administration se reflète

Même son de cloche de l’ensemble du secteur: « Les raisons sont

dans leur démarche volontariste. Elles existent et le font savoir. Elles

ailleurs, probablement historiques. Ce n’est pas un poste à problème,

se sont structurées en association et représentent la plus impor-

mais le trajet pose peut-être problème. » Les avis sont plus partagés

tante filiale de la Financial Women’s Association de New-York, ré-

lorsqu’on cherche à mettre dans la balance la fonction, très ration-

seau de plus de 2.300 financières du monde entier. Chez nous aussi,

nelle, et les personnalités féminines, plus émotionnelles. Dans les

elles existent. Mais restent fort discrètes. Trop discrètes?

métiers du haut de bilan, il y a très peu de femmes car elles seraient

Les femmes et les finances: couple maudit? Que dire de nos voi-

à l'écart du capital, peut-on lire à droite ou à gauche. Le capital ap-

sins français, qui viennent de nommer Christine Lagarde, première

partient aux hommes. Mais aujourd'hui, les femmes sont accep-

femme promue en France à la tête du ministère de l'Economie

tées dans le milieu car les facultés qui font d'elles d'excellentes DRH

et des Finances. La preuve vivante qu’une femme d'affaires peut

pourraient aussi être utiles dans une transaction financière. La maî-

réussir en politique. L’an dernier, le magazine Forbes l’a classée au

trise de la parole aiderait à être dure en négociation.

30ème rang des femmes les plus puissantes du monde, liste où sa

Alors, encore une conséquence du fameux plafond de verre? Pro-

compatriote Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, apparaissait à la

bablement. « Et conditionnée par les dix premières années de car-

huitième place.

rière », note Gilles Klass. Des plafonds de verre en plexiglas, car dès que le pouvoir est en jeu, les femmes se feraient plus rares. Et, à

ANTICHAMBRE DU POUVOIR

bien y regarder, l'entreprise serait peut-être aussi un des derniers

Et chez nous? Et chez nous, les femmes de talent sont là aussi. A

lieux de pouvoir pour les hommes. Or la direction financière, c'est

commencer dans les auditoires, dont elles représentent la moitié

l'antichambre du pouvoir et de la direction générale. Les femmes

de la population, mais largement plus de cette moitié au moment

pourraient donc renoncer à cette trajectoire.

de la distribution des diplômes. Mais après? La finance mène à tout,

Caricature? Dans la planète finance, les femmes excellent dans

y compris à de très belles carrières dans des fonctions financières.

les back offices où leur méticulosité fait, paraît-il, merveille. Pen-

Tous les oracles du business le certifient: demain, plus aucun poste

dant ce temps, en front office, les hommes règnent en maîtres.

dans l'entreprise n'échappera aux femmes, ni la com', ni le cash. Les

« Le pouvoir se gagne par la prise de risque », commente Marlaine

hommes n’ont qu'à bien se tenir! Selon une étude récemment pu-

Cacouault-Bitaud, chercheuse en sociologie à Paris V. Comme si

bliée en France, il y a près de quatre fois plus de femmes chez les

l’argent n'était pas un territoire naturellement féminin. Dans

directeurs de la communication que chez les directeurs commer-

notre imaginaire, les hommes font tourner l'argent, les femmes

ciaux. Elles tracent leur route chez les marketeers… mais piétinent à

le dépensent. A la maison, ce sont elles qui gèrent les achats, qui

l’entrée de la tribu des financiers. Pourquoi? Et jusqu'à quand? Chez

prennent les décisions financières importantes, choisissent les

nos voisins, elles ne sont que 12% à décrocher des postes de direc-

destinations de vacances ou l'orientation des enfants. Mais les

tion en finance, administration et gestion.

faits sont là. Statistiquement, l’actuelle majorité de diplômées va

Chez nous, pas de statistiques, mais une réaction unanime du côté

se retrouver de facto plus représentée dans la finance au cours

des recruteurs et des chasseurs de tête. Ainsi, Gilles Klass, Deputy

des 20-30 prochaines années. Ce ne serait donc plus qu’une ques-

General Manager de Mercuri Urval BeLux: « Du côté flamand ou

tion de temps et d’évolution naturelle: à terme, les femmes sont

francophone, c’est une des rares fonctions pour lesquelles il n’existe

donc bien placées pour rafler la mise!

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Rigueur et

liberté...

« Pascale Tytgat: une personnalité hors du commun! »: assurément un compliment sous la plume de Bruno Colmant. Co-fondatrice et réviseur associée du bureau BST, dont elle a fait un des cabinets réputés de la place, cette dynamique quadra nourrit une vraie passion pour son métier. Ses mos-clés: liberté, indépendance et éthique. Des valeurs féminines?

S

obriété faite de bois clair, espaces très lumineux, salle de réunion sans luxe démonstratif: les bureaux de BST sont à l’image du cabinet et de l’une de ses fondatrices, un savant dosage d’élégance

et de discrétion. Une question de personnalité, une question de tradition également. Ingénieur commercial diplômée de l’ULB, Pascale Tytgat a fondé son propre cabinet: « Un cabinet de taille moyenne, ce qui signifie que cela nous positionne en dessous des Big Four. C’est le résultat de dix-sept années de travail, car ce cabi-

« L’enjeu primordial, c’est de trouver les talents, avant même de trouver des clients, et de recruter des gens meilleurs que soi. »

net nous l’avons créé à trois en 1991. Nous étions dans un autre cabinet et nous avons décidé de nous lancer à notre propre compte. Une aventure que je n’ai regrettée à aucun moment. »

libérale, cette liberté est importante pour ne pas dire cruciale. Ce

Aujourd’hui, BST s’affiche comme indépendant, ce qui signifie

qui me fait dire que des personnalités sont davantage faites que

qu’il n’est clairement intégré dans aucun réseau international.

d’autres pour des métiers comme ceux-là et que quelque chose

« Un choix qui a ses avantages et ses inconvénients. Mais, à titre

devait m’y prédestiner. »

personnel, je suis très heureuse de cette indépendance. Car elle

Pascale Tytgat revendique aussi une structure un peu atypique

est synonyme de liberté: liberté d’accepter ou de refuser un client,

dans le paysage du révisorat. « Nous sommes aujourd’hui

une mission, de conclure positivement ou négativement. Et ça, je

cinq associés et la moitié de notre chiffre d’affaires consiste

ne m’en cache pas: ça me plait! Lorsqu’on exerce une profession

en l’exercice d’environ 200 mandats de commissaire, des man-

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DOSSIER

qualités, dont celles de la minutie, de la précision, de l’efficacité.

« Dans ce métier, tout est question de réglage fin et je ne dois pas me forcer pour dire que c’est taillé sur mesure pour les femmes. »

Pas de secret, voilà qui est plus que compatible avec des fonctions financières… Et Pascale Tytgat de préciser aussi qu’avant d’accepter toute mission, un réviseur doit respecter deux choses fondamentales: « valider sa compétence par rapport à la mission, car nous sommes avant tout des techniciens spécialisés dans toute une série de problématiques. Et puis, veiller au respect de son indépendance, afin d’éviter de se retrouver dans des situations d’où pourraient naître des conflits d’intérêts. »

FORCE DE CARACTÈRE

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dats d’audit annuel légal qui sont donc synonymes de missions

Une notion centrale, car tout conflit d’intérêts ou même tout

récurrentes pour une durée de trois ans. Un travail classique

risque de conflit d’intérêts enlève tout sens à la mission, car

destiné à délivrer une opinion sur les comptes annuels, que ce

c’est tout simplement la crédibilité qui s’en retrouve mise en

soit auprès de sociétés fermées ou cotées. »

question. « L’indépendance est un concept éminemment per-

Dans un métier où confiance et confidentialité vont souvent

sonnel, qui est lié à la personnalité, mais aussi à la compétence,

de pair, le bouche-à-oreille fait office de publicité, débou-

au caractère, à la compréhension du rôle social que le réviseur

chant involontairement sur des créneaux un peu plus poin-

d’entreprise est amené à jouer. Et qu’est-ce qui fait que l’on est

tus comme les grosses familles bien fermées, qu’elles soient

indépendant ou pas, si ce n’est la force de caractère? »

historiquement actives dans l’industrie, le commerce ou la

Et d’enchaîner sur la déontologie: « Dans nos métiers, la déon-

finance. « Les Big Four ont leur créneau. Nous avons réussi à

tologie est un ensemble de règles explicites, codifiées. Au-des-

développer le nôtre, sur les sociétés un peu moins grosses, mais

sus, je place encore l’éthique qui, elle, est implicite, non codifiée.

qui constituent l’essentiel du tissu économique du pays. »

C’est une notion plus large, davantage liée à un comportement

La seconde moitié du chiffre d’affaires, Pascale Tytgat et

volontariste qui dépend de la force de caractère de chaque in-

ses associés l’ont développé dans le cadre de missions lé-

dividu. En tant que femme, je sais que tout cela colle parfai-

gales et contractuelles. Parmi les domaines de prédilec-

tement à ma personnalité. Les femmes peuvent d’ailleurs tirer

tion de la cofondatrice, l’audit d’acquisition, l’évaluation,

parti de cette exigence. »

les expertises non-judiciaires et le support aux clients

Un réviseur d’entreprises doit avoir la force de caractère né-

dans le cadre de transactions ou de contentieux, où le

cessaire pour décider d’accepter ou de refuser une mission,

bureau apporte alors une expertise indépendante. « Je

pour lui permettre d’exprimer son désaccord, de motiver un

trouve particulièrement précieuse cette ventilation, car

avis négatif et de l’annoncer, « voire même de démissionner si

elle permet de jouer sur les deux tableaux et de passer d’un

aucun accord n’est possible ou si les conditions d’une relation

domaine à l’autre. C’est très stimulant intellectuellement:

de confiance n’existent plus. Or, elles sont la base de notre mé-

on y apprend énormément. »

tier. Par nature, les femmes possèdent le plus souvent la délicatesse qui doit leur permettre de trouver la juste mesure entre

DURE ET FROIDE?

la relation de confiance et le maintien d’une certaine distance

Pascale Tytgat a une vie professionnelle débordante, mais cela

– pour ne pas dire d’une distance certaine – avec le client. Voilà

ne l’empêche pas de trouver le temps de s’intéresser à une

qui nous renvoie implicitement à l’indépendance. Il faut aussi

multitude de choses et de s’adonner à la lecture. A la question

éviter que le client se sente agressé, car cela pourrait bien évi-

de savoir pourquoi aussi peu de femmes seraient présentes

demment nuire aussi à la relation de confiance. Et donc, je crois

dans les hautes fonctions financières, elle évoque Françoise

que dans ce type de cas de figure délicats, le sens de la diploma-

Giroud qui déclarait qu’au cours des trente dernières années,

tie toute féminine peut clairement être un atout. »

les femmes avaient déclenché une révolution qui affectait profondément leurs relations avec les hommes, mais égale-

HAUT NIVEAU DE VIGILANCE

ment avec leur travail. Elle disait également qu'« elle aimait

Tout ceci se reflète de manière plus fondamentale dans la

bien qu’elles puissent être dures et froides comme des pierres,

culture d’un cabinet. « Et dans le monde des professions libé-

avec des barbelés dans le cœur. »

rales, le capital, ce sont les ressources humaines: on est une so-

Pascale Tytgat n’est toutefois pas sûre qu’il soit nécessaire

ciété de services. Il est donc important de veiller à la qualité de

d’être dure et froide dans une fonction financière, voire dans

celui-ci, que ce soit au travers de la disponibilité, de la rapidité

une fonction d’ordre public. « Mais la nature des missions im-

et de l’efficacité. Le client doit sentir l’organisation et être ras-

pose une approche particulière. Et je crois que les femmes ont

suré sur la qualité d l’information qui lui est fournie. En tant

cette faculté de pouvoir afficher une rigueur souriante qui leur

que co-gérante, mon niveau de vigilance est poussé à un haut

permet de bien passer dans les métiers du chiffre. »

niveau, par rapport à la qualité du travail, mais également par

Ce n’est pas un mystère: on reconnaît à la femme de nombreuses

rapport à la qualité de l’équipe. L’enjeu primordial, c’est de trou-

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ver les talents, avant même de trouver des clients. » Pascale Tytgat prend donc un soin tout particulier à recruter soigneusement, en se différenciant: « Nous avons et nous cherchons des profils un peu mixtes, c'est-à-dire de bons techniciens, mais qui ont aussi complété leur formation de base en s’intéressant à la fiscalité ou à l’analyse financière. On ne peut pas se tromper sur un point particulier: nos collaborateurs doivent être de gens équilibrés, car le stress est une composante importante de notre métier. Il est bon qu’ils aient donc d’autres

« Les femmes ont cette faculté de pouvoir afficher une rigueur souriante qui leur permet de bien passer dans les métiers du chiffre. »

préoccupations dans la vie que leur métier, afin de pouvoir sortir des chiffres. Je crois avoir un bon feeling sur ces paramètres. Et le faible taux de rotation aurait tendance à me faire dire que

découvert au fil de son parcours. A la sortie de ses humanités,

nous devons être dans le bon. »

elle ne se sent poussée par aucune vocation. Ni médecin, ni

Pascale Tytgat se dit convaincue que « le plus important, c’est

enseignants: elle ne se projette pas encore dans la vie profes-

de recruter des gens qui sont meilleurs que soi! » Elle considère

sionnelle. Son choix est donc de mener les études offrant le

que son rôle est d’ouvrir un maximum de portes à ses col-

spectre le plus large possible, avec une préférence: poursuivre

laborateurs, de les emmener systématiquement en réunion

des maths, de la chimie et de la physique.

avec elle pour s’entourer de techniciens pointus, mais aussi

« Mon intérêt pour la fiscalité, la comptabilité et des questions

pour les aider à grandir, les responsabiliser, les rendre auto-

de droit ont fait le reste: ce sera ingénieur commercial. A la sor-

nomes. « Je leur dis toujours que lorsque le client les appelle en

tie, c’était la grande époque, puisque dès le dernier semestre de

direct, c’est gagné! »

la dernière année d’études, la plupart d’entre nous pouvaient

DU RECUL

choisir entre deux ou trois offres fermes de contrat. » Elle opte alors pour l’audit, prolongement naturel des études, enrichi

Son recrutement ne fait pas de distinction de genre, seule

d’une forte dose de pratique sur le terrain. Toujours ce besoin

prime la compétence. « je suis consciente que le plus impor-

d’apprendre! « Une formation excellente, comme celle d’ana-

tant pour une femme, c’est de trouver le bon rythme d’être bien

lyste crédit dans une banque. » Pascale Tytgat quittera un

organisée – on le devient par la force des choses – et d’avoir une

moment l’audit pour y revenir plus tard. Pendant quelques

bonne santé, d’une part parce qu’on est fort sollicité et, d’autre

années, elle s’investira dans une charge académique par plai-

part, parce que les horaires sont très variables. »

sir de rédiger, de formaliser ses savoirs et d’expliquer. Bref,

Son regard sur le métier? Pas facile: « On rentre dans l’inti-

prendre du recul. Encore et toujours…

mité de l’entreprise, avec comme garde-fou notre secret professionnel, cela exige de nous une confidentialité totale. Tout est question de réglage fin et je ne dois pas me forcer pour dire que c’est taillé sur mesure pour les femmes. » Un métier qu’elle a

BST Réviseurs d’Entreprises en Bref - La constitution remonte à tout juste 16 ans, puisque la société a été constituée le 18 juillet 1991. - Le bureau se compose de sept Réviseurs d’Entreprises et de dix Réviseurs d’Entreprises stagiaires, auxquels il faut encore ajouter cinq candidats stagiaires, ce qui signifie qu’ils n’ont pas encore démarré le stage légal de trois années. - La clientèle se compose de sociétés de taille moyenne, certaines étant propriété de groupes familiaux ou d’autres grosses sociétés. Mais les activités d’audit portent également sur des sociétés faisant partie de groupes internationaux ou de sociétés multinationales cotées en bourse, voire même de holdings belges propriétaires de groupes étrangers. - Les activités peuvent être regroupées en trois catégories: les mandats de commissaire aux comptes, statuaires ou consolidés, les missions légales effectuées conformément aux dispositions du Code des sociétés et, enfin, d’autres missions contractuelles (évaluations, audits d’acquisition, évaluation des systèmes de contrôle interne, expertises, consultance, conseils fiscaux, fusions et acquisitions, contrôle de comptabilité, certifications diverses, etc.) - Les secteurs d’activité: du génie civil au textile en passant par l’immobilier, l’hôtellerie, l’agroalimentaire, les biotechnologies, l’IT, le luxe, les fonds de pension, des sociétés d’intérêt public, etc.

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DOSSIER

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« Madame,le risque, «

c’est vous!

Cela sonne comme un constat, voire comme un compliment. Pas comme un reproche. Patricia Vancraenbroeck sait tout de son entreprise. Elle en est la mémoire. En matière d’analyse de risque, la Financial Manager de Dentsu Brussels Group est donc perçue en interne comme irremplaçable…

P

atricia Vancraenbroeck ne s’est jamais vrai-

1984. » Et que dire alors lorsqu’elle était sur les bancs de l’Eco-

ment émue de la question de la présence des

le de Commerce Solvay. « A l’époque, seules dix jeunes femmes

femmes dans les hautes fonctions financières,

étaient inscrites en première candi, sur un total de 180 étu-

mais elle le concède: « On est plus que proba-

diants! Ceci dit, sur les dix, huit étaient toujours ensemble pour

blement moins nombreuses que les hommes, mais nous avons

recevoir leur diplôme sur un total de 57 diplômés. En termes de

certainement beaucoup moins de visibilité qu’eux à l’extérieur.

proportion, on pouvait difficilement nous égaler… »

Toutefois, c’était bien pire lorsque j’ai pris mes fonctions en

Aujourd’hui, le fils de Patricia Vancraenbroeck marche sur les

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traces de sa maman. « Lui et un de ses cousins sont aussi inscrits à Solvay et il n’y a pas photo: la tendance s’est plus que fortement inversée. C’est du cinquante /cinquante, soit 300 jeunes filles et 300 garçons sur un total de 600 étudiants. Et mon impression est que depuis une dizaine d’années, le mouvement ne fait que s’accélérer. » Cela devrait, à terme et en toute logique, se répercuter sur les recrutements et les entrées en fonction, puis logiquement remonter vers le haut, mais pour arriver jusqu’aux positions de haut management, cela devrait prendre le temps que prend une carrière. « C’est vrai que cela va prendre du temps. Si je regarde autour de

« J’ai l’intuition que les femmes ont l’esprit comptable, sont plus structurées, plus consciencieuses peut-être aussi. »

moi lorsque je participe à des séminaires de l’Ordre des experts-

mon esprit de raisonnement dans les matières légales et fis-

comptables ou des réviseurs d’entreprises, c’est mieux qu’à mes

cales. Il le fallait car les premiers mois n’ont pas été de tout

débuts. Mais les équilibres ne sont pas encore ceux que l’on en-

repos, j’ai dû directement plonger dans les chiffres car la société

registre au niveau des inscriptions universitaires: dans ce type

avait un calendrier: audit fiscal, purchasing, audit financier,

d’assemblées, je côtoie régulièrement un petit tiers de femmes

audit legal. Bref: la totale! Je peux vous assurer que comme

pour deux tiers d’hommes… sans connaître d’ailleurs la forma-

entrée en matière, le menu était copieux! »

tion de chacun. » Autre point de repère: l’association de femmes universitaires dont elle fait partie: elle n’y retrouve pas

EQUIPE TRÈS FÉMININE

beaucoup de directrices financières…

Plongée dans le bain de cette manière-là, Patricia Vancraenbroeck

FORME DE FLEXIBILITÉ

a probablement aussi gagné du temps. Pour pouvoir répondre aux auditeurs, elle a dû connaître tout de la société en un strict

La fonction qu’elle occupe aujourd’hui au sein de Dentsu Brus-

minimum de temps. Son avantage: venir de l’audit, elle connais-

sels Group, Patricia Vancraenbroeck y est arrivée par l’audit et

sait donc les attentes, les méthodes et elle a pu anticiper. « Il faut

cinq années passées chez Arthur Andersen. C’est comme cela

dire que j’avais été à bonne école: la formation reçue chez Arthur

qu’elle entre en contact avec le groupe qu’elle n’a plus quitté

Andersen était de grande qualité. Moins théorique qu’à l’université,

depuis. Son job de Financial Manager, elle le voit comme « une

mais organisée au travers de séminaires, de pratique de terrain.

fonction aux multiples responsabilités: budget, résultats, ges-

Bref: de quoi développer ses facultés d’adaptation. »

tion de cash, investissements et bien d’autres classiques de la

Et, des facultés d’adaptation, elle en a eu bien besoin au cours de

fonction. L’avantage que j’ai par rapport à d’autres femmes de

ces vingt-deux dernières années. « Nous avons changé quatre-cinq

la société, c’est que rien ne m’empêche, à un moment donné, de

fois d’actionnaires, passant, en cascade, de mains américaines à des

reprendre mon ordinateur portable à la maison et d’y travailler.

franco-américaines, puis françaises, pour finalement intégrer un

Si je pense aux commerciales ou aux personnes en charge du

géant mondial basé au Japon, Dentsu. A chaque fois, je me suis bien

marketing, c’est un plus, clairement. La société ne s’arrête pas

évidemment retrouvée au cœur même, au centre névralgique de la

de tourner et mon équipe est peu influencée par cette forme de

société dont je dois être une des ‘mémoires’. »

flexibilité. Mais cet avantage est lié au contenu de la fonction,

Son équipe comptable est très féminine, le fruit du hasard selon

pas au fait que je suis une femme. Un homme pourrait tout

elle, car il n’y a eu aucune intention de départ. Elle chapeaute

aussi bien en tirer les mêmes avantages. Tout ceci pour dire

une directrice des ressources humaines et deux comptables.

qu’une femme à la direction financière, c’est finalement peut-

Seul le chef-comptable fait exception. La principale difficulté

être plus facile qu’à d’autres postes de direction. »

pour la constitution de l’équipe: « avoir trouvé une bonne comp-

L’image véhiculée par la fonction est pleine de stéréotypes et ce

table anglophone, quelque chose d’essentiel au vu de nos acti-

n’est pas nouveau. « Au moment de démarrer mes études, puis de

vités qui dépassent les frontières et de notre position au niveau

faire mes débuts dans la vie professionnelle active, la fonction n’était

européen pour le groupe. Une comptable et pas un comptable,

clairement pas connotée ‘femme’. Pourtant, on nous reconnaît des

car j’ai l’intuition que les femmes ont l’esprit comptable, sont plus

qualités d’organisation, de structure: c’est donc une fonction qui

structurées que les hommes, plus consciencieuses peut-être aussi.

nous convient particulièrement bien. » Voilà probablement ce qui

Mais il faut relativiser: c’est une femme qui le dit, parce que c’est ce

l’a décidé à choisir, à l’époque, la filière de formation financière

qu’elle vit et constate au quotidien dans sa réalité professionnelle.

plutôt que l’option marketing.

Est-ce pour autant objectif? »

Une fois le diplôme en poche, la ligne est tracée. Pour Patricia Vancraenbroeck, ce sera donc d’abord l’audit: « Pour voir tous

BEAUCOUP D’AUTONOMIE

les types de sociétés: dans l’industrie, les services,… Jusqu’au

Patricia Vancraenbroeck et son équipe ont aussi dû s’adapter à

jour où l’opportunité s’est présentée de rejoindre l’équipe ici.

des exigences différentes et à des niveaux d’exigence différents

J’y suis depuis 22 ans, et nous avons connu pas mal de chan-

en fonction des actionnaires successifs. « Une charge de travail,

gements. Je sais maintenant avoir été retenue à l’époque pour

oui, mais aussi autant de défis nouveaux: stimulants sur le plan FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°09 - JUILLET 2007

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DOSSIER

sont méchamment raccourcies, mais par étapes: onze jours, puis

« Travailler pour et avec des Japonais est vraiment une expérience à partager avec d’autres managers. »

dix, puis neuf… pour en arriver aujourd’hui à huit. Huit jours pour, en fait, transmettre nos chiffres en Angleterre. C’est là que s’opère la consolidation européenne avant l’envoi au Japon. Les points-clés qui nous sont demandés: détail des résultats, rentabilité par clients – répartie entre clients japonais et non-japonais –, cash-flow et détail des lignes de crédit. On réalise donc une clôture mensuelle et ce n’est pas exagérément lourd. » C’est le siège qui a voulu cette organisation, avec l’envoi de deux personnes à Londres. Ils y récoltent les chiffres de toutes les agences locales, mais ils n’occupent pas pour autant la position de CFO euro-

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intellectuel et professionnel. Lorsque nous étions sous bannière

péens. « Ils ne gèrent pas de société, ils consolident. »

américaine, le reporting était lourd. Rien d’étonnant à cela puisque

Ceci dit, Patricia Vancraenbroeck n’a jamais eu autant d’auto-

la société mère était cotée à la Bourse de New-York. En termes de

nomie que depuis le dernier changement d’actionnaire. « Tra-

contraintes de temps, cela signifiait qu’il fallait que les chiffres re-

vailler pour et avec des Japonais est vraiment une expérience

montent jusqu’au siège central dans les dix-douze jours ouvrables.

à partager avec d’autres managers. Ce qui est clair, c’est qu’ils

Avec les Français, on est passé à une récolte des chiffres plus ciblée:

ont du mal à se faire à la culture européenne et ils nous lais-

de douze pages, nos rapports n’en ont plus fait que trois. Et tout

sent donc beaucoup d’autonomie. Ils respectent beaucoup no-

devait être disponible pour le 20 du mois. »

tre travail et il y a donc peu d’ingérence. Ils posent beaucoup

Avec les actuels actionnaires japonais, qui ont racheté en 1992,

de questions, prioritairement sur les clients japonais plutôt que

il y a quinze ans, nouveau coup de balancier pour les mêmes rai-

sur les autres, car ils veulent absolument être en phase avec

sons: une cotation en bourse, à celle de Tokyo cette fois. Consé-

leurs clients ‘historiques’. Au moment de cadrer le reporting, on

quence: « Les choses se sont vite structurées et les deadlines se

s’est donc mis d’accord ensemble sur les besoins et attentes. »

VITESSE PHÉNOMÉNALE Patricia Vancraenbroeck ne le dira pas, mais la réputation de Bruxelles ne serait plus à faire chez Dentsu. Le maître mot serait « avec les Belges, jamais de problème! » Quand on sait que le groupe a aussi des implantations dans d’autres pays européens, on peut s’imaginer que tous ne marchent pas à la baguette et que le délai de huit jours pour faire remonter les infos financières ne doit pas convenir à tout le monde. Pour un ou une CFO, travailler dans le monde de la publicité est un défi permanent. Les clients fonctionnent sur des contrats d’une à plusieurs années. Il faut donc tout dimensionner en fonction des évolutions du portefeuille clients et faire les ajustements nécessaires. Et puis, il faut aussi suivre le marché, qui évolue à une vitesse phénoménale, notamment sur le plan technologique. « On ne crée pas comme cela, en deux coups de cuillère à pot, un département animation. Pour valider les investissements, il faut donc que je connaisse bien le marché et ses attentes et que je suive aussi les nouveaux développements, les nouveaux outils. Rien qu’en nouvelles technologies, nous sommes en train d’investir un petit 400.000 euros! Après réflexion, il est vite apparu qu’une seule voie s’imposait pour le financement: le leasing! L’informatique évolue trop vite, les capacités de calcul des machines aussi. Autant de raisons qui nous poussent à ne pas investir là en fonds propres. »

Patricia Vancraenbroeck: « Je dois tempérer parfois l’enthousiasme des commerciaux et des créatifs. Mon approche est analytique, par client, par projet, par campagne, avec un suivi du temps pour rester en contrôle. »

IMMERSION COMPLÈTE Autre approche, peut-être à contre-courant, en matière de parc automobile. Sans option d’achat, le leasing auto ne serait pas une bonne solution! C’est en tout cas la conclusion à laquelle est arrivée Patricia Vancraenbroeck au terme d’une

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analyse financière serrée. « On finance l’achat de la voiture, mais le coût mensuel est quasiment identique à la mensualité du leasing. La différence, c’est qu’à la fin des quatre ans, on reste propriétaire de la voiture, qu’on s’empresse de conserver une cinquième année. Et puis, on la revend, ce qui nous permet d’en retirer, en fonction des modèles, de 4.500 à 13.000 euros. C’est ce qui représente mon profit. Un bénéfice que je ne retrouve pas dans le leasing. En IT, par contre, on ne doit pas s’occuper de ce que devient notre équipement à l’échéance du

« Dans toute entreprise, on considère que s’il y a bien un service qui assure une sorte de permanence, c’est bien la comptabilité. »

contrat. Et heureusement, quand on sait à quelle vitesse tout cela se déprécie. » La souplesse, la société la cherche aussi sur le plan immobilier. « C’est logique car comme je l’ai déjà expliqué, nos effectifs jouent à l’accordéon en fonction des contrats signés avec des clients. La formule la plus souple est la location, car elle nous permet éventuellement de déménager. Ceci dit, le fait qu’on soit ici depuis une dizaine d’années est plutôt bon signe. Et même si on engage pour le moment parce que nous avons remporté deux-trois compétitions entre agences, notre surface nous permet d’absorber cet afflux de nouveaux talents. » La charge salariale est le nerf de la guerre, car elle représente ici 65 % de la marge brute. Et la société est une agence paneuropéenne, ce qui est synonyme de budgets très importants. « Mais qui dit gros budgets, dit aussi clients fidèles. » Tout se joue au moment de l’offre car il ne faut pas se tromper. « Je dois tempérer parfois l’enthousiasme des commerciaux et des créatifs, mais comme je suis en immersion complète dans le secteur, je peux les orienter de manière crédible sur leurs estimations. Mon approche est analytique, par client, par projet, par campagne, avec un suivi du temps pour rester en contrôle. Nous avons même mis en place une série de signaux d’alerte pour recadrer les choses bien à temps. Et tout le monde est impliqué: tout le département comptable bien évidemment, dont le chef-comptable fait de la gestion, du contrôle de gestion même. Mais les commerciaux sont les premiers à être responsabilisés. » Pour le suivi en « routine »: une réunion financière par mois et une réunion budgétaire

pour nos deux sociétés et nos quatre centres de profit. Notre manuel de procédure n’est pas aussi lourd que pour les 6.000 personnes, mais ce n’est pas rien non plus. C’est plus un défi d’organisation et de procédure que de finance. » Patricia Vancraenbroeck s’en voudrait de ne pas aborder tout l’aspect administratif de la fonction de CFO. Une dimension qui est parfois occultée, bien involontairement. « Mais qui s’occupe de la gestion quotidienne du bâtiment, sinon mon équipe? Le facility management, c’est chez moi. La raison en est fort simple: dans toute entreprise, on considère que s’il y a bien un service qui assure une sorte de permanence, c’est bien la comptabilité. La compta est toujours là! » A l’autre bout du monde, son homologue japonais doit vivre une toute autre réalité. Et peut-être se dire qu’il est bien difficile de comprendre ces Belges-là. Sur cette manière de fonctionner et sur d’autres, dont la plus emblématique doit être la fiscalité. « Au Japon, ils n’ont aucune expérience fiscale: ils paient 17% et c’est tout. Ils n’ont donc pas cette approche que peuvent avoir les Américains ou les Européens. Et que dire alors des Belges dont les dispositifs fiscaux sont d’une complexité à toute épreuve. Je rencontre parfois des difficultés pour sensibiliser aux mécanismes qui permettent de substantielles économies, sur les droits d’enregistrement par exemple. Parfois, ils n’en veulent tout simplement pas. » Sur un dossier récent, le montant à économiser était pourtant assez rondelet: 1,7 million d’euros…

par trimestre.

DÉFI D’ORGANISATION L’agence belge s’apprête à devoir modifier ses batteries en

Dentsu Brussels Group est basé à Ixelles. Agence paneuro-

matière d’analyse de risque. Et Patricia Vancraenbroeck de

péenne, elle est organisée en quatre entités:

préciser: « On va devoir beaucoup documenter, le ‘compliance

* Dentsu Brussels

digest’ est exigeant. Tout a été dimensionné pour une société

* Dentsu Production Concepts

de 6.000 personnes et, ici, nous ne sommes que 45 avec une filiale qui occupe 35 personnes et quelques freelances. Quand vous voyez que le groupe s’est organisé en cinq départements et bénéficie d’auditeurs internes, vous pouvez imaginer l’ef-

* Dentsu Live * Dentsu Digital Créée en 1961, elle a enregistré en 2006 un revenu brut de

fort que nous avons dû faire pour satisfaire au même niveau

7.835.060 € sur un chiffre d’affaires de 19.436.181 €. Avec

d’exigence! »

une septantaine de collaborateurs, elle gère un portefeuille

Les réunions financières ne faisaient pas l’objet de procès-

clients actifs dans le non food, le food, les services et les

verbaux, c’est devenu le cas. Idem pour les procédures de

équipements industriels.

contrôle. « On est quatre dans l’équipe, on doit faire cela

FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°09 - JUILLET 2007

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DOSSIER

« Nos trains font du 300 à l’heure.

Les finances aussi!

Une chose est certaine: ce n’est pas chez Thalys International qu’il faut chercher une victime du plafond de verre dans les hautes fonctions financières. En janvier 2005, Ingrid Nuelant, 31 ans, accédait à la direction financière de la société. Deux ans plus tard, elle vient d’ajouter à sa casquette de CFO celle de Deputy CEO. C’était il y a quelques jours, le 1er juillet…

L

«

10

e monde du transport, souvent connoté au mas-

au cours de ses études universitaires. Au point d’y laisser un bon

culin. Et pourtant: Ingrid Nuelant y réalise le par-

souvenir, puisqu’on est venu lui suggérer de postuler.

cours parfait. Néerlandophone, mais excellente

C’est là que se dessine la carrière qu’elle embrasse pour le mo-

trilingue, évoluant dans un environnement fran-

ment: d’abord conseiller au service Stratégie & Développement,

cophone et entourée de partenaires internationaux, cette licen-

puis conseiller à la division Contrôle de Gestion de la Direction

ciée en Sciences commerciales de l’EHSAL à Bruxelles a débuté

Finance, elle entre alors en contact avec le réseau à grande vi-

sa carrière chez NRG Services-Nashuatec, avant de passer chez

tesse. Eurostar, ICE, TGV et Thalys deviennent son quotidien. Dé-

Prodeli-Profi en tant que Business Analyst. En 2001, elle décide

tachée pour prendre en charge la direction financière de Thalys

de rejoindre la SNCB. Un retour aux sources, puisque c’est au

International, elle assiste au développement de l’entreprise, du

sein de cette entreprise publique qu’elle avait effectué un stage

réseau, des produits. Aujourd’hui, Thalys, c’est déjà plus de 55

FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°09 - JUILLET 2007


millions de voyageurs transportés entre Paris, Bruxelles, Amsterdam et Cologne. Et ce n’est pas fini: en 2008, Thalys devrait vous emmener en environ 1 heure 30 de Bruxelles à Amsterdam et de Bruxelles à Cologne et en environ 3 heures de Paris à Amsterdam et de Paris à Cologne.

PRODUIT DYNAMIQUE Un rêve, le monde du transport, une passion pour les trains? Pas vraiment, selon Ingrid Nuelant. Mais ce qu’elle a bien trouvé chez

« En tant que Belge et dans un partenariat avec de grands pays, notre réputation en matière de recherche de compromis est un atout. »

Thalys, ce sont différents aspects qui font partie de son rêve: un contexte international et, ce qui a toujours eu sa préférence, les chiffres. Une préférence stimulée dès son parcours scolaire: l’op-

nal. L’accent est mis sur la rentabilité, donc sur les finances. Nous

tion scientifique A, c’est tout de même neuf heures de math.

sommes là en support des autres services. »

« J’avais ce feeling pour les chiffres et il n’a fait que se renforcer. On

Tout projet est important, car il nécessite un calcul très fin de

m’a appris à aller au fond du sujet et à voir ce qu’il y avait derrière les

retour sur investissement. « On est donc très proches de l’exploi-

chiffres et à bien analyser. » Cela n’empêche pas Ingrid Nuelant de

tation et on doit en connaître et en comprendre toutes les ar-

se voir à un moment en diplomate: « Habiter à l’étranger, essayer

canes, tous les enjeux. Ceci dit, cette vison très large est partagée

de travailler pour les Nations Unies, bref revenir sur les pas d’une vi-

par pratiquement tout le monde, ici à Bruxelles, car c’est le cœur

site qui m’avait marquée, au siège des Nations Unies à New-York. »

du management du produit. » Avec une équipe d’une petite

Mais l’international et les chiffres auront raison de ses ambitions

centaine de personnes, on y génère un chiffre d’affaires supé-

diplomatiques. L’image qu’elle se fait de Thalys et qui l’attire: un

rieur à 360 millions d’euros, en touchant aussi bien aux sillons

produit dynamique. Mais, au départ, son spectre est plus large, puisqu’elle fonctionne d’abord, au sein de la SNCB, en tant que chef de projet sur la plupart des projets ‘train à grande vitesse’ comme Jupiter pour Eurostar. Elle y étudie les projets de nouvelles lignes et de nouveaux trains. « C’est la base de ma carrière: j’y ai rencontré énormément de gens. Je me suis intégrée dans un réseau et j’ai accumulé beaucoup d’expérience sur des matières et des projets de pointe. Ce qui m’a ouvert les portes d’une opportunité, en marge de la SNCB: la responsabilité financière de Thalys. J’y fonctionne

Thalys en chiffres: - Un trafic global en hausse de 6,5% en 2006, l’année de son dixième anniversaire. Soit… plus de 6,5 millions de voyageurs: la meilleure croissance en trafic depuis 1999, date à laquelle le ré-

aujourd’hui en détachement de la compagnie nationale. »

seau Thalys a fini de se déployer.

Dans ses bureaux bruxellois, on se retrouve au cœur de Thalys.

- Un chiffre d’affaires de 363 millions d’euros en 2006, ce

C’est là que s’opère le management de l’ensemble de la structure

qui représente une croissance de 21% en 3 ans.

internationale qui œuvre derrière le produit Thalys. On y croise des

- La progression du chiffre d’affaires en Belgique montre

personnes détachées par les sociétés de chemin de fer nationales,

un taux de croissance tout à fait comparable pour les

mais de plus en plus – elles sont d’ailleurs devenus une majorité –

voyages vers les trois destinations Thalys: +9,4% pour

des personnes engagées contractuellement, en direct par Thalys International. L’avantage de cette structure: elle est jeune. « C’est d’autant plus motivant que le produit est de haute technologie et que le contexte est très international. En tant que belge et dans un

Paris, +10% pour Amsterdam et +9,8% pour Cologne. - Décembre 2006 a vu la diminution du temps de parcours à 1h22 du trajet entre Paris et Bruxelles. La ligne

partenariat avec de grands pays, notre réputation en matière de re-

Bruxelles-Paris continue d’ailleurs à squatter la première

cherche de compromis est un atout. » Mais il n’y a pas que la socié-

place: elle représente 51,3% du chiffre d’affaires.

té qui est jeune: la moyenne d’âge du personnel est extrêmement

- Les lignes reliant Paris aux Pays-Bas et Paris à l’Allema-

basse, puisqu’elle se situe autour des 35 ans.

gne représentent, pour leur part, respectivement 20% et

VISION COMPLÈTE Autre dimension de sa fonction: son rôle de coordination entre les quatre réseaux nationaux, où clairement elle ne représente pas les intérêts de la SNCB, mais ceux de la société. « On attend de moi de l’objectivité, de la neutralité. Je dois faire passer l’idée que

11, 5% du chiffre d’affaires. Quant à la dorsale wallonne, elle a enregistré une progression de 12,1% de son chiffre d’affaires en 2006. - Moyen de locomotion privilégié par les businessmen, Thalys a atteint en 2006 un taux record de ponctualité

l’intérêt de Thalys, c’est celui des réseaux des pays partenaires.

de 95% sur la ligne Bruxelles-Paris (retards inférieurs à 15

Avec mon équipe de la Direction Administration et Finances,

minutes – norme internationale).

nous sommes de plus en plus au cœur des grands enjeux, dont celui, majeur, de la libéralisation du trafic ferroviaire internatioFINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°09 - JUILLET 2007

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DOSSIER

(les slots horaires) qu’aux programmes « frequent travellers ».

tuelle comme base, l’intérêt du management control est de donner

Une vision complète qui motive le personnel. Ingrid Nuelant ne

une vision future, sur base de business cases. C’est ce que je retrouve

fait bien évidemment pas exception. « Cela donne à la fonction de

aujourd’hui dans ma fonction. Et le fait d’être impliquée dans la

CFO un rôle différent de celui que j’aurais dans une grosse boîte car,

stratégie est une superbe opportunité. Imaginez: on détermine au-

ici, je suis pratiquement associée à toutes les décisions qui touchent

jourd’hui, en fonction de toute une série de paramètres et de notre

l’entreprise. C’est le cas encore aujourd’hui, où nous planchons déjà

analyse, le futur succès du produit et de la société… ».

sur la stratégie 2010: notamment à travers des études de rentabi-

Dimension plus pratique, bien évidemment: l’information des

lité par rapport au choix des horaires. Or, 2010 sera un moment clé

actionnaires. Au niveau comptabilité, le reporting qui était des-

pour les chemins de fer au niveau du trafic voyageur international.

tiné jusqu’ici aux seuls deux actionnaires, la SNCB et la SNCF, est

On se prépare à cela et l’aspect rentabilité n’en deviendra que tou-

aujourd’hui élargi depuis peu à la Deutsche Bahn. « Un reporting

jours plus important. »

très précis, sur base de la comptabilité belge, puisque la société, une SCRL, est belge. La demande est claire: présenter un reporting glo-

12

TOUT CONCILIER

bal, accompagné de demandes très spécifiques de chaque réseau.

Un défi financier, commercial, mais aussi technique. Une matière

Par exemple, les Néerlandais demandent une analyse très fouillée

qui ne rebute pas cette jeune femme décidée. Il faut dire qu’elle

de leur axe Paris-Amsterdam. Car cela influence leurs propres comp-

n’a jamais ressenti un traitement différencié du fait qu’elle était

tes. Et puis, de manière plus large, vous imaginez bien que lorsque

une femme dans un environnement traditionnellement très

nous évaluons un retour sur investissement sur la mise en place

masculin. C’était le cas à la SNCB, ce ne l’est d’ailleurs pas du tout

d’un programme ‘frequent traveller’, cela intéresse tout le monde,

chez Thalys International, où les femmes sont majoritaires par

car c’est bon pour tous les partenaires. »

rapport aux hommes.

En matière d’investissements et de mises aux normes techni-

Ceci dit, en tant que femme et autant en tant que jeune, elle s’est

ques, les dossiers à préparer sont beaucoup plus lourds. Comme

sentie testée. « A la SNCB, je peux très bien imaginer qu’au début,

l’international n’est pas le premier cœur de métier de certaines

certains faisaient preuve de scepticisme mais, finalement, je crois

des compagnies voisines gigantesques, certains processus de dé-

qu’on finit par s’imposer naturellement si les résultats suivent,

cision sont parfois un peu plus longs: il y a davantage de procé-

homme ou femme, jeune ou vieux. Et là, je ne vous cache pas que

dures codifiées, comme le fait qu’en matière d’investissement il

j’y ai travaillé durement! » Ingrid Nuelant ne nie pas que cela a un

est nécessaire de passer par le board de chaque compagnie. « Cela

impact non négligeable sur la vie privée.

exige un gros travail de préparation, un reporting très pointu car les

« Le fait d’être célibataire m’a permis de m’investir totalement, ce

exigences sont parfois différentes. La SNCF et la Deutsche Bahn, par

qui n’aurait pas été possible dans de telles proportions si j’avais eu

exemple, ont mis en place des boards spécifiques pour tout ce qui

une famille. Je ne m’étonne donc pas de voir peu de femmes à de

touche aux investissements, au-delà d’un certain seuil. »

hautes fonctions financières. Leurs compétences ne sont pas remi-

Ce mode de fonctionnement est souvent qualifié autant de diffi-

ses en cause, mais ce type de fonction exige un tel niveau d’impli-

culté que de challenge, mais c’est la raison d’être de Thalys Inter-

cation et de disponibilité que ce n‘est pas facile de tout concilier. »

national. Une situation qui est un atout en matière d’autonomie.

D’autant plus que vu le caractère multinational de la société, elle

Nous sommes au service du réseau et notre rôle de coordination a

voit son agenda balisé de réunions, autant à Bruxelles qu’au siège

de réelles plus-values, notamment lorsqu’un travail de recherche

des compagnies partenaires.

est mené ici, on fait gagner du temps, de l’énergie et donc de l’ar-

La passion des chiffres avait, au départ, orienté Ingrid Nuelant

gent à l’ensemble des structures.

vers le contrôle de gestion. C’était même son dada, car cette position permet, au départ des chiffres, d’avoir la vision du business dans sa totalité. « Avec la comptabilité qui donne la situation ac-

La Deutsche Bahn est depuis un mois actionnaire de Thalys International A l’issue de l’Assemblée Générale Extraordinaire du vendredi 15 juin 2007, la Deutsche Bahn AG est devenue, à hauteur de 10%, nouvel actionnaire de Thalys International SCRL (société de droit belge en charge des services Thalys). Le reste du capital social de Thalys International (dont le montant n’a pas été modifié à cette occasion) est réparti entre la SNCB (28%) et la SNCF (62%). Thalys a été lancé en 1996 grâce à la coopération entre la SNCF (France), la SNCB (Belgique), la DB AG (Allemagne) et les NS (Pays-Bas). En décembre 2007, Thalys fêtera les dix ans de la relation Paris – Aachen – Köln, sur laquelle plus de cinq millions de voyageurs ont déjà été transportés.

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