EN PRATIQUE
SOMMAIRE
N°25 MARS 2009
Dossier
La création de valeur Au cours des derniers mois, le marché s’est résolument tourné vers l’émotionnel. Dans un tel contexte, les sociétés dont la tête reste hors de l’eau sont celles qui s’attachent à créer de la valeur. Et ce n’est certainement pas un hasard. Notre dossier fait le point sur le « Value Based Management ».
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
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FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION DE VALEUR TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
2009, l’année de la mise au point 2
Au cours des derniers mois, le marché s’est résolument tourné vers l’émotionnel. Dans un tel contexte, les sociétés dont la tête reste hors de l’eau sont celles qui s’attachent à créer de la valeur pour leurs actionnaires, notamment en termes de rémunération des actionnaires, de politique de dividende ou de rachat d’actions. Pour Frédéric Liefferinckx, responsable du département d’analyse financière chez Leleux Associated Brokers, société de conseil en investissement et gestion de portefeuille, il ne s’agit certainement pas d’un hasard. Entretien.
La « création de valeur pour l’actionnaire » correspond à la valeur que l’entreprise gagne au-delà du coût du capital investi. Mais est-ce uniquement cela? Frédéric Liefferinckx: « La création de valeur ne s’articule pas seulement autour de l’ingénierie financière et des processus d’optimisation des comptes. Si l’argent et sa gestion restent le centre nerveux d’une entreprise, la création de valeur est une philosophie de long terme qui étend son empreinte à tous les niveaux de l’entreprise. Qu’ils soient stratégiques, opérationnels, comptables, boursiers, humains ou encore
« L’incertitude inquiète et paralyse plus que tout le marché. La communication n’a jamais eu autant d’importance qu’à présent. »
environnementaux. » Quels leviers peut-on actionner pour créer de la valeur? Qu’entend-on exactement par Value Based Management?
Frédéric Liefferinckx: « Ils sont nombreux. Du point de vue
Frédéric Liefferinckx: « La Gestion Basée sur la Valeur vise à
des affaires courantes, les opérateurs boursiers se plaisent
gérer l’entreprise en se focalisant sur la valeur créée – maxi-
à voir des ventes en progression et sans à-coups. Le point
malisation de la valeur pour l’actionnaire. Créer de la valeur
clé consiste à éviter la trop forte dépendance des recettes
dépend des choix stratégiques de l’entreprise, de la capacité
à certaines ‘business units’ ou les surexpositions à certains
des décideurs à gérer la valeur au travers de la communica-
marchés géographiques. La trop forte cyclicité des recettes
tion, de la culture d’entreprise, de la gestion du changement…
d’une année à l’autre n’est pas spécialement appréciée par
mais surtout à la mesurer. Pour l’évaluer, les décideurs dispo-
la communauté financière. Le travail doit s’effectuer aussi
sent de mesures de valeurs ajoutée économiques et de me-
sur le plan du bénéfice opérationnel avant amortissements
sures de performance. Le tout fédéré au sein d’un tableau de
(Ebitda) et la marge Ebitda qui sont des éléments prépon-
bord (scorecard) adapté à chaque niveau de responsabilité
dérants fortement scrutés par les analystes financiers. Les
au sein de l’organisation. »
éléments non récurrents ne constituent pas, a priori, un mo-
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tif de sanction inévitable. A condition qu’ils respectent cette non-récurrence, bien entendu. Même s’il ne s’agit pas de la meilleure mesure de valeur créée par une entreprise, beaucoup d’intervenants utilisent les ratios Cours/Bénéfices (Price Earnings Ratio). De ce fait, la dernière ligne du compte de résultat revêt toute son importance. D’autre part, une entreprise gagne souvent plus que son bénéfice net. Les cash flow (bénéfice net plus charges non décaissées) restent le garant de la rémunération aux actionnaires et la garantie du paiement de la charge de la dette quand elle existe. Par ailleurs, une grande attention doit être portée à ces flux de trésorerie et ils doivent être optimisés – rythme d’amortissement et décision d’investissement – pour faire montre de stabilité et de croissance. D’un point de vue comptable cette fois, il existe un mix optimal de capitaux propres et d’endettement financier qui permet de minimiser le coût moyen pondéré du capital (WACC). Enfin, au niveau de la bourse, la politique de création de valeur trouve toute sa puissance lorsque l’entreprise paie des dividendes stables et en augmentation, avec un taux de distribution raisonnable et qui laisse augurer une belle marge de rémunération pour le futur. Le rachat d’actions propres ou la réduction de capital sont généralement bien interprétés. Il en va de même pour le refinancement de
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dettes à des conditions moins prohibitives. » Comment comprendre, à tous les niveaux de l’entreprise, les principes de création de valeur et l’importance de ces concepts dans la gestion de l’entreprise? Frédéric Liefferinckx: « Le maître mot réside dans la communication, adaptée pour chaque niveau de l’entreprise. L’ensemble des intervenants doit être sensibilisé à la réalité de l’entreprise, ses métiers, ses recettes, ses coûts et les profits dégagés. Le processus de responsabilisation par la communication a des vertus fédératrices dans la recherche de valeur, non seulement pour les actionnaires, mais aussi pour l’ensemble des salariés. Les tableaux de bords doivent être adaptés pour chaque département, en fonction des objectifs assi-
Frédéric Liefferinckx: « Les décideurs devraient persévérer sous le régime de la création de valeur. Mais avec quelques nuances dans leur manière d’agir car on peut tirer de grands enseignements de la crise. »
gnés. Les critères de mesures doivent être définis, compris et aisés à établir. En ce qui concerne la valeur créée proprement dite, elle ne se révèle pas évidente à circonscrire: l’évolution
moins chère qu’une augmentation de capital qui a souvent
des cours boursiers constitue une mesure émotive, plutôt
pour corollaire un effet de dilution sur le cours de bourse.
que rationnelle. La valeur devrait d’ailleurs davantage se me-
Le mix doit être optimisé par calcul itératif afin de trouver
surer en termes d’évolution de l’actif net pour l’actionnaire,
le parfait équilibre entre un WACC (coût moyen pondéré du
des cash flow générés et des rémunérations octroyées sous forme de dividende, de rachat d’action ou de réduction de capital, ce qu’on appelle aussi la valeur économique. Créer de la valeur en bourse reste intimement lié à une optimisation du coût des ressources en moyens financiers (capital ou dettes financières). Le coût du capital est employé comme facteur d’actualisation dans les modèles de valorisations. Plus il se révèle faible, plus la valorisation monte. La dette s’accompagne d’un coût financier, il est vrai, mais ce coût reste traditionnellement inférieur aux taux de rendement attendus par les actionnaires. En d’autres termes, la dette est
« La politique de rémunération des actionnaires doit s’envisager de manière plus anticipative, afin d’éviter les mouvements erratiques. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION DE VALEUR
capital) abaissé et une charge de dette qui ne ‘mange’ pas la rentabilité opérationnelle. » Faut-il différencier la valeur financière d’une entreprise et ses aspects non financiers? Frédéric Liefferinckx: « Le marché peut donner à certaines entreprises une prime de valorisation au-delà de la valeur normale théorique déterminée par l’actualisation des cash flow futurs. Il s’agit souvent d’une prime de ‘leadership’. C’est le cas pour des entreprises qui possèdent un avantage
« Nombre de CFO ont fortement optimisé – parfois même un peu trop – leur coût du capital par le biais de la dette. »
compétitif durable – en termes de produits ou de service ou de marché géographique –, des acteurs bien implantés
antérieures. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Ne faudrait-il
dans un secteur où le ticket d’entrée serait rédhibitoire pour
pas revenir à un lissage de sa politique de dividendes? Nous
les nouveaux entrants, ou encore des entreprises appelées
vivons aujourd’hui un autre paradigme: pour qu’elles sortent
‘perles fondamentales’ qui font preuve, dans un marché de
plus fortes de la crise, les actionnaires s’attendent plutôt à
niche, d’un bilan sans ombres et d’une activité opération-
ce que les sociétés suspendent la distribution de dividendes
nelle lisible et en croissance régulière. »
pour pouvoir investir cette manne financière dans leur structure financière, dans leurs fonds de roulement ou dans
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Pourquoi une action comme celle de Fortis était considé-
l’innovation. Au-delà des paramètres purement financiers,
rée comme une action de valeur il y a moins d’un an, alors
l’entreprise devrait avoir à cœur de soigner sa communica-
qu’aujourd’hui, elle ne vaut presque plus rien? La notion de
tion aux actionnaires et aux analystes. Il en va de même pour
valeur est-elle à ce point éphémère?
les institutions bancaires. Celles-ci devront faire preuve de
Frédéric Liefferinckx: « Au-delà des événements spectaculaires
plus de transparence, d’une large visibilité sur les activités
qui ont émaillé le segment des banques et des implications
de chacune des branches et, surtout, repenser le processus
dramatiques en termes de cours de bourse, le point essentiel
global de décision d’investissement au niveau de la gestion
pour une bonne compréhension tient à la structure même du
des risques. »
bilan des institutions financières. Le moteur principal d’activité est constitué par les dépôts des épargnants. Or, ces dépôts
Le coup de tabac sera-t-il long?
sont volatils et, dans le pire des cas, ils peuvent se commuer
Frédéric Liefferinckx: « Le cash reste en attente sur le mar-
en ce qu’on appelle le ‘Bank Run’. C’est-à-dire la fuite massive
ché. Et tôt ou tard, le macroéconomique remettra les pen-
et rapide des dépôts. Privée de cette source de financement, la
dules à l’heure. La bourse est un marché émotif qui exagère
banque ne peut plus exercer son métier de manière optimale.
toujours dans un sens ou dans l’autre. Actuellement, nous
De plus, et dans le cas qui nous occupe, les actifs sont passés
sommes probablement trop négatifs. Mais après des dégâts
de tangibles à quasiment intangibles, voire toxiques, voire in-
d’une telle ampleur, il faudra laisser passer une période de
vendables. L’effet ciseaux se révèle ravageur en bourse. »
consolidation relativement longue. Nous pressentons 2009 comme l’année de la mise au point. En termes boursiers,
Comment piloter son entreprise en 2009 dans la tourmente
comme pour les sociétés qui devront en profiter pour repen-
tout en continuant néanmoins à créer de la valeur?
ser leur stratégie, leur positionnement, leurs pratiques et
Frédéric Liefferinckx: « Les décideurs devraient persévérer
leur ingénierie financière. Et 2010-2011 devraient, théori-
sous le régime de la création de valeur. Mais avec quelques
quement, voir la reprise arriver. Même si les stratégies ne
nuances dans leur manière d’agir car on peut tirer de grands
s’élaborent pas en six mois, il n’est jamais trop tard pour
enseignements de la crise. Premièrement, on s’est aperçus
réagir. Les CFO possèdent quelques boutons sur lesquels
que nombre de CFO ont fortement optimisé – parfois même
appuyer pour essayer de redonner rapidement de la valeur
un peu trop – leur coût du capital par le biais de la dette. Et
aux cours de bourse. Je pense principalement à l’incertitude
les charges des dettes qui s’avéraient tout à fait payables
qui inquiète et paralyse plus que tout le marché. La commu-
dans un environnement macroéconomique ‘normal’ com-
nication n’a jamais eu autant d’importance qu’à présent. Si
mencent à peser lourd dans un environnement ‘refroidi’.
les entreprises se cachent, le cours de bourse s’en ressentira.
Il conviendra également de travailler l’opérationnel ainsi
Mais je songe aussi à la structure financière du groupe qui
que de porter la plus grande attention à son exposition sur
pourrait être revue, ainsi qu’à une éventuelle renégociation
certains marchés géographiques et à la dépendance à cer-
des emprunts. Parfois, la différence entre deux sociétés
tains produits. Par ailleurs, la politique de rémunération des
tient simplement à la stabilité du chiffre d’affaires. Donc,
actionnaires, qui fait partie des valeurs économiques créées,
il vaut mieux se montrer sage et créer de la valeur à long
doit s’envisager de manière plus anticipative, afin d’éviter les
terme que d’essayer de prendre immédiatement l’ascenseur
mouvements erratiques. On l’a très bien fait dans les années
et subir la sanction de la bourse peu de temps après. »
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« LA CRÉATION DE VALEUR PASSE PAR LE LONG TERME » Parler de création de valeur revient souvent à prendre en considération des méthodologies dirigées vers le futur. On comprend donc aisément qu’en 2009, la création de valeur est immédiatement confrontée à un problème de taille. Car, avec la crise économique et financière que nous traversons, qui peut encore se risquer à établir un business plan à long terme? En effet, les banques elles-mêmes ignorent totalement combien de mois la crise risque de durer, entraînant dans son sillage un important manque de liquidités pour les organisations. C’est pourquoi Hans Buysse, président de l’Association belge des analystes financiers considère que la seule option réaliste encore à disposition des dirigeants d’entreprises consiste à travailler avec des options réelles, autrement dit, des investissements d’essai. Cela signifie donc que, face à un dossier ou à un investissement, on le considèrera option par option: est-ce que cela vaut la peine sur le plan opérationnel, est-ce qu’une revente est rapidement réalisable en cas de coup dur, etc. Par exemple, avant d’investir dans un pays, on va projeter différents scénarii: que donnerait le même investissement postposé
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d’une année, ou divisé en plusieurs tranches, on essaye de le comparer à un investissement semblable dans un autre pays, on sait qu’il peut se vendre, on cherche des acheteurs potentiels, etc.
LEVIER DE DÉCISION « Il faut vraiment comparer les différentes options, soulignet-il. Et, au lieu de lancer une stratégie pour la croissance, comme la plupart des sociétés le faisaient jadis, on va lancer une
Hans Buysse: « Il ne faut pas croire que la création de valeur se situe uniquement dans la croissance. »
stratégie avec les différentes options et les évaluer une par une, avec différents critères. Actuellement, on observe vrai-
sortir des éléments de création de valeur pour l’actionnaire
ment la plus grande prudence en matière d’investissements.
final. Il faut trouver le bon équilibre entre la croissance de la
Je suis convaincu qu’il s’agit du meilleur moyen pour créer de
société, le maintien de son cash-flow et sa position concur-
la valeur. Car si on pense uniquement à sauver les meubles,
rentielle sur le marché.
on ira droit dans le mur. » Cette théorie des options réelles
Dans une telle conjoncture, la valeur actionnariale reste un
n’est bien entendu pas récente. Mais aujourd’hui, la prati-
levier de décision fondamental. Mais Hans Buysse y voit une
que a largement pris le pas sur les principes, vu les nécessi-
différence sensible entre le grand actionnaire, qui attend un
tés conjoncturelles.
dividende, et le petit actionnaire. « Parfois, une société qui
Dans la situation actuelle, Hans Buysse épingle à regret
veut créer de la valeur à long terme peut se retrouver bloquée
l’attention démesurée accordée uniquement à la survie
par le paiement des dividendes. Est-ce que le petit actionnaire
des sociétés. Ce qui signifie que l’économie se paralyse et
est prêt à abandonner son dividende, sous peine de risquer de
bloque ses investissements. « Je sais que c’est actuellement
voir chuter drastiquement le prix des actions? Jusqu’ici, ce fut
un peu le cas dans l’industrie. Mais je suis persuadé qu’il s’agit
peu souvent le cas. Et les bases du travail à long terme seront
d’un mal plus que d’un bien. On risque davantage de détruire
fragilisées. La communication joue un rôle important dans
la valeur plutôt que continuer à en créer. Bien sûr, l’accès
ces négociations. Il faut informer les gens sur les desseins de
aux lignes de crédit constitue un obstacle majeur. Mais il ne
la société et proposer un plan stratégique transparent. Sur-
faut pas croire que la création de valeur se situe uniquement
tout quand on refuse, par exemple, de ne plus payer les di-
dans la croissance. » En effet, réanalyser les frais généraux,
videndes. Récemment, Fortis fut un très mauvais élève sur ce
les salaires, les volumes, etc., permettent aussi de faire res-
point précis… »
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FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION OPTIMISATION DE VALEUR DES COÛTS TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Fusions et acquisitions: créatrices ou destructrices de valeur? 6
Alors que les fusions ont pour but de créer de la valeur supplémentaire, à l’addition simple de deux sociétés, il arrive que le résultat d’un regroupement n’obtienne pas les résultats escomptés. Quelles sont les raisons de ces succès et de ces échecs? Comment la création de valeur doitelle être abordée dans l’évaluation de l’opération? Quelques réponses, avec Nihat Aktas, professeur de Corporate Finance à l’EMLYON Business School.
O
n en conviendra aisément, l’objectif principale-
plus précisément possible le prix qu’il conviendra de proposer, le
ment poursuivi dans une fusion ou une acquisi-
candidat acquéreur doit élaborer un plan de valorisation, sur base
tion consiste à créer de la valeur supplémentaire.
des synergies qu’il se sent capable de créer.
L’addition de deux sociétés devrait donc dépas-
ser leur somme simple. « Les organisations cherchent avant
ETUDES PARTAGÉES
tout à développer des synergies et/ou des économies d’échelle,
Cette étape est importante. La majorité des candidats acquéreurs
souligne Nihat Aktas. Le résultat de l’addition d’une entreprise et
s’y atèle. Mais, en moyenne, la prime payée tourne toujours entre
d’une autre devrait donc davantage se rapprocher de 3 que de 2.
20% et 40%. Donc, même si les acheteurs consacrent un temps cer-
Néanmoins, tout dépendra du prix payé par l’acquéreur. Parfois,
tain à ce travail d’actualisation, de mesure de valeur, d’anticipation
celui-ci se montre si élevé que le supplément de prime consenti
des cash-flows futurs, etc., on constate en définitive que les primes
aux actionnaires de la cible se révèlera supérieur aux synergies
payées varient peu. Et l’explication est logique. « Si vous êtes proprié-
réalisées dans le futur. Et, dans ce cas, on dira de la fusion qu’elle
taire ou actionnaire et que quelqu’un vous propose 15% de prime, en
a détruit de la valeur pour les actionnaires, malgré les évidences
vous basant sur les précédents du secteur, vous allez refuser son offre. »
qui montrent que la rentabilité et le cash flow opérationnel d’une
Tout dépendra en réalité du pouvoir de négociation des deux parties.
entreprise ont tendance à plutôt s’améliorer suite aux fusions. »
La cible procèdera, elle aussi, à sa propre évaluation, afin d’anticiper
Nihat Aktas différencie toutefois les acquéreurs « financiers » des
les synergies que l’acquéreur souhaite créer. De la sorte, elle s’acca-
acquéreurs « industriels ou stratégiques ». Les premiers se mon-
parera au maximum ces synergies sous forme de la prime qu’elle se
trent davantage à la recherche d’entreprises sous-évaluées, en
verra attribuer. En définitive, celui qui tient les rênes des négociations,
proie à des problèmes de management ou sur le point d’être cé-
prendra l’avantage. C’est pourquoi une entreprise non cotée en bour-
dées. Dans ces cas, la création de valeur aura une autre source que
se se révèlera généralement une cible plus aisée pour un acquéreur.
les strictes économies d’échelle ou synergies possibles. De toute
Face à ce constat, fusion et acquisition sont-elles plutôt source de
façon, avant chaque négociation, il conviendra d’essayer d’évaluer
création ou de destruction de valeur? Les études semblent très
cette fameuse création de valeur pour déterminer le prix maxi-
partagées sur le sujet… Nihat Aktas rappelle avant tout que le
mum que l’acquéreur est prêt à mettre sur la table. Une tâche
marché des fusions et des acquisitions joue un rôle clé de contrôle
plus aisée lorsqu’il s’agit du rachat d’une entreprise cotée, étant
des entreprises dans nos économies. En effet, un marché actif de
donné qu’un prix minimum est déjà fixé par le marché, grâce à la
fusions et d’acquisitions pousse les dirigeants à mieux gérer leurs
capitalisation boursière. Dans ce cas de figure, pour déterminer le
entreprises, afin de ne pas devenir une cible potentielle.
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Autre point important, avant de se demander si fusions et acquisitions créent ou détruisent de la valeur, on peut s’interroger sur ce que serait devenue une entreprise si elle n’avait pas fusionné ou été rachetée? « Une tâche malheureusement impossible. Fusionner peut se révéler une décision stratégique, par exemple pour éviter une situation de crise, des pertes importantes, etc. ». Le cas de TUI, leader mondial dans le secteur du tourisme, en est une excellente illustration. Autrefois actif dans la sidérurgie, TUI s’est développé sur une vingtaine d’année à coup de fusions et d’acquisitions. « Il est dés lors difficile de conclure que TUI a détruit de la valeur au cours de ses fusions et acquisitions. Au contraire, la société a complètement changé de secteur d’activité et s’est réinventée avec le succès qu’on lui connaît aujourd’hui. »
SURVEILLER LE CEO Tout est donc une question de mesure. Pour étayer leur argumentation, les études qui avancent que les fusions détruisent généralement de la valeur se basent sur les montants – trop élevés – des primes payées. Parmi les « surpayeurs » visés: les entreprises qui regorgent de cash. Etant donné qu’elles ne connaissent aucune contrainte particulière, celles-ci ont tendance à conclure de moins bonnes affaires en proposant des primes trop élevées, voire en achetant n’importe quoi. Lors de ces opérations, la qualité des mécanismes de gouver-
Nihat Aktas: « Les fusions et acquisitions destructrices de valeur proviennent essentiellement d’opérations impliquant des grandes entreprises. Notamment parce que la probabilité de retrouver un CEO au profil orgueilleux y sera davantage prononcée. »
nance joue un rôle important. Par ailleurs, d’autres études ont démontré que les sociétés qui possèdent des provisions anti-OPA dans leur statut réalisent de mauvais négoces car elles ne ressentent pas cette fameuse pression du marché des fusions et acquisitions1. A l’opposé, on constate par contre que les petites entreprises, qui ne témoignent que de peu d’expérience dans ces opérations, se montrent très prudentes lors de fusions/acquisitions, et tirent relativement bien leur épingle du jeu lorsqu’il s’agit de proposer un 2
qu’ils développent une notoriété et qu’ils se concentrent moins sur leur
prix pour une cible . Mais la prudence reste toujours de mise car les
travail de base au profit d’activités annexes comme des conférences,
entreprises qui ont réalisé de mauvais deals courent le risque non
l’écriture de livres, etc. Au cours des grosses opérations de fusion et d’ac-
négligeable de se voir sanctionnées par le marché des fusions et
quisition, les CEO jouent réellement un rôle capital. Ils occupent direc-
acquisitions en devenant la cible d’OPA ultérieures.
tement le devant de la scène et mènent les négociations. » Mais, selon
Entre 1998 et 2001, une étude américaine3 portant sur un
Nihat Aktas, « une entreprise dotée d’un bon système de gouvernance
échantillon de 4.136 opérations a démontré que les 87 plus
interne et soumise à la pression du marché, incitera naturellement son
grosses opérations – soit à peine 2% de l’échantillon mais 43%
CEO à apprendre à travers les différents deals réalisés et à prendre des
de sa « taille » – étaient responsables de la majeure destruction
décisions allant dans l’intérêt des actionnaires5. »
de la valeur pour les actionnaires, avec une perte estimée à 397 milliards de dollar. « On peut donc considérer que les fusions et acquisitions destructrices de valeur proviennent essentiellement
1
d’opérations impliquant des grandes entreprises. Notamment
returns. Journal of Finance, Vol. 62, pp. 1851–1889.
parce que la probabilité de retrouver un CEO au profil orgueilleux
2
Masulis, Wang et Xie, 2007, Corporate governance and acquirer Moeller, Schlingemann et Stulz, 2004, Firm size and the gains from
sera davantage prononcée au sein d’une grande entreprise. Ou, à
acquisitions. Journal of Financial Economics, Vol. 73, pp. 201–228.
tout le moins, c’est uniquement dans ce genre de structure qu’il
3
pourra posséder les moyens des ses ambitions. »
massive scale ? A Study of acquiring-firm return in the recent mer-
Moeller, Schlingemann et Stulz, 2005, Wealth destruction on a
Ces CEO sont généralement des personnages charismatiques. Ce
ger wave. Journal of Finance, Vol. 60, pp. 757–782.
qui peut expliquer pourquoi, parfois, le board les suit aveuglément
4
lorsqu’ils consentent à payer des primes excessives. « Pourtant, des
Economics, à paraître.
techniques pour mesurer le degré d’orgueil des dirigeants existent. Il
5
faudrait peut-être songer à les utiliser. » Une dernière étude montre
les fusions et acquisitions voir : Aktas, de Bodt et Roll, 2009, Lear-
d’ailleurs que certains dirigeants qui reçoivent des distinctions ont
ning, hubris and corporate serial acquisitions, Journal of Corporate
ensuite tendance à détruire de la valeur pour les actionnaires4. « Parce
Finance, à paraître.
Malmendier et Tate, 2009, Superstar CEOs. Quarterly Journal of Sur le rôle de l’apprentissage et de l’orgueil des dirigeants dans
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Quel management par la valeur? 8
A côté de la valorisation de l’entreprise dans le cadre d’une probable transaction – en bourse, lors d’une vente, d’une succession, d’une levée de fonds… –, la valeur d’une entreprise constitue un indicateur unique, encore largement ignoré, synthétisant l’ensemble de ses performances. Via une analyse de sensibilité, l’entrepreneur pourra directement mesurer l’impact réel de toute décision, qu’elle soit opérationnelle, financière ou fiscale, sur la valeur de l’entreprise
L
es activités de Fabrice Lobet, manager en corpo-
ci vont permettre de mesurer la création de valeur via un écart en-
rate finance (Transaction Advisory) chez Ernst &
tre, d’une part, la rentabilité qu’un investisseur pourrait exiger en
Young, touchent principalement à trois domai-
investissant dans un actif portant sur le même niveau de risque et,
nes: lever des fonds pour des sociétés, prendre
d’autre part, la rentabilité effective de l’entreprise.
en charge des transactions tout en accompagnant les action-
Fabrice Lobet est également orateur lors de séminaires qui déve-
naires ou les entrepreneurs dans la vente de leur société et pro-
loppent des thèmes sur les aspects financiers de la transition. On y
poser du service de conseil en gestion (restructuration et pré-
parle de la « Valorisation de l’entreprise: un outil de management »
paration à la vente). Sur base de son expérience, il considère la
à travers différents messages qui, pour le moment, traitent de l’ob-
création de valeur comme un concept particulièrement délicat
servation du marché. « Lorsqu’un entrepreneur ou un actionnaire
à définir. Avant tout parce que la valeur d’une société représen-
vient nous consulter dans le cadre d’une mise en vente ou d’une le-
te une composante de son prix. Mais aussi de par les différen-
vée de fonds, nous observons, dans nombre de cas, que l’entreprise
ces sensibles que l’on peut observer entre la valorisation d’une
possède un potentiel de création de valeur non réalisé. Si notre client
société en début de transaction ou de levée de fonds et le prix
n’est pas soumis à une contrainte de temps, nous lui proposons de
effectif que l’on pourra en obtenir. Fabrice Lobet définit donc la
postposer l’opération. »
valeur comme une tentative d’approche d’un prix.
Pour ce type de constats, Fabrice Lobet et ses collaborateurs préfèrent émettre un diagnostic et accompagner les entrepreneurs
MADE IN USA
durant quelques mois via, notamment, la mise en place d’une po-
Partant de ce point de vue, afin de cibler plus précisément un prix,
litique créatrice de valeur, afin de rendre l’entreprise plus attractive
on peut utiliser une série d’indicateurs pour déterminer ce qu’un
et surtout toucher un plus large rayon de repreneurs potentiels.
acteur du marché serait prêt à payer pour une entreprise compa-
« Les leviers de création de valeur peuvent se révéler tangibles ou in-
rable. Sous l’effet de la crise, ce type de calcul se révèle néanmoins
tangibles en fonction de l’activité de l’entreprise en question. Pour
un peu plus compliqué en cette période. Attribuer une valeur pré-
réaliser notre travail d’accompagnement, nous pouvons agir sur
cise est devenu un exercice extrêmement délicat. C’est pourquoi
différents éléments tels que les besoins en fonds de roulement, les
Fabrice Lobet et ses collègues privilégient pour le moment des
aspects patrimoniaux, la rationalisation de certains processus (logis-
fourchettes de valorisation. Quant à la création de valeur en tant
tique, opérationnel, commercial), etc. »
que telle, il s’agit davantage d’un ensemble de techniques de ges-
Fabrice Lobet est un fervent défenseur du management par la
tion qui peuvent toucher tous les domaines de l’entreprise. Ceux-
valeur. Développé aux Etats-Unis à la fin des années 70, ce concept
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Pour aligner les méthodes sur les intérêts des actionnaires, des modèles ont été crées, dont l’EVA (Economic Value Added), pour mettre au point, entre autres, de tableaux de bord avec indicateurs et une comptabilité reflétant mieux la réalité économique de l’entreprise. « Les managers travailleront en fonction de ces outils et se verront rétribués sur base des performances réalisées en matière de création de valeur. Il s’agit dès lors d’aligner les intérêts du management sur ceux des actionnaires. » Bien entendu, cette méthode cible plus spécifiquement les grosses sociétés. Si l’on descend à un échelon plus bas, par exemple au niveau PME (où la dichotomie entre actionnariat et management existe rarement puisque l’actionnaire porte, généralement, aussi la casquette de manager), on pourrait être tenté de croire qu’un management par la valeur ne concerne pas l’entrepreneur. Ce dernier peut en effet poursuivre une multitude de motivations: se garantir un certain niveau de revenu, la croissance des ventes, prendre le leadership du marché, adresser de nouveaux défis ou encore, tout simplement, faire en sorte que l’entreprise continue à tourner. Mais le message porté par Fabrice Lobet s’inscrit plutôt dans le contexte d’une cession ou de l’entrée d’un investisseur dans le capital. A ce moment, la valeur de son entreprise s’avérera primordiale et il s’agira de la défendre. « C’est pourquoi, afin de préparer les entrepreneurs au mieux à ces événements, il conviendra de les sensibiliser à la valeur d’entreprise comme un indicateur global de performance. » Trois grands principes peuvent être utilisés pour valoriser une so-
Fabrice Lobet: « Il convient de sensibiliser tant les managers que les entrepreneurs à la valeur d’entreprise comme indicateur global de performance. »
ciété. Le premier est sans doute le plus évident. Il s’agit de l’actif net – réévalué ou corrigé – considéré comme un plancher pour une société rentable. Ensuite, nous avons les comparables. Sur base des capitalisations boursières (ou de prix résultant de transactions), rajouter les dettes et soustraire le cash permet d’obtenir une valeur
a émergé d’une constatation: au sein des sociétés – et ceci est prin-
d’entreprise en temps réel, avec une bonne vison du marché. Cette
cipalement vrai pour celles cotées – on observe des dichotomies
dernière, rapportée au résultat ou au chiffre d’affaires, procurera un
sensibles entre le management et l’actionnariat. Toutefois, à cette
bon indicateur de valorisation, appelé multiple. Enfin, le DCF (di-
époque aux Etats-Unis, l’actionnariat se révélait moins disséminé
counted cash flow) actualise les cash flow futurs que l’entreprise
qu’aujourd’hui. Le problème se posait davantage en termes de
est supposée générer.
mode de fonctionnement. « Deux sentiments prédominaient. Pre-
« Deux éléments distincts prédominent dans cette approche. D’une
mièrement, celui de managers motivés par des intérêts autres que
part, les cash flow disponibles futurs, calculés à partir d’un plan d’af-
ceux des actionnaires. Car, rappelons-le, pour l’actionnaire, ce qui
faires que l’on essaiera de rendre le plus réaliste possible et, d’autre
compte, c’est la maximisation de la valeur de ses actifs. Mais pour le
part, un taux d’actualisation reflétant l’ensemble des risques propres
manager, d’autres éléments peuvent entrer en considération. Et deu-
à l’entreprise et correspondant au coût d’opportunité de l’acheteur ou
xièmement: l’existence d’une asymétrie informationnelle. Le mana-
de l’investisseur. Par coût d’opportunité, nous entendons ce qu’un in-
gement détient des informations concernant les perspectives ou les
vestisseur espèrerait ou accepterait comme rendement dans un actif
risques auxquelles les actionnaires n’ont pas accès. »
portant le même niveau de risque ». La valorisation des intangibles s’opère, elle aussi, grâce à trois
MESURER L’INTANGIBLE
méthodes principales: la simple addition de l’ensemble des
Pour régler ces différents, le management par la valeur défend
coûts relatifs nécessaires au développement de l’actif intangible
donc l’idée d’aligner les intérêts des managers sur ceux des
(méthode particulièrement utilisée pour estimer une valeur de
actionnaires. C’est-à-dire, pousser le manager à travailler pour
R&D ou de marque), le DCF, où il s’agira à nouveau de définir
maximiser la valeur de l’entreprise. Par exemple, avant « d’ab-
et d’actualiser les cash flow futurs générés par l’actif intangible
sorber » un concurrent, un manager doit absolument réfléchir
ou encore, une estimation de royalties que l’on pourrait obtenir
à la création de valeur qui pourrait découler de l’opération ou
d’un tiers pour l’exploitation de l’actif intangible. Car une techni-
tout du moins s’assurer que l’investissement ne détériore pas le
que ou une expertise, même si elle n’apparaît pas dans le bilan,
rendement général de l’entreprise.
peut aussi se voir valorisée. FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
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FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION OPTIMISATION DE VALEUR DES COÛTS TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
La valeur ajoutée se réalise dans les biens
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Nombre d’éléments entrent en ligne de compte dans la notion de création de valeur: le secteur d’activité dans lequel l’entreprise concernée évolue, l’environnement belge et industriel, etc. La crise aussi joue un rôle non négligeable. En d’autres termes, un mélange de facteurs tangibles et intangibles pour lequel il n’existe malheureusement aucune solution miracle. Depuis la crise de 2001, le groupe Siemens Belgique-Luxembourg a entamé un recentrage de ses activités. Car, quand on ne peut lutter contre le vent, il faut orienter ses voiles.
R
écemment, le portfolio de Siemens Belgique-
de collaborateurs est, quant à lui, passé de 2.281 en 2007 à
Luxembourg a subi d’importants change-
2.613 durant l’exercice écoulé. Ces 332 personnes sont arri-
ments: vente des activités télécom pour opé-
vées suite à l’intégration de 135 collaborateurs appartenant
rateurs à Nokia Siemens Networks, vente des
à Dade Behring et Dade Behring European Services mais
activités de Siemens Enterprise Communications au groupe
aussi grâce à l’acquisition, notamment, de Labo-Eco. Par
Gores. Dans l’évaluation des chiffres de 2008 par rapport à ceux
ailleurs, des recrutements ont été réalisés pour des projets
de 2007, ces « activités non poursuivies » ne sont pas prises en
spécifiques. « Nous posons un regard positif mais prudent sur
considération. Pour les activités poursuivies, par contre, deux
l’avenir. Malgré le climat économique actuel et le régime de
entreprises, Dade Behring et Dade Behring European Services,
départ volontaire toujours en cours, nous continuons à enga-
et quelques entités plus modestes, notamment celle de Labo-
ger pour assurer le futur. »
Eco d’Aartselaar, société spécialisée dans le traitement des eaux de process, ont rejoint le groupe.
LEVIERS STRATÉGIQUES
Ce changement structurel n’a pas empêché Siemens BeLux
Pour atteindre de tels résultats malgré la tempête, Siemens
de présenter un excellent bulletin pour 2008, avec un bénéfi-
BeLux base sa stratégie de croissance sur trois leviers: l’ex-
ce net de 5,6% (€ 59 millions) sur le chiffre d’affaires réalisé et
tension du business scope international, une réponse plus
une progression quasi généralisée du résultat opérationnel
rapide aux demandes du marché et une écoute attentive
des différentes divisions. Aujourd’hui, avec un core business
des souhaits du personnel. Premièrement, afin d’étendre
recentré autour de trois secteurs – l’énergie, l’industrie et les
son business scope international, Siemens se positionne en
soins de santé, supporté par IT Services and Solutions – le
tant que « Competence Driven Company » avec la commer-
chiffre d’affaires est passé de € 902 millions à € 1,58 milliard
cialisation internationale de compétences locales et techno-
(+17%). Les entrées de commandes ont atteint € 1,3 milliard
logiques spécifiques comme clés du succès. « Notre objectif
(+30%). « Cette nette augmentation en 2008 montre que nous
stratégique consiste à repousser les limites géographiques
sommes prêts à affronter 2009 », explique André Bouffioux,
des centres de compétence existants mais aussi – et c’est sans
président du groupe Siemens Belgique-Luxembourg.
doute plus important encore – d’en créer de nouveaux. »
Notons que 32% de ce chiffre d’affaires reposent sur les ex-
En effet, les compétences et solutions spécifiques dévelop-
portations, qui elles aussi ont fortement grimpé (de € 226
pées au cours des années pour les clients locaux ont fini
millions en 2007 à € 340 millions en 2008). Enfin, le nombre
par être reconnues comme « centre de compétence », ce qui
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
autorise le groupe à les commercialiser internationalement. Par exemple, à partir de son centre de production de Huizingen, Siemens Belgique-Luxembourg propose conseils stratégiques, co-ingénierie, conception personnalisée, production, assemblage, tests…pour des clients dans un rayon de 1.500 km autour de Bruxelles. Depuis des années, Siemens BeLux affiche une belle réussite dans ses exportations à destination de l’Afrique et du MoyenOrient. « La poursuite du développement de ces activités est capitale pour notre croissance. Cela nous donne la possibilité de compenser le ralentissement inhérent aux périodes de crise dans les pays occidentaux. » Ce succès repose largement sur le bon fonctionnement de toutes les instances officielles existantes en matière d’exportation, notamment l’Office du Ducroire, et sur l’efficacité des centres de compétence. Pour le futur, la priorité du groupe va à la réalisation d’une croissance organique. « Cela implique d’investir de manière ciblée et de tirer le meilleur parti du potentiel offert par les acquisitions passées. » Et des acquisitions, il en est question car au cours des cinq dernières années, Siemens AG a internationalement investi plus de € 20 milliards afin d’élargir l’éventail de ses produits innovants et de créer de nouvelles opportunités sur des marchés porteurs intéressants. Le rachat de la
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société belge Labo-Eco, à Aartselaar, va dans ce sens. « Cela nous a offert l’opportunité de compléter notre gamme de solutions et de produits liés aux technologies de l’eau, et plus précisément l’eau de process industriel, commente André Bouffioux. Avec Labo-Eco, nous avons gagné de bons ingénieurs, un laboratoire analytique, de l’expérience dans la gestion de projet et des références solides sur le marché. Un an
André Bouffioux: « La valeur de notre société n’a pas changé avec la crise. La bourse représente une valeur subjective qu’un marché est prêt à payer pour obtenir quelque chose. J’ai toujours privilégié la réalité aux spéculations boursières sur un futur incertain. »
après, nous étions reconnus comme centre de compétence pour toute l’Europe. Notre business unit Water Technology a aussi été enrichi des compétences de US-Filter, leader mondial dans
fique destiné à guider notre management. Nos leaders le sont de
la purification de l’eau, situé aux Etats-Unis. »
par leur personne et non plus par leur fonction. »
BOURSE SUBJECTIVE
Pour André Bouffioux, la bourse ne constitue pas une valeur mais un montant. « La valeur de notre société n’a pas changé
Deuxièmement, outre l’importance accordée à sa compétiti-
avec la crise. Nous avons toujours les mêmes collaborateurs et
vité, Siemens BeLux a pour objectif de répondre plus rapide-
nous faisons les mêmes choses. La bourse représente une valeur
ment à la demande du marché, notamment en mettant en
subjective qu’un marché est prêt à payer pour obtenir quelque
place un nouveau modèle d’organisation privilégiant la coo-
chose. J’ai toujours privilégié la réalité aux spéculations bour-
pération internationale. D’un point de vue géographique, Sie-
sières sur un futur incertain. La crise nous rappelle d’ailleurs
mens est désormais structurée en 20 clusters, afin de réduire
que la valeur ajoutée se réalise dans les biens et non dans les
ses coûts et de stimuler et d’optimiser la coopération entre
bulles spéculatives. »
les pays. Enfin, troisièmement, en dépit du climat économi-
Le président du groupe Siemens Belgique-Luxembourg consi-
que ambiant, Siemens poursuit de manière sélective son re-
dère aussi que la consommation et la production de valeur
crutement de nouveaux collaborateurs très spécialisés.
ne sont plus en phase avec la réalité: un pays de 300 millions
« Nous sommes principalement à la recherche d’ingénieurs pour
d’habitants, quel qu’il soit, ne devrait pas mettre en danger
notre département d’ingénierie, de spécialistes IT, de project ma-
une planète de sept milliards d’humains. « Sociologique-
nagers et de profils commerciaux, tant pour le marché national
ment et socio-économiquement, cela doit poser des questions,
que l’exportation, énumère-t-il. Pour nos collaborateurs, nous
conclut-il. En 2001, on a retenu les investissements mais l’ar-
avons lancé divers programmes axés sur l’épanouissement per-
gent était toujours présent. Aujourd’hui, l’argent a disparu. De
sonnel et l’équilibre vie professionnelle/vie privée. La génération
la valeur a été détruite par rapport à 2001. Les racines de la
actuelle demande un autre type de leadership qu’auparavant.
crise sont profondes et si nous n’avions pas anticipé, il serait
C’est pourquoi nous avons mis sur pied un programme spéci-
trop tard aujourd’hui pour agir. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION OPTIMISATION DE VALEUR DES COÛTS TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Les facteurs de succès sont inscrits dans l’ADN de notre banque 12
Le modèle de banque alternative enregistre de bons résultats. Et ceux de Triodos Belgique, figure de proue du mouvement dans notre pays, se révèlent même excellents en regard du contexte économique. Au moment où les banques traditionnelles, pointées du doigt, craignent un véritable bank run, Triodos voit son résultat net et son portefeuille de clients augmenter de manière spectaculaire. Entretien avec Olivier Marquet, son directeur heureux, optimiste et ambitieux.
Comment définiriez-vous la « création de valeur »? Olivier Marquet: « Il s’agit de la création et de la maintenance d’un outil de compétence et d’un levier financier pour les entrepreneurs qui veulent innover dans les secteurs d’activité au sein desquels nous sommes actifs en tant que banquier. Notre création de valeur consiste à mettre à disposition les compétences requises pour servir nos clients et à proposer un outil de récolte de fonds suffisamment durable pour assurer, en tous temps, les moyens de financer les projets de valeur que l’on nous soumet. Triodos a été constituée aux Pays-Bas il y a 26 ans afin de permettre à ses clients d’exercer leur responsabilité sociétale en optant pour une banque qui ne finance que des projets à valeur ajoutée environnementale, culturelle ou sociétale. De par sa mission durable, Triodos a toujours été très claire dans ses choix: nous investissons l’épargne de nos clients uniquement dans des entreprises et des projets à plus-value sociale, écologique ou culturelle. » D’après vous, comment expliquer l’engouement actuel pour Triodos? Olivier Marquet: « Les facteurs de succès sont inscrits dans l’ADN de notre banque. Il s’agit avant tout de la transparence, à la fois par la publication de l’ensemble de nos crédits et par la remise en question structurée et organisée de notre action par nos clients avec lesquels nous organisons chaque année une journée – où ils peuvent nous rencontrer et poser FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009
Olivier Marquet: « Sur le très court terme, la mission des banquiers consistera à réformer la banque, du moins pour les banques qui se sont trompées de mode de gestion. Les autres devront veiller à rendre plus visible leur modèle et leurs principes. »
leurs questions. Il s’agit aussi d’investissements dans l’éco-
contre, nous investissons plus que par le passé dans l’infor-
nomie réelle, dans des entreprises et des organisations avec
mation de nos actionnaires et dans l’organisation d’assem-
lesquelles nous entretenons une relation directe et person-
blées et de journées d’actionnaires dans chaque pays. »
nalisée. Nous n’investissons sciemment pas dans des instruments financiers complexes car cela ne correspond pas à la
Cette communication touche les performances financières et
mission durable de la banque. Cette structure explique qu’on
non-financières…
ne retrouve pas d’actif toxique chez Triodos. Il s’agit encore de
Olivier Marquet: « Pour le non-financier, nous allons devoir
considérer le profit comme un moyen et non comme une fin
travailler à la construction
en soi. Nous nous orientons vers une optimalisation du résul-
tre performance sociale, environnementale et culturelle.
tat et non une maximalisation. Concrètement, cela signifie,
Aujourd’hui, nous travaillons essentiellement par l’exemple,
entre autres, que nous visons un return on equity réaliste de
notamment en publiant un magazine et nos crédits accordés.
7%. De plus, nous fonctionnons sans incentive au résultat
A moyen terme, d’autres ressources seront affectées à cet ob-
maximal: ni structure de bonus, ni parachute doré. Il s’agit
jectif. Pour le financier, arriver à moyen terme à un return on
enfin d’une structure actionnariale particulière. Le capital
equity de 7% reste notre objectif. »
d’indicateurs agrégés de no-
de la Banque Triodos provient de 12.000 détenteurs de certificats d’actions qui adhèrent à ses objectifs. Cette structure juridique permet à Triodos de conserver son indépendance, de rester fidèle à sa mission, d’accueillir des actionnaires inté-
+25% MALGRÉ LA CRISE
ressés par le long terme et non des gains rapides et, cerise sur le gâteau, d’éviter toute OPA hostile. »
Les chiffres 2008 de la Banque Triodos sont résolument en hausse. Le total de bilan croît de 25% (€ 2,4 milliards)
Arrivons-nous à la fin d’une certaine activité bancaire?
et le résultat net progresse de 13% (€ 10,1 millions). Ces
Olivier Marquet: « Je souhaite et j’appelle en tout cas de tous
résultats particulièrement encourageants ont été « boos-
mes vœux que le législateur belge et européen mettent vite
tés » par une clientèle, elle aussi, en nette augmenta-
en œuvre ce que nombre d’économistes défendent, c’est-à-dire
tion (+25%, soit un total de 191.000 clients) et dont la
une stricte scission entre le métier de banquier commercial et
croissance a été particulièrement forte aux Pays-Bas et
de banquier d’investissement. La garantie sur l’épargne pourrait
en Belgique au cours des trois derniers mois de 2008. Au
alors être limitée à ces banques qui n’ont d’autre activité que
niveau des résultats chiffrés, la succursale belge a suivi la
de réinvestir l’épargne dans l’économie réelle. Sur le très court
tendance du groupe pour afficher, au terme de l’exercice
terme, la mission des banquiers consistera à réformer la banque,
2008, un total de bilan de € 592 millions (+37%), un
du moins pour les banques qui se sont trompées de mode de
portefeuille crédit en progression de 40% (€ 259 millions)
gestion. Les autres devront veiller à rendre plus visible leur mo-
et des dépôts de clientèle accrus de 38% (€ 572 millions).
dèle et leurs principes et intervenir pour éviter que dans la pani-
Le bénéfice net, quant à lui, a atteint € 1,3 million. Ce qui
que les autorités ne jettent le bébé avec l’eau du bain. Ce dernier
représente une légère baisse par rapport à 2007 (€ 1,5
élément me préoccupe, notamment à travers des excès de régu-
million) en raison de la contraction des marges sur les
lation, des idées de nationalisation, de présence systématique
taux et des investissements en personnel nécessaires à
du gouvernement dans les Conseils d’administration des ban-
la gestion de l’afflux de nouveaux clients. Triodos Belgi-
ques, etc. Pour ce qui nous concerne, gérer une croissance ex-
que compte désormais quelque 31.000 clients (+20%) et
plosive réclame des efforts particuliers. Nous avons par exemple
employait 53 collaborateurs fin 2008, contre 40 en 2007.
sensiblement augmenté nos ressources humaines. Ce n’est pas
Avec une hausse de 40%, la croissance du portefeuille
une tâche simple car nous devons leur faire intégrer les valeurs
crédit en Belgique s’est révélée vigoureuse et largement
de notre banque, notamment à travers des formations. »
supérieure aux prévisions. La croissance fut particulièrement forte (+83%) dans le secteur de l’énergie éolienne
Votre structure empêche toute prise de pouvoir d’un groupe
tandis que du côté des PME, l’octroi de crédit a surtout
d’actionnaire…
progressé dans le secteur des soins de santé. Cette crois-
Olivier Marquet: « Les droits de vote sont en effet limités à
sance plus rapide que prévu s’est néanmoins déroulée
1.000 action par actionnaire. Et statutairement, tout action-
sans problème de liquidités puisqu’elle est entièrement
naire ne peut détenir plus de 7,5% des certificats d’actions.
financée grâce à l’épargne apportée par sa large base
Ceci dit, notre actionnariat est composé d’institutions pour
d’épargnants. Pour 2009, la Banque Triodos s’attend à
sa première moitié, à travers des banques comme Rabobank,
nouveau à une forte croissance de ses activités et à un
Friesland Bank, Delta Lloyd Bank, Ethias, etc., et de particu-
résultat positif. Son ampleur dépendra néanmoins de
liers pour sa seconde moitié. Nous ne ressentons pas le be-
l’importance de la récession économique ainsi que de
soin d’accueillir un actionnaire de référence. La crise ne va pas
l’évolution des marchés des taux et des capitaux…
modifier notre approche vis-à-vis de notre actionnariat. Par
13
FISCALITÉ DOSSIER : CRÉATION DE VALEUR TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Minorité décisive Avec la décision des actionnaires de Fortis de s’opposer à la vente de la banque belge à BNP-Paribas, l’actualité a mis au jour un nouveau rôle déterminant: celui joué par des groupes de « petits actionnaires » et qui fera sans doute date. Président du Crédit Mutuel Nord Europe et du World Forum Lille, Philippe Vasseur revient sur les enjeux et les attentes de ces actionnaires, pas si minoritaires que cela.
14
L
Philippe Vasseur: « Il faudra désormais opérer avec une nouvelle gouvernance, sans ‘mépris’ du petit épargnant. »
e cas Fortis n’est pas un exemple unique où les
une rémunération de son capital investi. Mais, dorénavant, le
« petits actionnaires » ont décidé de faire enten-
petit actionnaire est bien conscient du rôle qu’il peut jouer,
dre leur voix. Néanmoins, la situation est sai-
en sortant de l’unique souhait de participer à la création de
sissante et démontre qu’un fossé s’est creusé,
valeur. « L’élément n’est sans doute pas nouveau mais il mar-
d’une part, entre l’épargnant et l’élite du Conseil d’administra-
que une évolution importante. Le dossier Fortis a balayé bon
tion et du management, et, d’autre part, entre la réalité et la
nombre d’anciennes certitudes. »
refonte du capitalisme que certains espèrent voir redistribuer
Aujourd’hui, les dirigeants d’entreprises doivent faire face à
une part plus juste aux petits actionnaires. Habituellement,
une nouvelle nécessité de transparence et de communication
ces derniers sont conviés à accepter leurs dividendes, sans mot
dans le pilotage du navire. « Désormais, l’actionnaire, même mi-
dire. Ils peuvent, au mieux, espérer participer à la distribution
noritaire, demandera au management de rendre des comptes. Il
de la valeur additionnelle éventuelle.
faut donc opérer avec une nouvelle gouvernance, sans ‘mépris’
« Or, aujourd’hui, on se rend compte que d’autres possibilités
du petit épargnant. Même si son pouvoir est limité, ou s’il ne
s’offrent aux actionnaires qualifiés de minoritaires, analyse Phi-
s’agit que d’un contre-pouvoir. » Devant ce besoin en perspec-
lippe Vasseur. Par exemple, dans le cas de Fortis, la coalition de
tives affirmé par les actionnaires, piloter une entreprise à vue
minoritaires a pu aboutir à une majorité. Désormais, posséder
pourrait donc engendrer de graves conséquences.
25% des parts ne suffit plus. Les minoritaires, tous rassemblés,
La plupart du temps, un modeste épargnant n’est pas un spécu-
pourront peser de tout leur poids sur la destinée de l’entrepri-
lateur. Il conserve des valeurs dites sures et à la rentabilité théo-
se. » Par contre, les minoritaires « réellement minoritaires »,
riquement intéressante. La création de valeur durable constitue
eux, possèdent uniquement un rôle de contre-pouvoir. Il leur
pour lui un facteur primordial. Bien entendu, les actionnaires
permet néanmoins de demander des expertises, d’influer sur
majoritaires et les responsables d’entreprises doivent prendre
le marché, etc.
conscience de cette nécessité d’atteindre une vision durable de la création de valeur et intégrer celle-ci, sur le long terme, afin de
EVOLUTION IMPORTANTE
se montrer plus performante que la concurrence.
Quelle que soit leur condition, les actionnaires minoritaires
Philippe Vasseur est intimement convaincu que cette logique
sont loin d’avoir pieds et poings liés. Comme tout le mon-
a déjà commencé à gagner les Conseils d’administration. « Et
de, Philippe Vasseur a assisté, jour après jour, à l’évolution
ce n’est qu’un début. L’évaluation de la performance devra désor-
du dossier Fortis. « Au départ, l’affaire paraissait bouclée,
mais prendre en compte un ensemble de critères, y compris ceux
notamment avec l’accord entre l’Etat belge et BNP-Paribas.
extérieurs à la pure performance financière, comme le social,
L’actionnaire minoritaire semblait devoir suivre. La surprise
l’environnemental, etc. Il faut s’inscrire dans la durée car une
fut donc au rendez-vous. Cet arrêt fera date ». D’habitude un
forte construction de valeur peut, au cours des douze mois sui-
actionnaire minoritaire ne s’attend pas à pouvoir peser sur
vant, se traduire par une destruction de valeur. C’est par exemple
la destinée d’une entreprise. Sa première préoccupation vise
le cas lors de fusions ou d’acquisitions hâtives. »
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°25 - MARS 2009