EN PRATIQUE SOMMAIRE
N°37 - MAI 2010
Dossier
Le CFO et son banquier La crise a-t-elle affecté la relation entre le CFO et son banquier? Etat des lieux et pistes pour rétablir la confiance.
FISCALITÉ: OPTIMISATION DES COÛTS DOSSIER TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Le CFO et son banquier: les clés pour rétablir la confiance 20
La crise a-t-elle affecté la relation entre le CFO et son banquier? La confiance a-t-elle souffert au passage? Dans l’affirmative, comment les banquiers comptent-ils la reconstruire? Quels éléments attendent-ils des CFO? Quelles sont les nouvelles solutions que les banques peuvent proposer aux responsables financiers? Réponses avec Dexia, BNP Paribas Fortis et ING.
La crise a-t-elle affecté la relation CFO-banques?
Peter Vermeiren (Managing Director Structured & Corporate
Arnaud Laviolette (Head of Clients Belgium, ING): « Toutes
Finance, Dexia Private Equity de Dexia Bank Belgium): « La pres-
les crises affectent les relations entre partenaires. Les ban-
se a notamment fait écho du nombre de sociétés en difficulté,
ques ont, effectivement, éprouvé quelques craintes au cours
de l’augmentation du taux de chômage, de la crise du crédit,
de la crise économique et financière et cela a engendré des
de la baisse des activités M&A, etc. Néanmoins, je pense qu’il
conséquences sur l’ensemble de l’économie. Les CFO, qui oc-
faut faire la différence entre le comportement des directeurs
cupaient évidemment les ‘premières loges’ pour constater
financiers des PME et ceux des entreprises ‘large corporates’
la dégradation de leurs finances, étaient en droit de s’interroger sur le support qu’ils allaient recevoir de la part de leur banquier. Mais, en fait, la situation n’était pas aussi dramatique que ce que l’on a pu craindre. Rapidement, les entreprises se sont aperçu qu’elles continuaient à générer un résultat opérationnel favorable, à engendrer du cash flow, à accéder à des sources de financement alternatives… et le banquier était toujours présent! Même si, dans certains cas, la négociation fut plus difficile parce que l’économie réelle tournait au ralenti. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
« En 2009, le secteur bancaire a accordé € 14 milliards de nouveaux crédits. Soit à peine moins qu’en 2008… mais en pleine crise! »
Peter Vermeiren: « Il y a quelques années, pour une PME, le banquier était probablement considéré exclusivement comme un fournisseur d’argent. Avec la crise, nombre de clients ont constaté qu’un banquier est bien plus que cela. »
dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros. Au sein de
en tout cas, créé un climat d’incertitudes plus ou moins grand
Dexia Corporate Banking et Dexia Retail and Commercial Ban-
en fonction des entreprises avec les quelles nous travaillons.
king, nous travaillons avec différents segments d’entreprises.
Nos interlocuteurs principaux, les CFO, ont posé beaucoup de
Et les constats se révèlent relativement différents. »
questions. La deuxième phase, au niveau des crédits, débute
Max Jadot (Member of the Executive Commitee, Head of Cor-
en 2009. Les bilans des banques étant moins disponibles, les
porate & Public Bank Belgium, BNP Paribas Fortis): « La crise a,
CFO se interrogés sur la disponibilité des crédits. A partir de mars, la situation a commencé à se stabiliser d’un côté comme de l’autre. Quand BNP Paribas s’est profilé comme nouvel actionnaire, nous avons clairement noté un regain de confiance dans les dépôts, privés et d’entreprises. D’ailleurs, pour les crédits, soulignons que l’inquiétude diminue en fonction de la taille de l’entreprise, dès la mi-2009. En effet, les grandes
Arnaud Laviolette:
« Donner du temps au temps »
et moyennes entreprises se sont montrées plus sereines face à leurs encours crédits. Il est vrai que bénéficiant d’un certain poids pour chercher du financement alternatif, comme par exemple des ‘retail bonds’, elles possédaient un meilleur
« Lors de la crise, l’attitude responsable consistait à en-
levier sur leur fonds de roulement, leurs clients ou fournis-
tretenir une discussion ouverte avec son banquier. En rè-
seurs. Les entreprises de plus petite taille ont, par contre, été
gle générale, les banques ont pris leurs responsabilités,
sous tension jusque fin 2009. Enfin, troisième phase, on voit
ont fait preuve d’écoute et, très souvent, de souplesse
en 2010 que les entreprises commencent à réinvestir sur des
dans les décisions. Il fallait donner du temps au temps.
projets, au moins à moyen terme. Certes, la croissance se ré-
Des décisions précipitées auraient eu pour unique
vèle encore faible. Mais la tendance est encourageante. »
conséquence d’actionner un effet boule de neige que
Peter Vermeiren: « En fait, je pense que l’impact de la crise est
personne ne souhaitait. C’était en tout cas l’état d’esprit
double. Premièrement, il y son impact sur la liquidité des ban-
d’ING: nous devions tout faire pour aider nos clients afin
ques. Le marché interbancaire s’est refermé pendant la crise.
de maintenir cette relation de confiance. »
Aussi, les banques ont dû emprunter davantage du côté de la Banque Centrale Européenne. Plusieurs ont également été FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
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forcées d’augmenter leur capital et de demander le soutien des Etats. Par conséquence, le coût de financement des banques a fortement augmenté. Effet immédiat pour la clientèle: les marges sont parties à la hausse. Heureusement, cette augmentation a été compensée par des taux d’intérêts relativement bas. Deuxièmement, et d’une manière générale, la crise a eu comme impact pour les banques de les pousser à revoir leur modèle de banking vis-à-vis de la clientèle. L’aspect cross-selling est devenu une thématique de premier plan, afin
« On voit que les entreprises commencent à réinvestir sur des projets, au moins à moyen terme. La tendance est encourageante. »
d’améliorer le produit net bancaire et l’economic profit, c’est-àdire la rentabilité globale d’une banque vis-à-vis d’un client. Au
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sein de Dexia, nous appliquons ainsi le modèle ‘Hub and Spo-
toring, au leasing, à la titrisation de créances... Ces différentes
ke’, où le ‘Hub’ est un généraliste qui gère la relation commer-
formules avaient pour but de sécuriser des crédits basés sur des
ciale et qui amène les ‘Spokes’, les spécialistes des solutions, à
actifs. L’objectif consistait clairement à octroyer un ballon d’oxy-
développer des produits adéquats pour la clientèle. L’impact
gène, du financement, aux entreprises. Mais, parallèlement, les
de la crise ne fut donc vraiment pas mince pour les banques.
sociétés ont pris la décision de ‘couper’ dans leurs programmes
Mais j’aimerais préciser que, contrairement à ce qui a pu être
d’investissement. La combinaison d’un ebitda toujours positif,
écrit, nous n’avons pas vécu de crash du crédit. En 2009, le sec-
d’une amélioration du besoin en fonds de roulement et de la
teur bancaire a accordé 14 milliards d’euros de nouveaux cré-
forte diminution des investissements a eu comme conséquence
dits. Soit à peine moins qu’en 2008… mais à une période où la
de générer du cash assez rapidement. En deuxième alternative,
crise battait son plein! Par contre, en corporate banking, d’une
il y avait la diversification en dehors du marché financier ban-
manière générale, nous avons constaté une diminution de la
caire. Pouvoir, par exemple, très rapidement émettre des obliga-
demande des entreprises pour du crédit d’investissement. »
tions, sous forme de placement privé ou public. Enfin, troisième option pour les sociétés cotées en bourse: faire appel à l’épargne
Quelles solutions proposez-vous pour rétablir la confiance?
publique, se tourner vers les actionnaires pour augmenter le ca-
Arnaud Laviolette: « La réponse ne peut être monofactorielle.
pital. Les banques ont participé à cette démarche, en conseillant
Nous avons principalement veillé à développer des alternatives
les émetteurs et en structurant les augmentations de capital.
de financement pour nos clients. Nous avons eu recours au fac-
Les CFO pouvaient dès lors avoir une relative flexibilité dans leur
Source: NBB – Résultats de l’enquête trimestrielle ( janvier 2010)
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recours aux différentes sources de financement et, ainsi, ne pas dépendre exclusivement du financement bancaire. Il leur fallait d’autres cordes à leur arc. » Peter Vermeiren: « Tout d’abord, je dirais qu’à travers un code de conduite, les banques se sont engagées à poursuivre le prêt d’argent, afin de continuer à soutenir l’économie locale. Ensuite, élément clé pour restaurer la confiance, il faut augmenter la transparence. Pour ce qui concerne les banques vis-à-vis des entreprises, cela revient, à mon avis, à expliquer les décisions des Comités de crédit: qu’est-ce qu’un rating, pourquoi telle décision a été acceptée et l’autre refusée, etc. Ceci afin que le client comprenne parfaitement ce que la banque a décidé. Je pense aussi qu’il revient aux Comités de crédit d’équilibrer correctement les aspects qualitatifs et quantitatifs, en sachant que derrière les entreprises se cachent des entrepreneurs. » Max Jadot: « Pour le court terme, nous devons plus souvent aller à la rencontre de nos clients. La confiance est liée à la fréquence et à la qualité de ces visites. Ce ne sont pas nécessairement des démarches commerciales. Il s’agit de prendre le pouls, d’écouter et d’anticiper les besoins en comprenant la stratégie des clients et en amenant des solutions, proactives ou réactives, au fur et à mesure de l’évolution de leurs entreprises. A moyen terme, le banquier doit encore mieux comprendre la stratégie de son client et savoir comment celui-ci organise son entreprise. Pour y arriver, il faut un dialogue plus approfondi, pour que le banquier puisse vraiment appréhender, ‘sentir’ la façon de travailler de son client. Cette relation privilégiée devrait améliorer la vitesse de décision et l’apport de solutions
Peter Vermeiren:
« Cash is still king! » « Au cours des derniers mois, pour les PME, on constate tout d’abord une augmentation du nombre d’entreprises en difficulté. Ensuite, on remarque que les clients ne s’acquittent pas toujours à temps de leurs factures alors que les fournisseurs réclament leur règlement de plus en plus rapidement. Autrement dit, la bonne gestion du working capital gagne en importance. ‘Cash is king’, plus que jamais. Les CFO des grandes entreprises sont probablement mieux rompus à la gestion de ces questions épineuses en temps de crise. Ils ont probablement plus l’habitude et de moyens pour suivre de près leur
Max Jadot: « Je plaide donc pour un dialogue extrêmement fréquent et transparent, dans les bons moments comme dans les périodes plus compliquées. Il n’existe rien de pire que les surprises, surtout négatives. »
cash, leur working capital et les éléments coûts/rentabilité. Mais cela n’empêche pas que pour les corporates, et certainement en 2009, nous avons aussi assisté à de nombreuses restructurations. »
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adaptées aux demandes. Bien entendu, cela nécessite un peu de formation de nos équipes. Nous y travaillons. » Avez-vous rencontré des demandes récurrentes? Max Jadot: « Nos enquêtes clients font transparaitre un besoin pour davantage de souplesse sur les crédits: conditions, pricing, garanties, vitesse de décision et d’exécution… C’est toute la question de l’organisation de notre force de vente. Aussi, nous avons mis le focus sur ces thématiques. Nous avons notamment veillé à encore améliorer la connaissance de nos équipes sur les produits sophistiqués: financement structuré, public to private, produits de salles de marché, etc., pour mieux correspondre à la demande de notre clientèle. Nos account managers servent d’interface entre la banque et les entreprises, ils travaillent à chaque fois avec un spécialiste du produit. » Que doivent mettre en avant les CFO par rapport à leur banquier? Arnaud Laviolette: « Plusieurs éléments entrent en ligne de compte. Bien entendu, le banquier va raisonner sur base des chiffres. Ceux-ci doivent donc être transparents et bien expliqués. Ce qui est le cas dans la majorité des entreprises. Mais en plus d’un homme de chiffres, le CFO est aussi un homme de stratégie. Il doit pouvoir défendre le positionnement de son entreprise et
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la direction qu’elle souhaite prendre afin d’expliquer pourquoi il a besoin de renouveler son financement, d’obtenir des lignes supplémentaires, etc. Le banquier se posera légitimement des questions sur la pertinence de la stratégie de son client et de
PAS DE PRÉCIPITATION DURANT LA CRISE Les CFO des grandes entreprises n’ont pas travaillé dans la précipitation lors de la récession. C’est ce qui ressort d’une étude de l’Intelligence Unit du magazine The Economist, réalisée pour ING Commercial Banking auprès de 327 CFO et trésoriers d’entreprises européennes. Les prises de décisions, mûrement réfléchies, avaient souvent trait à la continuité de l’entreprise et étaient essentiellement axées sur le court terme. Les principales d’entre elles concernaient les coûts, comme par exemple comprimer les dépenses et reporter certains investissements. Vu les enjeux majeurs liés à leurs décisions, les CFO ont pris plus de temps qu’en conjoncture favorable. Les managers ont pu se concentrer intensivement et ils se sont montrés ouverts à des visions atypiques. En outre, face à l’urgence, les mesures drastiques étaient relativement peu contestées. La majorité des répondants estime toutefois que la prédominance du court terme s’est révélée préjudiciable sur le long terme. Enfin, les CFO soulignent que les outils de planification financière s’avèrent plus efficaces en période de crise et que leur (manque d’)expérience d’une récession a joué un rôle dans la prise de décision.
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Arnaud Laviolette: « Nous restons une banque relationnelle, contrairement au monde anglo-saxon plus transactionnel. Le client doit tenir compte de cette relation et des intérêts des banquiers relationnels en matière de cross-selling d’autres produits. »
l’adéquation de ses moyens financiers. Autre point important: ING reste une banque relationnelle, contrairement au monde anglo-saxon plus transactionnel. Le client doit tenir compte de cette relation et des intérêts des banquiers relationnels en matière de cross-selling d’autres produits. A travers l’octroi d’un crédit, une banque met ses fonds propres à disposition de ses clients et le crédit ne se révèle pas, en règle générale, d’une grande rentabilité. Aussi, la banque espère d’un client qu’il se limite à du cherry picking de crédit. ING n’a pas changé sa politique au
« Le banquier doit encore mieux comprendre la stratégie de son client et savoir comment celui-ci organise son entreprise. »
cours des derniers mois. Nous avons simplement mis davantage
- © Emile Luider / agence Rapho
l’accent sur ces aspects relationnels. Car un partenariat se teste en période de crise et non quand tout va bien. »
cument de VOKA (Vlaams netwerk van ondernemingen) en
Max Jadot: « Le monde idéal n’existe sans doute pas. Mais la trans-
Flandre. Se présenter avec un dossier crédit bien structuré.
parence doit être mise en avant, dans les bons moments comme
Venir le plus tôt possible avec sa demande de crédit. Faire
dans les périodes plus compliquées. Il n’existe rien de pire que
preuve de transparence face au banquier. Se montrer proac-
les surprises, surtout négatives. Je plaide donc pour un dialogue
tif. Présenter des hypothèses réalistes: best case mais aussi et
extrêmement fréquent et transparent. Cela nécessite de la com-
surtout worst case. Demander l’avis du banquier: le dialogue
préhension de la part des CFO. Mais plus on communique, plus la
est important. Enfin, il faut respecter les engagements pris si
banque peut anticiper le besoin et y répondre rapidement. »
vous voulez qu’à son tour la banque vous respecte. Au cours
Peter Vermeiren: « Pour corriger la transparence des entre-
des derniers mois, ces thèmes ont évolué parce que l’élément
prises vis-à-vis des banques, il faut essayer d’améliorer la
cash/liquidité a gagné en importance. Il y a quelques années,
relation crédit et commerciale avec le banquier. Comment?
pour une PME, le banquier était probablement considéré ex-
Je propose sept pistes. Elles se basent notamment sur un do-
clusivement comme un fournisseur d’argent. Avec la crise,
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nombre de clients ont constaté qu’un banquier est bien plus que cela. Dexia a d’ailleurs mis en avant l’aspect partenariat/ soutien des clients. Nous ne coupons pas une ligne de crédit de façon inconsidérée mais il faut bien tenir compte des risques encourus par l’organisme bancaire. Le processus de crédit a finalement été rationnalisé. » Quelles sont les nouvelles solutions que vous proposez aux CFO? Max Jadot: « Dans la nouvelle configuration de BNP Paribas
« Les questions de liquidité étant plus ou moins solutionnées, nous pouvons réfléchir avec nos clients sur du plus long terme. »
Fortis, j’aimerais tout particulièrement souligner sa dimension géographique. Un thème très important pour nos clients car
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ils s’orientent très rapidement vers l’exportation. Nous som-
de fonds propres de l’entreprise. Nous revenons, sur cette
mes désormais capables de les suivre dans 85 pays, en répon-
thématique, aux activités de Dexia Corporate Finance (aug-
dant à peu près à tous les besoins bancaires qu’ils pourraient
mentation de capital – mise en bourse d’entreprises) et Dexia
rencontrer. Du jour au lendemain, du Brésil au Vietnam, nous
Private Equity, où, à terme, nous envisageons de mettre sur
les accompagnons. BNP Paribas Fortis est présent sur tous
pied des partenariats avec des acteurs déjà établis sur le
les pôles économiques. Notre banque n’a sans doute jamais
marché. Pour ce qui touche au financement, je citerais les
proposé une telle offre de proximité, un réseau si riche, qui
émissions obligataires et les programmes de commercial
conserve néanmoins un ancrage bien belge. Cette offre est
paper. Nous pouvons aussi proposer des activités de leasing
sans doute encore insuffisamment connue à ce jour. Or, il s’agit
et de factoring comme asset backed solutions. En outre, lors
bien d’un outil à disposition des CFO et des opérationnels pour
de la crise, nombre de sociétés étudient la possibilité de dé-
leur permettre d’améliorer leur travail à l’étranger. Quant à nos
sinvestir de leurs actifs non-core. C’est pourquoi nous suggé-
produits, la plupart existaient déjà avant la crise. Sauf si nous
rons de revenir dans les domaines du real estate (avec Dexia
considérons des produits extrêmement spécifiques, comme
Real Estate Banking) ou corporate finance (avec les services
par exemple l’obligation convertible. Mais celle-ci ne concerne
Mergers et Acquisitions de Dexia Corporate Finance). Enfin,
qu’une poignée d’opérations au cours d’une année… »
nous nous montrons particulièrement actifs en public-pri-
Peter Vermeiren: « Les solutions sont de plusieurs ordres.
vate partnerships – une autre forme de financement – et en
Pour ce qui concerne la solvabilité et la liquidité, nous met-
structured finance – des solutions davantage sur mesure –
tons en avant des solutions d’augmentation de capital et
par exemple intéressantes pour réaliser une acquisition ou concrétiser des projets financiers plus larges. » Arnaud Laviolette: « Nos services existaient déjà, dans une grande mesure, avant la crise. Les dix-huit derniers mois les ont néanmoins remis au goût du jour. Je pense, par exemple, aux financements plus sécurisés par des actifs par rapport aux financements davantage sécurisés par du cash-flow. Ces pro-
Max Jadot:
duits ont naturellement repris de l’ampleur, nous n’avons pas
« Regain de confiance »
eu besoin de développer d’autres solutions. Ainsi, les émissions
« Les enquêtes de satisfaction clientèle montrent bien
un appétit particulier. Nous nous sommes ensuite retrouvés,
l’amélioration de la perception du travail des banques
d’une part, face à des investisseurs retail et institutionnels qui
depuis un an et surtout depuis six mois. La relation a
cherchaient des produits avec un rendement satisfaisant et,
effectivement été perturbée mais il faut se rendre
d’autre part, face à des émetteurs très contents d’avoir accès
compte que dans une large majorité, les entreprises
à une source de financement diversifiée. Les émissions obliga-
font confiance à leur banquier. Je pense que nous avons
taires ont alors eu le vent en poupe. Nous avons notamment
pu répondre à toutes les inquiétudes et certainement à
participé à quelques obligations convertibles durant la crise,
toutes les demandes. Bien entendu, nous avons rencon-
ce qui ne s’était plus vraiment produit depuis une dizaine
tré des dossiers plus délicats : des entreprises en mau-
d’années. ING n’a pas une culture de product pushing. Nous
vais état, trop endettés, mal soutenues par des banques
préférons voir de manière permanente comment adapter nos
étrangères… Mais les banques belges ont fait leur bou-
solutions aux besoins des clients. Et aujourd’hui, alors que les
lot. Rapidement, nous avons recentré nos moyens sur les
questions de liquidité sont plus ou moins solutionnées, réflé-
activités en Belgique. Et aujourd’hui, nos enquêtes de
chir avec nos clients sur du plus long terme: comment pou-
satisfaction clients sont encourageantes et positives. »
vons-nous à nouveau, en fonction de leurs ambitions stratégi-
d’obligations publiques et privées se trouvaient un peu ‘au frigo’. Car les sociétés et les investisseurs ne montraient pas
ques, répondre à leurs besoins? » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
LE CFO FACE À SON INTERMÉDIAIRE FINANCIER Depuis la crise, les professionnels sont à nouveau à la recherche de repères, dans un environnement qui les a obligés à naviguer en terra incognita. Pourtant, l’enchaînement qui mène de la croissance à la crise est toujours le même: une mauvaise évaluation du risque et un excès d’endettement. Même si le vade-mecum du praticien de la finance n’a fondamentalement pas changé: la répétition est la mère des études, observe Mikael Petitjean, Associate Professor of Finance à la Louvain School of Management et aux FUCaM. A la fin des années ‘80, les investisseurs découvraient les « high-yield » bonds (obligations à haut rendement) qui seront appelées « junk bonds » (obligations pourries) à la suite de l’écroulement du marché. La BBL sera même ébranlée par la faillite de la banque américaine Drexel Burnham Lambert suite aux opérations douteuses de Michael Milken, alors considéré comme le maître des maîtres sur le marché des high-yield bonds. Vingt-cinq ans plus tard, l’histoire se répète avec les produits structurés, plus particulièrement les Collateralized Debt Obligations (CDO), dont le risque sous-jacent a été sous-évalué. L’effet de surprise fut d’autant plus grand que
Mikael Petitjean: « Tous les nouveaux produits financiers ne sont pas par définition mauvais ou ‘toxiques’. Les investisseurs doivent simplement apprendre à exiger une prime de risque adéquate. »
ces produits tiraient leur valeur d’un marché que l’on pensait bien connaître: le marché immobilier américain. Or, un
sion d’actions est compensé par le fait qu’elle fait diminuer
paramètre souvent négligé a joué un rôle capital: les chan-
le coût de la dette.
gements de législation. La législation américaine a consi-
Aussi, gardons constamment à l’esprit les éléments suivants:
dérablement favorisé le segment des « suprime loans ». Et
1. Le risque se cache derrière le rendement: les « free
le mécanisme, par ailleurs précieux, de la titrisation a fait
lunchs » n’existent pas en finance. Même la diversifica-
le reste. Au bout du compte, les investisseurs ignoraient
tion peut ne pas fonctionner lorsque les marchés finan-
les spécificités du marché immobilier américain et ont été
ciers subissent un choc systémique tel que celui lié à la
attirés par les dizaines de points de base supplémentaires
faillite de Lehman Brothers.
offerts par les produits qui en dérivaient. Or, le danger d’une
2. Les investisseurs apprennent par l’expérience. Lorsqu’un
sous-évaluation du risque est d’autant plus grand que le
nouveau produit apparaît sur le marché, attendez que le
produit financier est nouveau. Cela ne veut pas dire que
marché murisse et que les investisseurs spécialisés dans
tous les nouveaux produits financiers sont par définition
ce marché en déterminent la prime de risque adéquate.
mauvais ou « toxiques ». Les investisseurs doivent simple-
3. Le risque lié aux changements législatifs est un facteur
ment apprendre à exiger une prime de risque adéquate.
de risque à ne jamais négliger. Cela est d’autant plus vrai
La crise a également démontré qu’il était vain, voire dan-
que le marché dans lequel vous investissez est éloigné.
gereux, de vouloir « jouer » avec la structure financière et
4. Même si les produits financiers « simples » offrent sou-
plus particulièrement avec l’effet de levier, tout en visant à
vent des rendements attendus inférieurs à ceux des pro-
contourner les contraintes imposées par les accords de Bâle.
duits plus sophistiqués, ils font face à un « risque modè-
Il est illusoire de penser qu’une structure bilantaire optima-
le » quasi nul. Autrement dit, la valorisation de produits
le se décrète. Encore aujourd’hui, bon nombre de praticiens
plus complexes dépend de modèles dont les hypothèses
sont convaincus que l’émission de titres de la dette se révè-
de travail peuvent se révéler irréalistes lorsque les condi-
le « bon marché » par rapport à l’émission d’actions et que,
tions de marchés se dégradent.
par conséquent, la profitabilité d’une institution peut être
5. La profitabilité d’une entreprise se détermine sur le « ter-
améliorée en misant sur la dette. Cet arbitrage est vain sur
rain », par les caractéristiques des produits et services qu’el-
le moyen terme: le coût de la dette grimpe lorsque le poids
le offre à ses clients. A moyen terme, il est vain et même
de la dette s’alourdit face aux fonds propres. Inversement,
dangereux d’arbitrer le bilan d’une société dans le but d’en
sur le moyen-terme, le « coût supplémentaire » de l’émis-
augmenter la profitabilité financière à court-terme.
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DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
L’église revient peu à peu au milieu du village 28
Quand on demande à Bernard Delvigne si la crise a affecté la relation entre le CFO et les banques, la réponse du directeur administratif & financier de Manitou peut paraître, de prime abord, paradoxale. Tel un Normand, il nous dit à la fois… oui et non! Développements.
« Oui », car notre interlocuteur voit un événement éminem-
tement souffert, et ce parfois dès le dernier trimestre 2008
ment historique dans cette période que nous venons de tra-
dans certains pays. Impact pour Manitou, en moyenne au ni-
verser. Et il semble certain que ces mois difficiles resteront
veau du groupe: une baisse du chiffre d’affaires de l’ordre de
gravés dans les mémoires de tous, et particulièrement dans
50%. Aussi, Bernard Delvigne envisage, par le biais de ce par-
celles des CFO. « Non », car en tant que filiale d’un groupe in-
tenariat vendor lease, une relation de proximité avec l’unique
ternational, Manitou Benelux dispose – et heureusement – de
partenaire financier de Manitou.
nombreux avantages au niveau du système bancaire, comme le cash pooling ou l’assurance crédit mais également, depuis
RELATION DE PROXIMITÉ
2006, d’un partenariat avec un banquier – BPLG – qui s’est par
« Les banques, en règle générale, montrent moins de flexibilité,
ailleurs renforcé sur la place belge suite au rachat de Fortis.
observe-t-il. Aussi, dans la gestion financière, nous avons re-
« Ce type de partenariat, un ‘vendor lease’, nous aide à propo-
levé de plusieurs crans notre niveau d’exigence. Nous essayons
ser des solutions à nos concessionnaires et aux clients finaux,
de minimiser les risques. Comme, par exemple, ceux des en-
explique-t-il. Nous travaillons dans un mode de distribution
gagements hors bilan. Nous veillons à un strict respect des
semi-directe, un peu comme les distributeurs automobiles. »
lignes de crédit. Mais nous cherchons aussi plus de créativité
Néanmoins, après cette période difficile, Bernard Delvigne
pour faire accepter les crédits: mise en place d’action à taux
souligne tout l’intérêt de se montrer innovant en matière de
réduit, paiement d’un premier acompte, valeur résiduelle plus
propositions et de programmes sur mesure. « Nous devons
élevée… » Pour rétablir la confiance, si on parle d’une façon
dès lors renforcer nos relations avec nos partenaires financiers
générale, Bernard Delvigne souhaite que le banquier rede-
pour faire accepter les crédits ou, en tout cas, connaître un
vienne un partenaire dans le développement commercial. Et
taux de refus minimal. Car, depuis un an, nous remarquons
cela doit passer par une relation win/win entre le banquier,
clairement que les dossiers sont plus délicats. Par rapport au
son client et surtout le fournisseur.
passé, les banques se montrent plus exigeantes et strictes en
« Typiquement, on pourra réinstaurer cette confiance grâce à des
matière d’analyse financière. »
partenariats solides. Dans le cadre de notre collaboration avec
De manière assez peu surprenante, le business de Manitou a
BPLG, nous essayons d’ailleurs de lier notre offre financière à notre
été touché par la crise économique et financière. L’entreprise
marque, en utilisant le nom marketing Manitou Finance. Même
est en effet présente dans trois secteurs d’activité: l’agricul-
s’il ne s’agit pas d’une joint-venture. » Au cours de 18 derniers
ture, le bâtiment et l’industrie. Trois secteurs qui ont très for-
mois, pour le CFO de Manitou, le banquier a sans doute failli à sa
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
mission en se lançant dans une course à la rentabilité, avec des produits toxiques non maitrisés. « Nous avions quitté la relation de partenariat et de développement commercial. Heureusement, l’église semble revenir peu à peu au milieu du village. »
ETRE LE RELAIS De son côté, le CFO doit aussi se mettre en avant par rapport à son (ses) banquier(s). En étant à l’écoute mais aussi en proposant des plans de développement à court, moyen et long terme, avec des analyses du portefeuille de commande et de l’échéancier, pour analysée précisément le besoin et proposer des pistes pour parvenir à vendre le matériel. « Nous sommes sans doute entrés dans une ère davantage orientée vers le surmesure. Mais je pense que les banques en ont conscience. » Pour Bernard Delvigne, les offres doivent se montrer adaptées aux besoins des clients: financement, leasing, renting, full service pour les équipements industriels, location courte
Bernard Delvigne: « On pourra réinstaurer la confiance grâce à des partenariats solides. Nous sommes sans doute entrés dans une ère davantage orientée vers le sur-mesure. »
ou moyenne durée… « Le banquier doit être à l’écoute du client et pouvoir lui proposer une solution conforme à ses besoins et
Enfin, Bernard Delvigne nous fait part d’un dernier constat, celui
à son attente. Par contre, en tant que CFO, nous devons être
d’un certain décalage vis-à-vis des banques. « La reprise s’amorce
conscients que le banquier a besoin de plus d’information sur
mais les banquiers sont encore influencés par les chiffres de 2009
la situation financière du client. Aussi transmettons des situa-
et les baisses des chiffres d’affaires, conclut-il. Le CFO doit inter-
tions intermédiaires. Ce service financier est nouveau mais
venir sur ce point. Parce qu’aujourd’hui, cette baisse des chiffres
nous sommes toujours le relais entre la banque et son client. »
d’affaires joue dans l’analyse financière du banquier. »
QUELLES NOUVELLES SOLUTIONS? Les banques ont récemment lancé plusieurs produits sur le
Financing). Si le matériel n’est pas vendu, une ou plusieurs
marché. Bernard Delvigne en a retenu sept parmi les plus
extensions de délai de paiements peuvent être allouées par la
intéressants pour son activité.
banque au delà du délai constructeur. Condition importante
Floor Plan Basic: « Le constructeur alloue un délai de paiement
: vérifier régulièrement l’existence des stocks. »
à ses dealers qui doivent payer la facture à la date d’échéance
Unit Stocking: « L’équipement est cédé à la banque qui le fac-
fixée, même si le matériel a été vendu plus tôt. Le Floor Plan-
ture au concessionnaire, à la plus récente des deux dates :
ner opère en tant qu’agent d’encaissement des créances sur
lorsqu’il a trouvé un client final et initié un règlement, à la
les concessionnaires qui reversent au constructeur les sommes
date de l’échéance initiale ou immédiatement. Comme pour
reçues, à la date réelle d’encaissement, ou au plus tard en cas
le Floor Plan Power, le contrôle des stocks est nécessaire. »
d’insolvabilité pour indemniser le fournisseur. Le Floor Planner
Le financement des reprises: « Aussi appelé Inventory Finan-
ne joue aucun rôle dans le financement du cycle d’exploitation
cing, ce produit est dédié au support des reprises (trade-ins).
du constructeur comme de ses concessionnaires. Cette formule
Il s’agit d’une facilité de tirage offerte aux concessionnaires
crée une interface entre le constructeur et les dealers. »
sur une ligne de crédit affectée. Généralement, le délai de
Floor Plan Maturity: « Le constructeur alloue un délai de
paiement est court, moins de 90 jours. Cette formule est
paiement à ses concessionnaires qui doivent payer la facture
uniquement réservée aux concessionnaires remplissant les
à la date d’échéance fixée, même si le matériel a été vendu
conditions d’éligibilité (critères de rating financier). »
plus tôt. Mais le Floor Planner règle le constructeur à la date
Demo/Show room: « Le Demonstration/Show room finan-
d’échéance conventionnelle et peut accorder un délai com-
cing permet aux constructeurs de mettre à disposition des
plémentaire au concessionnaire (contrat tri-partite). Le Floor
machines de démonstration dans certaines concessions. Le
planner participe au financement du cycle d’exploitation des
délai de paiement est généralement long et peut être assorti
concessionnaires. Par construction, le Maturity permet d’ap-
de paiements intermédiaires. »
puyer les opérations de financement Retail. »
Rent to Buy: « Un produit destiné à permettre aux conces-
Floor Plan Power: « Le schéma est identique au précédent
sionnaires de se constituer un parc locatif courte durée. On
mais le concessionnaire doit, dans cette formule, régler sa
peut transformer le Rent to Buy en solution moyen terme de
facture lors de la vente de l’équipement (upon retail/Retail
type Rent to Rent. »
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
29
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Financement complémentaire, et non alternatif La crise et son impact sur les institutions bancaires ont fait apparaître la nécessité de diversifier les sources de financement. C’est ainsi qu’a émergé, à Paris, The Corporate Funding Association (CFA), spécialisée dans le crédit aux entreprises et dont les emprunteurs seront les actionnaires.
30
Philippe Roca: « Les banquiers doivent continuer à faire leur travail, mais, par ailleurs, les entreprises continueront à avoir besoin de sources complémentaires de financement. »
L
e concept de The Corporate Funding Association
« Nous ciblons les grosses PME et les grandes entreprises en
est relativement simple: il s’agit d’une associa-
mesure de produire une notation publique ou privée de qualité
tion de grandes entreprises qui se regroupent
investment grade. » Quels que soient leur secteur d’activité –
pour créer une banque dont la seule vocation
exceptés les secteurs bancaire et de l’assurance, ainsi que les
consiste à leur fournir des lignes de crédit à moyen terme.
sociétés foncières – et leur situation géographique. En outre,
Le projet repose sur deux principes forts: premièrement, cha-
The Corporate Funding Association ne se positionne pas
que participant apporte le capital requis par la ligne de crédit
comme concurrent des banques. « Pourquoi? D’abord parce
dont il va bénéficier et, deuxièmement, le mécanisme de pri-
que nous ne proposerons pas, à l’avenir, d’autres services aux
cing de crédit se révèle original, puisque les marges de crédit
entreprises. Ensuite parce que CFA n’assumera pas plus d’un
sont révisées tous les trimestres en fonction des conditions
quart des engagements de crédit d’un de ses membres. En ef-
du marché obligataire et de la notation des emprunteurs.
fet, les banquiers doivent continuer à faire leur travail. Ensuite,
Lancé il y a dix-huit mois, CFA a connu un coup d’accéléra-
pour un entrepreneur, mettre tous ses œufs dans le même pa-
teur à partir de l’été 2009 lorsque certaines entreprises ont
nier en matière de financement reste dangereux. Il en va de
décidé de soutenir l’étude du projet. « Nous ne nous posi-
même pour la banque. Elle n’a pas intérêt à être seul créancier
tionnons pas comme une source de financement alternative,
d’une entreprise. C’est une façon de réduire le risque en cas de
souligne d’emblée Philippe Roca, co-fondateur de CFA. Nous
défaut du débiteur. »
ne prétendons pas nous substituer à qui que ce soit. CFA est
On l’a vu fin 2008-début 2009, quand les marchés bancai-
une source de financement complémentaire. » Face aux fi-
res et obligataires se sont refermés, les entreprises ont cher-
nanciers – ses interlocuteurs privilégiés sont les trésoriers
ché, à l’époque, à diversifier leurs sources de financement.
et les directeurs financiers –, CFA se profile donc comme
Aujourd’hui, ce réflexe est acquis par tous les responsables
une association très ouverte à la discussion.
financiers. CFA souhaite continuer à enfoncer le clou. « Même
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
si une crise comme celle que nous venons de traverser ne se re-
outre, nous avons observé que certaines banques ont tendance
produit pas, des inquiétudes naissent déjà par rapport aux exi-
à ‘lâcher’ quelques clients ou même certains pays pour se replier
gences de Bâle 3 qui va imposer aux banques de disposer de bien
sur des clients ou des zones géographiques plus stratégiques.
davantage de fonds propres. Et on connait le poids que le crédit
Ces clients voient donc diminuer le nombre de banques à qui ils
peut représenter dans la mobilisation de ces fonds propres. Cet-
peuvent potentiellement faire appel. Autant de raisons qui nous
te réforme risque de peser sur la capacité de prêt des banques.
poussent à croire fermement que les entreprises continueront à
CFA permettra d’alléger la pression sur leurs fonds propres. En
avoir besoin de sources complémentaires de financement. »
« LA DÉCISION DE PARTICIPER EST AVANT TOUT DE NATURE STRATÉGIQUE » Pour Olivier Brissaud, président de l’Association des trésoriers d’entreprises en Belgique (ATEB), l’initiative CFA se distingue essentiellement par sa vocation de banque coopérative. « C’est-à-dire qu’elle doit travailler pour ses actionnaires… qui sont en même temps les bénéficiaires du crédit. » A la différence d’une banque traditionnelle, au défaut près, rien ne devrait donc se perdre ou se créer. Et les actionnaires de retoucher les dividendes de leur activité. « CFA n’est pas censée engranger les mêmes marges de return sur equity que les autres organismes financiers. D’ailleurs, on a vu que c’est justement ce qui amène les banques à faire de grosses bêtises... »
31
Aussi, quels avantages pour l’actionnaire et le bénéficiaire du crédit? « Il s’agit évidemment de se doter d’une source de financement supplémentaire par rapport à un système bancaire classique. Par ailleurs, CFA permet une large transparence dans le processus d’établissement du dossier et du crédit. Car, en tant qu’actionnaire, on sait toujours où en sont les engagements. » Olivier Brissaud souligne également le côté créatif du projet. Même s’il ne s’agit pas de la première initiative du genre, l’échelle est, cette fois, bien plus importante. « Les promoteurs souhaitent atteindre une centaine d’actionnaires pour se lancer. Autre point important concernant ces actionnaires: CFA recherche une grande diversification de nationalité et de secteurs. A raison. En effet, par le passé, les banques coopératives unisectorielles ont montré leur faible résistance face aux conflits d’intérêt. Il est sans doute bien plus aisé d’instaurer une bonne gouvernance avec une grande diversification des parties prenantes. » Les marges payées par les entreprises à The Corporate Funding Association servent donc au fonctionnement de la banque. Mais on les retrouve, bien entendu, aussi sous forme de dividendes, à la fin de l’exercice. Autres intérêts pour les actionnaires: un faible investissement à consentir par rapport à
Olivier Brissaud: « Par le passé, les banques coopératives unisectorielles ont montré leur faible résistance face aux conflits d’intérêt. Il est sans doute bien plus aisé d’instaurer une bonne gouvernance avec une grande diversification des parties prenantes. »
une disponibilité de crédit qui – surtout ces derniers temps – s’est montrée aléatoire, rare et chère. L’accès est ici plus aisé,
ne constitue que rarement une priorité. La décision est donc de
en fonction de la notation de l’entreprise, naturellement.
nature stratégique. Il faut la faire valider au plus haut niveau
En réalité, Olivier Brissaud soulève essentiellement une ques-
car je ne connais aucune activité sans aucun risque. Il y en a
tion cruciale que doivent se poser les entrepreneurs avant de
partout, ici comme ailleurs. A la différence notable, dans le cas
se lancer dans l’aventure. Est-ce la vocation d’une entreprise
de CFA, que la visibilité dont bénéficient les entreprises sur la
de devenir actionnaire d’une banque? « Trésoriers d’entrepri-
gestion de la banque est sans pareille. » En effet, avec une seu-
ses et CFO l’auront certainement rapidement à l’esprit. Car, a
le activité à son « portefeuille », analyser l’évolution du bilan
priori, investir dans une activité en dehors de son core-business
d’une banque n’aura, sans doute, jamais été aussi simple.
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : LAURENT CORTVRINDT
Avez-vous déjà négocié vos frais bancaires? 32
Comment optimiser les frais bancaires? Possédez-vous un réel pouvoir de négociation auprès des banques? Deux questions incontournables pour le CFO et sur lesquelles De Rhins conseille les entreprises, avec pour objectif de transformer la relation entreprises-banques en la rendant plus équilibrée, plus transparente et rémunérée au juste coût.
D
ans le monde des affaires, on n’a pas l’habitu-
dû faire face à de plus grands besoins/difficultés de financement,
de de se faire de « cadeaux ». Entendez par là
la situation s’est tendue. Et ce n’était pas gênant de crier haut et
obtenir des « prix d’ami »… sans entreprendre
fort contre les banques. Les gouvernements ont d’ailleurs répondu
de démarches pour les mériter. C’est pourquoi
en essayant de mettre des outils de financement en place. »
procéder tous les trois ou quatre ans à une révision globale de
Dans la relation banques-entreprises, Anthony Schulhof dis-
ses frais bancaires semble plus que conseillé. Et plus votre entre-
tingue deux volets. Le premier concerne les financements,
prise se montrera bien portante, plus votre levier de négociation
c’est-à-dire comment trouver du cash à court, moyen ou long
se révèlera intéressant. Le métier de De Rhins, société française
terme pour soutenir le développement de l’entreprise. Le second
spécialisée dans l’optimisation des frais bancaires et des coûts
touche au fonctionnement quotidien des comptes, à la gestion
d’affacturage, consiste à faciliter et améliorer la relation entre
des flux. Ces deux dossiers font partie d’une relation globale
les entreprises et les banques… tout en essayant de dégager des
avec une banque, mais ils s’analysent et se négocient différem-
optimisations, c’est-à-dire obtenir un coût optimal pour une
ment au niveau des tarifs. « De Rhins n’est pas un cost-killer. Notre
qualité de service attendue.
métier est d’optimiser les frais bancaires d’une entreprise cliente, sur base d’un cahier des charges, des contraintes, des besoins et
PAS UN COST-KILLER
du niveau de services attendu. En matière de gestion des flux quo-
En d’autres termes: comment obtenir des banques les meilleurs
tidiens, les banques facturent les entreprises pour gérer leurs flux
tarifs, sachant que le marché, pourtant très concurrentiel, n’of-
d’encaissements et décaissements. Or, les conditions/méthodes
fre que peu de transparence sur les prix pratiqués. En effet, si les
de facturation changent d’une institution à l’autre… quand elles
banques jouaient entièrement cartes sur table, comparer leurs
ne varient pas carrément au sein d’une même banque pour deux
conditions tarifaires serait un jeu d’enfant. Ce n’est pas le cas.
clients différents. Il n’y a donc aucune transparence dans la tarifi-
Pendant la crise, les banques ont souvent été montrées du doigt
cation bancaire. » La facturation des frais bancaires sur les flux
pour leur frilosité. Anthony Schulhof, président de De Rhins, rap-
est composée de 10, 15 voire 20 lignes de facturation distinc-
pelle néanmoins que depuis toujours, le métier des banques est,
tes, bien entendu, toutes différentes. « Dès lors, la seule façon
certes, de prêter de l’argent mais sous garanties. « Au cours de
d’appréhender le coût bancaire et de comparer des tarifications
ces 18 derniers mois, comme les entreprises ont, pour la plupart,
consiste à évaluer le PNB généré par les banques grâce aux comp-
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
tes ouverts par une entreprise. On peut alors obtenir une idée de la rentabilité annuellement générée par la banque. »
DE 1 À 10 Pour Anthony Schulhof, il n’y a donc aucune gêne à mettre en concurrence différentes banques. La marge de négociation sur l’optimisation des coûts et tarifs des flux est bien réelle. On parle, en moyenne, de gains variant entre 10% et 30%. Par contre, pour être entendu, il conviendra de présenter un dossier solide. « Tant qu’on ne lui demande rien, une banque n’a pas intérêt à baisser ses prix. Il faut une démarche proactive de remise en cause et de renégociation pour faire baisser les tarifs. » Un client de De Rhins s’est, par exemple, rendu compte que les tarifs globaux annuels payés à trois banques, pour la gestion d’un flux en particulier avec de volumes identiques, allaient du simple au décuple. « On peut tolérer un écart de prix mais pas une telle variance. Il n’y a aucune raison valable pour expliquer des prix si différents. » De Rhins intervient auprès des banques à la demande des responsables financiers des entreprises, pour leur savoir-faire mais aussi pour le temps que requiert la démarche. En effet, une mission pour une société de taille importante dure, environ, six mois. « L’analyse détaillée, en amont, est fondamentale. Nous ne pouvons pas lancer dans un appel d’offre sans
Anthony Schulhof: « Tant qu’on ne lui demande rien, une banque n’a pas intérêt à baisser ses prix. Il faut une démarche proactive de remise en cause et de renégociation. Les marges de manœuvre existent mais, pour les activer, il faut un dossier indiscutable. »
guides. Oui, les marges de manœuvre existent mais pour les activer, il faut un dossier indiscutable. »
directement un client, elle peut quand même procéder via une so-
En effet, les banques profitent d’un certain pouvoir: « menaces »
ciété sœur. Pour celle-ci, les prêts sont garantis puisqu’elle finance
de refus de financement si on discute les prix, rengaine – sou-
uniquement les créances qui lui sont cédées et à hauteur de ce
vent entendue mais totalement infondée – sur la perte d’argent
qu’elle considère comme ‘prudent’. En gros: un factor ne prend
pour la banque sur la gestion des comptes de son client ... « D’où
quasiment aucun risque. »
l’intérêt de notre intervention: nous dépersonnalisons totalement
En affacturage, Anthony Schulhof souligne l’existence de qua-
la relation. Nous ne nous amusons pas à demander des prix ridi-
tre grandes catégories de typologies de contrats mais dans la
culement bas. Nous réclamons le juste prix. Il ne faut pas avoir
réalité, les offres se révèlent bien plus complexes. Et les factors
peur de son banquier, mais il faut respecter son travail. »
ne manquent pas d’en abuser. « Comme pour la négociation des
Pour un de ses derniers clients en date, De Rhins a obtenu 22% de
prix des flux, nous accompagnons nos clients afin de monter un
réduction des frais bancaires. Soit une enveloppe de € 200.000
dossier solide et de dépersonnaliser la discussion. D’ailleurs, nous
par an. « Concrètement, le client garde le pilotage de l’opération.
menons souvent les deux négociations de front. Cela peut paraî-
Il peut, par exemple, demander de lancer un appel d’offre unique-
tre inconcevable, mais nous avons déjà fait baisser les prix d’affac-
ment sur les banques déjà en place dans son entreprise, ou sou-
turage de 50% pour des clients. »
haiter la recherche de nouveaux partenaires. Nos missions abou-
Dans un premier temps, De Rhins détermine avec précision
tissent presque toutes à des réductions de frais bancaires. Et dans
les besoins de son client afin de mieux définir le produit d’af-
plus de 90% des cas, sans changement de banque. Il faut le savoir,
facturage dont il a réellement besoin. Nous pouvons comparer
le marché est très concurrentiel. Et même si les banques s’en ca-
la démarche avec la renégociation d’un contrat de téléphonie
chent, elles se ‘battent’ pour conserver les clients et leurs flux. »
dont on n’utiliserait pas la moitié des options. « Il s’agit d’un volet particulièrement complexe parce que les contrats sont sou-
CFO PERDU
vent conclus pour une période déterminée et avec de nombreuses
Outre son travail sur les frais bancaires, le métier de De Rhins
options facturées, utiles ou non pour le client. » Ensuite, ils com-
aborde également l’optimisation des frais d’affacturage (facto-
portent des coûts cachés. Car, en réalité, les deux grands coûts
ring), cette autre source de financement très prisée des entrepri-
faciaux: le taux de financement et la commission d’affacturage
ses lors de la crise, afin d’accéder au financement. Problèmes de
ne représentent qu’une partie de l’iceberg. « Sur ce point, les res-
l’affacturage: des coûts importants et – à nouveau – un manque
ponsables financiers reconnaissent aisément qu’ils sont ‘perdus’
de transparence des tarifications appliquées par les factors (so-
face à la complexité de l’accès à l’information et qu’ils ‘subissent’
ciétés d’affacturage). « 90% des sociétés d’affacturage sont des
les contrats. Notre job consiste à trouver le bon deal en fonction
filiales de banques. Les factors indépendants sont rares. C’est un
des besoins réels en optimisant les coûts, afin que désormais, le
système intelligent car, quand la banque ne veut plus financer
responsable financier maîtrise la situation. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
33
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : BRUNO COLMANT1
Banques et contrôle public: la seconde fin des accords de Bretton Woods 34
Depuis les premiers jours de la crise, son issue était prévisible: les besoins de liquidités bancaires seraient monétisés et financés par les Etats. Pourtant, il n’était pas anticipé que les gouvernements interviennent au titre d’actionnaires des banques, ni qu’une crise économique suive les déroutes financières. Les dettes publiques en deviennent stratosphériques, au fur et à mesure que les déficits s’envolent.
D
’aucuns imaginent un rapide retour à la norma-
éviter de devoir à nouveau intervenir dans leur sauvetage,
le. Dans certains pays, ce ne sera probablement
les Etats exigeront des banques qu’elles prennent moins
pas le cas, car la déroute bancaire a magnifié
de risques dans l’octroi de crédit. Or les obligations d’État
des problèmes préexistants d’endettement
sont justement des crédits de la meilleure qualité puisqu’ils
public. La sortie de crise sera donc inattendue, hétérogène et
sont garantis par la capacité des Etats à lever des impôts.
désordonnée. Il sera d’ailleurs difficile de la discipliner sans met-
Contrairement aux crédits ordinaires, les banques ne doivent
tre en question les systèmes sociaux qui alimentent les déficits
d’ailleurs pas disposer de capitaux propres en proportion de
budgétaires structurels. Pour cette raison, de nombreux écono-
ces obligations d’Etat. L’actionnaire (l’Etat) peut donc pro-
mistes postulent que l’aboutissement de la crise sera, pour par-
mouvoir le placement de ses propres dettes.
tie, inflatoire. A moyen terme, l’inflation paraît l’issue inévitable
Au-delà des garde-fous réglementaires, cela devient une si-
pour s’extraire du cul-de-sac dans lequel les choix budgétaires
tuation circulaire puisque les banques ont dilué leurs désé-
ont mis les gouvernements européens.
quilibres dans ceux des États. Ou, inversement, les États ont trouvé dans leurs participations bancaires des créanciers
TUTELLE DES ETATS
fidèles. Les États et les banques vont entremêler leur solva-
Le secteur bancaire restera sous la stricte tutelle des Etats.
bilité dans une relation impure qui confond les rôles d’action-
Cette surveillance s’exercera pour des raisons prudentielles.
naire, de débiteur et de créancier.
Mais pas seulement: les États devront s’assurer que les ban-
Les banques l’ont parfaitement compris: à peine aidées et reca-
ques souscrivent aux obligations d’État destinées à financer
pitalisées, elles se dépêchent de rembourser les aides publiques
les déficits. Les États vont devoir capturer l’épargne privée au
et de se défaire des garanties étatiques. Elles ont raison, car le
travers des banques qui devront leur faire crédit.
pire serait de développer une doctrine d’actionnariat d’État. Les
En d’autres termes, l’actionnaire (l’État) des banques sera,
autorités n’ont ni vocation, ni compétence à demeurer action-
plus lourdement qu’avant, leur emprunteur. Cette situation
naires des banques. Les banques ne doivent pour autant se faire
ambigüe sera confortée par une logique implacable. Pour
aucune illusion: elles seront interpellées par les Etats, qui ne
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
pourront pas se passer de leurs capacités de financement. Les Etats pourront, quant à eux, légitimement opposer aux banques qu’ils ont dû sauver le système bancaire et doivent le contrôler. Au reste, quand bien même les banques voudraient retourner dans la sphère privée, ce sera difficile pour certaines d’entre elles, qui resteront nationalisées. La meilleure façon de prévenir la déroute d’une banque est, en effet, d’exiger que ses capitaux propres soient suffisamment élevés. Lorsque les Etats se dégageront du capital des banques – à une échéance probable de quelques années –, ils céderont leurs participations à des actionnaires de référence. Ces nouveaux actionnaires devront non seulement racheter les participations des Etats, mais aussi apporter simultanément des capitaux propres frais. Or les capitaux seront rares, car les marchés financiers seront asséchés par les besoins de financement des Etats. Il n’est donc pas sûr que le scénario de privatisation des banques soit facile à mettre en œuvre car les actionnaires privés seront difficiles à identifier.
NOUVELLES EXIGENCES En filigrane de ces évolutions prévisibles, il y a bien sûr de nombreuses leçons à tirer. Une leçon concerne la nécessaire recapitalisation des banques. Depuis longtemps, les théoriciens
35
académiques craignaient qu’au niveau mondial, les exigences prudentielles en matière de fonds propres soient, en moyenne, insuffisantes pour absorber des chocs extrêmes. Cette crainte était liée à la sophistication des instruments financiers, entraînant eux-mêmes des risques d’effets dominos. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant: les fonds propres bancaires sont destinés à absorber les pertes exceptionnelles pour protéger les déposants. Le choc systémique a mis cette réalité en évidence. Les pouvoirs publics y ont répondu de manière adéquate. La crise a apporté la réponse correcte à une question imprévue, à savoir le calibrage des fonds propres bancaires en cas
Bruno Colmant: « Un des messages de la crise est l’entrée dans un monde plus volatil, exigeant des banques plus robustes. C’est donc une immersion brutale dans les réalités de l’économie de marché. »
de chocs planétaires. D’ailleurs, le marché boursier a exercé une pression pressante sur les banques qui n’étaient pas re-
L’importance de ces derniers conditionne les possibilités de
capitalisées afin qu’elles le deviennent. Ce qui est bien sûr
croissance des institutions. Dans ce cadre, on peut s’interro-
troublant, c’est que cette pression s’est exercée même sur
ger : cette capacité d’épargne locale n’était-elle pas insuffi-
des banques qui étaient pourtant suffisamment capitalisées
sante pour les développements internationaux de certaines
selon les exigences actuelles.
banques? Dans le cas de Fortis, ça a conduit à de fragilisan-
Le marché dicterait-il donc, dans son anonymat et ses outran-
tes expansions internationales.
ces, de nouvelles exigences aux autorités de contrôle que celles fixées en 1988? Aurait-il gagné un bras de fer sur les pou-
INSTABILITÉ SYSTÉMIQUE
voirs publics? Ce n’est pas exclu. Un des messages de la crise
Cette réalité a d’ailleurs conduit au développement de concept
est l’entrée dans un monde plus volatil, exigeant des banques
de banque-assurance, qui n’a émergé que dans les pays ma-
plus robustes. C’est donc une immersion brutale dans les réa-
tures, fortement bancarisés et à capacité d’épargne élevée. La
lités de l’économie de marché. La question qui reste sans ré-
banque-assurance a permis de capturer un flux d’épargne des
ponse est désormais de savoir quel est le niveau optimal des
particuliers qui était nécessaire à la stabilité bancaire.
fonds propres dans un monde plus volatil. Une augmentation
En conséquence, au sein de plusieurs établissements de cré-
progressive de 10-15% des fonds propres est souvent citée,
dit européens, le crédit interbancaire a servi de substitut à
afin d’assurer la robustesse de la solvabilité
l’épargne domestique. Malheureusement, ce crédit bancaire
Il y a aussi des enseignements en ce qui concerne la base
a montré son instabilité systémique. Ce constat est d’autant
de dépôt des établissements de crédit. Une banque de dé-
plus crucial qu’au sein de certaines banques européennes,
tail est fondée sur la stabilité des comptes des particuliers.
la proportion du résultat découlant des activités de marché, FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
DOSSIER FISCALITÉ
elles-mêmes financées par du crédit interbancaire, représentait parfois une partie significative des bénéfices. Dans les prochaines années, les exigences de fonds propres seront donc aussi conditionnées par la nature du financement: plus les dépôts stables de la clientèle (c’est-à-dire ne découlant pas du crédit interbancaire) seront faibles, plus les fonds propres devront être importants. Certes, on rétorquera que nonobstant le niveau d’épargne domestique, le développement international des banques était indispensable pour générer des économies d’échelle que les inves-
« Les pouvoirs publics ont acquitté une sorte de prime d’assurance aux banques en contrepartie de l’élimination du risque de sauvetage. »
tissements informatiques exigeaient. La question est désormais de savoir si ces rationalisations informatiques ont été suffisantes.
veau, contrôler la création monétaire, comme du temps des
Ce n’est probablement pas le cas pour tous les établissements.
Bretton Woods. Voici pourquoi. La crise financière 2007-9 replace les banques sous le strict
36
CONTRAT ROMPU
contrôle des Etats. Cette surveillance s’exercera pour d’évi-
En outre, la tutelle des banques se modifiera de manière invisi-
dentes raisons prudentielles. Mais pas seulement: les États
ble mais irréversible. Un contrat implicite a été rompu entre la
devront s’assurer que les banques souscrivent aux obliga-
sphère bancaire et l’Etat. Cet accord tacite consistait à accep-
tions d’État destinées à financer les déficits. Ils vont devoir
ter que les institutions financières réalisent des bénéfices en
capturer l’épargne privée au travers des banques qui devront
tirant avantage de rentes de situations quasi monopolistiques.
leur faire crédit. La crise a, en effet, révélé l’effrayante réalité
Mais cette liberté de profit avait une contrepartie: les banques
de nos économies: un endettement public insupportable,
devaient se gérer de manière suffisamment prudente afin de
suscité par l’incapacité des gouvernements européens à anti-
ne jamais devoir faire appel à l’aide de l’Etat. Les pouvoirs pu-
ciper le financement des pensions et à réformer les systèmes
blics ont donc acquitté une sorte de prime d’assurance aux
de redistribution. Ces derniers, hérités des années d’après-
banques en contrepartie de l’élimination du risque de sauve-
guerre, ont conduit à financer le bien-être au détriment des
tage. Si ce contrat n’est pas respecté, cela suscite un problème
générations futures.
d’aléa moral (ou moral hazard), incite une banque à augmen-
Au travers de la crise de 2009, c’est donc un cycle de 70 ans
ter les risques (et les bénéfices qu’elles en tirent) qu’elle prend
qui s’achève. Les premières trente années, appelées les Trente
puisque l’Etat intervient en cas de problème.
Glorieuses, auront été bâties sur les accords monétaires de
C’est ce contrat implicite qui a conduit à élaborer la théorie,
Bretton Woods (1944-1971). Les quarante années suivantes
désormais fragilisée, du « too big to fail » qui consiste à ima-
(1971-2009) auront été, pour partie, celles des illusions. Les
giner que certaines institutions financières sont trop impor-
prochaines seront celles de l’ordonnancement des dettes
tantes pour s’écrouler. Cela explique que le fond de protection
publiques au travers du secteur financier, placé sous tutelle
des dépôts belges n’avait, à juste titre, accumulé que quel-
publique. Les banques vont être instrumentalisées pour faire
ques centaines de millions d’euro, c’est-à-dire un montant
atterrir les systèmes sociaux devenus impayables.
dérisoire en cas de déconfiture d’une banque importante.
En conclusion, la configuration des banques et leur super-
Cette équation bancaire est modifiée : désormais, les Etats
vision publique se modifieront lourdement au cours des
garantissent de manière explicite les dépôts, pour un mon-
prochaines années. Les États devront financer leurs déficits
tant réévalué (100.000 € en Belgique). Mais ils exigeront
vertigineux et s’appuieront sur les banques. Les dépôts se-
une contrepartie implicite : le contrôle des crédits et l’achat
ront protégés, mais au prix de la supervision des crédits et
d’obligations d’Etat, qui constituent justement une excellen-
d’investissements bancaires en obligations d’Etat émis pour
te contrepartie de la garantie des dépôts.
financer les gigantesques endettements étatiques. La création monétaire va donc réintégrer la sphère étatique,
SECONDE MORT
puisque les banques vont monétiser les emprunts d’Etat. Aussi
On croyait les accords monétaires de Bretton Woods dénon-
curieux que cela puisse paraitre, l’argent va être à nouveau na-
cés en 1971, condamnés en 1973 par Nixon et enterrés par
tionalisé alors que la fin des Accords de Bretton Woods l’avait
les accords de la Jamaïque en 1976 sous Ford. A l’époque, un
privatisé. Cette situation sera génératrice d’inflation, qui contri-
cycle de trente ans s’était achevé. La fin de ces accords avait
buera justement à alléger le poids des dettes publiques.
signé l’abandon de l’étalon-or. La création de monnaie avait alors été transférée progressivement aux banques privées. En 2009, près de quatre décennies plus tard, les excès du crédit bancaire, conjugués à la fin d’un modèle de croissance,
1
remettent les banques sous tutelle publique. Cela constitue
School of Management et à Vlerick Management School, Mem-
un revirement majeur car les pouvoirs publics vont, à nou-
bre du comité de rédaction de Finance Management.
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°37 - MAI 2010
Docteur en Sciences de Gestion (ULB), Professeur à la Louvain