EN PRATIQUE SOMMAIRE N°52 - DÉCEMBRE 2011
Dossier
« Glocal » CFO Avec l’accélération des échanges internationaux, nos entreprises peuvent de moins en moins se contenter du petit marché belge. Conseils pour le CFO et témoignages.
FISCALITÉ: OPTIMISATION DES COÛTS DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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De super comptable à créateur de scénarios Avec les changements induits par l’accélération des rapports internationaux, le CFO a vu son métier et son parcours de carrière évoluer. D’un spécialiste en comptabilité, on lui a demandé de devenir un stratège qui épaule le CEO et ne se contente plus de constater les performances de son entreprise. L’heure est clairement à l’anticipation dans une perspective « glocale ».
L
e travail du CFO est devenu plus technique: il
liée au profit qu’elles pourront dégager. Dans le secteur aérien, par
doit à la fois faire face à la complexification des
exemple, les rares compagnies qui s’en sortent sont celles qui ont
législations internationales et à une gestion du
un CFO qui parvient à prévenir les variations des prix du kérosène,
risque de plus en plus exigeante. Ces change-
notamment avec des couvertures de prix (hedging), ainsi que les
ments, Grégoire Tondreau, Principal chez Roland Berger Strategy Consultants, une entreprise de conseil internationale présente dans 33 pays, les constate tous les jours chez ses clients. « Au delà des idées toutes faites, plusieurs phénomènes impactent le métier du CFO depuis plusieurs années, observe-t-il. La volatilité des prix des matières premières ou des cours de la Bourse s’est intensifiée rendant son travail plus compliqué, car c’est souvent lui qui est chargé de prévoir les risques et éviter les impacts financiers. Dans de nombreuses sociétés, cette capacité d’anticiper est FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
« C’est bien souvent le CFO qui fait qu’une entreprise gagne de l’argent ou en perd. C’est un créateur de valeur. »
possibilités de leasing d’avions. C’est bien souvent le CFO qui fait qu’une entreprise gagne de l’argent ou en perd. C’est un créateur de valeur, il s’est transformé en centre de profit à part entière. »
FAIRE LA DIFFÉRENCE De plus en plus, le CFO s’implique dans tous les niveaux de son entreprise. Il mesure la performance de manière traditionnelle et participe à sa création en assistant le CEO au niveau stratégique: investissements à réaliser, recherche de capitaux, nouveaux marchés où s’établir… Il lui faut contrôler de nombreux paramètres extérieurs à l’entreprise et mettre en place des outils financiers techniques, les outils traditionnels ne répondant plus à la complexité actuelle. A lui de développer ses compétences, de s’entourer des bons spécialistes et de former ses équipes en fonction de ces challenges. « Il n’existe plus de plan à dix ans où on mise sur une hypothèse de croissance par défaut. Le CFO doit parvenir à voir à long terme en ajustant perpétuellement en fonction du court terme. Il lui faut donc élaborer différents scénarios pour adapter sa vision et être le plus réaliste possible, précise Grégoire Tondreau sur base de l’étude CFOs make the difference réalisée par Roland Berger en 2010. La problématique du financement est aussi devenue une source d’inquiétude, le directeur financier doit à présent chercher des capitaux plus loin et séduire des investisseurs internationaux. Attirer des investissements a toujours été une de ses tâches, mais il doit aujourd’hui aller plus loin pour le faire. Il ne peut plus seulement s’adresser à son banquier local. Le CFO doit ainsi développer son argumentaire et réussir à convaincre des investis-
Grégoire Tondreau: « Le CFO ne peut plus seulement s’adresser à son banquier local. Il doit réussir à convaincre des investisseurs du Brésil, du Qatar ou de Chine en compétition avec d’autres projets issus du monde entier. Il faut pouvoir s’adapter à ces nouvelles logiques. »
seurs du Brésil, du Qatar ou de Chine où il est en compétition avec d’autres projets issus du monde entier, il doit pouvoir s’adapter à ces nouvelles logiques. »
UNE PERLE RARE L’augmentation des réglementations financières est aussi une charge pour le directeur financier. On ne peut pas lui demander de maîtriser la technicité de toutes les règles. Il peut déléguer à des spécialistes, tout en gardant la responsabilité finale. Accélération de la volatilité à prévoir, recherche d’investisseurs internationaux et maîtrise du risque occupent à
« On demande au CFO d’avoir une expérience internationale, d’être mobile et d’accepter de voyager très souvent. »
présent une grande partie de la journée du CFO. Son parcours de carrière est également plus mouvementé que par le passé. « Il y a dix ans, il était réaliste de commencer dans le dépar-
Ce dernier a aussi pour mission de comprendre le business
tement comptabilité, de progresser dans la hiérarchie avec les
pour donner des avis pertinents et trouver les bons investis-
années et de devenir CFO en cours de route. Aujourd’hui, cette
seurs pour ses projets. Ce qui fait un bon CFO en 2011, c’est
progression linéaire n’est plus vraiment envisageable, il n’y a
sa capacité de synthèse d’une réglementation financière de
plus de voie royale, ajoute-t-il. Les critères sont plus exigeants,
plus en plus complexe, d’évaluer les risques sur les taux de
on ne recherche plus uniquement un expert des réglementa-
change et des matières premières, ainsi que son potentiel à
tions comptables. Par exemple, on demande presque automati-
trouver des capitaux. « Une fois la crise passée, je pense que le
quement à un CFO d’avoir une expérience internationale, d’être
CFO devra conserver son regard critique, sa capacité de challen-
mobile et d’accepter de voyager très souvent. C’est devenu très
ger le business et rester un facteur d’accélérateur de croissance
difficile pour une entreprise d’engager un bon CFO, les profils
en aidant à prendre les bonnes décisions. C’est un métier pas-
sont rares. Hors, aujourd’hui, un bon CEO ne peut fonctionner
sionnant, respecté et respectable, même s’il est très exigeant »,
sans un excellent CFO à ses côtés. »
conclut Grégoire Tondreau. FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
A LA UNE : JEAN-LOUIS ALBERT TEXTE : CHRISTOPHE LO GIUDICE - PHOTOS : RENATO BAIO
local et global, « Entre le niveau de granularité est différent « 22
Depuis plus de dix ans, la maison de Jean-Louis Albert, c’est l’avion, ou quasi! « J’ai voyagé 330 jours par an ces cinq dernières années », illustret-il avec un sourire. L’homme a évolué dans des pays aussi différents que la Suisse, les EtatsUnis, le Bénin, la Norvège, l’Arabie Saoudite, le Liban, etc. Fort d’un bagage plutôt atypique, ce directeur financier bien rompu aux exigences de l’international, livre sa vision des enjeux d’une carrière en finance au niveau d’une région, voire même à l’échelle du monde entier.
L
a finance n’était pas une voie toute tracée pour Jean-Louis Albert. Pragmatique et cartésien, attiré par les technologies, il a d’abord décroché un diplôme d’ingénieur industriel spécialisé en électri-
cité, pour ensuite compléter ce bagage en gestion et en finance, avec un MBA à la European University, un Executive Program en finance à l’Insead et un Master en fiscalité à la Solvay Business School. « Le monde des ingénieurs m’a intéressé et beaucoup appris, mais j’ai eu peur de m’y enfermer, confie-t-il. J’ai très vite eu envie de connaître d’autres volets, ce qui fait sans doute de moi un responsable financier au background un peu atypique. » Après un premier contrat chez Cockerill-Sambre préalable au service militaire, il rejoint une équipe projet au sein du département technique et maintenance de Continental Pharma, puis saisit l’opportunité de rallier Proximus, dans le département engineering. « C’était le grand début du GSM en Belgique et tout le réseau était à développer, raconte-t-il. Cette dimension de pionnier m’a beaucoup plu, d’autant que la culture d’entreprise y était très différente de celle de l’ex-RTT. » Après deux ans, Jean-Louis Albert connaît un premier changement de cap vers le département marketing, dans une fonction de Product Manager. « Je trouve essentiel de développer sa compréhension du fonctionnement des autres départements,
« Le grand mal qui ronge les entreprises réside, selon moi, dans le fonctionnement en silos. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
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Jean-Louis Albert
« Selon qu’on évolue au plan local ou global, le rôle du directeur financier n’est pas plus ou moins stratégique. Les préoccupations sont simplement différentes, avec d’autres instruments financiers à mobiliser, d’autres normes à maîtriser, d’autres cultures de reporting. »
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
A LA UNE : JEAN-LOUIS ALBERT
limite budgétaire n’entrant même pas dans les priorités: c’est
« Par son côté cartésien, souvent, le directeur financier risque de passer à côté de la nécessité de bien gérer le volet culturel. »
tout autre chose que de pouvoir travailler sur un projet où la finalité stratégique prime avant tout. »
DIFFÉRENTES CULTURES C’est alors un de ses clients, la division Wireless de la société américaine Titan, active dans le secteur de la défense, qui lui propose la fonction de directeur financier Europe et Afrique. Avec de beaux défis à la clé puisque de gros investissements sont à mener sur l’Afrique de l’Ouest. Là encore, les enseignements sont nombreux, notamment le niveau élevé de reporting exigé, l’at-
dit-il. Le grand mal qui ronge les entreprises réside, selon moi,
tente de rendements élevés à court terme et, en face, l’équilibre
dans le fonctionnement en silos. »
à trouver avec la gestion de cultures locales. « On travaillait par
L’étape suivante le mène à la concurrence, chez Mobistar,
exemple au Bénin, caractérisé par une culture de type marxiste,
d’abord en marketing, puis en tant que contrôleur de ges-
proche de celle qu’on peut trouver en Chine », illustre-t-il.
tion pour le département engineering. « En quelques années,
Sur le continent africain notamment, le groupe a réalisé de
en ayant eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont fait
très nombreuses acquisitions et ce portefeuille d’activités
confiance et m’ont offert ma chance, j’ai pu évoluer dans trois
fragmenté doit être restructuré et recentré. Par la suite, Titan
départements, se félicite-t-il. Le bénéfice est énorme et doit
va toutefois décider de se dégager de ces opérations télécoms
faire réfléchir en entreprise où, trop souvent, on regarde ce qu’il
en Afrique pour se recentrer sur son métier de base, la dé-
vous manque plutôt que votre potentiel de développement et
fense. Jean-Louis Albert prend alors en charge de gros chan-
l’enrichissement que de telles mobilités peuvent représenter. »
tiers de préparation à la vente et de désinvestissements, en particulier pour quatre filiales locales.
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SE « VENDRE »
Puis, ce sera quatre années chez Syngenta, un groupe suisse actif
Ces premières années de carrière très variées lui ont apporté
dans l’agroalimentaire, tout d’abord pour restructurer la finance
une faculté d’analyse des chiffres très différente de celle d’un
du site de production de Seneffe, puis dans une fonction globale
directeur financier au parcours plus conventionnel, estime-t-
de contrôleur pour la division fleurs. « Là encore, il y avait pas
il. « Il m’est plus facile de traduire les processus industriels en
mal d’acquisitions de sociétés avec une exigence forte en matière
chiffres et vice-versa. D’autre part, on peut plus difficilement
d’harmonisation du reporting. » Début 2010, Jean-Louis Albert
me piéger dans la constitution d’un budget ou lors d’une ana-
rejoignait un cabinet de consultance, toujours établi en Suisse,
lyse de résultats. Je connais bien la façon qu’ont les directeurs
pour mener un projet d’établissement d’usines de production en
opérationnels d’aborder les choses, ce qui me permet de les
verre plat clé sur porte dans des pays de la zone Méditerranée,
challenger sur leur propre terrain de façon constructive, plutôt
dont la Grèce. Jusqu’à ce que ces projets soient mis en veilleuse
que d’aboutir à la confrontation de deux mondes qui s’observe
en raison de la crise financière et économique…
souvent en entreprise. » De son passage au marketing, Jean-Louis Albert retient aussi
MONDES SÉPARÉS
l’importance pour la fonction financière de se « vendre » et de
Question: pour exercer de telles fonctions à l’international, le
prendre en compte des volets plus émotionnels, par exemple
profil et les compétences du directeur financier doivent-elles
l’existence de différentes cultures, et notamment profession-
être différentes ou spécifiques par rapport à celles requises
nelles. « Il est ainsi extrêmement profitable de pouvoir expli-
dans une fonction plus locale? Jean-Louis Albert répond réso-
quer en amont l’impact réel que peut avoir la finance sur les
lument par l’affirmative. « Il faut des profils différents: ce sont
autres départements. Il faut par exemple faire comprendre
des mondes totalement séparés. Dans un rôle local, le directeur
qu’un budget, ce n’est pas seulement une contrainte, mais
financier va encore s’occuper de comptabilité, de gestion admi-
que c’est un outil qui peut les aider et qu’on peut travailler
nistrative, par exemple, alors qu’à l’international, ces matières
ensemble à améliorer leur performance. »
sont hors de son scope. Il travaillera plutôt sur des projets d’in-
Au tournant de l’an 2000, Jean-Louis Albert rallie la pratique
vestissement, sur des benchmarks et des analyses de variance,
« télécom » du pôle consulting chez Arthur Andersen, alors
etc. Tout est aussi question d’échelle: quand on parle de bud-
en quête de managers expérimentés provenant de l’indus-
gets de 20 millions ou de trois milliards d’euros, d’une unité ou
trie. Une très belle école qui l’amène aux quatre coins du
d’une cinquantaine de sites, le niveau de granularité sera diffé-
monde (Norvège, Arabie Saoudite, Afrique du Sud, Liban, etc.)
rent et les principaux points d’attention aussi. »
sur des projets très variés: valorisations d’opérations, restruc-
Sa fonction n’est pas pour autant plus ou moins stratégique,
turations d’activités et préparation à la vente, lancements de
mais elle a des préoccupations différentes, souligne-t-il. « Ce
nouvelles licences ou projets, IPO, etc. « J’ai pu découvrir des
sont d’autres instruments financiers qu’il faut mobiliser – par
approches financières elles aussi très différentes, parfois avec la
exemple, le cash pooling, les crédits documentaires, etc. –,
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
Jean-Louis Albert: « A l’international, vous pouvez découvrir des approches financières très différentes, parfois avec la limite budgétaire n’entrant même pas dans les priorités: c’est tout autre chose que de pouvoir travailler sur un projet où la finalité stratégique prime. » d’autres normes financières et comptables qu’il faut maîtriser, d’autres cultures de reporting auxquelles il faut pouvoir se faire. L’approche varie également selon les géographies. Aux Etats-Unis, elle est beaucoup plus centrée sur le court terme avec une priorité mise sur le cash; en Afrique, il s’agit plus d’une finance de projets sur dix à quinze ans, avec une rigueur bien plus importante qu’on pourrait le penser car les systèmes sont calqués sur le modèle français… » Le Belge a clairement des atouts pour évoluer dans un contexte
« Plus on développe une vision solide et des alternatives possibles, plus on a de chances de bien négocier les virages. »
international. « En tant que Belge, on se caractérise par une relativement grande ouverture d’esprit et une plus grande capacité à s’intégrer et à être reconnu. Le Belge est modeste – trop peut-être
Jean-Louis Albert pointe encore l’attention à porter au volet
– et se définit plutôt par ce qu’il n’est pas, ce qui peut aider dans les
culturel. « Par son côté cartésien, souvent, le directeur financier
grands groupes. Nous partons plutôt de ce que nous connaissons
risque de passer à côté de cet aspect. D’un côté, le financier a
pour analyser les différences et nous adapter, alors que d’autres
cet avantage d’avoir un certain nombre de repères standards
vont souvent chercher à imposer leur propre système. »
partout dans le monde mais, de l’autre, une telle réalité peut
DE LA PROACTIVITÉ
comporter le piège de ne pas être suffisamment attentif à toutes les différences qui peuvent s’exprimer. »
Evoluer dans de grands groupes internationaux, c’est aussi
Une certitude: le directeur financier se doit de développer une
devoir s’accommoder de « grosses machines » caractérisées
forte proactivité, conclut-il. « Gérer les finances, c’est finalement
par des processus décisionnels relativement longs. « Le mana-
assez facile quand tout va bien. Mais tout l’art consiste à garder
gement est généralement de haut niveau, extrêmement com-
le cap dans la tempête. Dans ce contexte, il faut développer une
pétent, mais aussi marqué par l’existence de certaines baron-
capacité beaucoup plus active à préparer des scénarios, en se foca-
nies, précise Jean-Louis Albert. Il faut pouvoir faire preuve d’un
lisant sur la mécanique des coûts variables, sur une compréhen-
peu de diplomatie. On y a par ailleurs l’avantage de pouvoir dis-
sion des chiffres en profondeur, etc. Le directeur financier ne peut
poser d’outils complexes et pointus permettant des approches
se contenter de regarder dans le rétroviseur pour s’assurer que les
très rigoureuses, par exemple en matière d’investissements,
chiffres suivent bien le plan. Aujourd’hui, dans le monde dans le-
alors que dans une petite société familiale, la part d’émotion-
quel on vit, plus on développe une vision solide et des alternatives
nel est beaucoup plus importante. »
possibles, plus on a de chances de bien négocier les virages. » FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Des CFO à la conquête du monde 26
Michel Delville: « Le repli sur soi conduit à l’impasse. Les entreprises européennes spécialisées peuvent être compétitives à condition de continuer à innover pour maintenir leur leadership technologique dans les segments à haute valeur ajoutée. »
Avec l’accélération des échanges internationaux, nos entreprises peuvent de moins en moins se contenter du petit marché belge. De nouvelles régions du monde s’offrent à elles avec le Brésil, la Chine ou l’Inde pouvant apparaître comme de nouveaux eldorados à conquérir. Pour accompagner ces évolutions, le directeur financier doit concilier ancrage local et ambitions internationales. Partage d’expériences.
I
néluctable, la mondialisation pousse
vigueur, mais on lui demande en outre au-
les entreprises à sortir de leur zone
jourd’hui d’être un gestionnaire dynamique,
de confort. « La mondialisation a
d’avoir une vision prospective et innova-
certes été un facteur d’augmentation
trice et de trouver de nouvelles sources de
de la concurrence, mais elle a surtout donné un
création de valeur. Pour cela il doit autant
grand coup d’accélérateur dans les échanges
être capable d’évaluer les projets et les mar-
internationaux et a généré de formidables
chés porteurs pour l’entreprise qu’être actif
opportunités pour les entreprises ambitieuses
sur l’optimisation des coûts et les leviers
et innovantes, observe Michel Delville, CFO d’
de compétitivité. Il doit également être le
Imerys, le leader mondial des produits de spé-
‘généraliste’, le curieux
cialités à base de minéraux. Le CFO a un rôle
avisé qui va poser les bonnes questions afin
stratégique à jouer pour accompagner cette
de cerner les enjeux stratégiques d’un projet
accélération. La vieille image du spécialiste des
créateur de valeur par exemple… »
données chiffrées qui reste dans son bureau à
Après des études de droit menées à l’ULg et
lire des bilans a bel et bien vécu.
une licence en administration des affaires,
Certes, le CFO reste le responsable de l’éla-
Michel Delville choisit de s’orienter vers l’éco-
boration et de la publication des comptes
nomie d’entreprise. Il démarre sa carrière
de l’entreprise, de leur transparence et de
dans le contrôle de gestion, au sein d’une
leur conformité aux normes comptables en
filiale belge du Groupe de services pétrolier
et l’interlocuteur
franco-américain Schlumberger. Après un an, il saisit l’opportunité d’un transfert au siège parisien pour confirmer son ancrage dans la finance opérationnelle en milieu international, fortement teintée de culture anglo-saxonne. En une dizaine d’années, il touchera à des métiers industriels aussi divers que le transport et la distribution d’électricité (transformateurs et appareils de mesure et de protection) ou de carburants (stations services) et la carte à puce. Une exposition précoce aux pays émergents (Brésil, Mexique…) lui donnera le gout de l’international et il passera également quelques années aux Pays-Bas et aux Etats-
« La vieille image du spécialiste des données chiffrées qui reste dans son bureau à lire des bilans a bel et bien vécu. »
Unis. Il rejoindra Imerys en 1999 où il occupe à présent le poste de CFO, après avoir exercé divers rôles, de directeur financier de
management en Europe et a, par exemple, beaucoup contribué
Division (Matériaux, Céramiques, Pigments et Additifs ), celui de
à développer le Contrôle de Gestion et à en faire un partenaire
Directeur du Contrôle de Gestion, et plus récemment celui de
indispensable de la prise de décision. L’évolution des outils infor-
General Manager Europe à l’opérationnel pour la Branche Pig-
matiques et leur utilisation à des fins analytiques et décision-
ments pour Papier et Emballages.
nelles a également accéléré ce processus. Le paysage économique a aussi évolué, il est aujourd’hui indiscutablement mondial. Dès
ŒIL CRITIQUE
qu’une entreprise atteint une certaine taille critique, elle doit se
Imerys est un groupe coté à Paris spécialisé dans les miné-
développer à l’international et elle le fait par l’exportation, en
raux industriels, dont l’actionnaire de référence est le Groupe
multipliant ses implantations à l’étranger ou par croissance ex-
GBL (Albert Frère, conjointement avec Paul Desmarais du
terne. Le CFO est forcément impliqué dans toutes ces décisions. »
Canada). L’entreprise, implantée dans 47 pays avec un effectif
Le rôle du CFO est d’autant plus crucial actuellement, puisque la
de 16000 personnes, réalise un chiffre d’affaires d’environ 3,6
crise a limité les possibilités de financement. « L’accès au crédit
milliards d’euros à partir de ses quelques 240 sites miniers
et le niveau de génération de cash flow sont devenus particulière-
et industriels. Elle possède un portefeuille d’une trentaine
ment déterminants pour la viabilité de beaucoup d’entreprises. Le
de minéraux qu’elle extrait, enrichit et transforme à l’aide de
CFO doit s’assurer que son entreprise dispose des ressources finan-
traitements physiques et mécaniques. Ses produits trouvent
cières nécessaires à son développement. Il doit également veiller à
une myriade d’applications industrielles chez de nombreux
la bonne allocation des ressources et à la bonne gestion du cash
clients aux quatre coins du monde en raison de leurs fonc-
(besoin en fonds de roulement…). Spécialiste de la finance, il inter-
tionnalités recherchées (conductivité pour la graphite qui
vient aussi dans tous les domaines de gestion – production, stra-
se retrouve dans les batteries lithium-ion, résistance ther-
tégie commerciale – afin de modéliser les différentes alternatives
mique pour les réfractaires etc..). La société s’est développée
et aider à prendre les meilleures décisions. Il allie connaissance des
par croissance organique et par croissance externe. Il y a dix
chiffres et celle des différents leviers de l’entreprise, ce qui en fait
ans, environ 10% de son chiffre d’affaires était réalisé dans les
un interlocuteur de choix du CEO, qui peut en outre également
pays émergents. Aujourd’hui, la proportion se situe autour de
apprécier son œil parfois critique… »
28% suite à des acquisitions, notamment en Inde et en Chine. « Dès mon premier emploi, j’ai été immergé dans un contexte in-
IMPLICATION ET PROXIMITÉ
ternational précise-t-il, au sein d’un grand groupe organisé par
Quelle que soit la taille de l’entreprise, le CFO est devenu un ac-
lignes de métiers mondiales. C’est sans doute pourquoi je ne per-
teur majeur du comité de direction. S’assurer du cash flow, des
çois pas la mondialisation comme une menace, mais comme un
sources de financement et des bons investissements à faire
phénomène naturel et une source d’opportunités, pour les en-
font à présent partie de ses tâches prioritaires. Ses clients se
treprises comme pour les carrières. Bien sûr, elle peut bousculer
trouvant parfois à des milliers de kilomètres, il doit surveiller le
notre confort européen, mais il faut aller au-delà. Le repli sur soi
bon déroulement des paiements et le besoin de fonds de rou-
conduit à l’impasse. Aujourd’hui, le retour du protectionnisme
lement. Volontariste, il pose aussi les questions qui dérangent.
n’aurait pas de sens, la production n’est plus concentrée: les
« Être curieux, mobile, avoir la volonté d’entreprendre et une
chaines de production sont déjà internationales. Les entreprises
bonne capacité d’adaptation, bien connaître les marchés,
européennes spécialisées peuvent être compétitives à condition
maîtriser les chiffres de son entreprise et apprécier travailler
de continuer à innover pour maintenir leur leadership technolo-
avec les équipes commerciales et opérationnelles, font partie
gique dans les segments à haute valeur ajoutée. »
des qualités d’un bon directeur financier, complète Michel Del-
Depuis les années 80, le rôle du responsable financier s’est
ville. Le CFO doit également s’impliquer dans la mise en place
étoffé et ne se limite plus à la comptabilité, ajoute-t-il. « De
et l’animation de la fonction finance dans l’ensemble de la so-
responsable des comptes, il est devenu un gestionnaire à part
ciété. Cette gestion de proximité de la ligne fonctionnelle – qui
entière, il doit en outre développer une vision stratégique. La
doit bien sûr être adaptée à la taille et à l’organisation de l’en-
culture anglo-saxonne a grandement influencé les méthodes de
treprise – est essentielle. Elle doit aider à garantir l’applicaFINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
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DOSSIER FISCALITÉ
Spécialisé depuis 30 ans dans le design, la conception et la
« C’est important de partager le même vocabulaire, une manière de chiffrer et un suivi des budgets standardisés. »
production de bords d’attaque d’ailes d’avions, le constructeur produit également des panneaux d’ailes et des tronçons de fuselage. La fabrication des pièces est centralisée. « Les grandes tôles sont produites en Belgique et envoyées à toutes les unités dans le monde. Le savoir-faire et les équipements spécifiques se trouvent en Belgique, précise Paul Adam. Les petites pièces sont fabriquées au Brésil et ensuite envoyées sous formes de kits, elles sont assemblées localement. Le CFO doit aider à l’optimisation de cette ‘supply chain’, en tenant compte notamment des coûts de transport, de la complexité logistique
tion des règles du groupe en son sein (normes comptables, bud-
et des taxes de douane éventuelles. Chaque fois qu’on éta-
get et reporting, contrôle interne, etc.). Elle permet également
blit une entité dans un pays, nous devons la certifier. Chaque
la gestion des carrières des financiers en facilitant la mobilité
constructeur a ses propres certifications, cela prend donc un
interne. J’en ai bénéficié moi-même et j’ai toujours aujourd’hui
certain temps. Le troisième élément de complexité est lié aux
un grand plaisir à promouvoir des financiers méritants au Bré-
modes de financement locaux, il est important de s’entourer de
sil, aux USA ou en Chine ou à les voir passer à l’opérationnel. »
partenaires sur place. En Chine, par exemple, nous possédons
Le marché belge étant limité de par sa taille, beaucoup de
70% de la société, les 30% restants appartiennent à un parte-
sociétés ont besoin de s’installer à l’étranger et luttent pour
naire établi à Hong Kong. Au Brésil, notre partenaire détient
se faire une place. Les coûts du travail étant très élevés, il
33%. En Amérique du Nord, nous avons 100% du capital. »
leur faut trouver d’autres manières de dégager des marges.
28
« La Belgique est naturellement internationale de par sa pe-
UN PIED EN ASIE
tite taille et sa situation géographique, elle est habituée aux
Depuis quelques années, la Sonaca poursuit une logique d’expan-
échanges internationaux. Multilingue, elle est plus réceptive
sion et souhaite s’attaquer sérieusement au marché asiatique.
aux contacts multiculturels. Le cas de la France est un peu diffé-
Leader dans une niche, l’entreprise a créé trois filiales au Brésil
rent et c’est peut-être une des raisons qui expliquent pourquoi
en 2000. Elle a ensuite établi deux filiales aux Etats-Unis et au
on y trouve plus de réticences face à la mondialisation. Mon
Canada suite à des acquisitions en 2004. Le groupe s’est ensuite
conseil aux entreprises belges, PME comme sociétés internatio-
installé en Chine pour mieux desservir le marché asiatique, le
nales, serait de se concentrer sur les produits ou services à forte
premier bord d’attaque « chinois » a été livré en octobre 2011. Il
valeur ajoutée: les produits de commodités à faible valeur ajou-
envisage également une présence en Inde d’ici quelques années.
tée sont devenus trop chers à produire pour être compétitifs. Il
« Notre objectif est de nous rapprocher de nos clients. L’assem-
faut plutôt développer ses spécialités et ne pas se limiter à son
blage final des pièces se fait toujours localement, explique Paul
marché national. Dans le luxe et les technologies par exemple,
Adam. Nos emplacements sont stratégiques, par exemple, la Bel-
il y a encore beaucoup de potentiel. Pour réussir tout cela il est
gique s’occupe des livraisons en France, Angleterre ou Allemagne
indispensable que l’on continue à former de bons ingénieurs
et sert des clients proches comme Dassault. Nous avons souhaité
en Belgique, pas seulement des financiers. Il faut aussi que l’on
nous installer en Chine car le secteur de l’aviation s’y développe
diffuse une culture de la créativité et l’envie d’entreprendre…»
à grande vitesse. Nous avons accompagné Airbus. C’est une zone à fort potentiel et d’autres clients existants vont sûrement s’y
100% D’EXPORTATIONS
établir. Les Etats-Unis sont aussi une zone de croissance, mais
Paul Adam a rejoint le groupe Sonaca en tant que Chief Finance
essentiellement pour des questions de renouvellement de parc.
et Strategy Officer il y a deux ans. Après des études d’ingé-
Leur flotte est plus vieille qu’en Europe. Quand je suis arrivé à
nieur civil à l’Université de Liège, il suit un master à Stanford
la Sonaca, le groupe était déjà international, mais était plutôt
puis commence sa carrière professionnelle à l’Agence Spatiale
organisé suivant une logique de silos. Nous allons aujourd’hui
Européenne. Après avoir travaillé pour Matra/Spacebel et Ge-
vers une philosophie transversale et une gestion plus intégrée. »
neral Motors, il est engagé chez McKinsey, où il reste 12 ans.
Le secteur de l’aviation est soumis à de plus en plus de concur-
« Le voyage a toujours fait partie de mon parcours », déclare-t-
rence. Si dans les années 80, beaucoup de sociétés étaient dé-
il. Notamment engagé pour réorganiser les activités du groupe
tenues par les Etats, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui.
Sonaca afin d’affronter la crise, il participe à son implantation en
« A l’époque, la fabrication des différentes parties de l’avion était
Chine en 2010. L’entreprise de construction aérospatiale basée à
répartie par pays. Par exemple, l’Espagne s’occupait de créer
Gosselies exporte 100% de sa production vers des constructeurs
l’empennage, l’Angleterre les ailes, l’Allemagne, le corps central
aériens étrangers comme Airbus, Embraer, Bombardier ou Das-
du fuselage, la France la pointe avant et la Belgique, la par-
sault. Le groupe possède des usines au Canada, aux Etats-Unis,
tie avant de l’aile, ce qui explique le choix de notre activité. Ce
en Belgique et au Brésil. Le site de Gosselies emploie ainsi près
modèle limitait la concurrence. Cette répartition géographique
de 1.600 personnes dont plus de 300 ingénieurs.
n’existe plus. Il y a toujours certaines spécialités, mais de plus
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
en plus de sociétés choisissent de diversifier leur production, il y a davantage de concurrence au sein de l’Europe. Il existe, par exemple, une dizaine de sociétés qui font du fuselage et se font la guerre sur ce terrain-là. L’industrie nous pousse à rester compétitif en investissant en R&D pour rester innovant. »
NÉGOCIATION ET STRATÉGIE Le rôle du CFO est de développer ses équipes locales afin de s’appuyer sur des relais dans les différentes filiales. Il lui faut parfois négocier avec des partenaires locaux qui n’ont pas la même approche ni les mêmes attentes, ce qui lui impose une certaine agilité. « Mon rôle est d’accompagner le CEO dans les décisions stratégiques, souligne Paul Adam. En discutant avec d’autres CFO, je me suis rendu compte que ce volet stratégique est devenu plus important dans les grands groupes internationaux. La partie comptable est souvent gérée par des collaborateurs du CFO qui peut alors se concentrer sur des activités à forte valeur ajoutée comme la découverte de nouveaux marchés ou la création de nouveaux partenariats. Quand je suis arrivé à la Sonaca, il y avait des défis opérationnels importants. Une restructuration et un plan social ont du être mis en place. Il fallait impérativement
Paul Adam: « Mon rôle est d’accompagner le CEO dans les décisions stratégiques. Ce volet stratégique est devenu plus important dans les grands groupes internationaux. »
réduire les coûts. Dans ce cas de figure, le CFO participe à définir les objectifs financiers et opérationnels, son rôle est très important. »
est présent en Europe et aux Etats-Unis et dessert des clients
Parmi ses axes stratégiques, le groupe a pour objectif de travail-
partout dans le monde au travers d’un large réseau d’agents
ler sur de nouveaux partenariats à l’étranger. La région wallonne,
locaux, chacun des ses métiers possédant ses canaux de dis-
en tant qu’actionnaire majoritaire, souhaite ouvrir le capital à
tribution propres. Le groupe compte près de 3.000 employés.
des investisseurs privés dans les mois à venir.
La concurrence est extrêmement forte comme dans beau-
VERS LE MOYEN ORIENT
coup de secteurs, les budgets accordés à la défense étant souvent en diminution dans le contexte économique actuel.
Après des études de commerce à l’IAG (UCL), Patrick Vogne a dé-
Certains concurrents essayent de casser les prix, le groupe
marré sa carrière chez Deloitte, il a ensuite été contrôleur de ges-
mise plutôt sur le maintien de la qualité de ses produits et la
tion chez Bull, un groupe informatique français. Il a eu l’occasion de
réduction de ses frais de production et de fonctionnement.
travailler à Paris pour cette société où il était contrôleur de gestion
« En tant que CFO, j’ai notamment un rôle de support par rap-
pour l’Europe et à la Réunion d’où il dirigeait les activités financières
port aux activités commerciales. Mon département intervient
de l’océan indien. Puis, il a été amené à travailler chez Schindler
sur des questions précises comme des garanties bancaires ou la
comme CFO pour une période de douze ans tout en menant de
validation des aspects financiers relatifs à des contrats à l’export,
nombreuses missions internationales. « J’ai toujours travaillé pour
explique Patrick Vogne. Comme dans toute multinationale, je
l’étranger ou de l’étranger », détaille-t-il. Il est aujourd’hui CFO pour
suis en contact régulier avec les directions financières de nos dif-
le groupe Herstal depuis un peu plus de trois ans.
férentes filiales. Une bonne communication passe également
Le groupe wallon se compose des trois marques: FN Herstal,
par la définition et la mise en place d’outils de gestion communs
Browning et Winchester. Il autour de deux grands pôles d’ac-
et spécialisés. C’est important de partager le même vocabulaire,
tivités: le pôle civil –les armes et les accessoires de chasse et
une manière de chiffrer et un suivi des budgets standardisés. De
de tir sportif pour les particuliers – et le pôle militaire –les
manière générale, le rôle du CFO s’est considérablement étendu
armes légères pour la défense et les forces de l’ordre. Entiè-
depuis plusieurs années. Il doit être vraiment polyvalent et plu-
rement détenu par la région wallonne depuis 1997, le groupe
ridisciplinaire. Il doit assurer les activités classiques de reporting et le suivi des activités mais tout en créant de nouvelles opportunités pour son entreprise. Des aspects, comme l’exposition
« L’industrie nous pousse à rester compétitif en investissant en R&D pour rester innovant. »
aux changes existaient déjà, mais s’intensifient considérablement dans cette période de troubles monétaires avec des effets considérables pour les sociétés tournées vers l’export. Pour le résumer, c’est un homme de chiffres et un catalyseur d’innovation. » Davantage amené à se pencher sur une législation internationale également de plus en plus complexe, le CFO voit sans cesse sa zone de compétence en train de s’élargir. FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
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DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Comment investir et exporter à l’étranger 30
Pour bon nombre d’entreprises, sortir du marché belge s’impose et, face à de nouvelles opportunités à l’étranger – exportations ou création d’un bureau local –, certaines peuvent se sentir perdues dans les démarches à entreprendre. Aller chercher des clients à l’étranger entraîne en effet des conséquences fiscales et légales. Focus sur la Chine.
Q
uel scénario choisir et avec quel cadre légal?
promulguer ses propres règles fiscales et les appliquer sur
Quel pays est le plus intéressant fiscalement?
son territoire. Ce principe est également connu sous le nom
Comment se protéger juridiquement? Les zones
de ‘principe de l’Etat de résidence’, chaque pays pouvant en
d’inquiétude ne manquent pas. Des cabinets de
principe imposer ses ressortissants sur leur revenu mondial.
conseil fiscal comme De Witte & Viselé Associates se sont spé-
Le second principe général de droit fiscal est celui de ‘l’Etat de
cialisés dans l’expertise comptable à la carte, la consolidation et
la source’, le revenu sera imposé dans le pays où il a été géné-
la fiscalité à la fois à caractère régional, national et multinational
ré. Sont ici concernés les revenus du travail ainsi que les reve-
pour encadrer ces entreprises et les assister dans leurs démarches.
nus mobiliers (intérêts et dividendes) récoltés dans un autre
Avec une trentaine de collaborateurs tous issues des Big Four et
Etat et qui subiront dans celui-ci une retenue à la source.
répartis dans trois bureaux, la volonté du cabinet est de s’adresser
Un ‘conflit’ entre ces deux principes de souveraineté fiscale peut
plus particulièrement aux PME qui ont souvent besoin d’être ac-
mener à une double imposition: un même revenu est taxé deux
compagnées pour se lancer. Sous l’impulsion de Rolf Declerck, Tax
ou plusieurs fois dans des Etats différents. Par exemple, les divi-
Partner chez DWVA, le cabinet a choisi de se cibler sur la Chine,
dendes taxés dans le chef de la société fille ‘distributrice’, comme
particulièrement intéressante au niveau fiscal. Intermédiaire, il
c’est le cas en Chine, le sont une nouvelle fois dans le chef de la
met aussi en relation ses clients avec ses partenaires locaux. Le
société-mère ‘receveuse’ belge. Pour prévenir ce phénomène, la
conseiller (le consultant ?) répond à nos questions.
Belgique a conclu avec 88 autres pays des conventions préventives de double imposition, qui règlent la compétence de taxa-
Quelles sont les lois de référence dans notre droit concernant
tion de chacun. Une nouvelle convention préventive de double
le commerce international?
imposition a d’ailleurs été conclue avec la Chine, mais n’est pas
Rolf Declerck: « Il existe tout d’abord deux grands principes
encore entrée en vigueur. La Belgique a d’ailleurs été un des pre-
en matière de fiscalité internationale. Le premier concerne
miers pays à la mettre en forme. Le but de ces conventions est de
la souveraineté fiscale nationale. En effet, chaque pays peut
stimuler les activités à l’international.
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Une fois la compétence de taxation attribuée à un Etat, c’est
- l’exportation (pas de présence fiscale à l’étranger),
la législation nationale de celui-ci qui établira l’imposition
- une succursale, soit l’extension juridique de la maison-mère.
effective du revenu. Par exemple, conformément à la conven-
Il s’agit de la même entité juridique, mais qui sera considérée
tion préventive de double imposition conclue entre la Bel-
fiscalement indépendante. Dans ce modèle-ci, il peut y avoir
gique et la Chine, les dividendes d’origine chinoise récoltés en
un risque de double imposition,
Belgique doivent être exemptés en Belgique, ce qui, en droit
- des bureaux de représentation si la masse critique le justi-
interne belge, est effectué par le biais du régime des Reve-
fie: en Chine, par exemple, ces entités sont taxées, bien que
nues Définitivement Taxées (RDT). »
sur une base limitée (cost-plus) et ont accès au marché local.
Qu’en est-il des réglementations européennes? Rolf Declerck: « Dans un contexte européen, il s’agit également de tenir compte des directives fiscales européennes: exemption à la source des dividendes, intérêts et redevances, réorganisation pan-européennes de sociétés lors de fusions ainsi que de la jurisprudence en matière fiscale de la Cour Européenne de justice – exemple: l’arrêt Cobelfret concernant la déduction des RDT. Mais cela ne s’applique évidemment pas aux relations avec la Chine dans la mesure où celle-ci n’est pas membre de l’Union européenne. Il faut également prendre en compte l’importance croissante des prix de transfert, en vertu desquels les opérations fiscales entre des entreprises liées doivent se dérouler dans des conditions identiques à celles qui existeraient entre entre-
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prises indépendantes. Cela renvoie au principe communément appelé ‘at arm’s lenght’. » Comment une entreprise belge peut-elle construire des transactions profitables avec des partenaires internationaux comme la Chine? Quelle est la structure juridique et fiscale en la matière? Rolf Declerck: « Une entreprise belge désireuse d’investir à l’étranger peut envisager deux types de directions: d’dabords la direction ‘outbound’ où des moyens financiers sont investis à l’étranger, notamment par le biais de capitaux, de prêts ou d’octroi de licence, et aprèiès, la direction ‘inbound’ où les revenus et les bénéfices sont rapatriés vers la Belgique. Logiquement, les investisseurs désirent réaliser ce rapatriement de revenus de la façon la plus fiscalement avantageuse avec la retenue à la source la plus basse possible dans le pays ou le revenu est généré. Dans ce cadre, la forme sous laquelle la société exerce ses activités à l’étranger est importante. L’expansion internationale d’une société belge peut en effet connaître différentes phases:
Rolf Declerck: « Tout comme les sociétés américaines, il est préférable pour les sociétés belges de conserver en Belgique leur know-how/marques/technologies et de travailler en Chine par le biais d’un système de licence ou de prêts. »
Elles ne peuvent cependant pas effectuer de transactions
« Une nouvelle convention préventive de double imposition a été conclue avec la Chine, mais n’est pas encore entrée en vigueur. »
commerciales en Chine, ni accepter de l’argent de clients. De plus, la transformation ultérieure d’une telle entité est un processus long, fastidieux et couteux. Par conséquent, cette façon de commencer un négoce avec la Chine, assez courante par le passé, tend à se raréfier avec les années, - une filiale opérationnelle ou ‘WOFE’ soit « wholly owned foreign enterprise »: ses revenus seront en principe taxés à 25% (Corporate Income Tax), taux qui sera dans certains FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
DOSSIER FISCALITÉ
élevés. Notre rôle est d’être proactif et d’anticiper les difficul-
« Les principaux atouts de la Belgique sont d’abord les connaissances techniques et le know-how, puis la qualité de ses produits et les marques. »
tés. Il nous faut à la fois prévoir la constitution de la structure, mais aussi son départ potentiel. La fiscalité évolue constamment, c’est tout l’intérêt de notre métier. » Avoir des activités à Hong-Kong offre-t-il d’autres avantages? Rolf Declerck: « Dans le troisième cas de figure, une structure fiscale optimale peut se mettre en place via des sociétés intermédiaires à Hong-Kong, le rapatriement des bénéfices d’Hong-Kong vers la Belgique n’étant soumis à aucune retenue à la source. Il en va de même pour les intérêts qui sont également exemptés, et les redevances qui ne sont soumises qu’à une retenue de 4,95%, mais ou la législa-
cas diminué à 15% (pour des activités high tech par exemple).
tion belge prévoit un crédit d’impôt forfaitaire de presque
Les flux de revenus avec des actionnaires belges seront régis
18%. L’Etat belge ne voit pas pour autant la place financière
par la convention préventive de double imposition Belgique-
comme un paradis fiscal. En ce qui concerne les dividendes,
Chine et la retenue à la source sur les dividendes, intérêts et
la retenue à la source entre la Chine et Hong-Kong s’élève à
royalties sera dans tous les cas de 10%, en vertu de la conven-
5%, ce qui permet une économie de 5% par rapport à une
tion préventive en vigueur.
structure directe avec la Chine. L’avantage est aussi qu’il n’y
Changer de modèle en cours de route est très fastidieux, il
pas de coûts fiscaux supplémentaires à Hong-Kong, étant
faut donc y faire très attention lors du choix de la structure.
donné que le régime de taxation territoriale appliqué sur
Les frais pour démanteler une société sont également très
place: les revenus de provenance étrangères (et donc de
32 COUPS DE POUCE À L’EXPORTATION Tout comme son homologue FIT, l’agence Flanders Invest-
incitants financiers. Notre marché domestique étant devenu
ment and Trade, l’AWEX est notamment chargée de pro-
trop exigu, de plus en plus d’entreprises cherchent de nou-
mouvoir les exportations des entreprises situées dans sa
veaux marchés. Le seul critère pour bénéficier de bourses de
région en poussant les entreprises wallonnes à être plus
l’AWEX est d’être un opéateur économique wallon. Notre ob-
performantes à l’international. Organisme d’intérêt public,
jectif final est de développer l’emploi dans la région. »
l’Agence wallonne à l’Exportation et aux Investissements
Pour stimuler les entreprises de sa région à développer
étrangers a été créée en avril 2004. Dotée d’une personna-
davantage d’activités hors de nos frontières, l’AWEX a mis
lité juridique, elle emploie 459 collaborateurs dont 100 at-
en place une série de « coups de pouce » afin de les assister
tachés économiques et commerciaux envoyés à l’étranger
dans les différentes étapes de leur stratégie commerciale.
comme relais locaux. Elle possède également un réseau
Plusieurs catégories d’aides et de services gratuits sont
international de 7 bureaux de conseil.
ainsi accessibles aux entreprises localisées en Wallonie,
Avec 4.300 demandes en 2010, le nombre de dossiers
quelles que soient leur taille et leur catégorie, afin d’en-
qu’elle reçoit chaque année est en constante augmenta-
courager leur développement international. Cumulables,
tion et reflète l’attrait de l’étranger pour les entreprises
ils peuvent être de nature financière ou logistique. Ces
wallonnes. Près de 5.000 entreprises font ainsi partie de
services sont conçus pour couvrir toutes les étapes de la
son fichier client. 47 projets ont été achevés l’année passée
démarche exportatrice: de l’information, à la promotion, à
dont deux en Chine, deux au Japon, six aux Etats-Unis et
la prospection, à la formation et à la stimulation financière
sept au Royaume-Uni. L’ensemble de ces projets a mené à
jusqu’aux financement internationaux.
la création de près de 1.653 emplois directs. Si le volume
« Nous proposons quatre ensembles de bourse: un support à
des exportations wallonnes a fortement diminué entre
la promotion, nous remboursons 50% des impressions d’ar-
septembre 2008 et mai 2009, il augmente progressive-
ticles, supports médiatiques ou autres dépliants. Nous avons
ment depuis la fin 2009.
eu plus de 1.000 demandes de ce type l’année passée. Ensuite,
« On constate un intérêt croissant pour notre système d’aides,
une aide à la prospection, nous remboursons 50% des frais de
explique Marie-Christine Thiry, directrice du service des
transport et d’hébergement pour trois voyages s’il s’agit d’un
FINANCE MANAGEMENT - CFO MAGAZINE - N°52 - DÉCEMBRE 2011
Chine) ne sont pas taxables à Hong-Kong. Les revenus lo-
possible sur base d’un cost plus), de profit excessifs (Ruling
caux sont, en revanche, taxés au taux de 16,5%.
Prix de transfert), holding, provisoirement du moins, dans la
Les plus-values provenant d’une vente ultérieure de la struc-
mesure où la note Di Rupo prévoitscertaines restrictions à
ture hong-kongaises ne sont pas taxables en Belgique. En
ces mesures fiscales favorables. »
revanche, la vente d’une structure similaire en Chine donnera lieu à une taxation en Chine. Il est important que la société
Comment une entreprise peut-elle se protéger juridique-
hong-kongaise ait une ‘substance’ minimale, quelques tra-
ment dans ce contexte? Quelles sont les instances à saisir en
vailleurs locaux, une activité économique minimale, sous
cas de litige?
peine que la Belgique ne lui reconnaisse pas la nationalité
Rolf Declerck: « Comme mentionné ci-avant, opérer par le
hong-kongaise et que par conséquent, la convention préven-
biais d’un bureau de représentation en Chine est difficile.
tive de double imposition entre la Belgique et Hong-Kong ne
Par ailleurs, pour les structures comportant des sociétés
s’applique pas. Je conseille également toujours à mes clients
intermédiaires à Hong-Kong, il est important qu’il y ait une
d’aller y faire quelques visites par an pour avoir des frais à
des activités à Hong-Kong pour pouvoir invoquer la conven-
montrer lors d’un contrôle fiscal.
tion préventive de double imposition entre la Belgique et
Selon moi, ce n’est pas uniquement la convention préventive
Hong-Kong. D’un point de vue chinois, les principaux atouts
de double imposition entre la Belgique et Hong-Kong qui
de l’Europe et de la Belgique, sont d’abord les connaissances
rend la structure Belgique-Hong-Kong-Chine intéressante,
techniques et le know-how, ensuite, la qualité de ses pro-
mais la combinaison unique de cette convention avec l’accès
duits et en troisième lieu les marques. Les entreprises belges
aux nombreux avantages fiscaux que la Belgique offre pour
désireuses de faire des affaires avec la Chine doivent en être
toute une série d’activités. par exemple, des mesures fiscales
conscientes et protéger ces atouts pour éviter les contrefa-
attractives dans le domaine de la recherche et du dévelop-
çons, notamment les marques et le know-how en les bre-
pemenD et l/innovatio), de financement nles intéretsintérêts
vetant sur le marché chinois et plus particulièrement pour
notionellesnotionnels), de modes de distribution (taxation
les situations de joint ventures, il existe un risque que le partenaire chinois s’approprie le know-how ou enregistre plus tard la technologie en son nom propre. C’est la raison pour laquelle entamer un négoce en Chine sans partenaire ou travailleurs chinois est très difficile, pour ne pas dire impossible, surtout quand on ne maîtrise pas la langue. Les manières de travailler y sont également très différentes. Le
marché en dehors de l’Union européenne. La troisième
pays est tellement grand que c’est difficile de savoir où com-
aide proposée est le bonus PME. Lorsqu’une entreprise se
mencer. Tout comme les sociétés américaines, il est préfé-
déplace dans un salon à l’étranger pour la première fois,
rable pour les sociétés belges de conserver en Belgique leur
nous prennons en charge 50% de ses frais de voyage et
know-how/marques/technologies et de travailler en Chine
50% des frais de location – stand, tickets d’entrée. Si elle
par le biais d’un système de licence (droit d’usage). »
y est déjà allée, nous offrons alors un subside classique et remboursons la moitié des frais de voyage. Notre présence
Existe t-il des accords européens à ce sujet?
est fortement concentrée en Europe, mais nous visons éga-
Rolf Declerck: « Au niveau fiscal, il n’existe pas de réglemen-
lement l’Asie. Nous poussons nos entreprises à aller plus
tation directe étant donné que les directives européennes
loin. »
s’appliquent uniquement entre Etats membres. Le domaine
Certifiée ISO 9001, l’agence est obligée de respecter
des douanes fait peut-être exception à cette règle – au su-
certains délais fixes comme dix jours maximum pour
jet du commerce des biens, pas de services. La Chine étant
signifier l’accusé de réception, 30 jours pour instruire le
considérée comme ‘Etat tiers’, il existe des règles relatives aux
dossier et donner un avis et 30 jours pour effectuer le pai-
prélèvements à l’importation, les entrepôts de douane et les
ment si le projet est validé. En plus des missions écono-
tarifs de douane. En revanche, il existe des accords commer-
miques ou des stands collectifs lors de foires à l’étranger,
ciaux comme l’Accord de coopération commerciale et écono-
l’agence wallonne organise des formations en langues et
mique EU-Chine et l’Accord OMC EU-Chine. Au niveau fiscal,
du coaching spécialisé en communication. Le nouveau
les règles de l’OCDE prennent aussi une importance accrue,
programme « Awex 2.0 » créé il y a moins d’un an forme
notamment au niveau des prix de transferts. »
les entreprises à mieux utiliser les outils webs dans leur prospection. Un projet « workflow » permettra d’ici peu aux entreprises de suivre l’évolution de leur dossier en ligne étape par étape sur le site. Tous les documents y sont déjà téléchargeables.
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