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EN PRATIQUE SOMMAIRE N째55 - AVRIL 2012

Dossier

Secteur public


DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT

La frontière entre public et privé est de plus en plus ténue 20

Il pourrait être tentant d’opérer des parallèles entre gestion publique et gestion privée. C’est ainsi qu’on entend de plus en plus souvent parler de S.A. Belgique, comme si le pays pouvait être géré comme une entreprise. Faut-il envisager un tel rapprochement et avec quels effets en matière de gestion financière? Quelles synergies identifier entre monde marchand et services aux citoyens? Tentative de réponse.

P

our Giuseppe Pagano, chef du Service de Finances

ger. « Il y a à la fois des rapprochements et des divergences.

publiques et de Fiscalité au sein de la Faculté Wa-

Lorsqu’on réalise une dépense publique, on va d’abord se poser

rocqué de l’Université de Mons, le secteur public

la question de sa légitimité, de son utilité. On vérifie ensuite

gagne à s’inspirer du privé à la condition qu’on

son efficacité et son efficience – budget alloué/objectif fixé. Ces

accepte l’idée que le public puisse aussi lui apporter de bonnes

logiques peuvent aussi avoir un sens dans le monde privé. Toute

idées. « La question du rapprochement entre sphères privée et

entreprise doit se poser la question de la valeur de ses produits

publique revient souvent. Tout dépend surtout du type d’insti-

et connaître les besoins de ses clients. Elle bénéficie de l’infor-

tutions à comparer. Ces deux secteurs sont, chacun, très diversi-

mation émanant du marché, alors que le secteur public peut

fiés. Je ne crois pas qu’on puisse gérer un S.P.F. (NDLR: la nouvelle

s’inspirer de quasi-marchés. » De son côté, Giuseppe Pagano

appellation des ministères) comme une entreprise, mais on peut

insiste aussi sur la diversité des situations: « Bien sûr, il n’existe

s’inspirer de méthodes issues du privé. Les méthodes de travail de

pas deux entreprises identiques, deux secteurs totalement si-

l’ONEM ou celles du S.P.F Justice, qui n’ont aucun caractère mar-

milaires, ni deux institutions parfaitement symétriques. »

chand, sont difficilement comparables, tout comme le sont celles d’une banque privée ou d’un site sidérurgique. Les législations qui

FINALITÉS DIFFÉRENTES

s’appliquent sont différentes, le droit administratif d’un côté et le

De plus en plus, entreprises et institutions publiques partagent

droit du travail de l’autre, mais public et privé partagent cepen-

l’obligation de faire plus avec moins de moyens, même si leurs

dant de nombreux principes de gestion communs. »

temporalités et leurs objectifs sont différents. « Le premier

Pour Alain Schoon, professeur à l’UCL, des analogies peuvent

objectif pour une entreprise est d’être pérenne pour assurer sa

être intéressantes si l’on prend garde à ne pas tout mélan-

survie et sa rentabilité. Pour ce faire, elle doit dégager un surplus,

FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


explique Alain Schoon. Une institution publique va plutôt veiller à obtenir un profit et une rentabilité sociaux – qui équivalent à une approche coûts versus bénéfices – et un supplément de bien-être pour ses utilisateurs. Lors de la construction d’une autoroute, par exemple, les coûts peuvent être liés à un réduction du nombre d’accidents, moins d’admissions dans les hôpitaux ou encore moins de recours aux pompes funèbres. » Soulagé de l’obligation de faire du profit, le secteur nonmarchand ne peut pas pour autant ignorer les économies d’échelle. Les principes de base de la comptabilité, qu’elle soit publique ou privée, sont fondamentalement les mêmes. « « Prenons l’exemple des communes qui sont légalement obligées de tenir une comptabilité, illustre Giuseppe Pagano. Les modes de comptabilisation sont les mêmes que dans une entreprise, si ce n’est qu’une commune ne paie pas d’impôts des sociétés et est donc moins tentée de masquer des résultats trop bons. De la même façon que la trésorerie dans une a.s.b.l. et dans une banque se ressemblent, même si les montants ne sont pas les mêmes. Le principe de base est de gérer au mieux les moyens dont on dispose. Une école, par exemple, va devoir assurer la meilleure formation possible sur base des moyens qu’elle peut mobiliser: bâtiments, matériel, recherches, etc. » La gouvernance publique impose également une attention de plus en plus fine aux budgets dépensés. « Bien sûr, les finalités respectives ne sont pas les mêmes. Les institutions publiques n’ont pas la pression de présenter un rapport positif à leurs actionnaires. Elles n’ont pas d’objectif de lucre, leur but est plutôt

Giuseppe Pagano: « Le secteur privé pourrait s’inspirer davantage de la longue tradition de contrôle budgétaire du secteur public. Les grandes banques, quand elles étaient privées, auraient pu apprendre des habitudes du public sur ce volet là. »

de servir les citoyens. Elles se doivent de mettre en place une gestion prudente. Dans les deux cas, il s’agit de gérer au mieux

d’intégration ou de recrutement de profils à haute valeur ajou-

des ressources par rapport à des missions », complète-t-il.

tée, sont présents dans le privé comme dans le public, observe Giuseppe Pagano. Attirer des profils spécialisés est devenu un

RECRUTER DES TALENTS

des défis prioritaires. Le contenu technique est allé croissant.

Pour Alain Schoon, la libéralisation d’entreprises autrefois

Le secteur public, par exemple, est devenu un gros consomma-

entièrement détenues par l’Etat a donné naissance à des mo-

teur de juristes. Suite à la complexification de sa gestion et aux

dèles de gestion hybrides. « La gestion publique s’est assouplie

enjeux budgétaires actuels, le personnel public doit monter en

sous la pression de l’internationalisation et des nouvelles tech-

compétence. Je suis convaincu que la plupart des problèmes

nologies. La RTT, par exemple, anciennement en situation de

rencontrés dans certaines communes ne sont pas liés qu’à de

monopole, s’est transformée en Belgacom suite à une directive

la malhonnêteté, mais plutôt à des lacunes de compétences. »

européenne « traduite » en loi belge 1991. On entre alors dans

Souvent vu comme pas très sexy, le secteur public doit redou-

une nouvelle logique: l’opérateur historique est confronté à

bler d’efforts pour se montrer sous un jour plus dynamique.

d’autres acteurs, même si, de par sa taille, il reste l’acteur le plus

Très souvent, les jeunes diplômés connaissent mal les métiers

important. Belgacom continue aujourd’hui à être majoritaire-

qui y sont à l’œuvre. « Le premier réflexe d’un jeune diplômé est

ment détenu par les pouvoirs publics, tout en déployant un

encore de se tourner vers le secteur privé. Dans notre faculté de

mode de gestion privé. Dans la plupart de ces entreprises nou-

gestion, beaucoup de nos étudiants sont tentés par les Big Four

vellement créées, on distingue en outre les flux des infrastruc-

ou les multinationales, appuie-t-il. Il y a un attrait normal

tures. Belgacom est ainsi amené à louer son réseau à d’autres. Un phénomène comparable est à l’œuvre dans le secteur de l’énergie ou à la SNCB. » Les deux mondes partagent aussi des préoccupations communes en matière de gestion des ressources humaines: guerre des talents, engagement et attractivité en tant qu’employeur sont des enjeux de part et d’autre. « Certains problèmes de gestion du personnel – recrutement, motivation, etc. – sont similaires. Les objectifs d’amélioration de la productivité,

« La gestion publique s’est assouplie sous la pression de l’internationalisation et des nouvelles technologies. » FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

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DOSSIER

pour l’entreprise privée et ses perspectives de carrière, de salaires etc. Je constate que les possibilités d’évolution dans le public sont souvent peu connues. Il y a, cependant, une tendance actuelle de certains jeunes passés par le privé, qui se tournent vers le public après quelques années, notamment séduits par la stabilité de l’emploi et sa dimension d’utilité sociale. Le besoin de rechercher du sens au travail commence à devenir un critère. Il y a beaucoup à faire pour déconstruire les clichés de part et d’autre. Beaucoup de jeunes se font des illusions sur la qualité de la rémunération dans le privé…» La génération qui arrive serait particulièrement sensible à cet argument, notamment en Wallonie où le chômage est fortement présent depuis 1974. Les plus de 35 ans ont ainsi toujours connu un taux de chômage élevé. La carte de la stabilité peut jouer dans la décision. « Il est certain qu’il y a une méconnaissance des métiers publics, nos étudiants ont parfois des ambitions peu réalistes, confirme Alain Schoon. La recherche de profils techniques est une course des deux côtés, même si le secteur privé a plus de moyens pour y faire face. Le secteur public s’est progressivement doté de nouvelles compétences. Il a besoin de plus de profils spécialisés. Je défends une administration plus flexible, avec moins d’effectifs et des rémunérations à la hausse. »

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SOURCES D’INSPIRATION Les deux secteurs ont donc tout à gagner à s’inspirer de leurs forces respectives. « Le secteur privé pourrait s’inspirer davantage de la longue tradition de contrôle budgétaire du secteur public, pointe Giuseppe Pagano. Les grandes banques, quand

Alain Schoon: « L’objectif pour une entreprise est d’être pérenne et d’assurer sa rentabilité. Pour ce faire, elle doit dégager un surplus. Une institution publique va plutôt veiller à obtenir un profit et une rentabilité sociaux et un supplément de bien-être pour ses utilisateurs. »

elles étaient privées, auraient pu apprendre des habitudes du public sur ce volet là. La Cour des Comptes, par exemple, est

cation de fond. « Le défi d’ici les 15 prochaines années ne sera

un organe de contrôle particulièrement exigeant et rigoureux.

pas uniquement de gérer le vieillissement de la population,

De la même façon que le souci du bien-être au travail est aus-

mais surtout d’intégrer les populations exclues de l’enseigne-

si plus répandu dans le public. L’université peut jouer un rôle

ment dans nos systèmes scolaires, affirme encore Giuseppe

d’intermédiaire et encourager les échanges de part et d’autre.

Pagano. Nous allons avoir besoin de plus de croissance et de

Le Plan Marshall a notamment créé le terreau sur lesquelles des

productivité. Cela nécessitera une main d’œuvre de plus en plus

synergies peuvent s’ancrer en Wallonie. »

qualifiée. Ce ne sera plus la bataille du charbon, mais bien de

Le public gagnerait aussi à observer les méthodes d’audit, de

l’éducation. On peut soit mieux utiliser les moyens existants,

contrôle, d’évaluation et de management appliquées dans les

soit en débloquer d’autres, mais ça doit être une priorité. »

entreprises. Au niveau de l’impact de la crise, il y a un certain

Alain Schoon le rejoint en soulignant le rôle à jouer par l’uni-

décalage public-privé. Il est encore trop tôt pour en mesurer

versité qui doit former ses étudiants aux réalités du terrain

les effets directs dans la sphère publique. Les programmes

et stimuler l’envie d’entreprendre. Une frontière hermétique

décidés sur plusieurs années n’ont pas encore subi de modifi-

entre public et privé n’a plus lieu d’être. « Cette distinction est de plus en plus ténue et difficile à observer, conclut-il. Ceci peut notamment s’expliquer par des raisons idéologiques: on estime qu’il faut moins d’Etat. Certaines fonctions peuvent être me-

« Suite à la complexification de la gestion et aux enjeux budgétaires, le personnel public doit monter en compétence. » FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

nées par des acteurs privés, etc. On encourage aussi de plus en plus la collaboration privé-public, qui est déjà fortement présente dans les pays anglo-saxons. L’idée est bien de gagner en efficacité et de réduire les coûts. Coopération et compétition sont deux moteurs sains. Le pays bénéficierait de plus d’ouverture. Cela dit, il faut souligner que les fonctions régaliennes doivent rester l’apanage de l’Etat. Leur objectif est avant tout de se rapprocher de l’équité… »


DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT

Le secteur public doit être encore mieux géré que le privé Le rôle du CFO, qu’il travaille dans une institution publique ou pour une société privée, est devenu de plus en plus technique. La crise aidant, il doit veiller au cash flow de son organisation, tout en s’attachant à explorer des sources de financement alternatives, les banques étant désormais plus sélectives en matière de financement. Y compris vis à vis des entités publiques. Deux experts relèvent les défis en cours et à venir pour les départements financiers du secteur.

A

ssocié chez Ernst & Young Liège et respon-

par BNP Paribas et à 25% par l’Etat belge, la banque a fortement

sable pour la Wallonie, Philippe Pire est quoti-

évolué ces dernières années.

diennement en contact avec le secteur public wallon. Premier bureau de consultance à être

RÉALITÉS DIVERSES

entièrement intégré, Ernst & Young a fait le pari de créer une

Avant toute chose, tous deux insistent sur la diversité des situa-

cellule transversale dédiée au secteur public pour rassembler

tions au sein du secteur public, comme c’est le cas dans le privé.

toute son expertise acquise sur le terrain. Basée à Bruxelles, elle

« Le secteur public est particulièrement diversifié, une grosse ins-

coordonne et centralise les différentes missions qui ont lieu au

titution publique qui brasse des millions d’euros, suit un business

sein d’institutions publiques et qui sont réalisées par les experts

plan et possède un plan décennal, a plus de points communs avec

des différentes disciplines du cabinet. De son côté, Olivier Pee-

une entreprise, qu’avec une petite commune, observe Olivier Pee-

ters est Deputy Head of Public Banking chez BNP Paribas Fortis.

ters. Les compétences des financiers qui y travaillent sont assez

Son département compte une quarantaine de collaborateurs et

similaires, les responsabilités dans les administrations consé-

vise les entités publiques au sens large. A présent détenue à 75%

quentes sont semblables à celles des entreprises. » FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

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Olivier Peeters: « Ces organisations vont devoir travailler avec leur partenaire bancaire pour autre chose que du crédit et envisager la relation de manière globale. Notre rôle n’est pas de juger la qualité d’un projet: nous devons déterminer s’il est économiquement viable. »

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« Quand on parle de secteur public, on peut à la fois faire réfé-

mais tout écart est perçu comme un manque d’éthique. Des

rence à l’Etat fédéral, à une région, à la Fédération Wallonie-

affaires comme les scandales survenus à Charleroi jettent le

Bruxelles, aux OIP ou encore à un CPAS, complète Philippe Pire.

discrédit sur tout le secteur, voire sur toute la Région. On ne

Les budgets et les activités y sont très différents. Le non-mar-

lui pardonne rien », insiste Philippe Pire.

chand ne veut pas forcément dire qu’il n’y a pas d’argent en jeu,

La tendance est à la conscientisation et la concentration de

les montants peuvent y être très importants. »

compétences. Pour se moderniser, la sphère publique devra

Parmi les principales différences entre secteur privé et sec-

aussi soigner son image en tant qu’employeur. Si de nom-

teur public, il faut souligner la dimension politique liée à

breux CFO rencontrent des difficultés à recruter des profils

toute initiative. Au niveau bancaire, la principale différence

spécialisés, pour Philippe Pire, le code de la fonction publique

a trait à la prise de risque, qui doit être proche de zéro pour

limite quelque peu leur marge de manœuvre. « La gestion du

les institutions publiques. La gestion y est plus conservatrice.

personnel est un des grands problèmes que rencontre l’admi-

« Les grandes entreprises tendent aussi à réduire leurs risques.

nistration. Le code de la fonction publique, qui prévoit, entre

Les deux secteurs sont en train de se rejoindre à ce niveau-là.

autres, les modes de nomination et les barèmes salariaux,

Les produits financiers et les outils que nous proposons sont

cadenasse le recrutement et réduit les possibilités de pouvoir

fondamentalement les mêmes dans les deux secteurs », note

rivaliser avec le secteur privé. Par exemple, de nombreuses ins-

Olivier Peeters.

titutions wallonnes ne parviennent pas à recruter et garder des

GESTION EXEMPLAIRE

coup de difficultés à licencier des collaborateurs qui constituent

informaticiens. Certains responsables me confient avoir beau-

Le secteur public dans son ensemble se doit de montrer

parfois des poids morts pour le reste des équipes. »

l’exemple. « Même si la recherche du profit n’est pas l’objectif

Une chose est sûre, le secteur bancaire est devenu plus pru-

majeur, le secteur public doit, à mes yeux, être encore mieux

dent, il lui arrive de devoir refuser certains projets, privés

géré que le secteur privé car chaque euro dépensé vient de

comme publics. « Nous sommes peut-être devenus plus sélec-

la communauté. Cela suppose une gestion exemplaire. Le

tifs envers certains projets d’investissement, mais le crédit n’est

moindre écart est perçu comme étant plus choquant. De nom-

certainement pas rationné. Nous continuons à bien soutenir

breux scandales concernent parfois des montants très faibles,

l’économie et le plan d’adaptation de BNP Paribas Fortis à

FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


ce nouvel environnement a été conçu de manière à ce qu’il n’y ait pas de credit crunch, à ce que nous continuions à soutenir les entreprises privées ou publiques ainsi que les particuliers », insiste Olivier Peeters. Le marché bancaire évolue, le secteur public doit suivre le mouvement et ne plus compter sur un financement illimité. « Maintenant, le contexte actuel doit encourager les institutions publiques à étendre leurs champs d’horizon en termes de financement via des formes de crédits autres que le crédit bancaire classique. Nous sommes bien évidemment disponibles pour amener les entités publiques qui le souhaitent vers ces solutions alternatives de financement », défend-t-il encore.

SYNERGIES BANCAIRES Les banques ne peuvent plus accepter tout ce qu’elles acceptaient par le passé, à savoir des cahiers de charge très exigeants, des délais pour se rétracter trop élevés ou de ne pas avoir d’informations suffisantes sur l’utilité d’un emprunt. Elles s’accordent pour faire progresser leur secteur. « Nous avons besoin de savoir ce que l’on finance. Bien sûr, notre rôle n’est pas de juger la qualité d’un projet, mais nous devons déterminer s’il est économiquement viable. Avant les banques

Philippe Pire: « L’approche comptable en vigueur dans le secteur public est encore essentiellement budgétaire, du moins dans certaines institutions. L’objectif central est de rester dans le cadre du budget. On utilise moins les règles de provisions ou de prorata comme c’est le cas dans le privé. »

collaboraient peu ensemble, nous avons pris conscience de l’importance de créer des synergies », poursuit-il.

tions y échappent encore, comme les communes, les CPAS

« Je constate que l’obligation de réduire ses coûts est bien

ou les provinces par exemple.

ancrée dans les esprits et ce, dans tous les secteurs, confirme Philippe Pire. La grande majorité des Etats sont surendettés,

CRITÈRES DE QUALITÉ

tout le monde a conscience de la rigueur nécessaire. Les bud-

« Nos manières de travailler et nos exigences sont les mêmes

gets sont plus difficiles à obtenir, dans le public, comme dans le

que l’on travaille pour une banque ou pour un OIP, même si

privé. La manne financière se réduit, c’est une certitude. Tout ce

nous gardons à l’esprit que leurs objectifs sont différents, sou-

qui n’est pas prioritaire sera postposé. »

tient Philippe Pire. Il n’y a pas de divergence fondamentale

Les institutions publiques ne sont pas toutes égales face aux

dans les exigences de part et d’autre. L’approche comptable

enjeux du financement. Une région, qui constitue presque

en vigueur dans le secteur public est encore essentiellement

une marque, sera plus facilement écoutée par les investis-

budgétaire, du moins dans certaines institutions. L’objectif

seurs internationaux qu’une petite commune. « Certains

central est de rester dans le cadre du budget. On utilise moins

acteurs ne se lanceront jamais sur les marchés des capitaux,

les règles de provisions ou de prorata comme c’est le cas dans

pointe Olivier Peeters. Ils n’en ont pas la stature, ni même les

le privé. » Si, dans le privé, les normes comptables IFRS sont

besoins et les compétences nécessaires dans certains cas. Les

devenues une réalité pour les plus grandes sociétés, un pro-

investisseurs apprécient de connaître un acteur et sa réputa-

jet s’intéresse à l’application des normes IPSAS, rapprochant

tion pour réinvestir. »

encore un peu plus gestion privée et publique.

Lors d’un audit financier, les standards de qualité que nous

« Depuis environ cinq ans, je remarque beaucoup de remise en

utilisons sont les mêmes, que cet audit soit réalisé dans

question au sein du secteur public, cette tendance s’est intensi-

une entreprise privée ou dans une entreprise publique.

fiée au cours des derniers mois, affirme Olivier Peeters. On sent

Aujourd’hui, la toute grande majorité des institutions pu-

une nouvelle énergie. » Malgré les efforts entrepris, le secteur

bliques fait l’objet d’un audit. Néanmoins, certaines institu-

public va encore devoir continuer à faire des efforts en matière de visibilité et d’image. « Contrairement au secteur privé qui jouit d’un certain prestige auprès des jeunes candidats, le secteur public souffre d’un déficit d’image. Le rôle de fonction-

« Chaque euro dépensé vient de la communauté, cela suppose une gestion exemplaire. »

naire est souvent dévalorisé, c’est pourtant un des rouages essentiel d’un pays, conclut Philippe Pire. L’administration a fait des efforts considérables en matière d’efficacité et de service aux citoyens depuis une dizaine d’années. Contrairement à la France, nous n’avons pas d’école totalement dédiée à la gestion publique, c’est une piste à creuser. » FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

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DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT

Le futur ne sera pas simple pour le secteur public 26

En 2007, sous la présidence de Franck Van Massenhove, le S.P.F Sécurité Sociale déménageait vers la Tour des Finances. Il occupe à présent six étages du bâtiment et en a profité pour considérablement réduire ses frais de fonctionnement. Souvent cité en exemple pour son organisation flexible, le S.P.F a modernisé ses méthodes de travail en profondeur.

P

récurseur dans le secteur public, il ambitionne

bue activement à l’élaboration, la préparation et l’évalua-

de contribuer à un nouveau monde du travail.

tion des politiques sociales.

Depuis son déménagement, les ressources humaines ont permis à la plupart de leurs quelques

GARDIENS DU BUDGET

1.300 collaborateurs de travailler à distance entre un et trois

Pour encadrer sa gestion financière au quotidien, une ving-

jours par semaine, réduisant ainsi le nombre de bureaux et l’es-

taine de personnes travaillent au service Budget & Contrôle

pace nécessaire. Chacun s’installe où il veut, l’espace est ouvert

de gestion. Elles sont rejointes dans leurs tâches par les

et veut encourager les réunions et le partage des tâches.

correspondants budgétaires répartis dans tous les services.

Le S.P.F Sécurité Sociale a pour missions principales de

« Dans chaque service, nous avons une ou deux personnes

mettre une offre de services sociaux de qualité à dispo-

relais qui sont nos interlocuteurs en matière de gestion finan-

sition des citoyens, d’en assurer la coordination et l’appui

cière, explique Renaat Schrooten, directeur du département

stratégique, ainsi que de lutter contre la fraude sociale. Il

depuis 2010. Nous entretenons une sorte de réseau financier

s’organise en six directions: appui stratégique, inspection

au sein de l’organisation. Cette quarantaine de personnes se

sociale, personnes handicapées, politique sociale, indépen-

réunit au minimum six fois par an pour discuter des objectifs

dants et victimes de la guerre. Celles-ci sont soutenues par

globaux. Dans les faits, nous nous rencontrons dès qu’on pro-

cinq services de support: budget & contrôle de gestion, ICT,

blème ou une urgence se pose. Mon équipe est en communica-

logistique, personnel & organisation et services au Prési-

tion continue avec les autres services. »

dent. Hormis le paiement des indemnités aux citoyens

Les responsabilités du service Budget & Contrôle de ges-

handicapés ou aux victimes de guerre, ce n’est pas lui qui

tion s’articulent autour de plusieurs piliers. La coordination

verse les allocations aux chômeurs. Son rôle n’est pas non

et la rédaction du budget annuel constitue le premier volet.

plus de gérer les allocations familiales, ni le rembourse-

« C’est notre mission la plus importante. Chaque année, l’exer-

ment des soins de santé. Représentant la sécurité sociale

cice prend un peu plus de temps. Aujourd’hui, nous vivons des

belge à l’étranger, le S.P.F est le garant de notre modèle

temps difficiles au niveau budgétaire: nous devons donc redou-

de protection sociale, il joue aussi le rôle d’interface entre

bler d’efforts. Outre le budget, notre administration financière

l’Etat et les parastataux comme l’Inami ou l’ONSS. Il contri-

est assez classique, nous analysons les activités de chaque ser-

FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


vice tous les mois », confie-t-il. Les deux autres piliers sont la gestion financière quotidienne et le contrôle de gestion, ce dernier volet étant amené à croître dans les années à venir.

CALENDRIER BUDGÉTAIRE Membre d’un projet fédéral visant à implémenter SAP dans toute l’administration publique, le S.P.F. a fait partie du deuxième groupe d’institutions à se lancer dans l’exercice. « 2010 a été une année de transition, explique Renaat Schrooten. Ce projet SAP nous a permis de repenser nos processus et d’analyser nos systèmes de contrôle interne. Nous sommes dans une phase de continuité. Le pôle qui sera le plus amené à grandir sera le contrôle de gestion, soit tout ce qui concerne l’assistance des services, l’amélioration de nos activités et la modernisation de nos processus pour gagner en efficacité. » Travail de longue haleine, une première proposition de budget est écrite au mois de mai. Pour le rédiger, son service organise des réunions bilatérales avec tous les services concernés. Suite aux conclusions obtenues, cette première proposition de budget est créée et soumise au comité de direction chargé de l’approuver. Après son accord, ce premier budget est envoyé au S.P.F. Budget et Contrôle de gestion, qui travaille pour le Ministre du Budget. Le document doit s’aligner avec

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ceux des autres S.P.F. Fin septembre, le Conseil des Ministres tranche et approuve les différents budgets. Il revient alors au Parlement de donner l’approbation finale. En février-mars, il s’agit de l’étape du contrôle budgétaire. Au cours du mois d’avril, une première circulaire émanant du S.P.F. Budget et Contrôle de gestion est envoyée à tous les autres S.P.F. avec des directives et des objectifs communs, ce

Renaat Schrooten: « Le pôle qui sera le plus amené à grandir sera le contrôle de gestion, soit tout ce qui concerne l’assistance des services, l’amélioration de nos activités et la modernisation de nos processus pour gagner en efficacité. »

document servira de base de travail à la rédaction du prochain budget. « Réaliser un budget suppose beaucoup de négociations

nous aligner à la méthode COSO, un modèle importé du secteur

et de monitoring de notre côté. Nous sommes chaque jour en

privé, explique-t-il. L’exercice demandera un certain change-

contact avec le S.P.F. qui détermine le budget. Il coordonne égale-

ment de culture, cela prendra un certain temps pour qu’il soit

ment le projet SAP depuis 2010. Il nous aide pour des questions

intégré dans les processus de chaque S.P.F. »

techniques ou de gestion des flows d’informations. »

Issu du secteur privé et ancien journaliste spécialisé dans le secteur public, Renaat Schrooten, considère que créer

SYNERGIES FÉDÉRALES

des synergies entre les institutions publiques est essentiel.

En 2010, le S.P.F. Sécurité Sociale adopte aussi un nouveau

« Nous partageons des ambitions et des difficultés communes.

système de comptabilité en partie double et analytique, plus

Il est déterminant de créer des ponts entre les organisations,

proche de ce qui se fait dans les entreprises. « Les outils et les

de connaître ses confrères et leurs méthodes. Je suis convaincu

processus sont fondamentalement les mêmes, même si les envi-

que ces initiatives seront encore plus nombreuses dans le futur

ronnements et les temporalités sont différents. Bien sûr, nous

», affirme-t-il. Outre le Collège des présidents qui rassemble

n’avons pas d’objectif de profit, mais nous devons faire de plus en

tous les président des différents S.P.F., les directeurs financiers

plus d’économies d’échelle et d’efforts budgétaire. D’ici cinq ans, de

se rencontrent également une fois par mois dans le cadre du

nouvelles économies sont à prévoir », ajoute Renaat Schrooten.

Forum des directeurs organisé par le S.P.F. Budget et Contrôle

Au cours du mois de mars, le S.P.F. a ainsi conclu le plus grand

de gestion. Ils partagent alors best practices et sources d’ins-

exercice de réduction budgétaire de son histoire. Il s’est enga-

piration. Un projet interne de Knowledge Centrer spécialisé

gé à réduire ses coûts de fonctionnement de 7%, un an plus

dans le contrôle de gestion et accessible à tous les services

tôt que ce que le gouvernement avait exigé. Si le service Bud-

du S.P.F. Sécurité Sociale est également en cours de réflexion

get & Contrôle de gestion est encadré par le S.P.F. correspon-

pour faciliter l’échange de connaissances. « Beaucoup de défis

dant, il possède cependant une certaine latitude. « Un Arrêté

attendent le secteur public, le futur ne sera pas simple. Il est

Royal de 2007 fixe les outils à utiliser et constitue notre base

d’autant plus intéressant de créer des synergies entre les ac-

légale en matière de contrôle interne. Nous avons le projet de

teurs du public », conclut-il. FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT – PHOTOS : TH. STRICKAERT

Un CFO doit sortir des sentiers battus 28

Le secteur hospitalier belge compte une centaine d’hôpitaux généraux, dont quinze à Bruxelles, privés comme publics. Quel que soit leur statut, tous les établissements hospitaliers bénéficient de fonds publics et sont actifs dans le secteur non marchand. La différence entre ces catégories est assez mince et a surtout trait à l’obligation des hôpitaux publics de soigner tout type de patients, y compris ceux qui sont insolvables ou en difficulté, non seulement médicale mais aussi sociale.

F

ondé en 1923 à Laeken, le Centre Hospitalier Uni-

nous devons gérer les deniers publics en bons pères de famille

versitaire Brugmann (CHUB) se divise en plusieurs

afin de ne pas grever les finances de nos communes. Nous ren-

campus: les sites Victor Horta à Laeken, Paul Brien

dons chaque année des comptes aux pouvoirs publics. Dans le

à Schaerbeek et Reine Astrid à l’Hôpital Militaire

réseau privé, les exigences des actionnaires en matière de ren-

de Neder-over-Hembeek. Au cœur de la ville, il possède une capa-

tabilité peuvent différer, mais nos missions de base – soigner

cité de 850 lits et emploie quelque 3.000 collaborateurs. Ceux-ci

les patients – demeurent identiques dans tous les hôpitaux. »

incarnent une centaine de métiers: médecins, infirmiers, technologues, informaticiens… Membre du réseau public IRIS créé en

DENIERS PUBLICS

1996, le CHUB a une longue tradition d’enseignement. Il forme

Le conseil d’administration du CHUB est composé aux deux

en ce moment une centaine de médecins stagiaires.

tiers de représentants de la ville de Bruxelles et de son CPAS,

« Un hôpital universitaire est souvent exportateur de talents,

ainsi que d’un tiers de représentants de la commune de

cela fait partie de nos missions, même si notre raison d’être est

Schaerbeek et de son CPAS. A la tête du département finan-

d’abord de soigner les patients et de leur assurer la meilleure

cier, Patrick Dominé encadre septante agents. Précédemment

prise en charge qu’il soit, souligne Patrick Dominé, son directeur

directeur opérationnel des services financiers des hôpitaux

financier depuis 2008. Un hôpital public a un rôle de neutralité

IRIS-Sud, il a démarré sa carrière au CPAS de Bruxelles après

à jouer face à des questions éthiques ou religieuses. A mes yeux,

une licence en sciences commerciales et financières. Passion-

c’est aussi le dernier lieu de recours pour les laissés pour compte

né par le monde hospitalier, il a dû faire face à une situation

de la société. » En offrant aux citoyens des soins de qualité ac-

économique difficile à son arrivée en 2008 au CHU Brugmann.

cessibles à tous, l’hôpital public joue un rôle social avéré.

En 2006, le déficit était de 14 millions d’euros. Un plan de re-

« Une autre particularité des hôpitaux publics est certainement

dressement lancé en 2007 a permis de retrouver l’équilibre en

aussi le fait que son déficit est à charge de sa commune de réfé-

2011, selon les dernières prévisions financières. Aujourd’hui,

rence. Nous avons une obligation de résultats et de qualité :

le chiffre d’affaires avoisine les 230 millions d’euros.

FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


Patrick Dominé: « Très souvent, le CFO doit pouvoir dépasser son réflexe naturel de se focaliser sur les chiffres et être capable d’examiner dans son ensemble la qualité d’un projet novateur ou d’extension. »

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Pour Patrick Dominé ce retour à l’équilibre résulte d’efforts

un pôle très important des activités de mon département »,

collectifs. « Certains services restent déficitaires et le seront

poursuit Patrick Dominé.

probablement encore dans vingt ans. Une solidarité financière

Lors d’un projet de construction à Bruxelles, chaque insti-

est nécessaire entre tous nos services médicaux. Certaines pra-

tution hospitalière peut, sous certaines conditions strictes,

tiques sont parfois peu rentables ou nécessitent des équipe-

recevoir des subsides de la Cocom. Ces subsides impactent

ments et des technologies onéreuses, mais nous nous devons

le financement du SPF SP tel un carcan financier. Un des rôles

de les proposer afin d’offrir une médecine de pointe et de qua-

du directeur financier est donc de garder un œil sur toutes

lité accessible à tous. Trois représentants des médecins font

ces sources de financement, de s’assurer du respect des bud-

partie de notre conseil d’administration, c’est essentiel pour

gets dont ceux de la construction et, éventuellement, de trou-

rester en lien avec notre métier premier. Le Comité de Direction

ver de nouveaux financements dans la mesure du possible.

est également présent à chaque conseil d’administration. Nous

Toutes ces matières demandent une surveillance régulière

avons mis en place une gouvernance rigoureuse fondée sur des

de la législation et beaucoup de créativité. Une cellule de

reporting et des prévisions de résultats trimestriels. »

contrôle financier composée de quatre jeunes professionnels se charge du contrôle de gestion, du suivi du BMF et du

COMMUNICATIONS CHIFFRÉES

contrôle interne financier. « Les techniques de financement

Le CHUB a deux sources de financement principales: les

des hôpitaux sont particulières. Suivre toutes les réglementa-

honoraires fixés par les règles de tarification de l’INAMI et

tions constitue un vrai labyrinthe. Pour avancer, il faut pouvoir

versés par les mutuelles et par les patients, et le budget des

prendre du recul et faire abstraction des contraintes pour se

moyens financiers (BMF) qui, lui, est déterminé par le S.P.F.

concentrer sur l’objectif final. »

Santé Publique. C’est le conseil d’administration du CHUB

Parmi les défis du poste de directeur financier dans un hô-

qui valide son budget. « Dans ce domaine-là, il y a peu de dif-

pital, la gestion des communications financières figure en

férences entre les hôpitaux privés et publics et donc le métier

bonne position. Patrick Dominé, qui compile et présente

de CFO reste identique que l’hôpital soit privé ou public. La

les rapports au conseil d’administration, explique: « Notre

plupart des patients reçoivent une intervention de leur mu-

communication interne et externe est mûrement réfléchie.

tuelle. D’autres sont aidés par les CPAS et pris en charge essen-

Nous présentons au minimum une fois par an nos résultats et

tiellement dans les hôpitaux publics. La tarification INAMI est

perspectives d’évolution à nos différents partenaires. Pour FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


DOSSIER FISCALITÉ

Cela demande une attention renforcée pendant les périodes de budget. Il faut parfois pouvoir se montrer créatif face à l’environnement incertain et très mouvant des soins de santé. Mes meilleures idées me viennent souvent en dehors de l’hôpital, loin du rythme stressant de la journée. C’est un métier passionnant où il faut en permanence remettre ses connaissances en questions. En interaction constante avec les médecins, il s’agit de savoir de quoi on parle. Cette connaissance du terrain est indispensable. » Gérer la tarification et la facturation, appelées dans le jargon hospitalier le ‘haut fourneau de l’hôpital’, requiert aussi beaucoup d’efforts et de vigilance. « Connaître la nomenclature INAMI spécifique aux différents secteurs médicaux est une des bases du métier de la Tarification. Maîtriser ces rouages ne s’improvise pas et ne vient pas du jour au lendemain. Notre rôle est aussi d’optimiser la qualité et l’exhaustivité des données et des flux de tarification pour obtenir le meilleur financement possible », complète Patrick Dominé.

CONTRÔLES PUBLICS Des inspecteurs de la Santé publique sont amenés à vérifier les comptes et données d’activité de l’hôpital à périodicité variable. En général, les 2 enjeux majeurs de ces inspections

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sont le calcul du BMF, fixé chaque 1er juillet, et les révisions de celui-ci. Le CHU est informé peu de temps à l’avance. Souvent, il ne dispose que d’un mois pour vérifier les résultats des révisions du BMF d’exercices antérieurs. Il doit donc être réactif et rassembler dans les meilleurs délais tous les éléments probants: factures d’investissements, charges de per-

Patrick Dominé: « Les techniques de financement des hôpitaux sont particulières. Suivre toutes les réglementations constitue un vrai labyrinthe. Pour avancer, il faut pouvoir prendre du recul et faire abstraction des contraintes pour se concentrer sur l’objectif final. »

sonnel, effectifs présents, données d’activités… « L’enjeux peut être de quatre ou cinq millions d’euros lors de ces révisions. C’est un défi, surtout si le contrôle tombe en pleine élaboration du budget. Pour être sûrs de nos dossiers, nous vérifions tout en double et nous comparons nos analyses et remarques, c’est un vrai travail d’équipe », précise-t-il encore. Pour répondre

cela, nous faisons un travail d’analyse, de vérification et de

à ces défis, un bon CFO doit être disponible pour ses équipes.

vulgarisation conséquent. Suivant nos interlocuteurs, nous

« Je pense que ce qui fait un bon CFO lors de ces périodes de

adaptons notre communication pour rester clairs et didac-

stress, c’est sa capacité à répondre présent au bon moment, ainsi

tiques. Notre reporting existant est également très exigeant,

que son expertise. Sans oublier, son investissement tout au long

l’élaboration du budget est une période assez stressante. En

de l’année pour former ses collaborateurs. Je m’inscris en faux

tant que responsable des comptes, des reportings et des bud-

par rapport à la conception statique du métier de CFO parfois

gets, je veille à intégrer les changements potentiels à venir et,

vu comme un notaire », achève Patrick Dominé.

surtout, ne rien oublier, en évitant les erreurs comptables ou

« Il lui faut maîtriser techniquement son sujet s’il veut être

budgétaires. Une erreur d’un pourcent sur le budget de l’hô-

respecté en interne comme en externe. Il doit également sor-

pital, représente un trou budgétaire de 2,5 millions d’euros.

tir des sentiers battus pour trouver des fonds, ne pas s’arrêter aux chiffres, et faire preuve d’ouverture d’esprit lorsqu’on lui présente des projets. Très souvent, le CFO doit pouvoir dépasser son réflexe naturel de se focaliser sur les chiffres et être

« Ce qui fait un bon CFO en période de stress, c’est sa capacité à répondre présent au bon moment ». FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

capable d’examiner dans son ensemble la qualité d’un projet novateur ou d’extension. Un hôpital qui ne prend pas de risques pour acquérir de nouvelles techniques médicales peut rater un développement, perdre son attractivité d’hôpital universitaire, ainsi qu’une partie de son rôle d’hôpital public offrant une médecine de qualité à tous. »


DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT – PHOTO : ONEM

Une institution publique se doit de poursuivre l’intérêt général La sphère des organisations publiques n’est pas épargnée par les réductions budgétaires. Tout comme dans le privé, performance et efficacité sont devenues des maîtres-mots, avec le défi supplémentaire de les associer à une finalité sociale. Partage d’expérience avec l’ONEM.

F

ondé le 27 juillet 1935 par arrêté royal, l’Office

un volume de travail important, sans doute avec moins de

national de placement et de chômage, ancêtre de

moyens pour y répondre.

l’ONEM, a connu les débuts de la solidarité organisée dans la mouvance des premiers Bureaux

RÉSEAU POUR L’EMPLOI

de Bienfaisance, les actuels CPAS. Organisme public de sécurité

Institution publique décentralisée, l’ONEM se compose d’une

sociale, il a vu ses missions évoluer au fil du temps pour donner

administration centrale basée dans le centre de Bruxelles et

naissance à l’Office national de l’Emploi en 1961, plus en ligne

d’une trentaine de bureaux locaux répartis sur tout le terri-

avec les réalités économiques du terrain. Chargé par l’Etat de

toire belge. Les trente directeurs locaux et la direction cen-

gérer l’assurance chômage et certaines mesures fédérales pour

trale se réunissent mensuellement pour débattre de la bonne

l’emploi, l’Office s’occupe aujourd’hui de six piliers: la prévention,

exécution des missions à l’aide de tableaux de bord partagés,

les allocations, la réinsertion et l’insertion, la conciliation de la vie

ainsi que de différents dossiers réclamant plus d’attention.

privée avec la vie professionnelle, l’information et le contrôle.

Les activités de ces bureaux sont suivies mensuellement. Ils

Amené à réduire ses frais de fonctionnement dans les mois à

ont ainsi l’occasion de partager leurs difficultés et de faire

venir à l’instar des autres institutions publiques, l’ONEM tra-

jouer la solidarité entre les équipes.

vaille avec un budget de 12 milliards d’euros, dont 11,7 sont

En tout, l’institution compte quelques 4.000 agents (sans

alloués à l’exécution de ses missions, le 0,3 milliard d’euros

compter le personnel auxiliaire) dont 25% sont de niveaux A

restant concerne ses frais de fonctionnement. Si l’institution

et B (études universitaires et supérieures), et 75% de niveaux

fait état d’une baisse du chômage dans son rapport annuel,

C (avec un diplôme d’études secondaires) et D (sans diplôme

les défis qui l’attendent ne manquent pas. En effet, le nombre

d’études secondaires supérieures). Les métiers de niveau A et

de chômeurs complets indemnisés et de prépensionnés

B les plus représentés sont les gradués en sciences sociales,

s’élève toujours à 661.000. L’ONEM devra ainsi faire face à

juristes, économistes et comptables. L’organisation de l’adFINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

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DOSSIER FISCALITÉ

ministration centrale se divise en quatre directions générales:

Nous avons calculé combien coûte un contrôle ou de délivrer une

personnel et organisation; réglementations et contentieux;

attestation afin de les optimiser… » Pour gagner en efficacité,

finances et statistiques et support.

l’institution veille aussi à avoir une infrastructure informatique

« Notre ambition est d’à la fois permettre une protection so-

la plus fiable et stable possible. Il lui faut en effet gérer une

ciale lors de transitions sur le marché du travail, d’être un par-

base de données de plus de 2.500.000 allocataires sociaux.

tenaire solide d’une politique de l’emploi inclusive, mais également d’être un point de référence en matière de bonne gestion

GESTIONNAIRE TRANSPARENT

et d’orientation, souligne Georges Carlens, administrateur

La direction « Services financiers » de l’ONEM emploie 82

général de l’ONEM depuis octobre 2009. Il faut savoir que

agents, dont 17 de niveau A, 28 de niveau B, 30 de niveau C

toutes nos activités sont suivies et monitorées: notre système

et 7 de niveau D. Parmi ceux-ci, on compte outre le personnel

de reporting mensuel est très pointu. 95% des rapports sont générés automatiquement, ils constituent une base de travail lors de nos réunions. C’est une discipline que chaque bureau a désormais intégrée. » Entièrement responsable des interruptions de carrière et des crédits-temps, l’institution n’hésite pas à faire appel à différents partenaires pour ses autres missions. Elle travaille ainsi étroitement avec les quatre organismes de paiement des allocations qui reçoivent les fonds nécessaires de sa part. Les paiements effectués sont ensuite vérifiés par ses différents bureaux de chômage. L’ONEM collabore également avec les sociétés émettrices des titres-services et des chèques ALE et les agences locales pour l’emploi.

32

CONTRAT DE GESTION Pour mener à bien toutes ses tâches, l’organisation dispose d’un contrat d’administration conclu avec l’Etat qui comprend des droits et devoirs réciproques. Un des points importants de ce document concerne les attentes de l’Etat par rapport à l’ONEM quant à l’utilisation des moyens qui lui sont accordés. « Contrairement à une entreprise privée qui a pour objectif principal de maximiser son profit, une institution publique se doit de poursuivre l’intérêt général, rappelle-t-il. Il nous faut veiller à ce que chaque citoyen ait les mêmes droits et obligations en matière de revenus de remplacement ou d’emploi. Les moyens sont rares. Nous devons les affecter de la manière la plus optimale possible lors de l’exécution de nos missions. » Chaque année, l’ONEM rédige ainsi un plan d’administration

Georges Carlens: « Nous sommes très fiers d’avoir pu mettre en œuvre la plupart des mesures de crise de manière uniforme tout en respectant les moyens mis à notre disposition, ainsi que d’avoir contribué à soutenir plusieurs dispositifs importants du marché du travail. »

très précis, reprenant la manière dont l’institution exécutera à court terme les engagements inscrits dans ce contrat d’administration. Le texte met particulièrement l’accent sur les

de cadre (conseillers, chefs de service et chefs de groupe), des

actions et les projets mis en œuvre pour atteindre les objec-

économistes, des comptables ainsi que du personnel admi-

tifs visés, ainsi que sur les indicateurs utilisés pour mesurer

nistratif exécutant. Ces agents sont recrutés avec l’aide du

les résultats et les moyens affectés par l’ONEM. Parmi les

Selor. La direction s’organise en deux sections: « missions »

avantages de disposer d’un tel contrat, Georges Carlens sou-

et « gestion ». De manière assez classique, son rôle est avant

ligne une plus grande transparence et une clarté des engage-

tout d’assurer la gestion financière de l’ONEM et d’optimiser

ments pris par son institution.

la gestion de ses flux financiers vers ses partenaires.

« Un autre avantage, c’est que les crédits d’investissement non

Son rôle peut être déconstruit en sept grands domaines d’ac-

utilisés peuvent être transférés au budget de l’année suivante

tivité: la rédaction, le suivi du budget et les prévisions de tré-

si nécessaire pour exécuter le plan d’investissement. Ce contrat

sorerie; l’exécution des paiements comme les crédits-temps

comprend 97 engagements précis et mesurables que nous

et les interruptions de carrière; la comptabilité et le calcul

devons respecter. Ce sont des défis quotidiens: nous devons

du prix de revient; la redistribution des allocations sociales

constamment réfléchir à des pistes d’amélioration et d’auto-

et des frais d’administration aux organismes de paiement; le

matisation. Chacune de nos procédures est associée à un coût.

contrôle comptable des organismes de paiement et des ALE;

FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012


le contrôle de ses propres dépenses de fonctionnement via un contrôle interne du paiement des salaires et des bons de commande; et enfin le reporting, qu’il s’agisse de rapports obligatoires ou complémentaires. « Nous souhaitons être un exemple en étant un gestionnaire transparent, particulièrement minutieux et strict, poursuit Georges Carlens. Pour ce faire, nous veillons à l’optimisation des flux financiers qui proviennent et vont dans nos institu-

« Toutes nos activités sont suivies et monitorées: notre système de reporting mensuel est très pointu. »

tions partenaires, et à l’amélioration des applications comptables actuelles. Nous sommes également encouragés à accé-

comme le contrôle de la disponibilité, les mesures d’activation, les titres-services ou les agences locales pour l’emploi seront donc progressivement détachées de l’ONEM, ce qui demandera un travail de préparation conséquent. Ces transferts devront permettre aux régions de mener leur propre politique dans ces matières en répondant mieux aux spécificités locales de leur marché du travail. « D’autres mesures socio-économiques prendront également effet d’ici la fin 2012. Elles auront notamment trait aux allocations d’attente, devenues allocations d’insertion, à la dégressivité des allocations de chômage, l’accompagnement et le suivi des chômeurs, les prépensions, l’interruption de carrière et le crédit-temps. Il s’agit ici de réformes structurelles qui vont dans le sens des recommandations internationales et qui impacteront aussi notre travail », note encore l’administrateur général, ajoutant que les perspectives de croissance sont peu réjouissantes pour 2012.

DÉFI DE GOUVERNANCE En 2011, l’ONEM a réussi à respecter les 97 engagements prescrits dans son contrat d’administration, et ce, malgré un volume de travail élevé, notamment grâce à l’engagement sans faille de son personnel. « C’est une garantie d’un service de qualité, ce dont témoignent également les résultats des enquêtes de satisfaction menées auprès de nos clients, poursuit Georges Carlens. Nous sommes très fiers d’avoir pu mettre en œuvre la plupart des mesures de crise de manière uniforme tout en respectant les moyens mis à notre disposition, ainsi que d’avoir contribué à soutenir plusieurs dispositifs importants du marché du travail qui ont permis à la Belgique d’être un bon élève au niveau européen en matière lérer les réductions de nos frais de fonctionnement. En 2012,

d’emploi et de chômage. »

nous devrons encore réduire ces coûts de 3% sur notre budget

Afin de réduire ses frais de fonctionnement, l’institution avait

total, soit une économie de 9 millions d’euros. »

déjà diminué l’effectif de son personnel de 6% lors des deux

RÉFORMES MAJEURES

dernières années. « L’année passée, nous avons aussi poursuivi nos investissements dans l’informatisation de nos services. En

Depuis son entrée en fonction en décembre 2011, le gouver-

parallèle, nous avons continué à progresser durablement dans

nement « papillon » a planifié des réformes majeures, sur les

plusieurs domaines, dont celui de la lutte de plus en plus pré-

plans institutionnel et socio-économique. Certaines des me-

ventive contre la fraude ou les abus. Ces efforts seront pour-

sures prévues auront un impact sur les activités quotidiennes

suivis en 2012, achève-t-il. Nous allons moderniser encore

de l’ONEM. La dégressivité des allocations de chômage, par

davantage notre stratégie afin de relever les importants défis

exemple, risque de complexifier son travail. Sur le plan ins-

qui nous attendent, afin d’endosser notre responsabilité socié-

titutionnel, certaines de ses compétences seront progres-

tale et d’apporter notre contribution à la réalisation des objec-

sivement transférées aux régions, même si les modalitéset

tifs du gouvernement et de la stratégie européenne 2020 pour

le timing n’ont pas encore été dévoilés. Certaines matières,

l’emploi et la croissance. » FINANCE MANAGEMENT - N°55 - AVRIL 2012

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