DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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On apprend au contact de collègues au leadership fort Avant tout chargés de s’assurer du bien-être financier de leur entreprise, les CFO sont aussi des « people managers ». Responsables de leur équipe, ils doivent aussi développer leurs compétences en matière de leadership et veiller tant à la performance qu’à l’épanouissement de leurs collaborateurs.
P
as toujours outillé lors de leur formation universi-
Egalement amenée à échanger bonnes pratiques et difficultés
taire, certains CFO suivent des modules de cours
rencontrées avec ses confrères du même groupe, Astrid An-
spécialisés en leadership, d’autres misent plutôt
ciaux apprécie tout particulièrement ces échanges. Chez Steria
sur les rencontres et l’entretien d’un réseau. Is-
depuis une vingtaine d’année, elle rencontre très souvent les
sus de secteurs très différents, Astrid Anciaux, CFO chez Steria
autres CFO du groupe.
Benelux, et Michel Allé, CFO de la SCNB-Holding, se rejoignent néanmoins sur l’importance du transfert de connaissances et
SOUTENIR SON ÉQUIPE
du partage d’expériences.
« Nous sommes organisés en centres d’expertise. Faire partie
« Je m’efforce d’aller parler dans des conférences afin de confron-
d’un groupe international permet d’échanger des méthodes de
ter mes idées avec d’autres professionnels, explique Michel Allé
travail, des questions ou encore des défis à relever. Nous parta-
qui est également administrateur d’Eurofima, société euro-
geons beaucoup de connaissances au sein de la communauté
péenne de financement de matériel ferroviaire où il rencontre
des CFO et nous nous réunissons régulièrement. Ces rencontres
ses collègues CFO des autres chemins de fer. Je rencontre
sont souvent très riches. Ce partage d’informations au sein du
également fréquemment d’autres CFO lors de remises de prix.
même secteur est essentiel. J’ai également l’occasion de rencon-
S’inspirer de l’expérience des autres peut être très riche. Chez
trer d’autres CFO lors de partenariats sur des offres complexes.
Eurofima, nous nous rencontrons tous les trois mois. Le cadre
Même si chacun a ses particularités, c’est souvent l’occasion de
est formel, mais nous échangeons nos expériences réciproques
discussions intéressantes. »
de manière informelle. Ces rencontres sont passionnantes. »
Marqué par une culture très internationale, le visage du
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21 Astrid Anciaux: « Le plus important est de réussir à équilibrer le temps dédié au reporting et celui accordé à assister le business. Nous sommes avant tout là pour soutenir l’activité. C’est parfois un exercice d’équilibriste. »
groupe Steria a beaucoup changé depuis ses débuts. « Au gré
collègue qui gère le controlling. « Nous organisons mensuel-
des reprises, comme par exemple celle des entités services du
lement des meetings qui ont lieu après la clôture pour que nos
groupe Bull en 2002, la taille du groupe, la complexité des pro-
collaborateurs puissent partager leurs difficultés et apporter
jets et la nature de ses activités ont progressé. J’ai eu la chance
des réponses aux questions en suspens, c’est très important »,
d’y découvrir tous les aspects de la fonction finance à travers
insiste Astrid Anciaux.
différentes dimensions et plusieurs tailles d’entreprise. J’ai donc pu vivre des expériences variées au sein du même groupe »,
BOUSCULER LES HABITUDES
détaille Astrid Anciaux.
Pour Michel Allé, également Professeur à la Solvay Brussels
D’origine française et principalement implanté en Europe, le
Schools of Economics and Management, avoir une activité
groupe représente pas moins de 20.000 personnes réparties
académique permet de constamment remettre en question
dans 16 pays, dont 270 en Belgique et à Luxembourg. Ayant
ses certitudes. « Je donne cours à des étudiants de 2ème bac-
accompli une grande partie de sa carrière chez Steria, Astrid
calauréat ainsi qu’à des étudiants de dernière année de Master,
Anciaux a vu son rôle et ses équipes évoluer avec les années.
précise-t-il. J’apprécie garder un pied dans le monde acadé-
Au fil des acquisitions, son département s’est développé et
mique. L’exercice est très intéressant et permet de rester jeune.
gère les entités Belgique et Luxembourg. « Nous coordon-
Les étudiants posent toujours des questions inattendues, il faut
nons l’ensemble du périmètre financier, les département pur-
pouvoir se remettre en question. »
chasing, legal et facility management, ainsi que la stratégie
La moyenne d’âge étant assez élevée dans son entreprise,
depuis Bruxelles. Nous l’adaptons ensuite au contexte luxem-
il recrute en moyenne 4 ou 5 personnes chaque années
bourgeois », explique-t-elle. Pour accompagner son équipe,
pour remplacer les anciens. Ingénieur civil de formation,
elle a partagé suivi et coaching des collaborateurs avec une
Michel Allé a notamment eu l’occasion de travailler pour
FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
DOSSIER
Cobepa, puis comme directeur financier à l’aéroport de Zaventem, et a eu l’occasion de croiser des managers éclairés sur son parcours. Il considère qu’on apprend à être un bon leader avant tout en observant ses collègues. « Certaines formations peuvent servir de catalyseur et d’accélérateur, mais rien ne vaut la pratique, souligne-t-il. Quand j’ai fait mes études, ce type de cours n’était pas au programme. Dans ma carrière, j’ai eu la chance d’apprendre beaucoup aux côtés de deux femmes qui étaient mes patronnes: elles ont joué en quelque sorte un rôle de mentor. Je pense qu’on se forme le mieux en travaillant sur le terrain avec des personnes ayant un leadership fort et appréciant partager leurs connaissances. Je crois beaucoup à ça. Je suis convaincu qu’on choisit son manager, on n’est pas obligé de le subir. »
CHANTIER IT Ayant toujours mis l’accent sur la formation dans son département, le CFO de la SNCB-Holding a notamment favorisé les cours de langues, d’informatique et de perfectionnement aux normes comptables, un peu moins de leadership. « Le coaching représente environ un quart de mes activités. Il peut prendre une forme structurée ou informelle, il peut s’agir d’un appel ou d’un e-mail. J’apprécie vraiment de voir mes collaborateurs évo-
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luer. En tant que professeur j’aime la relation d’apprentissage. Voir évoluer les jeunes, c’est préparer l’avenir », partage-t-il. Composé de127 équivalents temps plein, le département financier de la SNCB-Holding a, début 2010, mis en service opérationnel un ERP SAP. Vaste chantier, le projet a fait l’objet de quelques résistances à ses débuts, mais a été bien perçu par les utilisateurs finaux grâce à la collaboration avec les directions opérationnelles et à des efforts conséquents en matière de formation. « Quand je suis arrivé en 2005, nous employions environ 140 équivalent temps plein. La nature du travail, les méthodes utilisées et le profil des collaborateurs ont beaucoup évolué, ajoute Michel Allé. Nous travaillons avec de plus en plus de spécialistes et moins d’exécutants, nos besoins en matière de compétences – informatiques, comptables, etc. – sont devenus plus pointus. De nombreux collaborateurs doivent avoir une double casquette, maîtriser les processus financiers classiques, d’achat, de vente, de gestion de projet ou encore de comptabilité, mais aussi bien connaître nos systèmes IT. » Pour migrer sur SAP, le SNCB Holding a réalisé un énorme exercice de formation des cadres issus de tous les départements. Entre les trois derniers trimestres de 2009 et le premier trimestre de 2010, près d’un millier de collaborateurs ont ainsi été formés à l’outil.
PERSONNES-RESSOURCES Michel Allé: « Le coaching représente environ un quart de mes activités. Il peut prendre une forme structurée ou informelle. Il peut s’agir d’un appel ou d’un e-mail. J’apprécie vraiment de voir mes collaborateurs évoluer. »
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Le plus du projet: près de 75% des formateurs étaient des internes. Ils ont ainsi pu contribuer à définir les besoins et à tester le système. Connaissant le métier et l’entreprise de l’intérieur, ils sont devenus des personnes-ressources pour les autres. « La relation d’apprentissage est bien sûr
très différente de celle qu’on peut avoir avec un consultant. Les membres du projet ont coordonné l’implémentation de A à Z et sont devenus des super key users. Leur rôle était aussi d’identifier les points de résistance et de rassurer les autres. Une partie du groupe était constitué de profils incontournables comme des responsables IT, l’autre moitié était formée de volontaires », appuie Michel Allé, qui a plus particulièrement souhaité donner la chance à des jeunes profils de s’impliquer dans le projet, source d’apprentissage, et de
« Certaines formations peuvent servir de catalyseur et d’accélérateur, mais rien ne vaut la pratique. »
sortir de leur cadre quotidien. « C’est un exercice lourd qu’on ne fait, en général, que tous les 20 ans, c’est très intéressant d’y participer. Le grand avan-
finance peut jouer un rôle dans ce questionnement. En tant
tage de l’ERP est d’à présent maîtriser toute la chaîne de l’in-
que CFO, il faut à la fois se tenir informé et être attentif aux
formation, mais aussi que tout le monde travaille avec les
contraintes fiscales et comptables, tout en faisant preuve de
même données sur la même plateforme, chaque utilisateur
créativité, et en assurant la rentabilité de l’entreprise, qui
y contribue dans son secteur propre », poursuit-il. Au début
reste la condition de sa pérennité. »
de ce vaste projet, Michel Allé est aussi allé consulter différents CFO déjà passés par là. « Quand on a lancé SAP, se
GÉRER L’INFORMATION
rappelle-t-il, j’ai sollicité plusieurs rendez-vous dans des or-
Les exigences en matière de reporting sont devenus plus
ganisations comme la Poste, Electrabel, ou InBev pour déter-
précises pour de nombreux CFO, témoigne Astrid Anciaux.
miner quelles étaient les difficultés et les enseignements à
« Nous faisons partie d’un groupe, les demandes en matière
tirer de leurs expériences. »
d’informations sont importantes, défend-t-elle. Le plus impor-
Spécialiste de l’IT dans trois grands secteurs, banque, utilities
tant est de réussir à équilibrer le temps dédié au reporting et
et secteur public, Steria vient de mettre en place un vaste
celui accordé à assister le business. Nous sommes avant tout là
programme de Change Management piloté par un comité
pour soutenir l’activité. C’est parfois un exercice d’équilibriste,
composé de figures incontournables qui se réunissent men-
d'autant plus que la maison mère reste focalisée sur la vue glo-
suellement comme le CEO, le DRH et le CFO, ainsi que de
bale de l'évolution du groupe et a un niveau d'exigence équi-
représentants luxembourgeois des différentes fonctions. Un
valent pour toutes ses entités. Cette explosion du reporting est
coach extérieur est venu donner plusieurs formations aux
d’autant plus vraie depuis la crise: il est impératif d’avoir des
cadres dans cette optique. Pas spécifiquement formés en lea-
informations à temps pour prendre les bonnes décisions, cela
dership, les managers ont cependant tous suivi une forma-
impose parfois d’être un peu au four et au moulin. »
tion en communication.
Pour faire face à ces changements, l’équipe financière s’est renforcée et compte une dizaine de collaborateurs. Elle se compose
ENCADRER LE CHANGEMENT
à présent de comptables et de fiscalistes, mais aussi davantage
« Je pense que c’est un des aspects principaux de tout pro-
de gestionnaires de projets. « Notre équipe est centralisée, les
gramme de leadership. Dans une petite entité, la qualité de
liens entre l’opérationnel et le département financiers sont très
l’information est déterminante et peut toujours être amé-
étroits. Cette proximité fait notre force, j’ai toujours souhaité res-
liorée, note-t-elle. Nous formons également très souvent
ter proche de l’activité. Un autre atout est la stabilité de l’équipe
nos collaborateurs aux évolutions fiscales et techniques,
financière depuis plusieurs années », appuie-t-elle encore.
ils se chargent ensuite de faire percoler l’information dans
Collègues depuis une dizaine d’année, Astrid Anciaux et René
l’entreprise. »
Luyckx, CEO de Steria Benelux, ont établi un vrai partenariat
Avec la croissance de Steria, la finance s’est progressive-
et construit une relation de confiance avec le temps. « Nous
ment rapprochée du business. « Elle apporte de nouvelle
sommes complémentaires. Le cœur de l’activité est son princi-
manières de travailler et une autre vision des offres, c’est
pal souci, quand je m’occupe du support financier », dévoile-t-
devenu un des axes forts de l’entreprise », continue-t-elle
elle. Pour rester à jour sur l’actualité des marchés, son équipe
encore. Le rôle de chacun évolue, celui d’Astrid Anciaux est
suit la presse économique quotidienne, la presse informa-
aussi devenu plus complexe avec les années. « Un CFO doit
tique spécialisée, ainsi que les publications de groupements
à présent avoir une bonne maîtrise de matières de plus en
d’intérêt comme Agoria ou des différentes chambres de com-
plus complexes et c’est valable pour tous les métiers de la fi-
merce. « Se tenir au courant de l’évolution de l’économie est la
nance. Je le constate dans mon travail, surtout que le secteur
base. Nous suivons aussi la presse de notre secteur, c’est impor-
de l’IT est de plus en plus globalisé. Les clients demandent
tant de suivre les acquisitions et les consolidations d’entreprises
des offres plus techniques que par le passé. C’est un secteur
qui redessinent le marché. Ensuite, je tiens également à l’œil
qui a déjà un certain historique, mais qui cherche encore
l’actualité fiscale et financière. Cela consomme du temps, mais
ses méthodes d’industrialisation. Je suis convaincue que la
c’est indispensable… » FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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Le CFO doit pouvoir s’appuyer sur son équipe De plus en plus amené à travailler sur la stratégie, le CFO a dû apprendre à déléguer et s’entourer d’une équipe solide et diversifiée. Outre la transformation de son métier, c’est tout son département financier qui a évolué. D’où l’importance d’exercer un leadership affirmé.
D
'un omptable gardien des chiffres, le CFO
phase de transition. Les CFO de l’ancienne école migrent sou-
devient un partenaire du business, une ten-
vent vers d’autres fonctions ou se sont entourés d’une équipe
dance que constatent les cabinets d’audit
pluridisciplinaire. » Joris Van Malderen ajoute: « Pas toujours
et les bureaux de consultance au quotidien
reconnus comme partenaires du business à part entière, les
et ce, dans tous les secteurs. Anciens collègues, Joris Van
CFO doivent encore faire des efforts pour sortir davantage de
Malderen, Partner Management Consulting chez Accen-
leur cadre, obtenir la reconnaissance du business, la mériter et
ture, et François Jaucot, Partner Finance & Performance
aller à la rencontre des autres fonctions. »
Management chez PwC Consulting, aident de nombreux directeurs financiers à transformer leur organisation.
TRAVAIL D’ÉQUIPE
« La figure du CFO possède aujourd’hui une position unique
Pour assumer ses nouvelles responsabilités, le CFO ne peut
dans l’entreprise, introduit François Jaucot. Il conserve ses
plus tout faire tout seul. « Il doit réaliser que le leadership
tâches financières classiques, tout en embrassant de nou-
n’est pas un one-man-show. Reconnu comme un leader par-
velles responsabilités. Il est devenu multitâche: son profil,
mi les autres C-levels, il doit s’assurer qu’à part lui, tous les
l’étendue de ses activités et son attention ont évolué. Bien sûr,
membres du département financier ayant des responsabili-
ce changement ne s’est pas fait instantanément. Il y a eu une
tés directes par rapport aux clients internes, démontrent un
FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
CFO par d’autres fonctions, par exemple un détour dans le département commercial. Ce surplus d’expérience lui permet de mieux connaître le métier de son entreprise et les réalités du business, d’autant plus qu’on lui demande de plus en plus de s’intéresser à des domaines qui ne font pas partie du champs de la finance, ce qui était moins le cas avant. Dès lors, de nombreux CFO choisissent de suivre des modules de formation plus spécifiques pour adresser ces changements ou participent à des groupes de discussion. » PwC et Accenture ont ainsi lancé des forums de CFO qui se réunissent très régulièrement pour discuter des tendances sur le marché ou de nouvelles applications informatiques. Auparavant peu sollicités sur des questions se situant hors de leur périmètre, ils doivent actuellement pouvoir se positionner sur des enjeux stratégiques.
GAGNER DU TEMPS Pour que leurs équipes puissent se libérer de l’opérationnel et de tâches consommatrices de temps, de nombreux directeurs financiers se penchent sur des méthodes comme Lean pour réorganiser leurs processus et méthodes de travail. Denrée rare, le temps peut alors être consacré à des tâches à plus haute valeur ajoutée. « Gagner du temps passe par l’utilisation d’outils IT performants et le recours aux Shared Services », ajoute François Jaucot. « Ces dernières années, beaucoup d’entreprises se sont centrées sur le domaine transactionnel, sur le contrôle et la conformité. Aujourd’hui, la tendance va vers des actions de partenariat à haute valeur ajoutée avec le soutien du business par des Shared Services et des technologies efficaces », complète Joris Van Malderen.
Joris Van Malderen: « Un CFO doit franchir les frontières de son département, sans cela il n’est pas un vrai partenaire du business. Quelle que soit sa fonction, un bon leader est quelqu’un que les autres écoutent et qui écoute les autres. »
Répartition des équipes différentes, profils plus ciblés des collaborateurs et nouvelle gestion de l’activité participent à ce changement. Autre évolution, depuis la crise, le volet reporting n’a jamais été aussi important. « Les CFO et leurs départements ont encore plus besoin d’informations précises et correctes, et ce, presque en temps réel, poursuit François Jaucot. Une grande partie d’entre eux a inclus le mana-
leadership solide à côté de leurs connaissances financières et
gement reporting au risk management et s’intéressent aussi
business », défend Joris Van Malderen. Obligé de partager
à des données qui ne sont pas purement financières. »
son autorité et donc de quitter sa tour d’ivoire, il doit s’ap-
Le PwC Finance Effectiveness Benchmark Study 2011
puyer sur des profils plus spécialisés en business planning,
constate que les entreprises classées parmi les tops perfor-
analyses prévisionnelles, risk management, réglementa-
mers ont tendance à élargir leur reporting et à y intégrer
tion… Trouver ces perles rares et les garder représente un
toutes sortes de données extérieures utiles à la compréhen-
de ses défis actuels. On attend toujours de lui qu’il assure
sion de leur situation sur le marché. « Une entreprise est rare-
la productivité, gère le risque et les coûts.
ment seule, si une filiale est en difficulté, c’est tout un groupe
Si la formation de base du CFO a peu changé, la voie royale
qui peut être impacté », appuie encore François Jaucot.
reste un diplôme d’ingénieur commercial, son expérience s’est modifiée. « Un directeur financier ne va plus uniquement encadrer des comptables. Il doit développer ses compétences en leadership pour gérer d’autres profils et penser en équipe. Il doit travailler sur l’engagement et la motivation, c’est assez nouveau pour lui, poursuit François Jaucot. Je remarque aussi chez de nombreux clients, un passage du
« L’information est partout dans les sociétés, c’est devenu le nerf de la guerre. » FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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DOSSIER FISCALITÉ
26 François Jaucot: « Un directeur financier ne va plus uniquement encadrer des comptables. Il doit développer ses compétences en leadership pour gérer d’autres profils et penser en équipe. Il doit travailler sur l’engagement et la motivation, c’est assez nouveau pour lui. » Toujours suivant le baromètre 2011 de PwC, la plupart des
« De la même façon que réduire ses coûts ne suffit plus, il faut se réinventer en permanence. »
top performers trouvent l’information qu’ils cherchent en neuf jours, quand les moins bons mettent trois mois. « L’information est partout dans les sociétés, c’est devenu le nerf de la guerre. Les principales questions à se poser pour ne pas s’y perdre sont: que voulez vous faire? Quels sont les ingrédients de base pour y parvenir? Ensuite, il s’agit de déconstruire l’information pour savoir de quelles données on a besoin en priorité. La plupart de nos gros projets se font
Parmi cette explosion de données, tout le défi est de re-
dans ce domaine. Nous aidons les départements financiers
trouver la bonne information au bon moment. « L’infor-
à mettre en place des systèmes pour que l’information soit
mation est en progression constante, soutient Joris Van
de qualité. Bien sûr, il ne s’agit pas que de données finan-
Malderen. Des tâches comme la réconciliation de données
cières, il faut aller parler au business pour savoir quelles
consomment énormément de temps. Réussir à transformer
sont les informations importantes pour lui », explique
les données en information, puis en connaissance, apporte
François Jaucot.
une valeur immense et permet de prévoir les performances business et même parfois d’influer sur le comportement de
MAILLON FORT
ses clients. Avec les bons outils et les bonnes compétences, je
De plus en plus d’entreprises adoptent un mode d’orga-
suis convaincu que c’est quelque chose que les CFO peuvent
nisation intégré et plus horizontal. Autrefois agencées de
apporter. La technologie n’est qu’un outil au service des
manière plus verticale et avec un département back office
compétences, il ne faut pas l’oublier. »
séparé des autres, elles étaient moins flexibles. Relative-
FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
ment hermétiques, leurs pôles communiquaient peu les uns avec les autres. La tendance actuelle est plus transversale et les services IT, HR ou Procurement sont considérés comme des business partners à part entière et en interaction permanente. Dirigé par un C-level, l’opérationnel est vu comme une business unit et a pour unique but de four-
« La finance offre de nouvelles perspectives comme jamais elle ne l’a fait auparavant. »
nir du service aux autres, les tâches à peu de valeur ajoutées étant concentrées au même endroit. « L’ambition de ce modèle est d’avoir une vision plus intégrée du marché et des produits », souligne François Jaucot. Ayant souvent accès à presque toutes les informations importantes, le CFO a aujourd’hui une place à prendre pour réinventer sa société et soutenir son développement. Participant au reporting financier ainsi qu’au management reporting, il est bien placé pour avoir une image globale de l’entreprise. « Certains spécialistes voient le CFO se transformer en COO, ses activités dépassent souvent le scope de la finance, confirme-t-il encore. Notre CFO, par exemple, occupe la fonction de COO, il gère également le département RH. Bien sûr le département finance rapporte toujours vers lui, mais il a d’autres tâches. Dans d’autres cas, le CFO ne s’occupe même plus du département financier, mais se concentre sur les fusions et acquisitions. L’évolution de son rôle dépend avant tout de la culture de son entreprise. » Une des sources d’inquiétude pour les départements financiers reste la prévision, d’où le besoin d’informations fiables et très précises, et l’intégration des informations externes pour prendre les bonnes décisions, comme par exemple des données liées au coûts de l’énergie et des matières premières dans le management reporting.
SORTIR DU CADRE « Le business a plus besoin de la finance qu’avant, c’est une réalité, appuie Joris Van Malderen. La volatilité actuelle et les rapports mondiaux se modifiant, couplés avec l’incertitude autour du futur du pétrole ou de l’électricité et aux tensions autour de l’euro, créent un climat de travail très difficile. Essayer de prédire ses résultats est devenu déterminant, il faut s’y préparer. En naviguant à vue, on va droit vers le chaos. De la même façon que réduire ses coûts ne suffit plus, il faut se réinventer en permanence. Bien sûr cela ne se fait pas en une nuit, il faut prendre le temps. Le plus important est d’être ouvert au changement. » Pour être un bon leader, le CFO doit à la fois se tenir au courant de ce qu’il se passe dans les autres départements et ne pas hésiter à sortir de temps en temps de sa fonction. « Les entreprises les plus performantes ont, en général, un CFO qui a une palette de responsabilités plus large que le strict cadre du département financier », note François Jaucot. « En tant que business partner, il est nécessaire de développer des res-
prendre son évolution, d’où il vient, les risques qu’il encourt, ce dont il a besoin. La finance offre de nouvelles perspectives comme jamais elle ne l’a fait auparavant. Un CFO doit franchir les frontières de son département, sans cela il n’est pas un vrai partenaire du business. Quelle que soit sa fonction, un bon leader est quelqu’un que les autres écoutent et qui écoute les autres », le rejoint Joris Van Malderen.
CHANGER DE CONTEXTE Très peu d’écoles préparent leurs élèves à cette ouverture. « Les CFO ne sont pas les seuls concernés, poursuit ce dernier. L’organisation dans son ensemble, les managers travaillant avec eux gagneraient à suivre des cours ciblés en matière de leadership. Bien souvent, après une formation, seulement 5 ou 10% des éléments appris sont vraiment utilisés. Le coaching est très utile, mais si rien ne change dans l’entreprise, c’est un investissement perdu. » Pour mettre en valeur toutes les nouvelles connaissances, c’est bien un changement de culture qui s’impose. « Sans cela, chacun retourne à ses vieilles méthodes de travail. Il faut que les évolutions percolent à travers toute l’organisation. Il faut changer le contexte pour que les travailleurs puissent changer. Un grand facteur de succès est la discipline. En travaillant dans un climat plus épanouissant, on est automatiquement plus motivés », ajoute Joris Van Malderen. L’essence de projets de transformation auxquels il participe se compose d’un questionnement-diagnostic de ce dont le business a besoin, pour ensuite évaluer les moyens d’y répondre et élaborer un programme pour y arriver (systèmes, compétences, outils). « Nous rassemblons business et finance lors de workshops pour les forcer à se parler et développer la première phase. L’idée est aussi de définir le rôle de chacun et favoriser un leadership efficace. La durée des trois phases dépend fortement de l’entreprise et de sa culture », partage-t-il encore. Une fois les besoins définis, le talent management prend le relais et répartit les formations nécessaires. « Le coaching en leadership est multidimensionnel. Il faut se poser plusieurs questions: à quoi ressemble l’équipe idéale pour répondre à mes objectifs? Devons-nous former nos collaborateurs pour y arriver? Devonsnous engager ou réaffecter des personnes du département financier vers le business », achève Joris Van Malderen.
sources qui vont au delà des compétences financières classiques: une bonne compréhension de l’activité, des capacités de négociation, des compétences en leadership… Il faut être capable d’avoir une conversation avec le business pour comFINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Chaque leader doit être conscient de son impact sur l’organisation 28
En matière de leadership, bien connaître les profils de ses collaborateurs, leurs forces et leurs faiblesses, est déterminant. Savoir à qui on s’adresse permet de mieux cibler la composition de ses équipes et d’adapter son style de management. Dans cette optique, les tests de personnalité se multiplient. Celui de Marc van der Erve permet de comparer les besoins d’évolution d’une entreprise et les caractéristiques d’un profil.
D
isponible sur l’App Store, les outils « Emzine Pro-
nouvelle forme de leadership davantage basé sur la création
filer » (iPod, iPhone) et « iEmzine » (iPad) me-
personnelle, la durabilité et la métaconscience.
surent la zone de confort des individus et leur personnalité versus l’état d’une organisation à
NOUVEAU PARADIGME
un moment donné. Intégré, ils analysent ainsi les cycles organi-
Auteur de A new leadership ethos, qui a servi de base théo-
sationnels et de leadership dans les entreprises, les institutions
rique à l’outil, Marc van der Erve a utilisé son expérience per-
publiques, les gouvernement ou même les pays. Destinée aux
sonnelle en entreprise et ses frustrations professionnelles
professionnels RH, aux membres d’un comité de direction, aux
pour le conceptualiser. En train de boucler son prochain livre,
consultants en management, aux chercheurs et aux étudiants
il tente d’expliquer pourquoi les organisations doivent chan-
qui veulent mieux se connaître, l’application peut aussi être vue
ger. Dans The next scientific revolution, il analyse notamment
comme un outil de développement personnel.
la manière dont on gère le changement. « Je crois beaucoup
En l’utilisant, une personne va se poser les bonnes questions,
en l’avènement d’un nouveau paradigme. Cet ouvrage est un
comme Suis-je fait pour ma fonction? Dois-je changer d’orga-
peu autobiographique, j’essaye de mettre en parallèle une re-
nisation? Comment je fonctionne dans mon entreprise? Ils
cherche de sens personnelle menée à travers ma carrière dans
répondent ainsi à une demande grandissante de sens et part
le secteur privé avec les changements actuels qui frappent le
du constat que les entreprises ont grandement besoin d’une
marché », introduit-il.
FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
Serge Pegoff, collaborateur de longue date, coach spécialisé en leadership et Managing Partner chez Authentica, se sert des travaux de Marc van der Erve régulièrement lors de présentations chez ses clients. En s’inspirant de plusieurs autres recherches en management, ce dernier a défini quatre grandes étapes dans le développement d’une organisation, que ce soit une entreprise, une région ou une asbl. Toute institution démarre par une phase de croissance incertaine, elle se dirige vers une croissance montante, pour ensuite atteindre une croissance stable et termine par une phase de déclin dans sa croissance. Chaque étape chasse la précédente et demande de nouveaux types de comportement managériaux.
CYCLES DE VIE Fonctionnant dans le sens des aiguilles d’une montre, le cycle se répète sans cesse. « La phase de déclin est particulièrement importante, elle permet de se réinventer, de découvrir et d’innover, souligne Marc van der Erve. J’ai pu constater que beaucoup de leaders ont tendance à se focaliser sur les stades de croissance stable et montante. Or, les deux autres demandent tout autant d’intérêt pour qu’une entreprise soit en bonne santé. » Schéma en forme de S, ce cycle, s’il est bien suivi, permet aux clients internes et externes de gagner en efficacité et agili-
Marc van der Erve: « Beaucoup de leaders ont tendance à se focaliser sur les stades de croissance stable et montante. Or, les deux autres – la croissance incertaine et le déclin – demandent tout autant d’intérêt pour qu’une entreprise soit en bonne santé. »
té. La durée de chaque étape varie selon les contextes et les cultures d’entreprise. « Complémentaire à d’autres théories, ce
producteur. Quand Steve Jobs est décédé, la dernière chose qu’il
modèle est intéressant d’un point de vue théorique, mais aussi
fallait était une copie conforme du constructeur, l’entreprise
pratique. Il possède une résonance par rapport aux challenges
avait besoin d’une personne qui capitaliserait sur toutes les
que vivent les managers en ce moment. Quand je le présente
niches déjà créées. »
en entreprise, j’observe un vrai intérêt. Il permet notamment
Reprenons l’exemple du producteur, celui-ci donne son maxi-
d’expliquer comment une entreprise ou un département nait,
mum lors d’une période de croissance stable, est très doué
se développe, meurt ou se réinvente, appuie Serge Pegoff. C’est
pour dupliquer des succès déjà rencontrés autrefois, il est mo-
une théorie globale, très convaincante et qui contribue à un be-
tivé par le coût, le volume et la qualité, s’épanouit dans les pro-
soin de sens. Je pense que le monde autour de nous a besoin de
cessus et la culture d’entreprise, et apprécie de consulter des
nouvelles explications sur ce qu’est une entreprise. L’approche
spécialistes. Selon les besoins de son organisation, il peut s’as-
mécanistique de Taylor ne fonctionne plus. Je le remarque au-
socier avec d’autres profils, meilleurs dans d’autres domaines.
près de mes clients, il y a une demande de fondamentaux et d’un modèle simple. L’explosion des livres de Management est
LEADERS ÉCLAIRÉS
le signe qu’il n’y a pas d’explication qui fasse l’unanimité. »
« C’est intéressant d’associer la nature de ses collaborateurs ainsi définie avec l’étape de développement de son organisa-
MESURER LE LEADERSHIP
tion, insiste Serge Pegoff. Si un élément extérieur se produit et
Dans son utilisation individuelle, l’Emzine Profiler et iEm-
bouleverse l’ordre des choses, le besoin de se réinventer s’accé-
zine permettent de déterminer la nature et le type de lea-
lère. Ce qui est certain, c’est que chaque organisation va devoir
dership d’une personne à l’aide de quatre questions, cha-
s’adapter et évoluer, sinon elle s’éteindra et ses leaders seront
cune composée de quatre choix potentiels. Transformateur,
remerciés. » Pour que le modèle fonctionne, il a donc besoin
constructeur, producteur et confronteur possèdent cha-
de leaders ouverts aux changements, qui acceptent de se
cun des atouts et des faiblesses. Nécessitant seulement
remettre en question et de mettre en valeur leurs limites.
quelques clics, les outils permettent de s’assurer que la bonne personne occupe le bon poste. « En tant que professionnel RH, il aide à identifier des personnes à recruter ou à choisir des collaborateurs pour une tâche, ajoute Marc van der Erve. Il permet d’équilibrer les forces de ses équipes. Un bon exemple de duos fructueux est le binôme Steve Jobs-Tim Cook chez Apple. Le premier se situe dans la catégorie des constructeurs, le deuxième est plutôt un
« Le principe de base est simple: si vous savez où vous êtes, vous savez quoi faire. » FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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DOSSIER FISCALITÉ
juste. Un leader ne devrait être dans l’organisation que pour une durée limitée. Idéalement, il doit choisir son successeur », complète Marc van der Erve.
IDENTIFIER LES BESOINS Utilisables pour une organisation ou une personne, les quatre questions des outils permettent ainsi de mettre en lumière dans quel cycle se trouve l’institution. « Tout l’intérêt du modèle réside dans ce parallèle entreprises/ profils, avoir les besoins de son organisation qui correspondent aux talents qui la composent n’a pas de prix. Beaucoup de mes clients comprennent bien la phase de croissance ascendante, la littérature leur fait croire qu’elle durera toujours, or l’environnement actuel ne le permet plus. La phase de chaos inhérente au changement ne peut être évitée. Il faut réussir à apprendre de ses erreurs», note Serge Pegoff. Avec la crise, la durée de ces phases de développement a tendance à s’accélérer. Leur rapidité d’enchaînement ne permet plus d’éviter la phase de décroissance. « Identifier les bons leaders ou la bonne équipe pour la bonne période permet de gagner du temps et de faire face plus rapidement aux changements. Un bon manager va réussir à s’entourer des bonnes personnes pour équilibrer les compétences en présence », le rejoint
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Marcus van der Erve. « Ce rapprochement des cycles n’est pas uniquement du à la crise, mais à l’évolution de toute la société,
Serge Pegoff: « Si un élément extérieur se produit et bouleverse l’ordre des choses, le besoin de se réinventer s’accélère. Cest que chaque organisation va devoir s’adapter et évoluer, sinon elle s’éteindra.»
le crise en est un des symboles », continue Serge Pegoff
SE PROJETER L’objectif du modèle est bien de permettre à son utilisateur d’avoir une meilleure compréhension de lui-même, de son or-
« Certains sont meilleurs pour découvrir de nouvelles niches
ganisation, de son type de leadership et de son rôle. Il peut éga-
business, d’autres pour réorganiser leur institution, le tout est
lement être utilisé pour comprendre les relations existant au
de bien s’entourer et de créer un mix de compétences et de pro-
sein d’une famille ou d’une communauté. Pour Marc van der
fils autour de soi. Il est important de souligner que chaque type
Erve, la clé de son succès réside dans la compréhension de la si-
de leader est essentiel et utile à son organisation, tout comme
tuation de l’organisation. Comme dans tout changement, lors
chaque cycle de développement est important », poursuit Mar-
du passage d’une phase à l’autre, des résistances surviennent.
cus van der Erve.
« Il faut éveiller la conscience des uns et des autres. Chaque lea-
« Il est crucial qu’ils soient ouverts d’esprit et qu’ils acceptent de
der doit être conscient de son impact sur l’organisation, la rapi-
revoir ce qu’ils ont peut-être fait toute leur vie. Certains leaders
dité des étapes de développement et sur son équipe. Bloquer le
se pensent éternels et n’envisagent pas le futur de leur organi-
cycle n’a pas de sens, son déroulement est inexorable », met-il
sation quand ils n’y seront plus », partage Serge Pegoff. Un lea-
en avant. « Bien, sûr, il est toujours difficile de faire changer les
der n’est là que pour une certaine période, l’organisation lui
gens, on ne peut pas les forcer, mais les rassurer, les accompagner
survivra, il doit l’accepter. « Dans un article écrit pour l’Euro-
et leur expliquer le pourquoi des choses », indique Serge Pegoff.
pean Business Review, je mentionnais une forme de leadership
Prédire les actions à mener permet de réduire l’incertitude et
temporaire, j’ai eu tellement de retours que je pense avoir visé
le stress de ses collaborateurs. « Pour être un leader qui guide ses collègues, il faut réussir à identifier de quels types de leaders se compose son équipe et construire sur ce qu’il aura découvert. Certains seront plus performants lors d’une phase, d’autres
« Un bon manager va réussir à s’entourer des bonnes personnes pour équilibrer les compétences en présence. » FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
sont déjà prêts pour la suivante, il s’agit de l’accepter. Le principe de base est simple: si vous savez où vous êtes, vous savez quoi faire. Cela peut être très rassurant de mieux connaître notre schéma et ce qui nous attend. Sociétés, nations, entreprises ou individus, sont plus heureux s’ils savent où ils sont », conclut Marc van der Erve.
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Le Luxembourg: un leader financier sous pression… Chahuté ces dernières années, le secteur financier luxembourgeois reste pourtant le moteur du pays. Devant affronter une avalanche réglementaire et un contexte de travail de plus en plus normé, il se positionne comme une place financière internationale et entend bien attirer de nouveaux acteurs sur son territoire.
L
e secteur financier luxembourgeois représente
économie », souligne-t-il. Issu d’un partenariat entre l’Etat et
39.000 emplois directs (dans les banques, assu-
la Fédération des Professionnels du Secteur Financier (PRO-
rances ou encore fonds d’investissement) et
FIL), Luxembourg for Finance est présidé par le Ministre des
24.000 emplois indirects (liés aux services infor-
Finances, Luc Frieden.
matiques ou aux professions libérales qui gravitent autour du secteur), soit 63.000 emplois au total, ce qui équivaut à 17% de
VALEUR SÛRE
la population active (350.000 personnes). C’est ce qui ressort
Si la volonté du gouvernement est de diversifier les activi-
d’une étude coréalisée par le Haut Comité de la place financière
tés du pays en investissant massivement dans les nouvelles
et l’agence Luxembourg for Finance en janvier 2012. Ce pourcen-
technologies, les secteurs du commerce et des services ne
tage est resté relativement constant durant la crise et ce, depuis
font pas encore de l’ombre au secteur financier qui, histo-
les années 2000, qui avaient connu une accélération dans la
riquement, est depuis longtemps un moteur de la place. Si
création de postes.
cette dernière a subit la crise comme ses concurrentes, elle
Pour Fernand Grulms, CEO de Luxembourg for Finance, grou-
a, cependant, réussi à limiter les dégâts. « La crise n’a pas été
pement d’intérêt économique chargé de promouvoir le sec-
aussi dramatique que dans d’autres pays. Bien sûr, il y a eu des
teur au delà des frontières du Grand-duché, la place a encore
licenciements et un ralentissement des activités, mais il y a
de belles années devant elle. « Notre ambition n’est pas de
aussi eu de nouvelles opportunités qui sont apparues », sou-
faire progresser ce pourcentage au maximum, mais bien de
tient Fernand Grulms.
concevoir des produits et des services de qualité afin d’assurer
Ainsi, le Luxembourg a la chance d’avoir des finances publiques
la rentabilité du secteur. Celui-ci reste la locomotive de notre
très stables, même si sa dette représente à présent 19% de FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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© Luxembourg for Finance
DOSSIER FISCALITÉ
Fernand Grulms: « Le secteur financier a été très critiqué, ce qui a des répercussions au niveau du recrutement. Avant la crise, travailler en finance était le rêve de beaucoup de jeunes. Ce n’est plus le cas. Pour la première fois, le secteur doit travailler son attractivité. »
32 son PIB. « Avant la crise, ce chiffre s’élevait à environ 8%, ce qui
favorisée. « Je pense que la place a moins souffert que d’autres
peut en partie s’expliquer par l’intervention publique lors du sau-
centres financiers, peut-être parce qu’elle a toujours favorisé
vetage de Fortis, désormais BGL BNP Paribas. L’Etat y a investi
des activités financières classiques et des produits sûrs. Une
près de deux milliards et demi d’euros. Cela dit, nous ne subissons
autre explication possible est que, sur de nombreux produits,
pas une forte pression à la réforme comme dans d’autres pays.
le risque est assuré par les clients et non par les banques. Nous
Un autre atout du Grand Duché est la stabilité de notre système
continuons à être vus comme des exportateurs de services fi-
de sécurité sociale, il possède certaines sécurités. Le système de
nanciers de confiance », confirme-t-il.
pensions, par exemple, possède une réserve de 28% du PIB, ce qui
Bien sûr, les bénéfices réalisés par les banques ont diminué,
représente quatre ans d’allocations de pensions. » Stabilité et
ce qui a forcément des répercussions sur leurs résultats. « On
prudence sont les maîtres mots des pouvoirs publics.
est loin de la catastrophe, affirme Fernand Grulms. C’est la première fois que les opérateurs financiers expérimentaient
PAS DE TSUNAMI
des pertes. Les bénéfices cumulés des banques sont passés de
Grâce à cette stabilité politique et économique, le secteur fi-
5 milliards à 500 millions, ce qui est conséquent, mais nous
nancier n’a pas trop souffert et s’est réfugié dans des activités
n’avons pas connu de grands scandales avec une seule banque
sûres. Il représente encore pas moins de 38% du PIB et pro-
qui aurait perdu 50 milliards… »
duit en moyenne près de 15,8 milliards d’euro par an (chiffres de début 2012). La prise de risque y est, depuis toujours, peu
RASSURER LES CLIENTS En tant que plateforme d’informations et organe fédérateur, Luxembourg For Finance a également la mission de rassurer les investisseurs quant aux opportunités de la place. « Le message
« Sur de nombreux produits, le risque est assuré par les clients et non par les banques. » FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
que nous devons faire passer est de rappeler la stabilité du pays. La place est bien gérée et les clients ne doivent pas s’inquiéter de la sécurité de leurs avoirs », poursuit-il. Si le Luxembourg mise beaucoup sur sa situation géographique, il espère bien aussi attirer des clients internationaux pour se réinventer, même si des efforts de promotion restent encore à faire.
« Nous souhaitons, bien sûr, continuer à travailler avec notre clientèle européenne. Hors Europe, deux constats s’imposent. La place commence à être mieux connue dans les pays arabes, en Asie et en Amérique du Sud que dix ans auparavant, notamment grâce à plusieurs missions économique, mais beaucoup de choses restent encore à accomplir, complète encore Fernand Grulms. Malheureusement, la crise de confiance visà-vis de l’euro et de l’Union Européenne ne nous facilite pas
« Nous devons mieux communiquer sur la valeur ajoutée d’une bonne réglementation. »
la tâche. Beaucoup d’investisseurs ont peur. Une fois que des acteurs issus de marchés émergents son convaincus de venir s’établir en Europe, il faut encore défendre la zone euro pour
Le Grand-duché a souvent joué un rôle de précurseur dans
nous différencier de Londres et de la Suisse, puis enfin les attirer
le développement de nouvelles régulations. Il a notamment
à Luxembourg, il y a plusieurs barrières à faire tomber. » Alors
été le premier à proposer le passeport européen pour les
que le pays se positionnait autrefois comme un hub techno-
fonds d’investissement. Une directive européenne relative à
logique au cœur de l’Europe, il tente à présent de faire valoir
la gestion des fonds alternatifs est actuellement en cours de
ses atouts nationaux et son environnement très régulé.
transposition en droit national. Un projet de loi sur les family offices, un domaine uniquement réglementé aux Etats Unis,
S’EXPORTER
est également à l’étude. « Le Luxembourg a décidé d’être le
Trois zones suscitent plus particulièrement l’intérêt des entre-
premier pays européen à réglementer ce métier, la proposition
prises luxembourgeoises : le Moyen Orient, l’Asie et l’Amérique
de loi est pour le moment au Parlement. Elle devrait être adop-
du Sud. « Le gouvernement a récemment défini cinq piliers prin-
tée d’ici la fin de l’année. Il y a des opportunités à prendre dans
cipaux pour le futur de la place. Il ambitionne notamment de
ce domaine», confirme-t-il.
diversifier ses activités et de s’aligner avec des centres financiers internationaux comme Dubaï, Singapour ou Hong Kong: le défi
SÉDUIRE DES TALENTS
est énorme. Ces places financières bénéficient de ressources fi-
Attirer des investisseurs étrangers suppose aussi de déve-
nancières très importantes et sont ancrées dans des zones géo-
lopper de nouvelles compétences en matière de négociation
graphiques à très forte croissante », ajoute-t-il.
et de maîtrise des langues. Le secteur doit aujourd’hui se
Bénéficiant d’une fiscalité plus qu’attrayante ces centres
battre davantage pour attirer les meilleurs talents. Pour
constituent une concurrence très rude. La Suisse, Londres et
Fernand Grulms, il lui faut à présent convaincre, ce qui est
Singapour rivalisent ainsi sur le terrain de la banque privée,
nouveau. « Le secteur financier a souvent été critiqué ces der-
quand au niveau des fonds la menace vient plutôt de Dublin
nières années, ce qui a des répercussions au niveau du recru-
et des places offshores comme les îles Caïmans. « Singapour
tement. Avant la crise, travailler dans la finance était le rêve
attire 25% d’actifs en plus chaque année, on ne peut pas riva-
de beaucoup de jeunes, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
liser avec une croissance aussi fulgurante. Nous devons nous
Pour la première fois, le secteur doit travailler sur son attrac-
battre avec nos propres armes et notre philosophie. Pour cela,
tivité. Il doit faire plus d’efforts, surtout que le Luxembourg
il nous faut construire une finance plus durable soutenue par
connaît une double difficulté. Son marché domestique ne suf-
des taux de croissance plus raisonnables, tout en essayant
fit pas à remplir ses besoins, il lui faut, en outre, convaincre
d’étendre notre gamme de produits à un public plus large »,
les talents de venir s’établir sur son territoire. Cela fera partie
constate Fernand Grulms. Le débat entre une finance interna-
des challenges à relever, à côté de l’avalanche réglementaire
tionale très réglementée ou plus souple se poursuit toujours.
(Bâle III, Solvency II etc.) à surveiller. Nous avons du pain sur la
« Le G20 s’est mis d’accord sur le fait que tout produit finan-
planche », précise-t-il.
cier devra être encadré, mais cela reste encore une déclaration
En matière de présence internationale, ces derniers mois ne se
d’intention », déclare-t-il.
sont pas révélés infructueux, le pays a récemment réussi a attirer deux grandes banques chinoises, ICBC et Bank of China,
PLUS DE RÉGULATION
qui ont fait de Luxembourg leur QG européen. Deux banques
Pour tirer son épingle du jeu et chercher des clients plus
luxembourgeoises, Dexia BIL et KBL, filiale du groupe belge
loin, Luxembourg devra sans doute miser davantage sur son
KBC, ont aussi été reprises par un groupe d’investisseurs liés
système réglementaire très solide et son cadre légal strict.
à la famille royale du Qatar, modifiant quelque peu le paysage
« Nous devons mieux communiquer sur la valeur ajoutée d’une
bancaire de la place. « C’est une porte ouverte sur le Moyen
bonne réglementation, même si le message n’est pas toujours
Orient. Malgré le contexte difficile, le pays continue sa politique
facile à faire passer. Le pays a toujours connu une stabilité poli-
de diversification, tant niveau géographique, qu’au niveau des
tique. C’est un Etat de droit, ce qui peut faire la différence. Cer-
produits proposés. La stratégie à suivre est de se recentrer sur
tains clients recherchent un environnement plus réglementé »,
ses atouts et de mieux mettre en valeur les compétences en
défend le CEO de Luxembourg for Finance.
présence », conclut Fernand Grulms. FINANCE MANAGEMENT - N°57 - JUIN/JUILLET 2012
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