EN PRATIQUE SOMMAIRE N°58 - SEPTEMBRE 2012
Dossier
Banques et Assurances Tant les banquiers que les assureurs ont tiré des enseignements de la crise financière, avec des impacts pour leurs relations avec les responsables financiers. Tour d’horizon…
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
L’image du banquier arrogant est révolue 20
Critiquées de toute part ces dernières années, les banques se sont remises en question. Du moins l’affirment-elles. Face à des CFO inquiets, elles relativisent les difficultés à se financer. Moins au tapis qu’on ne pourrait le croire, les grands acteurs rivalisent toujours d’ingéniosité pour se positionner comme partenaire privilégié.
S
i la relation client a évolué, on ne peut pas pour
la crise. L’intimité client s’est renforcée, c’est devenu un facteur
autant parler de révolution. On se dirige plutôt
de choix. Pour cela, nous mêlons l’évolution d’un client et les
vers une forme de partenariat à long terme. La
opportunités qui existent sur le marché. »
crise aura aussi eu le bénéfice de faire populariser
Les attentes des CFO à l’égard de leur banquier varient aussi
de nouvelles sources de financement, comme le factoring, soit
selon la taille de leur entreprise et leur phase de dévelop-
le financement sur base de créances commerciales, qui séduit
pement, chaque cycle engendrant de nouveaux besoins
par sa grande flexibilité. Recentrage sur le marché domestique,
et demandes. « Un entrepreneur débutant recherchera des
alignement à Bâle III et mise en œuvre de SEPA, nouvelles offres
informations en vue de financer le lancement de son activité,
de produits et proactivité accrue des chargés de clientèle com-
souligne Johan Vankelecom. Le CFO d’une entreprise en phase
posent à présent une partie du quotidien des institutions ban-
de croissance aura plutôt besoin d’avoir toutes ses assurances
caires. Tour d’horizon du marché avec trois de leurs représen-
quant au fait que, durant cette phase de croissance, la banque
tants: Sébastien D’Hondt, Head of Corporate Clients chez ING
pourra/voudra le suivre dans ses besoins en financement. Il lui
Belgique; Johan Vankelecom, CFO de Belfius et Yvan De Cock,
faudra également des conseils en matière de placements et de
Head of Corporate & Public Banking à la BNP Paribas Fortis.
fiscalité. Quant au CFO d’un groupe international, il sera plus intéressé par une gestion performante de ses liquidités et par
SE RAPPROCHER
les moyens de paiement internationaux. Une entreprise qui en-
Ebranlés par la crise, de nombreux CFO attendent davantage
visagerait de cesser ses activités et d’effectuer une cession aura
de leur banquier. Outre du conseil, ils souhaitent souvent éta-
besoin d’être encadrée pour la mener à bien. »
blir un partenariat qui s’inscrit dans la durée. « Il y a une évolution, mais on est loin d’un bouleversement, estime Sébastien
D’AUTRES OUTILS
D’Hondt. En général, ce que nos clients nous demandent, c’est
A côté du crédit bancaire traditionnel, d’autres produits inté-
une connaissance de leur métier, de la société et du marché,
ressent les CFO en quête de sources de financement alterna-
ainsi qu’une écoute active et la proposition de nouvelles idées.
tives, comme par exemple le mécanisme de factoring. « Le
Ces attentes existaient déjà, mais elles se sont précisées avec
grand avantage de ce scénario, c’est que le financement évolue
FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
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Sébastien D’Hondt: « On ne se finance plus uniquement auprès des banques, mais aussi auprès de la clientèle particulière et institutionnelle. L’avantage est que l’argent vient d’ailleurs, ça ouvre des possibilités et d’autres niveaux de maturité. »
en parallèle avec la taille des créances d’une entreprise, soutient Sébastien d’Hondt. Il permet à l’entreprise de financer son fonds de roulement sans devoir attendre l’échéance d’un contrat. C’est un choix particulièrement prisé des PME, d’autant plus qu’il permet aussi un bon suivi de son portefeuille et une certaine forme de discipline. » Le marché obligataire bénéficie aussi de cette volonté de diversifier ses sources de finance-
« L’intimité client s’est renforcée, c’est devenu un facteur de choix. »
ment. La banque peut alors intervenir comme intermédiaire et lance l’émission des obligations.
de crédit à long terme et davantage de diversification. Cette
« Il y a plus d’opérations de capital market qu’avant, pas seu-
année, Omega Pharma, AB Inbev ou Carmeuse auraient tenté
lement à cause de la crise, mais aussi des obligations en ma-
l’expérience. « On ne se finance plus uniquement auprès des
tière de liquidité fixées par Bâle III, complète Yvan De Cock.
banques, mais aussi auprès de la clientèle particulière et ins-
On constate, par exemple, de plus en plus de Bridge Financing.
titutionnelle, appuie Sébastien d’Hondt. L’avantage est que
Beaucoup de grands projets se réalisent sur deux ou trois ans.
l’argent vient d’ailleurs, d’assureurs, de fonds de pension etc.:
Une fois que le projet devient opérationel, une partie des fonds
ça ouvre des possibilités et d’autres niveaux de maturité. Bien
est remplacée par l’émission d’obligations. Dans certains cas,
sûr, il y a certaines contraintes, comme les obligations de publi-
les banques restent présentes pour des montants plus faibles;
cation et le contrôle de l’autorité des marchés. »
dans d’autres, elles quittent la transaction complètement. La formule existe depuis un certain temps, mais a connu une accé-
ANGLE INTERNATIONAL
lération ces dernières années. Elle ne convient cependant pas
80% du PIB belge provient des exportations, le facteur inter-
à tout le monde. On la propose à nos clients, mais certains ne
national est aussi à prendre en compte par les chargés de
sont pas prêts ou n’ont pas la taille requise pour se lancer. »
clientèle. « Ils doivent allier connaissance des marchés locaux
Ces relais non bancaires institutionnels ou privés viennent
et de la situation de l’entreprise, ajoute Sébastien d’Hondt. La
ainsi en renfort des banques. Ils assurent des possibilités
banque va assurer le financement à l’exportation avec, par FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
DOSSIER
quement le genre de sujets où un banquier doit jouer un rôle d’accompagnement et d’explication. Tous les changements réglementaires impactent le travail des chargés de relation », continue ce dernier. « Si j’étais CFO, je préparerais les comptes dès maintenant, j’améliorerais la gouvernance et l’adoption des normes IFRS, commente Yvan De Cock. Je me ferais aussi progressivement connaître des investisseurs pour être prêt le cas échéant. » Pour atteindre leurs clients où qu’ils soient, les acteurs de la banque cherchent à multiplier les canaux de communication. « Les banques sont continuellement à la recherche de nouvelles solutions. Les produits de base, comme par exemple les produits de paiement, sont de plus en plus mis à disposition par le biais de canaux à distance, confirme Johan Vankelecom. En matière d’offre bancaire, internet est devenu incontournable. Dès lors, les collaborateurs commerciaux évoluent vers des fonctions qui sont plus de type conseillers en services que vendeurs de produits. »
RELATIONS BANCAIRES Contrairement aux idées reçues, les banques n’ont pas diminué le nombre de crédits accordés, même si, la crise aidant, la prudence reste de mise. Pour Yvan de Cock, il n’y a aucun
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manque de financement à court terme, le niveau de liquidité en Belgique étant très bon. « Après la crise, beaucoup de grandes et moyennes entreprises ont réduit leur niveau d’endettement. Elles sont devenues moins dépendantes des banques, rappelle ce dernier. En parallèle, les régulateurs ont estimé que les bilans des banques étaient trop conséquents. Certaines d’entre elles se sont arrangées pour le réduire en diminuant leurs activités internationales. Pour les sociétés de taille moyenne belges et les PME, par exemple, cela a eu un effet positif, puisque les banques détenaient de nouvelles liquidités à disposition. On ne peut absolument pas parler de credit crunch. Pour les plus grandes structures, cela peut être plus compliqué, par exemple, dans le cas d’une acquisition très importante. Autrefois, on créait un syndicat composé de banques nationales et internationales. Actuellement il est plus difficile de trouver des partenaires internationaux, les banques belges doivent reprendre le flambeau. Même si dans le cas de sociétés
Yvan De Cock: « Le relationnel est devenu plus important, c’est sans doute un effet de la crise. Un CFO va moins opter pour le banquier le moins cher, mais pour celui qui l’accompagne à long terme. »
multinationales, ce n’est pas un vrai problème. » Les décisions liées à l’octroi d’un crédit sont finalement peu différentes d’il y a quatre ans. Les facteurs qui influencent
exemple, un crédit documentaire, couvrir le risque de change, etc., et ce, partout dans le monde. Son rôle est de faire en sorte que le belge se sente chez lui à l’étranger. » Outre la conformité à Bâle III, pour les banques, le défi sera aussi la mise en œuvre de SEPA, qui vise l’unification et l’harmonisation des systèmes de paiement sur l’ensemble du territoire européen à l’horizon 2014. « Avec un seul compte bancaire, une entreprise pourra effectuer tous ses paiements au sein de la zone euro, ce sera beaucoup plus facile. C’est typiFINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
« Le partenariat doit être opérationnel, quand les affaires vont bien, mais aussi quand la situation se dégrade. »
Johan Vankelecom: « Par le passé, la relation était encore trop souvent à sens unique: de l’entreprise vers la banque. Désormais, il s’agit d’une relation à long terme, où les deux parties poursuivent un win-win, c’est-à-dire une valeur ajoutée pour chacune d’entre elles. »
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la décision sont les mêmes. « Notre gestion du risque n’a
côté, le banquier désire recevoir des informations sincères et
pas fondamentalement changé avec la crise », révèle Sébas-
précises concernant la situation financière de l’entreprise. Cette
tien d’Hondt. « Eurostat l’a rappelé: le pourcentage de refus
confiance se crée, se mérite et se consolide, notamment, grâce
d’un crédit auprès des PME n’est que de 5,7%. Dans 83% des
à une communication claire avec ses clients. »
cas, nous acceptons la demande telle quelle, sans condi-
Pour alimenter la relation, le CFO ne doit pas hésiter à être
tion ». « Certes, face à une demande de crédit, nous sommes
proactif et partager tant la marche de ses affaires courantes,
plus attentifs à l’analyse des risques, appuie Yvan de Cock.
que sa stratégie à long terme. « Un bon CFO explique ses axes
Financer des pertes n’est pas la mission d’une banque. Même
stratégiques à son banquier, défend encore Yvan De Cock. Le
s’il nous arrive de le faire de manière temporaire, nous de-
partenariat doit être opérationnel, quand les affaires vont
vons rester prudents. »
bien, mais aussi quand la situation se dégrade, pour que chacun puisse anticiper. Le relationnel est devenu plus important,
PLUS DE TRANSPARENCE
c’est sans doute un effet de la crise. Un CFO va moins opter
Pour que la relation bancaire soit de qualité, chacun des par-
pour le banquier le moins cher, mais pour celui qui l’accom-
tenaires doit accepter le jeu de la transparence. Ce constat
pagne à long terme. »
est partagé par nos interviewés. La disponibilité du banquier
L’image d’un banquier tout puissant et omniscient n’a plus
et sa pédagogie peuvent être des critères de choix. « Le chargé
de raison d’être « Par le passé, la relation était encore trop
de relation est devenu l’ambassadeur du client auprès de la
souvent à sens unique: de l’entreprise vers la banque, conclut
banque et, inversement, il faut avant tout éviter la langue de
Johan Vankelecom. Depuis quelques années, les banquiers ont
bois. Comme dans une relation d’amitié, l’honnêteté doit aller
appris, eux aussi, que des circonstances économiques difficiles
dans les deux sens », soutient Sébastien d’Hondt.
peuvent les mettre en situation périlleuse. L’image du banquier
« La relation entre un entrepreneur et son banquier est une rela-
arrogant, qui, du haut de sa position en toute sécurité, donne
tion de confiance, le rejoint Johan Vankelecom. Le premier veut
des leçons à l’entrepreneur est révolue. Il s’agit d’une relation à
être certain d’obtenir des conseils corrects sur le plan profes-
long terme, professionnelle et transparente, où les deux parties
sionnel, et il veut que le banquier le suive dans le financement
poursuivent un win-win, c’est-à-dire une valeur ajoutée pour
de son entreprise, même dans les périodes plus difficiles. De son
chacune d’entre elles. » FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Un excellent banquier, ça existe encore! 24
Amenés à passer davantage de temps à optimiser leur cashflow et gérer le day to day, de nombreux CFO consultent leur banquier de plus en plus fréquemment. C’est le cas de Marijke van Remortel, Finance Director chez Lazer Helmets. Elle dit être tombée sur la perle rare en croisant la route de Kathleen Janssen, autrefois conseillère à la BNP Paribas Fortis Factor. Partage d’expérience sur ce qui fait un bon tandem CFO-banquier.
P
our le fabriquant de casques basé à Mont Saint-
concerne la gestion du factoring. C’est avec BNP Paribas For-
Guibert, ces quatre dernières années se sont révé-
tis Factor que Lazer Helmets travaille le plus. « Lorsque je suis
lées mouvementées. Chahuté depuis 2008, Lazer
arrivée chez Lazer Helmets, nous travaillions déjà avec ces quatre
Helmets a, comme beaucoup, souffert de la crise.
partenaires, je ne les ai pas choisis, indique-t-elle. Chacun d’entre
Finance Director depuis huit ans dans l’entreprise, Marijke van
eux nous aide à sa manière, les trois premiers nous sont plutôt
Remortel a dû se montrer créative et se battre pour conserver
utiles pour nos transactions journalières. BNP Paribas Fortis Fac-
l’équilibre financier de son entreprise. Durant plusieurs années,
tor – autrefois Fortis Commercial Finance – nous a énormément
elle a passé une bonne partie de son temps à chercher des fonds.
soutenus quand nous rencontrions des périodes difficiles. »
Aidée par sa banquière qui a su s’éloigner des solutions toutes faites, elle peut aujourd’hui progressivement se consacrer à des tâches à plus haute valeur ajoutée. D’une collaboration classique, leur relation a progressivement migré vers du conseil.
SORTIR DU CADRE Depuis ses débuts, Marijke van Remortel collabore principalement avec quatre partenaires bancaires: Belfius, BNP Paribas Fortis, ING et BNP Paribas Fortis Factor pour tout ce qui FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
« Certaines entreprises souhaitent cacher leurs difficultés à leur banque, ça n’a pas été mon choix. »
L’entreprise de casques a ainsi traversé une restructuration judiciaire, devant, plus que jamais, faire ses preuves pour revenir à la normale. Dans une telle période, ce n’est pas évident de demander quelque chose à sa banque. Payer nos charges sociales à temps a été un exercice d’équilibriste, poursuit-elle. Connaissant nos difficultés, Kathleen Janssen a consenti à certaines avances pour que je puisse verser les salaires en temps et en heure. Elle est sortie du cadre strict de sa fonction pour nous soutenir et nous conseiller en partageant son expérience. Bien sûr, ça n’a pas été facile. Mon département financier a dû prouver que nous pouvions rembourser ces avances, ça été beaucoup de travail. De son côté, elle a dû défendre ses idées devant son comité de crédit et sa direction. »
CLIMAT DE CONFIANCE Si Katheen Janssen et Marijke van Remortel ne travaillent plus ensemble actuellement, leur collaboration aura été une belle rencontre de part et d’autre. Outre la réunion mensuelle, elles s’envoyaient des mails quotidiennement et se téléphonaient parfois plusieurs fois par jour selon les périodes. « Avoir eu un interlocuteur compréhensif et qui réfléchissait avec nous a été une chance inestimable. Kathleen Janssen prenait les choses à cœur, ce qui n’est pas si fréquent. Face à un dossier difficile ou
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quand je ne savais plus comment avancer, c’est elle que j’appelais pour en parler. Avoir un bon banquier, ça existe encore! Prendre du recul en échangeant des points de vue avec des personnes extérieures à l’entreprise est mentalement très important. Certaines entreprises souhaitent cacher leurs difficultés à leur banque, ça n’a pas été mon choix. J’ai toujours pris le parti d’être la plus transparente possible ». Pour bien conseiller ses clients, un banquier doit avant tout savoir comment gérer une société et appréhender les difficultés du marché. « Juger les ratios du bilan ne suffit pas. Un bon banquier ne se cache pas derrière les procédures. Il doit bien maîtriser ses dossiers, connaître ses clients et leurs métiers, ce qui n’est pas facile, puisqu’il peut travailler avec des entreprises issues de secteurs très différents, ainsi qu’avoir une sensibilité, comprendre ce que c’est de ne pas avoir de cash pour une so-
Marijke van Remortel: « Juger les ratios du bilan ne suffit pas. Un bon banquier ne se cache pas derrière les procédures. Il doit bien maîtriser ses dossiers, connaître ses clients et leurs métiers, comprendre ce que c’est de ne pas avoir de cash pour une société… »
ciété, continue Marijke van Remortel. C’est toute l’entreprise qui est impactée. Avant la crise, je ne connaissais pas bien mes
vendre. Faire un budget est devenu très difficile, nos distributeurs
partenaires bancaires. Nous n’avions que très peu besoin de
ne savent pas toujours faire de prévision à long terme. »
nous voir. A un moment donné, ma collaboration avec Katheen
Une autre partie de son temps est dédiée à prioriser les paie-
Janssen a été la relation la plus importante de mon boulot.»
ments. C’est aussi vers elle qu’on se tourne quand les ventes
GÉRER LE QUOTIDIEN
mon planning, conclut-elle. Ces tâches se font au détriment
Avec cette crise qui n’en finit pas, le rôle de Marijke van Remor-
de la recherche de nouvelles sources de revenus. Il faut négo-
tel s’est transformé. Depuis trois ans, elle doit faire survivre
cier sans cesse, c’est une leçon d’humilité. Sans cash, on ne peut
l’entreprise pour qu’elle puisse maintenir ses activités, tout en
pas investir dans de nouveaux projets, c’est un cercle vicieux
rassurant ses collègues. La gestion du cash flow prend à pré-
et une grosse pression pour un CFO. Depuis 2012, notre situa-
sent une grande partie de ses journées. « Pour nous, la crise
tion s’améliore, j’espère retrouver des tâches avec davantage de
a commencé fin 2008. 2012 est la première année où nous ne
valeur ajoutée. » Depuis que l’entreprise remonte la pente, il
descendons plus, même si nos niveaux de vente sont encore
lui faut à présent relever les niveaux d’exigences, rappeler les
trop bas. La moitié de ma journée est dédiée à négocier avec nos
objectifs et reprendre les anciennes habitudes. Une nouvelle
fournisseurs: sans marchandise, nous n’avons pas de produits à
gamme s’annonce avec la rentrée…
sont en berne. « Le reporting occupe une grande place dans
FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
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Le trésorier est enfin sorti de son bureau Outre se préoccuper de son réseau de partenaires bancaires, le CFO doit penser à la relation qu’il entretient avec son trésorier. Nouvel homme fort du département finance, ce dernier a vu son rôle se complexifier avec les années. Plus impliqué dans la stratégie, il est davantage consulté par son comité de direction.
E
n parallèle à l’évolution de la fonction du CFO,
le dernier bastion où l’on peut rapidement réaliser des gains
passé d’un comptable à un profil plus stratège, le
de productivité et d’efficacité. »
trésorier voit sa fonction passer sous les feux des projecteurs. La crise et l’évolution des relations
NOUVELLE LUMIÈRE
bancaires aidant, liquidité, fond de roulement ou investisse-
Pour François Jaucot, Partner, Consulting Finance & Perfor-
ments, sont devenus des préoccupations de tous les C-levels. Pas
mance Management chez PwC, l’occasion est donnée au
encore un decision maker à part entière, le trésorier doit encore
trésorier de faire évoluer sa fonction en tirant profit de l’at-
se professionnaliser davantage, s’équiper d’outils IT plus perfor-
tention accrue qui lui est consacrée. A lui de se positionner.
mants et travailler sur ses compétences soft.
« Le métier du trésorier a changé, ses points d’attention aussi. Il
« C’est la fonction qui attire le plus d’attention aujourd’hui,
commence à être plus visible dans l’entreprise, il est aussi mieux
même si elle a été longtemps sous-estimée, estime Richard
équipé. Son accès à l’information est facilité. Il doit réorganiser
Delvaux, Director Treasury Consulting chez PwC depuis
son travail en fonction des défis qui l’attendent. »
deux ans. Le niveau de liquidité est une des principales
Autrefois cantonné à gérer les relations bancaires et les
sources d’inquiétude du CFO. En outre, le département tré-
liquidités de l’entreprise, le trésorier doit aujourd’hui faire
sorerie est longtemps resté le parent pauvre des budgets
plus, notamment en matière de gestion de risque, de gou-
d’investissement. Dès lors, c’est celui où le plus d’opportuni-
vernance, de contrôle interne, d’échanges d’information et
tés existent en terme d’amélioration des performances. C’est
de reporting, sans avoir beaucoup de moyens supplémen-
FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
rent éléments, tels que la culture d’entreprise, son historique, ses besoins opérationnels et ses propres défis de trésorerie », poursuit ce dernier.
PROFIL EN MUTATION Autrefois issu d’un parcours de banquier, le profil du trésorier est aussi en mutation. Le poste s’ouvre à des fonctions plus business, par exemple, celle de contrôleur de gestion. Beaucoup d’opportunités s’offrent à lui, s’il sait les saisir. Il a également tout à gagner en collaborant davantage avec son CFO. Comme lui, il doit désormais mieux comprendre le business pour bien faire son travail. « Avant la crise, quand le CFO pensait à ses relations bancaires, il appelait rapidement le trésorier. Il s’y intéresse maintenant de plus près, souligne François Jaucot. Il se préoccupe également davantage de leur collaboration. Gérer ses partenaires bancaires fait partie de ses préoccupations centrales, aux côtés de ses besoins en matière de gouvernance et de visibilité. » Outre le volet bancaire, le trésorier et son équipe doivent aussi travailler sur leur organisation interne. Le CFO s’attend à avoir une visibilité sur la situation du cash quasi en temps réel. Pour cela, il doit améliorer sa gouvernance, sa gestion des données et travailler sur ses processus internes. Trois domaines se partagent son agenda: son système de trésorerie, ses communications bancaires et encore et toujours, les relations bancaires. « Beaucoup de trésoriers n’ont pas une vision globale de leurs ressource, il leur est également difficile de définir et mettre en place une organisation optimale. Pour y arriver, il faut passer par plusieurs étapes essentielles. Ainsi, il leur faudra définir une
Richard Delvaux: « Le trésorier dispose d’informations essentielles pour le comptable, les analystes financiers et le contrôleur de gestion. C’est au CFO que revient la tâche de veiller à ce que l’information circule bien de l’un à l’autre. »
vision pour leur organisation. Sur cette base, il sera primordial de développer une Treasury policy qui fixera le cadre des responsabilités et les principes de fonctionnement de la Trésorerie. Cette « policy » sera endossée par le conseil d’administration, complète Richard Delvaux. En parallèle, la dimension techno-
taires pour autant. « Depuis le début de la crise financière
logique devra être analysée, et cette question n’est pas aussi
de 2008, le CEO et le CFO connaissent le chemin qui mène
simple à résoudre qu’on pourrait le croire. Nous ne rencontrons
à son bureau, illustre Richard Delvaux. Historiquement, la
jamais deux fois les mêmes besoins lorsque nous passons d’une
trésorerie n’a jamais été beaucoup staffée ni « équipée ». Mais
entreprise à l’autre. Or leur définition précise est critique dans
ses responsabilités et défis allant croissant, il devient primor-
la sélection et la mise en place de solutions technologiques
dial de s’organiser de manière efficiente, tant en terme de res-
adaptées. Par exemple, le diagnostic devra couvrir des éléments
sources humaines, que technologiques ».
tels que: la configuration géographique de l’entreprise, son bu-
La plupart des départements sont organisés suivant deux
siness model, les types et volumes de transactions, ses plans
schémas, sans doute amenés à évoluer, voire à se côtoyer: un modèle centralisé ou décentralisé. « Le modèle centralisé concentre 80 à 90% des activités de trésorerie du Groupe et compte en moyenne 7 à 15 personnes dans les sociétés de type BEL20. Dans le modèle décentralisé, il s’agit souvent d’une cellule de quatre ou cinq personnes au sein du siège central. Dans ce modèle, les activités trésorerie dans les filiales peuvent directement être prises en charge par la fonction financière, qui les consolide avec les autres fonctions classiques (comptabilité, contrôle de gestion.) Il n’y a pas de copié-collé dans ce domaine. Le choix se fera sur base de diffé-
« Le département trésorerie est celui où le plus d’améliorations sont envisageables en matière de gestion des performances. » FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
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DOSSIER FISCALITÉ
revient la tâche de veiller à ce que l’information circule bien de l’un à l’autre. Par exemple, un extrait bancaire sert au trésorier pour déterminer quotidiennement de combien de cash il dispose, le comptable en a besoin pour le suivi des paiements et connaître le détail des transactions. Le CFO doit les faire travailler ensemble et réconcilier leurs agendas. » Le contrôleur de gestion est un de ses interlocuteurs courants. Ils collaborent sur les prévisions de cash flows et de résultats, ou sur la politique d’investissement. « Le CFO déteste les mauvaises surprises, il a besoin d’informations précises à répercuter au CEO et au conseil d’administration. Le champs prévisionnel lui est crucial », continue-t-il. Pour les faire collaborer, le CFO doit d’abord réconcilier leurs agendas. Le trésorier voit souvent à court terme, son horizon lointain étant généralement fixé entre 6 et 13 semaines, quand le contrôleur de gestion voit plutôt à six mois, ou même parfois jusqu’à trois ans.
EVOLUTIONS IT Souvent grands oubliés des investissements IT, de nombreux trésoriers travaillent encore sur des fichiers de type Excel. Historiquement, les entreprises ont d’abord investi dans des systèmes ERP qui ne couvraient que rarement la trésorerie. Les années 2000 ont vu apparaître des modules plus aboutis
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dédiés à la gestion de la trésorerie, souvent intégrables à un
François Jaucot: « Avoir une seule vue sur les chiffres reste un des défis du CFO. Chaque fonction retravaille les chiffres selon ses besoins. Une base de données commune et un seul système partagé permettent d’avoir accès à la même vision des comptes et de parler le même langage. »
ERP. Si tout prévoir est impossible, installer un tel applicatif permet généralement d’y voir plus clair. « Certaines transactions se font encore par fax ! On constate néanmoins, une tendance grandissante des trésoriers à s’équiper de systèmes intégrés et beaucoup plus performants, soutient encore Richard Delvaux. Beaucoup de vieux systèmes
de croissance, les partenaires bancaires, les type de paiements,
viennent à échéance, c’est souvent le moment d’investir pour
etc. Soit des domaines qui dépassent les frontières de la fonc-
gagner en efficacité. Avec une plateforme unifiée, les équipes
tion, mais qui conditionnent son activité journalière».
rapportant au CFO peuvent réconcilier les données beaucoup plus rapidement. Le pilotage et les prévisions de fin d’année se
PLUS DE SYNERGIES
font plus facilement. »
La trésorerie ne se gère plus de manière isolée, mais est de
Le grand avantage est aussi que chacun peut simultané-
plus en plus intégrée à la comptabilité et au contrôle de ges-
ment disposer des mêmes données. « Avoir une vue unique
tion. En se professionnalisant, elle s’équipe d’outils qui lui
et harmonisée sur les chiffres reste un des défis du CFO et de
permettent de collecter de l’information utile pour les autres
ses collègues. Chaque fonction retravaille les chiffres selon ses
fonctions. Et Richard Delvaux de poursuivre: « Le trésorier
besoins, les chiffres du département vente ne sont pas toujours
dispose d’informations essentielles pour le comptable, les ana-
les mêmes que ceux de la comptabilité ou de la trésorerie. Or les
lystes financiers et le contrôleur de gestion. C’est au CFO que
trois doivent collaborer pour sortir des prévisions fiables. Avoir une base de données commune et un seul système partagé permet à chacun d’avoir accès à la même vision des informations et de parler le même langage. Le CFO doit être conscient de ces
« Le budget de l’équipe trésorerie est souvent limité. Le département n’a pas toujours la priorité en matière d’investissements, même si cela change ces dernières années. » FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
écarts qui existent par nature », note François Jaucot. Sous les feus de la rampe depuis la crise, le trésorier va être amené à développer ses compétences de People Manager et de gestionnaire de projets. Sa palette de responsabilités s’élargit, il se dirige vers une fonction multifacettes. « Certains trésoriers atteignent aujourd’hui des niveaux élevés dans l’organigramme, ce qui n’était que rarement envisageable avant : c’est une période passionnante qui s’ouvre à eux », conclut Richard Delvaux.
PARLONS DE LA VRAIE VIE
Sécuriser ses transactions avec l’étranger, ça permet aussi de préserver ses finances ici.
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Optimalisons ensemble le besoin en fonds de roulement de votre entreprise. Si vous êtes actif sur la scène internationale, vous devez faire face aux risques de fluctuation des taux de change. Il est aussi important d’établir une relation de confiance avec vos partenaires locaux, tout comme d’être payé dans les délais sans mettre vos clients sous pression. Nous avons des solutions qui vous permettent de vous concentrer sur vos activités internationales en toute tranquillité. Parlez-en avec votre chargé de relation ou surfez sur workingcapital.bnpparibasfortis.be
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DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Belgacap n’était qu’une faveur temporaire 30
En 2009, le gouvernement fédéral lançait Belgacap, un système de complément d’assurance crédit public inspiré d’un mécanisme français. Succès mitigé en Belgique, Belgacap avait pour objectif de soutenir l’activité économique. Né dans un contexte de crise et de panique, le système s’est éteint en 2011 faute de demandes et besoins suffisants. Retour sur l’expérience.
C
ouverture complémentaire supplétive à une
« Tout le monde a été surpris par la brutalité de la crise. D’une
assurance crédit, le système était encadré par
situation économique normale, on est rapidement passé à une
l’assureur-crédit, tout en étant garanti par l’Etat
situation presque apocalyptique de défaut de paiement, cadre
belge sous certaines conditions. Un Arrêté royal
Christophe Cherry, Président de la division crédit au sein
du 11 janvier 2010 en détermine les modalités précises. Ser-
d’Assuralia et membre du Comité de direction. Les assureurs
vice gratuit, mais rendant la couverture plus onéreuse pour
se retrouvaient face à un vrai tsunami. » Pour amortir le choc,
les clients optant pour ce complément d’assurance, Belgacap
Belgacap se positionnait alors comme une assurance complé-
était octroyé par les assureurs crédits eux-mêmes. Le système
mentaire pour pallier les réductions des assureurs.
prévoyait une rémunération pour l’Etat en échange des risques encourus. Sur les 300 millions débloqués, environ 100 auraient
SUCCÈS MODÉRÉ
été utilisés à cette fin.
« Le mécanisme venait en support, en complément d’une as-
« Au tout début de la crise, de nombreuses PME sont venues se
surance-crédit existante, ajoute Isabelle Callens. Inspiré du
plaindre à la FEB de la réduction de leur couverture chez leurs
modèle CAP français, il a été adapté à notre tissu économique
assureurs crédits, eux aussi sous pression, rappelle Isabelle Cal-
belge, tout en connaissant un peu moins de succès que son
lens, Directeur du département économique à la FEB. Dans ce
grand frère. » Le principe est simple: la couverture pouvait
climat de panique, Belgacap a été monté par Assuralia et la
être attribuée à toute entreprise dont l’établissement enre-
FEB. On cherchait à aider les entreprises à traverser une crise
gistré auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises est situé
que l’on espérait temporaire. » Au total 300 millions ont ainsi
en Belgique, et qui subit ou a subi une réduction de couver-
été mis sur la table sous l’impulsion de Didier Reynders, alors
ture par un assureur depuis le 1er janvier 2009.
ministre des Finances afin de compenser les taux revus à la
L’idée était bien de permettre à de nombreuses petites entre-
baisse par le secteur de l’assurance crédit.
prises, notamment exportatrices, de pouvoir mieux traverser la
FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
Isabelle Callens: « L’Etat doit à présent épargner: il ne pourrait plus apporter 300 millions à un tel projet. En outre, je ne dirais pas qu’il n’y a aucun problème sur le marché du crédit, mais les très mauvais risques se sont éteints tout seuls. »
Christophe Cherry: « Les conditions de marché sont complètement différentes aujourd’hui, l’idée a germé au moment où la capacité des assureurs crédits était mise en difficulté, il fallait réagir. »
crise. Sur ses deux ans d’existence, le système couvrait les cré-
qu’en 2008, les assureurs ont raugmenté leurs taux. On n’entend
dits fournisseurs accordés par des entreprises à des débiteurs
plus vraiment de plainte de nos entreprises à ce sujet, nous n’avons
de l’Espace Economique Européen (EEE), sans toutefois pouvoir
plus de dossiers en ce sens. Avec la crise des finances publiques,
être cumulé avec un autre système équivalent. « La cible visait
nous sommes dans un tout autre contexte. L’Etat doit à présent
essentiellement les PME, précise-t-elle. On peut parler d’un suc-
épargner: il ne pourrait plus apporter 300 millions à un tel projet.
cès mitigé, sur les 300 millions de provision, environ 100 millions
Je ne dirais pas qu’il n’y a aucun problème sur le marché du crédit,
auraient été utilisé, Belgacap a été moins pris d’assaut que prévu.
mais les très mauvais risques se sont éteints tout seuls. Beaucoup
Peut être que les modalités étaient un peu trop contraignantes… »
de petites structures ont disparu, le marché s’est rationnalisé. »
« Le système a été utilisé de manière modérée, mais on ne peut pas parler d’échec pour autant, estime Christophe Cherry. Il y a
RELAIS PRIVÉ
eu quelques défauts de paiement, pour la plupart, ce n’était pas
Les assureurs ont aussi pris leurs responsabilités. « Depuis la
des risques de qualité. Les clients payaient aussi entre trois et
crise, les assureurs ont appris de leurs difficultés, ils ont créés plu-
quatre fois plus cher le recours à ce service complémentaire. De
sieurs mécanismes de protection, ça ne pourrait plus être autant
plus, le refus de couverture n’entrait pas en ligne de compte. »
le chaos, la rejoint Christophe Cherry. Ils ont aussi nettoyé leurs
Un Fonds de participation devait assurer la gestion adminis-
portefeuilles et sont mieux préparés qu’avant. En 2009, nous
trative de la couverture. Son rôle de gestionnaire opération-
refusions 50% des crédits, aujourd’hui, on en accepte 75%, nos
nel de la garantie de l’Etat belge se faisait uniquement au
performances en matière de couverture sont plutôt bonnes.
nom et pour le compte de l’Etat. Dans l’urgence, les institu-
L’économie s’est finalement redressée plutôt rapidement. »
tions européennes ont accepté cette initiative, sous réserve
Il y a donc peu de chances pour que le système renaisse de ses
d’une durée de vie limitée.
cendres, les petites structures et les assureurs crédits s’étant réorganisés depuis les débuts de la crise. « Une grande par-
A LA NORMALE
tie des besoins a été prise en charge par le secteur privé. Cela
« Outre la multiplication des initiatives nationales – française,
dit, la crise n’est pas finie, les risques restent élevés », complète
belge, danoise ou Suisse – qui constituaient un cauchemar
Isabelle Callens. Les pouvoirs publics belges n’envisagent pas
administratif pour les sociétés internationales, le problème est
de remettre en place un tel système à court ou moyen terme.
que l’intervention des états sur le marché privé créait une distor-
Pour la DG Commerce de la Commission européenne, ce n’est
sion de la concurrence, relève Isabelle Callens La Commission a
pas non plus à l’ordre du jour.
voulu endiguer le phénomène et n’a plus permis la coexistence
« Les conditions de marché sont complètement différentes
de ces systèmes. C’était, en quelque sorte, une faveur temporaire.
aujourd’hui, appuie Christophe Cherry. L’idée a germé au
Même son de cloche du côté des assureurs qui défendaient, à
moment où la capacité des assureurs crédits était mise en dif-
l’époque, une solution commune à l’échelle européenne. »
ficulté. Les niveaux d’impayés, de défauts de paiements et de
Si le système n’a pas tout à fait trouvé son public, l’état du mar-
faillite étaient records et mettaient les assureurs en danger, il
ché ne le justifie plus vraiment, les niveaux de couvertures étant
fallait réagir. A présent, nous traversons plutôt une période de
presque revenus à la normale. « Ce n’est plus autant la panique
stagnation, la volatilité est plus limitée. Les assureurs sont FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
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en meilleure santé. Le marché n’a plus le même besoin, je ne
belges. « Le principe est d’offrir aux clients la possibilité d’ache-
perçois pas de demande en ce sens de nos clients. L’Etat l’a bien
ter plus de couverture que celle initialement proposée par l’as-
compris, puisqu’il n’existe plus d’initiative de ce type. »
sureur, conclut le Président de la division crédit d’Assuralia.
Dans la sphère privée, un assureur-crédit, Euler Hermes, se
Cela concerne souvent les activités les plus risquées. Le système
serait inspiré de feu Belgacap pour proposer le même type
peut fonctionner sur certains scénarios, même si le business
de mécanisme comme option complémentaire à ses clients
modèle reste assez compliqué. »
« LE MÉDIATEUR DU CRÉDIT EST UN TECHNICIEN NEUTRE » Dans la même logique de crise, une fonction de médiateur du crédit a été créée en 2009 sous l’impulsion de Sabine Laruelle, ministre des PME. Egalement inspiré du modèle français, le rôle du médiateur a été adapté au contexte belge. Choisi pour occuper la fonction, Chris Dauw a contribué à dessiner les contours de ce métier au carrefour du droit et de la finance. « Suite aux années de crises financière et réelle, les différents gouvernements ont pris plusieurs mesures, explique-t-il. Ainsi, le président Sarkozy a, le premier, choisi de créer un poste de médiateur du crédit en octobre 2008. La Belgique a suivi peu de temps après. Sur le fond, les deux modèles se ressemblent; sur la forme, la structure belge est plus légère.
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Je suis le premier et le seul médiateur fédéral du crédit, c’est une fonction très jeune et intimement liée à la crise. J’ai eu la chance de participer à la définition de l’approche. » Vice-Président du Crédit Professionnel, encore Juge consulaire et Professeur aux FUNDP, Chris Dauw a toujours eu un pied dans le secteur financier. Patient et psychologue, le
Chris Dauw: « Notre philosophie est d’aller à l’essentiel et de limiter les interlocuteurs et les procédures. Un bon médiateur réagit vite, ne perd pas son temps et n’a qu’une idée: trouver une solution. »
médiateur doit aussi être un bon communiquant, il doit faire en sorte que les parties prenantes se parlent. Ni défenseur
puis la création de la fonction, quelques 850 dossiers ont été
des banques, ni soutien des clients, il se doit d’être neutre.
traités. Pour 33% à 50% des cas, on ne trouve pas de solution.
« Bien souvent, les tensions viennent d’un problème de com-
La durée moyenne des dossiers traités par le service est de un à
munication. Le médiateur est celui qui réconcilie les points de
deux mois. Aucun délai légal n’est imposé.
vue dans une optique de recherche de solution. Son objectif est
« Certains dossiers ne sont pas bons à la base, en principe, on
de sortir du conflit pour trouver une manière de satisfaire les
ne s’occupe que des cas qui méritent d’être défendus, mais on
deux parties. Je défends une approche souple et flexible, avec le
peut se tromper. On n’opte pas toujours pour la solution prévue
moins de démarche administrative possible. Je me positionne
initialement non plus. Nous n’avons pas de procédure standard,
comme un technicien neutre. Dans cette optique, je n’ai pas
chaque dossier est différent », indique Julie Dierick, médiatrice
souhaité être fonctionnaire, mais j’ai voulu rester indépendant,
depuis deux ans. « Le but est de trouver une solution acceptable
pour conserver cette image de confidentialité et de neutralité. »
pour tous, appuie le médiateur du crédit. Par exemple, en éten-
Attaché au CeFiP, Centre de connaissance du financement des
dant le délais, en réduisant les montants ou en ralentissant le
PME, le service du médiateur s’est adjoint les services de quatre
rythme. Nous avons connu une relative stabilité en termes de
personnes issues de parcours plutôt économiques. « Nous ne
nombre de dossiers. On pourrait se demander si nous ne sommes
sommes pas demandeurs de plus de collaborateurs, dit-il. Notre
pas face à une situation plus structurelle que conjoncturelle. »
philosophie est d’aller à l’essentiel et de limiter les interlocuteurs
Le médiateur n’a pas pour mission de donner des sanctions.
et les procédures. Un bon médiateur réagit vite, ne perd pas son
Si, par exemple, un dossier d’un crédit existant n’aboutit
temps et n’a qu’une idée: trouver une solution. » Remplies en
pas, on retourne à la logique habituelle de recours à un
ligne, la plupart des demandes émanent de petites entreprises
huissier ou à des instances judicaires. Observateur privilégié
et d’indépendants qui ont du mal à avoir accès au crédit. Au
du marché, le médiateur a également la mission d’attirer
niveau des institutions de financement, il est souvent question
l’attention s’il constate des disproportions sur le marché.
de banques, mais aussi de fonds de participation, de fonds de
Sous contrat jusqu’en 2013, Chris Dauw doit encore voire sa
garantie ou encore de l’ONSS dans une moindre mesure. De-
fonction prolongée dans les mois à venir.
FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
DOSSIER FISCALITÉ TEXTE : FLORENCE THIBAUT
L’assureur crédit est descendu de sa tour d’ivoire Après la crise, les assureurs crédits ont travaillé sur les deux principaux reproches qui leur étaient adressés: la communication et l’anticipation. Ayant appris de leurs erreurs, ils se sont remis en question pour proposer de nouveaux produits à leurs clients. Leur prochain défi sera d’augmenter la proportion d’entreprises assurables qui souscrivent à une assurance crédit.
A
ccusés de prendre leurs clients de court en
sont donc pas éligibles. La construction, le textile, la chimie
annulant des couvertures du jour au len-
ou même les banques, qui assurent des avances consenties à
demain sans les informer et justifier leurs
leurs clients, y ont recours.
décisions, les assureurs crédits doivent pro-
gressivement regagner la confiance et redorer leur blason
INFO DU MARCHÉ
pour convertir davantage de clients à la philosophie de l’as-
Si le secteur a, comme bien d’autres, souffert de la crise, il se
surance-crédit.
porte aujourd’hui plutôt bien, les taux ayant été revus à la
« Il était tellement évident à nos yeux que la crise était brutale
hausse. En ayant investi dans de nouvelles capacités de com-
et profonde, qu’on s’est dit que nos clients comprendraient l’ori-
munication, certains professionnels de l’assurance crédit ont
gine de nos mesures, ça n’a pas toujours été le cas, reconnaît
adopté une démarche plus pédagogique et mettent davan-
Christophe Cherry, Country Director Belgium & Luxembourg
tage d’informations à disposition de leurs clients. « Chez Atra-
d’Atradius. Le secteur a dû accepter que certains reproches
dius, nous avons perdu 10% de nos clients: nous nous sommes
étaient fondés et procéder à une vraie remise en question. Il
volontairement séparés de certains, d’autres ont disparu, une
faut se mettre dans la peau de ses clients, c’est souvent là où
autre partie d’entre eux était mécontente de l’évolution de nos
les assureurs pêchent, peut-être par excès de confiance dans le
tarifs. Nous avons connu certains dégâts commerciaux, confie-
bien-fondé de leurs décisions. »
t-il, en toute transparence. Mais nous avons pris le parti de
Encore pas assez reconnue comme outil d’aide à la croissance,
nous retrousser les manches. Nous avons notamment investi
l’assurance-crédit est susceptible d’intéresser tout secteur, si
dans un nouveau portail Internet et dans un outil appelé
ce n’est ceux qui n’ont pas de créances commerciales et ne
Customer Portfolio Analysis, qui rassemble en ligne toutes FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
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DOSSIER FISCALITÉ
les informations d’un client sur ses propres clients. Cela paraît
Et Christophe Cherry de commenter: « Il y a eu une prise de
simple, mais ça n’existait pas avant. »
conscience collective de l’importance de justifier des décisions
En communiquant de manière plus proactive à chaque
restrictives. Je pense que la nature des mesures et leur logique
étape du processus de décision et en améliorant la trans-
sont fondamentalement les mêmes qu’avant, c’est la manière
parence de ses mesures, l’assureur crédit se rapproche de ses clients. Il fait aussi l’effort de parler leur langage. « On offre la possibilité à nos clients d’avoir les mêmes informations sur le marché que nous. Ils peuvent davantage anticiper les risques et visualiser l’état de leur portefeuille en temps réel. L’image de l’assureur crédit dans sa tour d’ivoire qui dit ‘oui’ ou ‘non’ arbitrairement est bien révolue. On détaille également davantage nos décisions. La relation entre l’assureur et ses clients est donc moins unilatérale que par le passé. En donnant des informations utiles, notre but est aussi de diminuer notre flux de questions ou de plaintes, et pouvoir être plus efficaces. Notre ambition est de casser la black box des analystes financiers, qui ne sont pas toujours intelligibles. » Le client peut aussi recourir à un processus d’escalation, soit une capacité d’appel, s’il veut contester les décisions de son assureur crédit.
PLUS DE SYNERGIES Présent dans 45 pays, Atradius a décidé de changer son mo-
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dèle afin de moderniser son mode de fonctionnent et gagner en rapidité. « On a remarqué qu’une crise se gère difficilement de manière globale, l’idée du ‘one size fits all’ a montré ses limites. Notre maison mère basée à Amsterdam définissait une stratégie globale et apportait une réponse générique à un ensemble de problèmes, poursuit Christophe Cherry. On s’est rendu compte que les pays qui ont eu le plus de succès avaient des directeurs généraux qui prenaient en général un peu de distance par rapport à ces lignes directrices. Dans ce contexte, le groupe a nommé des Country Directors et a responsabilisé ses entités, désormais plus autonomes. Mise en place en 2010, cette nouvelle organisation a déjà porté ses fruits. » La crise aura aussi eu pour effet de faire se rencontrer les acteurs du secteur, qui partageaient alors les mêmes problèmes, et de mettre en place davantage de synergies. « Nous n’avions presque pas de contacts avant et nous nous sommes découvert certaines difficultés communes. Nous avions besoin de réagir ensemble, ça a permis un saut qualitatif. » Si, demain, la crise se répète, en ayant pris des mesures structurelles, en communiquant davantage avec leurs clients, et en faisant progresser leur profession, les assureurs crédits auront sans doute d’autres réponses à apporter.
de communiquer qui est différente. Actuellement, quand il y a un refus de couverture, on le notifie entre trois et quatre semaines à l’avance, la période de notification était autrefois d’un jour. Ce qui permet aux clients de s’organiser différem-
« Il faut se mettre dans la peau de ses clients, c’est souvent là où les assureurs pêchent. » FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
ment. On place également le marché dans une situation de plus grand confort. » Face à l’augmentation des taux des assureurs crédits, les clients ont réagi différemment. Certains ont revu leurs ambitions en matière d’assurance à la baisse, d’autres ont développé davantage de ressources en interne. Contrairement aux
idées reçues, pour Christophe Cherry, ce n’est pas en période de crise qu’on s’assure le plus. « L’assurance crédit est souvent perçue comme attractive dans des périodes de croissance et lorsque les entreprises veulent sécuriser leurs investissements, confirme
« Je suis convaincu que l’assurance crédit peut aussi être un vecteur de croissance. » 0,5% du chiffre d’affaires d’une entreprise. Le secteur doit encore trop souvent se battre pour prouver sa valeur et expliquer l’intérêt de ses propositions. « Il va sans dire que nous sommes convaincus de la valeur d’un contrat d’assurance crédit dans la croissance d’une entreprise, insiste-t-il encore. Mon plus grand concurrent n’est pas un autre assureur crédit, mais bien les entreprises qui ne veulent pas d’assurance crédit! Seulement 15% des entreprises assurables ont souscrit à une assurance crédit, c’est très peu. Notre défi est de le faire monter à 20 ou 30%. »
ENJEU STRATÉGIQUE La problématique du crédit gagne, cependant, du terrain dans les conseils d’administration, facilitant la cause des assureurs crédits. « Il y a, aujourd’hui, une conscience du danger d’avoir des créances commerciales douteuses. Le risque est devenu un sujet qui se discute au niveau de la direction générale, c’est un enjeu stratégique. Autrefois cantonné au CFO ou au comptable, le crédit et les questions de fonds de roulement intéressent à présent le directeur général, parfois même le directeur commercial », se félicite Christophe Cherry. L’assureur crédit ne fait pas que payer des indemnités, mais propose une palette complète de services. Il permet à son client d’acheter une capacité de pertes et réalise, par exemple, l’analyse de tout le portfolio de son client, récupère l’argent de ses créances en cas d’impayés, sélectionne les bons clients
Christophe Cherry: « Nous détaillons davantage nos décisions. La relation entre l’assureur et ses clients est donc moins unilatérale que par le passé. Notre ambition est de casser la black box des analystes financiers, qui ne sont pas toujours intelligibles. »
en croisant ses bases de données internationales, pointe les risques et envoie des inspecteurs financiers à l’étranger si besoin est. Chaque jour, un assureur crédit reçoit des milliers d’informations de ses clients. Il les agrège pour en dégager des tendances. « Nous apportons un package, nous allons chercher de la valeur, soutient-il. On estime que 3% des factures ne sont jamais payées. Même en ne récupérant que la moitié, nos services sont déjà rentables. Mon conseil à une entreprise
ce dernier. En ce moment, la demande n’est pas très élevée.
qui souhaite tester la formule, c’est d’avant tout trouver les
Certaines entreprises font le choix de ne pas vendre plutôt que
bons clients, ce sont eux qui font un business, l’assurance
d’assurer. Pourtant, je suis convaincu que l’assurance crédit peut
n’est qu’une des réponses. » Pour contrer les perceptions né-
aussi être un vecteur de croissance. Il ne faut pas oublier que le
gatives à leur encontre, il reste encore beaucoup de travail
secteur lui-même s’est sorti du gouffre tout seul, contrairement
de sensibilisation et de persuasion aux assureurs crédit.
aux banques. En un an, nous avions perdu un tiers de nos fonds
« Il nous faut encore convaincre le marche que notre rôle de
propres. Nous avons su redresser la barre. Je pense que nous
se limite pas à jouer à l’assureur-incendie, mais qu’on amène
avons prouvé l’intérêt de notre business model. »
une vraie valeur ajoutée, conclut Christophe Cherry. On voit
Souvent perçu comme bien trop chers, les services des as-
l’eldorado, mais personne n’a encore trouvé la formule: le
sureurs crédits coûtent pourtant en moyenne entre 0,2 et
potentiel reste énorme… » FINANCE MANAGEMENT - N°58 - SEPTEMBRE 2012
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