DOSSIER
N°64 - SEPTEMBRE 2013
Talent in Finance Le CFO ne peut plus rester caché derrière ses registres. De plus en plus amené à se positionner de manière stratégique, il est devenu meneur d’hommes et fin communicateur. Son contexte de travail se complexifiant, il doit s’entourer de profils pointus et hautement qualifiés afin de mener à bien ses nombreuses missions.
02 « On ne peut imaginer un CFO qui ne soit pas chef d’orchestre »
Depuis la crise, la mue du directeur financier s’accélère et le fait jouer un rôle de stratège, en partenariat avec son CEO.
05 « Le CFO joue un rôle de catalyseur »
CFO du groupe Boortmalt, Bernard Poncelet a endossé différentes fonctions de directeur financier. Il encadre aujourd’hui une équipe de 20 financiers disséminés dans plusieurs pays.
08 « Le CFO est un améliorateur de business »
Les profils recherchés et les exigences des entreprises se modifient en conséquence. Tour de table avec différents professionnels du recrutement.
11 « Le rôle de CFO est devenu celui de coach de ses troupes »
Engagé pour préparer les comptes du groupe De Boeck avant son rachat par Editis, Philippe Hosten a décidé de rester pour accompagner l’entreprise dans les défis qui attendent le monde de l’édition.
13 « On ne peut plus isoler la finance des autres départements »
Christophe De Bom, directeur administratif et financier l’Institut Libre Marie-Haps, se distingue par une carrière assez atypique. "En raison de la faiblesse des moyens donnés au secteur, il nous faut être créatif", explique-t-il.
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
On ne peut imaginer un CFO qui ne soit pas chef d’orchestre 2
Les recherches académiques sont unanimes: le CFO ne peut plus rester caché derrière ses registres. De plus en plus amené à se positionner de manière stratégique, il est devenu meneur d’hommes et fin communicateur. Son contexte de travail se complexifiant de jour en jour, il doit s’entourer de profils pointus et hautement qualifiés afin de mener à bien ses nombreuses missions. Depuis la crise, la mue du directeur financier s’accélère et le fait jouer un rôle de stratège, en partenariat avec son CEO.
R
eporting accru, rien de neuf de ce côté là. Gouvernance plus stricte, surtout si sa société est cotée. Régulation internationale plus précise ou turbulences sur les marchés. Les contraintes externes se multi-
plient, faisant glisser le rôle du CFO de simple contrôle financier vers un rôle d’une amplitude plus décisive. « Mon sentiment est que, progressivement, le financier quitte sa tour d’ivoire et délaisse la finance de marché pour adopter une vision plus globale, révèle
« Le financier quitte sa tour d’ivoire et délaisse la finance de marché pour adopter une vision plus globale. »
Didier Van Caillie, directeur du Centre d’étude de la performance des entreprises (CEPE) et Professeur à HEC-ULg. Il s’intéresse désor-
à l’optimisation du cash flow et des coûts. Le CFO qui était celui
mais à la gestion des risques, bien au-delà du scope financier. Il y a
qui comptait les points est maintenant un tacticien. La crise l’a
un double mouvement. Les activités de l’équipe finance sont de plus
mis sur le devant de la scène. »
en plus intégrées avec le travail des autres départements. En parallèle, il y a aussi une prise en compte plus systématique des intérêts
TEAM PLAYER
financiers par les autres fonctions. »
De nouvelles tâches tombent dans son escarcelle. Outre le
Même constat du côté de Regine Slagmulder, professeur de
reporting comptable et financier, le CFO gère parfois aussi le
comptabilité à la Vlerick et co-auteur de Strategy Execution
reporting de nature sociétale. « C’est particulièrement le cas en
in the aftermath of the financial crisis, a CFO perspective, une
Allemagne et en Scandinavie. Il s’implique dans tout ce qui relève
étude menée auprès de 25 CFO belges: « La crise s’est main-
du suivi de la RSE. C’est une évolution inévitable, surtout pour
tenant installée depuis plusieurs années. Les entreprises sont,
les grandes entreprises et celles qui sont cotées. C’est un nouvel
pour la plupart, toujours sous pression. Il y a toujours beau-
enrichissement de la fonction », mentionne Didier Van Caillie.
coup d’attention portée à la réduction des dépenses, mais aussi
La gestion des risques s’est également considérablement
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
étendue. « Il y a une tendance à revenir aux fondamentaux, appuie Regine Slagmulder. On analyse davantage la performance sous le prisme des risques. Le département finance adopte une approche plus proactive en la matière et tente de détecter les signes avant-coureurs d’une déviation. Quand les chiffres sont là, il est déjà trop tard. » Comme pour tous les autres directeurs, le CFO passe une grande partie de son temps à coacher et motiver ses équipes. « Coordonner ses collaborateurs occupe une bonne partie de son agenda, ajoute le directeur du CEPE. L’aspect purement technique ne représente plus que 20% de son temps, le reste est dédié à la gestion de son équipe. On ne peut plus imaginer un CFO qui ne soit pas chef d’orchestre. Si ce n’est pas un bon manager, le développement financier de son entreprise en pâtira. » Pour être performant, il doit bien s’entourer. « A lui de composer l’équipe la plus équilibrée possible et de réunir toutes les compétences dont il a besoin, le rejoint Regine Slagmulder. Avoir les bonnes personnes, qui se supportent mutuellement et qui ont le bon état d’esprit est déterminant. C’est bien la finance qui supporte le business et pas l’inverse. Le département financier délivre un service aux autres départements, il lui faut le faire comprendre. Gérer une équipe d’experts n’est pas toujours évident, il doit lui-même disposer des bonnes compétences. »
Didier Van Caillie: « L’aspect purement technique ne représente plus que 20% du temps du CFO, le reste est dédié à la gestion de son équipe. Si ce n’est pas un bon manager, le développement financier de son entreprise en pâtira. »
FIGURE DE CONSEILLER Grâce à son nouveau poids dans l’entreprise, il se rapproche encore davantage du CEO, même si, pour Didier Van Caillie, le tandem n’est pas exclusif. « C’est un duo qui a toujours été clé dans l’entreprise. Actuellement, on peut difficilement gérer une entreprise sans un quatuor: directeur des opérations, directeur commercial ou marketing, CEO et CFO. Le marché se complexifie et la pression est toujours plus forte. L’entreprise doit être capable de s’adapter plus vite, elle a besoin de l’appui de tous », affirme-t-il. L’importance grandissante de la finance dans l’entreprise fait du CFO un interlocuteur de choix pour les autres fonctions. « Il prend la place de conseiller neutre et de confiance, c’est un facilitateur, complète Regine Slagmulder. Il challenge les autres directeurs et leur faire prendre conscience de l’importance des risques. Responsable de l’information financière, il reste expert dans son domaine, mais va plus loin que la compliance. Il doit s’assurer que tout le monde comprenne les chiffres et leur contexte. Pour bien effectuer son rôle de conseil, il doit se décharger d’une partie du reporting sur ses équipes. Les entreprises ont besoin d’un leader qui sache motiver ses collaborateurs. » Invité depuis longtemps au conseil d’administration, le CFO a progressivement gagné voie au chapitre. Didier Van Caillie commente ce constat: « Les résultats et autres données comptables sont un dénominateur commun pour tous les membres présents. On attend de lui un regard synthétique et global sur la performance de l’entreprise. C’est à lui de répondre à la question de sa rentabilité actuelle et future. Il doit se montrer pédagogue pour que les informations soient comprises de tous. Il en a l’habitude, puisqu’il doit fréquemment convaincre les
Regine Slagmulder: « Pour bien effectuer son rôle de conseil, le CFO doit se décharger d’une partie du reporting sur ses équipes. Les entreprises ont besoin d’un leader qui sache motiver ses collaborateurs. »
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
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partenaires extérieurs et leur présenter ce qui les intéresse sans trahir les chiffres. »
Pour Regine Slagmulder, de nombreuses écoles sont encore à la traîne: « On constate deux tendances: des formations qui vont très loin dans la technique, et d’autres qui intègrent da-
REMISE À JOUR
vantage les aspects management et leadership. Je suis parfois
Véritable couteau suisse, la fonction de directeur financier
surprise du manque de soft skills de certains programmes. Les
nécessite de bonnes compétences en négociation, gestion
compétences sociales sont au moins aussi importantes que la
du changement, leadership, communication… Les écoles
technique, surtout que de nombreux CFO sont maintenant en
absorbent progressivement ces nouvelles exigences et
pole position pour devenir CEO, ils ont besoin de ce bagage. »
adaptent leurs programmes. « Les spécialisations en finance
« A l’avenir, je pense qu’on demandera au directeur financier
sont souvent intégrées dans des corpus plus larges, remarque
de gérer l’ensemble des dimensions de résultats de l’entreprise,
Didier Van Caillie. Les étudiants qui sont diplômés aujourd’hui
comptables et financières, mais aussi RH et commerciales,
ont tous touché aux soft skills. C’est moins le cas pour les an-
achève Didier Van Caillie. Il deviendra le contrôleur de l’aval,
ciens élèves, qui ne sont pas tous passés par ce filtre. Ils doivent
comme de l’amont. Dans cette optique, l’ensemble des C-levels
corriger le tir en cours de parcours, ce qui explique la surrepré-
devront collaborer davantage. »
sentation de la fonction finance dans les formations. Il y a une vraie prise de conscience du besoin de se mettre à jour. »
« Plus un conseil est diversifié, plus son travail sera efficace » Désormais invité incontournable du conseil d’administration, le CFO est sur les rangs pour exercer un ou plusieurs
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mandats d’administrateur. Si on est encore loin d’un marché fonctionnant avec une offre et une demande transparente, le recrutement des administrateurs est en train de se professionnaliser et les critères de choix s’objectivent. Pour Guberna, l’Institut belge des administrateurs, c’est une évolution essentielle et qui permet de garantir une diversité de points de vue, d’expérience et de compétences. « La diversité peut être perçue comme un élément améliorant la qualité de la prise de décision et de la décision elle-même. Les recherches académiques le démontrent depuis longtemps: plus un organe, par exemple le conseil d’administration, est diversifié, plus son travail sera efficace », défend Hnia Ben Salah, Senior Research Associate chez Guberna. Reconnue comme principe fondateur dans le Code 2009 de gouvernance, la diversité est également un des concepts clés du Toolkit de l’Administrateur. D’abord légalement imposée comme obligation aux sociétés cotées, elle commence à être observée volontairement et consignée dans des codes de conduite par de nombreuses entreprises. « Avoir différents profils autour de la table permet d’éviter des choix qui ne correspondraient qu’à un groupe réduit. Chaque conseil doit trouver son équilibre. Le rôle du Président est fondamental à cet égard. A lui de créer une cohérence et une harmonie. » Pour Hnia Ben Salah, l’entreprise à tout à gagner en objectivant son processus de sélection. Le choix des membres du
Hnia Ben Salah: « Avoir différents profils autour de la table permet d’éviter des choix qui ne correspondraient qu’à un groupe réduit. Chaque conseil doit trouver son équilibre. »
conseil pourrait s’inspirer des méthodes de recrutement des managers/directeurs de l’entreprise, CFO inclus. « Au-
fil et différents critères, on peut parvenir à cerner ce dont le
jourd’hui, choisir un administrateur fait débat. S’interroger
conseil a besoin. Il ne faut pas forcément négliger les réseaux
sur cette question est une avancée essentielle. Nous sommes
des autres administrateurs pour autant. C’est en multipliant
à la croisée de chemins, déclare-t-elle. En établissant un pro-
les sources qu’on créera l’alchimie. »
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Le CFO joue un rôle de catalyseur Ingénieur mécanicien de formation, Bernard Poncelet a endossé ces 20 dernières années différentes fonctions de directeur financier ou équivalent selon les entreprises, leur origine et leur culture. CFO pour l’ensemble du groupe anversois Boortmalt, le cinquième plus gros producteur de malt au monde depuis presque deux ans, il encadre aujourd’hui une équipe de 20 financiers disséminés dans plusieurs pays.
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iplômé en 1988 de l’UCL, Bernard Poncelet
« L’évolution du rôle de CFO dépend fort d’une entreprise à
complète sa formation dans la foulée par un
l’autre, indique-t-il. Il y a vingt ans, certaines organisations
MBA à Georgetown. Il démarre sa carrière chez
donnaient déjà à cette fonction une ampleur que beaucoup
Ford comme analyste financier dans la division
recherchent en ce moment. Parfois on le voit comme le chef
R&D. Il acquiert ensuite de l’expérience en trésorerie et business
des comptables, qui se contente de présenter des bilans, par-
planning avant de prendre le poste de directeur financier au
fois comme le bras droit du CEO. Il m’est arrivé d’être dans une
Portugal. Après une mission dans une alliance avec Volkswagen,
entreprise où le CFO n’avait rien à dire. C’est plus une question
de retour chez Ford, il se partage entre l’Inde et la Grande Bre-
de culture que d’époque. Il est vrai qu’un directeur financier qui
tagne au poste de Project Finance Manager. Il endosse ensuite
se limite à surveiller les chiffres n’apporte qu’une valeur ajoutée
plusieurs fonctions chez le constructeur automobile américain
limitée à son entreprise. »
avant d’accepter le poste de Revenue Management Director
Filiale d’Axereal, une des plus grandes coopérative agricoles
chez Volvo Cars en Suède. En mars 2006, il rejoint Toyota comme
en France, le groupe Boortmalt produit 1,1 millions de tonnes
European Sales Group Controller, puis Business Planning Gene-
de malt chaque année, dont 320.000 depuis son site d’Anvers,
ral Manager, avant d’opter pour le secteur du malt.
grâce à un réseau d’usines sur six pays. Au moins un resFINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
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Sorti de son bureau, le directeur financier doit donc davantage aller à la rencontre des autres directeurs. C’est grâce à eux qu’il établit des prévisions pertinentes. Il agrège des impulsions et des données issues des achats, de la vente, de la production... « Je vois le rôle de CFO comme celui de chef d’orchestre. C’est lui qui pose les hypothèses de base du business plan afin que tout le monde ait la même partition. C’est dangereux de croire que c’est à lui seul de calculer toutes les prévisions. Il doit notamment s’appuyer sur le directeur des ventes et le directeur opérationnel. Ce sont eux qui savent, par exemple, quand un outil important arrive en fin de vie ou le contenu des projets commerciaux à moyen terme. Il y a peu de chance que le CFO le sache. Tout seul, le CFO ne sait rien faire, sauf si son entreprise est très petite ou qu’il a beaucoup de chance. »
MANAGEMENT SANS FRONTIÈRE Outre ce rôle de chef d’orchestre, Bernard Poncelet consacre beaucoup de temps à la gestion de ses collaborateurs. « Nous sommes un groupe qui s’étend sur plusieurs continents et notre équipe finance est de taille réduite dans chaque pays. Si une personne quitte l’entreprise, les équipes locales ont besoin de support. Le groupe a fortement grandi grâce à une acqui-
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sition en 2010 et il reste du travail pour établir des principes de contrôle de gestion communs. Un autre volet important de ma fonction est d’assurer la liquidité de l’entreprise, à travers le groupe ou avec les banques. Nous avons un besoin de cash et de fonds de roulement relativement important. » Le CFO compare les différents rôles de la finance à l’image d’une maison: les collaborateurs et les processus en sont les fondations; la comptabilité, le financement et la conformité en constituent les piliers. Le contrôle de gestion est le toit qui s’appuie sur ces trois rôles. « Dans chaque pays, la maison de la finance doit être robuste, appuie Bernard Poncelet. Toutes ces tâches sont essentielles. S’il y a un problème au niveau d’un
Bernard Poncelet: « Je vois le rôle de CFO comme celui de chef d’orchestre. C’est un interrupteur et un coordinateur. C’est lui qui pose les hypothèses de base afin que tout le monde ait la même mélodie. »
pilier, comme la comptabilité, les performances de l’équipe financière et les informations partagées avec la direction de l’entreprise seront bancales. » S’il délègue beaucoup à ses collaborateurs, il se réserve les sujets confidentiels comme certains investissements conséquents.
ponsable financier par pays rapporte directement à Bernard Poncelet, impliquant de fréquents voyages à l’étranger et du
ENTREPRENEURS FINANCIERS
management à distance.
Au niveau du recrutement, Bernard Poncelet sélectionne les
CHEF D’ORCHESTRE
profils qui lui rapportent directement. « Depuis mon arrivée, j’ai engagé un responsable local en Irlande et un contrôleur de
La mondialisation, l’accélération des échanges, et la crise
gestion en Belgique. En général, je regarde en premier lieu la
financière ont forcé de nombreuses entreprises à redéfinir
maîtrise des compétences de base et comment la personne les
leurs finances, et donc le job de leur CFO. « Les marchés sont
démontre. Ensuite, face à une situation compliquée, comment
de plus en plus mondialisés, la concurrence est partout. Des
elle trouve une solution, si elle travaille en équipe, s’il s’agit d’un
entreprises qui avaient des marges confortables il y a vingt ans,
do-er ou d’un thinker… Je recherche des collaborateurs qui vont
ont subi une pression sur les coûts de l’énergie et des matières
sur le terrain, qui sont orientés solutions et qui ne se limitent
premières. Ces augmentations de coûts sont de moins en moins
pas aux symptômes des problèmes. Un contrôleur de gestion
reflétées dans le prix au client, ce qui implique de s’organiser
qui ne quitte pas son bureau ne sera pas très performant. Pour
autrement », constate Bernard Poncelet.
le recrutement aux niveaux inférieurs de responsabilité, je n’in-
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
terviens que lors de la dernière étape du recrutement. » Dans un groupe international comme Boortmalt, une expérience à l’étranger est toujours un plus. « Cela permet souvent une plus grande sensibilité aux autres cultures et aux différentes manières de travailler, ainsi qu’un respect accru pour ce qui est différent, confirme Bernard Poncelet. C’est un atout pour les personnes qui doivent fréquemment interagir que ce
« Devant le board, un CFO présente le résultat d’un travail collectif. »
soit avec les autres divisions localement ou avec des collègues à l’étranger. L’expérience internationale est double, c’est aussi
clients comme partenaires. Sous son impulsion, son équipe
une expérience de vie qui nécessite de s’adapter à un nouvel
financière doit pouvoir travailler de manière transversale. « Il
environnement. »
doit avoir un sens du détail exacerbé et pousser ses équipes à creuser afin de déterminer les vraies raisons d’une déviation fi-
DUO STRATÉGIQUE
nancière par rapport aux prévisions. Il doit également être une
Pour chaque conseil d’administration de Boortmalt, Bernard
personnalité crédible vis à vis des partenaires financiers de son
Poncelet travaille en duo avec Yvan Schaepman, son CEO, pour
organisation. Enfin, comme tous les autres directeurs, on lui de-
préparer les réunions. « Dans le conseil, mon rôle est d’être son
mande aussi d’être un leader et de motiver ses équipes, parfois
soutien. Il apporte les idées globales et les résultats généraux
à distance. Devant le board, le CFO va présenter les résultats
du business, et je creuse plutôt les questions financières. C’est
financiers d’un travail collectif. Sans une collaboration étroite
un travail d’équipe. Ce sont souvent ces deux fonctions là qui
avec les autres directeurs, il ne peut pas remplir sa mission. La
représentent la division au conseil d’administration. »
finance est quelque part la colle entre toutes les autres fonc-
Selon Bernard Poncelet, un bon CFO est d’abord celui qui a
tions. Le CFO est celui qui réunit, c’est un catalyseur. »
la capacité de créer une relation avec toutes les directions opérationnelles et de les influencer. Amené à représenter son
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entreprise, il doit pouvoir interagir avec le monde extérieur,
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DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Le CFO est un améliorateur de business 8
Interlocuteur de choix depuis la crise, la finance intervient désormais à tous les niveaux de l’entreprise, ce qui impacte durablement le CFO et son équipe. Amenés à réinventer leur rôle, à développer de nouvelles compétences et à sortir davantage de leur département, les financiers voient leur fonction évoluer vers plus de stratégie, de conseil interne et de contacts avec le business. Les profils recherchés et les exigences des entreprises se modifient en conséquence. Tour de table avec différents professionnels du recrutement.
E
xpériences à l’international, en fusions et acqui-
est un atout de taille. Les meilleurs profils sont ceux qui ont
sitions ou lancement en bourse, compétences en
changé de fonction tous les quatre ans », appuie-t-il.
négociation, responsabilités EMEA, gestion d’une
Vu l’ampleur actuelle de sa tâche, le constat est sans appel, le
grande équipe, connaissances informatiques
gardien du temple ne peut plus tout faire lui même. « De plus
pointues ou gestion de projet d’implémentation SAP: les critères
en plus généraliste, il doit faire appel à des spécialistes pour
de sélection des entreprises et la description de fonction du CFO
le seconder, souligne Gilles Klass, Executive Adviser chez Mer-
varient d’un poste, d’un métier et d’une entreprise à l’autre, même
curi Urval. A la base plutôt une fonction solitaire, le métier de
si la base de compétences techniques requises est souvent la
directeur financier nécessite désormais qu’il travaille en réseau.
même. « Les exigences sont très variables selon l’organisation, son
L’étendue de ses contacts peut aussi être un facteur de choix
secteur et ses besoins, ce qui complexifie la recherche de candidats
pour l’entreprise. »
ciblés. Chaque direction financière est différente », contextualise Joël Poilvache, directeur de Robert Half.
FIL ROUGE
Pour Luc Wouters, Partner chez Odgers et Berndtson, la re-
Dans les PME, comme dans les grandes structures, c’en est
cherche de polyvalence et de vision commerciale constituent
fini de l’ère du CFO qui se contente d’analyser ses bilans. « De
des prérequis incontournables. « Il n’y a pas de profil tout fait
manière générale, le CFO est passé de maître de la complexité
et figé, il faut toujours trouver le bon candidat pour le bon
des chiffres à partenaire stratégique, appuie Luc Wouters. C’est
poste. Mais, de manière générale, avoir une expérience diver-
à présent un business partner à part entière. La fonction fi-
sifiée, à l’intérieur ou à l’extérieur du département financier,
nance n’est plus uniquement perçue comme un centre de coûts,
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
c’est un changement de perception important. Les entreprises y investissent davantage de moyens et d’attention. » Une constante quel que soit le secteur: on demande au CFO d’être force de proposition sur de nouveaux sujets. Il est notamment amené à prendre position sur des questions d’éthique et de transparence, mais aussi de bonne marche des activités. « Le directeur financier est désormais impliqué dans la stratégie globale et les décisions business. De plus en plus, les entreprises recherchent des profils qui pourront participer activement au comité de direction et éclairer les enjeux financiers pour un conseil d’administration, résume Joël Poilvache. Il lui faut expliquer les résultats de manière claire et accessible. Il doit également travailler plus étroitement avec les directeurs opérationnels. C’est, à mon sens, la partie qui s’est le plus développée dans son profil. » « On attend de lui qu’il améliore le business », confirme Gilles Klass. Si le CFO devient très polyvalent, sa formation de base a peu changé. Si ce n’est une popularité accrue des MBA. « On retrouve encore beaucoup de profils classiques sur le marché. En caricaturant, le trajet école de commerce, expérience dans l’audit, première fonction de contrôle de gestion, rôle de supervision, fonction de head of controlling, première position de directeur financier, reste encore un fil rouge », commente Joël Poilvache. « Une sensibilité internationale est de plus en plus réclamée. Les profils belgo-belges deviennent rares », complète Gilles Klass.
DUO DE CHOIX
Luc Wouters: « Le recours grandissant à des shared service centers permet aux équipes financières de se concentrer aux tâches à valeur ajoutée. Le revers de la médaille est qu’une série de jeunes talents n’ont plus la possibilité d’acquérir certaines compétences de base. Il faut y faire attention pour préparer la succession. »
Pour nos trois experts, une des évolutions majeures de ces dix dernières années est le rapprochement grandissant du
veau », remarque aussi Luc Wouters. Progressivement, avec
couple CEO/CFO, qui se reflète aussi dans le rôle de ce dernier
un rôle plus étoffé, le CFO a désormais accès à des postes de
au sein du conseil d’administration. « Le tandem CEO/CFO est
CEO ou General Manager, ce que constate Joël Poilvache sur
un duo phare de l’entreprise, en particulier dans les périodes
le terrain. « On voit davantage de directeurs financiers qui par-
incertaines. Il joue un double rôle de garde fou qui met en
viennent à prendre des responsabilités opérationnelles, même
garde et rappelle à l’ordre, et de fou du roi, qui doit être créatif
si ce n’est pas encore une règle. Ayant développé de nouvelles
et venir avec des idées, déclare Gilles Klass. Je constate aussi
compétences business ces dernières années, certains y prennent
chez de nombreux clients une montée en puissance du direc-
goût et peuvent être identifiés comme successeur du patron, ce
teur financier au sein du conseil d’administration. Il est de plus
qui n’existait presque pas il y a dix ans. »
en plus appelable et sollicité par les administrateurs. L’expertise financière devient telle qu’un CEO a davantage besoin du sup-
ANIMATEUR D’ÉQUIPES
port de son financier. Celui-ci devient un maillon central dans
Devenu généraliste par la force des choses, le CFO doit s’ap-
la vie de la société et peut avoir un impact important dans sa
puyer sur des spécialistes de haute volée, son rôle de gestion-
gouvernance interne. »
naire d’équipe se développant dans la foulée. Avec un envi-
« Depuis qu’il est impliqué dans l’agenda stratégique, le CFO
ronnement régulatoire de plus en plus complexe, il ne peut
est la conscience du conseil d’administration. On le consulte sur
plus tout assurer et doit travailler sur son rôle de manager.
des décisions non financière, c’est quelque chose d’assez nou-
Guerre des talents oblige, il lui faut aussi œuvrer à conserver ses collaborateurs, comme tous les autres directeurs. « Déjà multi-facettes par essence, le rôle de CFO le devient de plus en plus, partage encore Joël Poilvache. Le volet Talent
« Déjà multi-facettes par essence, le rôle de directeur financier le devient de plus en plus. »
Management a toujours existé, mais s’est accru ces dernières années. Les départements financiers ont besoin d’un vrai leader. Nous sommes sur un marché de l’emploi où la mobilité est plus forte qu’avant. Sa capacité à identifier, recruter, retenir et développer des talents, peut faire la différence. A lui d’identifier les compétences techniques dont il a besoin en interne et de FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
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les mettre en musique. » Luc Wouters poursuit dans cette direction: « Suite à la globalité galopante du business, on attend souvent de lui qu’il ait déjà géré des équipes disparates et à distance. C’est un chef d’orchestre qui doit s’assurer que chacun joue sa partition au bon moment. » L’instabilité économique actuelle a un impact évident sur l’équipe finance et la répartition de ses activités. En réaction à ce contexte fluctuant, la gestion des risques devient une part importante des activités du département. « Les professionnels de la finance doivent être de plus en plus dans le prévisionnel, indique Gilles Klass. S’ils ont baigné pendant longtemps dans un biotope de support réactif, ils doivent à présent anticiper, être proactifs et changer leur manière de fonctionner. C’est un nouvel état d’esprit qui se met en place. »
COMMUNICATION FINANCIÈRE « Le recours grandissant à des shared service centers installés dans des pays émergents permet aux équipes financières de se concentrer aux tâches à valeur ajoutée, ajoute encore Luc Wouters. L’autre versant de la médaille est que toute une série de jeunes talents n’ont plus la possibilité d’acquérir certaines compétences de base. Il faut y faire attention pour préparer la succession. A ce titre, l’adjoint du CFO joue un rôle clé. Il dégage
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aussi son chef de l’opérationnel et lui permet de se concentrer sur sa collaboration avec le CEO. » Egalement devenu un communicateur, externe et interne, il doit faire face à la rapidité grandissante de la circulation de l’information et mettre les enjeux financiers à la portée de tous. Et Gilles Klass de mentionner: « Le CFO est devenu un
Joël Poilvache: « Les départements financiers ont besoin d’un vrai leader. Nous sommes sur un marché de l’emploi où la mobilité est plus forte qu’avant. Sa capacité à identifier, recruter, retenir et développer des talents, peut faire la différence. »
ambassadeur de son entreprise, en particulier dans les sociétés cotées en bourse. Il la représente aux yeux du monde extérieur.
pays », pointe Gilles Klass. Opter pour un ERP est une décision
La fonction finance est matricielle, elle a la possibilité d’impac-
très importante pour toute organisation. Travail de longue
ter toutes les autres départements. » « C’est à lui qu’il revient
haleine, un projet de ce type nécessite des budgets plus que
de gérer les relations avec les parties prenantes de son orga-
conséquents, ainsi qu’une gestion du changement sans faille,
nisation, que ce soit des collègues, des analystes financiers ou
le CFO a donc son mot à dire.
des banquiers. Il doit communiquer en détail sur les résultats
« L’IT évolue tous les jours. Le CFO doit s’y plonger et avoir les
financiers, mais pas seulement. Il a un rôle crucial à jouer dans
bonnes personnes qui savent lui faire une bonne synthèse. S’il a
la réputation de son entreprise », approuve Luc Wouters.
déjà eu l’occasion de gérer un chantier d’implémentation, cela
VOLET IT
continue Joël Poilvache. « Avoir touché à un ERP et tester ses
Combiner capacité d’analyse pointue, esprit de synthèse et
maladies d’enfance, devient incontournable, le rejoint Gilles
rapidité de reporting, comme de réaction, devient la norme.
Klass. Bien sûr, on ne lui demandera pas d’être spécialiste dans
« Le directeur financier doit désormais être capable d’analyser
cette matière, mais il doit s’y intéresser. Une implémentation
très vite l’historique des activités de son entreprise, tirer des
ratée est une catastrophe pour une entreprise. »
projections sur l’avenir à court et moyen termes, et mettre
Toutes ces tâches additionnelles s’ajoutent ainsi à son rôle de
tout cela en forme pour des non financiers, de manière claire
gardien des finances. Pour réussir à appréhender toutes les
et précise. Dans les sociétés cotées, il est l’interlocuteur de
facettes de leur métier, les CFO sont nombreux à ressentir le
référence pour les investisseurs et les actionnaires », soutient
besoin de se faire coacher ou à compléter leur formation en
Joël Poilvache.
négociation, leadership, gestion d’équipe ou change manage-
Avec des budgets en constante augmentation, l’informatique
ment. « Pour résumer, achève Luc Wouters, en 2013, un bon
est aussi un sujet que doit maîtriser le directeur financier.
CFO doit avoir des compétences financières pointues, une atti-
« Le métier IT deviennent tellement complexe qu’on s’attend
tude éclairée face au business, des compétences de présenta-
à ce que le directeur financier arrive avec son réseau de four-
tion et de communication, être pédagogue et polyvalent, c’est
nisseurs et de contacts, en particulier s’il travaille sur plusieurs
un mouton à cinq pattes! »
peut être un plus non négligeable pour la suite de sa carrière »,
FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
Le rôle de CFO est devenu celui de coach de ses troupes Engagé pour préparer les comptes du groupe De Boeck avant son rachat par le groupe Editis, Philippe Hosten a décidé de rester pour accompagner l’entreprise dans tous les défis qui attendent le monde de l’édition. Passage vers le numérique, changement des habitudes de lecture et des structures de coûts en sont quelques-uns. Séduit par ce secteur en pleine mutation, il y est CFO depuis un peu plus de neuf ans.
L
icencié en économie, Philippe Hosten suit un
diviser en deux pôles afin que chacune des activités puisse se
parcours plutôt classique. Il démarre chez
développer à son rythme.
Ernst & Young, puis quitte le monde de l’au-
En phase de transition, l’édition développe de plus en plus
dit après cinq ans, avant de grimper les éche-
de contenus numériques. Pour le groupe De Boeck, il peut
lons, accumule les expériences, puis prend la fonction de
s’agir de tableaux éducatifs interactifs, de bases de données
Vice-Président Finance pour CSC. Il devient CFO chez Indigo
thématiques pointues, de moteurs de recherche juridiques…
avant de rester sept ans chez Match et rejoint le groupe
« C’est un nouveau marché qui démarre, tout est à inventer. Le
De Boeck en 2004. « Quand je suis arrivé, c’était encore une
potentiel est énorme. On va vers davantage de sur mesure, re-
entreprise familiale. Le propriétaire réfléchissait à vendre
marque Philippe Hosten. Toutes ces innovations vont s’accélé-
son entreprise. J’ai été engagé afin de rendre la mariée un
rer, nous devons être prêts et disposer des bonnes compétences
peu plus belle, explique-t-il. C’était un énorme pari. On était
en interne. Les métiers changent. Nous avons notamment
au début du passage vers le numérique. Il y avait beaucoup
besoin d’informaticiens formés aux réalités de notre secteur.
de choses à faire, j’ai donc eu envie de rester. Cela a été mou-
Ces profils sont difficiles à recruter. L’informatique est devenue
vementé pour les équipes. »
un axe important dans nos activités, ce qui modifie le rôle des
Depuis ses débuts, le visage du groupe a fort changé, pous-
éditeurs, mais aussi celui des auteurs qui doivent changer leurs
sant le département financier à se réorganiser en perma-
manières de travailler et opter pour de nouveaux formats. Tout
nence. De belgo-belge avec un actionnariat privé, il a été ra-
cela représente beaucoup d’investissements à consentir et de
cheté par Editis, un grand groupe français, puis par Planeta un
préparation. La question est toujours de savoir à quelle vitesse
groupe espagnol, avant d’être repris par Ergon, un actionnaire
il faut avancer. Au niveau de notre volet éducatif, tout dépen-
belge, en 2011. « En dix ans, nous sommes passés d’une société
dra des moyens débloqués par le gouvernement. »
paternaliste sans vraie culture de reporting à un groupe coté en bourse avec tout ce que cela suppose comme obligations.
TRANSITION NUMÉRIQUE
C’est une toute autre philosophie ». Centrée autour de deux
Face à ces défis technologiques, les équipes, déjà bousculées
métiers principaux – les supports éducatifs et les ouvrages
suite aux différents rachats du groupe, doivent s’adapter à ce
professionnels –, la société est, aujourd’hui, en train de se
nouveau contexte de travail. « A chaque rachat, il y a des FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
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DOSSIER
En général, un contrôleur de gestion n’est pas opérationnel avant six mois. Le choix du candidat est donc essentiel. Pour donner un avis éclairé sur le business, il doit comprendre le métier et ses leviers. « Les contrôleurs de gestion ont un rôle crucial dans le suivi des affaires. Il leur faut d’abord apprendre les réalités du secteur afin de bien assurer leur mission de conseil et anticiper les impacts des évolutions sur les finances. Cela prend du temps. C’est une fonction où il faut constamment se poser des questions. Si le casting est mal fait, cela nous coûte beaucoup d’argent. Mon rôle est de m’assurer qu’ils comprennent bien les enjeux derrière les chiffres qu’ils manipulent. La finance, c’est beaucoup de bon sens, mais il faut comprendre le métier. »
EN PARALLÈLE Comme de nombreux CFO, Philippe Hosten ne peut plus tout faire tout seul. Il doit se reposer sur une équipe de confiance qui assure les tâches journalières. Chez De Boeck, ils sont 12 à le seconder. « Le rôle de CFO est devenu celui de coach de ses troupes, partage-t-il. Lors des rachats, par exemple, je suis en première ligne. Le business continue en parallèle de la préparation des comptes. Sans équipe fiable, c’est impossible. Je pense que ce
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Philippe Hosten: « Lors des rachats, par exemple, je suis en première ligne. Le business continue en parallèle de la préparation des comptes. Sans équipe fiable, c’est impossible. Je pense que ce sera encore davantage le cas à l’avenir. Il y a de plus en plus de dossiers externes à gérer. »
sera encore davantage le cas à l’avenir. Il y a de plus en plus de dossiers externes à gérer. Les priorités changent parfois très vite, il faut pouvoir l’expliquer et garder ses équipes motivées. » S’il voit les comptables en bout de parcours, il a tenu à recruter les cinq contrôleurs de gestion que compte son équipe. « Quand j’ai commencé au sein du groupe, cette fonction n’existait pas. Les rapports sortaient quand ils sortaient. La société
nouveaux processus à établir, différents systèmes financiers
était surendettée, il fallait d’abord y mettre de l’ordre. Nous
et des outils à adopter. Nos collaborateurs ont l’habitude des
avons réussi à progressivement inculquer une culture du repor-
changements d’environnement. Une chose est sûre, il devient
ting. Ils sont désormais cinq contrôleurs de gestion, ce qui est
de plus en plus urgent de connaître les chiffres très vite. »
beaucoup par rapport à notre chiffre d’affaire de 50 millions, mais c’est un rôle essentiel. Chaque livre est un micro-projet,
MODÈLE DE RENTABILITÉ
cela implique une gestion très spécifique. J’apprécie les profils
Le modèle de rentabilité d’un ouvrage papier est très diffé-
qui ont fait quelques années d’audit. Ils savent généralement
rent de celui d’un support numérique, ce qui implique no-
gérer la pression et connaissent les deadlines. »
tamment que les collaborateurs de Philippe Hosten suivent
Chaque mois, Philippe Hosten présente l’analyse des ré-
de près les éditeurs pour les aider dans leurs choix financiers.
sultats devant le conseil d’administration. « C’est quelque
Pour rapprocher ces deux mondes que tout semble opposer,
chose que je me réserve personnellement, c’est vraiment
il a tenu à organiser une formation ludique en finance pour
ma tasse de thé, achève-t-il. J’apprécie particulièrement ces
non financiers. « Le tirage initial d’un livre ne suppose pas
moments où je suis en première ligne. Nos actionnaires sont
beaucoup d’investissements préalables. Le désavantage est de
des professionnels, il ne faut surtout pas venir la fleur au
parfois avoir des copies difficiles à écouler et donc des stocks
fusil, mais arriver avec des chiffres et des solutions. A mon
importants à gérer, précise le CFO. Un titre numérique va, à
sens, le tandem CEO/CFO est clé dans l’entreprise. Ce sont
l’inverse, nécessiter plus d’investissements au départ, mais est
eux qui jouent le rôle de tampon, de punching ball parfois,
très vite adaptable. En cas de changements grammaticaux ou
entre l’organisation et le conseil. Avec un peu de bouteille,
juridiques, le contenu se modifie rapidement. La question du
on sait comment atténuer les chocs. »
stock est également évacuée. Le calcul du retour sur investissement est très différent. Mes contrôleurs de gestion doivent pouvoir jongler avec tout cela. Je veux les sortir de leur tour d’ivoire afin qu’ils aillent discuter avec les équipes sur le terrain. C’est, à mon sens, une évolution intéressante dans leur métier. Chaque personne a un rôle à jouer dans la rentabilité de l’organisation, c’est un message que je m’efforce de diffuser. » FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
« La finance, c’est beaucoup de bon sens, mais il faut comprendre le métier. »
DOSSIER TEXTE : FLORENCE THIBAUT
On ne peut plus isoler la finance des autres départements Membre du réseau Léonard de Vinci, l’Institut Libre Marie-Haps est né en 1919. Dotée d’une longue tradition dans l’interprétariat, la haute école fait aujourd’hui face à de nombreux défis: augmentation du nombre d’étudiants, subsides futurs incertains ou reporting grandissant à la Communauté française, ses équipes doivent faire plus avec moins. Christophe De Bom, son directeur administratif et financier, a la lourde tâche d’assurer ses revenus.
E
conomiste et sociologue de formation, Christophe De Bom a un parcours qui s’oriente autour de la gestion du social. Il touche notamment à la recherche aux Fucam et à la gestion d’asbl, avant d’endosser
ses fonctions à l’école de la rue d’Arlon en janvier 1996 et rejoint ainsi un secteur en pleine mue. « Ma carrière est assez atypique pour un directeur financier. J’ai acquis une expérience progressive dans le domaine de la finance au fil du temps. J’ai, aujourd’hui, une double
« Nous sommes beaucoup plus attentifs aux risques bancaires et plus prudents dans notre choix de partenaires. »
casquette. Au niveau administratif, mon rôle a été, jusqu’à présent, de créer une structure fonctionnelle plus réactive en fonction des besoins
tie du groupe de Vinci, qui comprend au total quelques 7.000 étu-
de l’enseignement supérieur, partage-t-il. Les écoles sont de plus en
diants. « Chaque école est de plus en plus intégrée dans le groupe. Il y
plus soumises à des contrôles poussés des autorités publiques, ce qui
a de nombreuses interconnections, notamment via des bases de don-
nous a insufflé plus de rigueur. En raison de la faiblesse des moyens
nées communes. La cellule centrale coordonne l’ensemble des services
donnés au secteur, il nous faut être créatif. »
partagés. Ces synergies font écho à la logique de professionnalisation
TRAVAIL EN RÉSEAU
de nos services. Notre gestion doit être beaucoup plus rigoureuse que par le passé, cela s’illustre aussi dans le choix des profils qui com-
Suite aux obligations qui pèse sur son secteur, l’Institut a du
posent notre équipe. Avant le décret de Bologne, on pouvait dire que
professionnaliser sa gestion. « D’un petit village, l’école est de-
les écoles supérieures fonctionnaient un peu à la bonne franquette, à
venue une vraie PME. De 50 travailleurs, nous sommes passés à
la manière d’instituts primaires. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, elles
250. Il a fallu accompagner les changements liés à la pression
sont obligées de se gérer comme des entreprises. »
extérieure, mais aussi dus à la taille de l’école. »
Quand Christophe De Bom rejoint l’équipe de Marie-Haps, il n’y
Suite au redécoupage du panorama scolaire, à l’instar de l’ECAM ou
a qu’une seule personne qui gère la comptabilité. Aujourd’hui,
l’ISEI Parnasse Deux Alices, l’Institut Marie Haps fait à présent par-
l’exécution des tâches financières nécessite l’équivalent de FINANCE MANAGEMENT - N°64 - SEPTEMBRE 2013
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DOSSIER
deux temps plein et demi. Un des changements notoires intervenus dans son métier de financier est l’anticipation des résultats, devenue indispensable. « Nous fonctionnons principalement grâce à des subsides publics, explique-t-il. De par nos ressources limitées et le flou autour des finances publiques, nous devons faire des projections à cinq ans, ce que nous ne faisions pas avant. Nos marges sont beaucoup plus étroites, nous devons envisager tous les cas de figure et tenter de déterminer quels seraient leurs impacts sur nos rentrées. Il faut presque travailler avec une boule de cristal. Si ce n’est les courbes de natalité, on ne peut rien prévoir. » Aujourd’hui, environ 25% de son temps est consacré à la finance et 75 à sa casquette administrative. Loi sur les marchés publics à intégrer, cahiers de charge à respecter, vérifications des dossiers scolaires ou surveillance des comptes, les contraintes extérieures s’accumulent. « J’aimerais atteindre un meilleur équilibre afin de pouvoir travailler de manière plus prospective et avoir la possibilité de réaliser différentes études, mais nous n’avons pas encore le temps, ni les moyens pour le faire. »
COURSE POURSUITE Depuis deux ans, la gestion des risques est également venue s’ajouter aux priorités de l’équipe finance. « Nous sommes beaucoup plus attentifs aux risques bancaires et plus prudents
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dans notre choix de partenaires, confie Christophe De Bom. Nous essayons désormais de répartir nos avoirs sur plusieurs banques. Etre un établissement scolaire ne nous met pas du tout à l’abri, nous avons les mêmes contraintes que les entre-
Christophe De Bom: « Avant le décret de Bologne, on pouvait dire que les écoles supérieures fonctionnaient un peu à la bonne franquette, à la manière d’instituts primaires. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, elles sont obligées de se gérer comme des entreprises. »
prises dans ce domaine. Nous essayons également d’être plus proactifs dans la constitution de tableaux de bord, ainsi que
néral, le directeur financier et les responsables pédagogiques
dans la présentation de nos comptes lorsque nous faisons ap-
concernés. « Nous sommes dans un secteur concurrentiel, nous
pel à du financement bancaire. Enfin, nous mettons en place
devons donc surveiller nos parts de marché, rappelle-t-il. Si on
d’autres dispositifs pour diversifier nos sources de liquidité afin
lance une nouvelle filière, nous y sommes particulièrement at-
de ne pas être dépendants des banques au cas où les robinets
tentifs, ne fut ce que parce que nos étudiants vont devoir s’insérer
du crédit se ferment à nouveau. Nous recourons, par exemple, à
sur le marché de l’emploi. Nous avons une responsabilité morale
des prêts fournis par d’autres institutions du groupe de Vinci. »
envers eux. Quand je suis arrivé, ma fonction était diabolisée.
Comme pour tous les autres établissements scolaires, le budget
Heureusement, je venais du secteur associatif donc j’étais un peu
alloué est puisé dans une enveloppe fermée et ne tient pas compte
moins suspect. Auparavant, beaucoup d’enseignants estimaient
des évolutions démographiques. « Le gâteau est le même chaque
que leur mission était noble et que l’argent ne devait pas entrer
année. C’est une machine infernale. Pour avoir plus de ressources fi-
en ligne de compte. Au fil du temps, il y a eu une plus grande
nancières, il nous faut augmenter nos taux de croissance d’étudiants
conscientisation des responsables pédagogiques. Ce partage
au delà de la moyenne et faire croitre nos parts de marché, mais aussi
de responsabilités est très sain. Les contraintes financières sont
augmenter nos coûts en cascade. Pour rappel, les subsides sont calcu-
aujourd’hui part intégrante de notre réalité, il faut l’intégrer. La
lés en fonction de la population étudiante, donc si nous en stabilisons
notion de secteur protégé comme on l’imaginait il y a vingt ans
le nombre, nous perdons des ressources. Le ministre Marcourt veut
n’a plus lieu d’être. Le secteur éducatif est soumis comme tous les
réformer le paysage de l’enseignement supérieur, mais on ne connaît
autres aux aléas économiques. »
pas encore les impacts budgétaires. C’est une des grandes inconnues.
Pour œuvrer encore davantage à cette conscientisation, Chris-
Tout l’enjeu est d’établir l’équilibre, tout en suivant ce que les autres
tophe De Bom siège au conseil d’administration. « Dans notre
font. Cela crée une sorte de course-poursuite. Je suis convaincu que le
secteur, on ne peut plus isoler la fonction finance des autres dépar-
système actuel est arrivé à saturation. »
PARTS DE MARCHÉ
tements, conclut-il. Je tiens à faire partie des instances de direction. Non pas pour donner mon avis sur tout, mais pour amener une dimension financière dans tous nos projets. Je suis le garant
Progressivement, le souci de rentabilité touche l’ensemble des
des contraintes budgétaires. Dans le secteur de l’enseignement
fonctions de l’Institut. A chaque rentrée, le nombre d’étudiants
supérieur, le CFO doit avant tout avoir un profil polyvalent et être
est désormais décidé de manière collective par le directeur gé-
à l’écoute du projet pédagogique et institutionnel. »
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