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Vers un important coup de frein à l’étalement urbain

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La Wallonie revoit ses outils d’aménagement du territoire pour freiner l’étalement urbain. Que ce soit pour l’habitat, les entreprises ou le commerce. L’idée est de concentrer l’urbanisation dans certains périmètres communaux. Le débat autour de ces centralités pourrait s’annoncer intense.

Texte et photos : Xavier Attout

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La Wallonie passe enfin à la vitesse supérieure. Si plus personne ne met en doute que l’étalement urbain a sérieusement dénaturé le territoire wallon ces cinquante dernières années, l’heure est donc venue d’appuyer plus fort sur la pédale de frein de cette urbanisation effrénée et de tenter de réparer les erreurs du passé. On le sait, une trajectoire visant à ralentir l’artificialisation des sols dès 2030 et à l’arrêter en 2050 est imposée par l’Europe et transcrite dans la Déclaration de politique régionale. Après deux ans de discussions, le Gouvernement wallon vient de se donner les moyens de ses ambitions en révisant deux de ses principaux outils d’aménagement du territoire, le CoDT et le SDT (lire ci-contre). De quoi permettre d’actionner de nouveaux leviers favorisant encore davantage la reconstruction de « la ville sur la ville ».

Que signifie exactement cette dernière expression que l’on entend régulièrement ?

L’objectif est en fait d’arrêter de construire sur des terres vierges, d’encourager les rénovations et de faciliter les nouvelles constructions sur des terrains déjà construits ou urbanisés. Un changement de paradigme pour certains. « Entre 1985 et 2021, les terrains visés par ce phénomène ont connu une croissance de 562 km², soit 3,2 fois l’équivalent de la superficie de Namur, explique Willy Borsus, ministre wallon de l’Aménagement du territoire. Or, les terres non artificialisées constituent une ressource essentielle finie, qui participe, avec d’autres, à la lutte contre les changements climatiques et à la préservation de la biodiversité. La lutte contre l’étalement urbain est donc une réforme prioritaire portée par le Gouvernement wallon. »

Les centralités au coeur des enjeux

Parmi les nouveautés, la volonté de tendre vers l’optimisation spatiale. Soit l’idée de ne plus gaspiller des terres inutilement, de recentrer l’urbanisation et donc de freiner l’étalement urbain. Pour y parvenir, un nouveau concept a été mis en place : miser sur les centralités. L’ambition de cette nouvelle stratégie d’aménagement du territoire est d’orienter en priorité les projets dans un périmètre donné, soit les lieux les mieux équipés et qui disposent de facilités en matière de transport. Les communes seront à la manœuvre pour mettre en œuvre ces centralités puisque leur(s) périmètre(s) sera précisé via des schémas de développement communaux ou pluricommunaux. Elles disposeront d’un délai de 5 ans pour préciser leur(s) centralité(s). « Ce timing s’annonce particulièrement serré pour les communes », estime toutefois Fleur Lambert, juriste au sein du cabinet HSP. Reste que, si elles le souhaitent, elles ne partiront pas d’une page blanche puisque la Région wallonne (via une méthodologie définie par l’IWEPS) a déjà déterminé le ou les centralités de chaque commune, en fonction d’une série de critères (lire ci-contre). Il faudra donc voir si elles s’appuient ou non sur leurs propositions. Précisons que si les communes font cavalier seul et ne parviennent pas à tenir le délai de cinq ans, ce sont les périmètres définis par la Région wallonne qui entreront en vigueur. Et précisons aussi – mais c’est plus technique – que l’adoption des schémas communaux fait basculer les communes dans le régime de la décentralisation, c’est-à-dire qu’une série de demandes de permis ne passent plus entre les mains du fonctionnaire délégué.

Ce concept de centralités amène bien évidemment son lot d’interrogations. La première est de savoir s’il sera encore possible de construire en dehors des centralités. La réponse est positive même si ce sera bien plus compliqué et, dans tous les cas, limité. « Ce périmètre aura avant tout une valeur indicative mais répond à des engagements politiques, précise Fleur Lambert. Un critère spécifique a été ajouté pour tenir compte des spécificités locales, de quoi s’écarter de l’approche uniformisée qui a guidé l’élaboration des centralités sur tout le territoire wallon. »

Autre élément, l’activation des ZACC (zone d’aménagement communal concerté) qui seront situées en dehors des centralités sera très limitée

C’est quoi le CoDT et le SDT ?

Le CoDT rassemble les règles applicables en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme en vue d’assurer un développement durable et attractif du territoire. Il fixe les grands principes.

Le SDT (Schéma de développement du territoire) est le document d’orientation qui détermine la stratégie territoriale pour la Wallonie. Il précise comment on va parvenir à appliquer les grands principes du CoDT au départ d’une vision redessinée pour le territoire. Il comprend 20 objectifs régionaux de développement territorial et d’aménagement qui ont pour finalité l’optimisation spatiale, le développement socioéconomique et de l’attractivité territoriale, la gestion qualitative du cadre de vie et la maîtrise de la mobilité.

car cela pourrait contribuer à l’étalement urbain. « Beaucoup de communes n’ont pas de Schéma de Développement Communal, précise Fabrice Evrard, spécialisé en droit de l’urbanisme au sein du cabinet HSP. C’est par exemple le cas de Wavre. Je pense qu’il est nécessaire que les communes wallonnes se dotent de ce schéma. C’est également la volonté de la Région wallonne d’encourager l’adoption d’un tel outil. Il s’agit d’un élément important pour cadrer l’aménagement de son territoire. » Une chose est sûre : la plupart des bureaux d’études auront en tout cas du pain sur la planche dans les prochaines années…

Réduire l’artificialisation du sol des activités économiques

Pour ce qui est de la réforme du CoDT, cela concerne également d’autres volets, dont notamment l’activité économique. On le sait, les nouveaux terrains dédiés à l’activité économique se réduisent de plus en plus en Brabant wallon. Ce n’est pas l’intercommunale in BW qui dira le contraire. Pour tenter de remédier à cette problématique, l’idée du Gouvernement est ici d’éviter que des sociétés déménagent en octroyant davantage de flexibilité dans les critères de densification des terrains occupés par les entreprises. Une manière de lutter contre l’urbanisation de nouveaux terrains. Dans le même ordre d’idée, l’ambition est également que les friches restent principalement dédiées à de l’activité économique. En Brabant wallon, au 1er janvier 2022, on dénombrait 120 Sites à Réaménager (SAR), représentant un total de 369 ha. Soit 10 % du total wallon. Ajoutons que l’immobilier ancien représente également un potentiel de réhabilitation important.

Les Centralit S Au Centre Des Interrogations

L’idée des centralités est donc d’y concentrer le logement et les activités (commerciales et tertiaires) tout en densifiant l’urbanisation de manière raisonnée et dans le respect de la qualité de vie. La mixité des fonctions est privilégiée. Une série de critères sera retenue pour déterminer le périmètre. Dont notamment un accès à moins de 10 minutes à pied des services et transports.

Qui va délimiter leur périmètre ?

Les autorités communales ont la main. Elles ont le choix entre élaborer un schéma de développement communal ou pluricommunal ou se baser sur les propositions de centralités déterminées par la Région wallonne qui a déjà prémâché le travail des communes. Trois types de centralités ont été déterminés. Ces centralités sont consultables dans le cadre de l’enquête publique. « Les communes ont reçu de la part de la Région wallonne un atlas qui cartographie les centralités (sdt.wallonie.be), explique Yves Hanin, directeur du Centre de recherche en aménagement du territoire (CREAT). Ces dernières ont été déterminées selon la proximité des commerces, l’accès aux transports en commun et la concentration en logement. »

Pourra-t-on construire plus facilement dans les centralités ?

C’est en tout cas le but. « L’idée est que 75 % du développement résidentiel se concentre dans les centralités d’ici 2050. L’élaboration de schémas de développement communal va permettre aux communes de déterminer les zones qu’elles souhaitent préserver et densifier », précise Yves Hanin.

En dehors des centralités, les constructions seront interdites ? Ce n’est pas aussi simple. « Ce ne sera pas noir ou blanc, lance Yves Hanin. Il y aura une graduation de la densification.

C’est comme si on ajoutait une précision au plan de secteur. Les terrains qui sont en zone à bâtir resteront constructibles jusqu’en 2050. Après, ce sera fini. Mais il est évident qu’il sera bien plus difficile de construire des immeubles à appartements en dehors des centralités. L’idée est vraiment de freiner cet étalement urbain. Il faut confirmer les tendances qui se dégagent actuellement et donner les clés aux communes pour y parvenir. »

Cinq ans pour déterminer ses centralités, ce n’est pas trop court ?

Ce laps de temps débutera quand le SDT entrera en vigueur. « Il n’est pas certain que ce soit sous ce gouvernement. Précisons qu’il s’agit de cinq années avant d’être soumis au périmètre de la Région wallonne. Si l’élaboration d’un schéma communal dure 5 ans et demi, une commune ne sera soumise que six mois à la centralité de la Région. »

Reprendre la main sur les implantations commerciales

C’est une petite révolution en matière d’implantation commerciale que l’on retrouve désormais dans le CoDT. On le sait, il y a beaucoup trop d’espaces commerciaux en Wallonie. Ce qui est notamment démontré par le nombre de cellules vides. L’idée est dorénavant de rapatrier la règlementation des implantations commerciales vers celle de l’urbanisme et du permis d’environnement, en créant un régime particulier tant de planification que d’autorisation. Une commune pourra statuer sur une demande de permis allant jusqu’à 2 500 m2 si elle est située dans son périmètre de centralité. Les communes voisines seront consultées pour tout projet de plus de 1 000 m2. « C’est une très bonne chose car le décret de 2015 n’avait pas rempli ses objectifs de régulation des implantations commerciales, relève Fabrice Evrard. L’objectif est de favoriser l’implantation des petits commerces dans les centres. Avec cette nouvelle procédure, il y aura davantage de cohérence. »

Des charges d’urbanisme en quête de cohérence

Si les charges d’urbanisme ont pour but de « compenser l’impact négatif que le projet fait peser sur la collectivité au niveau communal dans le respect du principe de proportionnalité », les abus sont monnaie courante. Jusqu’à présent, il était possible qu’une commune demande à un promoteur de construire un rond-point, des logements, une école ou une piste cyclable comme charges d’urbanisme. Avec la réforme du CoDT, elle pourra également proposer à un promoteur de payer un montant équivalent à la charge demandée (charges en numéraire).

« Avec ces nouvelles charges d’urbanisme, on va donner l’impression qu’il est possible d’acheter son permis, lançait ce promoteur immobilier lors d’une conférence sur le sujet donnée par HSP. Ce n’est pas une bonne piste. » Ajoutons que pour les projets de plus de 30 logements, 40 % de la charge sera affectée à la création de logement public. « Avec cette réforme du CoDT, que l’on peut qualifier d’intéressante, tous les éléments sont sur la table pour aller vers un mieux, lance Fabrice Evrard. Il faudra maintenant voir comment toutes ces mesures vont se traduire sur le terrain. »

Gilles Delacroix, juriste, fondateur D-Sight Propos recueillis par X. A.

Sur le plan de l’optimisation spatiale, en quoi cette réforme du SDT est vraiment novatrice ? L’objectif d’enrayer l’artificialisation du territoire n’est pas neuf. La précédente réforme du SDT, qui n’a pas abouti, l’évoquait déjà. Mais si une trajectoire était donnée, aucun outil ne permettait sa mise en œuvre. Il y a désormais un mode d’emploi clair pour déterminer ce qu’on peut réaliser dans les centralités. Il y a une marche en avant qui est évidente. Il y aura encore des modifications à l’avenir. Mais l’idée de diminuer les constructions hors des centralités est bien présente.

Vous êtes donc optimiste…

Nous ne sommes plus sur des effets d’annonce mais sur des éléments plus concrets. En parallèle, les promoteurs immobiliers intègrent l’idée de ne plus urbaniser de vastes terrains vierges. Ces nouveaux principes d’urbanisme devraient donc percoler sur le terrain.

En matière de réduction de l’étalement urbain, pourquoi ce qui n’a pas fonctionné ces dernières années fonctionnerait aujourd’hui avec ces nouveaux textes ?

Il y avait bien auparavant l’idée de renforcer les centralités mais elles n’étaient pas définies. La CPDT a réalisé un travail énorme en amont. Ils ont défini des périmètres en tenant compte d’une série de critères comme la densité, les services de base, les équipements, les possibilités de transports en commun, etc. Les communes peuvent choisir si elles souhaitent prendre en compte cette aide ou si elles désirent repartir de zéro.

Qu’adviendra-t-il si les communes ne déterminent pas leurs centralités ?

Pour aller plus loin

Le Schéma du développement du territoire (SDT) est à l’enquête publique du 30 mai au 14 juin. Retrouvez toutes les informations en page 20.

Les centralités seront imposées par la Région. Elles ont donc tout intérêt à les définir par elles-mêmes.

Les terrains qui ne sont pas situés dans le périmètre subiront des moins-values. Les responsables communaux peuvent donc s’attendre à d’importantes pressions…

En effet, c’est inévitable. Il y en aura. D’autant qu’aucun mécanisme d’indemnisation n’est prévu car il n’y a pas de modification au plan de secteur. Un mètre carré situé dans les centralités vaudra en tout cas bien plus par effet du marché.

Un pont perdu au milieu des champs

Un pont construit au milieu de nulle part. L’édifice, installé à quelques centaines de mètres de la E411, est planté là, au milieu des champs. Il devait être un maillon du contournement de Perwez. Sauf que le projet a été abandonné par le Gouvernement wallon en 2019, qui estimait que la construction d’une route au milieu des champs permettant l’extension d’un parc d’activités économiques n’était plus une priorité. Il ne reste alors plus que cet ensemble de béton. La commune est actuellement en train de réfléchir à son affectation future. Un mur d’escalade, un centre d’art contemporain ou encore une rampe de skateboard ont été évoqués par des citoyens. Une démolition est suggérée par d’autres. Mais rien n’est arrêté. En attendant, la facture s’élèverait à près de 5 millions d’euros et les responsabilités sont diluées entre la Wallonie, les autorités communales et de in BW.

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