Vénus

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VĂŠnus.


Sommaire The odd

François- Xavier Morseau

3

Vénus

Nicolas Fiévet

5

L’épopée de Gilgamesh

Aurélien Clause

8

IX

Hugo Chague

11

Hymne à Aphrodite

Aurore Guillemette et Aurélien Clause

12

V.

Paul Todorov et Antoine Jarrige

14

A crack in the mirror

François- Xavier Morseau

25

Vénus Anadyomène

Nevak Byron

28

Les chants d’Innana et Dumuzi

Aurélien Clause

29

La Vénus de carlingue

Matthieu Lanusse

32

Vénus

Manon Baelen

33

Ode à Anactoria

Aurore Guillemette et Aurélien Clause

34


The odd

Franรงois Xavier Morseau


Whimsy ditzy boy Fuzzy beingness Charming, clumsy A lesson in distress Shiny teeth and claws Ready to depart Fragile, too smart Abiding with life Now toss a coin in the air and trade your hope and scares Greenish peacock's eyes Gilded roundish flames So bright, so still Gleaming in the night Seething creatures Moist and sparkly mood Never let off The sudden burst of tears Now toss a coin in the air and hear the angels' choir

Fiery promise Smirking deceiver Praise thee, praise thee! How could it not be so? Marbled memories Withering blossoms Praise thee, praise thee! The everlasting pain


Vénus Nicolas Fiévet


Nicolas Fiévet Veilleur dans un vallon, le pied noyé de vignes, Je chassais dans les fleurs sur les rives de Troie. L’orbe des oliviers auréolait ma proie D’une ombre : « Rabatteur, pénètre bien mes signes ! Mais veille à éviter mon sentier floribond ! » J’aurais dû, sans délai, la fuir comme un voleur. Je ne vois plus le lieu mais me souviens de l’heure, L’heure où le voyageur devient un vagabond. Hélios agonisait, ensanglantant le ciel D’un jet incandescent sur la voûte lactée ; L’envie me dévorait, et je me délectais D’un désir vénérien qui me brûlait les ailes. Porté par la jeunesse et mon œil indécent, Qui a depuis longtemps perdu toute innocence, Je l’ai vue. Et ma vie s’est vidée de son sens, Et mon corps de son âme et mon cœur de son sang. Elle était là, couchée sur la grève d’écume ; Comment apprivoiser cette sirène avide ? Désirée ! Ta patrie est ta coquille vide, Mais combien ont déjà pour toi sali leur plume ? Combien se sont perdus, combien se sont noyés Pour la perle nacrée de ton huître épineuse ? Quelle mère es-tu donc, Pandora vénéneuse Car tu nourris au sein l’enfant qui m’a tué. Je te maudis, Vénus ! … mais t’ai donné la pomme Pour lever un autel sur le mont à ton nom ; Pour préférer Minerve ou épouser Junon Il fallait être dieu, et je n’étais qu’un homme. J’erre devers Ida, et la vie me dévore, Et la souffrance est douce à qui souffre pour toi, La porte d’Astarté mène au tombeau des rois, Mais je te vénérais et te vénère encore.


Ils vinrent un hiver te ravir à mes yeux, Tenter de te couvrir de leurs mâles atours, Sous leurs habits serrés leurs serres de vautour Te peignaient un portrait de mère et d’amour pieux ; Je t’ai quêtée sans fin, j’ai brisé des miroirs De honte. Où est la clef des sombres épistrophes, Où est ton corps caché sous les chastes étoffes, Et ta coupe perdue où me plaira de boire ? Et du fond de la crypte échoue la mélopée Des fidèles unis pour chanter ta louange ; Les voix s’enfuient des corps et les corps se mélangent Et célèbrent, rougis, les noces de Poppée. Sous le toit en ogive et les épithalames Des fantômes masqués qui ânonnent ton rite, Je sais que tu n’es plus, que tu as pris la fuite, Mais que tu livreras celle qui tient ma flamme Fort de tous les tourments qu’elle m’a infligés, Je me relèverai de mes cendres noircies, Je lui dirai les mots, les serments qui gracient, Lui ferai regretter de m’avoir affligé Loin des feux de la mer vers ceux de ma rancœur, Où l’horizon attend l’étoile du berger ; Je l’abandonnerai à son sort naufragé, Et de mon pied ailé lui briserai le cœur. Puis je retrouverai les vagues sous le vent, Aviné du ressac, enivré par la brise, Je ravirai sa vie, j’avalerai sa sève Sous le verre ténu d’un rêve évanescent. Parfois je pense à elle et je revois Venise, Et la venue de ma Vénus en tenue d’Eve.


L’Epopée de Gilgamesh, Livre I, pp. 79-82. Aurélien Clause

Shamhat défait sa robe et s’en va s’allonger Tout près, humide et nue, les jambes écartées. Enkidu hume l’air, il observe son corps, Approche peu à peu Shamhat qui se caresse, Elle frôle sa cuisse – elle étreint son pénis, Elle use de son art et lui coupe le souffle, Déjà il ne voit plus que ses hanches offertes, Son bassin qui ondule et sa bouche entr’ouverte – Il lui donne son souffle, écorché de baisers, Et Shamhat lui apprend ce que c’est qu’une femme. Lui reste en érection pour six jours et sept nuits, Et ils refont l’amour sans répit. À la fin, Rassasié de Shamhat, il se lève et s’étire, Puis revient au ruisseau pour retrouver sa harde ; Mais les gazelles fuient et les cerfs se dérobent À son approche. Il veut s’élancer derrière eux, Mais son corps est sans force et ses jambes sont lourdes, Il ne peut plus courir avec ses animaux, Il gémit et s’arrête – Enkidu a changé, Il n’est plus comme avant, il ne peut galoper Ni sillonner la steppe avec les antilopes.


Revenant vers Shamhat, il prend alors conscience Que de quelque façon son esprit a grandi : Nulle bête ne sait ce qu’il sait à présent. Il s’allonge près d’elle et l’observe parler, Comprenant tous les mots que prononce Shamhat : « Dorénavant, tu sais tout ce que signifie S’unir à une femme. Enkidu, tu es beau, Tu es beau comme un dieu. Pourquoi vagabonder À travers le désert ? Pourquoi donc vivre en bête ? Laisse-moi te guider jusqu’aux grands murs d’Uruk, Jusqu’au temple d’Ishtar, jusqu’au roi Gilgamesh Qui oppresse son peuple avec son arrogance Et foule aux pieds les siens comme un buffle enragé. » Il comprend tous ces mots et acquiesce en silence, Car au fond de son coeur un désir vient de naître, Un désir qu’il n’avait jamais connu avant – Trouver un véritable ami. « Partons, Shamhat, Prends ma main, guide-moi jusqu’aux grands murs d’Uruk, Jusqu’au temple d’Ishtar, jusqu’au roi Gilgamesh. Je le défierai et lui crierai au visage : C’est moi le plus puissant ! Je suis celui qui peut Ébranler l’univers ! Le monde m’appartient ! »


« Viens », dit Shamhat, « allons tous les deux à Uruk. Tu seras bientôt face au divin Gilgamesh ; Tu verras la cité et ses murs gigantesques, Tu verras la jeunesse habillée de splendeur, Du lin le plus sublime et de laine brodée, De châles chamarrés, de ceintures d’écharpes – Chaque jour est, vois-tu, jour de fête à Uruk, Et chacun chante et danse au beau milieu des rues, Le tambourin résonne et la lyre bourdonne, Se mêle au rire clair des prêtresses du temple Rayonnantes de joie, vibrantes de désir, Prêtes à accueillir en elles les fidèles Pour la gloire d’Ishtar : elles font se lever De leur lit les vieillards. Toi, tu n’es qu’un enfant Ignorant de la vie. Moi, je te montrerai Le divin Gilgamesh, cet invincible roi, Imperturbable et dur. Tu seras face à lui, Tu t’émerveilleras de sa beauté terrible. […] »


IX Hugo Chague Un morceau de nacre façonné par ses rêves. Un voyage pourpre au goût d’oubli. Cette démesure irritant l’irraison. Ma charmante, ma vibrante, ma battante, Mon émoi, Ma rose de marbre et d’effroi, Ce que le réel a de folie, Je te le dois.


Hymne à Aphrodite Aurore Guillemette & Aurélien Clause

Traduction de Sapphô de Lesbos


Immortelle Aphrodite, Ô toi, fille de Zeus, Toi qui sièges sur un trône aux mille couleurs, Et tisses de tes mains les ruses de l’amour, Je t’implore à genoux : n’accable pas mon âme Du joug de l’angoisse et des peurs, Ô Vénérable. Réponds à ma prière et viens, comme jadis, Lorsque tu descendis du séjour de ton Père Aux rênes d'un char d'or ; de charmants passereaux Te firent traverser l’éther depuis l’Olympe, Virevoltant autour de la Terre assombrie Aux souples battements de leurs ailes légères. Déesse, à ta venue, tes lèvres immortelles M’offrirent un sourire ; alors, tu demandas : « Ma Sapphô, quels chagrins habitent dans ton cœur, Et quels sont ces désirs qu’il caresse en secret ? Qui ton âme veut-elle enchaîner à l’amour ? Qui te blesse et te fait souffrir, Ô ma Sapphô ? La femme qui te fuit te poursuivra bientôt, Elle te comblera des dons qu’elle refuse Aujourd’hui ; celle qui ne t’aime pas encore Finira par t’aimer, malgré toi, malgré elle ! » À présent viens à moi, Ô déesse, et délivre Mon cœur de ses tourments ; exauce ses désirs, Dans cette lutte sois toi-même mon alliée !


V. Paul Todorov & Antoine Jarrige


C’était un bar de Toulon, maussade. La salle était grise, mais propre, rien à redire. Le jour perçait à travers le carreau dépoli ; mais on ne venait pas ici pour le jour. On n’y venait pas pour l’ambiance non plus : on n’entendait rien, si ce n’est le patron qui s’échinait à passer la serpillère sur le carrelage brunâtre. Là, c’était bien propre. Ce n’était pas un bar pour crados, ici ; pas un bar pour castagneurs, rascasses, loustics à gros bras et faiseurs de problèmes. C’était un bar honnête. Un bistrot semblable à mille autres troquets de province, avec son zinc lisse et ses bouteilles qui s’empoussiéraient, mais garni de marins, les soirs de grandes marées. En fait de marins, il y avait surtout un naufragé, à la petite table du fond, celle en mica fêlé, où on ne vient pas vous embêter. On l’embêtait pas, le type. Il vidait sa bière, pas causant pour un sou. N’allez pas croire que c’était un de ces gars paumés, mi clochards, mi chômeurs, qui sauraient pas écrire leur nom ; non, c’était un gars de la haute, celui-là, un élégant. Un poème, que c’était à voir. Foulard en soie mauve, comme personne n’en porte plus, veste en tweed, rasé de près. Mais c’était un naufragé – ça se voyait à ses yeux. Un regard de méduse échouée, qu’il avait. Triste comme à l’enterrement de sa mère. Et il n’avait pas encore vidé un demi Picon-bière.

C’était Jianicolo, le Professeur. Personne ne savait ce qu’il enseignait, le Professeur, ni où. Tout ce qu’on pouvait dire, c’est qu’il faisait bien marmot, et qu’il ne devait plus enseigner beaucoup, vu le temps qu’il passait à éponger des cognacs. Où qu’il aille, on le voyait promener un livre ; mais on ne l’avait jamais vu l’ouvrir. Du bois crissa, et un mastard en cuir entra. - Encore là, toi ? maugréa-t-il, à la vue du Professeur.

- Ah, Barringer. Délectable. - Le pastis ? - Non : ta grosse présence nauséabonde. Mais je t’en prie, je t’en prie, assieds-toi. Barringer s’est assis. Il ne voulait rien boire. Il aurait voulu se barrer, s’épargner la détestable compagnie de Jianicolo, ses péroraisons. Ils n’avaient rien à se dire – ou pire : ils avaient trop. - Ça marche, le boulot ? dit Jianicolo. - Ça marche. Et toi ? - Je n’ai pas à me plaindre.


Un silence. - Et tu vas bien depuis… - Depuis… ? - Oui enfin, depuis… - Ouais, je vais bien. Sur ce fort propos, Barringer se gargarisa d’une bière. On n’entendit plus que ça. Puis il se sentit forcé de reprendre la conversation. - Et toi, t’es revenu à Paris depuis… ? - Bien forcé. - Oh pardon, monsieur le Professeur. Les mots leur pendaient au nez ; mais ils ne venaient pas, les mots, c’était bien le souci. Ils viennent rarement, faut dire. - Et tu l’as revue depuis… lancina Jianicolo. - Non.

- Pourtant tu passais souvent… - J’évite. - Ah. Tu évites. Et tu ne te fais pas l’effet d’un lâche, des fois ? - Alors ça ! C’est la meilleure. Le lâche ! S’entendre dire ça, de toi ! - Ce n’est pas moi qui aie quitté Milan à la minute de son approche… - C’est pas moi qui aie plaqué ma Cellule pour la rejoindre à Vienne, dès qu’elle a soufflé le putain de désidérata de te voir t’y pointer. - Franchement, ne me parle pas de Cellule et de Révolution, vieux blagueur. Tu n’y crois pas plus que moi. - C’est notre seule foi qui sous-tend la potentialité de la Révolution, proclama Barringer en évitant presque de se marrer. - Putain, un prophète maintenant. T’es complétement barré. Bar’ le barré. - Jian’ le pédé.

- Ça … sonne mal. Et puis, c’est calomnie. Jianicolo recadra sa mèche d’artiste, qui partait en avant sous le coup de l’émotion. Il reprit :


- Ça n’a plus d’importance, j’imagine. Elle est plus là. On a joué, chacun notre tour ; on a perdu. Alors maintenant… on peut causer. - Pas envie, dit Barringer. Et il se mit à gratter avec insistance le pied de son verre. Très consciemment, Jianicolo admirait Barringer. Il l'admirait pour ses épaules carrées, son menton rêche, ses mots cassants et son imblairable sincérité – et surtout il l'admirait parce qu'il avait possédé V., qualité invisible mais atrocement tangible, suffocante, qui viciait l'air de la petite pièce jusqu'à l’irrespirable. Oh, il y avait bien une fois, la seule, où il l’avait eue. Un foutu souvenir, du genre tison ardent, qui lui revenait à chaque accalmie de l'esprit ; dans le métro, dans les bistros, dans les marasmes – C'était au sommet d'une crête venteuse et semée d'herbes rêches, près d’une petite plage froide. Le soleil d’octobre était chiche et tombait dans l’eau. Ça faisait des soubresauts de mauve à l'horizon. Ils s'étaient assis là, par hasard, parce qu'elle était fatiguée, dixit. Le cœur de Jianicolo sonnait un putain de tocsin – il craignait qu’elle finisse par l’entendre. - Ça te gêne ? dit-elle, sortant un paquet de clopes. - Non, non. Elle gratouilla son briquet. - T’en veux une ? - Ça fait une éternité que j'ai pas fumé. - Vraiment ? - On ne m'en offre plus. Je fais trop propre. - Alors ? dit-elle, tendant le minuscule cylindre à fumerolles. - Je prends. Le vent balayait son visage et chassait la fumée. L'œil verdâtre de V. le scrutait de côté, ironique, moqueur. Le sourire de la langouste. Jianicolo inspira virilement, le regard dans le lointain, et exhala par le nez un joli jet de fumée. Puis il se mit à tousser. - Voilà, on veut faire genre et on s’asphyxie comme un con, s'étrangla-t-il, sentant la larme poindre à l'œil. En plus, tu parles d'un genre, avec toi... Autant marcher sur une punaise pour impressionner un fakir.


- Moi, je trouve ça mignon comme tout. Contre la petite plage froide, il l’avait prise. Barringer lui aussi s’était mis à divaguer. Et comme la mer rejette sur la plage toujours les mêmes bouteilles, ainsi les remous de son âme lui rapportaient les mêmes pensées – toujours en surface ; descendaient-elles jamais au fond ? Elle sentait apocalyptiquement le cul. Vénus martienne ; à l’intérieur, on devinait la fillette de huit ans, manette en main. On peut rester innocente malgré l’expérience. Toujours, elle avait le même étonnement jeune, la crinière libérée qui bouffait les embruns, et cet abandon dingue qui te donnait l’impression de dépuceler une collégienne. Ça avait probablement été le cas un jour. D’ailleurs, ça n’était pas étranger à ses problèmes, la néréide. V. était de ces petites filles devenues trop belles trop jeunes pour ne pas en tourner marteau, le mucus cérébral dévoré par des névroses induites, parfois volontairement, par des mâles entreprenants et lâches. Pourtant, le jour, quand la vie tenait plus du regard que de la cambrure folle du dos, V. névrosée n’avait rien d’un enfant ni d’un jouet. Elle avait le poumon souple et superbe d’alvéoles, cette capacité à plonger dans le Styx en te serrant par la taille, dont il ne sortait jamais rien de bon. Plusieurs fois, Barringer avait félicité son scaphandre réflexe ; elle avait déjà fait boire la tasse à de plus gros poissons, parmi lesquels certains arboraient fièrement l’aileron du prédateur océanique. Les paradoxes piquaient rose – non pas d’un rose crevette : les crustacés ne saignent pas – dès que l’on posait la main sur sa peau blanche, suave comme sur un matelas. La petite n’accordait d’importance à rien et ne se peignait le visage que lorsqu’elle s’ennuyait. Ni main à plume, ni main à charrue, elle aurait vécu sa condition bourgeoise constitutive avec la plus grande banalité, n’eût été le droïde infantile intérieur, le petit être vert qui n’avait pas huit ans, une tête gigantesque, qui donnait au mouvement de son corps un balancement chaperon rouge souriant, chaloupé, qui éteignait alentour la tempête atmosphérique. Son bateau brûlait, elle avançait à la rame ; et ça n’était qu’une petite fille de vingtcinq ans. Barringer avait déjà vu des orages sur lesquels les gens ne se retournaient pas. Il faut dire que, dans le désordre dont elle s’entourait, il était difficile de trancher : souffrait-elle de ce naufrage, ou bien était-elle l’œil foudroyant du cyclone ? Et ce faux


abandon névralgique cachait-il une deuxième colonne vertébrale – qui, elle, jamais ne courbait, ni ne courberait ? Tout à coup Barringer se secoua, s’ébroua comme le cheval qui fait péter son joug – assez ! À défaut de mieux, pour se réveiller, il gueula contre Jianicolo : - Tu es vraiment con, Jian ! Révolution ou non, tu as plaqué ton boulot, tes potes et tutti quanti. Plus personne te fera jamais confiance. - Plaqué, plaqué… je suis parti précipitamment. Je reprends mon poste à l’université quand ça me chante. - Alors qu’est-ce que tu fous ici ? - J’attends que les choses se tassent. Le patron beugla pour savoir si on voulait un verre de plus. Jianicolo stridula qu’il voulait un chianti. - Je sais pourquoi tu planques ici, dit Barringer. - Ah ? - Tu ne veux pas la croiser. - Intéressante théorie. Mais dis-moi : toi, tu n’as pas mis les pieds à Paris, depuis deux mois ? - Je n’ai plus une thune. Et j’ai à faire avec la cellule, ici. Ils sont désorganisés, démotivés, dépités. Des trouffions. Je les requinque. Ils me paient la pinte. - Ah – alors tu persévères dans les délires de notre V. chérie ? Au moins, c’est vrai, ça te donne le sentiment d’une continuité, d’une logique. Comme si toutes ces lubies anticapitalistes, ces virées semi-terroristes avaient le moindre sens. Tu as déjà flingué une année comme ça. Flingue pas ta vie ! - J’aime pas laisser le travail à moitié fait. - Alors reprends tes études. Barringer grogna sourdement. - Ce qui est marrant dans cette histoire, dit lentement Jianicolo, c'est de se dire qu'aucun de nous deux ne l'a jamais possédée...

- Parle pour toi. Je l'ai eue, moi. - Oui, et elle t'a glissé entre les doigts comme une anguille... Personne ne l'a jamais possédée. Libre comme l'air.


- Y a des mots pour ça, gronda Barringer, et il songea salope, mais il se sentait tout doux, tout con, comme un taureau sous narcotiques, et ça ne voulait plus sortir. C’était comme un blasphème. Ça ne blessait personne, sauf celui qui le prononce. - Allez, s’exclama Jianicolo, laisse-moi t'offrir le prochain ! - Combien de temps qu'on va rester à glander comme des cons ? dit Barringer. Mais il accepta la tournée, et Jianicolo agita la main d'un geste abstrait. Marinha, la serveuse portugaise, qu'est si grande et qu'en fiche pas une, vint avec une lenteur voluptueuse ramasser les verres vides. Puis elle repartit, ondulant du cul comme une sirène indolente, la grande jument, et Jianicolo ne la lâchait pas des yeux. Barringer lui aussi fixait passionnément cette silhouette fossoyante, à la croupe ferme et aux hanches étroites. C'est fou ce que les affections perdues, ça vous donne des envies de chair. - Je lis Kierkegaard, dit Barringer, sans rapport avec ce qui précède. - Ah ! Comme si tu t’étais jamais intéressé à la philo. - Tu t’es bien intéressé à la révolution, toi. - Je me serais intéressé à la couture et la broderie, si elle avait été plus bourgeoise, la jolie. - Un an, vieux, un an, cracha Barringer. Un an. Il avait thésaurisé avec peu d’ambition ses colères et ses haines contre V. Si bien que, lorsqu’elle avait commencé à lui manquer, il s’était trouvé fort dépourvu. Ça expliquait sans doute pourquoi aucune femme n’avait pu prendre la place laissée vacante. Il y avait bien eu S. la petite rencontrée à Bordeaux, lors de la conférence de Luis Caffarelli.

Elle, S., était belle comme un bambou. Très brune, marron du regard, aigle royal déchu, faucon noir à plumes sombres et dorées, œil animal rieur. Elle n’était pas aussi fine que V. mais elle avait des lèvres charnues qui allaient bien avec ses seins, et, sur ce point, rien à envier à V. La peau bronzée sur ses hanches lui faisait penser à une guimauve en marbre. Ça avait duré aussi longtemps que peut durer une histoire sans début et sans fin. S. rendait les heures lentes et les semaines rapides. V. rendait les heures brèves et les semaines lentes. Tout était dit. Barringer avala un autre verre. Il fit signe à la serveuse qu’il était temps de passer au whisky. Jianicolo se pinça les paupières :


- J’ai mal à la tronche. - Tu veux que je te dise ? Les problèmes de cœur sont des problèmes de décor. - T’es un putain d’artiste, Barri. M’étonne pas que la grognasse t’ait préféré. - Nan, je suis sérieux. Tous ces tracas pseudo-anxiogènes, ils sont là pour décorer. Ca fait joli ; en vérité, ça n’est rien. - Ah ? Regarde-nous, t’es sûr de toi ? - Oui, justement ! Je nous regarde, et c’est un problème de décor. Ça dépend farouchement de ce qu’il y a autour. Si t’as une vie de merde, et sans vouloir te vexer, ça m’a tout l’air d’être le cas, alors tu vas t’appesantir sur la première peine de cœur venue, car c’est confortable et que t’as pas les armes. Si tu glandais moins, si on glandait moins, on aurait tourné la page depuis longtemps. - Bravo, Herr Barringer, c’est bien beau de me donner du professeur ; tu vaux pas mieux. Et qu’est-ce que tu voudrais que je fasse, à part glander ? - Eh bien, figure-toi, mon bon Jian’, que je bosse. Je conduis des camions. Ça t’en bouche un coin, hein ? Hériard Poissonnier, que ça s’appelle, précisa-t-il. Et tu verrais la pucelle qui coordonne le tout, quand on arrive à l’entrepôt… ça, c’est queq’chose. Et qu’elle t’engueule, mon vieux ! Comme du poisson pourri. Et puis si tu ne décharges pas là où y faut, elle te collerait bien des baffes. - Mais d’où tu les sors, ces foutus inférences de virginité, à ta morue ? - Bah, y a qu’à voir. Un homme, ça sent ces choses-là – ou alors, c’est une brute. Bref, ce que j’en disais, c’est que je lui ferais bien son éducation ; oh, pas pour moi, pour le bien public tu penses bien, mais je garderais un œil vigilant sur elle et les gougeons qui se pointeraient… - Tu veux devenir maquereau ? s’exclama Jian. - Mais non, couillon ! C’est de l’art ! Barringer absorba encore une gorgée. Il aurait voulu sortir en courant. Tout ça était malsain. Et qu’est-ce qu’on foutait au juste, empêtrés dans nos rêves pitoyables, nos souvenirs déglingués ? Il fallait vivre. Aller de l’avant. Vivre quoi ! Mais on n’y arrivait pas – c’était le marasme.

- C’est drôle comme je t’ai détesté, dit Jian, tout pensivement - Ah ouais ? dit Barringer, avec une vague nuance d’intérêt.


« Tu veux devenir maquereau ? - Mais non, couillon ! C’est de l’art ! »

- Eh ouais. Tu cassais mes couilles très solides avec tes balbutiements pathétiques. L’idée, la seule vraie idée, c’était la haine à trois, la jalousie secrète, larvée en néoténie incarnée vivante. Tout entre V., toi et moi, était marqué du sceau de la luxure. Le pire, c’était quand tu te lamentais sur ton sort ou sur ta queue. Pour un problème dramatiquement simple à résoudre : il faut avoir le look du jouisseur et la bienveillance du lépreux. Toi, c’était tout l’inverse. Et roulant de l’œil, il pensa encore : Dieu, je me suis senti odieux de mon absence de sentiment ; l’aspect du jeu, alors qu’on traitait de problèmes existentiels, ou de cœur, enfin pareil. Étais-je un monstre ? Était-ce un Monopoly anti-virtuel ? Étais-je par-delà l’amour et les liens humains de souffrance ? À quelle source puisait mon anticompassion ? La négation de l’enjeu-affectif-définitif-douloureux : tout cela était éphémère et jeu. Rien ici-bas n’imitait le leurre olympien. Tout était farce et cirque. J’ai vomi intérieurement sur chacun de tes écueils narcissiques. Les reflux gastriques m’ont dévoré le tube vocal. Tes qualités ont été bouffées par tes défauts. Mais pour ça, les mots ne voulaient plus sortir. - Tu crois que toi, tu m’as jamais tapé sur la bicoque, Jian ? En vérité, tu m'emmerdais avec une constance remarquable, toi aussi. - Et comment ?


- Elle n'arrêtait pas de parler de toi - par petites touches, de loin en loin, au p'tit déj’, en voiture, au lit - au lit, enflure ! - innocemment, comme la piqûre du moustique sur la fesse gauche, constante, bouffante, pour ne rien dire en plus, la greluche... Oh Jianicolo est si sensible, si gentil, si nougat-cucul-d'amour... Ma constante d'emmerdement dans l'équation de ma vie, voilà ce que t'étais, là. Jianicolo voulut protester qu'il n'était pas nougat-cucul-d'amour, mais il se tut face à un tel aveu. V. pensait à lui. À lui. Elle y avait pensé ! Cela lui fit un petit coup de chaud au cœur ; puis il s’enfonça dans une torpeur méchante. Comme si elle avait pu penser à lui autant que lui à elle. Il avait commencé par la désirer, puis à l'aimer, et là ç’avait viré à l’insupportable, il ne pouvait plus la sortir de sa tête. Il lui trouvait des défauts, un œil un peu biais, un nez un peu bosselé, mais non, rien n'y faisait, elle demeurait au fond de son crâne – et l’œil, et le nez le narguaient, tout-puissants et bien aimés. Elle, pas conne, se rendait bien compte de cette fascination, mais n'en connaissant pas la profondeur s'était amusée à la sonder – puis ayant heurté le fond, était vite remontée, un peu effarée. Ça manquait d'oxygène, làdessous. En Barringer elle avait trouvé l'artiste raté qu'elle avait cru déceler en Jianicolo. Tout s'expliquait en actions-réactions. Les deux zigues avaient plus d’un verre dans le nez. Ils ne tenaient plus vraiment droit, mais se balançaient d’avant en arrière, pour appuyer leurs propos, ou mieux fermer leur gueule. Le soleil tomba en catastrophe, et se cassa la gueule dans la rade de Toulon ; après quelques rougeoiements futiles, il fit bien sombre dans la pièce. Une ampoule électrique se mit à grésiller. Oui, elle s’est bien fichue de ma trogne, songeait encore Jianicolo, jusqu’au climax ; mais je m’en fiche, j’ai eu mon extase ; est-ce qu’on peut demander plus ? Faut être un homme, quoi, et encaisser les coups. - Puis elle m'a dit "casse-toi", dit Jian, suivant tout seul sa pensée. Depuis je suis comme une carcasse faisandée au bord de la route, qui attend qu'on la becte et la bouffe. - Les oiseaux du ciel mangent bien les miettes qui tombent au sol. Barringer cogna durement son verre. Il flottait sur la table l'ombre exaspérée de V. Peut-être qu'elle en avait marre, elle, objet plus que sujet de toutes leurs pensées et discussions, d'être traitée comme une idole païenne, tenue de la fermer tandis qu'on divaguait dans les volutes d'encens. D’un autre côté, qu’est-ce que la lui faisait ? Elle


s'était toujours plus occupée du genre humain que des hommes (c'était plus facile) et n'avait jamais accordé trop d'importance ni de crédit aux sentiments d'un individu X, sachant le tout soluble dans la masse des souffrances de l'humanité. En d’autres termes, elle s’en foutait. Et puis, c’était facile pour Bari : on disait oppression des masses quand on pensait à ses seins, et puis soulèvement populaire plutôt que de soulever sa jupe, et attentat à la bombe au lieu de… - En somme, c'était la belle vie, dit Jian, qui très étrangement pensait à la même chose. On parlait d'insurrections, de caches d'arme et d'agitateurs. Ça nous fouettait le sang. On voyait V. Toute la sainte journée ; on l'écoutait nous engueuler comme du poisson pourri, nous parler de l'oppression du tiers monde et de la fidélité à la cause, et puis nous demander du chocolat. C'était à vous filer des idées pas nettes. - Et pas mal d'insomnies. - C’est vrai quoi, criait Jianicolo, t’as raison, faire l'amour ou la révolution, c'est la même chose : ça nous agite, nous excite, et nous évite de penser au grand vide de notre vie. Foutue vacuité. Y a en notre âme comme un grand trou, et au bord une pancarte avec écrit dessus : défense de se pencher. - Vas-tu la fermer, ta grande gueule ? - Tu vois, le cœur est un muscle creux ; il palpite à tout va, mais ça n'est jamais que du vide à l'intérieur, du vent, une idée gonflée à nous péter les veines. C'est le trait décisif du cœur : sa vacuité. N'importe quoi le remplit. - Si seulement on pouvait caler un estomac à la place… maugréa Barringer. Ce serait plus propre. Il disait « propre » pour « logique ». On sentait le matheux sous la gangue puante du poivrot de Toulon. *** On ne les vit se barrer que tard dans la nuit, bras-dessus bras-dessous, titubants mais pas bien méchants. Derrière le comptoir, Didi le patron polissait les verres. Il avait encore vingt minutes avant la fermeture.


A crack in the mirror Franรงois-Xavier Morseau


I. Pounds of flesh / Weightless soul \ Foul is fair and fair is foul Roundish flame / Weary fool \ Useless old tools Angst and fright / Freezing cold \ Silly idols made of gold Friday night / Acting bold \ Break out the mold Black loosefish / Carved in wood \ Drifting slowly through the mood Seagulls flight / Fearless brood \ Heaven they ruled Lost and found / Square and round \ Order surrounding chaos Flipping coin / Rolling dice \ No gain, no loss Shouting nurse / Pretty dress \ For a cute boy, you're a mess Fill the void / Silver light \ Far much too bright Full of guilt / Severed hands \ Buried deep in Venus' sands Semen spilt / Seven strands \ Think through, make amend Heaven born / Out of cards \ All wound up, feathered and tarred Souring mourn / Morning star \ Our inner war II. I'm pretty sure this is a deja vu, but I don't know, I'm confused... Spiralling and colours wouldn't stop, - no! - round and round... Your gibberish language does not make sense, stop making sense... Words are nothing but lies to the purest Truth, I don't like dirt... The key to the mystery is buried deep in you, so, let's find out... I'm pretty sure this is a deja vu, but I don't know, I'm confused... Spiralling and colours wouldn't stop, - oh! - round and round... Your gibberish language does not make sense, stop making sense... Words are nothing but lies to the purest Truth, I do like dirt... The key to the mystery is buried deep in me, so, let's find out... I swear to God this is a deja vu, but is it real? I'm confused...


III.

Heaven born / Out of cards \ The road is long, the aim is far Sore and sharp / Torn apart \ Our inner war Full of guilt / Severed hands \ Buried deep in Venus' sands Semen spilt / Seven strands \ In sea, on land Screaming nurse / Headless cross \ Growing concern, fading force Filth and soil / Whitish light \ Time to rewrite Lost and found / Square and round \ Order surrounding chaos Flipping coin / Rolling dice \ No gain, no loss Blue fastfish / Dripping blood\ Sinking slowly in the pool Seagulls flight / Fearless brood \ Heaven they rule Angst and fright / Awe and might \ Silly idols made of gold Friday night / Damp and cold \ Do what you're told Pounds of flesh / Weightless soul \ Foul is fair and fair is foul Roundish flame / Weary fool \ Useless old tools


Vénus anadyomène Nevak Biron Dans les limbes d’une nuit moite, où le repos Est rare, le souffle survole, haché et chaud, Une peau flasque, que des baisers distraits meuvent, Fines gouttes d’ondée qui sur des voiles pleuvent.

L’haleine est rance et les sens émoussés, qu’importe ! Les nez se heurtent et se quittent ; blanche est la mer Qui s’affole, qui s’agite. Ouvre grand les portes : Que l’ouragan éclate en une écume amère ! Vénus anadyomène couleur de la nacre ; Brusque ressac. Convulsion – soupir qui transpire. Délectation ingrate, instant faste du sacre.

Le mal est délicieux, mais elle se retire Cette bouche lippue aux manières si crues ; La houle s’apaise et replonge dans la nue.


Les chants d’Inanna et Dumuzi Inanna chanta1 : « Alors que je dansais, radieuse, 1 : Inanna Alor quechanta moi, Inanna, je dansais, 1 : Inanna chanta «Alors Alorsque quejejedansais, dansais,radieuse, radieuse, «Alor Alors que je dansais, radieuse, moi, Inanna, je dansais, Que que je chantais de l’aube au crépuscule – Alor que moi, Inanna, je dansais, Alors je dansais, Il vintque à moi – il vint àradieuse, moi ! Alors que je dansais, radieuse, Que chantais de l’aube crépuscule – Monje beau seigneur vint à au moi, Que je chantais de l’aube au IlIl vint à moi il vint à moi ! crépuscule – me prit par– la main, Il à moi –ses il vint à moi ! Mon seigneur vint à moi, Il vint mebeau donna lèvres. Mon seigneur vint à moi, Il me beau prit par la main, IlIl me prit parses la main, donna lèvres. m’emmena dans les jardins2, IlM’étreignit me donnasous ses lèvres. les frondaisons, IlIl m’emmena me coucha dans parmiles lesjardins fruits.2, Il jardins2, M’étreignit lesles frondaisons, Il m’emmena s’allongeasous àdans mes côtés M’étreignit sous les frondaisons, Il meun coucha parmi les Sur lit recouvert de fruits. miel, me mains couchaentre les fruits. IlMes s’allongea àparmi messes côtés mains, IlSes s’allongea à mesmes côtés Sur un lit recouvert depieds, miel, pieds contre Sur lit recouvert de miel, Mes mains entre ses mains, Mesun lèvres sur ses lèvres. Mes pieds mainscontre entre mes ses mains, Ses pieds, Ses contre mes pieds, Mes lèvres sur ses lèvres. Et ilpieds chanta pour moi, Mes lèvressous sur ses lèvres. Il chanta les frondaisons,

Aurélien Clause

Et il chanta pourles moi, Il chanta parmi pommiers, Et il chanta pour moi, IlIl chanta chanta sous parmiles lesfrondaisons, figuiers, IlIl chanta sous les frondaisons, les pommiers, chanta parmi pour moi sous les saules. » Il chanta parmi les figuiers, pommiers, IlUtu chanta parmi les sous figuiers, 3 : moi pour les saules. » chanta Il« Je chanta pour moi sous les saules. » vous ai vus, Utu chanta3 : notre maison Je traversais 3 : Utu chanta «Lorsque Je vous vus, ai vus, jeaivous «JeJetraversais vous ai vus, notre maison Je traversais notre maison Lorsque je vous ai vus, Lorsque je vous ai vus,

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Jusque « Il me donna ses lèvres. » : A tigi to Inana (Dumuzid-Inana H), d’après the ETCSL project (Electronic Text Corpus of Sumerian Literature), Faculty of Oriental Studies, University of Oxford. La traduction anglaise des 1tablettes qui suivent me vient de la même source. Pour chacune d’entre elles, j’ai librement coupé, adapté et Jusque « Il me donna ses lèvres. » : A tigi to Inana (Dumuzid-Inana H), d’après the ETCSL project (Electronic ordonné les fragments selon ce qui me semblait être le plus clair et poétique. Ce poème est une construction 1 Text Corpus Sumerian Literature), ofInana Oriental Studies, University of Oxford. La traduction anglaise des Jusque « Il of me ses lèvres. » : Faculty A tigi todisparates. (Dumuzid-Inana H), d’après the ETCSL project (Electronic personnelle quidonna rassemble plusieurs chants tablettes quiofsuivent me vient de la même source. Pour Studies, chacuneUniversity d’entre elles, j’ai librement coupé,anglaise adapté et 2 Text Corpus Sumerian Literature), Faculty of Oriental of Oxford. La traduction des Jusque « Il chanta pour moi sous les saules. » : A song of Inana and Dumuzid (Dumuzid-Inana F1). ordonné les fragments selon cedequi me semblait être le plus clair d’entre et poétique. Ce poème est une construction 3 tablettes qui suivent me vient la même source. Pour chacune elles, j’ai librement coupé, adapté et Jusque « Tu as guidé ses mains sur tes hanches » : A balbale to Inana (Dumuzid-Inana D). personnelle rassemble plusieurs chants disparates. ordonné les qui fragments selon ce qui me semblait être le plus clair et poétique. Ce poème est une construction 2 Jusque « Il chanta pour moi sous leschants saules.disparates. » : A song of Inana and Dumuzid (Dumuzid-Inana F1). personnelle qui rassemble plusieurs


J’ai vu comme le roi te regardait, J’ai vu son âme s’embraser J’ai vu comme le roi te regardait, Je l’ai vu te porter J’ai vu son âme s’embraser A un lit recouvert de miel Je l’ai vu te porter Puis s’allonger à tes côtés A un lit recouvert de miel Sœur, pour prendre plaisir de toi. Puis s’allonger à tes côtés Sœur, pour prendre plaisir de toi.

Inanna chanta : chantas’allongea : «Inanna Mon amour à mes côtés « Mon s’allongea à mes côtés Il offritamour sa langue à la mienne Il offrit à la mienne Et je fissadelangue même, encore et encore, Et je fis de même, encore et encore, fois. » Sa langue, il me l’offrit cinquante Sa langue, il me l’offrit cinquante fois. »

Utu chanta : Utu chanta : « Sa langue, il te l’offrit cinquante fois « Sa langue, il te l’offrit cinquante fois Et toi, tu tufrissonnais frissonnaissous sous Et toi, luilui Sans direun unmot, mot,cinquante cinquante Sans dire foisfois Tu guidasses sesmains mainssur sur hanches. Tu guidas testes hanches. » » 11 Dumuzi chanta :: Dumuzi chanta Viens ààmoi mama sœur, ma ma bien-aimée, «« Viens moimaintenant, maintenant, sœur, bien-aimée, J’aime tes yeux, j’aime tes mots, J’aime tes yeux, j’aime tes mots, J’aime embrasser lèvres, J’aime embrassertes tes lèvres, Embrasser tes lèvres de miel. Embrasser tes lèvres de miel.

Viens à moi maintenant, ma bien-aimée, ma sœur,

Viens maintenant, J’aime àlamoi bière de ton orge, ma bien-aimée, ma sœur, J’aime la bière detes ton orge, J’aime embrasser lèvres, J’aime embrasser tes Embrasser tes lèvres delèvres, miel. » Embrasser tes lèvres de miel. »

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Jusque « Tu es si beau ! » : A balbale to Inana (Dumuzid-Inana B).

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Jusque « Tu es si beau ! » : A balbale to Inana (Dumuzid-Inana B).


Inanna Inanna chanta chanta :: «« Pour Pour toujours, toujours, mon mon amant, amant, Oui, pour toujours et Oui, pour toujours et encore encore toujours toujours Je veux que tu prêtes serment Je veux que tu prêtes serment De De n’appartenir n’appartenir qu’à qu’à moi moi seule, seule, De ne jamais toucher une De ne jamais toucher une autre, autre, Et de ne jamais embrasser Et de ne jamais embrasser Une Une autre autre bouche bouche que que la la mienne. mienne. Mon Mon amour, amour, mon mon amant, amant, Mon prince aux yeux Mon prince aux yeux profonds, profonds, Je veux que tu prêtes Je veux que tu prêtes serment. serment. Viens, Viens, caresse-moi caresse-moi d’une d’une main main Pendant que l’autre agrippe Pendant que l’autre agrippe mes mes cheveux cheveux Et fait venir à ta bouche ma bouche. Et fait venir à ta bouche ma bouche. Viens, Viens, prête-moi prête-moi serment serment En me mordant les En me mordant les lèvres. lèvres. C’est C’est ainsi ainsi que que l’on l’on prête prête Serment aux femmes, Serment aux femmes, Mon Mon prince prince aux aux yeux yeux profonds. profonds. Mon Mon bel bel amant, amant, Mon cher Mon cher amant, amant, tu tu es es si si beau beau –– Mon Mon beau beau porteur porteur de de fleurs fleurs dans dans les les vergers, vergers, Mon Dumuzi, mon beau porteur de fruits, Mon Dumuzi, mon beau porteur de fruits, Tu Tu es es si si beau beau –– Toi, Toi, ma ma statue, statue, Toi, ma sainte Toi, ma sainte statue, statue, Toi, ma statue Toi, ma statue d’albâtre d’albâtre et et de de lapis lapis –– Tu Tu es es si si beau beau !! »»

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La Vénus de Carlingue

Ça, mon petit, on n’en savait rien Qui c’était, d’où elle était venue Mais fallait la voir avec ses seins Quand elle se mettait toute nue

Et pis ils l’ont baisée un à un Je te dis, la guerre ils l’ont voulue Ils volaient nos bidons, dix chacun Ils y dormaient la mine goulue

Au milieu de la déglingue Ouais, c’est là qu’on la trouvait La Vénus de Carlingue

Alors, la grande dézingue ! Gare à toi si t’enculais La Vénus de Carlingue

Sur la butte elle a fait sa maison Avec des pneus, des clous et des tôles Et on croyait l’aider sans raison Chez elle on s’éclatait à la gnôle

Partout de Rio à Mexico Le sang a giclé comme la pluie Et même à Lima et Santiago Ça s’égorgeait pire que des truies

C’est qu’elle te rendait dingue Ell’ te baisait d’un seul trait La Vénus de Carlingue

On s’arrachait jusqu’aux fringues Mais je crois qu’on la lassait La Vénus de Carlingue

Y’avait tant de gens venus la voir Qu’avait plus assez des grands immeubles Alors c’est devenu le foutoir On a pris des bidons comme meubles

Parce qu’un jour on l’a vue sortir Elle s’était faite grosse et moche Alors y’avait plus qu’à déguerpir Chacun chez soi les mains dans les poches

On s’est mis comme en bourlingue Pour la reluquer en vrai La Vénus de Carlingue

Plus de quoi faire la bringue Ce qu’ell’ nous manque, tu sais La Vénus de Carlingue

Mais tu vois on était si heureux A fallu que s’amènent les riches Jaloux de nos baraques dégueu Z’en pouvaient plus de leurs grandes niches Sont venus avec des flingues Nous dir’ de laisser en paix La Vénus de Carlingue

Anonyme


D'un amour pourtant volcanique La déesse déjà se lasse Et prise d'une peur panique Jette son dévolu sur Mars Contre le Dieu de la guerre A l'arc puissant, toujours bandé Vénus, aux envies adultères Choisit de venir s'arc-bouter Le duo aux amours vénales Goûte aux plaisirs d'une cavale Digne des folles Bacchanales Chaque fois plus fort il l'empale Et Vénus laisse s’échapper Force murmures étouffés Et Mars laisse comme raviné Le mont de Vénus fécondé

Manon Baelen


Ode à Anactoria Aurélien Clause & Aurore Guillemette (Traduction de Sapphô de Lesbos)

Pour certains, une armée de nobles cavaliers, Une phalange, ou une escadre de trières, Est le plus beau tableau sur cette sombre Terre ; Mais pour moi, le plus beau est la personne aimée. Que chacun le comprenne, il n’est rien de plus simple : La douce Hélène, qui connut tant d’hommes beaux, Duquel s’est-elle éprise entre tous les mortels ? De celui qui devait trahir l’honneur de Troie. Et dès lors, sans plus se soucier de la tendresse Ni de son enfant, ni de ses parents, Hélène Se laissa entraîner à l’exil par amour.

L’empire de Cypris rend l’âme versatile : Dans sa légèreté, elle est toute au présent. Plus personne aujourd’hui n’évoque Anactoria Qui est absente – Anactoria au pas gracieux, J’aimerais tant revoir l’éclat de son visage Rayonnant, bien plus que les chariots des Lydiens Ou leurs fantassins, que nous affrontons sur terre. [Nous faut-il donc apprendre en ce monde que l’homme Ne peut jamais saisir son désir le plus cher ?]


Précisions concernant les traductions d’Aurélien Clause L’Epopée de Gilgamesh, Livre I, pp. 79-82. Aurélien Clause

[Il s’agit d’un extrait de ma traduction de L’Epopée de Gilgamesh dans la version de Stephen Mitchell, parue aux Editions Synchronique en Septembre 2013. Tout comme le cycle de chants d’Inanna et Dumuzi, Gilgamesh appartient à la littérature mésopotamienne. Ayant inspiré directement le personnage d’Heraklès/Hercule, il contient, entre autres, l’un des premiers récits du Déluge, antérieur de plus d’un millénaire à celui de l’Ancien Testament. Dans cet extrait, Enkidu, un surhomme façonné par la main des dieux et vivant en parfaite harmonie avec les bêtes sauvages, accède à l’humanité et à la civilisation grâce à une femme. Il la suivra à Uruk, cité antique où règne le terrible roi Gilgamesh, et deviendra l’ami de ce dernier. Ici aussi, je préfère ne pas alourdir le texte de notes historiques et culturelles. Je me permets cependant deux petites observations quant à ce passage : 

Ce passage est l’une des sources d’inspiration de la Genèse biblique – et plus particulièrement de l’épisode du Jardin d’Eden, et de la chute de l’Homme. Ici, toutefois, le sexe possède une signification profondément positive : si Enkidu quitte son « Jardin d’Eden » (la steppe sauvage, où il mène certes une vie de bête, mais pure et intacte) à cause d’une femme, nulle divinité intransigeante et jalouse n’est là pour condamner moralement ni l’amour charnel, ni l’ouverture de la conscience de l’homme. Shamhat, prêtresse-courtisane d’Ishtar, ne transgresse aucun interdit en faisant l’amour à Enkidu ; et ce dernier ne commet nulle faute en accédant à la connaissance. Quant au serpent tentateur, il n’apparaît qu’à la toute fin de l’Epopée, et encore – il s’y trouve dépourvu de toute malignité. En un mot : les concepts moraux de bien et de mal, ce dualisme inhérent à la mythologie biblique ; sont totalement absents de Gilgamesh. La ville d’Uruk, dont Shamhat dresse un portrait vivant et chamarré à la fin de cet extrait, fut l’une des plus grandes et des plus exceptionnelles villes que connut l’Antiquité. Afin de donner un simple ordre de grandeur – sa superficie ne fut égalée que par celle de Rome à l’époque d’Hadrien.


Les chants d’Inanna et Dumuzi Aurélien Clause

[Ce cycle de chants appartient à la mythologie mésopotamienne, autrement dit la plus ancienne civilisation connue, qui naquit il y a plus de quatre mille ans entre le Tigre et l’Euphrate. Rédigé en caractères cunéiformes et en langage sumérien, l’un des deux premiers (avec l’akkadien) à l’origine de l’écriture, il met en scène Ishtar (en akkadien ; Inanna en sumérien), déesse de l’amour charnel et de la guerre, et son amant, Tammuz (en akkadien ; Dumuzi en sumérien), un berger élevé au rang de divinité mineure grâce à cette liaison. J’ai volontairement abrégé ma reconstruction de ce poème pour le bulletin, en passant d’une douzaine de pages à ces quelques strophes, et supprimé mes commentaires et notes, afin d’en faciliter la lecture. S’il devient impossible, pour le lecteur non averti, de comprendre la signification culturelle de ces quelques vers, il lui restera toujours le plaisir d’en découvrir la profonde sensualité, qui, je le crois, demeure intacte malgré les quatre millénaires qui nous séparent de nos plus vieux ancêtres. Un simple mot sur l’héritage culturel de ce texte – les mythes mésopotamiens (nous dirons plus tard « babyloniens ») sont à l’origine des grandes fresques gréco-latines et bibliques. Dumuzi/Tammuz réapparaîtra dans le Livre d’Ezéchiel (8:14), puis, de nombreux siècles plus tard et dans une autre civilisation, sous le nom d’Adonis. Un autre cycle de chants d’Inanna et Dumuzi inspirera le mythe de Proserpine aux Enfers, puis celui de la descente d’Orphée et d’Eurydice. Enfin – et peut-être avant tout – ce texte, dont je vous propose de découvrir quelques fragments ici, est l’une des sources d’inspiration majeures du Cantique des Cantiques.]1

1

Toutes les notes entre crochets sont mes propres interprétations destinées à éclairer le texte et à en faciliter la lecture. Elles ne prétendent en aucun cas relever d’une connaissance érudite des cultures mésopotamiennes, ni épuiser toutes les significations du texte.


Remerciements Auteurs Aurélien Clause Aurore Guillemette Manon Baeden Matthieu Lanusse François-Xavier Morseau Nicolas Fiévet Nevak Byron Antoine Jarrige Paul Todorov Un grand merci à Myriam Klem Monet pour sa série de photos « Vénus » et pour la création du logo Trois Lettres, ainsi qu’à Nicolas Fiévet pour la réalisation de la maquette, et à tous ceux qui nous ont encouragés ! Et à bientôt pour un prochain bulletin !

Trois Lettres


Transit de VĂŠnus devant le soleil


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