Modernité

Page 1

MODERNITÉ

OFFRE GRATUITE

À la fin tu es las de ce monde ancien […] Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Apollinaire, Zone Édito : L’invite à écrire Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’ÉCRIRE – sans la moindre légitimité à ce sujet. Depuis nos débuts, vous avez été nombreux à nous adresser vos textes, vos créations poétiques, toutes choses si personnelles que vous avez bien voulu nous confier pour les partager. À vous tous : merci. C’est vous qui avez fait et faites Trois Lettres. HEC est une friche, une steppe – voire un marécage torpide, après la prépa et son carcan intransigeant d’intellectualité néoclassique. La steppe, terre où règnent en maîtres les Mongols — mais aussi, pour abréger ici les jeux de mots douteux, terre de liberté. Terre d’expérimentation. Si vous ne vous pensez pas par vous-mêmes, personne ne s’y mettra à votre place. La liberté a bien des formes. Mais étant plus rodé à l’art de l’écriture qu’à celui de la clarinette, je veux parler à celui qui hésiterait encore à prendre la plume. Écrire est une pulsion, une libération peut-être ; c’est aussi un travail. Et pour commencer, voici une idée : CHOISIR UN MAÎTRE. Michel-Ange avait Ghirlandaio, La Fontaine avait Ovide, Nimier avait Giraudoux, Gavalda le Club des Cinq, et la littérature américaine imite Hemingway depuis 80 ans. Bref, prenons un maître. Aussitôt des noms célèbres nous jaillissent à l’esprit : Musset, Giono, Tournier… mais peut-être sont-ce les pires. Car il ne suffit pas que le maître soit bon : il faut qu’il nous corresponde. Ainsi Proust, cet élégant esthète mélancolique névrosé, nous vient tout naturellement, quand bien même le tempérament puissamment maladif de son oeuvre ne correspond pas à 1% de la population lettrée. Lisez-le, oui – mais imitez le, et vous êtes foutu. Passons. Il convient de jalouser le maître. Pour écrire, il faut

beaucoup d’amour, ou beaucoup de haine. La jalousie étant un condensé des deux, quoi de mieux ? Bien sûr, tout n'est pas à la mode, tout n'est pas reproductible. Victor Hugo pouvait être grandiloquent sans être systématiquement ridicule – vous non. Nous sommes plus au XIXème siècle. Nous ne sommes même plus – mais ça, aucun écrivain contemporain ne l’a encore remarqué – au XXème. Nous sommes au 21ème, et la littérature de ce siècle reste à inventer. Personne ne sait encore à quoi elle ressemblera. Nous nous languissons encore un peu dans le XXème siècle tardif. La Belle Époque, en somme. Enfin, et c’est la leçon la plus importante d’aujourd’hui : il faut choisir un maître pour mieux s’en éloigner. Maintenant, sans rapport avec ce qui précède, il est bientôt temps pour moi de passer la main. Trois Lettres a été pour nous, son bureau 2013-2014, une extraordinaire aventure. Cela a été un plaisir de vous lire et de vous publier. Si nous avons pu procurer ce plaisir à quelques lecteurs, c’est là toute notre récompense. La composition du bureau de l’année prochaine reste en suspens, mais au vu du souffle dont nos contributeurs ont su faire preuve, je suis convaincu que Trois Lettres sera laissée entre de bonnes mains. Petit mot aux aspirants rédacteurs du bulletin qui ne se seraient pas encore manifestés : vous savez comment nous joindre — antoine.jarrige@hec.edu. Ceci étant dit, et fort bien prêché, Amusez-vous. Antoine Jarrige, pour Trois Lettres


La disparition G. L’ancien Le moderne envahit nos plaines et nos terres Et la langue et les mots jusqu’à la poésie Car la modernité transfigure notre ère Dans ces moindres recoins ces moindres hérésies

« Le merle était penseur » Tania Sanchez Une carcasse d'immeuble venait contrarier la belle horizontalité de ce désert gris. Ici, il y avait eu de la vie, du jeu. Des habitants qui rêvaient d'ailleurs en regardant par la fenêtre où ils croisaient le regard d'un autre rêveur. Croiser ces yeux d'espoir, c'était perdre le sien. Trop de désirs pour un si petit endroit, les chances n'en étaient que plus maigres et insigni-

Je méprise le prix de ce progrès technique Toutes les mutations modèlent les décors Sans amour sans pensée on cimente les briques On renie la beauté au profit de l’essor

fiantes. Alors on retournait dans la cuisine. La fenêtre de la cui-

Avé modernité crie la littérature Verse nous du nouveau pour soigner notre usure Prends nous à tes côtés dans ta révolution

fants. Ils n'ont pas besoin de regarder dehors, ailleurs, de cher-

sine était mon poste d'observation préféré. J'y posais mes deux coudes, le menton entre les mains, le dos un peu courbé ; j'avais déjà grandi. Cette fenêtre, ce n'était pas pour les encher plus loin. En vingt ans, il ne s'était rien passé. Je n'ai rien à en dire. Après, c'est autre chose ; quand j'ai descendu ces escaliers pour la dernière fois. Ensuite, j'ai quitté la banlieue pour

Mais triste poésie je connais tes murmures Ces plaintes étouffées ces nouvelles blessures Qui auront eu raison de ta disparition

rejoindre la ville, mais pas la mienne ; Berlin, ce n'était pas pareil. Et puis aux nouvelles, ils ont parlé d'une cité maudite ; je n'avais jamais cru à la sorcellerie, et c'est toujours une énigme pour moi, cinquante ans plus tard. Ces suicides de masse, tous par défenestration, comme si le mirage du regard au-dehors avait fini par les attirer au-delà. Ils ont détruit les immeubles, le

quartier, la cité, et ils ont oublié. Les fils se rappellent. Cette carcasse, c'est notre autel, on s'y recueille ; on l'interroge : estce donc vrai ce que l'on nous a dit ? Avez-vous tous décidé de partir ensemble un 3 décembre ? Plusieurs minutes d'incompréhension en regardant le journal télévisé ; je change de chaîne, un autre homme raconte la même chose, je crois qu'il prononce les mêmes mots, je repasse sur la première chaîne, le flot de paroles continue et ne s'est jamais interrompu, j'essaie de déchiffrer mais je suis resté une minute plus tôt, deux, cinq, dix. Je suis du passé, je ne peux pas faire de cette information

mon présent, alors je reste avec le temps d'avant. Après tout chacun choisit le temps qui lui convient, pour moi, merci Monsieur, ce sera le passé éternel, je ne veux plus devenir mais seulement être. Je crois que j'ai continué à vivre après mais je ne sais plus trop, je n'étais plus ici, ou là, puisque j'étais resté sur le bord de la route, le temps m'avait dépassé et c'était trop tard, tant mieux. Je suis un oiseau mais je ne vole pas, je reste posé sur ma branche qui va bientôt se rompre, et je regarde la carcasse, ma carcasse.


Extrait de Slavir George Finet

On a joué au blackjack. Les gens aimaient bien expliquer qu'on était perdant en faisant ce genre de choses, que c'était con. Ils utilisaient les mathématiques pour le prouver. Eux, bien sûr, ils n'étaient pas perdants quand ils claquaient vingt balles pour faire un cadeau à leur régulière le jour de la saint Valentin, ils n'étaient pas perdants quand ils payaient cent -cinquante briques pour pouvoir dormir tranquillement entre quatre murs.

la fois. Ils ne comprenaient pas. J'achetais de l'amusement, de l'adrénaline, le bord du précipice. J'avais peur, une peur qui venait du ventre. Je ne voulais surtout pas être riche, facile. Je jouais le jeu inverse. D’ailleurs, je menais la vie contraire, ça n’était pas surprenant. Quand on n’avait pas assez pour la md on achetait des blackToros. Si j’étais riche, j’aurais probablement été dans un sale état, et j’aurais dû aller aux putes.

Il fallait tout acheter, des fringues, de la tise hors de prix, mais jouer, surtout pas !

J’ai gagné deux euros, j’ai rejoué. J'ai gagné cinquante balles. Je disais que c'était des dollars, car j'avais beaucoup joué au poker sur des sites américains, et que c'était devenu un tic de langage.

La masse n’aimait rien mieux que pointer du doigt l’espérance négative de tous les jeux qui mêlaient l’argent et le hasard. Servilement rassurés, les gens établissaient une frontière simple : jouer, c’était vain ; tout le reste, où ils dépensaient leur argent, était utile, indispensable. Ils ne voulaient pas accepter, regarder en face. Avec deux euros, j’étais dans la jouissance physique, donc authentique. Pour me rejoindre où l’incertitude de ces cartons rectangulaires me transportait, il leur fallait claquer au minimum quinze balles pour une turlute –bas de gamme - à Vincennes, à moins d’une belle dextérité dans la main gauche. Ils voyaient une promesse puérile, le tout et tout de suite qui les fascinait et les répugnait à

J'ai été acheté les Nike à picot à quarantequatre euros quatre-vingt-dix-neuf, idéales pour jouer sur synthétique. J'avais toujours eu la flemme, pourtant ça changeait énormément au niveau des appuis. En sortant, le sac en plastique se balançait à côté de moi. Je n'étais pas prêt de rejouer sur synthétique, ça m'a fait peur. J'ai eu l'impression que je voulais juste boucler un truc, que j'étais un petit vieux qui mettait de l'ordre dans ses affaires avant de s'en aller. Je sais, quarante-quatre virgule quatre-vingtdix-neuf c'est très proche de quarante-cinq. C'est même fait exprès.


Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux Apollinaire, Zone

J’avais plein d’envies, de rêves fous. Notamment tiser sous un ciel sec. Planter ma tente au milieu des dunes, sous un pin lourd de pommes. Souvent, quand tu mélanges deux bonnes choses, tu obtiens une merde. J’ai compris ça à six ans en recrachant mon premier et dernier verre de grenadine-menthe La came offrait la mémoire magique. Je mémorisais surtout les chiffres, où plutôt je les imprimais. Je ne les photographiais pas. Je les imprimais dans mon flux, dans le mouvement fait de paroles qui me traversait en permanence, la lumière tuyau, blanche, qui écarquillaient mes yeux et me faisait couler des larmes. Ils y faisaient échos pendant des mois. Une fois jetés dans cet amas de rayons puissants, les chiffres rebondissaient, tintaient un bruit aigu, se répondaient, se prononçaient tout seuls, jusqu’à la prochaine éclipse. Il suffisait d’attraper, ça marchait avec les yeux et avec les oreilles. Après, c’était trop tard, ils avaient du rythme, la mélodie juste. Ils restaient. J’apprenais les numéros de cartes bleues, systématiquement. Les gens n’en revenaient pas. Un coup d’œil, j’avais les seize chiffres, la date d’expiration, les trois chiffres du dos. Mais je ne les écris pas, jamais. Sinon trop tentant.

Les Opiums Panem et Circences G. L’ancien

A tous les coins de rue partout dans les foyers Ô sournoise addiction en tout lieux tu t’immisces Et la modernité au lieu de te noyer T’offres de bon moyen de répandre ton vice Vois la télévision et ses débilités Qui abêtissent l’homme à ses heures minables Lorsqu’il attend la mort dans la banalité D’une existence emplie de paresse exécrable Et tous ces faux loisirs sont de nouveaux opiums Plus dangereux encor que ceux qui les précèdent Ils cloitrent la pensée dans des solariums Et la curiosité dans ces affres décède Ces espaces privés canapés et salons Sont les pains et les jeux que le peuple réclame Et ces amusements le principal jalon De cette anti-culture ah que le monde acclame


Monday

Maud Ruget Most people don’t like Mondays. I usually don’t care. To me, it is just another day as boring as the others. I got up early this morning and had a long shower. I wanted to be sure that every part of my body would be as clean as possible. I brushed my teeth until my gums started bleeding to make my smile look whiter – it has turned rather yellow after years of smoking and drinking coffee. I slipped into the dress Ernest gave me to celebrate our twentieth anniversary, six months before he died. Mites had made a feast of it; I fixed the holes yesterday. Despite the few pounds I have put on in fourteen years, it still fits me quite well. After double-checking my make-up looked nice without being too sophisticated, I locked the door and headed to the crowded bus-stop. My eyes met those of one of the men suited-up for work and I had the feeling he knew. I got there half an hour early but I preferred not to enter and wandered in the neighborhood instead. I didn’t want them to figure out how badly I needed this to work. A few minutes before the appointment, I finally entered the salon. A black-haired woman in her late twenties was sitting at the front desk. She was juggling between several phone calls and didn’t pay much attention to me. After several vain attempts to introduce myself, I gave up and sat down in the waiting room. I opened up “Beautymag” and read an article about a newlydiscovered plant that facilitates multiple orgasms. I’d be happy with just one. Anyway, the lady eventually noticed I was there. “What can I do for you today? Waxing? Pedicure? ” She asked with a charming smile.

I was dazzled by flashy colors as I entered the room: pale pink walls; mauve curtains; desk and chairs covered in raspberry paint. The only exception was the pseudoantic statue of a cherub pissing joyfully. Mrs. Van Peck fitted the room very well with her purple glasses and her magenta suit. She was a tall and robust well-groomed woman with short blond hair. Although it was not hard to tell she had once been beautiful, her face was marked with deep wrinkles, a sign that life must not have always been a bed of roses for her. At least, we had that in com“None of those. I have come for the job.” Her smile faded away. “I see. I am going to inform Mrs. mon. Unfortunately the people who have succeeded in climbing up the social ladder are often the ones who look Van Peck that you are here.” down upon those who were not able to do so. I undersShe knocked on the door behind her desk and disaptood that this applied to Mrs. Van Peck as soon as she peared for a few seconds. “Mrs. Van Peck will receive raised her head and started scrutinizing me with her you now” she said when she came back. insolently blue eyes.


“Sit down, she said without greeting me. Do you have a resume with you?” “ Of course” I handed out the sheet of paper that my nephew helped me type on the computer. She skimmed through and raised her eyebrows. “I see you don’t really have any experience related to body care.” “Oh I do! I was trained as a beautician,” “But then you never practiced, right?” “Oh well, it’s true but, you know, my husband started his own business. Ernest was a…” “Then why did you apply? I have no time to lose with unskilled people,” she interrupted me roughly. “I am sure it’s not that difficult to learn about the new techniques,” I ventured to say. “That’s just incredible! It’s a profession that requires skills you know. I expect the people that I recruit to be at the cutting-edge of what is happening in the field of beauty. And I don’t think you fit the image of this salon anyway.”

There it was! The same damn argument: “We’re sorry but you’d have trouble keeping the pace”; “We’re sorry but it would be more interesting for us to hire someone younger”; “We’re sorry but having no IT skills is not something we can accept in a modern company”. This time, Mrs. Van Peck didn’t even bother to apologize. Before I could say anything, she was standing by the open door. “I wish you the best of luck in your job search,” she said with an obviously forced smile as she shook my hand. Back in the waiting room, the young lady was welcoming a customer. I left without a word. I am sitting at the bus stop brooding over this new failure and all the ones before. A few executives and high-school students are queuing docilely parallel to the sidewalk. I am sure they envy me. “You’re on a permanent holiday” they probably think. They have no idea how I wish I could complain about Mondays the way they do.

La modernité Gabriel Nos cheveux s’emmêlaient, le vent s’engouffrait dans nos ombres qui, jetées sur l’asphalte, se fondaient l’une dans l’autre. C’étaient nos corps ensemble, c’étaient les lumières dans la nuit, c’était aussi le bruit des voitures alentour, il y avait devant nous la fadeur de la ville et la chaleur des cœurs aussi bien l’une que l’autre. C’était un sombre mélange. Son ventre était comme un refuge, et j’y serrai mes bras contre la foule et ces lumières, des soleils blancs et froids qui n’avaient pas d’odeur, et son parfum à elle me protégeait de tout. La ville ronflait toujours, elle appelait à fuir, et je voyais la brume autour de son visage, l’une insipide et l’autre incontournable. La ville n’est pas anguleuse ni ronde, le goudron n’est ni clair ni sombre, la foule est un amas d’yeux vides et de bousculades, il y a si peu de toi dans la ville, toi qui n’es qu’une caresse abrupte et douloureuse, un soleil dans le noir et du sang dans le ciel, toi qui es tout le monde, et toute la douceur. Tu es l’abri malade et je cherche un regard, un regard dans la ville. Mais les rues et les gens se passent de regard. Ils se passent de toi, de ton corps désœuvré, la rue te broie dans son indifférence. Entre la ville et toi, rien de bien difficile. La ville s’étend, énorme, palpitante, et jamais je n’en ferai le tour, nouvelle déesse sans culte et sans hommage. Elle n’en a pas besoin. Mais toi, tu as besoin de tout pour être quelque chose, et sans un regard, sans un mot, sans mes bras tu ne serais plus rien qu’un pas dans la ruelle. Ces temps nous ont tout pris : d’autre que toi plus rien de familier, le gris monte à mes yeux. Seul, d’un bleu réconfortant, ce nuage de ta bouche au soleil.


La faucheuse

J’ai floué les Cinq-cents, sifflé leurs oraisons ;

Nicolas Fiévet J’ai soufflé les saisons Je suis le précipice Où se jette la pluie Et la poussière Du monde. Je suis le vent glacé qui souffle sur la plaine, Le souvenir froissé Qui coule avec la Seine. Mon masque ceint de cire Rit des larmes fatales Je suis Légion. L’Empire Gît sous mon piédestal. Je suis le fruit des hommes Tatoué de l’obèle, Je suis la Pyramide et la tour de Babel. J’ai survécu sous l’Arche Au second des Déluges, De la vaine Défense J’ai descendu les marches Sous le regard des Juges. Je soude des linteaux comme on dresse une croix : Je fais cracher la mine, Rougir les hauts-fourneaux ; J’ai soufflé sur la bulle et fondu des fortunes Et je fonds sur ma proie en loup sur les agneaux. Je suis l’insaisissable Le Prince des Dix Mille Car j’ai pour étendard une rose des sables Et le soleil de Lille. Désespère, préfère la nuit à la pénombre, Les hères sans lumière auront les yeux tremblants Quand tu devineras sous les cerisiers blancs Les contours de mon ombre. Je suis l’aube éphémère D’un jour sans lendemain Et crains, crains ma douleur Car je suis l’univers Et l’univers a faim. Je suis le sablier qui ternit les péchés, Je suis foule servile et anonyme pion, Je vide la clepsydre et remplis les tranchées Sur l’échiquier des jours perdus avec passion.

Car je vis dans le sang. Je suis né de la science, Je suis la vérité, Je suis l’obscur, le laid, et pour la Liberté On me donne du sens. Je suis le faux désir et, dans les cœurs brisés, Foule de la semelle les soupirs essoufflés Et l’amour échoué A la Porte Dorée. Je traverse les hommes Qui me tournent le dos Et m’oublient Car je suis Vanité Vains, ils ont pris la pomme Que je tenais bien mûre Et brodent, affaiblis, leurs surnoms d’espérance J’erre. Et dans mon néant résonne en un murmure Le silence assourdi de notre transparence. Je reste dépeuplé et l’ennui me désole Et je hais la faiblesse, L’orgueil et ma paresse Lorsque j’envie le ciel Qui nous enchaîne au sol Et vomit nos secondes. Mais il faut m’élever et m’élever encore : Je suis l’Apocalypse, Le destructeur des mondes. =========================== Quand tu auras trouvé mes mots en épitaphe Gravés sur ton berceau par le destin vainqueur, Tes choix défileront sous ton blanc cénotaphe Et, peut-être, auras-tu quelque regret au cœur.


Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut Voici la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux Apollinaire, Zone

Choses vues Le moment Beigbeder du mois Antoine Jarrige Nous étions à l'époque où plus rien ne faisait vendre que le sexe, seule pulsion encore relativement inassouvie de l'homme moderne, et par conséquent substance de toute publicité. C'étaient naturellement seins plantureux pour nous vendre tout, du fromage aux assurances vie. Mais cela ne suffisait pas ; trop éculé, quoique foutrement efficace. Alors depuis peu les marques nous balançaient des allusions scabreuses et censément drolatiques à la gueule. "Envoyez-vous en l'air", "ce site est

très très cochon" (sur un paquet de jambon sous cellophane ?), "20 cm de bonheur" à côté d'une superbe saucisse verticale posant avantageusement dans la pénombre. Tout ça n'amusait même plus nos yeux et, il faut l'avouer, dénotait le sens de l'humour absolument pitoyable des publicitaires. Parce qu'être facturé 10 000 balles la journée pour nous pondre des merdes pareilles... C'était la culture moderne. Ça, et une pièce de théâtre notée "jubilatoire" par les Inrockuptibles.


Le colloque des âges G. Ô vieille poésie parle nous sans image Des vies de nos jours des maux et des ravages De cette nouveauté qui nous tient en servage De ces activités qui tuent le paysage

Ta barque sans haleur vogue vers son naufrage Répand de la laideur partout sur son passage Et sème l’impudeur dans ses grands labourages Qu’on nomme ô grand malheur honnête apprentissage

Quand donc a-t-on détruit la beauté des villages Ces églises rasées n’était-ce un héritage Qui eût eu la pitié des plus vils personnages Au temps des chants sacrés et des pèlerinages

Le savoir va mourir aux vues de ces dressages Les enfants sont instruits en curieux élevages Pour qu’ils aient soi-disant un semblable bagage Un savoir uniforme et un mortel breuvage

Qui donc a déclenché les premiers bitumages Et mis un peu plus loin des barres et des cages Qu’on a osé nommer habitat ou couchage Pour tromper l’attention des plus simples ménages

La ville est devenue un mauvais coloriage Les plans des bâtiments de simples crayonnages Ce monde en construction un vulgaire empilage De rues de souterrains cachés sous les dallages

Et pourquoi cet argent aspiré des forages Classe les nations dans de glorieux pourcentages Des chiffres mystérieux un vulgaire affichage Pour les opportunistes et pour leurs avantages

As-tu aussi choisi de prendre ces virages De croire à ces écarts comme on croit aux mirages De laisser les trésors que le temps endommage Aux mains des dirigeants plutôt qu’aux mains des sages Le jeune Ne vois-tu la beauté de ces embouteillages Et la vitalité de ce nouveau visage C’est un autre chemin un nouvel habillage Une édification sortie des vieux sciages

Vois la célérité des moindres ajustages Le monde a laissé choir ces vétustes hallages Il s’est donc affranchi des sources de freinages Pour voguer à son gré vers de meilleurs rivages L’ancien Eh de quoi parles-tu est ce des jolies plages Lieux d’immoralité qui font croire au voyage Où l’on se montre nu pour cacher son chômage Et pour croire à l’amour perdu dans son voilage

Puis cette sensation constante d’espionnage Par tous ces logiciels invisibles codages Et ces informations qui ne sont que gavage Qui recherchent l’audience et poussent au blindage

Ma peur est devenue le pire des adages Le frisson dans la nuit qui glace mon corsage Me fige peu à peu dans ce terrible ancrage Qu’est le spleen permanent du moderne esclavage Le jeune Et que proposes tu pour apaiser ta rage Songes-tu à changer les rouages des âges La marche du progrès qui s’arme de courage Pour métamorphoser le plus grand des ouvrages Regarde sans juger scrute ton entourage Vois ces relations qu’on nomme amour sauvage Plus vertueux encor que ces saints mariages Un morceau de papier pour un futur orage J’aime l’intégrité sans détour du langage La vertu d’aujourd’hui exècre les trucages Les abus d’autrefois que l’on nommait usages Nous les avons banni dans un juste réglage


L’ancien Epargne la justice et parle d’aiguillage Je ne vois l’intérêt de tous ces bricolages Même si tu y vois un brin de bon présage Je reste convaincu que c’est un noir nuage Sans doute as-tu raison car c’est un décalage Entre l’utilité moteur de ces outrages Et mon coeur démuni que la beauté soulage Mais que le temps détruit lorsqu’il écrit ses pages La subjectivité est mon seul arrimage Au milieu des cités et de leurs grands tapages Qui me rendent si seul quel cruel ermitage Moi qui ne perçois rien qu’un désastreux saccage

Hors Thème—Le Lion et le Campagnol Hommage à La Fontaine

G. Leraut

Le Roi d’une contrée, qui était le Lion Recevait chaque soir les observations De ses sujets les Animaux ; Suivant usages ancestraux. Un jour se présenta, à défendre sa cause Messire Lynx, pour qui la chose Tenait de maints fâcheux détails Induits par une loi à de sa valetaille. Messire Lynx était, en ce temps-là, dit-on A la Cour le premier conseiller du Lion ; Son affaire fut entendue, Et bonne justice rendue : Le Roi, sans plus tarder, fit abroger la loi. Un quidam quelque jour au Campagnol compta Le récit de cette aventure ; Et étant en déconfiture, Une nouvelle loi ayant ruiné son fonds, Campagnol réclama entrevue du Lion. Le Roi reçut un soir la bête agricole, Hardie du reste – mais point folle. « Voici pourquoi, termina-t-elle, la loi me nuit « Et menace jusqu’à ma vie ! » « C’est que la loi vous rend égal « A tous les sujets du Pays, rétorque l’auguste animal « Et en outre réjouissez-vous « Pour semblables propos j’en ai punis beaucoup ! » Ainsi partout sont les puissants : Réclamez dix, ils prennent cent.

Le thème du prochain bulletin Trois Lettres sera :

America!

Date-limite des contributions : 30 mai

Avis à tous les écrivains amateurs

Défi book inner

Le défi Book Inner, c’est une oeuvre collective un expérience inédite des grandes écoles : écrire par équipe, au rythme d’un chapitre par école et par mois, un roman complet. Le roman-mystère est déjà passé par Grenoble, l’ESCP l’ESSEC, l’EDHEC, l’EM Lyon et Audencia — et il arrive à HEC le 10 avril. Pour que l’expérience se passe au mieux, Trois Lettres va superviser un peu le travail de groupe, mais plus nous aurons de volontaires écrivains, mieux ce sera ! N’hésitez pas, si vous êtes intéressés, envoyez un mail à antoine.jarrige@hec.edu avant le 10 avril. Participer n’impose pas d’écrire une seule ligne, si en fin de compte le sujet ne vous inspire pas. A bientôt pour de nouvelles aventures littéraires !


Modernité Remerciements Auteurs G. Tania Sanchez George Finet Nicolas Fiévet Maud Ruget Antoine Jarrige G. Leraut

Photographes Myriam Klem Nicolas Fiévet Maud Ruget

Agencement du bulletin Antoine Jarrige

Trois Lettres ™


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.