MODERNITÉ
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À la fin tu es las de ce monde ancien […] Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine Apollinaire, Zone Édito : L’invite à écrire Aujourd’hui, j’aimerais vous parler d’ÉCRIRE – sans la moindre légitimité à ce sujet. Depuis nos débuts, vous avez été nombreux à nous adresser vos textes, vos créations poétiques, toutes choses si personnelles que vous avez bien voulu nous confier pour les partager. À vous tous : merci. C’est vous qui avez fait et faites Trois Lettres. HEC est une friche, une steppe – voire un marécage torpide, après la prépa et son carcan intransigeant d’intellectualité néoclassique. La steppe, terre où règnent en maîtres les Mongols — mais aussi, pour abréger ici les jeux de mots douteux, terre de liberté. Terre d’expérimentation. Si vous ne vous pensez pas par vous-mêmes, personne ne s’y mettra à votre place. La liberté a bien des formes. Mais étant plus rodé à l’art de l’écriture qu’à celui de la clarinette, je veux parler à celui qui hésiterait encore à prendre la plume. Écrire est une pulsion, une libération peut-être ; c’est aussi un travail. Et pour commencer, voici une idée : CHOISIR UN MAÎTRE. Michel-Ange avait Ghirlandaio, La Fontaine avait Ovide, Nimier avait Giraudoux, Gavalda le Club des Cinq, et la littérature américaine imite Hemingway depuis 80 ans. Bref, prenons un maître. Aussitôt des noms célèbres nous jaillissent à l’esprit : Musset, Giono, Tournier… mais peut-être sont-ce les pires. Car il ne suffit pas que le maître soit bon : il faut qu’il nous corresponde. Ainsi Proust, cet élégant esthète mélancolique névrosé, nous vient tout naturellement, quand bien même le tempérament puissamment maladif de son oeuvre ne correspond pas à 1% de la population lettrée. Lisez-le, oui – mais imitez le, et vous êtes foutu. Passons. Il convient de jalouser le maître. Pour écrire, il faut
beaucoup d’amour, ou beaucoup de haine. La jalousie étant un condensé des deux, quoi de mieux ? Bien sûr, tout n'est pas à la mode, tout n'est pas reproductible. Victor Hugo pouvait être grandiloquent sans être systématiquement ridicule – vous non. Nous sommes plus au XIXème siècle. Nous ne sommes même plus – mais ça, aucun écrivain contemporain ne l’a encore remarqué – au XXème. Nous sommes au 21ème, et la littérature de ce siècle reste à inventer. Personne ne sait encore à quoi elle ressemblera. Nous nous languissons encore un peu dans le XXème siècle tardif. La Belle Époque, en somme. Enfin, et c’est la leçon la plus importante d’aujourd’hui : il faut choisir un maître pour mieux s’en éloigner. Maintenant, sans rapport avec ce qui précède, il est bientôt temps pour moi de passer la main. Trois Lettres a été pour nous, son bureau 2013-2014, une extraordinaire aventure. Cela a été un plaisir de vous lire et de vous publier. Si nous avons pu procurer ce plaisir à quelques lecteurs, c’est là toute notre récompense. La composition du bureau de l’année prochaine reste en suspens, mais au vu du souffle dont nos contributeurs ont su faire preuve, je suis convaincu que Trois Lettres sera laissée entre de bonnes mains. Petit mot aux aspirants rédacteurs du bulletin qui ne se seraient pas encore manifestés : vous savez comment nous joindre — antoine.jarrige@hec.edu. Ceci étant dit, et fort bien prêché, Amusez-vous. Antoine Jarrige, pour Trois Lettres