L'ormée N° 100

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Publication du secteur culturel de la

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Plus de vingt-cinq ans

nous rappelle Madau Lenoble dans un des billets que quelques un-e-s ont rédigé pour cette Centième, exprimant leur «  humeur  » voire leurs raisons quant à leur participation. « Historique » et logique, la place des femmes dans la revue, rédactrice ou créatrice, comme Marie-Jo Henrioux l’a fait et puis toutes celles qui ont bien voulu y consacrer quelque énergie et pas mal d'inspiration ! « Historique » l’élégant graphisme réalisé par José Lopez pour le titre, L’Ormée, que nous avons conservé. « Historique » l’engagement sur le temps long pour certains pionniers comme Gérard, Jean-Jacques, JeanPierre… et les autres ! Ils ont tenu la plume et, parfois, la logistique, pour une diffusion qui a dépassé les cercles communistes ou progressistes, en dépit de moyens modestes et grâce au soutien de celles et de ceux qu’on dit « plieurs » mais que l’on sait militant-e-s au sein de la fédération ou avec elle !

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N° 100 - NOVEMBRE 2013 - 5 €

lumière critique toutes les contradictions que la création entretient avec les pouvoirs, prenant le parti de s’opposer à la marchandisation de la culture, au recul des financements et des politiques publiques pour que vive une culture populaire… Sans cela, l’art dans ses (re) présentations, la culture en général, resteraient affaire de classe où l’argent sélectionnerait encore

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que l’aventure a commencé, à son rythme. Il a fallu plus de vingtcinq ans pour arriver à ce centième numéro de L’Ormée, revue culturelle du PCF girondin ! Mais une fois le chantier lancé, en aucun cas l’équipe n’a failli, trimestre après trimestre, au service d’une visée essentielle pour les communistes et pour la société. L’engagement communiste à travers le vingtième siècle n’a jamais fait de l’Art et de la Culture des « accessoires » de l’Histoire. Bien au contraire, ils représentaient, et représentent encore, des outils d’émancipation des masses et de l’individu face au système capitaliste dominant. Des domaines, des secteurs diraient certains, où le compagnonnage avec des artistes s’est toujours poursuivi même si – et surtout si – ce fut dans le cadre de rapports parfois compliqués et d’adhésions critiques. C’est donc ce souci de maintenir des liens féconds avec le monde de la culture qui a présidé à la mise en œuvre de L’Ormée, en 1987, et il a fallu de la suite dans les idées pour tenir une telle publication, toute en engagement militant, en bénévolat et en pleine conscience de classe ! Outre les idées, il faut cette volonté politique qu’avaient alors impulsé nos camarades Jean-Claude Gomez, secrétaire fédéral du PC, et Jean-Claude Laulan. Premier rédacteur en chef, ce dernier se devait de constituer progressivement une équipe de réd-acteurs/ actrices qui n’avaient de motivation que la passion de la culture au cœur politique. Tous bénévoles, aucun journaliste professionnel !

« Historiques » nos camarades

Fédération de la Gironde du PCF d’autres cultures, qu’elles soient jeunes, musicales, plastiques ou d’ailleurs ! Cet ailleurs que le photographe brésilien Salgado nous ouvre dans son entretien, mais aussi cet ailleurs où on peut être « embastillé » parce qu’une chanson ou un film dérangent l’ordre établi. Pensons effectivement à cet ailleurs qui a surgi avec le prin-

Bagarres entre mineurs et policiers. Mine d’or de Serra Pelada, État de Para, Brésil, 1986. Série La Main de l'Homme. Sebastião Salgado/Amazonas images.

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Et « Que faire »

avec cette revue si ce n’est la mettre à la disposition des camarades et des acteurs culturels qui ont vu en elle un moyen d’exprimer une critique de la « société du spectacle » et de proposer d’autres voix/voies artistiques, pour le plus grand bonheur et intérêt d’un public citoyen ? Parce que, à l’initiative de ses rédacteurs en chef successifs, Lionel Chollon après Jean-Claude (en 2000) et, depuis, Natalie Victor-Retali (en 2007), cette publication n’a cessé d’articuler le politique avec l’artistique. L’Ormée a mis ainsi en

« C’est l’histoire d’une époque où hommes et femmes, par leur travail, tenaient entre leurs mains l’axe central du monde. »

plus qu’il ne le fait aujourd’hui ! En ce sens, penser la gratuité dans l’accès aux œuvres est un combat plus que jamais d’actualité en ces temps de – fausse – disette budgétaire et de décentralisation qui en oublie même ce domaine sociétal essentiel ! Des milliers d’artistes, d’acteurs et d’institutions culturelles sont en péril, L’Ormée n’a cessé de l’écrire au cours des quatre-vingt-dix-neuf derniers numéros (et quelques débats « manifestifs »), et c'est aussi c’est un combat « historique » de notre ligne éditoriale !

Enfin « Que poursuivre » ?

Eh bien, poursuivre cette volonté de parler à tous, amis lecteurs, acteurs, de façon originale, à notre rythme, pour que le dialogue continue de s’élargir à

temps arabe où culture numérique et expression artistique continuent de s’unir pour dénoncer le manque de ces libertés que nous chérissons en démocratie. À l’heure où l’étranger nous est désigné comme de plus en plus étrange, il faut continuer à le défendre et à l’accueillir dans nos pages ! Mais « l’ailleurs » est souvent proche, du cœur de la métropole bordelaise aux « champs » girondins. On va le trouver jusque dans les bois landais où Uzeste reste une formidable boîte de résonnance et d’écoute culturelle à partager… à côté de bien d’autres encore ! « Le poète a toujours raison » et, même chanté, L’Ormée en sera l’écho tant que l’engagement politique sera son horizon ! Emmanuel FARGEAUT


Eux aussi ont «vocation à rentrer chez eux» !

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Ces populations étrangères à notre département, chez lesquels la malpropreté la plus repoussante est une seconde nature, et dont la dégradation morale est descendue à un niveau effrayant, viennent périodiquement encombrer nos quartiers », écrit Auguste Chérot. Il ajoute : « Chacun de leurs séjours est une véritable infection. […] C’est un véritable fléau. […] Parmi les nombreux faits qui ont affecté profondément la commission, quelques-uns suffiraient pour justifier une pareille appréciation. Ainsi, un hangar sans fenêtre, dont le sol et les murs étaient pour ainsi dire putréfiés, était occupé par deux jeunes filles, deux sœurs, toutes deux mères, ne comprenant pas un mot de français et n’ayant d’autres moyens d’existence. pour elles deux et trois enfants, que la plus abjecte et la plus misérable prostitution. » « Dans d’autres taudis non moins hideux, nous trouvons père, mère, enfants […] sans autre ressource que la mendicité. Quand ils ont obtenu quelques monnaies de la charité privée, le père, et souvent la mère, se hâtent de se plonger dans une affreuse ivresse et scandalisent ensuite le voisinage par des luttes féroces et des actes d’immoralité révoltante. […] Ces hordes nomades, à raison des condi-tions hygiéniques où elles vivent, sont une charge pesante pour les hôpitaux. Elles entretiennent dans nos murs le fléau de la mendicité. Elles démoralisent la population par l’incessant spectacle de la dégradation la plus infâme. […] Enfin, elles ont, outre la tentation, toute facitité, dans une grande ville, de s’abandonner à tous les vices auxquels les laisse en pâture l’absence de sens moral, à peu près étouffé chez eux, si jamais il y a été développé. »

Parmi les nombreux rapports et recommandations qui atterrissent sur les bureaux des dirigeants, en voici un, portant sur le comportement et l’état des « populations étrangères », qui a attiré particulièrement notre attention. ll est signé Auguste Chérot, polytechnicien. Que dit ce rapport sur ce sujet d’actualité ? En voici quelques extraits, analysés dans le numéro 21267 du 3 octobre 2013 de L’Humanité Dimanche.

Après un tel constat, « que faire ? » s’interroge le polytechnicien qui précise : « Il est urgent de porter le fer dans une plaie dont nous étions loin de soupçonner Ia gravité et l’étendue. » Après avoir constaté que ces populations « ont, comme tous les citoyens, droit à la liberté de choisir leur résidence sur le sol du pays », il précise : « Mais si cette liberté souffre des restrictions nécessaires, dans l’intérêt de la société, ce principe de restriction peut être d’autant mieux invoqué quand il se trouve d’accord avec l’intérêt sainement compris de ceux contre qui l’application en est demandée. Nous pensons qu’à tous égards il importe que cette facilité de quitter [leur région d’origine, ndlr] pour venir croupir dans la misère d’une grande cité comme la nôtre soit refusée à ces populations. » En clair, M. Chérot propose leur maintien forcé sur leurs terres d’origine. Un dernier détail sur ce rapport signé Auguste Chérot. Il a été adressé au maire de Nantes, Évariste Colombel, lointain prédécesseur de Jean-Marc Ayrault. Il date du 25 avril 1851 et il est intitulé « Rapport sur les immigrations bretonnes dans la ville de Nantes »1. Les « hordes nomades » qui sont ainsi décrites et qui ont pour vocation à repar-

« La question qui se pose n’est pas celle des squats de Roms, mais de citoyens européens qui vivent dans des bidonvilles chez nous », relève Médecins du monde après les différentes expulsions qui ont eu

Au squat Thiers-Benauge (ci-dessus) et au squat Queyries (ci-contre), Bordeaux, printemps 2010.

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Photos N_VR, série DOSTA  !

tir chez elles sont donc… bretonnes. Eh oui, des Bretons, qui quittent massivement les campagnes où règne la misère en ce milieu du XIXe siècle. Que serait-il advenu des Bretons dont Chérot ne manque pas de souligner « qu’ils entrent pour trois quarts dans la population qui alimente les bancs des tribunaux » et dont l’intégration est impossible compte tenu de leur comportement social, auquel s’ajoute le fait « qu’ils ne comprennent que le bas breton et qu’il est impossible aux agents de l’autorité de s’en faire comprendre », quel aurait été leur sort si la recommandation de ce haut fonctionnaire avait été suivie d’effet ? Les républicains, les vrais, ont fait fi de ces conseils maudits. Ils ont réglé, par l’éducation et le travail pour tous, le sort de ces « hordes » en butte à la misère dans laquclle les capitalistes de l’époque avaient plongé leur campagne et notre pays. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, ferait bien de réfléchir à cette leçon de l’histoire quand il déclare que les quelque vingt mille Roms qui, à ses yeux, polluent notre pays « ont pour vocation à rentrer chez eux ». C’est-à-dire dans deux pays, la Roumanie et la Bulgarie, tous deux membres de l’Union européenne, où ils sont traités en parias, en sous-citoyens, réduits à l’état de handicapés sociaux comme seule la misère sait en produire. Et donc livrés aux maffias locales. André Ciccodicola, rédacteur en chef, L’Humanité Dimanche.

–––––––– 1. « Un manifeste de 1851 contre les immigrés bretons », analysé par Didier Guyvarc’h, dans Genèses, Histoire et sciences sociales, 24, 1996, Documents, pp. 137-144. [persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ genes_1155-3219_1996_num_24_1_1406]

lieu à Bordeaux, depuis celles de l’avenue Thiers en septembre 2012, puis en juillet 2013, en passant par celles du quai Hubert-Prom et de la rue Lucien-Faure en février 2013. Certaines familles sont retournées dans leur pays « à l’insu de leur plein gré », d’autres se sont redirigées vers d’autres squats. « Une grande majorité des expulsions se fait sans diagnostic préalable et sans solution de relogement. Le Centre d’orientation sociale a reçu des subventions pour les réaliser, mais nous n’avons jamais eu connaissance des résultats. »


Portrait

À l'issue d'une aventure humaine et artistique de trente-cinq ans, l'Arbre rose a fermé ses portes fin décembre 2012. Jean-Bernard Couzinet, créateur de cet atelier d'art-thérapie, garde la certitude que, « plus que jamais, l’art a un rôle majeur à jouer dans une société libérale comme la nôtre ».

L’ARBRE ROSE

Dessin de Didier.

Les institutions ne jurent aujourd’hui que de sécurité, de qualité, de management, d’esprit d’entreprise... Dans ces conditions, quel est l’avenir des ateliers d’expression libre ? Heureusement, il existe encore de nombreux ateliers, fussent-ils plus ou moins libres. Mais ils sont souvent ponctuels et noyés au sein d’équipes qui ne leur accordent souvent que la portion congrue. Quoiqu’il en soit, il semble utile que chacun, dans sa problématique propre, ne perde pas de vue qu’il est absolument nécessaire de préserver la parole de la personne en souffrance dans de tels espaces. Elle a souvent considéré l’atelier L’Arbre rose comme son seul poumon d’oxygène et comme son lieu d’existence, de considération..., précieux pour son mieux-être. En tant que professionnels, nous nous devons de poursuivre la lutte pour que chacun puisse ainsi conserver son droit d’expression et d’être, et puisse tendre toujours plus vers son autonomie.

Une expérience de la prise de parole des patients psychiatriques Pendant plus de trente-cinq ans,

l’atelier d’expression libre L’Arbre rose a ouvert une fenêtre dans la psychiatrie institutionnelle 1. Il fut un lieu où le patient psychiatrique avait la parole libre, la liberté d’action et de création. Un lieu d’ouverture, aux multiples expositions hors institution, facilitant rencontres et prises de paroles. Un lieu de respect de l’autre, de solidarité, de convivialité, d’apaisement de la souffrance. Peu de temps avant sa fermeture, début janvier 2013 à mon départ à la retraite, je fis réaliser un film par Philippe Borrel et Suzanne Allant 2, afin de recueillir les témoignages de quelques patients habitués du lieu. Le Dernier voyage de l’Arbre rose est visible sur le web 3. Il a été présenté dans différentes circonstances à travers la France, à Toulouse, Paris, Marciac…, lors de projections accompagnées de débats. Et de nouvelles dates sont prévues. Dès lors, trois questions se posent et font l’objet de mes préoccupations : Que sont devenus les patients concernés par l’Atelier ? Que sont devenues les œuvres produites, individuelles et collectives ? Quel est l’avenir des ateliers d’expression dans la psychiatrie actuelle ? Ainsi, j’ai gardé quelques contacts avec les désormais « Amis de l’Arbre rose », qui se réunissent une fois par mois. Il nous est apparu nécessaire de créer un nouvel outil, ouvert à tous les artistes « libres ». Il s’agit du Groupe Liberté(s), qui a déjà participé à plusieurs expos à Bordeaux-Bastide, Bruges, Cadillac. Ce groupe permet désormais à chacun d’exposer à titre personnel, sans être rattaché de près ou de loin à la psy. Des œuvres ont été remises à leurs auteurs, d’autres sont restées à l’hôpital dans une cave où l’amiante dégouline, après avoir déménagé trop de fois, comme dans un local vandalisé et à la morgue. Ce patrimoine mériterait un peu plus d’égard et le respect de leurs auteurs. En avril dernier, je participais à Toulouse à un congrès dont l’objet était la protection des œuvres d’art-thérapie réalisées depuis les

années soixante-dix à nos jours, dans la perspective de la création d’un musée. En effet, aujourd’hui les ateliers ferment les uns après les autres, au départ de leur créateur. On est à la fin programmée d’une période qui leur était favorable, au bénéfice d’actions ponctuelles visant plus à soigner l’image de l’Hôpital, avec la culture-vitrine institutionnelle, qu’à considérer le Patient Sujet. Il est donc temps de prévoir une conservation honorable des œuvres. L’Arbre rose a été une expérience souvent en butte avec l’administration, mais qui a rempli professionnellement sa mission auprès des patients. Son caractère libertaire confirme que l’art ne doit souffrir d’aucune contrainte et doit échapper à tous pouvoirs institutionnels qui tiennent à garder leur capacité d’influence sur leurs captifs. Plus que jamais, l’art a un rôle majeur à jouer, dans une société libérale comme la nôtre.

Pour ma part, je continue de rencontrer les Amis de l’Arbre rose, à leur demande. Je viens de leur proposer de prendre la parole dans un atelier d’écriture animé par Joël Zanoui, qui a participé aux activités de l’atelier. En quitant mes fonctions, je n’avais rien décidé, j’ai laissé venir. Je constate, aux nombreuses demandes qui me sont faites, que les ateliers d’expression sauront, comme par le passé, s’imposer en surmontant les difficultés institutionnelles, car la relève a le courage nécessaire. Jean-Bernard COUZINET, docteur d’université et plasticien, créateur-animateur de l’atelier L’Arbre rose.

–––––––– 1. Dans un local de l’hôpital Charles-Perrens, à Bordeaux. 2.  Philippe Borrel a réalisé, entre autres, les films Un monde sans fous ? et Un monde sans humains ? 3. [www.collectifpsychiatrie.fr/?p=4916]

L’affiche de Che a toujours accompagné l’Arbre rose… L’œuvre ultime de l’atelier, laissée à sa fermeture et défaite par l’institution.

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l est un débat qu’il faudrait avoir et qui me reste en travers de la gorge. C’était il y a un an, Hollande feignait encore de vouloir vraiment imposer les riches. Le député socialiste Christian Eckert, rapporteur général du budget, proposait dans un amendement d’inclure (modérément) les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF, une proposition déjà avancée en 1993 par Jean-Pierre Brard, député apparenté communiste. Que croyez-vous qu’il arriva ? On vit Claude Cabanes, dans L’Humanité, monter au créneau aux côtés des galeristes, courtiers et spéculateurs de tous poils, contre un dispositif qui, dixit Cabanes, « pourrait avoir des effets destructeurs sur le mouvement de l’art lui-même et son marché dans notre pays »1. Comme si le marché de l’art était plus respectable que les autres. Mais surtout, quelle naïveté ! Comme si l’on était encore à l’époque des Kahnweiler2, marchands et collectionneurs pas forcément désintéressés mais toujours passionnés... Comme si l’ultralibéralisme n’était pas passé par là ! Les Échos, qui s’y connaissent, décrivent « un marché de l’art devenu hautement spéculatif, particulièrement cette décennie [où] chacun cherche la meilleure stratégie possible pour maximiser ses profits »3. Invoquer ici, comme le fait Cabanes, « l’alliance des forces du travail et des forces de la création » est pathétique. On peut également rappeler que la plusvalue sur la revente d’œuvres d’art est exonérée au bout de douze ans et Les Échos, toujours, conseillaient un peu plus tôt : « Ne créez pas d’emplois trop vite et spéculez sur les œuvres d’art car aucune valeur ajoutée n’est nécessaire pour acheter et revendre »4. Ajoutons qu’il est illusoire de distinguer, comme le souhaite Cabanes, collectionneurs et spéculateurs. Et puis, doit-on perpétuer cet archaïsme qui soumet les artistes au caprice de riches acquéreurs, à cette insupportable usurpation qui permet à ceux-ci de se constituer un capital symbolique d’« homme de culture » afin de mieux légitimer l’accumulation de leur capital économique ? Monsieur Bernard Magrez achète un Stradivarius, il lui donne un nom et le prête, grand seigneur, à l’ONBA. Et il le fait savoir ! Qui va croire à son désintéressement ? Gérard LOUSTALET-SENS –––––––– 1. L’Humanité du 17 octobre 2012. 2. Daniel-Henry Kahnweiler, marchand d’art et promoteur des quatre mousquetaires du cubisme, Picasso, Georges Braque, Juan Gris et Derain. 3. Les Échos du 21/22 décembre 1012. 4. Les Échos du 23 octobre 1012

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Canal historique

(aujourd’hui)

Sebastião Salgado/Amazonas images.

Humeurs

L’art et le capital

Le 18 juin 1987 paraissait le premier numéro de L’Ormée. La veille, 17 juin, au Théâtre de Paris se déroulaient les États généraux pour la Culture, où les acteurs culturels ont témoigné « de leur amère expérience et de leur désir de résister au pouvoir de l’argent et de l’asservissement au modèle américain ». Ces lignes du numéro Un de L’Ormée témoignent, s’il en était besoin, de l’utilité politique de cette publication unique en France. L’Ormée est née à Bordeaux en même temps que le Théâtre du Port de la lune dont le premier directeur, Jean-Louis Thamin, fut le premier invité. Comment ne pas saluer l’énergie militante, qui, depuis cent numéros, poursuit ce combat communiste pour l’épanouissement culturel ? Longue vie à L’Ormée, publication de la fédération du PCF de Gironde et bonne route aux « Amis de L’Ormée » et à sa chorale. L’orme est, dit-on, un arbre robuste ! Les « Ormistes » de 1652 ont ouvert un chemin que L’Ormée de 2014 entend continuer. Jean-Claude GOMEZ

Après la guerre du Golfe de 1991, des ouvriers tentent de maîtriser les puits de pétrole. Gisement de pétrole du Grand Burhan, Koweit, 1991. Série La Main de l’homme.

Des Ormées… la déraison est justifiée !

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our ce centième numéro, j’aurais pu évoquer comment, en 1987, dans ces petits soirs de remue-méninges, « L’Ormée » est devenue le titre de notre revue, après avoir supplanté le « Bouillon de culture », repris plus tard par Bernard Pivot. J’aurais pu analyser comment, en 1986, la commission culturelle du PCF girondin a voulu dépasser « l’entre-nous » de sa réflexion pour la partager publiquement, ouvrir sa revue à tous les acteurs culturels, à leur travail, à leurs combats et faire de L’Ormée un outil de rencontres, de découvertes, d’émotions partagées avec ces jeunes artistes, ces créateurs modestes ou reconnus, ces publics passionnés ou empêchés. J’aurais pu déplorer comment, en ce temps de 2013, la culture est, encore, cette « variable d’ajustement budgétaire » qui passe la première à la guillotine quand l’austérité se fait reine et que « les véritables causes des séditions et du changement des États sont les richesses excessives de peu de sujets », comme le dénonçait déjà, en 1651, le menu peuple de l’Ormée. J’aurais pu… Mais je préfère donner à re-lire l’extrait d’un article du premier numéro, de son premier rédacteur en chef. Il garde – heureusement ?, malheureusement ? – beaucoup de son actualité. « Déraisonnable, une publication centrée sur la réalité culturelle de notre région, la rencontre entre les femmes et les hommes de culture, le public et les communistes ?

« Déraisonnable, la volonté d’affirmer l’identité de notre parti dans le champ culturel et, dans le même temps, d’aider à la prise en compte de ce qui bouge, se construit, et de favoriser les actions convergentes ? « Nous ne le pensons pas. Au moment où les artistes de toutes disciplines vivent douloureusement la subordination de leurs capacités créatrices au pouvoir de l’argent, où la culture est dévoyée dans un rôle dérisoire de supplément d’âme, où la ségrégation culturelle limite l’épanouissement de la personnalité, cœur et raison mêlés, il est urgent d’envisager des réponses neuves. Chacun, de sa place, en donnant à voir et à comprendre, sans soumission idéologique ni ingérence esthétique, peut y concourir… « Le principe de toute culture véritable est de déshabiller ce qui ne consisterait qu’à transmettre et faire partager les mots et les choses qui supportent l’ordre existant. En ce sens la création dérange. C’est tant mieux. « Contre la pédagogie du renoncement, le fatalisme de la résignation, L’Ormée entend participer au combat pour créer de réelles conditions de développement de la culture. "Comment veux-tu que l’espoir capitule ?" dit Jacques Higelin ». C’était notre appel du 18 juin 1987 ! L’Ormée, maintenant forte de cent expériences, va continuer sa route « d’utilité publique » dans le paysage culturel girondin. Jean-Claude LAULAN


CréateurS  aussi

INDÉMODABLE(S) ! Au rez-de-jardin du château de Fongravey, en plein Blanquefort, au milieu d’un parc où des chênes vénérables protègent en cette saison des tapis de cyclamens roses, Lolita Pugibet et Colin Schonenberger m’accueillent dans les deux pièces qu’ils ont aménagées pour installer leur matériel et les productions de leur atelier de gravure. Un petit miracle d’ordre et d’organisation.

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ur les murs, encadrées ou non, les estampes réalisées par les membres de l’association fondée par Colin sont offertes au regard du visiteur. Elles séduisent d’emblée par la diversité des sujets, des formes, des couleurs… et des techniques. Deux pièces mises à disposition par la commune, dont leur atelier est seul bénéficiaire. Heureusement, tant cette activité, la gravure, ne se prête guère à l’improvisation ni à l’à-peu-près ! Dans celle où ils me reçoivent, des mots curieux sur des panneaux muraux comme chalcographie, gravure en creux, taille d’épargne…, et des grilles superposées destinées au séchage des épreuves ; et des plaques supportant des poids qui aplanissent les feuilles gravées, toutes productions originales des deux animateurs ou des adhérents. Dans l’autre pièce, deux presses aux rouleaux étincelants et aux surfaces parfaites. La plus grande est impressionnante par la pression qu’elle développe : une tonne par mètre linéaire. La plus petite est transportable et sert aux animations, démonstrations et autres expositions que Colin et Lolita assurent, à la demande d’écoles, de centres sociaux, de médiathèques : elle m’avait intrigué aux journées des « Arts s’en mêlent » du château Dillon. L’une et l’autre fonctionnent sur le même principe et sont actionnées par un volant genre batellerie. Partout des tables, des bacs, des étagères avec des encres, des outils spécifiques, des liasses empilées ; et des tabliers qui attestent qu’on doit se protéger de maladresses excusables. Celui de Lolita semble constitutif de son identité.

contemporain alors que, dans de nombreux pays, elle reste une forme d’expression essentielle et que des artistes majeurs l’ont pratiquée assidûment, tel Picasso qui en a produit des milliers. Et La Vague du Japonais Hokusaï n’est-

Colin à la presse de gravure.

Au-delà d’une dissemblance superficielle – Colin est un jeune actif ; Lolita, jeune aussi, mais retraitée – leur accord est profond. Ils ne sont en rien des gravures de mode parce qu’ils pratiquent la gravure en mode majeur. Des chemins différents les ont conduits à la même passion. Pour Colin, ce fut les Beaux-arts à Toulouse où un professeur de gravure l’a « contaminé » ; Lolita, elle y est « tombée » après être passée par la peinture. Une passion qu’ils expliquent par le côté artisanal de leur activité, qui ne relève pas seulement de l’inspiration mais plutôt de cet aspect « arts et métiers », avec parfois un aléatoire du résultat qui n’est pas pour leur déplaire. En premier, on prépare la matrice, qu’on maîtrise assez vite sur les conseils des deux animateurs de l’atelier. Elle peut être en bois, en lino, en cuivre, en zinc…, en creux ou en relief. J’apprends

aussi qu’on peut faire de la gravure au sucre (!?) ou en se servant du carton de briques de lait (!?). « La matrice, c’est l’âme de la gravure » dit Colin. Puis il faut passer l’encre, à la poupée (!?) ou au rouleau. Selon Lolita, « l’encrage et l’essuyage sont les deux mamelles de la gravure ». Mais, après tout, puisqu’il est question de lait ! L’essentiel est donc dans le travail préparatoire ; l’estampe, la réalisation terminée après passage en presse, est juste un transfert sur papier. Sauf que c’est elle qui suscite l’émotion ! En général, les tirages sont limités à quelques unités, quelques dizaines au mieux. Quand on considère l’investissement en temps, équipements et matériels, on comprend que les ventes permettent difficilement de couvrir les frais engagés. Tous deux déplorent cette particularité française qui exclut bizarrement la gravure de l’art Lolita : de Valencia à Bordeaux.

elle pas une estampe connue de tous ? Ils ne supportent plus qu’on marginalise la gravure, au prétexte que les pratiquants seraient davantage œuvriers (au sens de Bernard Lubat) que purs artistes. Y auraitil un art officiel et des genres mineurs ? Ils récusent totalement cette conception… et nous aussi ! Une amertume bien compréhensible, mais Lolita et Colin ne se résignent pas. Tout en assurant les permanences de l’atelier et les stages du samedi, ils explorent de nouvelles pistes dans les techniques et dans la présentation. Le rhodoïd ou l’astralon étant des supports relativement simples à manier, ils les ont proposés à une classe de cours préparatoire, et les créations enfantines présentées en dépliant vertical sont surprenantes. Des idées, ils n’en manquent pas, comme la réalisation d’une exposition « Au bout des doigts » avec des gaufrages qui constitueraient une façon originale de valoriser la gravure, à côté des cadres et des livres d’artiste. Colin n’hésite pas à affirmer qu’ils ont là le plus bel atelier de gravure de la CUB. Son ambition est de pouvoir un jour vivre du partage de son savoir et de son expérience, en élargissant le cercle de ses adhérents. C’est en bonne voie : un couple de Royan, après s’être renseigné sur Internet et déplacé « pour voir », vient pratiquer une fois par semaine. Qui dit mieux ? Jean-Jacques CRESPO ––––––––

latelierdegravure@gmail.com atelierdegravure.edicypages.com

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Entretien L’exposition de vos photos qui a lieu en ce moment à Mérignac, en Gironde, a pour titre « Sebastião Salgado, un regard engagé ». Quelle est votre définition d’un « regard engagé » en photographie ?

Sebastião Salgado

« L’art tout seul n’apporte rie Il a commencé à travailler comme économiste, puis devient photographe professionnel à partir de 1973. Alors qu'à Paris la Maison européenne de la photographie présente Genesis, hommage photographique à notre planète au terme de huit ans de voyages, une exposition rétrospective de son travail le plus social est actuellement présentée à la Vieille Église Saint-Vincent de Mérignac.

Ce n’est pas moi qui ait choisi le titre de cette exposition, mais les gens ont toujours dit que j’étais un militant. Ces photos, c’est ma vie, mon éthique, ma manière de vivre. Comme mon langage c’est la photo, ça devient ce que c’est. Jorge Amado 1 a écrit sa vie, ses expériences, ce qu’il aimait, le résultat c’est sa vie… Pour moi, chaque série (Afriques, Autres Amériques, Exodes, La Main de l’Homme) retrace un grand morceau de ma vie où il était important de faire ces photos-là : la beauté, la révolte m’animaient. Alors, oui, c’est engagé, avec ma compréhension idéologique et éthique des choses. Vous avez changé de voie en 1973, abandonné une carrière d’économiste pour devenir photographe. Pourriezvous revenir sur ce moment de basculement dans votre vie ?

Ça a été une découverte pour moi, je suis venu en France un peu rapidement, avec ma femme, on a quitté le Brésil qui subissait une dictature brutale. On était très jeunes (moi j’avais vingt-quatre ans et ma femme même pas vingt) mais on se croyait déjà très mûrs… En arrivant en France, j’ai continué mes études tout en participant à des groupes de réflexion sur le marxisme. Sebastião et Lélia Salgado. Photo Ricardo Beliel.

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Ma femme était en archi, elle a donc eu besoin d’acheter un appareil photo et, pour la première fois, j’ai regardé dans un viseur et cela a changé mon regard. J’ai vu que je pouvais matérialiser ce que je voyais. Alors, la photo a commencé à prendre une grande part dans ma vie. J’ai débuté en HauteSavoie où nous étions pour des vacances, puis en rentrant à Paris, j’ai installé un labo et j’ai développé et tiré des photos pour les autres, pour financer mon « hobby ». J’ai continué ma carrière [d’économiste] un certain temps, j’ai travaillé avec la FAO 2, je suis parti en Afrique, puis à Londres, et là je me suis rendu compte que mes photos prenaient le dessus sur tout le reste… Au début, j’ai tout essayé, le sport, le nu, etc., mais, sans savoir comment, je me suis très vite trouvé pris dans la photographie sociale. Venant du Brésil sous la dictature et ayant trouvé en France tant de réseaux de solidarité avec les opposants brésiliens, je me suis mis à faire des photos là où ma vie me poussait à les faire, dans le mouvement social. J’ai travaillé pour L’Huma, L’Huma Dimanche et aussi un journal catholique, des journaux syndicaux. Je passais à la salle de rédaction, je demandais quel était leur sommaire et je partais faire les photos ; après, je suis parti plus loin…

Genesis, votre grande exposition actuelle à Paris, réalisée avec votre épouse Lélia Wanick Salgado, est résolument tournée vers la défense de l’environnement. Pour vous, est-ce le grand défi lancé à l’humanité aujourd’hui ?

Oui, c’est un des grands défis, on croyait la cause purement sociale, mais ça ne doit pas être dissocié de l’environnement qui est aujourd’hui une préoccupation majeure. En finissant Exodes, j’étais cassé, je ne croyais plus en l’homme, ma santé a commencé à en souffrir. Or, mes parents avaient une ferme dans ma région d’origine au Brésil, le Minas Gerais, que nous avons récupérée avec ma femme. Avant, c’était un paradis, une forêt tropicale, merveilleuse ! Mais tout était détruit, il n’y avait même plus d’eau dans ma région, notre fleuve qui faisait quatre mètres de profondeur n’avait plus que quatre-vingt centimètres quand nous sommes arrivés… Et c’est la même chose partout, même en France où la déforestation est bien maquillée. On y affiche une couverture forestière de 27 %, mais en réalité, il n’y a que 3 % de vraie forêt locale avec toutes les espèces et tout l’écosystème correspondant, le reste, c’est de la forêt économique, avec une ou deux espèces, destinée à être coupée. L’écosystème ne peut pas s’y développer. Alors, au Brésil on a commencé à replanter notre forêt, à rechercher les essences locales et à développer massivement les plans nécessaires à cette reforestation. Et on a commencé à penser à notre fondation, l’Instituto Terra. Le problème se pose partout sur la planète, il faut résoudre à la fois les problèmes sociaux et les problèmes de relation avec la planète.


Travailleurs des mines de charbon de Dhanbad, État de Bihar, Inde. 1989. Série La Main de l'Homme.

Sebastião Salgado/Amazonas images.

ien ! »

Indira Gandhi disait que la première des pollutions, c’est la misère. Pensez-vous que la misère humaine, les conflits, l’exploitation doivent cesser afin, également, de préserver la planète ?

On croyait que la misère était seulement matérielle et, quand on militait, c’était pour qu’une classe accède aux biens matériels dont profitait déjà une autre classe. On a abouti à une gigantesque société de consommation. Lula, qui est un ami, a fait accéder trentecinq millions de Brésiliens miséreux à la classe moyenne, ils sont devenus d’immenses

consommateurs de TV, de voitures, de routes, d’énergie… Donc, d’un côté, il y a eu un accès aux biens matériels, mais d’un autre côté on se retrouve avec un immense problème environnemental. Or il faut absolument trouver des solutions pour gérer ce problème. Un autre problème majeur que je vois avec cet accès aux biens matériels, c’est l’isolement qui se développe, provoqué par l’urbanisation massive. Dans mon immeuble à Paris, une vieille dame qui habitait là a disparu quelques jours, elle était morte, on s’en est aperçu à cause de l’odeur ; on est trois cents habitants dans ce bâtiment et cette dame ne connaissait personne ! En Afrique, même dans la plus grande misère, quand quelqu’un meurt, les autres pleurent, on a perdu ça ! On n’a plus le sens de la communauté, de la solidarité, c’est ce qui me choque le plus dans ce processus de massification de la consommation et de la « communication ». Quand on est arrivés en France, on n’avait pas grand chose, on faisait du stop, les gens nous prenaient avec eux, on discutait, ils nous invitaient à manger ou à dormir, il y avait une grande solidarité et un grand plaisir à échanger. Aujourd’hui, on dirait que le seul plaisir est de consommer. On s’isole de plus en plus avec Internet alors qu’on croit communiquer ! Je crois que la misère « spirituelle » est beaucoup plus forte encore que la misère matérielle. L’accès aux biens matériels n’a pas réglé ça, peut-être au contraire sommes-nous finalement dans une plus grande misère du fait de l’isolement que du fait du manque d’argent. Que pensez-vous que peut apporter l’Art, et plus singulièrement la photo, à ces différentes causes ?

L’art tout seul n’apporte rien ! Mes photos, on peut les regarder tout seul puis les oublier. Mais l’art, la photo, pris dans un mouvement vont pouvoir changer des choses ! Genesis, avec le discours des ONG, des militants, va faire partie d’un mouvement majeur qui peut permettre de changer les choses…

Church Gate Station, Western Railroad Line, Bombay, 1995. Série Exodes. Sebastião Salgado/Amazonas images.

Je ne crois pas aux héros individuels, ni en art ni ailleurs. Ma photo n’est rien si elle n’est pas ancrée dans un mouvement plus large. Le Mahatma Gandhi, que je respecte beaucoup, est le fruit d’un mouvement énorme de libération, il apparaît par le mouvement historique, seul il ne serait rien ! C’est comme Gorbatchev, il n’a fait que matérialiser un moment historique. On est dans un mouvement, social ou environnemental, mais si on n’appartient pas à un mouvement, on ne change rien. Je ne crois pas aux hommes providentiels, c’est une mode, on cherche des gourous, mais ça ne marche pas comme ça ! Un processus d’appropriation citoyenne de l’art et de la culture, comme l’éducation populaire, serait-il plus efficace pour changer les choses ?

Oui, c’est un peu ce que je viens de dire; c’est le mouvement de tous qui compte. Je ne fais pas des photos d’art, mais des photos de notre société. Si elles deviennent une référence de cette société parce qu’elles se situent dans un mouvement majeur de cette société, alors cela deviendra une œuvre d’art. Car cela concernera toute la société. Si on n’a pas ce mouvement populaire de masse, l’art en soi ne pourra rien changer. Je crois qu’il faut vraiment inverser le mouvement actuel, on va arriver à des moments de décisions durs dans notre société. Je crois que ce qui a garanti notre évolution, ce n’est pas la technologie, les biens matériels, mais notre comportement de société, notre aptitude à faire société. La notion de participation démocratique doit exister en réalité et non pas comme une mascarade. Il faut un ample mouvement profondément démocratique pour inverser le cours des choses et sauvegarder à la fois notre humanité et notre planète, car l’une ne peut pas aller sans l’autre. Entretien réalisé par Natalie VICTOR-RETALI >  Sebastião Salgado est né le 8 février 1944 à Aimorés, au Brésil. Marié à Lélia Deluiz Wanick, il est père de deux fils et vit à Paris. >  Genesis, Maison européenne de la photographie, Paris, jusqu'au 5 janvier 2014. >  Un regard engagé, Vieille Église Saint-Vincent, Mérignac, entrée libre, du mardi au dimanche de 14 h à 19 h jusqu'au 1er décembre 2013. L’exposition propose des extraits des grandes séries de Salgado : Sahel, l’homme en détresse, sur les ravages de la sécheresse et la famine (1984-1985), Autres Amériques, qui évoque la persistance des cultures paysannes et indiennes (1977-1984), La Main de l’Homme pour laquelle, pendant six ans, il a visité vingt-six pays à la recherche des travailleurs manuels (1986-1992), et enfin Exodes (1994-1999), sur les migrants chassés de leur pays. > [www.amazonasimages.com] –––––––– 1. Jorge Amado est l’un des plus grands auteurs brésiliens. Son œuvre montre le plus souvent les communautés noires et mulâtres de la province de Bahia où il a presque toujours vécu. 2. Food and Agriculture Organization, organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, spécialisée dans l’aide au développement et chargée d’améliorer le niveau de vie, l’état nutritionnel et la productivité agricole.

L’Ormée _ 7


Carte blanche

A

Il était une fois un quatuor improbable. Miguel-Angel, un anthropologue aventurier issu des quartiers populaires de Mexico, Javier, un peintre et céramiste venu du cœur profond de la Tierra Caliente de l’État de Guerrero, JeanPierre, un ancien prof de math orléannais devenu sculpteur pour l’amour du métal en fusion, et une journaliste mexicano-gasconne un peu écrivaine mais incapable de tenir un pinceau.

vant d’arriver au Mexique, la journaliste, alias Paquita, avait passé du temps à Cuba, où côtoyer au quotidien artistes ou écrivains est chose courante et magnifique. Elle, qui ne connaissait pas grand-chose au monde de l’art et de la création, avait découvert que, pour beaucoup d’entre eux, inconnus en France, il était difficile, voire impossible, de penser y exposer un jour. Ils pouvaient, en revanche, être la proie de pseudo-marchands d’art sans scrupules, leur faisant miroiter la gloire. La même difficulté se retrouvait partout sur son chemin, en Colombie, au Mexique, en Haïti, au Pérou, au Chili… En 2003, lors du centenaire de L’Humanité, Javier demanda à Paquita de proposer une exposition de ses œuvres en échange de la réalisation, in situ, d’une fresque murale, cadeau au journal. Ce qui fut fait, à SaintDenis, dans l’immense hall de l’immeuble imaginé par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer. Puis le quatuor proposa, avec succès, les œuvres de Javier Mariano, souvent accompagnées de sculptures de Jean-Pierre Gendra, à Reims, Blois, Saint Jean-de-Braye,

Affiche de l’exposition de 2012, Les villes imaginaires - Mémoire d’un séisme, réalisée par Françoise Constantin.

8 _ L’Ormée

Pucéart ou la diffusion de l’art autrement Pau, Lacanau et ailleurs. Ainsi, pour partager expériences et connaissances, pour tisser des liens durables et pour construire des ponts entre les deux rives de l’Océan, voire de la Méditerranée au Pacifique – Javier Mariano n’avait-il pas créé, à Acapulco, la Biennale Paul Gauguin du Pacifique ? –, naquit Pucéart (Pour un commerce éthique de l’art, Por un comercio ético del arte), en 2007. Commerce au sens le plus ancien et le plus large du terme. Pas équitable car, dans un monde inégalitaire, le marché de l’art ne l’est pas, mais en revanche il peut y avoir de l’éthique dans les échanges. Malheureusement la vie réserve aussi des surprises tragiques et douloureuses. En 2008, juillet pour l’un, novembre pour l’autre, Miguel-Angel et Javier ont disparu. Ils avaient cinquante-trois et cinquante-six ans. Jean-Pierre et Paquita avaient perdu les deux piliers de l’édifice mexicain. Ils auraient pu baisser les bras, s’en remettre à une autre association, en créer une nouvelle, vendre tout bonnement les toiles de Javier. Bref, renoncer… Mais, d’autres, disséminés en France, les avaient peu à peu rejoints pour faire vivre Pucéart. La proposition généreuse et utopiste de l’association intéressait. Comment a surgi l’idée de faire une exposition annuelle sur la mémoire sociale et politique ? Personne ne sait plus. Nous voulions seulement rester dans l’idée du partage, des ponts, de la solidarité à travers l’art. L’idée est ainsi venue de convoquer des artistes à dire, peindre ou sculpter, à s’exprimer sur ce qu’évoquait, pour eux, femmes et hommes du vingt-et-unième siècle, un événement ayant profondément marqué la société latino-américaine.

LES EXPOSITIONS Au Mexique, la

répression de la manifestation du 2 octobre 1968, convoquée sur la place de Tlatelolco – place des Trois Cultures – par le mouvement étudiant qui se battait, depuis plusieurs mois, pour la justice et la démocratie et auquel s’étaient joints ouvriers, employés et enseignants, est toujours et à jamais gravée dans la mémoire collective. C’était à quelques jours de l’ouverture de ces Jeux olympiques restés aussi dans les mémoires pour l’exploit de Bob Beamon au saut en longueur et pour les poings gantés de noir de Tommie Smith et de John Carlos, premier et troisième du 200 mètres, levés pour protester contre la ségrégation raciale aux États-Unis. C’est ainsi que, en 2008, Pucéart, avec les amis de l’Ormée, l’Association francomexicaine d’Aquitaine et France-Amérique latine 33, quatre associations réunies en un

informel Collectif Mémoire, a été lancée la première exposition, Mexico 1968 - Mémoire du massacre de la place des Trois Cultures. Saut dans le vide d’un groupe sans expérience, sans moyens, sans subventions mais avec un infini enthousiasme et la conviction profonde de l’utilité d’une telle exposition. Les ébauches de la fresque murale réalisée au Mexique par Javier Mariano en hommage aux victimes d’un autre massacre, celui d’Aguas Blancas en 1995, dans l’État de Guerrero, ont servi de fil conducteur. Nous avons alors découvert le magnifique Espace Saint-Rémi, prêté par la ville de Bordeaux aux associations pour leurs manifestations. Nous, adhérents, sympathisants, artistes, avons eu le plaisir d’accueillir une vingtaine d’artistes et plus de mille visiteurs en une dizaine de jours, intéressés tant par les œuvres que par les textes, photos et illustrations de panneaux didactiques, ce que l’on pourrait appeler une première « expo dans l’expo ».

Catalogue de l’exposition de 2012, Les Moustaches de Zapata. Mémoire d’une révolution.

Avec les mêmes, mais sous la Halle du marché des Chartrons, Pucéart a proposé en 2010 au Collectif Mémoire de convoquer les artistes à participer à l’exposition Les Moustaches de Zapata - Mémoire d’une révolution, à l’occasion du centenaire de la révolution mexicaine de 1910. Une seconde « expo dans l’expo » a réuni des chromos mexicains représentant Pancho Villa et Emiliano Zapata et des photos de Casasola et de Brehm, racontant la première révolution du vingtième siècle. Du cinéma et de la musique, et une trentaine d’œuvres venues non seulement de la région et des quatre coins de France mais également d’Amérique latine (Colombie, Cuba, Brésil, Mexique…). Un gros succès, avec plus de mille trois cents visiteurs. Rencontre, solidarité, partage, c’est ce qui a encore animé la troisième exposition, deux ans après le séisme qui a détruit la région de Port-au-Prince en Haïti. L’exposition


Sombres partitions, bronze de Jean-Pierre Gendra, inspiré par le film Le Violon, de Francisco Vargas.

Les villes imaginaires - Mémoire d’un séisme – titre en hommage au peintre haïtien Préfète Duffaut – a vu le jour en 2012 par la rencontre avec l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot 1. Le Collectif Mémoire a alors décidé de soutenir, à la mesure de ses possibilités, la création du Centre culturel Anne-Marie Morrisset dans le quartier de Delmas à Port-au-Prince. Malgré la date et le froid du début du mois de janvier, nouveau succès, à la Halle des Chartrons, avec l’entrée dans le Collectif Mémoire de l’association béglaise Delaba et Dissi. Migrations solidaires et la sortie de nos amis mexicains. C’est le Réseau des artistes de Jacmel, animé par Rénold Laurent, qui, en nous envoyant vingt-cinq tableaux, a fait « l’expo dans l’expo » et a largement contribué à l’intérêt de la manifestation. On nous a parfois demandé comment nous arrivaient les œuvres. Elles voyagent solidairement : avec un prof qui vient donner un cours en France, une expat’ qui revient pour Noël dans sa famille, un voyageur qui se charge d’un paquet de plus, une militante associative qui part sur le terrain et même un consul honoraire qui va voir comment fonctionne l’école qu’il a aidé à reconstruire. Le

cinéaste cubain Humberto Solas, disparu lui aussi en 2008 mais en septembre, avait inventé, au moment de la période spéciale (crise économique majeure à Cuba), le Festival du film pauvre pour démontrer qu’avec de la solidarité et le partage de moyens, il est possible de continuer à créer. Il en a témoigné avec son dernier film, Barrio Cuba. Le Collectif Mémoire met en pratique cette idée et il n’y a guère que dans les encadrements et dans l’impression du catalogue de l’exposition que nous n’avons pas trouvé de solution solidaire. Il ne pouvait échapper à Pucéart que 2013 verrait le quarantième anniversaire de la mort du poète Pablo Neruda, survenue quelques jours après le coup d’État militaire contre l’Unité populaire au Chili. Le 11 septembre 1973, le président Salvador Allende avait refusé le sauf-conduit proposé par la junte militaire pour partir à l’étranger. Pour ne pas se rendre aux putschistes, il s’était tiré une balle dans la tête, dans le palais de la Moneda. Toute une génération a été marquée par l’expérience chilienne et, comme d’autres villes de France, à Bordeaux et dans sa périphérie, ont été accueillis, dans l’émotion et la solidarité, nombre de réfugiés chiliens. En 2013, le Collectif Mémoire s’est enrichi d’une nouvelle composante avec France-Chili Aquitaine, mais a perdu France-Amérique latine 33, pour convoquer la nouvelle exposition Le rêve de Neruda - Mémoire de l’Unité populaire. Pour l’occasion, nous sommes revenus à l’Espace Saint Rémi en septembre dernier, toujours avec nos minuscules moyens et sans subvention. Pourtant, l’exposition 2013 a été la plus riche, la plus multiforme. Elle est parvenue, sans attiser les différences, avec sincérité, à intégrer diverses manifestations, à faire travailler ensemble plusieurs groupes et associations, à relayer des initiatives dans toute la CUB et bientôt à Marmande. Mais c’est toujours des visiteurs que vient la récompense. De leur intérêt, de leurs découvertes, de leurs attentes et de leurs commentaires, du regard des enfants de maternelle ou des commentaires des collégiens. Plus de mille cinq cents visites, une quarantaine de participants à l’élaboration et à l’organisation de l’exposition : cinéma, littérature, photo, musique, danse…

Après avoir soutenu pendant deux années le Centre culturel Anne-Marie Morisset en Haïti, Pucéart soutient aujourd’hui une expérience culturelle à Xochistlahuaca, un village amuzgo de la Costa Chica du Mexique. Miguel-Angel Gutierrez y travaillait et, à sa mort, une partie de sa collection de masques a été donnée à une association locale qui a créé un petit musée portant le nom de l’anthropologue. L’association n’a aucun moyen mais porte deux projets : l’un concerne des paysans qui veulent retrouver la tradition de production de jus de canne-à-sucre, l’autre est un projet de développement du musée qui récupérerait la mémoire du village. Il comporterait trois salles : l’une pour un photographe local qui a des images anciennes du village, la seconde pour des photos faites par des Japonais qui, depuis longtemps, viennent à Xochis étudier la médecine traditionnelle, et la troisième serait consacrée aux masques qu’il faut, en partie, restaurer. Ce sont des projets modestes (moins de 2500 euros) auxquels Pucéart s’est intéressé. C’est, entre autres, pour les financer que Pucéart organise des Bazars d’art. Le prochain aura lieu le 8 décembre, toute la journée, au 20 de la rue de Freycinet à Talence. On y trouvera, depuis des livres et des cartes postales à moins d’un euro, des reproductions, de l’artisanat, jusqu’à des œuvres originales que des peintres latino-américains ont offertes à Pucéart. Des cadeaux pour Noël ! PaquitA* –––––––– 1. Lyonel Trouillot sera à La Machine à Lire, le 12 décembre 2013, pour présenter son dernier livre, Parabole du failli. * Alias Françoise Escarpit.

Affiche de l’exposition de 2013, Le rêve de Neruda - Mémoire de l’Unité populaire, réalisée par Igor Quezada.

ET MAINTENANT ? Pucéart s’est donné un an et demi pour une nouvelle exposition dont le thème, qui sera proposé au Collectif Mémoire, sera défini lors de l’assemblée générale de l’association le 16 novembre 2013. Se donner aussi le temps de respirer, de réfléchir, de débattre, de s’organiser a minima, de chercher quelques sources de financement...

SI VOUS VOULEZ PARTICIPER À L’AVENTURE DE PUCÉART ou simplement NOUS AIDER VOUS POUVEZ > adhérer à l’association (15 euros annuels), > faire un don du montant qu’il vous plaîra… Mentionner au dos du chèque sa destination et adressez-le à Pucéart, 5, place Dauphine, 33200 Bordeaux. Plus d’infos [puceart.free.fr] L’Ormée _ 9


Chanter ensemble

QUE DU PLAISIR ! La chorale des Amis de L’Ormée vient d’achever sa

tournée d’automne. Un bien grand mot direzvous ! Non, expression justifiée car, après un printemps où le classique a dominé avec les Nocturnes de Mozart pour un concert partagé avec Atout chœur, d’Arès, ce ne sont pas moins de trois prestations que les choristes ont enchaînées depuis la rentrée de septembre. Sous la direction de la jeune, dynamique… et toujours espiègle Claire Baudouin, notre groupe vocal a présenté un répertoire essentiellement puisé dans les chansons « belles et rebelles » qui constituent son fonds militant. Dans l’ordre : une présence remarquée dans le cadre de l’exposition Le Rêve de Pablo Neruda, à l’Espace Saint-Rémi de Bordeaux, qui célèbrait l’espoir de l’Unité populaire chilienne, fracassé par le coup d’État de Pinochet. Quel enthousiasme et quelle confiance dans l’avenir, public et choristes confondus, quand nous avons interprété El Pueblo unido, la chanson phare des Quilapayun 1. La semaine d’après, nous avons assuré le moment culturel du congrès de la CGT de la Gironde au Palais des congrès de Bordeaux. Nous avons eu droit à une belle ovation de la part de ces syndicalistes attentifs… et concernés en premier lieu par tous ces chants de lutte et de liberté ! Elle est allée tout droit à nos cœurs de gauche ! Et puis il y a eu la soirée d’hommage à Pierre Tachou, dans la salle qui porte son nom à Bacalan, pour Vie et Travail et ses « Trois jours », en octobre. Une soirée où nos chan-

sons ont pu exprimer tous les engagements de cette personnalité que personne n’oublie. Comme nous y invite le peuple chilien, nous voulons rester unis et conquérants pour partager toujours mieux notre passion du chant, dans notre positionnement de toujours : une chorale populaire et citoyenne qui ne s’interdit rien. Jugez- en ! L’an prochain, nous tiendrons au printemps notre Cabaret des Amis de L’Ormée sur le thème « Les Chants du monde », en essayant de n’oublier aucun continent ! En juin, nous renouvellerons certainement la belle expérience d’Andernos, pour un nouveau concert commun avec Atout chœur, dirigé également par Claire Baudouin. Sous peu nous pourrons vous en dire un peu plus. À plus long terme, nous envisageons d’aborder des chœurs moins connus d’opéras célèbres, en étant accompagnés par des musiciens de haut niveau et en partenariat avec d’autres groupes. Nous venons de démarrer l’apprentissage du programme prévu pour le Cabaret. C’est dire que toute personne qui aime le chant peut nous rejoindre sans délai et sans craindre un rattrapage contraignant : une répétition par semaine, la participation financière reste modique, et on n’exige pas de connaissances ni d’expériences musicales préalables. Lancez-vous : vous verrez à quel point nous savons conjuguer citoyenneté, musique et convivialité ! Jean-Jacques CRESPO

–––––––– 1. El Pueblo unido jamas sera vencido (Le Peuple uni ne sera jamais vaincu).

Chorale des Amis de L’Ormée Répétition chaque mercredi, de 20 h 15 à 22 h 30, à l’école de musique de Floirac, 21 rue Voltaire (terminus Dravemont de la ligne A du tramway). Contact et renseignements au 06 32 40 74 10.

Le Choix de L’Ormée

Les Jours heureux, film de Gilles Perret

En réalisant Les Jours heureux, Gilles Perret poursuit sa quête de la compréhension de l’évolution des luttes de la classe ouvrière dans notre pays. On associe souvent les « Trente glorieuses » au programme du Conseil national de la Résistance et à sa réalisation dans les années qui suivent la Libération. On associe les reculs sociaux depuis 1983 à la volonté consciente et organisée du patronat de détricoter ce programme entièrement, avec la participation d’alliés politiques attendus ou pas. L’occasion de revenir sur cette histoire, en ouvrant sur la question de savoir si l’alternative à la dérive droitière sociale et politique actuelle peut s’exprimer dans la revendication d’un « retour au programme du CNR ».

Projection le 22 novembre, à 20 h Débat animés par Espaces-Marx/Utopia « La classe ouvrière c’est pas du cinéma » et l’union locale CGT 33.

Cinéma Utopia, Bordeaux.

Rencontres Actualités de Marx et nouvelles pensées critiques 6e édition

Horizons de civilisation Les turbulences chaotiques qui déchirent nos sociétés ne proviennent pas d’une crise comme une autre, mais de l’incapacité d’un système, dominé par la cupidité arrogante. Nous approchons d’une bifurcation de civilisation : ira-t-on vers le mieux ou le pire pour le genre humain, tout l’enjeu est là. En débat  : D’une civilisation de l’avoir à une civilisation de l’être ? Dans quel monde voulonsnous vivre ? La démocratie est-elle encore possible ? Capitalisme, productivisme : dépasser le système actuel est-il à l’ordre du jour ?

Les 4, 5, 6 et 7 décembre 2013 IEP Bordeaux & UBx4

Inscriptions : espaces.marxbx@gmail.com 05 56 85 50 96 ou 07 85 61 25 04

SIGMA, une exposition Dans cet entrepôt Lainé que le festival Sigma a investi pendant deux décennies avant d’en être « poussé dehors » (dixit son fondateur Roger Lafosse) par... le CAPC (!), l’exposition, pensée à partir de et avec les archives (archives municipales de la ville de Bordeaux, archives INA), revient sur ce moment exemplaire d’expérimentations fondatrices et pluridisciplinaires, qui fit de Bordeaux, entre 1965 et 1996, l’un des rendez-vous européens des avant-gardes.

Jusqu’au 2 mars 2014.

CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux. De 11 h à 18 h, sauf lundis et jours fériés. 5 €, réduit 2,5 €.

Mémoires vives

Une histoire de l’art aborigène 150 œuvres. Avec des travaux contemporains reliés aux sources aborigènes d’Australie.

Jusqu’au 30 mars 2014.

Musée d’Aquitaine, 20 cours Pasteur, Bordeaux.

De 11 h à 18 h, sauf lundis et jours fériés. 5 €, réduit 2,5 €.

Pour que renaissent le Printemps et les poètes Il y eut ce « jour né de la poésie », que relaya le Printemps des poètes. De coupe en coupe, l’État a réduit six fois sa subvention en deux ans. La Chorale des Amis de L’Ormée à l’Espace Saint-Rémi, sous la direction de Claire Baudouin.

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Dons en ligne [printempsdespoetes.com] Chèque au Printemps des poètes. 6, rue du Tage, 75013, Paris.


Femmes en route vers le marché de Chimbote. Région de Chimborazo, Équateur, 1998. Série Exodes. Sebastião Salgado/Amazonas images.

appellent « les historiques », nous qui avons vécu l’enthousiasme d’un projet tout neuf, la naissance houleuse et passionnée d’un journal. J’ai aimé nos premiers comités de rédaction où tout était à inventer, à construire. Il fallait définir des rubriques, puis rencontrer et retranscrire la parole de gens très différents, les uns responsables de structures officielles, les autres créateurs, moins visibles mais très présents dans le maillage culturel de la région. Nous avons trouvé de nouvelles « plumes » en marge de notre rédaction. Entre contrainte de limitation du nombre de « signes » et liberté de style, nos séances studieuses de relecture n’ont jamais été censure. Il fallait aussi, et ce fut pour moi un peu comme une obsession, donner la parole à ceux qui se sentent exclus

du monde de la culture. Nous avons écouté les voix des hommes en bleus dans les ateliers où se fabriquent les avions, celles des souffleurs de verre à Bègles, celle du prince de la boulange expert en l’art de pétrir la pâte, celle de la couturière aux doigts experts qui sait « vêtir l’impossible », et tant d’autres, « Créateurs aussi ». J’ai aimé le désordre organisé de notre salle de rédac’ avec nos photos, nos cartes postales, nos affiches sur les murs, souvenirs de nos fêtes. J’ai aimé nos séances de pliage-encartage-étiquetage où nous refaisons le monde. Oui, j’ai aimé la fête des vingt ans du journal, j’ai aimé nos « gueuloirs poétiques » à Uzeste, j’ai aimé nos nuits de la poésie où, jusqu’à l’aube, des artistes musiciens et poètes se sont succédé en scène et sont restés dans la nostalgie de nouvelles retrouvailles. Et si les ordinateurs ont pris le relai des stylos, l’écriture a toujours besoin d’encre vive. J’aime déjà la suite de l’aventure. Madau LENOBLE

QU’UN 100 IMPUR...

Les mots sont ce qu’il sont. Quand un ministre de l’Intérieur (Manuel Valls) affirme que, par nature ou par essence, des êtres humains ne sont pas en mesure, pas en état, de vivre avec d’autres êtres humains, il ouvre la voie au pire, et permet aux pires de donner de la voix… Que les voix se taisent ou s’exacerbent, viennent alors le sang et les larmes. Pourtant, plus que l’élan expansionniste, plus que le repli sur soi, c’est la diversité qui est vitale. « L’hexagone » est une géométrie, une construction idéologique plus hystérique qu’historique, n’en déplaise au médiatisé et en conséquence populaire Lòrant Deutsch… Dans Relevé de terre (mais ce n’est qu’un roman…), José Saramago remet le mythe de « la France terre d’asile » à sa place, celle du regard des travailleurs immigrés. Voici la phrase initiale 1 du tableau terrible que ce prix Nobel de littérature (1998), et communiste – ce qui n’est guère courant –, fait de notre pays : « La France, c’est un interminable champ de –––––––– 1. Seuil, 2012. Points poche, 2013. Page 355. 2. Verdier, 2003. Page 1178, « Pendus à l’étrier ». 3. Grasset, 2012. Livre de Poche n° 33086, 2013.

Humeurs

Une belle nouveaux aventure Les ormistes nous

Numéro sang Sans domicile fixe, sans papiers, sans toit, sans toi, Sans fric où est ta place aujourd’hui dans notre république ? Retraites et services publics sans dessus dessous... Lâcheté et trahisons Paroles confisquées qui nous laissent sans voix Cent colères à exprimer Sang qui coule malgré tout dans les veines de l’espoir Sang d’encre pour résister Merci et longue vie à L’Ormée.

Lionel CHOLLON

L’Ormée aussi l’art « gens »  ! Les cris libèrent, l’écrit libère, Les cris libèrent, peut-être, parfois, mais pas toujours  ! L’écrit libère, même des déceptions de l’amour  ! Le pouvoir des mots, de l’assemblage des mots pour faire un ensemble, pour faire rêver, pour éclairer le réel, et au final pour transformer ce réel  ! Quoi de plus subversif  ? Voilà un des objectifs que « je » décide de fixer, (sans mandat précis qui m’aurait été accordé), à l’expression d’une revue culturelle communiste  ! Ni culture « fric », ni culture « domestiquée politiquement», juste tenter de continuer de permettre l’expression de toutes celles et de tous ceux que nous sollicitons, ceux qui cherchent à comprendre, à transmettre, à faire réagir  ! Rendez vous pour le numéro 200  ! Michel Dubertrand

betteraves où l’on travaille à biner seize ou dixsept heures par jour, c’est une façon de parler, car les heures sont si nombreuses que ce sont toutes les heures du jour, plus quelques-unes aussi de la nuit. » Merci aux ouvriers agricoles, aux ouvriers maçons, aux travailleurs et opprimés de tous les pays, aux intellectuels pas sages de passage, qui nous ont fait et qui nous font. Au nom d’une pureté construite, d’une idéologie dévoyée en dogme, naissent les pires crimes collectifs. Purification ethnique, purification idéologique, mêmes atroces combats… C’est bien à l’entrée des camps de détenus sous Staline qu’on pouvait lire une inscription qui en rappelle une autre : « Le travail est affaire d’honneur, de gloire, de vaillance, et d’héroïsme ». Mais Varlam Chalamov luimême écrit, dans ses terrifiants Récits de la Kolyma 2 : « L’un des principes fondamentaux des meurtres du temps de Staline était de faire anéantir des membres du Parti par d’autres membres du Parti. Et ces derniers périssaient à leur tour tués par la nouvelle vague, la troisième série d’assassins. » Voici une évocation bien mal venue, mais la démocratie ne peut vivre et se développer que

par le métissage des corps et des cultures, par les échanges « libres et non faussés » des idées. Dans L’Élimination 3, Rithy Panh écrit à propos du chef tortionnaire du S21 et responsable politique des Khmers rouges : « Ces prises de sang massives révèlent une autre obsession de Dutch : la pureté. Il affirme ainsi prélever tout le sang de "femmes éduquées". » De la purgation à la purge, de la purge à l’épuration, de l’eugénisme au génocide, les ravages du dogmatisme se rappellent à nous… En parodiant Cendrars, on pourrait écrire : « Dis, Blaise, sommes-nous loin de L’Ormée ? » Notre souci d’une culture mêlée, d’expressions mélangées, dans des convictions confrontées, partagées, échangées, notre volonté de fureter, de découvrir et d’ouvrir, expliquent sans doute que nous vivons durablement, solides de notre histoire, de nos histoires, riches de nos rencontres, de nos envies et de nos exigences. Pour ne pas couler, il est bon de brasser et d’embrasser. Nous n’avons pas vocation, malgré le mot malheureux du poète, à « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », mais bien au contraire à nourrir les vies et nos vies de toutes les impuretés créatives et lumineuses rencontrées en cheminant « à sauts et à gambades ». Vincent TACONET L’Ormée _ 11


L’Ormée mexicaine

On nous a souvent appelés « l’armée mexicaine » parce que chacun va, fait et avance vers un nouveau numéro avec, à la fois, une belle désorganisation et une grande exigence. C’est ce que j’aime à L’Ormée. On m’a dit : « on a besoin d’un chef », mais ce n’était pas vrai, cette armée-là n’a pas besoin de chef, tout au plus d’un guide, histoire d’éviter les sorties de route… Encore que les sorties de route s’avèrent souvent les plus productives. Alors oui, il a fallu organiser, impulser, planifier…, tenir les délais. Mais le travail de fond, la réflexion, les idées, l’imagination au pouvoir, c’est bien à chacun de vous, chers rédacteurs, réguliers ou occasionnels, que L’Ormée les doit. À votre liberté de penser, à la finesse de vos analyses, à vos coups de gueule, à vos coups de mou, à vos coups de collier ; à vos individualités jamais individualistes, à votre sens de la camaraderie et du partage ; à votre manière de relever le défi qu’un autre n’a pas pu mener à bien, parce qu’« il faut que L’Ormée sorte » coûte que coûte, quoiqu’il arrive, dût-on y passer la nuit, le jour et l’autre nuit encore ; à votre manière de faire la poussière dans les coins, quitte à rendre fou le maquettiste : « Encore une virgule, monsieur le bourreau ! »...

Ambiance de champ de bataille et de déjeuner champêtre dans la salle de rédaction qui fut petite et sombre et qui est devenue grande et claire, ambiance de petit matin blême pour le maquettiste qui nous voit arriver avec nos « corrections » sans fin, ambiance de franche camaraderie (engueulades incluses) au pliage avec ceux qui se nomment les « petites mains de L’Ormée », pas si petites que ça... À vous tous je laisserai un peu de rouge à la Une (j’y tenais, merci à l’imprimeur), une certaine régularité (L’Ormée c’est tous les trois mois, pas deux ni cinq…), quelques artistes dénichés pour les « iconos » et, je l’espère, un bon souvenir. À moi vous laisserez le souvenir d’une tâche incommensurable dont chacun prend sa part jusqu’à ce que le fardeau s’allège suffisamment pour qu’on puisse avancer ensemble. On ne va pas toujours dans la même direction, nos routes se sépareront bientôt, mais on a tous la même étoile au fond des yeux et on désire tous ardemment que l’ensemble du peuple soit enfin en mesure de s’approprier les moyens de son émancipation, c’est à dire la symbolique du monde. Je vous accompagnerai encore un peu, puis je m’éloignerai et c’est vous qui m’accompagnerez, là où j’irai. Natalie VICTOR-RETALI Rédatrice en chef, jusqu’à aujourd’hui.

n° 100

Numéro Cent, Emmanuel Fargeaut 1 Eux aussi ont « vocation à rentrer chez eux » 2 André Ciccodicola 3 L’Arbre rose, Jean-Bernard Couzinet 4 L'art et le capital Gérard Loustalet-Sens L’Ormée 100, billets 4 Jean-Claude Gomez, Jean-Claude Laulan Deux graveurs 5 Jean-Jacques Crespo Entretien avec Sebastião Salgado 6/7 Natalie Victor-Retali 8  / 9 Carte blanche à Pucéart Françoise Escarpit Que du plaisir, Jean-Jacques Crespo 10 L’Ormée 100, billets 11 Madau Lenoble, Michel Dubertrand, Lionel Chollon, Vincent Taconet Encart : Un marron, deux planches en avant-première du prochain livre de Denis Vierge. Dispensé de timbrage

Bordeaux Meriadeck

L’Ormée

15, rue Furtado 33800 Bordeaux

PRESSE DISTRIBUÉE PAR

Déposé le 18.11. 2013

Sebastião Salgado/Amazonas images.

Centre de la FEBEM (Fondation pour le bien-être de l’enfance). São Paulo, Brésil, 1996. Série Exodes.

100

Pour fêter la sortie du numéro le prochain dîner de L'Ormée aura lieu le lundi 2 décembre à partir de 20 h, au 29 café (156 cours de La Marne) au prix de 17,50 € tout compris. Merci de réserver de manière ferme avant le mercredi 27 novembre au 06 10 32 55 06 ou par mail adressé à nattendrevr@hotmail.com

À partir de 18 h30, au même endroit, ce dîner sera précédé d'un apéro-débat sur la culture en présence de Alain Hayot, sociologue, délégué national à la Culture du PCF, et de Vincent Maurin, président du groupe communiste au conseil municipal de Bordeaux,

élu à la CUB et candidat aux élections municipales 2014 à Bordeaux avec le Front de gauche.

Pour nous contacter

ormee33@gmail.com L’Ormée

Publication du secteur culturel de la Fédération de la Gironde du PCF. 15, rue Furtado - 33800 Bordeaux - 05 56 91 45 06 Directeur de la publication, Michel Dubertrand. Rédactrice en chef, Natalie Victor-Rétali. Vente au numéro, 5 euros. Abonnements - 1 an : 15 euros soutien : 25 euros, 50 euros. Tirage 3 000 exemplaires. Composition et impression Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest 15, rue Furtado - 33800 Bordeaux CPPAP n° 0718 P 11493


Publication du secteur culturel de la

Fédération de la Gironde du PCF SUPPLÉMENT AU N°100

Un marron Denis Vierge

Des bulles dans l’océan

Saint-Denis, La Réunion, 2014.

L’Ormée _ 13


Le marronnage, une résistance à un crime contre l’humanité. Denis Vierge, auteur de la bande dessinée Vazahabe !, nous fait l’amabilité de nous offrir, pour ce centième numéro de L’Ormée et en avant-première, deux pages de son prochain livre, Un Marron. Un « marron » est un esclave en fuite. Un mot d’origine espagnole qui désigne un animal domestique

redevenu sauvage. Dans cette Île Bourbon, rebaptisée Réunion par la Convention, le Nègre marron fuit « l’habitation », monte dans les « hauts », préférant l’inconfort, la faim et la souffrance à la privation de liberté. Dans cette fuite, peut-être aura-t-il la chance de rencontrer un « clan » qui, organisé en véritable « maquis », l’aidera à survivre dans un milieu particulièrement inhospitalier. Tous ensemble, peut-être feront-ils des « descentes » sur les propriétés des colons blancs pour trouver nourriture, outils, bétail et,

parfois, des femmes, rares dans cette colonie. Ainsi il deviendra un défricheur de ces « hauts » réunionnais : un pionnier. Mais, s’il est repris il y laissera ses oreilles, ses jarrets, et même la vie s’il est récidiviste. Par ce récit, Denis Vierge illustre un combat entre civilisation et barbarie, une quête pour retrouver sa liberté et, finalement, son humanité. Cette bande dessinée paraîtra aux éditions Des Bulles dans l’océan, au premier trimestre 2014. Marie-Jo HENRIOUX


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