Jeudi 21 juillet 2016 - N° 2160 - Hebdomadaire - 15, rue Furtado - 33800 BORDEAUX Prix : 0,80 euro
1936.
Ce bonheur acquis de haute lutte !
1936 : CE BONHEUR AC IL Y A 80 ANS
Le Front populaire 80 ans après l’empreinte du Front Populaire reste profonde au sein de la société française, surtout dans le peuple de gauche. Si d’autres événements majeurs ont marqué la gauche au cours du XXe siècle, comme mai 68, ou la période du programme commun, le Front populaire reste la référence par son aspect complet mais aussi inachevé. En effet, prenant sa source dans les luttes ouvrières du XIXe siècle, dans la force motrice de la création de la CGT et des partis politiques de gauche, le front populaire est un long cheminement. C’est d’abord le rassemblement de ceux qui étaient profondément divisés au lendemain de la première guerre mondiale qui avait vu les socialistes s’échouer dans l’union sacrée, et la création du Parti communiste. Lors des manifestations du 12 février « 34 » et sa réplique du 14 juillet 1935, un souffle nouveau va traverser la gauche française dans toute sa diversité. Celui de l’unité contre le fascisme. Cette unité est celle des partis (SFIO, PCF, Radicaux) mais aussi celle des syndicats (CGT, CGT-U), des associations, du peuple de gauche dans sa grande diversité. Au-delà d’une victoire électorale de la gauche contre la réaction, c’est un formidable mouvement populaire qui verra 2 millions de grévistes, l’occupation des usines avec la fête dans ces lieux d’humiliations et
d’exploitations. Le Front populaire c’est la dignité ouvrière retrouvée, de l’estime de soi à l’échelle d’une classe sociale. Cette articulation entre victoire électorale et irruption citoyenne (lutte sociale) est l’originalité du Front Populaire. Elle va permettre des gains, bien au delà du programme électoral. Ce souffle perdurera dans la Résistance et à la Libération. Tout un imaginaire va se construire autour du Front populaire, qui va nourrir des générations et après lequel la gauche française court depuis 80 ans. Cependant nul n’imagine aujourd’hui les efforts politiques qu’il fallu au jeune PCF pour sortir de la stratégie du « classe contre classe » et proposer une alliance allant jusqu’au radicaux, alors même que deux ans auparavant ceux-ci gouvernaient avec la droite. Cela nécessita une hardiesse et une résolution sans faille pour construire cette unité tant à la base qu’au sommet. Mais c’est cette démarche qui fut victorieuse. Aujourd’hui il ne s’agit pas de repasser les plats de l’Histoire. Mais nous sommes face à un défi de ce genre. Il demande de l’audace et de l’originalité, à l’instar de nos aînés, pour construire les contours d’un rassemblement portant en lui le souffle qui donnera la force à notre peuple de relever la tête. Frédéric Mellier
L’Humanité a édité un numéro hors-série exceptionnel à l’occasion du 80e anniversaire du Front populaire. Disponible depuis le 28 avril, au prix de 8 euros, sur :
boutique.humanite.fr rubrique : Hors-série
Les salopards en casquette arrivent où fleurit l’oranger
La joie des familles populaires qui, pour la première fois, prennent le train des vacances, en août 1936. Avec les congés payés disparait une injustice qui frappait jusqu’alors la classe ouvrière dans son ensemble.
Dès l’été 1936, les billets à tarif réduit encouragent les travailleurs à profiter de leurs quinze jours de congés payés. Ils ne seront toutefois que 600 000 cette première année. Il fallait un peu de temps pour s’habituer à la lumière.
Hasard du calendrier, ironie de l’histoire ou clin d’œil délibéré des organisateurs, on ne sait plus, mais c’est le 4 août qu’un train pas comme les autres quitte Paris pour Nice et la Côte d’Azur. Le jour anniversaire de l’abolition des privilèges en 1789. Et c’est bien d’une nouvelle révolution qu’il s’agit. À bord, des centaines de passagers, hommes, femmes et enfants, ceux que le parfumeur Coty, propriétaire du Figaro, va appeler les « salopards en casquette », vont découvrir pour la première fois le soleil et la mer. Quelques jours avant, c’est en direction de la côte picarde, vers Mers-les-Bains, qu’est déjà parti un autre de ces trains que l’on appellera les trains rouges. Le maire socialiste et ses adjoints communistes accueillent avec chaleur les nouveaux vacanciers. Un journal local écrit : « Les cochons arrivent ». Quarante ans après, un ouvrier parisien racontait
Photographie issue des Archives départmentales, La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, jeudi 18 juin 1936.
2 • Les Nouvelles 21 juillet 2016
à l’Huma ses premières vacances au Tréport. « Le train était bondé. On lançait les valises par les portières. Certains avaient des pancartes pour manifester leur joie. Dans les wagons c’était la fête, on “saucissonnait”, on partageait tout, casse-croûte, boissons. Tout le monde se parlait, se souriait. Avant même que le train arrive en gare, nous nous bousculions aux fenêtres et aux portières pour voir la mer. Quand nous l’avons aperçue, ce ne fut qu’un cri de joie unanime dans tout le train. On s’est mis à chanter. » Un monde nouveau s’ouvre, jusqu’alors interdit, au mieux entrevu, « on n’en pouvait plus d’écarquiller les yeux, d’aller de surprises en surprises : la mer, les marées, les vagues, tout, les falaises, la pêche aux crabes, aux crevettes »… À Nice, le député communiste Virgile Barel, dont le fils, Max, quelques années plus tard sera ignoblement torturé à mort par la Gestapo, a ces mots magnifiques dans un article intitulé « La Côte d’Azur pour tous » : « il faut que la masse laborieuse de France réalise son rêve : connaître le pays où fleurit l’oranger. » Il opposait dans le même temps une argumentation économique serrée à tous ceux qui pariaient sur la désertion de la clientèle fortunée, non sans agiter le spectre d’imagi-
naires « bandes communistes » sur la promenade des Anglais. C’est le 17 juin 1936 que le Sénat finit par voter, après leur adoption en première lecture par la Chambre des députés, trois projets du gouvernement. Suppression de l’impôt sur les pensions, révision des décrets-lois sur les traitements des fonctionnaires et, donc, les deux semaines de congés payés. Il n’y eut que deux voix contre, même si la droite tente d’en limiter la portée en voulant en exclure, ce qui en dit long d’ailleurs, les chauffeurs, domestiques et gens de maison, les servantes de ferme ou encore les ouvriers agricoles. Les batailles de retardement se mèneront parfois au niveau des entreprises, où les syndicats se mobilisent pour le respect de la loi que le patronat tente de contourner. En fait, la question des congés payés -quand bien même elle ne figure pas a priori dans les revendications des syndicats et peut apparaître comme un cadeau du gouvernement Blum- n’est pas neuve. En 1925, le gouvernement dit « du cartel des gauches » avait avancé un projet rédigé par le député radical-socialiste de Saint-Étienne, Antoine Durafour, proposant d’instaurer des congés payés pour tous les travailleurs. Il faut noter que la France est très en retard de ce point vue sur la législation de pays proches. 0,8 % des salariés y bénéficient d’un congé annuel. Ils sont 82 % en Allemagne. Le projet va rester dans les tiroirs jusqu’à son vote en juillet 1931 par les députés avant d’être au final rejeté par le Sénat. Avec la distance, on peut apprécier comme il convient les arguments de la droite, que l’on retrouve aujourd’hui jusque dans la bouche du premier ministre et des membres du gouvernement socialiste. C’est un ancien industriel de Dieppe, Robert Thoumyre, qui avance quatre arguments devenus familiers. D’abord, « notre pays est en crise et les entreprises ont du mal à survivre, ce n’est pas le moment de changer les règles du jeu ». Ensuite, « les congés payés vont alourdir le coût du travail » et donc nos produits
CQUIS DE HAUTE LUTTE seront moins compétitifs. Ensuite, « la réforme qui est proposée ne tient pas compte de la diversité des besoins de l’ industrie. Si elle était imposée uniformément à tous les secteurs, cette loi aurait des effets catastrophiques. Il faut limiter l’intervention du législateur aux principes … », enfin, « les petites entreprises sont trop fragiles et doivent avoir un traitement social ». Toute ressemblance, donc, avec des propos très actuels ne saurait être l’effet du hasard. Quoi qu’il en soit, ce qui n’était pas possible en 193l le devient en 1936, par l’opération du Saint-Esprit sous la forme d’un gouvernement de Front populaire et la manifestation très matérielle de quelques millions de travailleurs en grève. Plus sérieusement, la question des congés payés est devenue plus actuelle avec au fil des ans la naissance des auberges de jeunesse, les colonies de vacances, qui sont une des priorités des mairies communistes, ou même avec la revendication d’une partie de l’Église catholique qui craint que l’exode rural et l’impossibilité faite aux
nouveaux prolétaires de retourner au pays ne conduisent à la dégradation des mœurs, dont le concubinage. On ne saurait non plus sous-estimer la personnalité des hommes. Léon Blum lui-même a été cycliste et chroniqueur sportif, il est ouvert à la large diffusion de la culture. Il a choisi Léo Lagrange comme sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs. Ce dernier est un sportif et un intellectuel, ami du couple Malraux. Il a une vision humaniste de son rôle dans cette période de l’histoire où la gauche dans son ensemble porte des valeurs et croit au progrès social. « Il ne peut s’agir dans un pays démocratique, dit-il, de caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser. » Il va se battre, et d’abord contre les sept compagnies de chemin de fer que compte alors la France, pour la création des billets à tarif réduit, des billets de groupe, ceux pour les enfants, etc. Réticentes, les compagnies s’en féliciteront par la
suite en devenant bénéficiaires. Pourtant, 600 000 personnes seulement vont en profiter en cet été 1936. La bataille des congés payés n’est pas seulement sociale mais culturelle. C’est ainsi qu’il faut entendre aussi l’invitation de Virgile Barel à oser, en quelque sorte, la Côte d’Azur. Pour des centaines de milliers d’ouvriers, les congés payés sont d’abord une suite de dimanches où l’on reste à la maison, au point que ce sont les syndicats qui vont se faire les propagandistes des départs. Ainsi, l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne diffuse un appel : « Camarades ouvriers et employés, ne gaspillez pas votre première période de vacances. Trop longtemps vous avez regardé partir les autres, allez faire votre provision d’air pur, allez jouir d’un peu de vraie liberté »… Dès l’année suivante, 1,8 million de salariés vont partir en train, à bicyclette « avec Paulette et Sébastien ». Il fallait un peu de temps pour s’habituer à la lumière. Maurice Ulrich
1936, aux chantiers navals de Bordeaux
Au cœur de la lutte, l’Humanité est brandie par les femmes des huileries de Bacalan. Photo Henri Zawierta, Bacalan Stor y, éditions Pleine Page.
SIMONE ROSSIGNOL
« C’était impressionnant, vraiment, il fallait voir la rue Sainte-Catherine ! » À la fête de Monjous, les jeunes communistes profitent des rayons de soleil et imaginent un monde meilleur. À gauche sur la photo, Simone Rossignol est portée par André Lecourt et Louis Rochemond qui sera fusillé à Souge en 1941.
Dans son ouvrage « Je me souviens… », l’ancienne maire de Bègles évoquait ses souvenirs de la fin du printemps 1936. Témoignage à la fois de la vie syndicale et de la vie quotidienne, c’est un morceau d’ambiance du Bordeaux du Front Populaire qu’elle nous offrait (extrait). « Lorsque les grèves ont commencé en 1936, les ouvriers ont débrayé et tout s’est arrêté, sauf les bureaux, bien sûr. On était trop peu nombreux pour nous mettre en grève. Quand le patron n’était pas là et que les manifestants passaient, on se mettait au balcon, cours du Chapeau rouge, on leur faisait bonjour. Comment le patron a-t-il su que j’étais d’une famille communiste ? Je n’en sais rien. En tous cas moi, je savais qu’il était du parti de Doriot (1). Il ne pouvait pas le cacher. Quand tu es secrétaire de direction, il y a obligatoirement des choses que tu vois. Toujours est-il qu’ils ont trouvé une astuce pour me mettre à la porte. Chaque soir, je portais à la Poste de la Bourse le courrier de l’entreprise. Paraît-il qu’une lettre pour Paris ne serait pas arrivée à destination ! Ils ont donné comme argument que j’avais dû la subtiliser. Cette lettre n’était que pure invention bien sûr. Mais ils m’ont licenciée sur-le-champ, pour faute grave. Durant les grèves, ce ne fut pas la fête. Je sais qu’avec mon père, avec ma famille, nous avons eu surtout le souci de la solidarité. On collectait pour les grévistes, avec difficultés d’ailleurs parce que les commerçants n’étaient pas toujours disposés. Je me rappelle très bien des piquets de grève à la SATM (Société Anonyme de Travaux Métallurgiques) où il y avait 400 à 500 travailleurs à la réparation du wagonnage. Ce n’est qu’à la fin de la grève que j’ai vraiment des souvenirs de la joie qui éclatait partout. En particulier, ce qui m’avait frappée, c’est le monde qu’il y avait dans les magasins. Il faut dire qu’avec les accords de Matignon,
pour certains ouvriers du bâtiment, les salaires avaient été multipliés par trois. Comme tout le monde était payé à la semaine ou à la quinzaine, on a très vite senti que les gens avaient gagné un peu plus d’argent. C’était impressionnant, vraiment ! Il fallait voir la rue Sainte-Catherine, les “Dames de France”, les “Nouvelles Galeries”, ça regorgeait de monde. Il y a eu une poussée à la consommation, après les difficultés dues aux grèves, cela avait créé un élan étonnant… Et alors les vacances ! J’ai vu des copains du quartier partir en vacances pour la première fois. Ils campaient sous des tentes improvisées, des bâches, des couvertures posées sur des piquets de branche. Mais moi, j’allais déjà en vacances. J’allais toujours chez ma grand-mère, en Dordogne. Après la mise en place du Front populaire, quand les grèves se sont arrêtées, il y a eu une avalanche d’adhésions à la CGT, l’unité syndicale étant établie. Partout, mais en particulier dans le bâtiment où il y avait beaucoup de chantiers qui étaient en cours : les hangars souterrains qui étaient extrêmement importants, la Bourse du travail, je me demande même s’il n’y avait pas déjà des travaux sur le stade municipal, futur stade Lescure. Enfin, il y avait beaucoup de gros travaux. Le syndicat du bâtiment a donc cherché quelqu’un. Comme quelques camarades communistes étaient à la tête du syndicat, ils ont pensé à moi. Je suis donc entrée à la Bourse du travail, rue de Lalande, au mois de décembre 1936. » 1 - Jacques Doriot (1898-1945) fut exclut du PCF en 1934. Il fonde alors en 1936 le Parti populaire français (PPF). Il deviendra pendant la guerre, animateur de ligues antibolchéviques et collaborationnistes.
« Je me souviens », Simone Rossignol, Editions des Nouvelles, en vente au 15, rue Furtado, 05 56 91 45 06
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1936 : CE BONHEUR ACQUIS DE HAUTE LUTTE Dans Apprenti, puis Ouvrier, le girondin Bruno Loth relate les jeunes années de son grand-père depuis 1936 jusqu’à l’occupation. Une image de l’ambiance dans Bordeaux au printemps 1936.
Apprentis, mémoires d’avant guerre, de Bruno Loth, aux éditions La boîte à Bulles, collection : Hors champ 18 € Également disponible, Ouvrier, mémoires sous l’occupation vol. 1 et 2
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