Introduction
4
1.
L'approche du LASDEL
6
1.1.
Le LASDEL et ses spécificités en tant que centre de recherche d’excellence en sciences en Afrique L’atelier ECRIS
6 7
L'évolution de l'approche du CPAN, faisant appel à des méthodes mixtes, de la dynamique de la pauvreté
10
1.2. 2.
2.1. Méthodes qualitatives ancrées dans le réalisme critique 2.2. Méthodes quantitatives ancrées dans le réalisme critique 188
10
3.
L’association des méthodes du CPAN et du LASDEL dans le cadre de l'analyse de terrain et de données
20
3.1. 3.2. 3.3. 3.4.
Recueil de données qualitatives Analyse de données faisant appel à des méthodes mixtes Analyse des complémentarités entre les méthodes du CPAN et du LASDEL Limites et évolutions
20 24 29 33
4.
Conclusions
36
ANNEXES
36
Annexe A. Tableau de classement participatif des richesses Annexe B. L’analyse d’ECRIS pour cet article
36 41
Bibliographie
45
Agence française de développement
Papiers de recherche
Research Papers
Les Papiers de Recherche de l’AFD ont pour but de diffuser rapidement les résultats de travaux en cours. Ils s’adressent principalement aux chercheurs, aux étudiants et au monde académique. Ils couvrent l’ensemble des sujets de travail de l’AFD : analyse économique, théorie économique, analyse des politiques publiques, sciences de l’ingénieur, sociologie, géographie et anthropologie. Une publication dans les Papiers de Recherche de l’AFD n’en exclut aucune autre.
AFD Research Papers are intended to rapidly disseminate findings of ongoing work and mainly target researchers, students and the wider academic community. They cover the full range of AFD work, including: economic analysis, economic theory, policy analysis, engineering sciences, sociology, geography and anthropology. AFD Research Papers and other publications are not mutually exclusive. The opinions expressed in this paper are those of the author(s) and do not necessarily reflect the position of AFD. It is therefore published under the sole responsibility of its author(s).
Les opinions exprimées dans ce papier sont celles de son (ses) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de l’AFD. Ce document est publié sous l’entière responsabilité de son (ses) auteur(s). . .
2
Une approche
de méthodes mixtes pour l’insertion des jeunes sur le marché du travail au Niger
Auteurs
Lucia da Corta ODI Aïssa Diarra LASDEL Vidya Diwakar ODI Abdoutan Harouna LASDEL
Coordination Cecilia Poggi (AFD)
Résumé Cet article decrit succintement le procés de combinaison de deux méthodologies qualitatives pour interroger le thème de l'inclusion de la jeunesse dans le marché du travail au Niger, via une analyse à méthodes mixtes. Il présente l’approche ethnographique déve-loppée par la méthodologie qualitative d’anthropologie sociale du LASDEL et l’approche critique des méthodes mixtes réalistes du CPAN pour la recherche et l’analyse de la dynamique de la pauvreté. En évaluant leur fonctionnement conjoint, il inspecte également certaines limites de l'exercice expérimenté pour le Niger. Mots-clés Ethnographie, Méthodes mixtes, ECRIS, Histoires de vie, Données en panel, Jeunesse, Niger Remerciements Nous tenons à remercier l’équipe de chercheurs et d’affiliés du LASDEL et de l’Université de Zinder. Grâce à eux, ce projet et notre travail de terrain à Tahoua et à Zinder ont pu voir le jour : M. Mahaman Tahirou Ali Bako, Dr Nana Aïchatou Issaley, Dr Bassirou Malam Souley, Dr Ibrahim Moussa, Dr Abdoulaye Ousseini, Mme Lalla Coulbaly, Mme Zaratou Djingarey Yaye, M. Saïdou Oumarou Mahamane et Mme Hana Ousseini. Nous remercions également : Marta Eichsteller (ODI), Cecilia Poggi (AFD) et Jean-Pierre Olivier De Sardan (LASDEL) pour leurs précieux apports sur les versions précédentes de ce travail. Les erreurs et opinions exprimées dans le présent rapport n’engagent que leurs auteurs.
3
Abstract This article briefly explores how to combine two qualitative methodologies to inspect the topic of youth inclusion in Niger via a mixed methods analysis. It presents the ethnographic approach developed by LASDEL’s social anthropological qualitative methodology and the CPAN’s critical realist mixed methods approach to research and analysis of poverty dynamics. In assessing their joint functioning, it also inspects some limitations of the experimented exercise for Niger. Keywords Ethnography, Mixed méthodes, ECRIS, Life histories, Panel data, Youth, Niger Classification JEL J13, J16, R23, Z13 Version originale Anglais Acceptée Mai 2021
Introduction Dans le présent article, nous associons
(1) un
deux
institutionnelles
préalable à l'étude de terrain et au cours
qualitatives distinctes dans le but de
duquel la collecte initiale de données
mieux comprendre les trajectoires que
qualitatives
suivent les jeunes en termes d'accès au
(2) l'entraînement préalable des chercheurs
marché du travail ou de sortie de celui-ci.
du LASDEL à la méthodologie qualitative et
Cette association a également pour
à l'analyse du matériel d'entretien exploité
objectif de découvrir les facteurs de
dans le cadre de cette étude ; et (3) une
qualité de l'insertion sur le marché du
esquisse de stratégie ethnographique
travail. L'article se base sur une étude de
concernant les méthodes du CPAN et du
l'insertion des jeunes sur le marché du
LASDEL appliquées sur le terrain. Ces
travail au Niger (da Corta et al., 2021). Les
éléments sont décrits en détail à la
deux méthodologies associées sont les
Section 1.
méthodologies
suivantes : l'approche méthodologique (Laboratoire
d'Études
et
critique
de
méthodes
la
mixtes
qui
ont
facilité
la
s'agit d'une approche réaliste critique de l'étude de terrain intensive et qualitative
Advisory Network - Réseau consultatif sur
basée sur des méthodes diachroniques,
la pauvreté chronique). Cette dernière
multi-couches et relationnelles qui sont
méthodologie est exécutée à plusieurs
conçues spécifiquement pour améliorer
reprises sur les analyses des données de CPAN
;
causes de la dynamique de la pauvreté. Il
la pauvreté du CPAN (Chronic Poverty
du
réalisée
compréhension de la nature et des
conçue pour l'étude de la dynamique de
nationales
été
l'approche du CPAN faisant appel à des
recherche de terrain et de l'analyse
panel
a
Niamey
méthodologie qui a permis d'aboutir à
le Développement Local) et l'approche réaliste
(ECRIS)
à
de la pensée conceptuelle et de la
de
Recherche sur les Dynamiques Sociales et qualitative
ECRIS
À la Section 2, nous détaillons l'évolution
qualitative anthropologique et sociale du LASDEL
atelier
notre compréhension des causes des
afin
d'approfondir l'analyse.
trajectoires d'entrée et de sortie de la
Tout d'abord nous passons rapidement en
moyens de subsistance (da Corta, 2020b,
revue l'évolution de la pensée conceptuelle
à paraître ; da Corta, 2017). Dans le cadre
et de la méthodologie qui a permis au
de cet article, cette approche a été
LASDEL d'aboutir à ces méthodes et à
adaptée pour l'étude de l'insertion des
l'application spécifique dans le cadre de
jeunes
la préparation de l'étude de l'insertion des
L'approche du CPAN intègre également
jeunes. Nous examinons notamment :
une analyse quantitative des données de
pauvreté
4
et
sur
de
le
la
modification
marché
du
des
travail.
panel nationales qui permet de tester et soutenir l'analyse qualitative basée sur une
approche
méthodes
faisant
mixtes.
implique
hypothèses
positivistes clos
et
à
des
l'analyse
des
d'assouplir
les
relatives
aux
Ici,
statistiques systèmes
appel
aux
circonstances
stables et de davantage s'appuyer sur une hypothèse artisanale plus modeste, critique
et
prudente
basée
sur
un
ensemble plus large de preuves issues de la
recherche
de
terrain
qualitative
intensive. Cette méthode permet alors d'interpréter l'évolution, ainsi que ses raisons sous-jacentes, des associations statistiques (Olsen et Morgan, 2005 ; Shaffer, 2013). À la Section 3, nous décrivons l'application des méthodes du CPAN et du LASDEL sur l'étude de l'insertion des jeunes au Niger. Les limites de chaque approche sont ensuite
débattues.
Nous
présentons
ensuite la complémentarité des deux approches qui permet d'aboutir à une méthodologie
plus
approfondie
et
détaillée de la recherche de terrain et de l'analyse
des
données
relatives
à
l'insertion des jeunes sur le marché du travail au Niger.
5
1. 1.1.
L'approche du LASDEL
Le LASDEL et ses spécificités en tant que centre de recherche d’excellence en
sciences en Afrique
Le LASDEL est un laboratoire africain de recherche en sciences sociales implanté au Bénin et au Niger depuis 2001. Il constitue une expérience originale en vue de promouvoir des pôles scientifiques d’excellence en Afrique. Depuis vingt ans, le LASDEL développe ou participe à de très nombreux programmes de recherche Nord-Sud et Sud-Sud. Il a établi des relations de partenariat avec des équipes de recherche dans dix pays africains et collabore régulièrement, sur un pied d’égalité, avec des institutions de recherche de neuf pays d’Europe et d’Amérique. Les huit sessions de son Université d’été, organisées sur deux semaines chaque fois, ont réuni un total de plus de 300 doctorants africains. Par ailleurs, le LASDEL a déjà accueilli, pour des durées limitées, des dizaines de chercheurs et doctorants du Nord comme du Sud pour des séjours d’échange, d’écriture, de documentation et d’enquête. Les chercheurs du LASDEL enseignent dans des Universités au Bénin, au Niger, au Togo et en Europe, et le LASDEL pilote deux masters à l’Université Abdou Moumouni de Niamey. Six caractéristiques majeures définissent sa spécificité : •
Les programmes de recherche du LASDEL concernent principalement la délivrance de biens et services publics au Niger et en Afrique de l’Ouest, dans différents domaines (santé, éducation, justice, migrations, aide humanitaire, sécurité, lutte contre la pauvreté, modes de gouvernance…) et par différentes institutions (État, institutions internationales, agences de développement, ONG…)
•
Le LASDEL accorde la priorité aux recherches empiriques, reposant sur des données principalement qualitatives, produites en recourant à une méthodologie socioanthropologique rigoureuse : insertion prolongée dans le milieu qui fait l’objet des investigations et connaissance approfondie de ce milieu, observations, entretiens libres et semi-directifs, études de cas, histoires de vie, triangulation, approche par groupes stratégiques. Cette approche est donc éclectique (elle combine plusieurs types de données au lieu de se limiter à un seul), souple (elle suppose un dialogue avec les sujets de l’enquête, et non un cadre préformaté), évolutive (chaque entretien et chaque observation peuvent ouvrir de nouvelles pistes), et contextualisée (les acteurs sociaux sont toujours appréhendés dans leurs contextes d’action quotidiens).
•
Cette méthodologie permet en particulier de mettre en évidence les effets inattendus des politiques publiques et des projets de développement quand ils sont mis en œuvre dans des contextes locaux où dominent des normes sociales et des normes pratiques
6
souvent éloignées des protocoles et règles importés par ces politiques et ces projets. Les indicateurs quantitatifs ne permettent pas d’appréhender les effets inattendus. •
Les analyses des données réalisées par les chercheurs du LASDEL sont toujours ancrées dans le terrain (grounded theory). Le LASDEL ne sépare pas la production des données de leur interprétation, il ne s’enferme dans aucun système théorique préexistant, et privilégie un comparatisme de proximité, permettant des montées progressives en généralité, toujours sensibles aux contextes.
•
Le LASDEL est une structure collective, où les chercheurs sont habitués à travailler en équipe, en particulier sur des programmes de recherche multi-sites et multichercheurs à visée comparative. C’est dans cette perspective que le LASDEL utilise fréquemment le canevas ECRIS comme phase d’enquête collective initiale précédant les recherches individuelles sur chaque site, qui restent indispensables.
•
Le LASDEL est une institution de recherche et non un bureau d’études : il négocie les termes
de
référence
de
ses
programmes,
utilise
ses
propres
dispositifs
méthodologiques, élabore sur chaque sujet une problématique spécifique. Mais il entend aussi ancrer ses recherches dans des enjeux de société et de développement, et souhaite que ses résultats puissent contribuer à améliorer la qualité des services délivrés et des politiques qui les encadrent. Il engage donc un dialogue permanent avec les institutions publiques au Niger et au Bénin, ainsi qu’avec les partenaires au développement. Le LASDEL développe notamment des programmes de rechercheaction, centrés sur l’identification des innovations internes aux services publics africains. Dans le cadre de la collaboration avec le CPAN, le LASDEL a, d’une part, organisé et encadré l’enquête collective ECRIS à Niamey suivie des enquêtes sur Zinder et Tahoua et, d’autre part, mené des enquêtes ultérieures afin de contextualiser certains des propos recueillis lors des focus group et histoires de vie pilotés par le CPAN, et d’ouvrir ainsi des pistes non mentionnées dans ces propos.
1.2.
L’atelier ECRIS
La méthodologie ECRIS est une forme d’enquête collective exploratoire se présentant comme un canevas avec différentes étapes. Ce travail collaboratif permet, d’une part, d’élaborer, d’appliquer et d’affiner un dispositif de recherche et, d’autre part, d’avancer les premières analyses issues des matériaux collectés et d’identifier de nouvelles pistes de recherche. Telle que définie, l’ECRIS peut ressembler, à certains égards, à un « atelier de cadrage », sorte de réunion souvent organisée par des consortiums de chercheurs pour marquer le lancement d’une recherche incluant plusieurs pays et sites d’enquêtes. Elle présente plusieurs différences avec ces réunions dans la mesure où le travail collectif ne se limite pas à améliorer les outils de collecte de données, mais consiste surtout à mener
7
ensemble des enquêtes de terrain et à en analyser ensemble les résultats. L’ECRIS offre un cadre où la problématique de recherche, jamais close, est alimentée par des débats sur les premières données recueillies. Elle débouche ainsi sur l’élaboration collective d’outils méthodologiques qui permettent d’effectuer des analyses comparatives à partir d’indicateurs qualitatifs communs, et prennent en compte les spécificités contextuelles des sites d’enquête. La pertinence des indicateurs qualitatifs et leur capacité à rendre compte de la réalité étudiée sont régulièrement au centre des discussions des chercheurs. De manière concrète, la réalisation de l’ECRIS comprend trois volets. Il s’agit des volets préparatoire, théorique et pratique. 1.
Le volet préparatoire est effectué par 1 ou 2 chercheurs avec quelques assistants de recherche qui sont chargés de se rendre sur les sites d’enquêtes pré-ciblés, d’obtenir les autorisations de recherche auprès des institutions concernées et de repérer quelques groupes stratégiques et enjeux locaux en rapport avec la thématique de recherche.
2.
Le volet théorique permet d’expliciter le canevas ECRIS. La problématique ainsi qu’une note préliminaire de méthodologie sont présentées et font l’objet d’un débat entre l’ensemble des participants. Les outils classiques de production des données qualitatives sont revisités à l’aune de la problématique de recherche. Ce deuxième volet est également consacré à un exercice collectif de détermination des groupes stratégiques et d’identification des indicateurs qualitatifs provisoires qui permettront d’orienter les enquêtes.
3.
Le volet pratique est celui de la réalisation des enquêtes sur les sites ciblés lors de la phase préparatoire. Ces enquêtes sont menées par tous les participants, organisés en groupes d’enquêteurs. Chacun des groupes d’enquêteurs a la charge d’enquêter auprès d’un ou deux groupes stratégiques. Ces enquêtes peuvent être planifiées sur deux ou trois jours. Concrètement, les matinées sont consacrées aux enquêtes de terrain et les après-midis à la synthèse des matériaux collectés au sein de chaque groupe. Le dernier jour de l’ECRIS est dédié à la rédaction d’une synthèse générale, qui énoncera les premières analyses issues des matériaux produits. Elle sera complétée après des investigations plus poussées et proposera de nouvelles pistes à suivre.
L’atelier ECRIS de la présente recherche s’est déroulé à Niamey avec 16 chercheurs (8 seniors et 8 juniors) sur une variété de sites d’enquêtes ciblant cinq groupes stratégiques : 1.
Des acteurs des ONG, associations et syndicats,
2.
Des formateurs des secteurs public, privé et associatif,
8
3.
Des membres des communautés : famille, autorités locales administratives et coutumières, jeunes
4.
De jeunes employés et leurs employeurs, grands opérateurs nationaux et firmes multinationales,
5.
Des cadres institutionnels et PTF (partenaires techniques et financiers).
Les chercheurs ont également procédé à l’identification des indicateurs qualitatifs. Quatre catégories d’indicateurs ont structuré le déroulement des enquêtes : (1) les définitions locales des termes employés par les acteurs, et leurs perceptions ; (2) les stratégies d’accès aux emplois ; (3) l’environnement institutionnel et familial ; (4) les formations et qualifications.
9
2. L'évolution de l'approche du CPAN, faisant appel à des méthodes mixtes, de la dynamique de la pauvreté 2.1.
Méthodes qualitatives ancrées dans le réalisme critique
Le CPRC (Chronic Poverty Research Centre - Centre de recherche sur la pauvreté chronique), maintenant le CPAN (Chronic Poverty Advisory Network - Réseau consultatif sur la pauvreté chronique) étudie la pauvreté chronique ainsi que la dynamique de la pauvreté depuis 15 ans. Le CPAN est un réseau de chercheurs, de décideurs politiques et de praticiens issus de 17 pays en développement qui cherche à résoudre le problème de la pauvreté chronique et à éradiquer l'extrême pauvreté ainsi que le dénuement économique. Le CPAN est issu d'un programme géré par l'ODI (Overseas Development Institute - Institut de développement international) à Londres. Le CPAN a pour objectif d'attirer l'attention sur les besoins et les intérêts des personnes chroniquement pauvres ainsi que sur les actions réalisables par ces personnes et pour ces personnes. Cet objectif incarne le principe du Leave No One Behind (LNOB - Ne laisser personne de côté) de l'Agenda 2030 du développement durable. L'objectif de nos projets consiste à mener des études factuelles de haute qualité, à proposer des conseils en matière de politique, à surveiller l'effet des politiques et à assurer la dissémination politique ainsi que l'engagement sur les plans nationaux et internationaux. Dans cette étude, nous nous concentrons sur la dynamique de la pauvreté dans son ensemble à laquelle font face les jeunes adultes. Cette dynamique inclut les concepts de « Pauvreté chronique », « Appauvrissement », « Sorties durables de la pauvreté » et « Jamais pauvre » tels que définis dans l'Encadré 1. Encadré 1. Trajectoires de pauvreté référencées dans cette étude •
La pauvreté chronique est une pauvreté de longue durée qui persiste pendant de nombreuses années, voire toute la vie. Cet état se transmet souvent entre générations. Dans les données quantitatives, la pauvreté chronique correspond à des foyers classés comme pauvres dans les deux années d'enquête. Dans les données qualitatives, elle correspond aux individus pauvres pendant la majorité de leur vie et à la pauvreté inter-générationnelle.
•
L'appauvrissement désigne le procédé qui empire l'état de pauvreté d'une personne ou d'un foyer, ou par lequel une personne non pauvre glisse vers la pauvreté. Dans les données quantitatives, il s’agit des foyers non-pauvres dans l’enquête de 2011 et devenus pauvres en 2014. Dans les données qualitatives, nous pouvons analyser à la fois l’appauvrissement et les sorties temporaires de la pauvreté. Ce dernier concept correspond aux individus ou foyers qui étaient pauvres, sont parvenus à sortir temporairement de la pauvreté, mais sont ensuite retombés dans la pauvreté ; ils se sont ré-appauvris. Dans les données qualitatives, nous nous intéressons également à l’ampleur de l’enlisement dans la pauvreté (voir les différentes catégories de bienêtre de l’Annexe A).
10
•
Les sorties de la pauvreté correspondent aux foyers qui sont sortis durablement de la pauvreté. Dans les données de panel, il s’agit des foyers qui étaient pauvres en 2011 et non pauvres en 2014. Dans les données qualitatives, nous avons également pu étudier les sorties durables de la pauvreté (pendant cinq ans). Dans les données qualitatives, nous analysons également l’ampleur de la sortie de la pauvreté. En effet la catégorie « pauvre » comporte trois niveaux de bien-être et la catégorie « non pauvre » comporte également trois niveaux.
•
Jamais pauvre désigne les foyers qui ne sont jamais tombés dans la pauvreté au cours de leur vie. Dans l’analyse de panel, il s'agit des foyers qui n’étaient pauvres lors d'aucune des deux années de l’enquête.
Source : da Corta et al. (2021), d'après Shepherd et al. (2014).
Évolution de l'approche du CPAN faisant appel à des méthodes mixtes Des tentatives d'utilisation de méthodes mixtes d'étude approfondie des causes de la pauvreté chronique sont apparues précocement, souvent lors de l'analyse des données de panel nationales visant à déterminer la durée de la pauvreté. Ces méthodes étudiaient les facteurs associés à la pauvreté chronique (par exemple : possession de biens, âge, migration, foyer dirigé par une femme) en parallèle de l'étude de terrain basée sur le parcours de vie. Ce dernier élément permet d'expliquer très efficacement les raisons précises de l'entrée ou de la sortie de la pauvreté au cours de la vie comme l'exprime le point de vue des acteurs eux-mêmes. Le récit de vie est plus efficace que l'utilisation d'un ensemble limité de variables de surveillance. Ces tentatives précoces de suivi de la dynamique de la pauvreté par le biais du récit de vie ont permis d'identifier des trajectoires au niveau individuel. Cependant, sans les méthodes, ni les théories nécessaires pour accéder à des explications précises du changement, ces approches précoces des récits de vie, basées sur une méthodologie indépendante, permettraient à la fois de désocialiser et de dépolitiser les études de la pauvreté (synthèse dans da Corta 2010) et ainsi permettraient d'accéder à un début d'explication des mouvements d'entrée ou de sortie de personnes de différents modes de subsistance. Sans lien logique avec les relations sociales, la politique et l'économie politique, les résultats peuvent s'avérer partiels, ne pas être suffisamment explicatifs et peuvent même retirer le point de vue politique des études de la pauvreté (da Corta, 2010 ; Shaffer, 2013). Cette expérience a permis d'adopter une approche réaliste critique des méthodes qualitatives et de l'analyse utilisées dans la recherche portant sur la dynamique de la pauvreté. Un des objectifs clés de la recherche qualitative ne consiste pas simplement à découvrir ce qu'il s'est passé (c'est-à-dire de décrire précisément), mais il consiste aussi de découvrir pourquoi et comment les choses se sont passées ainsi. L'objectif est d'améliorer la précision de l'explication. L'enquête ethnographique peut être améliorée par l'étude des hypothèses ontologiques du réalisme critique (Rees et Gatenby, 2014 : 3) concernant les aspects non-observables de la réalité.
11
Le réalisme critique (RC) est un cadre méthodologique de recherche, mais ce cadre n'est associé à aucun ensemble spécifique de méthodes. Au contraire, il s'agit d'une approche qui vise à élargir et à préciser le point de vue de la causalité dans la recherche empirique. « L'un des principes clés du réalisme critique considère que l'ontologie (c'est-à-dire, ce qui est réel, la nature de la réalité) ne peut être réduite à l'épistémologie (c'est-à-dire, notre connaissance de la réalité). Les connaissances humaines ne portent que sur une infime partie d'une réalité plus importante, plus vaste. » (Fletcher, 2017 : 2). Elles se limitent à la réalité visible, surveillée ou observée au niveau empirique par l'humain. Cependant, les événements vécus au « niveau empirique » peuvent être provoqués par des événements moins visibles qui se passent au « niveau actuel » et qui sont générés par des mécanismes de causalité au sein de structures évoluant au « niveau réel » (ibid.). Les trois éléments décrits ci-après prennent appui sur un exemple issu d'un article sur l'insertion des jeunes au Niger qui applique une ontologie faisant appel au réalisme critique (voir Fletcher, 2017) à différents niveaux : •
Niveau empirique. Il s'agit du niveau observé et expérimenté par l'humain. Par exemple, au cours d'une vie, une jeune personne peut mentionner le problème de la détérioration des normes éducatives et l'augmentation des difficultés à régler les frais de scolarité élevés ainsi que les divers frais d'utilisation supplémentaires obligatoires. Cependant cette personne peut ne pas connaître la raison de cette situation car les décisions qui l'ont créée ont été prises par d'autres personnes. Les personnes jeunes, extrêmement pauvres et vulnérables sont particulièrement concernées par ce niveau.
•
Niveau réel. Il s'agit du niveau qui n'est pas directement vécu par le jeune participant à l'enquête. Cependant, les études impliquant des acteurs aux niveaux des institutions gouvernementales et locales démontrent que les décisions prises au niveau national portant sur les contrats des jeunes enseignants impactent non seulement les revenus des jeunes enseignants (qui travaillent maintenant dans le cadre de contrats plus courts et vivent des périodes de chômage), mais qu'elles ont également d'autres effets sur les jeunes parents d'enfants scolarisés en école élémentaire ainsi que sur les jeunes étudiants qui fréquentent toujours un établissement scolaire et doivent faire face à la chute du niveau éducatif provoquée par ces décisions.
•
Niveau actuel. De la même façon, des mécanismes de causalité potentiellement invisibles pour les jeunes participants à l'enquête, peuvent être partiellement révélés par un entretien de groupe incluant un stagiaire longue-durée et portant sur les modifications de politiques qui affectent l'existence de jeunes personnes pendant une durée équivalente à trois périodes administratives principales. Cet exemple permet de visualiser les mécanismes générateurs, ou de causalité, qui incluent les adaptations structurelles et le courant de néolibéralisme accentué, qui peuvent exercer une pression sur le gouvernement pour réduire les frais tout en augmentant la couverture éducative
12
par le biais de contrats d'embauche de jeunes enseignants. Ainsi le mécanisme générateur, ou de causalité, à l'origine de ce procédé est mis en lumière. Approche d'entretien réaliste critique basée sur des méthodes diachroniques, multicouches et relationnelles
Le pouvoir explicatif de l'enquête ethnographique peut être amélioré par les approches d'entretien réalistes critiques basées sur des méthodes diachroniques et multi-couches (suivi du procédé). L'application de ce point de vue vise à réintroduire les éléments suivants dans les approches ethnographiques des parcours de vie et dans les entretiens associés : 1.
Entretiens multi-couches sociaux relationnels de l'espace (de micro à macro) ;
2.
Analyse diachronique : suivi du procédé et contexte historique (modification du contexte structurel social, économique, climatique, politique ainsi que les normes sous-jacentes de cette modification) qui souligne l'importance de la datation des entretiens ;
3.
Connaissance des théories de la pauvreté et recherches préalables sur ce sujet qui favorisent la réalisation d'entretiens ouverts basés sur une théorie flexible permettant des questionnements informés (voir da Corta, 2021, à paraître) ;
4.
Comparaison des catégories de bien-être, entre catégories subjectives (locales) et catégories universelles correspondant aux niveaux de pauvreté (définitions abstraites définies localement) : souligne la qualité et l'abondance des biens, la qualité de la nourriture et la qualité de l'insertion ou de l'exclusion économique et sociale.
L'approche
réaliste
critique
favorise
l'approche
diachronique,
mullti-couches
et
relationnelle des entretiens de l'étude de terrain. Dans l'approche du CPAN nous avons adapté nos méthodes à l'insertion des jeunes : nous avons d'abord identifié le contexte important des tendances et du bien-être qui affectent les jeunes adultes afin d'améliorer le degré d'information de notre analyse des parcours de vie des jeunes (Tableau 1), ensuite nous avons étudié la transmission des parcours de vie des jeunes aux informateurs clés familiaux et relationnels (employeur, enseignant, formateur), et enfin aux acteurs gouvernementaux et de la société civile au niveau meso (quartier) et national (Figure 2). Le Tableau 1 récapitule les étapes clés des procédés de recueil de données de contextualisation des parcours de vie.
13
Tableau 1. Procédé de recueil de données du CPAN •
•
•
Groupes de discussion de résidents à long terme bien informés
Groupes de discussion de résidents hommes et femmes
Entretiens personnels
•
Évolution de la politique au cours de chaque période administrative et tendances économiques et politiques
•
Croissance, déclin et crises économiques
•
Changement climatique, événements météorologiques extrêmes, invasions de nuisibles et tendances à long-terme
•
Tendances démographiques
•
Identification de conjonctures déterminantes, c'est-à-dire un instant du cours de l'histoire où des forces auparavant distinctes convergent et impactent un groupe (les jeunes)
•
Avis sexo-spécifique de la jeunesse sur les causes de la dynamique de pauvreté des jeunes.
•
Évolution des normes sexo-spécifiques et générationnelles y compris évolution des normes impactant les violences domestiques
•
Classification des critères de bien-être en six groupes (correspondant à huit dimensions de bien-être et de classe, voir Encadré 2 et Annexe A)
•
Entretiens relatifs aux parcours de vie et aux informateurs clés relationnels et thématiques des jeunes au sein et en dehors du foyer. Thèmes abordés pendant les entretiens :
Parcours de vie ou bref parcours de vie d'un parent, proche, frère ou sœur qui vivait ou vit encore avec la jeune personne. Point de vue différent sur la formation informelle reçue des parents/de la famille (par exemple, compétences générales, compétences financières), sur la gestion financière, l'éducation ou les motifs de déscolarisation, l'héritage de ressources productives
Parcours de vie du conjoint ou bref entretien avec le conjoint afin d'obtenir un avis sur le jeune depuis le mariage, y compris sur sa participation aux charges du foyer (qui règle les frais de nourriture, de scolarisation, d'habillement) et sa participation aux tâches domestiques non rémunérées
La Figure 2 représente le deuxième procédé. Il s'agit du procédé qui permet de passer du parcours de vie de la jeune personne à l'obtention d'indicateurs clés qu'elle a mentionnés dans son parcours de vie, de passer aux relations familiales clés, aux relations locales clés et aux niveaux de relations plus élevés avec les décideurs gouvernementaux et issus de la société civile au niveau meso (quartier) et national dont les décisions et avis favorisent ou gênent la mobilité des jeunes. Par exemple, si, au cours du récit de son parcours de vie, une jeune personne mentionne l'influence en termes de formation de son formateur 14
professionnel ainsi que l'influence complémentaire dans ce domaine d'un membre de sa famille, alors, l'informateur clé relationnel peut être son formateur local. Ce domaine sera alors approfondi par des entretiens au niveau meso avec des acteurs gouvernementaux et de la société civile impliqués dans la formation des jeunes et dans la politique nationale de formation des jeunes et de son implémentation. Les objectifs clés de cette approche consistent à identifier les aspects de la situation qui ont gêné et/ou facilité les tentatives des jeunes de sortir de la pauvreté.
Figure 2. Passage du parcours de vie de la jeune personne à l'obtention d'indicateurs clés relationnels aux niveaux local, du quartier et national
Parcours de vie de la jeune personne 15-24 ans 25-35 ans
Avis émis par des relations familiales clés sur le parcours de vie de la jeune personne (conjoint, parent, frère ou sœur, etc.)
Relation clé : Employeur, créancier, fournisseur, enseignant, chef religieux local, dispensaire, police, club de jeunes ou réseau
Indicateurs clés au niveau meso (quartier) : acteurs gouvernementaux et de la société civile impliqués dans les services publics et la politique gouvernementale : programmes d'ONG (internationaux, religieux) et bienfaiteurs locaux
Indicateurs clés au niveau national : décisions des acteurs gouvernementaux et de la société civile concernant les politiques et programmes
Le système multi-scalaire de Bhaskar (Bhaskar et al., 2018, cité par Agbedahin et Lotz-Sisitka, 2019 : 4) est en partie à l'origine de cette approche multi-couches des entretiens.
15
Figure 3. Analyse en contexte et multi-niveaux du bien-être
Informateurs institutionnels de niveau national et international
Informateurs institutionnels de niveau meso (quartier) : ministère, ONG, société civile (éducation, formation, créance, etc.) Niveau local : relation clé : employeur, fournisseur ou créancier (pour les commerçants), formateur, enseignant, etc. Entretien relationnel sur le parcours de vie de la jeune personne et concernant les interactions avec un parent, le conjoint, un frère ou une sœur, et leur avis Parcours de vie de la jeune personne : enfance, adolescence, vie adulte Compétences psycho-sociales internes : identité, espoir, estime de soi, ambition
Tout en tenant compte de l'accumulation contextuelle et relationnelle de phénomènes sociaux (les actions des jeunes personnes dans des contextes sociaux ainsi que les cadres sociaux, économiques et politiques dans lesquels ces actions surviennent) les études basées sur le réalisme critique débattent également de l'importance des explications diachroniques qui prennent en considération le contexte de développement et de l'évolution des événements. La théorie repose sur le principe que chaque événement doit être évalué en tenant compte des conditions, décisions ou stratégies qui l'ont déclenché (Archer, 1995 ; 1998). Cette théorie permet donc d'ajouter une perspective historique à l'explication.
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Les parcours de vie des individus et de leur communauté permettent de mieux comprendre les événements et de leurs conséquences. Ils nous permettent de prendre en compte les causes préalables (facteurs déclencheurs ou difficultés au cours de l'enfance ou de l'adolescence) ainsi que la façon dont les personnes ont surmonté des défis et transformé leur vie.
Figure 3. Étapes du parcours de vie de la jeune personne et type de prise en compte des expériences précédentes qui favorisent ou entravent l'accès des jeunes adultes à un moyen de subsistance Adolescence
Enfance 1. Compétences 2. Expériences de scolarité formelle et motifs de déscolarisation 3. Expériences de travail dans l'enfance en dehors du foyer (par exemple, la revente de produits) 4. Prise de décisions
1. Démarrage de la vie professionnelle pour une majorité 2. Avant tout héritage : organisation de l'utilisation des terres agricoles, de l'habitation et de la contribution à la famille (par exemple la participation aux frais de scolarité des frères et sœurs) 3. Compétences (apprises au sein du foyer, grâce à des mentors, au travail ou dans le cadre de la migration)
Début de l'âge adulte 1. À la suite d'un mariage ou de la prise d'indépendance 2. Ferme, bétail, héritage, trousseau, normes sexo-spécifiques concernant le travail domestique et le travail rémunéré, etc. 3. Négociations au sein de la famille concernant les responsabilités parentales/familiales ; négociations avec le nouveau conjoint concernant les responsabilités individuelles ; négociations avec les formateurs, employeurs, enseignants (influents)
Ainsi, les entretiens portant sur l'histoire (les parcours de vie des individus et de leur communauté) nous permettent d'identifier une série de causes et de contextes menant à un événement ou une décision ultérieurs. Les approches de suivi du procédé sont mises en œuvre lors de l'analyse des données (voir la description à la Section 3). Catégories multi-dimensionnelles de bien-être Dans les précédentes études, la prise en compte des niveaux de pauvreté (indicateurs de bien-être) de manière subjective par le prisme individuel ou de la communauté locale, ou la cartographie sociale seule peuvent être très révélatrices des types de caractérisations locales cités par chaque participant. Cependant leur utilisation dans toute comparaison de la pauvreté entre les zones rurales et péri-urbaines fut très complexe (voir Higgins et da Corta, 2010 par exemple). Très souvent, lorsque l'évolution entre les niveaux de pauvreté a été comprise, elle a à peine engendré des évaluations très subjectives.
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Plus récemment, nous avons conçu un contrat relatif au travail qui permet de tenir compte du bien-être. Dans nos notes aux chercheurs, nous commençons par indiquer la définition de ces groupes dans d'autres pays (c'est-à-dire, les catégories universitaires abstraites de bien-être et leurs définitions), puis nous expliquons que nous prenons en compte leurs avis concernant la pertinence des catégories pour leur communauté et, dans le cas contraire, leur définition locale. Nous débutons par le plus pauvre des trois groupes de pauvres, puis nous passons aux autres groupes. Pour chacune des catégories, nous posons les questions suivantes : Votre village ou ville compte-il des personnes de ce type ? Si oui, comment les définissez-vous plus précisément. Si non, comment les définiriez-vous ? Qu'ajouteriez-vous ou supprimeriez-vous de la définition ? Quelles sont les caractéristiques qui définissent cette catégorie ? Remarque : au cours de la progression du niveau 1 jusqu'au niveau 6 de bien-être, nous remarquons que les groupes 1 à 3 font face à des problèmes de base de survie (nourriture, logement décent, maintien de la scolarisation des enfants et épargne nécessaire à l'achat de biens, formation ou constitution d'un petit capital d'entreprise). Ils disposent donc d'un certain niveau de potentiel (capacité de travail, biens, épargne) et travaillent en tant qu'ouvrier ou louent des biens. Ils présentent également souvent un potentiel négatif ainsi qu'un passif (dettes, santé fragile, lourdes responsabilités d'aidant familial) et vivent des relations institutionnelles d'exclusion ou d'intégration défavorables (dans le cadre familial, sur les marchés et dans les institutions sociales et politiques). Pour chacune des catégories de bien-être, nous étudions les perspectives des participants (voir l'Annexe A).
2.2.
Méthodes quantitatives ancrées dans le réalisme critique
Les études du CPAN débutent généralement par une analyse quantitative des moteurs des différentes trajectoires de pauvreté reposant sur des données de panel (voir Encadré 1 ciavant). Ces données de panel proviennent des enquêtes successives des mêmes foyers au fil des années. Ainsi elles permettent d'identifier les trajectoires de pauvreté. Les analyses de données de panel nationales nous permettent d'identifier les évolutions du statut de pauvre pour un même foyer tout au long de la période du panel et nous permettent d'étudier les facteurs associés à cette évolution. Il s'agit donc d'une analyse statistique basée sur l'évolution diachronique. Même si les études de panel ont un impact important sur notre compréhension des tendances de la dynamique de la pauvreté, la qualité des analyses causales peut s'avérer insuffisante pour révéler des associations statistiquement significatives de la dynamique de la pauvreté (par exemple propriété de terrains, revenus non issus de la ferme, éducation) mais, en l'absence d'information complémentaire, seules des suppositions peuvent être faites concernant les motivations de l'association et les détails de l'implication de variables
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non surveillées dans cette dynamique ne peuvent qu'être supposés (Scott et collègues, 2014). Ce constant a favorisé l'émergence d'une approche faisant appel à des méthodes mixtes qui impliquent une recherche de terrain et une analyse diachronique qualitative. Dans la pratique, un deuxième défi était présent. Dans les études antérieures, les données nationales légitimées par les institutions internationales associées au positivisme strict de ces études quantitatives pouvaient générer des associations statistiquement significatives et présentées comme des faits de causalité et ont permis d'analyser politiquement des lacunes de données de panel comme des manques politiquement justifiés (par exemple, une sécheresse ou une famille nombreuse) plutôt que provoqués par le manque de politiques efficacement financées et mises en œuvre (da Corta et al., 2018). En réaction à ces défis, nous avons associé l'analyse de données de panel à la fois à la recherche de terrain et à l'analyse qualitatives intimement liées à l'évolution (avec une exécution intermédiaire). Comme le déclarent Olsen et Morgan (2005), les hypothèses épistémologiques positivistes relatives aux systèmes clos et aux circonstances stables peuvent être assouplies et appliquées avec précaution sur les résultats issus d'évaluations réalistes et d'épistémologies interprétatives. L'analyse quantitative du panel du CPAN est également généralement exploratoire et prudente. Elle n'est pas déterminante et cherche à éviter d'affirmer avec prétention des vérités absolues justifiées par association statistique. Au contraire, elle est utilisée comme outil d'exploration de tendances statistiques et de résultats démontrables qui, associés à une solide analyse qualitative réalisée à plusieurs niveaux, peuvent permettre d'étayer une analyse de causalité. Les données ne sont pas considérées comme des faits, mais comme hypothèses prêtes à être interprétées à l'aune du contexte d'une analyse plus étendue des données qualitatives historiques et relationnelles (Olsen et Morgan, 2005).
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3. L’association des méthodes du CPAN et du LASDEL dans le cadre de l'analyse de terrain et de données 3.1.
Recueil de données qualitatives
L’enquête ECRIS a initié la chercheure du CPAN aux méthodes du LASDEL. Celle-ci a ensuite présenté aux chercheurs du LASDEL la méthodologie CPAN qui porte sur la dynamique de la pauvreté chez les jeunes et repose sur deux éléments : d’une part le recueil les histoires de vie d’un corpus de jeunes ; et d’autre part une série de focus groups et quelques entretiens avec des informateurs clés. Cet atelier s’est déroulé du 2 au 5 janvier 2020 et a impliqué l’équipe de pilotage et d’affinage de l’approche à Niamey. Les histoires de vie des jeunes ont été précédées de discussions de groupe afin de recueillir les perceptions les concernant, les principaux évènements historiques locaux et leur impact sur la pauvreté des jeunes, les moyens de subsistance dans la localité et pour recueillir leurs points de vue sur les indicateurs multidimensionnels du bien-être (aspects de la pauvreté). Cette pratique a permis aux chercheurs de comprendre le contexte d'indicateurs clés mentionnés au cours de récits de parcours de vie individuels, et de mieux prendre en compte les défis des jeunes ainsi que les facteurs déclencheurs de mobilité positive de la jeunesse. Lors de chaque entretien, l'approche clé consistait à commencer par des questions ouvertes et générales (parlez-nous de votre enfance ; décrivez l'emploi des jeunes et les aides sociales sous le premier régime politique) basées sur la théorie flexible qui permet d'obtenir des informations supplémentaires à la fin de chaque étape du cycle de vie ou à la fin de l'entretien (à la fin du récit du répondant.) La liste des questions possibles concernant les récits de vie a été élaborée à destination des chercheurs les moins expérimentés sur la dynamique de la pauvreté et les moyens de subsistance. Cette liste intègre certains des problèmes théoriques liés à l'analyse de la pauvreté. Ces questions n'ont pas été utilisées comme liste de vérification lors des entretiens qui étaient ainsi plus fluides. Sur chacun des quatre sites, la recherche de terrain a été organisée conformément au séquençage réalisé comme suit dans d'autres pays : 1.
Entretiens de groupe avec des résidents de longue durée bien informés : conçus pour identifier les évolutions structurelles. Nous nous sommes concentrés, non seulement sur les chocs et les événements clés, mais aussi sur les modifications systémiques de politiques, les tendances économiques (y compris la monétisation
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et l'inflation), le changement climatique et l'épuisement des sols, ainsi que les tendances démographiques en matière d'héritage de biens et de disponibilité des emplois. Les répondants ont été incités à réfléchir à la conception de nouvelles stratégies de subsistance afin de faire face au déclin du système basé sur l'agriculture, y compris à l'apparition de nouvelles formes de commerces et de services, de faire face au travail précaire et à la migration. Les répondants avaient tendance à orienter les discussions sur la comparaison et l'opposition des opportunités pour les jeunes issues de deux régimes s'étalant sur les deux décennies de 2001 à 2010 et de 2011 à 2020 (voir Section 3). Ils se concentraient également sur les différences observées chez les jeunes pauvres en termes de perspectives d'emploi et de défis à relever pour l'accès à la scolarisation et concernant les frais associés à l'éducation, la santé et le soutien agricole. Ils ont également examiné le rôle de l'éducation religieuse et des formations proposées par les ONG dans leur région. 2.
Groupes de discussion menés auprès de femmes et d’hommes (séparément), avec un nombre égal de jeunes adultes et d’adultes plus âgés : au total, 16 entretiens de groupe et environ 250 participants. Les résidents hommes et femmes étaient répartis dans des groupes de discussions distincts. Les groupes de discussion étaient conçus pour recueillir les avis locaux sur les domaines ci-après : a.
Le bien-être évalué selon des indicateurs multi-dimensionnels de bien-être (six groupes de pauvres à riches) ;
b.
Les relations sociales entre les genres et les générations, tout en se concentrant sur les types d'emploi, de mobilité et l'accès aux ressources productives ainsi que sur l'impact facilitateur ou gênant des normes sur la sortie de la pauvreté ;
c.
Les violences domestiques (leurs formes, le fait qu'elles soient considérées ou non comme légitimes par les hommes et les femmes et les jugements de litiges et de divorces).
3.
Parcours de vie des jeunes : récits reçus dans le cadre de groupes de discussions de résidents hommes et femmes. Les répondants doivent identifier les jeunes personnes sur diverses trajectoires : les jeunes piégés dans la pauvreté chronique, les jeunes qui sont sortis, mais sont retombés dans la pauvreté et les jeunes qui sont sortis définitivement de la pauvreté (voir Encadré 1). Au total, 41 parcours de vie ont été recueillis. Le récit des parcours de vie des jeunes hommes et femmes commence par les premières anecdotes de leur enfance, y compris les investissements précoces dans l'éducation et la santé, le travail des enfants avant et après la classe, les circonstances de la déscolarisation, la formation religieuse ou la formation professionnelle, le(s) mariage(s), l'héritage de ressources productives, la formation (le cas échéant) et le début précoce de la vie professionnelle (entrée et sortie de différentes formes d'emploi), les initiatives d'accès à la formation et au capital, les
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réseaux d'évolution positive. Les récits intégraient des précisions sur la négociation avec le conjoint ou les parents (afin de se libérer pour assister aux formations, de pouvoir migrer, etc.). Les chercheurs ont été encouragés à identifier les trajectoires et les procédés qui sous-tendent les parcours menant à l’emploi ou au chômage. 4.
Informateurs clés identifiés pour répondre aux questions posées à la suite du récit du parcours de vie et des discussions de groupe : a. Informateurs clés relationnels : des personnes qui ont influencé le parcours de vie de la jeune personne. Il peut s'agir d'un conjoint, de parents, de formateurs, de mentors, d'employeurs, de créanciers (qui peuvent avoir accordé ou refusé un prêt), de personnes qui ont prêté ou vendu des biens ou des cultures, etc. ; b. Informateurs institutionnels de niveau meso (quartier) ; c. Informateurs clés nationaux de l'ECRIS et autres associés à la demande de bulletin politique général commentant les politiques et programmes d'amélioration de l'insertion professionnelle des jeunes ou d'attribution d'aide sociale aux jeunes (éducation et formation, agriculture, etc.).
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Figure 3. Récapitulatif des outils et échantillons de collecte de données qualitatives
Groupe de discussion de résidents à long terme bien informés
Résidents à long terme hommes et femmes
• Objectif d'amélioration du bien-être ; un par site (4)
• Un par site (8)
• Plus de 50 entretiens de parcours de vie Parcours de vie
Complément au récit du parcours de vie au niveau de la communauté (village, commune)
• Plus de 50 brefs entretiens distincts avec un parent, un conjoint, un frère ou une sœur
• Plus de 50 entretiens de parcours de vie avec des informateurs clés relationnels (employeur, enseignant, formateur, membre de coopérative, responsable, ONG)
• Avant de quitter le village ou la commune, possibilité de groupe de discussion ou de discussion avec des informateurs clés à propos des dernières questions issues des résultats
Informateurs clés institutionnels de niveau meso (quartier)
• 10 à 12 entretiens institutionnels au niveau meso (quartier) (par exemple service pédagogique, de santé, des aides sociales, ONG) dans les régions de Zinder et Tahoua (24 entretiens au total)
Informateurs clés dans des institutions de niveau principal
• 10 à 12 informateurs clés nationaux (gouvernement, ONG, société civile, institution religieuse) ; le choix doit dépendre des résultats
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3.2.
Analyse de données faisant appel à des méthodes mixtes
Analyse initiale des données de panel La première étape consistait en une nouvelle étude d'une analyse récente de la dynamique de la pauvreté (McCullough et Diwakar, 2018) afin de comprendre, pour la population dans son ensemble, les facteurs associés aux évolutions en termes de bien-être. Cette étude analyse L’Enquête nationale sur les conditions de vie des ménages et de l’agriculture, ou ECVM/A), une enquête longitudinale représentative au niveau national menée auprès de 3 436 foyers dans les zones rurales et urbaines du Niger en 2011 et en 2014. Les trajectoires de pauvreté au niveau du foyer se basent sur les données du panel (Encadré 1). Au cours de l'analyse, nous avons éliminé les foyers dont le montant des dépenses par personne se situait 5 % au-dessus ou en-dessous du seuil de pauvreté afin de limiter les erreurs de mesure (Baulch, 2016). Associée au reste de la littérature portant sur la pauvreté et les conditions de subsistance au Niger ainsi qu'à un ensemble d'études portant sur la dynamique de pauvreté en Afrique subsaharienne (voir la synthèse de Diwakar et Shepherd, 2018), cette étape a permis de fournir un premier niveau de connaissance des facteurs associés à l'accès ou à la sortie de la pauvreté et de la corrélation avec la pauvreté chronique. Lors de l'étape suivante, une analyse initiale de l'ECVM/A a été réalisée avant l'étude de terrain. Cette analyse comportait les deux objectifs suivants : (1) accompagner la sélection des sites à l'échelle infranationale, en tenant compte des trajectoires de pauvreté découvertes à l'aide des données du panel ; et (2) présenter les résultats de l'analyse descriptive et de l'analyse de régression initiale qui permettent de soulever des questions spécifiques qui pourraient être nuancées ou questionnées lors de l'étude de terrain qualitative ultérieure. L'ECVM/A nous a permis d'étudier les variables clés relatives au bienêtre, aux moyens de subsistance, à la formation et à la migration tout en se concentrant sur l'étude des évolutions au fil du temps et des différences entre les jeunes adultes et les autres populations adultes. Outre cette analyse descriptive, nous avons réalisé des analyses de régression intégrant des régressions logistiques multinomiales au niveau du foyer. Ces analyses permettent d’étudier les facteurs menant aux différentes trajectoires de pauvreté dans l’ensemble des foyers ainsi que dans le sous-groupe des foyers dirigés par des jeunes. Le modèle s’appuyait sur des valeurs de référence des variables de régression pour les foyers (caractéristiques du chef, biens, moyens de subsistance) et pour la zone/région, ainsi que sur les chocs de la dernière vague d’enquête. Les effets marginaux moyens sont calculés pour toutes les régressions.
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Analyse qualitative et multi-niveaux des données La rédaction des remarques ou des conclusions à l'issue des entretiens ne constitue pas une synthèse des résultats, mais il s'agit au contraire d'un compte-rendu complet, proche d'une transcription. Dans le résumé et la conclusion, le chercheur participant aux entretiens réalise un rapport portant sur ses observations, les contradictions de l'analyse, les comptes-rendus incomplets (par exemple, si des biens ont été omis, si l'origine des capitaux de départ de l'entreprise n'a pas été indiquée (une situation complexe pour les pauvres chroniques), en cas de souci de quantité, par exemple dans le cadre de jours de chômage ou concernant la taille des troupeaux). Lors des entretiens familiaux clés, l'enquêteur peut repérer des contradictions par rapport aux récits du conjoint, des frères et sœurs ou des parents. L'enquêteur rédige ensuite un résumé et des conclusions à partir des remarques. Il s'agit de la première étape de l'analyse des données. Nous remercions ainsi en premier lieu les chercheurs. L'étape suivante implique le codage et l'analyse des données par thèmes vastes, y compris les compétences (par exemple, l'éducation, la formation), les activités économiques (divers moyens de subsistance), les relations (socio-économiques), les ressources, les stratégies. Chacun de ces thèmes comportait un certain nombre de sous-thèmes (voir da Corta, 2021, à paraître). L'échantillon était trop restreint pour en extraire des généralisations sur l'importance des thèmes clés. Il a cependant permis d'obtenir une indication de la quantité. L'échantillon a surtout permis d'identifier des extraits significatifs pour chaque sous-thème et cela a été très utile pour l'analyse des données. Il s'agit ici du début du procédé d'analyse fine (par thèmes clés sociaux ou relatifs à la pauvreté) qui commence par le procédé d'identification des résultats clés. Il convient de signaler que la littérature concernant le réalisme critique comporte peu de références au codage et au traitement des données. C'est une conséquence du positivisme, de la régularité déterministe et des hypothèses de prédiction fermées. C'est également le cas pour certaines analyses de données qualitatives codées qui ne tiennent pas suffisamment compte de la réalité de l'ouverture des systèmes sociaux qui intègrent donc le changement et la transformation. Cependant, ces hypothèses et utilisations positivistes peuvent être atténuées et rendues plus flexibles et exploratoires, à l'instar de l'argument avancé par Olsen et Morgan (2005) concernant l'analyse statistique. Ainsi, le réalisme critique considère que le codage des données qualitatives constitue des régularités partielles exploratoires que le réalisme critique qualifie de demi-régularités. Ces demirégularités sont interprétées comme des tendances et non des vérités. Le codage et l'analyse des données qualitatives permettent de les identifier efficacement (voir Fletcher, 2017). L'analyse du codage qualitatif a ensuite été associée à une autre forme d'analyse des données axée sur l'identification du contexte et du processus. Ce procédé nécessitait de
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comprendre le parcours de vie complet de la jeune personne et de la communauté en tant que processus et d'identifier les procédés temporels (par exemple, le passage de l'événement ou de l'expérience A à l'expérience ou l'événement B qui a ensuite engendré l'expérience ou l'événement C). Ce procédé s'exécute alors sur les tendances de contextes variables et de normes mises à jour identifiées dans les groupes de discussion. De plus, des relectures attentives ont permis d'approfondir des questions clés et d'identifier des facteurs d'évolution moins observables : modification des normes, des significations, des idées et des décisions. Ces éléments peuvent toujours avoir des impacts de causalité sur l'insertion professionnelle des jeunes. Au niveau des parcours de vie, pour repérer les conditions qui ont favorisé un événement, nous pouvons remonter jusqu'aux étapes du cycle de vie qui ont conduit à l'adoption ou aux défis rencontrés en termes d'éducation et de formation, d'expérience professionnelle et d'héritage de biens ou par le biais du mariage (Figure 4 ci-après). L'étude des événements passés permet souvent à l'analyste de poser des questions contre-intuitives (par exemple, si vous avez abandonné l'école à l'âge de xx ans, comment avez-vous pu ensuite accéder à ce programme de formation ?) Figure 4. Trajectoires à différents niveaux
2018 2020 Ouverture d'un atelier de réparation de motos
Q : Comment avezvous obtenu le capital nécessaire à l'ouverture ? R : Migration, travail, épargne (sans dépendance familiale importante au retour)
2016
2011
Q : Comment avezvous obtenu l'argent nécessaire au transport ?
Q : Comment avezvous acquis les connaissances nécessaires à l'ouverture de l'atelier ?
R : Travail en tant que superviseur des produits dans le cadre du transport des migrants
R : Travail à l'adolescence dans le garage d'un oncle
Au niveau du parcours de vie de la communauté (groupes de discussion), nous avons pu suivre les évolutions des normes sexo-spécifiques et générationnelles (droits, héritage, responsabilités, pouvoir de négociation dans les cadres privé et public) et recueillir des avis concernant la mobilité sexo-spécifique des jeunes (amélioration, dégradation ou maintien de la pauvreté).
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2010-2020
2000 - 2010
Perspectives sur l'évolution du jeune au cours de la période et justification de cette évolution Du point de vue personnel et du point de vue de la communauté, qu'est-ce qui a déclenché cette évolution ?
Perspectives sur les droits des jeunes femmes ou hommes, les responsabilités et l'engagement dans un travail rémunéré pendant cette période
Les parcours de vie de la communauté nous permettent également de suivre les évolutions des impacts des politiques gouvernementales et des évolutions concomitantes des facteurs déclencheurs et des défis chez les jeunes. 1960-1999 États développementistes (socialistes) Investissements dans les infrastructures (eau, écoles, dispensaires)
2000–2009 Libéralisation des aides sociales
2010-2020 Libéralisation, avec privatisation de certaines aides sociales Services publics (frais réduits et sous-traitance ou externalisation de l'enseignement ; privatisation des services d'eau, d'électricité, etc.)
Ces enquêtes au niveau de la communauté nous ont permis de traiter deux mécanismes de causalité clés : le rôle des normes sexo-spécifiques et générationnelles, ainsi que le modèle et la nature de l'engagement de l'État pour les jeunes pauvres face aux défis posés par les caractéristiques économiques, démographiques et climatiques. L'une de nos conclusions principales est que le changement ne dépend pas d'une norme, ni d'un modèle d'engagement de l'État, mais qu'il dépend de l'évolution ou de la transformation de cette norme ou de ce modèle. Ainsi, l'une des principales caractéristiques de l'approche du CPAN évoque les études portant sur les réformes agraires : au lieu de décrire le statu quo (par exemple, sous la forme d'une norme) ou de partir du postulat que le statu quo est indispensable, il est plus utile de prendre en compte les facteurs de causalité clés de l'évolution qui provoquent le résultat et les modifications des normes, des événements, des actions et des moyens de subsistance qui à leur tour modifient les conditions de pauvreté des jeunes ou les perpétuent. Application et intégration de l'analyse faisant appel à des méthodes mixtes Après la réalisation de l'étude de terrain qualitative, les données du panel ont été réétudiées afin de se concentrer sur des questions spécifiques soulevées par le travail de terrain. Par exemple, l'analyse des données qualitatives a fait émerger la question des contrats de travail de courte durée, y compris pour les travailleurs salariés, ainsi que la question de la précarité associée à diverses formes de travail. De ce fait, l'analyse quantitative a amplifié la division de l'emploi salarié en deux groupes distincts : les emplois d'agents de production
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qualifiés d'une part, et, les emplois non-qualifiés ou ouvriers d'autre part. Cette division en deux groupes de types d'emplois nuance les résultats issus de la recherche. De la même façon, la comparaison des différentes trajectoires de sortie de la pauvreté accessibles aux jeunes femmes avec celles accessibles aux jeunes hommes a déclenché une analyse descriptive supplémentaire, sexo-spécifique, sur des questions précises, comme le permettent les données de panel. Dans le cadre de cette analyse applicative, nous avons également réalisé des régressions logistiques standard au niveau individuel afin de comprendre comment des mêmes facteurs peuvent, tour à tour, être associés globalement à l'emploi salarié des individus, et ensuite être associés au sous-ensemble des jeunes. Dans l’enquête, l’emploi salarié est défini comme intégrant les catégories professionnelles suivantes : cadre supérieur, cadre moyen ou agent de maîtrise, ouvrier ou employé qualifié, ouvrier ou employé non-qualifié ou ouvrier. Au cours de notre analyse, nous répartissons les emplois en deux groupes, celui des agents de production qualifiés d'une part, et celui des emplois non-qualifiés, d'ouvriers d'autre part. Pour faciliter l’analyse, les cadres et les emplois salariés qualifiés sont choisis comme des indicateurs d’insertion résiliente des jeunes sur le marché du travail. De nombreux travaux de recherche démontrent l’importance de l’emploi salarié et stable dans les trajectoires de sortie de la pauvreté (Diwakar et Shepherd, 2018). Toutefois, si certaines formes de travail salarié sont mieux rémunérées que le travail journalier, le travail salarié privé mensuel n’est pas toujours stable, il peut s'agir de contrats ou de travail à la pige dans un cadre formel ou informel. Ce type d'emploi peut imposer des contrats de courte durée ou de fréquents changements de poste. Ainsi, les travailleurs qui ont accumulé des fonds suite à une multitude d'activités et de divers emplois peuvent jouir d'une situation tout aussi stable, sinon plus, que d'autres travailleurs mais les limites des données nous empêchent de développer ces mesures. La présente analyse étudie les enjeux de formation, migration et bien-être des foyers par le prisme des interactions qui lui permettent de juger de l'influence de ces éléments sur la probabilité d'obtention d'un emploi salarié. Afin de contextualiser les résultats de l’étude, les données quantitatives et qualitatives sont finalement triangulées et complétées par d'autres travaux de recherche portant sur la dynamique de la pauvreté et les moyens de subsistance. Les données qualitatives accordent une attention particulière aux années d’enquête de panel, tout en étudiant plus avant les procédés et les trajectoires de pauvreté au cours de la vie du répondant dans le cadre du groupe de discussion de résidents à long terme bien informés de chaque communauté, sur 20 ans. Puisque les données qualitatives s’étendent au-delà de la période couverte par l’enquête, une sortie de la pauvreté constatée dans les données quantitatives pourrait correspondre à une sortie durable ou simplement temporaire de la pauvreté visible dans les données qualitatives. L’analyse a également été séquencée, l’analyse préliminaire des données du panel offrant des perspectives méritant d’être approfondies au travers
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d’enquêtes qualitatives. Une analyse quantitative plus poussée de l’ensemble des données du panel a ensuite été effectuée en vue d’exploiter les résultats des données qualitatives.
3.3.
Analyse des complémentarités entre les méthodes du CPAN et du LASDEL
Les outils du CPAN sont ancrés dans l'approche du réalisme critique et appliquent une approche de suivi de procédé dans le cadre de l'étude de terrain sur les trajectoires de pauvreté des jeunes et leur analyse ultérieure (Sayer, 1999 ; Archer, 1995 ; 2010 ; Bhaskar, 2014 ; Fletcher, 2017). D'après Sayer (1999), le CPAN a adopté une approche combinée qui a évité les clichés ultra-réalistes et ultra-constructivistes afin de trouver une méthode médiane basée sur des versions plus ouvertes des approches réalistes et post-structurelles qui permettent au CPAN d'élargir les possibilités d'explications de la dynamique de la pauvreté des jeunes. L'approche combinée repose sur les éléments suivants : •
Approche critique : examen approfondi des relations sociales, normes, significations et discours à la fois en société (en particulier les normes sexo-spécifiques et générationnelles), dans les institutions (par exemple, définition de l'accès aux services publics, à l'éducation, à la santé et à la justice) et sur les marchés (du travail, financiers, des produits et services). Au fil de l'évolution et de la transformation de ces normes, la qualité de l'insertion professionnelle des jeunes s'améliore. Dans ce cas, les chercheurs partenaires locaux, qui connaissent depuis longtemps les contextes locaux, les langues locales, et maîtrisent les méthodes ethnographiques, ont adapté les méthodes et les questions au contexte de leur pays. Pour appliquer cette approche de la recherche sur le terrain, ils ont réalisé des entretiens et recueilli les réponses à des questions ouvertes telles qu'exprimées par l'acteur (et même si elles sont contradictoires avec les avis des autres acteurs). Enfin, ils ont associé ces éléments à une enquête réaliste.
•
Approche réaliste : intégration de l'étude de l'insertion des jeunes dans un contexte plus étendu et en pleine évolution de niveau macro et local par le biais de la méthodologie des parcours de vie. Cette approche intègre l'identification des tendances (politiques, économiques, démographiques et climatiques) et les interactions qui impactent l'emploi des jeunes. Elle permet également de comprendre l'organisation du travail sous-jacente des divers moyens de subsistance des jeunes. Il s'agit par exemple de la rémunération, du capital, de la nature de l'accès (propriété, location, emprunt) aux ressources productives, de la durée du chômage et de la capacité à faire face aux coûts de la vie pour eux-mêmes et les personnes à charge. L'approche intègre l'impact des moyens de subsistance sur l'état multidimensionnel du bien-être et de pauvreté des jeunes et de leurs propres jeunes enfants. Elle se concentre particulièrement sur leur capacité à gagner suffisamment d'argent pour nourrir leurs enfants et assurer leur scolarisation.
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•
Approche de suivi du procédé : identification des séquences de causalité de l'acquisition de compétences (éducation, santé, formation professionnelle), de ressources et de capital, et l'obtention d'un emploi par les jeunes au cours de leur vie. Ces causes étudiées incluent les événements, les stratégies adoptées concernant les moyens de subsistance, les déclencheurs structurels « invisibles » ainsi que les négociations avec des personnes et des organisations influentes pour surmonter les obstacles à l'accès à l'emploi. Ces causes définissent les trajectoires que les jeunes suivent au cours de leur vie et qui leur donnent ou barrent l'accès à différentes formes d'emploi.
Le LASDEL et le CPAN appliquent tous deux des approches éclectiques. Cependant, les deux organismes présentent également des spécificités méthodologiques. La culture de recherche telle que développée par le LASDEL est basée sur la flexibilité des instruments de production des données et ouverte à toute démarche. Elle a donc permis d’intégrer les différentes phases de la méthodologie CPAN, qui part de la collecte d’informations générales à travers des discussions de groupe avant de se concentrer sur des trajectoires de vie, par le biais d'entretiens avec des informateurs clés nationaux, de quartier et relationnels. En suivant la dynamique de terrain, la recherche empirique du LASDEL a, en outre, permis d’identifier des pistes de recherche pertinentes, portant par exemple sur la problématique de la violence ou encore sur les métiers d’émergence endogène tels que le métier de jogol (commerce de meubles d’occasion exercé par les femmes à Zinder). Le CPAN porte une très grande attention, ancrée dans le réalisme critique, sur les fondements structurels matériels et évolutifs de l'insertion professionnelle des jeunes. Cette approche se base sur des entretiens multi-niveaux et l'identification de procédés dans le but d'approfondir et d'expliquer la dynamique de la pauvreté des jeunes. L'approche de la recherche empirique de LASDEL est plus ethnographique, elle est axée sur les perceptions des acteurs, leurs interactions, et les routines quotidiennes. Elle insiste particulièrement sur la familiarisation avec les contextes locaux, l’insertion des chercheurs dans ces contextes, ainsi que la maîtrise des langues et des cultures locales. Les méthodes du CPAN tiennent également compte de ces contextes locaux, des stratégies d'adaptation et d'autres éléments, cependant, elles ne s'intéressent pas aussi régulièrement à l'ensemble des méthodes ethnographiques intensives telles que les routines quotidiennes (gestion du temps), l'observation approfondie et les marches de transect, mais elles comptent sur les connaissances des chercheurs partenaires locaux qui maîtrisent depuis longtemps les contextes locaux des enquêtes ainsi que les langues locales. L’axe clé de l’approche ECRIS constitue un autre point d'intégration des deux méthodes. L’analyse approfondie des conflits entre groupes constitue une « opportunité » de compréhension de l'insertion professionnelle des jeunes. Les conflits révèlent la structure (du pouvoir) des sociétés ainsi que les normes et codes qui régissent le fonctionnement d'une
30
société locale. Ils annoncent également les changements sociaux (Bierschenk et Olivier de Sardan, 2007). L'analyse des relations sociales, des conflits et des négociations entre les individus et les groupes, et notamment les luttes de genres, de classes et de générations, constitue une dimension clé des méthodes réalistes critiques du CPAN. En effet, l'utilisation de méthodes ethnographiques ainsi que la critique de la recherche du consensus de communauté qui considère la communauté comme une unité cohérente distincte de l'état et en dehors du capitalisme constituent des points communs entre les deux approches. Ainsi, ces méthodologies convergent car elles remettent implicitement en cause les approches purement participatives qui se concentrent amplement sur le consensus de communauté plutôt que sur les avis divergents portant sur les points clés qui concernent, en réalité, des groupes sociaux très différents dans les communautés (structurés par génération, classe, genre ou origine ethnique). Dans ce contexte de convergence complémentaire, cette intégration nous permet de bénéficier des éléments suivants : •
Élargissement du point de vue de la causalité à des domaines clés (politique, démographie, économie, société), des niveaux clés (macro international, de quartier et local) et des relations locales (de classe, de genre, de travail).
•
Accès à des points de vue précurseurs (causes multiples et précédentes) qui ne sont pas forcément visibles, observables, ni mentionnés dans des discussions et permettent d'approfondir les explications.
•
Étude des normes sexo-spécifiques qui représentent les relations de pouvoir historiquement inégales entre les hommes et les femmes dans les sphères publiques et privées. Tous les individus vivent dans le cadre d'un ensemble de normes, qui à son tour, accentue les structures sociales sous-jacentes qui rendent ces normes intemporelles et naturelles (ou essentielles).
31
Figure 5. Élargissement du point de vue multi-niveaux de la causalité par le biais de l'insertion
• Intégration politique : impact de l'intégration politique institutionnelle au niveau macro sur l'intention de financement des services publics et de l'emploi des jeunes (par exemple, états développementistes), intégration théoriquement réalisée par le biais de liens fructueux et non par fidélité de la clientèle envers des régions clés ou des militants politiques.
Activités institutionnelle de financement de l'éducation, de la formation ou des soins de santé des jeunes
• Niveau meso-institutionnel : impact sur le recours à des contrats d'embauche de jeunes enseignants moins qualifiés qui cherchent à récupérer les ressources utilisées pendant les années d'étude (et cherchent à exercer un second emploi) ; ou le recours à des internes en médecine ou à du personnel faiblement rémunéré (souvent de jeunes mères pauvres ou malades).
• Capacité individuelle de règlement des frais (gestion des priorités, par exemple retarder des soins de santé pour pouvoir régler des frais de scolarité ou pour acheter de la nourriture ou payer le loyer.
• Négociations discrètes avec des enseignants, des proches hommes ou femmes (pour être autorisé à quitter la maison pour suivre une formation, normes définissant Capacité, au sein du foyer les personnes dont l'accès à l'éducation ou à la migration est favorisé) ; possibilité de négociation d'augmentation salariale ou d'amélioration des conditions de travail ou individuelle, d'accès à ou de la sécurité au travail. l'éducation, aux soins de
santé et à l'emploi
• Compétences ou recrutement dans une agence pour la recherche d'un emploi : par le biais du travail ou du capital et de la formation pour un emploi indépendant.
Accès à l'emploi
32
Malgré cela, les intérêts pour les groupes de conflit ou stratégiques divergent : •
Le CPAN se concentre sur les relations entre les genres, les relations générationnelles, les relations entre les classes et les relations entre les origines ethniques. En ce qui concerne l'organisation de la classe et du travail, le CPAN se concentre sur les détails du règlement, l'exploitation basée sur le genre, le travail infantile, l'origine ethnique, etc. L'évolution dans le temps constitue un deuxième élément d'intérêt.
•
LASDEL se concentre principalement sur les acteurs locaux leurs interactions avec les normes des organes institutionnels gouvernementales et internationale, les stratégies qu’ils déploient dans la fabrique des mécanismes de résilience face à la pauvreté et les contraintes sociales et économiques qu’elle implique.
Même si le CPAN s'intéresse surtout à l'évolution des politiques et des approches politiques, il utilise l'analyse de l'intégration politique comme une intention de financer correctement l'état développementiste, le LASDEL, quant à lui, s'intéresse surtout au niveau local et aux normes institutionnelles. Il s'agit probablement de la plus importante différence entre les approches de ces organisations. Ces normes sont multiples et incluent, d’une part, les normes sociales des populations, elles-mêmes variées et parfois contradictoires et, d’autre part, les normes pratiques des agents de l’Etat, qui régulent leurs écarts aux normes officielles, avec un large spectre qui va des normes clientélistes aux normes palliatives, des normes corruptives aux normes compassionnelles.
3.4.
Limites et évolutions
L'analyse quantitative de la pauvreté présente des avantages certains, notamment en raison des possibilités de généralisation de l'analyse et de comparaison des besoins matériels dans l'espace et dans le temps. Cependant, l'approche statistique de l'analyse de la pauvreté présente certaines limites. Par exemple, les enquêtes basées sur des questionnaires présentent de nombreux biais : les statistiques publiques ne sont parfois pas fiables ou présentent des erreurs de mesure et certains éléments, comme les activités professionnelles informelles, qui sont essentielles à notre analyse, sont régulièrement sousestimées. Nous avons tenté de résoudre certains de ces problèmes, par exemple, comme indiqué plus haut, en appliquant une plage de limitation de 5 % comme indiqué ci-dessus pour limiter les erreurs de mesure. Dans d'autres cas, l'ajout aux données quantitatives de données qualitatives collectées et analysées constitue un autre moyen de triangulation des données.
33
En pratique, la collecte et l'analyse des données qualitatives rencontrent également certains écueils : 1.
Catégories de bien-être : les catégories locales/subjectives sont opposées aux catégories universelles basées sur des années de recherches sur la pauvreté. Après la rédaction, nous avons dû interpréter nos rapports pour définir si le répondant devait être considéré comme pauvre ou non et déterminer son niveau de bien-être.
2.
Un biais engendre une diminution du nombre de pauvres et de personnes sorties de la pauvreté (TE, SE, NN) ou leur requalification comme des personnes n'ayant jamais été pauvres. Ces répondants s'étaient estimés comme pauvres par rapport aux autres personnes de leur groupe. Par exemple, dans son récit du parcours de vie d'enfant, un répondant a travaillé dans la ferme familiale, il a vendu des produits (tala tala) ou a gardé des troupeaux, ce qui le classe dans la catégorie des personnes pauvres. Cependant, en réalité, le père, l'oncle ou la tante de certains répondants pouvait être riche (mais absent) et pouvait prendre en charge ses frais d'études supérieures. Cela constitue une opportunité dont la majorité des pauvres chroniques ne bénéficie pas. Par conséquent, de nombreux répondants ont été requalifiés.
3.
Différents chercheurs mènent des expériences d'étude des moyens de subsistance, des biens, des crédits et des types de relations entre les travailleurs agricoles ou les ouvriers du bâtiment et les employeurs en milieu rural et périurbain. Cela signifie que l'attention portée aux moyens de subsistance n'était pas toujours visible, sauf demande spécifique ou question à une personne clé de la vie de chaque répondant (par exemple un employeur, un créancier ou un parent). Par exemple, le type de sources de capitaux pour le commerce, le mode d'établissement des relations avec un commerçant pour la revente de marchandises ou le type de pouvoir dans les relations (entre commerçant et revendeur) n'ont pas été interrogés régulièrement. Ces informations peuvent rester invisibles alors qu'elles sont essentielles à la compréhension de l'évolution vers une sortie de la pauvreté. Le temps d'entretien était limité, et, alors que des acteurs gouvernementaux d'institutions ont été interrogés, il aurait été utile de réaliser des entretiens avec des informateurs clés tels que des commerçants locaux, des employeurs, des propriétaires de grandes exploitations agricoles qui emploient des gardiens de troupeaux, etc.
4.
Les hypothèses de base et l'idéologie de l'ECRIS et de l'étude de terrain ont posé quelques difficultés, notamment l'énoncé normatif concernant le genre et les moyens de subsistance générationnels, les conflits et les normes (par exemple, s'agit-il
de
travail
infantile
ou,
lorsqu'il
responsabilité ?).
34
travaille,
l'enfant
assume-t-il
sa
5.
Le choix des jeunes dont le récit figure dans le recueil de parcours de vie, le choix des groupes de discussion et les contraintes des sites étudiés ont créé certains biais d'application, même si, lors de l'atelier, nous avons mentionné la nécessité d'équilibrer la constitution des groupes de discussion afin qu'ils comportent à la fois des répondants jeunes et des répondants âgés issus de groupes de bien-être variés. En pratique le besoin de passer par les chefs communautaires n’a pas permis de diversifier les réseaux au sein des communautés étudiées.
6.
Même si, les six catégories de bien-être ainsi que leur correspondance avec les définitions locales ont bien été mentionnées lors de l'atelier du CPAN, les définitions émiques de la pauvreté, dans les langues locales, n’ont pas été suffisamment prises en compte. Elles sont en effet éloignées des définitions statistiques, comme des définitions savantes.
35
4. Conclusions
Dans le présent article nous avons décrit les méthodes du CPAN et du LASDEL ainsi que les tentatives d'insertion et d'application dans le cadre d'une étude de l'insertion professionnelle des jeunes au Niger. Ces méthodologies sont les suivantes : l'approche méthodologique qualitative anthropologique et sociale du LASDEL (Laboratoire d'Études et de Recherche sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local) et l'approche qualitative réaliste critique de l'étude de terrain et de l'analyse conçue pour l'étude de la dynamique de la pauvreté du CPAN (Chronic Poverty Advisory Network - Réseau consultatif sur la pauvreté chronique). Cette dernière méthodologie est exécutée à plusieurs reprises sur les analyses des données de panel nationales du CPAN afin d'approfondir l'analyse.
36
Annexe A. Tableau de classement participatif des richesses
Le classement est nécessaire pour l’analyse locale de la différenciation et pour aider les historiens à reconnaître les mouvements d’un groupe à l’autre en termes locaux. Le système de bien-être comporte trois catégories de pauvres et trois catégories de non-pauvres (voir Tableau A1). Dans le cadre de ce groupe de discussion, nous commençons par expliquer aux participants le « schéma de bien-être universel/conceptuel » qui est utilisé pour comparer le bien-être entre les pays dans des recherches antérieures. Le système comporte également six catégories de bien-être, allant de « démuni » (1) à « riche » (6). Après réception des réponses, nous recherchons plus de détails à l'aide des huit dimensions relatives au bien-être (régime alimentaire, biens, capacité de travail, éducation et formation, moyens de subsistance), aux finances, au statut social et aux relations politiques.
Tableau A1. Définitions conceptuelles issues d'études réalisées dans d'autres régions d'Afrique subsaharienne
• Catégorie et niveau
•
Définitions conceptuelles/universelles
• BE1 Bien-être
•
La catégorie BE1 correspond aux personnes qui ne peuvent pas travailler en raison d'un handicap partiel ou total et qui dépendent donc d'autres personnes pour assurer leurs besoins de base (nourriture, logement) et qui ne bénéficient pas d'aide extérieure.
Faible consommation de nourriture (peut-être un repas par jour, voire aucune nourriture).
Personnes pouvant être physiquement handicapées (par exemple personnes très âgées, souffrant de déficience physique ou cognitive, gravement déprimées) ou inactives en raison du contexte (par exemple, personnes vivant dans un lieu reculé après une sécheresse).
Personnes présentant une tendance à l'exclusion sociale, économique et politique.
En zones urbaines, il peut s'agir d'enfants des rues, de personnes sans domicile fixe, de personnes vivant dans des logements de très mauvaise qualité (par exemple, avec des trous dans le toit), de toxicomanes.
37
• BE2
• BE3
•
La catégorie BE2 correspond aux personnes extrêmement pauvres mais en capacité de travailler. Ces travailleurs pauvres sont physiquement capables de travailler mais n’ont pas ou peu de ressources productives.
•
Les revenus de ces personnes sont irréguliers. Ces personnes ne mangent pas tous les jours, seulement les jours où elles travaillent.
•
Ces personnes recherchent souvent désespérément un travail. Elles doivent accepter le salaire qui leur est proposé quel qu'en soit le montant. Elles ne peuvent que négocier des relations de travail défavorables (par exemple travail à la pige)
•
En cas de choc, elles plongent dans la misère.
•
Ces personnes vivent dans des abris de fortune temporaires. Elles se déplacent souvent (par exemple, parce qu'elles ne peuvent régler le loyer, parce que le logement n'est pas solide ou parce qu'elles n'ont pas correctement accès à l'eau, ni à des installations d'hygiène).
•
Ces personnes peuvent faire du petit commerce à partir de fruits, légumes ou céréales abîmés ou tombés et générer des marges extrêmement réduites dans le cadre de ventes en porte à porte.
•
Ces personnes glanent parfois dans les champs d'autres personnes après la récolte pour se nourrir.
•
Ces personnes ont des difficultés à assurer le maintien de leurs enfants à l'école élémentaire. Par conséquent, il arrive que certains enfants arrêtent leur scolarité et commencent à travailler.
•
Ces personnes n’ont que peu, sinon aucun, pouvoir de négociation avec les employeurs et ont donc tendance à s'insérer de manière défavorable sur le marché du travail et dans les autres institutions (famille, communauté, politique). Elles acceptent le salaire/prix de la culture qu’on leur propose.
•
Ces personnes dépendent parfois de fonds transmis par des proches ne résidant pas à proximité (notamment dans les villes).
•
La catégorie BE3 correspond à des personnes modérément pauvres.
•
Ces personnes sont capables de travailler en tant qu'ouvriers (valides).
•
Ces personnes possèdent parfois des ressources productives ou un petit capital commercial, mais elles se trouvent dans des zones rurales et les surfaces sont trop faibles pour ne pas avoir besoin de travailler ailleurs pour subvenir à leurs propres besoins.
•
Ces personnes ont également tendance à dépendre de crédits et de relations de travail défavorables.
•
Ces personnes peuvent posséder des terres/du bétail/une petite entreprise, mais ne peuvent pas épargner en quantité suffisante pendant les bonnes années pour résister aux chocs (santé, sécheresse).
38
• BE4 Vulnérable mais pas pauvre
•
Ces personnes courent le risque d'évoluer vers la catégorie des « très pauvres ».
•
Ces personnes sont souvent contraintes de vendre leurs biens pour faire face à la crise et souffrent de la faim.
•
Ces personnes possèdent des capacités très limitées pour assurer le maintien de la scolarité de leurs enfants au-delà de l'école élémentaire.
•
Ces personnes parviennent parfois à exercer un emploi formel et à prétendre à une rémunération proche du salaire minimum ou inférieure au salaire minimum légal (par exemple en tant que gardien ou domestique).
•
Ces personnes dépendent parfois de fonds transmis par des proches ne résidant pas à proximité (notamment dans les villes).
•
Ces personnes disposent de ressources productives un peu plus importantes (charrue, char à bœuf, bœufs, vélos, taxi) ainsi que d’actifs devenus plus productifs grâce à des intrants et qui peuvent fournir le revenu nécessaire pour nourrir la famille tout au long de l’année.
•
Pendant les périodes fastes, ces personnes parviennent à épargner et à diversifier leurs biens et leurs moyens de subsistance.
•
Pendant les périodes difficiles, ces personnes réduisent la consommation globale de la famille afin de réussir à régler les autres dépenses courantes (par exemple, frais de scolarité, loyer, autres obligations financières).
•
En cas de choc important, ces personnes présentent le risque d'évoluer vers une catégorie inférieure (notamment dans les zones urbaines).
•
Pendant les périodes difficiles, ces personnes réduisent la consommation globale de la famille mais moins souvent que les personnes des catégories BE3 et inférieures.
•
Ces personnes parviennent à payer régulièrement leur loyer et/ou à acquérir une maison.
•
Ces personnes parviennent à régler des frais de scolarité dans l'enseignement privé.
•
Ces personnes parviennent à exercer un emploi formel et à prétendre à une rémunération supérieure au salaire minimum légal qui ne correspond cependant pas à des revenus élevés.
•
Ces personnes parviennent à accéder à des crédits informels (kaloba) et formels associés à des biens et à un emploi mais qu'elles ont parfois des difficultés à rembourser.
39
•
•
BE5 Résilient
BE6 Riche
•
Ces personnes disposent de biens (importants) (maison, voiture, terrain), de réseaux sociaux et parfois politiques nécessaires pour éviter d'évoluer fortement vers une catégorie inférieure à celle associée à la richesse productive globale.
•
Ces personnes emploient parfois un peu de main-d’œuvre sur leur exploitation agricole ou dans leur commerce à petite échelle.
•
Ces personnes peuvent exercer un emploi formel sûr, y compris dans la fonction publique, et prétendre à une rémunération dans les secteurs les plus rémunérateurs.
•
Ces personnes peuvent exercer un emploi informel (par exemple dans le commerce), parfois clandestin ou transfrontalier.
•
Ces personnes ont accès à des crédits formels et sont plus fiables concernant leurs remboursements.
•
Ces personnes disposent d’actifs importants et de pouvoir local.
•
Ces personnes sont impliquées dans un commerce de grande ampleur ou emploient de la main-d’œuvre à grande échelle.
•
Ces personnes possèdent parfois des actifs non agricoles de grande ampleur.
•
Ces personnes peuvent prêter de l'argent par intérêt usuraire (à des taux d'intérêt extrêmement élevés).
•
Ces personnes contribuent parfois au système bancaire formel.
40
ANNEX B. L’analyse d’ECRIS pour cet article Conformément à la planification de l’étude, l’atelier de lancement a été organisé autour du canevas ECRIS 1. Il s’est déroulé sur 5 jours, du 30 septembre au 4 octobre 2019, au LASDEL. Le présent rapport est un compte rendu de l’atelier et des résultats des enquêtes. Il est structuré en trois parties : (1) une brève présentation de la méthodologie du canevas ECRIS ; (2) les principaux résultats des enquêtes ; (3) les pistes pour des enquêtes approfondies. 1. Méthodologie du canevas ECRIS 1.1. Le cadre théorique de l’ECRIS Le cadre théorique de l’ECRIS avait pour but d’amener les participants à s’approprier la problématique de recherche et la méthodologie élaborée pour sa mise en œuvre. Plus précisément, elle a permis de présenter la recherche dans son ensemble (Aïssa Diarra, LASDEL) et de retracer les contours multidimensionnels de l’emploi des jeunes à partir d’expériences de terrains antérieures (Lucia da Corta, ODI). Les discussions qui ont suivi ces exposés ont mis en évidence plusieurs points permettant aussi bien de préciser certaines notions que d’élargir les perspectives autour de la problématique de l’emploi des jeunes et de leur inclusion sociale : 1) la définition des concepts, notamment pour la notion de « jeune » ; 2) l’actualisation des données statistiques et les réglementations en vigueur dans les secteurs liés à l’emploi des jeunes ; 3) la prise en compte de la diversité de la situation des jeunes (milieu urbain vs rural, zone d’insécurité, etc. ; 4) les nouvelles formes d’auto-emploi ; l’influence de l’environnement sur l’accès à l’emploi ; etc. 1.2. Le cadre pratique de l’ECRIS En amont des enquêtes proprement dites, deux activités ont été réalisées : la préparation de l’ECRIS et l’identification des indicateurs qualitatifs ainsi que celle des groupes stratégiques. La préparation des enquêtes a mobilisé deux chercheurs seniors (A. Diarra et T. Ali Bako) assistés de deux chercheurs juniors (L. Coulibaly et S. Oumarou). La tenue de plusieurs réunions a permis de procéder à un pré-ciblage des sites, d’une part en population, d’autre part parmi les structures publiques et privées, ainsi que les espaces de travail formel et informel. Ce pré-ciblage des sites a abouti à l’établissement d’une liste provisoire des acteurs clés.
1
Enquête collective rapide d’identification des conflits et des groupes stratégiques.
41
Lors de l’atelier, 16 chercheurs (8 seniors et 8 juniors) ont établi une liste finale des sites d’enquêtes et des groupes stratégiques. Les chercheurs ont également procédé à l’identification des indicateurs. Les enquêtes se sont déroulées sur deux jours. Cinq groupes d’enquêteurs ont été constitués, avec comme responsable un chercheur possédant une solide expérience de la méthodologie ECRIS. Chacun des groupes d’enquêteurs s’est vu attribuer 1 groupe stratégique d’acteurs.
2. Principaux résultats des enquêtes réalisées lors de l’ECRIS La variété des acteurs clés et les principales structures qui gravitent autour de la problématique de l’accès des jeunes à l’emploi et de leur inclusion sociale met en évidence plusieurs facteurs qui influent sur l’accès des jeunes à l’emploi. 2.1. Facteurs liés au cadre politique et institutionnel En réponse à une pression de la communauté internationale visant à faire de l’entrepreneuriat un levier de développement pour les jeunes, l’État nigérien a formulé une multitude de politiques réparties entre plusieurs ministères. Il faut toutefois noter que cette effervescence de politiques et la multiplicité des acteurs génèrent des problèmes de coordination et de synergie dans les interventions. La création récente, en 2016, du ministère de l’Entrepreneuriat, dont l’un des objectifs est de centraliser les ressources et les actions entreprises, n’a pu résoudre ces problèmes. Ces politiques sont peu soutenues financièrement par l’État, l’essentiel des ressources provenant de l’aide extérieure. En outre, l’évaluation du Programme National de l’Emploi (2008-2012) n’a pas abouti à l’établissement d’une feuille de route actualisée. 2.2. Facteurs liés aux jeunes Au moins trois éléments interviennent en tant que facteurs personnels déterminants dans l’accès des jeunes à l’emploi : la confiance, l’engagement personnel, et enfin la formation et l’apprentissage. La confiance, qui devrait être un atout, est apparue comme faisant défaut aux jeunes, ce qui transparaît dans leur attitude. Il s’agit à la fois d’un manque de confiance en soi et d’un manque de confiance en les politiques et institutions de l’État. Ces deux manques se mêlent dans les attitudes, menant les jeunes à être fermés à toute opportunité provenant des institutions.
42
L’engagement personnel, qui n’exclut pas forcément le manque de confiance, s’est révélé comme un facteur déterminant pour les processus d’accès à l’emploi. La formation professionnelle et l’apprentissage peuvent être recherchés de manière active par les jeunes aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur de l’informel. L’objectif visé par les centres de formation à divers métiers est de les doter de compétences professionnelles et d’améliorer leur employabilité. Si de bons résultats sont parfois enregistrés, on observe cependant des taux d’abandon élevés en raison : i) du mariage qui met souvent un terme à la formation des jeunes filles ; ii) des frais de formation, qui peuvent s’élever à 15 000 FCFA, et des cotisations hebdomadaires pour l’achat de petit matériel. Ces dépenses sont parfois au-dessus des moyens de certaines familles. L’apprentissage relève plutôt du secteur de l’informel où nous distinguons deux circuits : l’un lié aux espaces d’apprentissage de métiers tels ceux de garagiste, menuisier, coiffeuse, l’autre est lié au contexte d’apprentissage, à l’image du marché de Katako, une « université à ciel ouvert » pour de nombreux jeunes qui viennent y saisir des opportunités d’apprentissage et d’emploi. 2.3. Facteurs sociaux Bien souvent, les circuits d’apprentissage ne sont accessibles aux jeunes que lorsqu’ils font partie de réseaux sociaux où les positions des acteurs, la dynamique des interactions entre eux, les stratégies qu’ils mobilisent face aux opportunités et aux contraintes par les jeux de pouvoir, d’influence et d’entraide, façonnent en grande partie les parcours d’accès à l’emploi. Toutefois, si les réseaux sociaux favorisent l’accès à l’emploi, ils peuvent à l’inverse avoir un impact négatif pour les jeunes qui en sont exclus. Le ciblage des jeunes devant bénéficier d’un renforcement de leurs capacités grâce à des programmes spécifiques se limite bien souvent au périmètre des réseaux fermés. Par conséquent, certains jeunes bénéficient de plusieurs soutiens successifs. Cette situation met en évidence les stratégies mobilisées pour capter la rente des programmes de promotion de l’entrepreneuriat. L’appartenance familiale des jeunes est également un facteur déterminant dans les stratégies d’accès à l’emploi. La famille est d’autant plus riche en capital social et économique que le jeune a plus de chances d’obtenir des opportunités d’emploi, et inversement. Mais le lien entre le « facteur famille » et l’accès des jeunes à l’emploi renvoie à des situations très variées et parfois complexes.
43
3. Pistes pour des enquêtes approfondies
3.1. Une série de typologies à compléter, stabiliser et documenter La définition de la catégorie « jeune » ne permet pas d’aboutir à une homogénéité et une stabilité de la démarche, du fait de sa nature multidimensionnelle. Il existe plusieurs profils de jeunes qu’il faut mettre en évidence pour saisir tout l’éventail des situations, des stratégies et des enjeux qui leur sont associés. Il en est de même pour les catégories « métier », « emploi », et « employeur ». 3.2. Examiner l’accès des jeunes à l’emploi et la notion de justice sociale. 3.3. L’apprentissage de type Katako existe-t-il dans les deux régions ? 3.4. Migration : source de déviance ou de professionnalisation ? 3.5. Interroger la notion de honte dans le parcours des jeunes 3.6. Documenter la manière dont les jeunes perçoivent l’entrepreneuriat et les programmes institutionnels (État et ONGI)
44
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