Le coup de grâce Des droits condamnés par l’inflation carcérale ? Un contrôle en surface ? La malbouffe carcérale
Peines minimales
danger maximal
Observatoire international des prisons Section française
5 € N°62 Juillet-Août 2007
EDITORIAL
Le coup de grâce Avec l’abandon de la grâce du 14 juillet, Nicolas Sarkozy vient de réussir le tour de force de faire approuver l’une de ses décisions de politique pénale par tout ce que la France compte d’« experts », d’organisations de magistrats et de partis politiques. En effet, dans une singulière unanimité, les uns et les autres se sont empressés d’applaudir la fin d’une pratique relevant du « fait du prince », contrariant le principe de l’individualisation des peines et constituant un mode de gestion particulièrement cynique de la (sur)population carcérale. C’est vrai. La grâce collective souffrait de telles critiques, mais le remède n’était pas pire que le mal. Il est d’abord reproché à cette mesure son effet désastreux en matière de préparation de la sortie et d’accompagnement de la personne libérée. C’est un fait. Mais la suppression de cette remise de peine (généralement comprise entre une quinzaine de jours et quatre mois) va-t-elle prémunir les personnes qui auraient pu en bénéficier (et les dizaines de milliers d’autres condamnés) contre une « sortie sèche » ? Chacun sait qu’il n’en est rien. Il est aussi affirmé que cette mesure était le symbole d’une politique pénale à la petite semaine. Là encore, c’est incontestable. Mais cette disparition ouvre-t-elle la voix à la mise en place, dans le même mouvement, d’une politique d’aménagement systématique des peines ? Loin s’en faut ! À l’aune d’une pensée raisonnée sur la prévention de la récidive, force est de constater que cette mesure de clémence n’appelait pas plus de réserves que l’énième loi sur le sujet qui vient d’être votée par le Parlement. Au final, qui a gagné quoi dans cette affaire ? Le président peut se vanter d’être resté « droit dans ses bottes », les professionnels du monde judiciaire peuvent se satisfaire de l’effacement de ce qu’ils regardaient froidement comme une aberration juridique. Les personnes détenues, quant à elles, assistent, impuissantes, à la fermeture d’une porte de sortie anticipée. Il n’aura échappé à personne l’incohérence du chef de l’État justifiant sa décision au nom de l’indépendance de la justice alors qu’il fait voter une loi entièrement dédiée à la limitation de la personnalisation des sanctions pénales. Tout comme son indécence à annoncer l’instauration d’un contrôle général des lieux privatifs de liberté chargé de prévenir les mauvais traitements alors que l’abolition de la grâce n’a d’autre effet que de laisser nombre de détenus dans une situation inhumaine et dégradante appelée à s’aggraver. La prise en compte effective de leur condition de vie dramatique suggérait enfin, à l’instar de ce qui s’est fait massivement en Italie et en Angleterre il y a peu, de consentir à une mesure exceptionnelle d’élargissement. Patrick Marest N°62 Juillet-Août 2007
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SOMMAIRE 3 Actu Loi pénitentiaire : des droits condamnés par l’inflation carcérale ? Un contrôle en surface ? 8 De facto : Toulon : le directeur adjoint condamné pour violences ; En prison depuis six mois, malgré un état de santé incompatible avec la détention ; Les hôpitaux de Paris une nouvelle fois rappelés à leurs devoirs ; etc.
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Peines minimales, danger maximal Avec les principales dispositions de la loi renforçant la lutte contre la récidive ; l’interview de Julian Roberts, criminologue, auteur d’une étude sur les peines minimales ; un compte-rendu du rapport de Thomas Gabor et Nicole Crutcher sur l’efficacité des peines minimales en matière de réduction de la criminalité ; etc.
24 Témoignages La malbouffe carcérale 26 Lettres ouvertes « La prison est conçue pour 180 personnes, nous sommes 380 » ; « L’institution se décharge de ses obligations » ; « Chaque fois que je demandais mon ordinateur, on me répondait que je l’aurai à la fin de la semaine ».
DEDANS DEHORS publication bimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, association loi 1901, 31, rue des Lilas, 75019 Paris, Tél.: 01 44 52 87 90, Fax: 01 44 52 88 09, e-mail : contact@oip.org Internet : http://www.oip.org Directrice de la publication : Martine Joanin Rédaction : Jean Bérard, Anne Chereul, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Anne-Julie Deniel, Barbara Liaras, Patrick Marest, Andrée Martins, Julien Nève, Lionel Perrin, Hugues de Suremain. Secrétariat de rédaction : Anne Fellmann, Claire Ménage, Pascale Poussin, Céline Reimeringer. Identité graphique : MG., L.D.<dlaranjeira@caramail.com> Maquette : Claude Cardot Photos : Bruno Isolda, Michel Le Moine, Anne-Marie Marchetti. Commandes : Julie Namyas Remerciements à : Agence VU, Editing, L’oeil public Impression : Imprimerie Expressions 2, 10 bis, rue Bisson, 75020 Paris Tél. : 01 43 58 26 26 ISSN : 1276-6038 numéro CPPAP en cours Diffusion sur abonnement au prix annuel de 30 Prix au numéro : 5 € Couverture : Bertrand Desprez / Agence Vu
ACTU
Loi pénitentiaire
des droits condamnés par l’inflation carcérale ? Promise par Nicolas Sarkozy, la loi pénitentiaire vient d’être mise en chantier pour témoigner de la volonté du gouvernement d’œuvrer pour « une justice à la fois plus ferme et plus humaine ». Il est à craindre que l’inflation carcérale contraigne tout espoir de réforme à être un mode de gestion de situations indignes et violentes. La reconnaissance de droits aux détenus n’étant consacrée qu’en échange de la latitude laissée à l’administration de différencier à sa guise les régimes de sécurité.
À peine quelques semaines se sont écoulées depuis la prise de fonction de Nicolas Sarkozy et, déjà, l’impact de ses deux premières initiatives touchant au domaine des prisons – l’abandon de la grâce collective du 14 juillet et le durcissement de la réponse pénale à l’égard des récidivistes – suscite les plus vives inquiétudes. D’une part, il ne fait plus guère de doute que la population sous écrou devrait approcher les 68 000 personnes d’ici la fin de l’année. Un record absolu. D’autre part, comme vient de le faire savoir l’administration pénitentiaire, « le délai fixé par la loi pour généraliser l’encellulement individuel (1er juin 2008) ne sera pas respecté ».1 C’est dans ce contexte pour le moins pesant que, le 9 juillet, la garde des Sceaux a annoncé qu’un projet de « loi pénitentiaire » sera déposé au Parlement à l’automne. Il s’agit là de « l’une des grandes ambitions de notre Gouvernement » a assuré Rachida Dati, en rappelant que « la réforme de la politique pénitentiaire, dans le
La future loi aura pour tâche de faire en sorte que l’emprisonnement puisse « s’effectuer dans des conditions qui s’accordent avec le respect de la personne humaine ».
souci de la condition des détenus, est un engagement du Président de la République ». Mais quelle réforme au juste ?
« Un tournant dans l’histoire de la prison républicaine » Pour la ministre de la Justice, « les enquêtes parlementaires en 2000, comme les états généraux de la condition pénitentiaire l’année dernière, se sont accordés pour dénoncer la situation des prisons ». Bien évidemment, en lançant ce vaste chantier législatif, Rachida Dati n’a pas manqué de faire référence à ce que son mentor avait lui-même affirmé, « devant les Français », durant la campagne : « Quand on est condamné à une peine de prison, on est privé de sa liberté, mais pas de sa dignité, de son intégrité physique, de son droit à conserver une relation familiale ». En conséquence, la future loi aura pour tâche essentielle de faire en sorte que l’emprisonnement puisse « s’effectuer dans des conditions qui s’accordent avec le respect de la personne humaine ». Concrètement, la garde des Sceaux entend « traduire dans notre droit positif les Règles pénitentiaires européennes » et « garantir les droits fondamentaux des personnes détenues ». La démarche d’élaboration du projet de loi se fera au pas cadencé. Mais aussi tambours battants, le débat parlementaire se devant d’être le « grand rendez-vous de la France avec ses prisons » et marquer « un tournant dans l’histoire de la prison républicaine ». D’ailleurs, interpellée par le fait que « la société française, et en particulier les médias, portent une appréciation critique sur les prisons, N°62 Juillet-Août 2007
jugées comme indignes de notre démocratie », Rachida Dati dit avoir « parfaitement conscience que la justice ne pourra être à la fois plus ferme et plus efficace que si elle est en même temps plus humaine ». Elle s’interroge néanmoins sur les raisons de ces reproches : « Est-ce la contestation du principe même de privation de liberté, ce qui renvoie à la légitimité de la prison ? ». Un groupe d’une trentaine de personnes réunies au sein d’un « Comité d’orientation restreint » (COR) s’est vu confier la mission de répondre à cette question… Il aura la charge « primordiale » de mener cette « réflexion préalable au projet » et est prié, dès la fin octobre, de remettre à la garde des Sceaux une synthèse de ses réflexions « afin d’accompagner le dépôt du projet de loi au Parlement et éclairer le futur travail des députés et sénateurs ».
80 000 détenus d’ici dix ans Cette réflexion préalable semble effectivement impérative. En particulier, en ce qui concerne la place de l’institution pénitentiaire dans notre société. À ce sujet, la ministre estime nécessaire de se montrer « pragmatique », en tenant compte du fait « que la prison n’est pas forcément la bonne réponse pour tous les condamnés » et que « le maintien prolongé en prison n’est pas nécessairement la meilleure des garanties contre la récidive ». Dont acte. D’autant que la direction de l’administration pénitentiaire (DAP) vient de quantifier, dans un document visant à définir les « enjeux » de la future loi, la hausse prévisible de la population détenue pour la décennie à venir. À l’aune des « différentes évolutions combinées » qu’elle voit à l’œuvre, à savoir l’« augmentation forte de la proportion des détenus âgés d’une part, des jeunes de 18 à 35 ans d’autre part », mais aussi « l’accroissement des durées des longues peines » tout comme celui « de la proportion des courtes peines », la DAP considère qu’elle pourrait être amenée à prendre en charge pas moins de « 80 000 personnes en 2017 ». Une
La direction de l’administration pénitentiaire considère qu’elle pourrait être amenée à prendre en charge pas moins de 80 000 personnes d’ici 10 ans. prévision tirée de la croissance attendue de la population française, mais surtout fondée « sur un taux moyen de détention » évalué à « 119 détenus pour 100.000 habitants »,2 explique Claude d’Harcourt, son directeur. Une estimation d’autant plus alarmante qu’elle ne prend pas en compte les conséquences de la loi qui vient d’être votée sur la récidive, dont nombre d’observateurs redoutent qu’elle concoure à un allongement sans précédent des durées d’incarcération. Et donc à une aggravation de la surpopulation, puis à une détérioration supplémentaire des conditions de détention et de travail.
Des droits facultatifs ? Dans ce contexte singulier, il importe que le projet de loi pénitentiaire ne soit pas « un texte de bonne conscience », comme le craint fort justement Pierre Tournier.3 Cela suppose de clarifier une bonne fois pour toutes la question de la reconnaissance des droits fondamentaux des personnes détenues. En la matière, la référence aux seules Règles pénitentiaires européennes est lourde de sens. D’une part, parce qu’aux yeux de la DAP, les 318 recommandations qui composent ces règles seraient « pour l’essentiel déjà transcrites dans notre réglementation ». D’autre part, parce que la faveur que cette administration manifeste pour ce texte est à double entente. D’un côté, l’acceptation formelle des RPE présentées à la fois comme « un cadre éthique et une charte d’action », de
« la dangerosité est un concept flou » « Les quartiers de sécurité renforcée ont accompagné la réforme de 1975. C’était en quelque sorte le prix à payer pour la libéralisation des autres régimes de détention. [...] Une dizaine ont ainsi été créées sur tout le territoire, de 20 à 30 places. À cette époque, sur les quelque 30 000 personnes détenues, environ 200 étaient considérées comme « dangereuses ». On peut dire que la conception de la dangerosité était alors assez bien maîtrisée. Mais ensuite, de 200, le nombre est plutôt passé à 2 000. Le problème est que la dangerosité est un concept flou. Qui est dangereux ? Est-ce un « fou » incontrôlable, une personne appartenant au grand banditisme et qui dispose de relais extérieurs pour le faire sortir, un terroriste ? Selon les personnes que vous interrogez et ce qu’elles entendent par ce terme, certaines vous diront que, sur les 60 000 détenus actuels, 50 sont dangereux, pour d’autres ce sera 200, pour d’autres encore 2 000, peut-être plus. [...] Le système a ainsi dérivé peu à peu, on a « étiqueté » de plus en plus, laissé les personnes en quartiers de sécurité renforcée de plus en plus longtemps. Et de fil en aiguille, la masse de détenus dits dangereux a augmenté. Après, on a encore inventé, pour les prévenus, les « quartiers de plus grande sécurité ». Les conditions de détention qu’ils imposaient ne pouvaient être supportées bien longtemps : dans ces structures fermées, avec des promenades individuelles, peu de contacts avec les autres, et seulement à des périodes données, un peu de travail mais dans des petits ateliers bien surveillés et avec peu de monde, parce qu’il y avait des outils pouvant être détournés en armes, certains devenaient des « zombis ». Même les tenants les plus acharnés de ce système le comprenaient. Pourtant, certaines personnes y étaient maintenues pendant un an, deux ans. Cela n’avait pas de sens. D’autant que la plupart des détenus qui y étaient placés étaient condamnés à perpétuité ou à de très longues peines. A quoi sert une mesure qui n’a pas d’issue logique ? » Jean Favard, « Trop de sécurité tue la sécurité », Dedans dehors, n°49, mai-juin 2005.
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ACTU l’autre la mise en avant répétée de leur caractère de « préconisations sans valeur contraignante », appelées à « s’appliquer dans la mesure du possible ». A contrario, il n’est jamais question, dans le document rédigé par la DAP, de l’application des recommandations – pourtant issues d’une analyse spécifique du droit pénitentiaire français – de l’Étude sur les droits de l’homme dans la prison adoptée en mars 2004 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Vers une différenciation accrue des régimes de sécurité ? La raison de la préférence de la DAP pour des règles indicatives n’est pas mystérieuse. Dans un contexte marqué par l’emprisonnement de plus de personnes pour des durées plus longues, la reconnaissance de nouveaux droits aux détenus ne peut se faire, selon elle, qu’en contrepartie d’un double mouvement de spécialisation des établissements et de mise en œuvre de régimes différenciés. Autrement dit, la DAP réclame qu’on lui laisse toute latitude pour regrouper les détenus et varier autant que de besoin les règles de sécurité. Pour elle, « au nom d’une approche égalitaire des détenus, qui restreint la possibilité de créer des catégories, au nom de sa non-prédictibilité, qui interdit de considérer que telle caractéristique prédispose à tel comportement, il nous a été impossible de parvenir à une véritable classification des détenus qui est pourtant le fondement de tout régime différencié digne de ce nom ». Reprenant un aspect de la réforme de 1975, l’administration va jusqu’à défendre l’idée qu’il est nécessaire de lier transformation de la condition des détenus et création de nouveaux régimes de sécurité fondés sur leur dangerosité supposée. « Ce sont ainsi les abus constatés dans l’utilisation des Quartiers Haute Sécurité (QHS) qui ont provoqué non seulement leur suppression mais aussi la disparition de toutes les mesures officielles de la dangerosité des détenus, à l’exception toutefois de la catégorie très restreinte des Détenus particulièrement surveillés (DPS). Naturellement se sont recréées ipso facto des listes officieuses tant il est vrai que la question de l’évaluation de la dangerosité des détenus est la condition de la mise en œuvre de programmes de réinsertion ». Dans ce chapitre d’une surprenante franchise, la DAP reconnaît que la différenciation des régimes de sécurité, bridée depuis la fin des QHS, fonctionne hors de tout cadre législatif. Elle semble même déplorer au passage que « des groupes de pression [aient] su habilement exploiter l’impact des illégalités commises par l’administration en obtenant la remise en cause de tout classement ». Décidément, la situation des prisons françaises exige de renverser la philosophie qui sous-tend l’action de l’AP et selon laquelle « du bon exercice de la mission de sécurité dépendent toutes les autres tâches ».
Il faudra s’opposer à un projet de loi qui déboucherait sur la seule affirmation de droits facultatifs, doublée d’une consécration des pratiques para-légales de la DAP.
L’AP en maître d’ouvrage de la réforme ? Car ce positionnement de la DAP jette une lumière crue sur les espoirs d’une réelle transformation de la condition carcérale. Dans un domaine où, selon la formule de l’éditorial du Monde daté du 21 octobre 2006, « le passé ne plaide pas pour l’avenir », il est particulièrement peu opportun de placer le seul ministère de la Justice en position de maître d’ouvrage de la réforme des prisons. Et regrettable, ce faisant, de reconduire une méthode d’élaboration qui, en 2001, a fait la preuve de ses limites. Il ne s’agit pas davantage de laisser seule la Chancellerie face à l’amplitude des remises en cause à consentir. Il importe plus que tout que la future loi consacre l’entrée en prison du droit commun de la santé, du travail, de la solidarité, etc. Cela suppose pour le gouvernement de prendre l’exacte mesure de « l’enjeu interministériel » que représente l’évolution de la condition carcérale et de demander à l’ensemble des ministères concernés de jouer leurs rôles respectifs. Le document de la DAP se plaint à juste titre de la difficulté à établir des relations avec le ministère de la Santé. Plus encore, il pointe les limites de l’action de réinsertion sans le concours des responsables de l’action sociale que sont les collectivités locales. Comme le remarque l’administration, « la contrepartie d’un dispositif qui fonde les prestations apportées aux détenus sur le mécanisme de droit commun serait de pouvoir contractualiser sur une base pluriannuelle avec chacun des départements ministériels ». Le contexte dans lequel le comité d’orientation se met en place et la vision des enjeux de la réforme par l’AP dessinent deux leçons complémentaires. La première est qu’il faudra s’opposer à un projet de loi qui déboucherait sur la seule affirmation de droits facultatifs, doublée d’une consécration des pratiques para-légales de la DAP. Il faut pour cela que la politique reprenne ses droits en ne se laissant plus dessaisir de ses prérogatives par une administration qui « se donne elle-même ses propres consignes », comme semble le déplorer son directeur. Elle doit pour cela mettre en question ce que la raison strictement gestionnaire de l’AP considère comme acquis : la gestion des prisons par le classement des détenus selon leur dangerosité supposée ; la gestion de la violence intra-muros par la multiplication des dispositifs de sécurité ; la gestion de la surpopulation par le lancement d’un énième programme de construction et l’espoir que les magistrats n’enferment pas trop en attendant les prisons neuves ou redoublent de décisions d’aménagements de peine ; la gestion de l’enfermement des pauvres, des vieux et des fous par la création d’établissements spécialisés. Mais la seconde leçon, rappelée en creux et avec une certaine clairvoyance par l’administration, c’est que la politique pénale actuellement menée contraint tout espoir de réforme pénitentiaire à être un mode d’administration de situations indignes et violentes. Un état de fait dont est seule comptable l’action des responsables politiques. Jean Bérard et Patrick Marest (1) Direction de l’administration pénitentiaire, Projet de loi pénitentiaire, Enjeux, juillet 2007. (2) Le taux de détention est de 91,8 en 2006. (3) DES maintenant en Europe, Abandon des grâces et peines planchers, 8 juillet 2007. N°62 Juillet-Août 2007
Le gouvernement vient de dévoiler son projet de loi visant à instaurer un « contrôleur général des lieux de privation de liberté » dont l’action portera à la fois sur le respect des droits fondamentaux des personnes concernées et sur les conditions de leur prise en charge. Attendue depuis longtemps, cette initiative risque pourtant de perdre son sens si le Parlement ne renforce pas massivement les pouvoirs dont l’instance disposera. Sous peine de se satisfaire d’un contrôle de façade.
Un contrôle en surface ? La décision mérite d’être saluée. La France va enfin se doter d’une instance indépendante en charge du contrôle des lieux privatifs de liberté. Présenté en conseil des ministres le 9 juillet, le projet de loi du gouvernement devait faire l’objet d’un premier examen au Sénat le 31. La création de cette nouvelle autorité administrative ouvre la voix à la ratification par notre pays du protocole facultatif des Nations Unies qui impose la mise en œuvre d’un tel mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants. Le chemin aura été long, mais la dernière étape est sur le point d’être franchie. La ratification devrait intervenir dans les prochaines semaines. Le projet de loi être voté dès l’automne. Et le nom de la personnalité choisie pour être le « contrôleur » connu dans la foulée. Cette initiative ferait l’unanimité si, à l’examen, le projet de loi ne pêchait sur quelques points fondamentaux. Susceptibles de dénaturer le sens et la portée de la démarche. Voire de la disqualifier.
5 500 lieux à contrôler… Pour être effective – en prison comme dans les autres lieux privatifs de liberté que sont les locaux de garde à vue, les zones de rétention, les hôpitaux psychiatriques, etc. –, l’action d’un organe en charge de la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants requiert la prise en considération de quatre principes de base : être en mesure de savoir ce qui se passe dans chacun de ces lieux ; pouvoir y intervenir à tout moment ; faire cesser les faits ou les situations qui, de visu, s’avèrent constitutifs d’une violation d’un droit fondamental ; empêcher qu’ils ne se reproduisent. La capacité de la future instance à œuvrer effectivement et efficacement sur ces quatre registres dépend directement des prérogatives et des moyens d’action que la loi va lui accorder. Aux termes du texte législatif soumis au débat parlementaire, l’instance devra « contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect des droits N°62 Juillet-Août 2007
fondamentaux dont elles demeurent titulaires ». Outre qu’il eut été préférable d’acter l’existence de droits inhérents à la dignité de la personne, en proposant la formule « dont elles sont titulaires », qui ne ménage aucune dérogation quelles que soient les circonstances, force est de constater que la France a privilégié la création d’un organe appelé à intervenir dans l’ensemble des lieux de détention au détriment de la création d’instances spécifiques sur chacun des domaines visés par le protocole. Ce choix ne s’imposait pas, loin s’en faut. Parce que les travaux effectués par la commission Canivet1 ont clairement mis en évidence la nécessité d’une vigilance particulière. Et que rien ne laisse supposer que ce qui est considéré comme nécessaire pour l’univers carcéral ne le serait pas tout autant pour les autres. Mais la préconisation émise par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis du 14 juin 2007 complété par une note de son président, Joël Thoraval, en date du 20 juillet, n’a pas été entendue. Elle estimait pourtant, « compte-tenu de la diversité des lieux privatifs de liberté et de la spécificité de chacun d’eux » qu’il était « nécessaire de prévoir des organes spécialisés ». Un dispositif se couplant, selon la Commission, avec la désignation d’une « instance de coordination reconnue et facilement identifiable » qui disposerait « d’une compétence réelle ». Au-delà du champ d’intervention du contrôleur général, la CNCDH avait également rappelé « son attachement aux conditions nécessaires à l’effectivité du contrôle ». Des conditions relatives « à la fois à son contenu, à son organisation et à son exercice ». En la matière, le projet de loi est très en deçà des attentes.
Des pouvoirs limités En effet, il est prévu que le contrôleur général exerce « principalement » son action par le biais de « visites sur place » pouvant intervenir « à tout moment » et en « tout lieu ». Mais cette prérogative est aussitôt bridée par une singulière règle du jeu : « avant toute visite », l’instance « informe » les autori-
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tés responsables. La seule dérogation ménagée à ce système d’information préalable, l’autorisant à « décider de procéder à une visite sans préavis », suppose que « des circonstances particulières l’exigent ». Sans autre précision. Autrement dit, loin de consacrer le principe de visite régulière et inopinée, la loi envisage le mode d’intervention principal de l’instance « de manière particulièrement restrictive », comme le souligne la CNCDH. D’autant que nombre d’autres limitations sont envisagées. La première concerne l’accès aux lieux privatifs de liberté. Le projet du gouvernement prévoit que les autorités responsables « proposent le report » de la visite dans le cas de « motifs graves », liés notamment « à des troubles sérieux dans l’établissement où [elle] doit avoir lieu ». On croit rêver. Car c’est précisément dans ce type de contexte que l’intervention du contrôleur général trouve à la fois sa pleine légitimité et toute son opportunité. Aucune restriction ne doit être apportée au principe de libre accès du contrôleur aux lieux privatifs de liberté. Il en va de même d’une seconde limitation, celle
Loin de consacrer le principe de visite régulière et inopinée, la loi envisage le mode d’intervention principal de l’instance de manière particulièrement restrictive. qui concerne la communication des informations ou pièces nécessaires à l’action du contrôleur. Le texte gouvernemental envisage de lui opposer leur « caractère secret » si leur « divulgation est susceptible de porter atteinte […] à la sécurité des lieux », « au secret de l’enquête et de l’instruction, au secret médical ou au secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client ». À l’instar de la demande formulée par le président de la CNCDH, il convient à l’inverse de garantir au contrôleur « les moyens d’examiner dans les meilleurs délais les allégations de traitements contraires à la Convention ». Pour cela, « il doit se voir garantir la possibilité de recueillir dans des conditions de stricte confidentialité des renseignements pertinents concernant les faits dénoncés auprès de toute personne, y compris des agents publics ».
L’objectif de protection négligé En ratifiant le protocole, la France s’engage à instaurer un mécanisme disposant de la capacité à la fois d’assurer une protection effective à l’égard des personnes privées de liberté et d’évaluer les conditions générales dans lesquelles s’effectue la privation de liberté. Cet engagement va de pair avec l’obligation, rappelée dans le préambule du Protocole, de « prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégra-
dants soient commis ». Or, en l’état actuel du projet de loi, le mandat du contrôleur ne prend « pas en compte explicitement l’objectif de protection », estime la CNCDH. Pour elle, « il serait utile » qu’il « puisse non seulement formuler des observations au sujet de l’organisation ou du fonctionnement du lieu visité mais puisse saisir l’autorité hiérarchique, voire la justice, de toute infraction qu’il jugerait nécessaire de voir poursuivre disciplinairement ou pénalement ». Par ailleurs, contrairement à ce que prévoit le texte proposé par le gouvernement, le contrôleur doit avoir la faculté de rendre public ses rapports de visite, ses avis, ses recommandations et ses rapports annuels, indépendamment des réponses formulées par les autorités publiques. Enfin, s’il est prévu qu’à l’issue de sa visite, le contrôleur général « fait connaître au ministre intéressé ses observations », celui-ci n’est pas tenu de formuler à son tour des « observations en réponse ». Il serait là encore plus pertinent de consacrer le principe selon lequel les autorités publiques ont l’obligation de répondre aux avis et recommandations du contrôleur.
Indépendance et moyens d’actions Si le projet de loi confère le statut d’autorité indépendante au contrôleur général, les conditions de sa nomination ne sont pas satisfaisantes. Prévue par décret pour une durée de six ans non renouvelable, elle ne répond pas aux critères de transparence précisés à l’article 18 du protocole qui se réfère aux « principes de Paris » concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’Homme. Cette désignation se doit d’être au moins de la responsabilité du Parlement, ce qui serait en tout point conforme au principe exposé par le Premier ministre lors de sa Déclaration de politique générale, sur la nomination des présidents des autorités administratives indépendantes. Par ailleurs, le projet de loi est muet quant à l’importance des moyens humains et financiers qui seront alloués au contrôleur général. Or, souligne Joël Thoraval, il apparaît que « faute d’un effort exceptionnel, l’effectivité et la crédibilité du contrôleur général » appelé à intervenir à l’échelle de tout le pays « se trouveraient largement hypothéquées dès le départ ». Enfin, la création ex nihilo d’un nouvel organe, qui plus est unique, « ne doit pas remettre en cause les responsabilités ou diluer les moyens des institutions spécialisées existantes qui ont fait leur preuve en terme d’efficacité, notamment la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) », insiste la CNCDH. L’examen du projet de loi par les parlementaires doit être l’occasion de prendre en compte l’ensemble des remarques formulées à plusieurs reprises par cette Commission. Sous peine de se satisfaire d’un contrôle de façade. Gageons qu’après sa rencontre, à Londres avec l’inspectrice en chef des prisons anglaises, Rachida Dati en est la première convaincue. Patrick Marest (1) Commission présidée par Guy Canivet, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, La Documentation française, mars 2000. N°62 Juillet-Août 2007
Toulon : le directeur adjoint condamné pour violences
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C’est l’histoire d’un procès qui a failli ne jamais avoir lieu, avant d’aboutir finalement, le 13 juillet 2007, à la condamnation du directeur adjoint du centre péniten tiaire de Toulon-La Farlède (Var) à quatre mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de la ville. Les faits reprochés, des violences volontaires sur un détenu et une subordination de témoins, s’étaient produits un mois auparavant, le 7 juin. À l’issue d’une commission de discipline, un détenu mécontent de la décision prise à son encontre a craché
un coup de tête ». À l’audience, il maintient cette version, admettant cependant qu’il a pu se laisser emporter, sous le coup de l’énervement, de la pression et de la surcharge de travail. Dans un premier temps, tous les témoins, sauf un, ont abondé dans son sens, avant de se rétracter trois jours plus tard et d’avouer qu’ils avaient rédigé leur rapport selon les instructions de leur supérieur. Estimant qu’« on est au-delà » d’un « dérapage » et que les personnels pénitentiaires doivent être « protégés » et les détenus « respectés », le vice-procureur a requis huit mois de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction professionnelle. Pour
blée nationale sur les prisons en 2000, ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Celle-ci avait d’ailleurs préconisé « que le régime disciplinaire soit mis en conformité avec les principes d’indépendance et d’impartialité des organes de jugement », en le confiant soit « à une instance extérieure indépendante », soit « à un juge unique de l’ordre judiciaire […], ainsi que le réclame la doctrine. » (AFP, Var matin)
En prison depuis six mois, malgré un état de santé incompatible avec la détention
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© Bruno Isolda
sur le directeur adjoint pour, raconte-t-il à l’audience, l’humilier comme il l’a été lui-même. Il a aussitôt été maîtrisé par les surveillants présents. Le responsable pénitentiaire aurait alors porté des coups de poings et de pieds et tenté de donner un coup de tête, s’ouvrant légèrement le front. Ce qu’il dément. Aux gendarmes enquêtant sur les faits, il affirme avoir vu que « les agents avaient de réelles difficultés à l’immobiliser » et s’être alors « approché pour les aider ». « Peut-être, reconnaît-il, que j’ai envoyé un coup ou deux, mais je suis convaincu de ne pas l’avoir frappé. C’est après qu’il m’a donné
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leur part, les magistrats ont tenu compte semble-t-il de « la carrière exemplaire » du directeur adjoint mis en avant par son avocat et l’ont condamné à quatre mois de prison avec sursis et 700 € de dommages et intérêts au détenu pour « préjudice moral ». Cette affaire illustre le problème posé par la composition des commissions de discipline, dénoncée par de nombreux acteurs lors de la consultation des États généraux de la condition pénitentiaire, mais aussi par diverses instances, comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Commission d’enquête de l’Assem-
Depuis plus de six mois, P.B. est maintenu en détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’extradition, malgré « un trouble moteur et sensitif avec paraplégie et troubles de la continence » et un état de santé qui « n’est pas compatible avec un séjour en détention », selon un certificat médical en date du 10 mai 2007. De fait, dès son incarcération à la maison d’arrêt de Dijon, au début du mois de janvier, sa prise en charge a posé de grandes difficultés. Selon une attestation, établie avant son incarcération à la demande du procureur par le centre hospitalier de Besançon, elle requiert en effet « des soins de nursing pour les actes de la vie quotidienne », ainsi qu’« un équipement spécialisé avec matelas antiescarres haute protection, gouttières de décharge au niveau des talons, fauteuil roulant avec coussin anti-escarres ». Face à cette situation, le service médical de la maison d’arrêt a contacté aussitôt l’unité hospitalière de soins interrégionale (UHSI) de Lyon pour envisager un transfert, qui est mis en œuvre immédiatement. À l’arrivée de P.B., les médecins de l’unité constatent alors que son état est « très difficilement compatible avec la détention », comme l’atteste un certificat médical du 9 janvier 2007. Pour autant, soulignent-ils, sa présence ne se justifie pas au sein de l’unité. Et pour cause, une UHSI n’a pas vocation à accueillir sur une longue durée ce type de pathologie mais est, comme l’a souligné l’ancien garde des Sceaux le 16 février 2004, « une structure hospitalière à part entière, [qui] a une compétence médico-chirurgicale
de facto
de facto [et] vise à accueillir des détenus dont l’état de santé justifie une hospitalisation ». D’origine albanaise, P.B. parle très difficilement le français et ne peut faire seul les démarches nécessaires à une demande de mise en liberté. Interpellé à plusieurs reprises sur la situation de cet homme, le service pénitentiaire d’insertion et de probation devait se rapprocher de l’avocat de P.B. et engager une procédure de demande de mise en liberté auprès de la chambre de l’instruction de Besançon. L’homme est pourtant toujours détenu à l’UHSI de Lyon. (OIP)
Les examens universitaires d’un détenu perturbés par son transfert
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Il aura fallu pas moins de deux mois et demi d’attente à X.V. pour récupérer l’intégralité de ses affaires, suite à son transfert, le 15 février 2007, de la maison d’arrêt de Douai à celle de Sequedin (Nord). Pourtant, y figuraient les cours et ouvrages nécessaires à la préparation de ses examens, prévus au mois de mai. Incarcéré en détention provisoire depuis le 16 juin 2001, X.V. a en effet entamé un cursus universitaire en détention, qui a notamment abouti à l’obtention d’un DEUG d’histoire en 2005. À la rentrée 2006, alors qu’il est détenu à la maison d’arrêt de Douai, il s’inscrit en 3e année de licence d’histoire à l’université de Rennes II dont il suit le cursus par correspondance, par l’intermédiaire du service universitaire d’enseignement à distance. Parallèlement, il s’inscrit à l’université de Lille II et prépare par ses propres moyens une capacité en droit. Suite à son transfert, une grande partie de ses documents de travail ont été retenus à la « fouille » de la maison d’arrêt de Sequedin, au motif que ses affaires sont « en trop grand nombre ou prohibées ». Après plusieurs demandes de sa part, ainsi que des interventions extérieures, dont celles de sa femme et de son avocat (qui a par ailleurs informé le procureur de la République du problème), X.V. s’est vu restituer ses cours et ouvrages, mais de manière progressive et parcellaire. Le 30 avril 2007, il finit par récupérer l’essentiel de ses dossiers, dans le désordre et
ôtés de leurs classeurs, ainsi que la plupart de ses livres. Ces derniers, dont un ouvrage de référence fourni par la faculté de Rennes, ne lui sont cependant remis que soixante-douze heures avant le début des épreuves d’histoire. La direction de l’établissement a estimé que les documents nécessaires à ses révisions lui ont été remis « lorsqu’il le demandait » et qu’il « était difficile, dans sa cellule, de lui donner l’intégralité de ses documents ». En dépit de ces circonstances singulières, X.V. a obtenu sa licence d’histoire avec la mention « assez bien ». Il a en revanche demandé à l’université de Lille II l’autorisation de ne passer les épreuves de la capacité en droit qu’en septembre, ne s’estimant pas suffisamment prêt. (OIP, La Voix du Nord)
Les hôpitaux de Paris une nouvelle fois rappelés à leurs devoirs
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Après le sévère rappel à l’ordre adressé par le Conseil d’État en mars 2007, c’est au tour du juge des référés du tribunal administratif de Paris de rappeler à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) ses obligations à l’égard des personnes détenues, et notamment en matière de « continuité des soins ». Dans une décision en date du 13 juin, la juridiction a en effet ordonné à ce service public hospitalier « d’orienter […] vers une structure de soins adaptée à son état, dans un délai de deux mois » une personne incarcérée à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne). Âgé de 71 ans, cet homme souffre de diabète, d’hypertension artérielle et de troubles divers liés à ses affections cardio-vasculaires. Il a obtenu une suspension de peine pour raisons médicales le 7 février 2007 par le tribunal d’application des peines de Créteil. N’ayant pu trouver de structure d’hébergement susceptible de l’accueillir, l’homme restait en prison. Le 14 mars 2007, il a adressé un recours hiérarchique à l’AP-HP afin qu’une solution puisse être trouvée. Sans réponse, il a saisi le tribunal administratif, qui lui a donné raison. Dans sa décision, celui-ci a estimé que, « en refusant de l’admettre dans un service adapté, l’AP-HP méconnaît l’obligation qui lui incombe de veiller à la
continuité des soins assurés ». Au vu de l’état de santé de ce détenu, « constitutif d’une situation d’urgence », le juge a enjoint le service de trouver « une structure de soins adaptée », et ce, « dans un délai de deux mois ». Le tribunal a ainsi suivi les conclusions rendues par le Conseil d’État le 9 mars dernier, saisi d’une situation similaire. Cette jurisprudence devrait à n’en point douter permettre de débloquer la situation de nombreux détenus malades qui ne peuvent bénéficier d’une suspension de peine faute d’un lieu d’accueil à leur sortie. (AFP)
Rupture du suivi éducatif et des liens familiaux suite au transfert d’un mineur...
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Les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté sont très claires : « Tout doit être mis en œuvre pour que les mineurs aient suffisamment de contact avec le monde extérieur, car ceci fait partie intégrante du droit d’être traité humainement et est indispensable pour préparer les mineurs au retour dans la société ». Elles n’ont pourtant pas suffi à empêcher la direction interrégionale des services pénitentiaires (DRSP) de Lyon de transférer N.A., un prévenu âgé de 17 ans, de la maison d’arrêt Lyon-Saint-Joseph (Rhône) vers celle de Varces (Isère), le 30 mai 2007, suite à son implication dans l’agression de codétenus. Et ce, sans que l’intéressé ait pu faire valoir ses observations avec l’assistance de son avocat, comme l’exige pourtant la jurisprudence des tribunaux administratifs, et sans consulter la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Pourtant, la mesure est lourde de conséquences. À la maison d’arrêt de Lyon, un éducateur de la PJJ était en effet parvenu à établir une relation privilégiée avec le jeune détenu, permettant l’élaboration d’un projet éducatif cohérent en lien avec le juge d’instruction et l’éducateur référent chargé du suivi à l’extérieur. Ce dernier, qui jusqu’alors rencontrait N.A. une fois par semaine, ne peut dorénavant le voir qu’une à deux fois par mois. En outre, alors que N.A. bénéficiait de cours dispensés par l’Éducation nationale à Saint-Joseph, il n’a pu suivre
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aucun enseignement depuis son arrivée à Varces. Compte tenu de son comportement difficile, le personnel pénitentiaire a en effet « déconseillé » au service scolaire de l’établissement de le prendre en charge. Selon ce service, les cours auraient de toute façon été limités à 1h30 par semaine à cause du sous-effectif de l’unité locale d’enseignement, durement affectée par l’absence d’un des trois enseignants et la démission, fin 2006, de l’agent contractuel chargé des tâches administratives et de la coordination des actions socioculturelles. Enfin, le transfert complique sérieusement le maintien des liens de N.A. avec sa famille. Du fait de l’éloignement, de son absence de véhicule et de son travail à temps complet, sa mère n’a pu le voir pour la première fois que trois semaines après son transfert. L’avocat du mineur a indiqué qu’il comptait attaquer la décision. (OIP)
... Qui a également dû subir plus de six mois de retard pour une consultation médicale
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Outre ce transfert, N.A. a également dû attendre le 14 juin 2007 pour bénéficier d’une consultation médicale initialement prévue le 19 décembre 2006, en dépit de douleurs persistantes. À la suite d’un grave accident de la circulation, l’adolescent avait en effet subi une opération chirurgicale de la jambe gauche, au cours de laquelle lui avaient été posées des broches, le 18 août 2006, au service d’orthopédie de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon (Rhône). Rendez-vous avait immédiatement été pris avec le chirurgien qui l’avait opéré pour une consultation de contrôle, habituelle et nécessaire en pareil cas. Mais l’incarcération de N.A., le 22 novembre 2006 à la maison d’arrêt de Lyon, a fortement compromis son suivi médical. Contacté par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison Saint-Joseph pour organiser l’extraction médicale, le chirurgien de N.A. a en effet fait savoir qu’aucune personne détenue n’est admise dans son service et que l’adolescent devait être reçu par l’hôpital Lyon Sud, au sein duquel se situe une unité hospitalière de soins interrégionale (UHSI), une struc-
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ture pénitentiaire. Pour sa part, le service d’orthopédie de ce dernier a affirmé que c’est aux médecins qui ont pratiqué les interventions de recevoir leurs patients en consultation. Or, dès le mois de février 2007, N.A. s’était plaint de vives douleurs à la jambe gauche. Interpellée par son avocat le 13 février, la direction de la maison d’arrêt de Lyon a répondu dix jours plus tard que l’adolescent bénéficiait « d’un suivi médical adapté ». Le 20 mars, devant la persistance des douleurs de N.A., une radiographie de sa jambe a été pratiquée à l’UCSA, et n’a rien révélé d’inquiétant selon les médecins. Le 2 avril 2007, l’UCSA a adressé un courrier à l’hôpital Édouard Herriot pour s’enquérir de la conduite à tenir. Le courrier est resté sans réponse. Parallèlement, les séances de kinésithérapie dont bénéficiait presque quotidiennement N.A. avant son incarcération se sont trouvées limitées, « dans le meilleur des cas », à un rythme hebdomadaire à la maison d’arrêt de Lyon. Et depuis son transfert à la maison d’arrêt de Varces, elles ont purement et simplement été arrêtées, le kinésithérapeute qui intervenait au sein de la prison grenobloise, absent depuis février, n’étant toujours pas remplacé. Une nouvelle radiographie a fini par être pratiquée le 14 juin à Grenoble. Le médecin a conclu que les broches ne présentaient pas de signes inquiétants mais que, en l’absence de consolidation suffisante de la jambe, elles ne pouvaient être retirées pour l’instant. N.A. continue pour sa part à se plaindre de douleurs. (OIP)
Suicide : le juge accroît les obligations de l’administration
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Par un arrêt du 9 juillet 2007 (n° 281205), le Conseil d’État a condamné l’administration pénitentiaire pour faute dans une affaire de suicide d’un détenu mineur à la maison d’arrêt d’Angoulême (Charente), survenu dans la nuit du 5 au 6 novembre 1996. Le jeune homme avait mis fin à ses jours quelques heures après avoir été condamné à cinq mois d’emprisonnement par le tribunal pour enfants de Rochefort. Le Conseil d’État retient en premier lieu que « le jeune A a rencontré des difficultés d’adaptation à la vie en milieu
carcéral qui se sont manifestées pendant la période de sa détention provisoire. » Or, poursuit-il, « si, le 5 novembre 1996 en fin de journée, lors de son retour du tribunal, alors qu’il venait d’être condamné à une peine d’emprisonnement ferme, il a eu un bref entretien avec le surveillant principal responsable du quartier des mineurs, il apparaît qu’aucun accompagnement particulier tenant compte de son état psychologique n’a été prévu avant qu’il ne soit placé pour la nuit en cellule individuelle ». En outre, « la ronde de surveillance normalement prévue dans la soirée du 5 novembre 1996 entre 23h30 et minuit, moment auquel le suicide a été commis, n’a pas été effectuée ». « Dans ces conditions, conclut le Conseil d’État, les défauts de vigilance ainsi manifestés sont constitutifs d’une faute de l’administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l’État ». Autrement dit, le juge administratif exige de la part des services pénitentiaires, outre une surveillance classique, des mesures spécifiques de prise en charge de la personne en détresse, rejoignant ainsi les recommandations des rapports relatifs à la prévention du suicide en milieu carcéral, et en particulier celui remis par le Pr. Terra en décembre 2003. Les mesures requises ne se résument pas au placement d’un second détenu dans la cellule de l’intéressé, dont le principe est fréquemment mis en cause par les juridictions administratives. Elles peuvent consister en une intervention spécialisée d’un professionnel. Cette vigilance particulière s’impose, selon le juge, à l’égard d’un détenu ayant manifesté antérieurement des signes d’inadaptation à la détention, lorsqu’un événement reconnu comme étant « à risque » intervient, y compris en l’absence de crise suicidaire apparente. (OIP)
Un rapport dénonce la dérive de l’expertise pénale
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L’expertise psychiatrique « remplit de moins en moins le rôle de filtre visant à repérer les malades afin de leur donner des soins appropriés » et « de régulateur entre la prison et l’hôpital ». C’est le cri d’alarme qu’a tenu à lancer la Fédération
de facto
de facto française de psychiatrie dans un rapport rendu public le 11 juillet dernier, au terme d’une audition de plusieurs dizaines de praticiens et chercheurs. De fait aujourd’hui, souligne ce rapport, « les irresponsabilités pénales […] sont de plus en plus rares », autour de 210 par an, alors que, parallèlement, les malades mentaux sont de plus en plus nombreux en prison. Pour expliquer cette dérive, les psychiatres mettent en avant « la célérité attendue de la justice » qui rend « difficile pour le parquet de se dégager des faits à juger pour prendre en compte l’éventuelle pathologie du justiciable », ainsi que la multiplication du recours aux comparutions immédiates et aux procédures de jugement rapide, qui ne laissent pas de place à l’expertise. En cause également, la tendance des magistrats à « criminali-
ser la maladie mentale », en condamnant à des peines plus longues des personnes atteintes de troubles psychiques. Les experts n’échappent pas non plus à la critique, notamment lorsqu’ils concluent à l’altération du discernement d’une personne tout en soulignant la nécessité de sa prise en charge psychiatrique, « forgeant ainsi la croyance selon laquelle le SMPR [service médico-psychologique régional] peut devenir, malgré son inscription carcérale, un lieu de soin à part entière ». Enfin, la Fédération met en garde contre la « multiplication programmée d’expertises d’évaluation de la dangerosité », qui « quitt[ent] le champ de la clinique psychiatrique pour se situer dans un champ psychocriminologique » et « dont la fiabilité, la finalité, et la faisabilité sont encore l’objet de discussions polémi-
moins de prison
Trois mois de prison pour avoir inventé un accident On ne peut pas impunément faire perdre leur temps aux services de secours et ses deniers à l’État. Un jeune homme de 20 ans l’a appris à ses dépens. Pour avoir faussement prétendu être victime d’un grave accident de la route et mobilisé pour sa recherche d’importants moyens, il a été poursuivi dans le cadre d’une comparution immédiate, puis condamné à douze mois de prison dont trois mois ferme, le 22 mai 2007, par le tribunal correctionnel de Saint-Omer (Pas-de- Calais). Dix jours auparavant, vers 7h00 du matin, après avoir consommé d’importantes quantités d’alcool et de drogue, il avait appelé son beau-père, lui affirmant qu’il avait eu un accident de la route avec trois autres personnes alors qu’il revenait d’une discothèque en Belgique, mais qu’il ne savait pas où il se trouvait. Pendant les huit heures suivantes, cinquante gendarmes et trois hélicoptères l’avaient alors recherché, jusqu’à son interpellation tandis qu’il marchait sur une route après avoir caché sa voiture. Ni ses regrets pour ce geste « idiot », ni ses excuses présentées aux secours et aux gendarmes, ni sa situation sociale – le jeune homme est sans emploi – ni même son casier vierge n’ont incité les magistrats à la clémence. En sus de sa peine d’emprisonnement, il a également été condamné à indemniser l’État pour les coûts engagés pour sa recherche, soit environ 62.000 euros, ainsi qu’à diverses mesures (se soumettre à une obligation de soins, rechercher un travail ou suivre une formation, effectuer un stage de citoyenneté). Aucun mandat de dépôt n’ayant cependant été prononcé, le jeune homme a pu, après dix jours d’incarcération, sortir libre du tribunal, dans l’attente de sa convocation devant un juge de l’application des peines. (AFP)
ques ». À l’heure où on parle avec tant d’insistance des « hôpitaux-prisons », de centres éducatifs fermés spécialisés dans l’accueil de mineurs présentant des troubles du comportement, ou de la généralisation de l’injonction des soins pour lutter contre la récidive, voilà un rapport qui remet les choses à leur place. (OIP)
Lyon : pas assez de papier toilette et absence de couvertures
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Dans les quartiers Saint-Paul et SaintJoseph de la maison d’arrêt de Lyon (Rhône), des dysfonctionnements d’un autre âge s’ajoutent à la surpopulation. Depuis plusieurs mois, le papier toilette n’est en effet distribué que de façon irrégulière et en quantité insuffisante. Par ailleurs, depuis le début du mois de juillet 2007, alors que les températures sont assez basses la nuit venue, les personnes détenues doivent se passer de couvertures. Les médecins de l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) de la prison ont pourtant constaté une augmentation des rhinites et autres pathologies de ce type, inhabituelles en cette saison. Ils affirment également faire fréquemment l’objet de sollicitations pour obtenir des rouleaux supplémentaires de papier toilette. Le plus souvent, les détenus sont contraints de « cantiner » des mouchoirs. Pour l’administration pénitentiaire, les couvertures ont été enlevées comme habituellement à l’arrivée de l’été, et il n’est pas prévu de les remettre. Quant au papier toilette, la direction de la maison d’arrêt explique qu’on ne lui a « pas signalé de difficulté » et que, suite à un appel de l’OIP le matin même au chef de détention du quartier Saint-Paul, une distribution a eu lieu l’après-midi. Pourtant, dès le mois de mars, l’équipe médicale de l’UCSA avait alerté la direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon sur ce problème. Visiblement en vain. (OIP)
Rubrique réalisée par Anne Chereul, Stéphanie Coye, Marie Crétenot, Lionel Perrin et Hugues de Suremain.
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Peines minimales
danger maximal Rejetant les conclusions de toutes les recherches scientifiques qui démontrent l’inefficacité de la mesure, et au prix du déni de ses conséquences désastreuses sur l’effectif de la population carcérale, le Parlement a voté au pas de course le projet de loi gouvernemental instaurant les peines planchers.
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peines minimales, danger maximal À peine plus de deux mois. C’est le temps qu’il aura fallu à la garde des Sceaux pour faire adopter sa première réforme de la justice. Un mois pour la rédiger, et un mois pour la faire adopter par le Parlement, l’urgence ayant été déclarée par le gouvernement afin que chacune des assemblées n’examine qu’une seule fois son projet de loi. Rarement un texte qui bouleverse autant la philosophie de notre système judiciaire n’aura abouti aussi rapidement. En quelques articles, la « loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » tend en effet à inverser toute la logique du prononcé des sanctions, en instaurant des peines minimales pour toutes les infractions punies d’au moins trois ans de prison commises en récidive. Elle fait de la non-motivation des décisions de justice la règle quand il s’agit d’incarcérer, exhorte les juridictions à juger les mineurs de plus de 16 ans comme des majeurs et rend quasi automatique l’injonction de soins pour un certain nombre de délits et de crimes. Ce texte a d’ailleurs provoqué un exceptionnel tollé. Magistrats, avocats, personnels pénitentiaires, acteurs de la réinsertion, professionnels de l’enfance, éducateurs, psychiatres, enseignants, journalistes ou simples citoyens, à titre individuel, au sein de syndicats ou d’associations, ont multiplié les prises de paroles, lancé des appels, signé des pétitions, publié des tribunes. Jusqu’à des institutions, peu habituées à ce genre d’intervention publique, comme la Défenseure des enfants, la Conférence des premiers présidents de cour d’appel, ou encore le président d’Unicef France. Dans un tel contexte et au vu des conséquences prévisibles d’un tel projet, pourquoi une telle précipitation ? À en croire la garde des Sceaux, la réponse relève de l’évidence.
L’art de manipuler les chiffres… « Ce texte, a expliqué Rachida Dati aux sénateurs le 5 juillet, est rendu indispensable par l’état de notre société et de notre justice ». D’ailleurs, a-t-elle ajouté, « il suffit pour en prendre la mesure de considérer les chiffres. » Et d’en citer quatre, qui « parlent d’eux-mêmes » : « Entre 2000 et 2005, le nombre de condamnations en récidive pour des crimes et délits a augmenté de près de 70 %. Les condamnations en récidive pour des délits violents ont augmenté de 145 %. Le nombre des mineurs condamnés pour des délits de violence a augmenté de près de 40 %. En 2006, 46 % des personnes mises en cause pour des vols avec violence étaient des mineurs. » Des statistiques dont la seule vocation est de susciter la peur et de dénaturer la perception de la réalité. Car, s’il est indéniable que les condamnations en récidive ont connu une augmentation ces dernières années, le phénomène, rapporté à la délinquance globale, est loin d’avoir l’ampleur que veut lui donner la ministre, et encore moins celle que lui avait donné le candidat Nicolas Sarkozy pendant la campagne, quand il avait affirmé dans son projet que « 50 % des délits, c’est 5 % de délinquants ». En 2005 (derniers chiffres disponibles), le taux de « récidive légale », la seule visée par ce texte, se situait à 6,5 % des 520 300 condamnations pénales prononcées, contre 4,5 % en 2000. Il était d’ailleurs en légère baisse par rapport à 2004. Quant à celui des mineurs, comme n’ont pu que le constater le sénateur François Zocchetto et le député Guy Geoffroy, tous deux rapporteurs du projet pour leurs Commissions des lois respec-
tives, il est « très faible » : 0,6 % pour les délits en 2005 (316 condamnations sur 51 708) et 0,2 % pour les crimes, ce qui représente en fait… une seule condamnation en récidive sur 528. Pour que le phénomène puisse être apprécié à sa juste valeur, la ministre aurait dû aussi préciser que l’augmentation entre 2000 et 2005, loin d’illustrer une explosion de la récidive, est en partie liée, comme le note d’ailleurs Guy Geoffroy dans son rapport, au fait que « ces dernières années, la pratique judiciaire s’est incontestablement durcie à l’encontre des récidivistes ». La tendance devrait d’ailleurs se poursuivre puisqu’une circulaire a été envoyée le 16 juin 2006 à tous les parquets, leur demandant de relever systématiquement l’état de récidive légale.
… et de multiplier les lois En effet, contrairement à ce que dit la garde des Sceaux – qui soutient que, « à ce jour, aucune [loi] n’a mis en place un régime pénal dédié à la récidive » – le dispositif de sanctions, déjà très sévère puisqu’il prévoit notamment un doublement des peines encourues, s’est considérablement renforcé ces dernières années, principalement il est vrai sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Depuis novembre 2003, suite au « lâche assassinat » d’un policier par un récidiviste, il a fait des « délinquants d’habitude » son cheval de bataille, réclamant des mesures particulières à leur encontre, et notamment l’instauration de « peines planchers ». Un de ses proches, Christian Estrosi, avait alors dans la foulée déposé sur le bureau de l’Assemblée une proposition de loi en ce sens, suscitant immédiatement l’opposition du ministre de la Justice de l’époque, Dominique Perben. La Commission des lois, présidée par Pascal Clément, un proche du garde des Sceaux qui lui succèdera quelque mois plus tard, avait en réaction créé une « mission d’information sur le traitement de la récidive », dont le rapport, remis le 6 juillet, avait abouti au vote d’une loi, le 12 décembre 2005, portant spécifiquement sur le « traite-
En quelques articles, la « loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » tend à inverser toute la logique du prononcé des sanctions. ment de la récidive des infractions pénales ». Loin de s’estimer vaincu, Christian Estrosi avait, au moment des discussions parlementaires, déposé une série d’amendements reprenant sa précédente proposition, en la modifiant toutefois pour la rendre constitutionnelle. Ces aménagements visaient notamment à laisser « au magistrat la possibilité d’individualiser la peine, c’est-à-dire qu’il pourrait ne pas prononcer la peine minimale et imposer un travail d’intérêt général ou une peine de substitution quand il considérerait qu’il y avait une réelle capacité de réinsertion du délinquant ». La proximité avec la loi qui vient d’être votée est frappante. Mais nous étions alors à une autre époque, où une majorité de parlementaires UMP était encore opposée à ce type de sanctions. À commencer N°62 Juillet-Août 2007
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par Pascal Clément, qui s’était élevé contre une disposition qui « remet[tait] en cause notre tradition juridique, et notamment le principe d’individualisation de la peine » et contre sa « constitutionnalité […] pour le moins douteuse ». Jean-Luc Warsmann estimait également, bien qu’il affirme aujourd’hui, alors qu’il est devenu président de la Commission des lois du Palais-Bourbon, trouver le texte de Rachida Dati « équilibré », ne pas pouvoir « souscrire au principe de la sanction automatique telle qu’elle ressort, même atténuée, de l’amendement présenté ». Les peines planchers ont donc alors été repoussées. Pour autant, la loi, qui a par ailleurs été renforcée depuis par la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, était tout sauf laxiste. La notion de récidive a été considérablement élargie, le nombre de sursis avec mise à l’épreuve pouvant être prononcé à l’égard des personnes en récidive ont été limités, le prononcé de mandat de dépôt à l’audience rendu plus systématique, les crédits de réduction de peine restreints, les conditions d’octroi de la libération conditionnelle réduites, etc.
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« Un véritable effort d’innovation »
Une vieille rengaine
© Jack Guez/AFP
« Tous vos prédécesseurs ont-ils cédé à une quelconque tentation laxiste ? », a demandé ironiquement Robert Badinter à Rachida Dati venue au Sénat présenter son projet de loi. Certes non. Mais face à l’« atteinte intolérable à la sécurité des personnes et des biens » que constitue la récidive, la Chancellerie estime nécessaire « un véritable effort d’innovation », qui passe par « l’instauration d’un régime pénal nouveau » : les peines minimales obligatoires. Le but : « sanctionner de manière ferme la récidive des majeurs et des mineurs afin d’être dissuasif ». Comment ? La réponse à cette question est en revanche plus floue : « S’agissant du lien entre le quantum de la peine et la récidive, l’instauration d’une peine minimale aura un effet dissuasif. À moins de considérer qu’aucune loi n’a d’effet dissuasif, il est clair que le régime prévu pour les récidivistes réduira le taux de récidive. » Au Sénat, la ministre ira jusqu’à narrer, comme « preuve du caractère potentiellement dissuasif de la sanction », sa visite dans un centre éducatif, au cours de laquelle un mineur âgé de quinze ans l’a interpellée pour lui demander si « c’est vrai que, à la rentrée, on sera jugés comme des majeurs ? ». Les parlementaires ne sont pas plus convaincants. À l’image de la ministre, le sénateur UMP JeanRené Lecerf invoquera pour sa part le père Guy Gilbert qui, lors de son audition par la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, avait raconté comment « Yann, douze ans et trois mois » se vantait de pouvoir commettre des cambriolages sans être inquiété du fait de son âge. Et de conclure : « Mes chers collègues, dans ces conditions, il est difficile de ne pas croire à certaines vertus dissuasives de la sanction. » À leur décharge, il faut dire que le discours n’est pas nouveau.
« Pourquoi, alors que la sécurité extérieure des Français est fondée sur la dissuasion, la sécurité intérieure en ferait-elle fi ? L’insécurité est pourtant entretenue par des malfaiteurs qui font à leurs compatriotes une sorte de guerre privée. » Ce plaidoyer pour les vertus dissuasives de l’alourdissement des peines, N°62 Juillet-Août 2007
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gouvernement, comme lors ‘‘du Ledébat sur la loi Clément de décembre 2005, n’étudie pas la question de manière rationnelle.
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aussi convaincu que celui de notre actuelle garde des Sceaux, remonte au 11 juin 1980. Son auteur est Alain Peyrefitte, alors ministre de la Justice. Il défendait devant le Parlement son projet de loi dit « Sécurité et liberté », dont une partie était consacrée au durcissement des peines frappant les condamnés récidivistes. Il fallait, expliquait-il, en finir avec la « justice loterie », celle qui prend en considération la « psychologie du coupable », et restaurer un principe fondamental : « Que le coupable paie à la société, quel qu’il soit ». Depuis la seconde moitié des années 70, la droite use ainsi d’un triptyque politique devenu familier, mais peut-être pas encore usé jusqu’à la corde : instrumentalisation médiatique de la délinquance, dénonciation du laxisme judiciaire comme cause du supposé chaos, proposition de restauration de l’ordre. Comment ? Précisément en renforçant une pénalité de dissuasion, c’est-àdire une pénalité qui n’ignore rien des effets dévastateurs de l’enfermement, mais mise sur l’effet de prévention constitué par la certitude de sanctions plus lourdes. À la limite, que la prison constitue un désastre va plutôt à l’appui de la démonstration, puisqu’il faut qu’elle fasse peur. Et si elle ne fait plus peur en tant que telle, par exemple aux personnes qui y ont déjà séjourné, il faut simplement allonger le temps de détention. Depuis ce moment, l’opposition à ces projets est stigmatisée comme une faillite morale. À titre d’exemple, on citera le député Edouard Frédéric-Dupont qui, toujours à propos de la loi Sécurité et liberté, déclarait le 12 juin 1980 : « Prenons garde : l’Empire romain avait la puissance et la gloire. Pourtant, il s’est jeté aux pieds des Barbares. Votre projet place un stop sur le chemin de la décadence. Son vote doit marquer le premier sursaut d’une société qui refuse de mourir. »
Un effet dissuasif infirmé par la recherche Depuis belle lurette, dans les instances de protection des droits de l’homme, au Conseil de l’Europe ou, plus récemment, au travers de l’Étude sur les alternatives à la détention de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), une réflexion s’est pourtant développée pour prendre acte de l’incapacité des grandes théories pénales à permettre l’insertion de personnes qui, dans leur grande majorité, partagent avec les pensionnaires des centres d’hébergement et nombre des malades des hôpitaux psychiatriques les traits de l’exclusion sociale. Ces diverses instances proposent le développement d’un ensemble de mesures soucieuses des droits des personnes autant que de la protection des victimes d’infractions et de la société dans son ensemble (médiation pénale, justice réparatrice, travail d’intérêt général, libération conditionnelle, etc.). Les expériences menées en France et à l’étranger sont nombreuses, leurs résultats sur la récidive sont évalués positivement et leur mise en œuvre est possible. Par ailleurs, de nombreuses recherches sont venus infirmer le caractère dissuasif
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peines minimales, danger maximal
ent des peines
des peines d’emprisonnement, notamment celles réalisées par Annie Kensey et Pierre V. Tournier qui montrent qu’il n’y a « pas de corrélation nette entre le montant de la peine prononcée et le taux de probabilité de récidive » et que, pour certaines infractions comme les violences volontaires, le taux de récidive tend même parfois à augmenter quand la peine prononcée est plus sévère. Dans une interview donnée à l’Humanité, le démographe affirme avoir tiré de son expérience la conviction que « infliger des peines de prison toujours plus lourdes ne résout rien ». Ces études sont connues. Mais, comme le souligne le chercheur, « le problème, c’est que le gouvernement, comme lors du débat sur la loi Clément de décembre 2005, n’étudie pas la question de manière rationnelle » et ne prend en compte aucun travail scientifique, français ou étranger. « On ne cher-
politiques paradoxales 10 000 détenus de plus par an ? Dans un document en date du 5 juin 2007 intitulé « Des délits… et des peines planchers », le démographe Pierre V. Tournier s’est interrogé sur les « conséquences prévisibles des peines planchers sur la population des prisons » et a formulé pour cela trois scénarii. Dans un premier, dit « déflationniste », le chercheur part de l’hypothèse, soutenue par la Garde des Sceaux mais à laquelle il dira pour sa part ne pas croire, que les peines planchers vont être dissuasives. Dans cette optique, « la nouvelle loi n’aura pas besoin d’être appliquée, le nombre de délits et de crimes commis en état de récidive légale tendra vers zéro et, toutes choses étant supposées égales par ailleurs, nous assisterons à une déflation carcérale ». Dans un deuxième scénario, Pierre V. Tournier imagine que « ces peines planchers ne soient aucunement dissuasives et que les magistrats puissent utiliser, systématiquement, la marge de manœuvre prévue par le projet de loi ». « Il n’y a aura alors, dit-il, aucun changement. » Enfin, troisième scénario : les peines planchers ne sont « aucunement dissuasives » et « les magistrats respectent systématiquement les seuils ». Pierre V. Tournier évalue alors à « plus de 10 000 détenus » l’augmentation possible de la population carcérale par année. Soit, rappellet-il, l’équivalent de « l’augmentation du nombre de détenus [...] au cours de la législature précédente (2002-2007). » Cette estimation, publiée dans Le Monde à la veille du débat au Sénat, et largement reprise dans la presse ensuite, a provoqué la colère de la Chancellerie. Le porte- parole du ministère, Guillaume Didier, a réagi aussitôt en affirmant que ces « projections alarmistes […] sont sans fondement » et « fantaisistes », tandis que le lendemain, Michel Dobkine, qui était encore alors directeur de cabinet de la garde des Sceaux, a fustigé une « modélisation scientifique » qui « dénature l’esprit du texte ».
che pas à savoir s’il y a une cohérence entre ce que l’on sait du sujet et ce que l’on projette de faire. C’est grave », ajoutet-il. Et effectivement, lassé sans doute de se voir rappeler les résultats de recherches contredisant son propos, le président de la Commission des lois du Sénat, Jean-Jacques Hyest, a été jusqu’à dénigrer ces « auteurs qui tiennent le même discours depuis maintenant trente ans ». « Sous prétexte qu’il y a des spécialistes, a-t-il ajouté, nous n’aurions plus qu’à nous taire. Eh bien non, car, jusqu’à présent, c’est le Parlement qui fait la loi ! » Il y aurait matière à sourire à ces déclarations, comme de ces ministres qui font loi sur loi, invariablement dans le même sens, en annonçant inlassablement qu’ils brisent les tabous, le politiquement correct et la pensée unique. Mais les conséquences de cette piètre démagogie sont bien réelles, et durables comme le béton dont on fait les prisons neuves. Et l’expérience des pays qui ont mis en œuvre les peines minimales ne lasse pas d’inquiéter. Comme l’a souligné Robert Badinter, ce texte risque en effet « d’emporter de fâcheuses conséquences », et notamment en termes d’inflation carcérale.
Vers une inflation carcérale sans précédent ? À plusieurs reprises, au Sénat, puis à l’Assemblée, Rachida Dati s’est émue des « caricatures » véhiculées par « certains articles de presse », selon lesquels « ce projet enverrait automatiquement 10 000 personnes de plus en prison » (lire encadré ci-contre). Bien loin de cette évaluation, elle estime au contraire « faible l’impact du projet de loi sur la densité de la population carcérale ». D’abord en raison de leur effet dissuasif « significatif ». Ensuite, parce que cette loi ne peut avoir d’effet « mécanique » puisqu’elle « préserve la marge d’appréciation du juge ». Enfin, rappelle-t-elle, « la sanction n’est pas obligatoirement synonyme d’incarcération » et « le projet de loi […] ne remet absolument pas en cause les possibilités d’aménagement de l’incarcération, ab initio, dès le prononcé de la peine, ni toute alternative à l’incarcération ». Au contraire, n’a-t-elle de cesse de rappeler, « le Gouvernement est favorable aux alternatives à l’incarcération. Telle est et telle sera encore et toujours sa politique ». Pour preuve : « Dès le 29 juin, j’ai envoyé à tous les parquets une circulaire afin de les inciter à favoriser les aménagements de peines, les placements extérieurs, la semi-liberté, les alternatives à l’incarcération, le placement sous bracelet électronique. » L’impact de la loi sur l’évolution de la population carcérale dépendra effectivement de l’attitude qu’adopteront les magistrats. Une marge de manœuvre existe bel et bien, mais elle est on ne peut plus réduite. D’abord parce que, débordés, les juges ont rarement les éléments et la capacité d’apprécier si la personne qui comparaît devant eux présente les garanties d’insertion ou de réinsertion nécessaires au prononcé d’une peine en deçà des seuils prévus. Ensuite parce que, comme l’a rappelé la sénatrice communiste Éliane Assassi lors des débats du 5 juillet, « nous nous souvenons tous de l’affaire Nelly Cremel et des propos du ministre de l’Intérieur de l’époque appelant à “faire payer” un juge ». De ce fait, explique Bruno Thouzelier, le président de l’Union syndicale des magistrats, « un poids considérable pèsera sur les épaules des magistrats » : « On devra se justifier et motiver en permanence, avec le risque de se tromper et de se voir reprocher de ne N°62 Juillet-Août 2007
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dossier Crimes
Délits
Quantum maximum de la peine pour les infractions hors récidive
Quantum moyen prononcé en cas de récidive
Peines planchers
30 ans
15,7 ans
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5 ans
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1,6 an
4 ans
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1,0 an
3 ans
5 ans
8,5 mois
2 ans
3 ans
5,7 mois
1 an
Source : Rapport de François Zocchetto sur le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, fait au nom de la Commission des lois, 3 juillet 2007.
pas avoir appliqué la peine standard. » Certaines déclarations prouvent par ailleurs que, au sein même de la majorité, tout le monde n’est pas dupe. Dans son rapport, le sénateur François Zochetto reconnaît sans peine que le projet de loi « entend faire de l’emprisonnement la peine de principe pour les récidivistes » et que son application « pourrait provoquer une forte augmentation du nombre de personnes détenues alors que les établissements pénitentiaires connaissent une surpopulation carcérale », notamment « en matière délictuelle où le quantum moyen des peines d’emprisonnement prononcé reste très en deçà du maximum de la peine applicable au primodélinquant » (cf. tableau ci-dessus). Pourtant, certains entendent faire le choix de s’accommoder de cette situation. Comme l’illustre la déclaration du député UMP
de l’Ain, Étienne Blanc, faite le 17 juillet : « On dit enfin que ce texte serait dangereux car il aurait pour effet d’amplifier la surpopulation carcérale. J’espère que nous serons nombreux à penser ici que l’incarcération plus fréquente des récidivistes ne constitue pas en soi un danger pour notre société mais une réponse à l’obligation d’assurer la paix publique. » C’est peu ou prou l’opinion exprimée par Nicolas Sarkozy, dans un ouvrage publié il y a quelques années et intitulé fort à propos Libre : « Les critiques du système américain dénoncent la surpopulation carcérale. Je n’ai jamais compris la pertinence de cet argument car, après tout, il vaut mieux voir les délinquants en prison que dans la rue. ». Il faudra pourtant qu’il réponde un jour du drame humain et social qui se prépare. Jean Bérard et Stéphanie Coye
le rapport caché de la Commission d’analyse et de suivi de la récidive Elle avait été installée par Pascal Clément en décembre 2005, pour que, à l’avenir, « les décisions […] à prendre pour réduire encore la récidive reposent sur la meilleure expertise qui soit ». Et pourtant, l’opinion de la Commission d’analyse et de suivi de la récidive sur le projet de loi gouvernemental restait étrangement inconnue. Jusqu’au 23 juin 2007, date à laquelle le journal Le Monde publie de larges extraits d’un avis du 8 juin qu’il a réussi à se procurer. On peut lire alors à quel point la Commission se montre critique face à un projet qui vise selon elle « à favoriser l’emprisonnement comme réponse à la récidive simple ou multiple et [qui] aura nécessairement comme conséquence l’augmentation de la population carcérale des majeurs et des mineurs. » Rappelant que, « en France, les peines minimales ont existé et ont été abandonnées sous la pression de la pratique par étapes successives entre 1832 et 1994 », elle met en avant le fait que, à l’étranger également, elles déclinent ces dernières années. Et pour cause, explique-t-elle, « des études scientifiques ont été publiées dans les revues les plus réputées aux États-Unis et au Canada pour mesurer l’efficacité de ces conséquences sur la récidive, et notamment celle des mineurs ». Or, « il n’existe pas de travaux qui aient démontré l’effet attendu de diminution de la récidive ». « Plusieurs études enregistrent même, ajoute l’avis, une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave. » Pour la Commission, « le résultat de ces recherches, les pratiques des magistrats américains et le poids budgétaire des incarcérations expliquent en partie l’inversion de tendance dans le sens d’une moindre automaticité de la réponse carcérale ». Au vu de cette expérience, et considérant que la possibilité laissée aux magistrats de prononcer des peines inférieures « risque en pratique d’être très difficile à établir, ce qui restreindra considérablement la liberté d’appréciation du juge », la Commission recommande tout au moins que « l’impact des dispositions envisagées sur la taille de la population carcérale soit évalué » et qu’une phase d’expérimentation soit prévue. À la lecture de cet avis, on comprend mieux pourquoi la Chancellerie refuse toujours de le rendre public.
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Parce que « la récidive, notamment celle qui concerne les infractions violentes, constitue une atteinte intolérable à la sécurité des personnes et des biens », le gouvernement a conçu un projet de loi censé donner enfin les moyens aux autorités de la combattre. Un plan ambitieux, qui se résume à trois mesures :
peines minimales, danger maximal
Loi renforçant la lutte contre la récidive
les principales dispositions « des peines planchers de prison pour tous les crimes et pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement qui ont été commis en récidive » par des majeurs comme par des mineurs, l’écartement « de plein droit » de l’atténuation de la responsabilité reconnue aux mineurs « pour les multirécidivistes violents de plus de 16 ans » et enfin la systématisation de l’injonction de soins. L’objectif affiché : « faire un sort particulier aux récidivistes », en fixant « clairement un principe de répression » et en donnant « des indications claires quant à la volonté du législateur pour le traitement de la récidive » aux magistrats, au public, et, bien sûr, aux délinquants qui, désormais, « ne pourront plus ignorer les risques qu’ils encourent ». Dévoilé lors du Conseil des ministres du 13 juin dernier, le projet de loi « renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs » a été adopté en urgence, et quasiment sans modification, par le Sénat et l’Assemblée nationale en juillet, et devrait être approuvé à la fin du mois par la commission mixte paritaire du Parlement. En voici les principales dispositions…
L’instauration de peines minimales La loi crée « des peines minimales de privation de liberté applicables dès la première récidive pour l’ensemble des crimes et pour les délits punis d’au moins trois ans d’emprisonnement ». Pour les délits, elles sont fixées à un an d’emprisonnement si l’infraction est punie de trois ans ; deux ans si elle est punie de cinq ans ; trois ans si elle est punie de sept ans ; et quatre ans si elle est punie de dix ans. En matière criminelle, les peines minimales sont fixées à cinq ans si le crime est puni de quinze ans de réclusion ou de détention ; sept ans si le crime est puni de vingt ans ; dix ans si le crime est puni de trente ans ; quinze ans si le crime est puni de la réclusion ou de la détention à perpétuité. Par exemple, si une personne est condamnée pour escroquerie en récidive,1 la juridiction doit prononcer une peine s’élevant, au minimum, à deux ans de prison. Pour respecter « les principes de nécessité et d’individualisation des peines, conformément aux exigences constitutionnelles », le gouvernement a cependant dû se résoudre à laisser la possibilité aux juridictions de condamner à des peines inférieures aux seuils fixés ou autres que l’emprisonnement, mais dans des conditions strictement encadrées.
Des possibilités de dérogations extrêmement restreintes Deux régimes de dérogation sont prévus, selon qu’il s’agit d’une première récidive ou d’une seconde (ou troisième, quatrième, etc.). Dans le premier cas, la juridiction peut déroger aux peines minimales « si les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d’insertion ou de réinsertion le justifient », et ce, en matière criminelle comme en matière délictuelle. Dans ce dernier cas, le tribunal peut également « prononcer une peine autre que l’emprisonnement (amende ; travail d’intérêt général ; peine alternative comme l’interdiction de certaines activités, la sanction de réparation du préjudice causé à la victime, la confiscation, l’annulation du permis de conduire, etc.) ». Lorsqu’elle décide de déroger aux peines minimales, la juridiction doit cependant rendre « une N°62 Juillet-Août 2007
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dossier
© Michel Le Moine
décision spécialement motivée ». En matière criminelle, la cour d’assises n’ayant pas à motiver sa décision, l’article 4 de la loi prévoit « que les nouvelles dispositions sur les peines minimales d’emprisonnement seront, en cas de récidive, portées à la connaissance des jurés de la cour d’assises par le président de la juridiction, pour leur permettre de choisir la peine en connaissance de cause ». Dans la même logique, la loi institue ensuite « un régime plus sévère », lorsque intervient une nouvelle récidive, pour les infractions « qui causent le plus grand trouble à l’ordre public ». L’ensemble des crimes sont visés, ainsi que les délits de « violences volontaires » ou « commis avec la circonstance aggravante de violences » (par exemple le vol avec violences), les agressions ou atteintes sexuelles, ainsi que tout délit puni de dix ans d’emprisonnement (certains vols aggravés, l’extorsion sur personne vulnérable, l’escroquerie en bande organisée, etc.). Pour ces infractions commises une nouvelle fois en récidive (c’est-à-dire après au moins deux condamnations précédentes), la seule « possibilité de dérogation » au prononcé de la peine minimale est l’existence de « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ». Et même dans ce cas, « le tribunal ne pourra pas prononcer une peine autre que l’emprisonnement », même si celui-ci peut être assorti de sursis. Pour les délits « les moins graves », les possibilités de dérogation sont identiques à celles prévues en cas de première récidive.
Les mineurs de seize ans condamnés comme des majeurs Ces dispositions étant « applicables de plein droit aux mineurs », ces derniers se verront donc appliqués ces peines planchers en cas de récidive. Les minima sont néanmoins diminués de moitié, comme l’exige l’ordonnance de 1945, qui reconnaît une atténuation de la responsabilité des mineurs en raison de leur âge. Ce principe est cependant remis en cause pour les mineurs âgés de plus de 16 ans. Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, les juridictions de jugement peuvent déjà à leur égard, sans avoir à motiver leur décision, écarter l’excuse de minorité en cas d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne commise en état de récidive légale. Le nouveau proN°62 Juillet-Août 2007
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jet de loi va plus loin encore en élargissant cette possibilité. Désormais, les juridictions pourront donc choisir d’écarter l’excuse de minorité, sans motiver leur décision, en cas de crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, de délits de violences volontaires ou commis avec la circonstance aggravante de violences et aux agressions sexuelles. En outre, en cas de deuxième récidive, cette faculté devient la règle, l’atténuation de responsabilité pénale étant automatiquement écartée. En matière délictuelle, le tribunal pour enfants pourra la rétablir, mais à condition de motiver spécialement sa décision. En matière criminelle, une question spécifique sur l’applicabilité ou non de l’atténuation de responsabilité sera posée.
L’injonction de soins généralisée Enfin, cinq articles ont pour objet de systématiser l’injonction de soins, qui impose le suivi d’un traitement médical. Jusqu’à présent, lorsqu’elle condamnait quelqu’un à un suivi sociojudiciaire2, la juridiction de jugement pouvait décider de l’assortir d’une injonction de soins. Désormais, cette possibilité devient la règle : toute personne condamnée à un suivi sociojudiciaire (mais aussi à un sursis avec mise à l’épreuve pour une infraction pour laquelle un suivi socio-judiciaire est encouru) se verra automatiquement, sauf si la juridiction en décide autrement, imposer une injonction de soins, si une expertise médicale a établi qu’elle était « susceptible de faire l’objet d’un traitement ». En outre, dans le cas où une personne aurait été condamnée à un suivi socio-judiciaire sans injonction de soins, le juge de l’application des peines ordonnera désormais une expertise médicale avant sa libération. Si celle-ci conclut que la personne est susceptible de faire l’objet d’un traitement, elle sera soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du magistrat. Enfin, un dernier article concerne plus particulièrement la libération conditionnelle. D’une part, celleci ne pourra être accordée à une personne condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru qui aurait refusé de suivre en détention un traitement proposé par le juge de l’application des peines, ou qui refuserait de le suivre à sa sortie. D’autre part, lorsque la juridiction de l’application des peines décide de soumettre une personne libérée en conditionnelle aux obligations prévues pour le suivi socio-judiciaire, celle-ci sera automatiquement soumise à une injonction de soins, si une expertise établit qu’elle est susceptible de faire l’objet d’un traitement, à moins que le juge ou le tribunal en décide autrement. Stéphanie Coye (1) Le terme de récidive s’entend au sens de la « récidive légale », c’està-dire lorsqu’une personne, déjà condamnée définitivement pour un délit ou un crime, commet dans un délai fixé par le code pénal soit la même infraction, soit une infraction assimilée. (2) Le suivi socio-judiciaire est une mesure « de surveillance et d’assistance » qui soumet le condamné à un certain nombre d’obligations après sa peine. Il peut être ordonné par la juridiction de jugement en complément d’une peine d’emprisonnement. Jusqu’à présent, il pouvait être, ou non, renforcé par une injonction de soins, voire un placement sous surveillance électronique mobile. Instauré en 1998 pour les personnes condamnées pour des infractions sexuelles, il n’a cessé depuis d’être étendu à d’autres infractions.
peines minimales, danger maximal
Adoptées par des nombreux pays dans les années 1990, les peines minimales font aujourd’hui l’objet, selon le criminologue Julian V. Roberts, auteur d’une étude sur le sujet,1 « d’une forte, et grandissante, opposition », notamment en raison de leur absence d’efficacité sur la délinquance. Ainsi, les exemples se multiplient d’États décidant de revenir sur les lois votées, au moment où la France choisit d’introduire ce type de sanctions dans son code pénal.
La France à contre-courant La France vient d’adopter une loi instaurant des peines minimales. Cette décision correspond-t-elle à une tendance générale ? Des systèmes de peines minimales obligatoires existent dans un très grand nombre de pays, mais la plupart des lois les instaurant remonte aux années 1990. Elles font depuis l’objet d’une forte, et grandissante, opposition et, aujourd’hui, le mouvement semble être en train de s’inverser. Des pays parmi ceux dont les lois sont les plus sévères commencent en effet à faire machine arrière. Aux États-Unis par exemple, certains États, comme le Michigan, sont en train de modifier et d’assouplir la législation, notamment celle sur la drogue pour laquelle les peines sont considérables. Le gouvernement anglais a également opté en 2003 pour un texte qui, tout en rappelant aux juges qu’ils doivent prendre en compte les condamnations passées, ne leur impose pas de peines.
médiatisées. C’est après l’assassinat d’une jeune femme par un récidiviste qu’a par exemple été adoptée la loi californienne « three strikes laws » qui fait que, à la troisième infraction, vous êtes condamné à la prison pour 25, 40 ans ou à perpétuité. Parallèlement, la recherche sur les facteurs prédictifs de la récidive s’est énormément développée et a mis en avant le fait que l’un des meilleurs indicateurs pour évaluer si une personne risque de récidiver est le nombre de condamnations déjà existantes. Les politiques se sont donc dit qu’ils devaient cibler les délinquants avec les plus gros casiers, en leur imposant des peines très sévères. Le problème est qu’ils oublient qu’il ne s’agit que de projections. Ces recherches permettent seulement de dire que, sur 100 personnes ayant déjà été condamnées pour une infraction, 57 %, par exemple, vont récidiver. Imposer une peine obligatoire à tous conduit à punir un grand nombre de personnes, qui n’auraient jamais récidivé.
‘‘semble être en train de s’inverser.
Quels sont les arguments généralement avancés pour leur mise en place ? Ils sont de deux ordres, selon l’infraction visée. Pour les délits les moins graves, la justification habituelle est leur supposé effet dissuasif. Dans presque tous les pays occidentaux, le législateur a par exemple introduit pour la conduite en état d’ivresse des peines minimales obligatoires, en général des amendes, afin d’envoyer un message clair et dissuader les personnes de prendre le volant en ayant bu. Pour les infractions les plus graves, la justification est tout autre, même si l’argument dissuasif peut également être avancé : par la sanction, on cherche à refléter la gravité du crime. On considère par exemple que le meurtre, parce qu’il constitue une infraction de nature exceptionnelle – ses conséquences sont irréversibles –, doit être puni d’une peine infligée qui l’est aussi (la prison à vie). Et pour garantir que le crime le plus grave sera puni de la
Aujourd’hui, le mouvement
Des pays parmi ceux dont les lois sont les plus sévères commencent en effet à faire machine arrière.
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Pourquoi ces peines avaient-elles été introduites ? Les années 1990 ont été marquées par un intérêt accru de la part des décideurs et hommes politiques pour la récidive, et notamment pour la récidive criminelle, suite à des affaires très
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dossier peine la plus lourde, on inscrit dans la loi une peine obligatoire de prison à perpétuité. Il en est de même à l’égard des récidivistes. S’ils sont condamnés plus sévèrement, ce n’est pas tant parce qu’ils présentent un risque plus grand de récidive, mais parce que, ayant été condamnés plusieurs fois, ils sont considérés comme « pires » que les autres et méritent donc une sanction plus sévère.
inférieure s’ils estiment qu’elle est plus adéquate en termes de proportionnalité, c’est-à-dire au vu de la gravité et des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur, etc. Les procureurs peuvent aussi, dans le cadre de la procédure de plaider coupable par exemple, trouver un accord avec l’avocat de la défense et ne retenir qu’une inculpation moindre. Les possibilités de déroger à la règle sont nombreuses.
Les effets des peines minimales ont-ils été évalués ? Oui, de nombreuses études ont été réalisées, concluant soit à leur inefficacité, soit, dans le meilleur des cas, à un effet très modeste sur les taux de criminalité. Ce n’est pas très étonnant. Pour que ce type de peines fonctionne, il faut que le délinquant se dise « Je ne vais pas cambrioler cette banque ou je ne vais pas voler cette voiture parce que sinon, je vais passer six mois, ou un an ou deux ans en prison ». Mais les délinquants ne pensent pas en ces termes. Ils passent à l’acte pour diverses raisons, parce qu’ils ont bu, pris des drogues, qu’ils sont en colère ou dans un contexte particulier, mais la peine ne joue pas un rôle dans cette équation. En revanche, les études ont montré qu’elles avaient généralement un coût très élevé. Certaines peines minimales, comme les amendes pour conduite en état d’ivresse, ne coûtent pas cher puisque c’est le contrevenant qui paye. Mais décider que toute personne qui a commis tel délit doit aller en prison pour un, deux ou trois ans impose un coût considérable aux services pénitentiaires.
Le gouvernement met également en avant le fait que les Français sont favorables à ces peines... C’est un argument effectivement souvent avancé, mais qui ne se vérifie pas vraiment. D’abord, l’adhésion du public aux peines minimales a diminué au cours de la dernière décennie. Ensuite, ce soutien est relatif. En réalité, le public appuie ces peines seulement lorsque la simplicité de la question qui lui est posée (êtes-vous favorable aux peines planchers ?) l’incite
D’autres effets négatifs ont-ils été relevés ? Un autre problème posé par les peines minimales est le suivant : « Respectent-elles les principes fondamentaux du prononcé de la peine » ? Et la réponse est claire : non, elles violent le principe de la proportionnalité. Celui-ci veut que, pour prononcer une peine, on mette en relation la gravité du délit avec la sévérité de la peine. Par exemple, deux cambriolages constituent une même infraction pénale, mais peuvent être très différents. De même, une agression peut être beaucoup plus violente qu’une autre et justifier une peine plus sévère. Seuls des magistrats peuvent prendre en compte ces éléments d’appréciation. Or, les politiques ne leur font plus confiance. Aussi, comme ils ne peuvent pas les renvoyer, ils leur retirent leur pouvoir. Les peines minimales obligatoires sont fondamentalement un message envoyé aux magistrats : « Nous ne vous faisons pas confiance pour être suffisamment sévères, donc nous le serons pour vous ». Le gouvernement français prétend que cela permet d’homogénéiser les peines... Premièrement, il n’y a aucun intérêt à avoir des peines homogénéisées ! Ce que l’on veut, c’est qu’elles soient justes et cohérentes. Deuxièmement, l’introduction des peines minimales n’a pas abouti à ce que toutes les personnes soient, à infraction et récidive égales, sanctionnées par une même peine. Le système judiciaire trouve en effet toujours des moyens de contourner la loi. Les juges utiliseront par exemple les possibilités de dérogations pour prononcer une peine N°62 Juillet-Août 2007
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que l’opinion publique ‘‘est Dire favorable aux peines planchers est un argument souvent avancé, mais qui ne se vérifie pas.
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à ne prendre en considération que les crimes les plus graves sans prendre en compte les défauts et problèmes posés par ces peines. À l’inverse, lorsqu’on présente à des personnes des cas individuels, seule une petite minorité préconise l’imposition de la peine obligatoire prévue. D’une manière générale, les études montrent que ce que veut l’opinion publique, ce ne sont pas des peines minimales mais des peines cohérentes, proportionnées, qui visent à réparer le dommage causé et à la réinsertion. Si le gouvernement français s’imagine que, en adoptant ces peines, les gens seront plus satisfaits du système judiciaire, voire du gouvernement, il se trompe. En Angleterre et au Pays de Galles, des peines minimales ont été introduites il y a cinq ou six ans et le taux de satisfaction du public à l’égard du système judiciaire ne s’est pas amélioré. Dans le préambule de son projet de loi, le gouvernement français affirme en outre que l’objectif est de lutter contre la récidive. Si, dans cinq ou six ans, ce que le gouvernement a annoncé ne se produit pas, il en sera tenu pour responsable. Nous pourrons faire le point alors, mais, à mon avis, la loi n’aura eu aucun effet sur le nombre de récidives. Propos recueillis par Stéphanie Coye, Anne-Julie Deniel et Barbara Liaras (1) Peines d’emprisonnement obligatoires dans les pays de common law : Quelques modèles représentatifs, Ministère de la Justice du Canada, Division de la recherche et de la statistique, 2005. Accessible sur http://www.justice.gc.ca/fr/ps/rs/rep/2005/rr05-10/table.html
peines minimales, danger maximal
Peines planchers
une efficacité non démontrée Depuis l’adoption en 1995 d’une loi instituant des peines obligatoires pour les infractions commises avec une arme à feu, les députés canadiens font preuve d’un intérêt croissant pour ce type de sanctions et multiplient les propositions de loi visant à en instaurer de nouvelles. Entre 1999 et 2001, près d’une quinzaine ont ainsi été déposées. Pourtant, l’effet de la première législation n’a étonnement jamais été évalué. Pour compenser cette carence, deux criminologues, Thomas Gabor et Nicole Crutcher, ont recensé et analysé en 2002, pour le compte de la division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada, les publications de sciences sociales et de droit traitant du sujet, essentiellement américaines, afin de mieux appréhender les effets des « peines minimales obligatoires » (PMO) et vérifier la pertinence des arguments avancés par leurs promoteurs.
Un effet sur la criminalité qui reste à démontrer Parmi ces arguments, l’exemple californien figure en bonne place. Cet État a en effet mis en place en 1994 la législation la plus connue en la matière, et sans doute la plus étudiée, celle dite « de la troisième faute » (three strikes law).2 Or, il a connu dans le même temps « une diminution de la criminalité plus marquée » que dans le reste de l’Amérique. De là à conclure à leur efficacité, il n’y a qu’un pas. Sauf que, relèvent Th. Gabor et N. Crutcher, les recherches effectuées sont loin de s’accorder sur l’existence d’un lien de causes à effets, mais ont abouti au contraire à « des résultats divergents ». « Dans le meilleur des cas », des enquêtes ont pu relever « de modestes effets préventifs », mais d’autres n’en ont discerné aucun. Une étude, publiée en 1997, a par exemple fait observer que la
Les études comparant les États pourvus et dépourvus de lois sur les peines minimales n’ont révélé aucune différence dans l’évolution de leurs taux respectifs de criminalité.
Face à l’intérêt croissant des parlementaires pour les peines minimales et en l’absence de toute évaluation nationale, deux chercheurs canadiens, Thomas Gabor et Nicole Crutcher1, ont analysé, à partir de la littérature scientifique étrangère, l’impact de ce type de sanctions. Aux termes de leurs travaux, ils n’ont pu conclure à leur efficacité en matière de réduction de la criminalité ou d’harmonisation des peines, mais ont en revanche pu mesurer à quel point leur coût était élevé, tant sur le plan humain qu’économique.
réduction de la délinquance en Californie était « attribuable à une tendance au recul de ces délits déjà en cours au moment de la promulgation » et que la loi n’avait eu « un effet significatif » que dans une seule agglomération sur les dix examinées. Par ailleurs, soulignent Th. Gabor et N. Crutcher, au-delà de l’exemple californien, « les études comparant les États pourvus et dépourvus de telles lois n’ont révélé aucune différence dans l’évolution de leurs taux respectifs de criminalité ». Et l’examen de législations plus spécifiques, qui ne visent qu’un type d’infractions telles que l’usage d’armes à feu, ne donne pas de meilleurs résultats. Concernant le Bartley-Fox Amendment3 par exemple, une évaluation n’a « guère trouvé d’éléments tendant à établir l’existence d’un effet de prévention », une autre a « constaté que le nombre des homicides, des agressions liées à l’usage d’armes à feu et des vols à main armée avait diminué, mais que le nombre des autres formes d’agression et de vol qualifié avait augmenté », tandis qu’une troisième a enregistré « un recul des vols et des agressions mettant en jeu des armes à feu », mais pas des homicides.
La dissuasion est-elle possible ? À en croire leurs partisans, les peines minimales présenteraient pourtant un caractère dissuasif : parce qu’elles sont sévères et quasiment systématiques en cas de condamnation, elles conduiraient le délinquant à renoncer à commettre un délit du fait de la crainte de la sanction. Cette dialectique est confortée par un courant de pensée, le « point de vue du choix raisonné », qui a émergé dans les années 1980. À l’opposé N°62 Juillet-Août 2007
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de la thèse déterministe, les recherches qui en sont issues ont fait apparaître que les délinquants étaient « des décideurs actifs », et donc réfléchis, puisqu’ils font le choix non seulement de commettre un délit, mais aussi de son heure, de son lieu, des moyens à utiliser, etc. Cependant, notent Th. Gabor et N. Crutcher, une série d’études menées dans les années 1990 est venue contredire cette thèse. Des recherches montrent en effet que « des attitudes, des relations, des antécédents de comportement et une personnalité de nature antisociale comptent parmi les corrélats les plus marqués de la criminalité » et que « seule une faible proportion des délinquants incarcérés appartient au type “calculateur” et pèse soigneusement les risques et les avantages liés à leurs crimes ». Par ailleurs, « des études révèlent aussi que de nombreux délinquants ne sont rien moins qu’indifférents aux risques, notamment à celui de l’emprisonnement, liés à leurs infractions » et que, quand il est pris en compte, « le risque se rapporte en général à la probabilité d’être arrêté et puni, plutôt qu’à la sévérité de la peine ». D’autres encore ont montré que « de nombreux délinquants […] ne prennent pas en considération la différence entre une peine d’emprisonnement de trois ans et une autre de cinq ans ». Pour concilier ces deux approches apparemment contradictoires, Th. Gabor et N. Crutcher font remarquer qu’elles ne se sont pas forcément penchées sur la même catégorie de personnes. Selon eux en effet, « la population des délinquants en puissance se divise en au moins deux grandes sous-populations ». Pour la première, c’est-à-dire « l’ensemble de la société, notamment les délinquants d’occasion », la décision de commettre un délit est effectivement fondé « sur des critères dans une certaine mesure rationnels ». La deuxième en revanche se compose d’« individus qui font profession du crime ou qui ont adopté un mode de vie criminel », qui sont « plus antisociaux et moins préoccupés des conséquences de leurs actes » et qui « craignent moins les sanctions judiciaires, y compris l’emprisonnement ». À leur égard, la dissuasion paraît « relativement inefficace ». Pourtant, ce sont principalement eux qui sont visés par les peines minimales.
Des lois qui se trompent de « cible » L’absence d’effet des peines minimales sur les taux de criminalité peut s’expliquer également, selon Th. Gabor et
Les peines minimales aboutissent à l’emprisonnement inutile de nombreux délinquants ne présentant pas de risque de récidive. N. Crutcher, par le fait qu’elles touchent « les délinquants d’une extrémité à l’autre du spectre des risques », en partant « de l’hypothèse erronée selon laquelle les délinquants à qui ces peines sont appliquées récidiveront s’ils ne sont pas emprisonnés ». D’où un « emprisonnement inutile de nombreux délinquants ne présentant pas de risque de récidive ». Un autre facteur explicatif est fourni par les recherches menées sur la législation visant les infractions liées à la drogue. Aux États-Unis, une série de lois a en effet été promulguée au niveau fédéral, en 1986 et 1988 – les Anti-Drug Abuse Acts – afin de punir sévèrement ce type de délits et de crimes. Leurs auteurs étant considérés alors comme « essentiellement non humains et insensibles à la dissuasion », la législation visait à les neutraliser en leur imposant des peines minimales de longue durée. Pour les chercheurs, il semble cependant que « le système fédéral se trompe de cible » en incarcérant non pas ceux qui dirigent les trafics, mais principalement des délinquants « de bas niveau », primaires et non violents, « qui sont facilement remplacés sur le marché des drogues illicites » et qui « ne considèrent même pas l’emprisonnement comme une punition, étant donné les privations auxquelles ils sont soumis dans la collectivité ». Au final, « la consommation de drogues illicites demeure considérable » et les peines minimales « n’ont guère réussi à faire reculer la criminalité ou à mettre les gros trafiquants hors d’état de nuire ». En revanche, « le nombre de condamnations et la durée des peines ont augmenté considérablement ».
Une application douteuse Th. Gabor et N. Crutcher se sont ensuite intéressés à un autre argument mis en avant par les tenants de ce type de législation : les peines minimales harmoniseraient les sanctions, permettant ainsi une plus grande égalité des justiciables
Perception des risques et comportements Selon des entretiens menés en Australie-Occidentale auprès d’auteurs de vols à main armée, une grande majorité des personnes interviewées ont « sérieusement envisagé la possibilité d’être pris » et les « conséquences du port d’arme ». Tous sauf un déclaraient en outre savoir « que l’utilisation d’une arme les rendait passibles d’une peine maximale plus longue ». On aurait donc pu penser, remarquent Gabor et Critcher, que « c’est à leur égard que les PMO pourraient se révéler les plus efficaces ». Et pourtant, « en dépit de ce discours rationnel, presque tous les voleurs à main armée interrogés [...] ont déclaré qu’ils porteraient une arme à feu la prochaine fois qu’ils commettraient un vol ». Pour les chercheurs canadiens, « cette étude révèle donc une divergence intéressante, constatée dans de nombreux contextes, entre la perception des risques et le comportement » et montre que « la connaissance des sanctions pénales encourues (y compris les PMO) ne garantit en rien qu’elles modifieront le comportement des délinquants ».
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© Michel Le Moine
dossier
peines minimales, danger maximal américaine ». Des résultats corroborés par d’autres recherches portant sur la Floride ou la Californie.
Autres effets pervers
devant la loi. Mais là encore, affirment les deux chercheurs canadiens, « rien n’indique que les PMO aient pour effet de réduire le pouvoir discrétionnaire ou les disparités », bien au contraire. En fait, « elles réduisent bien (sans l’abolir) le pouvoir discrétionnaire des juges dans la détermination de la peine, mais elles confèrent un rôle plus important aux procureurs du poursuivant public, dont les décisions d’inculpation acquièrent une importance cruciale ». Un transfert qui, selon les criminologues canadiens, s’accompagne d’« une perte de transparence, les décisions des procureurs du poursuivant étant moins accessibles à l’examen public que celles des juges ». Une Commission, créée par le Congrès américain, a ainsi constaté « qu’on n’avait pas imposé de PMO dans 41 % des cas où les caractéristiques du délinquant et de l’infraction auraient justifié de le faire » et que « des délinquants aux caractéristiques semblables faisaient l’objet d’un traitement différent », en fonction notamment de « facteurs tels que la race, le circuit et les pratiques du ministère public ». De fait, soulignent Th. Gabor et N. Crutcher, les peines minimales semblent être « infligées dans une mesure disproportionnée aux membres de minorités raciales ou ethniques ». Ainsi, un chercheur américain, M.D. Free, a constaté que « les Afro-Américains qui, en 1990, représentaient 28,2 % de l’ensemble des accusés du ressort fédéral aux États-Unis, intervenaient pour 38,5 % de l’ensemble des accusés […] condamnés sous le régime des peines obligatoires ». Par ailleurs, ils étaient aussi « plus susceptibles de se voir infliger des peines égales ou supérieures au seuil […] que leurs homologues de race blanche ou d’ascendance latino-
L’inégale application des peines minimales n’est pas la seule conséquence « indésirable » de ces lois. « Il arrive en effet, expliquent Th. Gabor et N. Critcher, que les intervenants du système de justice pénale tournent les lois qu’ils estiment d’une sévérité excessive, soit en ne déposant pas d’accusations, soit en se refusant à condamner des délinquants ». Par ailleurs, « comme la capacité des prisons est invariablement limitée, l’augmentation du taux d’incarcération pour une catégorie donnée de délinquants peut nécessiter l’infliction de peines de moindre durée ou des libérations anticipées pour d’autres catégories ». Faute d’être dissuasives, les peines minimales, notamment lorsqu’elles sont de longues durées, entraînent une inflation carcérale qui peut être « considérable » et, par ricochet, « des augmentations massives de dépenses pour la construction de prisons et le fonctionnement de cellesci ». À titre d’exemple, le rapport mentionne le cas du Texas qui a vu son budget de construction de prisons passer de 64,7 millions de dollars en 1974 à 3,7 milliards en 1994 et les charges pour leur fonctionnement sextupler en seulement 10 ans, entre 1982 et 1992, notamment suite à l’adoption d’une loi sur la récidive s’appliquant aux infractions contre les biens. L’administration pénitentiaire n’est d’ailleurs pas la seule touchée. Citant des enquêtes réalisées en Californie ou en Iowa, les chercheurs ont remarqué en effet que les peines minimales « font augmenter de manière spectaculaire le nombre des procès devant jury, dans la mesure où elles ne laissent en général aux accusés guère de raisons de plaider coupables », ce qui nécessite d’« affecter plus de ressources à l’assistance judiciaire, au ministère public, aux tribunaux et à l’administration judiciaire ». Au final, cette « charge pesant sur les ressources du ministère public et les prisons locales est telle, expliquent Th. Gabor et N. Crutcher, que de nombreuses accusations de méfait ne sont plus retenues ». Dans certains endroits, l’inflation carcérale a même entraîné « la libération anticipée de détenus ». C’est ainsi que, bien loin de l’intention des législateurs, les peines minimales peuvent aboutir à « réduire l’aptitude de l’appareil judiciaire à sanctionner les infractions qui ne sont pas passibles de telles peines » et que « l’excès de sévérité des peines » peut finir par « compromettre la certitude de la sanction en réduisant le risque d’incarcération ». Stéphanie Coye (1) Thomas Gabor, professeur au département de criminologie de l’Université d’Ottawa, et Nicole Crutcher, de l’Université de Carleton, Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité, la disparité des peines et les dépenses du système judiciaire, Division de la recherche et de la statistique, Ministère de la justice du Canada, janvier 2002. Disponible à l’adresse http://www.justice.gc.ca/fr/ps/rs/rep/2002/rr2002-1a.pdf (2) Cette loi impose une peine minimale obligatoire de 25 ans, pouvant aller jusqu’à perpétuité, aux personnes reconnues coupables d’un acte grave (désigné felony aux États-Unis) et qui ont déjà été condamnées deux fois pour une infraction majeure. (3) Loi adoptée par le Massachusetts en 1975 qui prévoyait l’infliction d’une peine minimale d’un an pour port illégal d’arme à feu. N°62 Juillet-Août 2007
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© Anne-Marie Marchetti
La malbouffe
« Les détenus doivent recevoir, affirme le code de procédure pénale, une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l’hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses. » Pourtant, toutes les instances qui se sont intéressées à l’alimentation des détenus ont pointé du doigt la qualité variable de la nourriture d’un établissement à un autre, le manque récurrent de formation des personnels pénitentiaires et des détenus affectés aux cuisines dans les prisons à gestion publique, ainsi que les entorses fréquentes aux prescriptions de l’arrêté du 29 septembre 1997 fixant les conditions d’hygiène applicables dans les établissements de restauration collective à caractère social. En 2000, la commission d’enquête sénatoriale soulignait dans son rapport sur les conditions de détention l’état d’hygiène peu satisfaisant de nombreuses cuisines, ainsi que les insuffisances de l’organisation de la distribution des repas, ceux-ci arrivant souvent froids aux détenus. Six ans plus tard, la Cour des comptes a réitéré ces constats et dénoncé l’absence de plans alimentaires fixant des exigences minimales en termes de qualité, quantité et diversité des produits distribués. Cette année encore, les inspections sanitaires réalisées par le ministère de la Santé ont fréquemment mis en évidence les lacunes de l’administration pénitentiaire ou des sociétés gestionnaires des établissements en matière de sécurité alimentaire et de maintien de la chaîne du chaud. Compte tenu de cette situation, nombre de détenus préfèrent acheter ce dont ils ont besoin par le biais de la cantine alimentaire de l’établissement. Ouverte aux seules personnes qui en ont les moyens, ce système est cependant profondément inégalitaire et dépourvu, par ailleurs, de toute réglementation d’ensemble. N°62 Juillet-Août 2007
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carcérale
3 « Aucun régime particulier n’est prévu pour les personnes malades »
Patrick F., incarcéré en centre de détention, juillet 2007. « Les repas distribués au centre de détention sont à la limite du mangeable. Pour ma part, je ne fais qu’un repas par semaine. Je viens d’avoir un cancer. Aucun régime particulier n’est prévu pour les personnes malades comme moi, alors je ne mange rien. Améliorer les repas est impossible. Les steaks en cantine sont livrés avec les repas de midi. Ils restent dans le chariot chauffant 45 minutes, alors, à la livraison, ils sont secs comme un coup de trique. Immangeables, comme tout le reste d’ailleurs. »
3 « Seuls m’étaient donnés cinq yaourts et six compotes par jour »
Alain C., incarcéré en maison d’arrêt, avril 2007.
« Je suis édenté et mon état bucco-dentaire nécessite une alimentation mixée et semi-liquide. Dans la maison d’arrêt où je fus affecté après un séjour à l’hôpital, il n’était pas distribué de repas mixés. Seuls m’étaient donnés cinq yaourts et six compotes par jour. Cette situation a frappé quelques surveillants qui m’ont apporté des briques de soupe. »
3 « Ceux qui le peuvent sont obligés de compléter les rations servies »
Joël Coupelier, incarcéré au centre de détention de Nantes, juin 2007.
« Je ne peux que déplorer la lente mais régulière dégradation des repas, en qualité comme en quantité. Cela fait pratiquement huit ans que je suis incarcéré à Nantes et, de plus en plus, ceux qui le peuvent sont obligés de compléter les rations servies par des achats en cantine. La dégradation des produits vendus en cantine est également flagrante. De plus en plus de produits sont supprimés. Pour des raisons d’hygiène, on ne peut plus,
par exemple, commander d’entrecôtes congelées sous emballage hermétique. Les entrecôtes nous sont désormais vendues cuites, livrées dures comme de la semelle, dans des barquettes exposées à l’air. »
3 « On peut se nourrir à condition d’en avoir les moyens »
Denis L., incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes, juin 2007. « Les repas ne sont pas équilibrés et les produits utilisés sont loin d’être de premier choix. J’ai très souvent souffert de brûlures d’estomac en prenant les repas. Je me suis résigné à cuisiner moi-même en achetant des produits en cantine. Mais les produits de saison sont chers et les denrées périssables ne se conservent pas à cause de la chaleur. Il faut souvent jeter avant d’avoir fini, car sinon cela commence à pourrir. Un petit frigidaire arrangerait bien les choses. Pour conclure, je dirais que l’on peut se nourrir à condition d’en avoir les moyens. »
3 « Si l’on est indigent, on ressort svelte, voire maigre »
Fabrice S., incarcéré au centre de détention de Salon-de-Provence, juin 2007. « La quantité des repas est impeccable pour un régime amaigrissant, car si l’on reste à la “gamelle” on peut perdre dix kilos en deux mois. On peut cantiner de tout, mais il faut avoir les moyens, car la société qui gère les cantines “ne se mouche pas avec les doigts”. En clair, si l’on est indigent, on ressort svelte, voire maigre. »
3 « Les repas sont le plus souvent immangeables »
Samir C., incarcéré à Villefranche-surSaône, juin 2007. Question diversité, il y a ce qu’il faut. Mais les repas sont le plus souvent immangeables. Tout, ou presque, est bouilli à l’eau. Des mélanges qui n’existent certainement qu’ici, tel que de
temoignages
l’omelette et de la semoule, nous sont servis. Ceux qui ont de l’argent peuvent toutefois cantiner, à des prix élevés comparé à l’extérieur, des produits alimentaires permettant d’améliorer les repas. Mais, c’est le merdier total. De temps à autres, les produits ne sont pas livrés alors qu’ils sont payés. Et quand on fait des réclamations, soit on ne nous croit pas, soit on nous dit qu’il ne fallait pas ouvrir le sac contenant les cantines pour que la réclamation soit valable. Il m’est arrivé une fois de cantiner 100 euros et de ne recevoir que le tabac que j’avais commandé. Lorsque j’ai réclamé les produits alimentaires et d’hygiène qui ne m’avaient pas été remis, on m’a répondu que j’avais été livré. Je n’ai pourtant de l’argent que grâce à la formation que je suis.
3 « Les détenus sont obligés de cantiner leur bouffe »
Olivier Vincent, incarcéré au centre de détention de Liancourt, juin 2007. « Mis en avant pas la Commission nationale de déontologie de la sécurité, les problèmes de cantine au centre de détention de Liancourt sont récurrents : délais de livraison longs et souvent non respectés ; non-conformité des produits livrés avec ceux commandés à l’extérieur ; obligation pour les détenus d’être présents lors de la livraison des denrées périssables, sans quoi la livraison ne sera ni effectuée, ni remboursée ; tarifs prohibitifs. Il est certain pourtant que la SIGES (société d’investissement de gestion et de services) ne risque pas de faire faillite. Les détenus sont obligés de cantiner leur bouffe, sinon le régime minceur est assuré. La qualité et la quantité des repas sont insuffisantes : ananas pourris, demi-feuille de salade, betteraves rouges crues, etc. Même les nombreux chats présents dans l’établissement refusent de manger cette bouffe immonde… » Rubrique coordonnée par Marie Crétenot et Julien Nève N°62 Juillet-Août 2007
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LETTRES OUVERTES
« La prison est conçue pour 180 personnes, nous sommes 380. » Personne incarcérée au centre pénitentiaire de Nouméa, NouvelleCalédonie, juillet 2007. « Le parloir actuel est trop petit. À chaque visite, des familles entières sont obligées de repartir sans avoir pu voir les détenus, faute de places. Toute l’année, c’est le même manège. Ce week-end, six familles en tout n’ont pu voir un des leurs. Il faut dire que la prison est conçue pour recevoir 180 personnes, mais actuellement nous sommes 380. Il n’y a pas de travail pour tout le monde. À part les corvées qui sont rémunérées, c’est le désert complet. On nous dit souvent que le budget de fonctionnement a été carrément restreint. Il n’y a donc plus de formation. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir demandé. Les formations en mécanique, jardinage, arts plastiques ou sculpture ont été annulées. Seuls sont proposés des cours de guitare, et une formation. 10 élèves bénéficient des cours de guitare, 12 de la formation. Les salles de cours sont vides faute de formateurs. Les ordinateurs et la salle de montage vidéo sont sans utilisateur. Pourquoi remplir une prison comme celle-ci alors qu’on ne peut vraiment rien faire de concret pour la réinsertion des détenus ? »
3 « L’institution se décharge de ses obligations. »
Gilles Bazin Dufils Pommier, établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur, juillet 2007. « Madame la Ministre, au moment où la loi sur la récidive et les peines plancher va être examinée par le Par-
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lement, il me semble pour le moins approprié de dénoncer un état de fait qui, à lui seul, est source potentielle de récidive : la façon dont sont libérés les détenus en fin de peine. J’ai actuellement chez moi une personne libérée du centre de détention de Neuvic le 29 juin à 8h30, sans argent, mais plus grave encore, sans papier d’identité. Pourtant cet homme, plusieurs mois avant sa libération, a demandé à ce que l’on veuille bien lui faire établir une carte nationale d’identité. Ce qui ne fut jamais fait, l’administration pénitentiaire arguant du fait que ce détenu n’avait pas d’argent pour faire des photos. À 4 euros la planche photographique, l’argument est pour le moins fallacieux. Si le SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) ne peut disposer d’une somme aussi dérisoire pour permettre à une personne de sortir dans des conditions acceptables, à quoi sert-il ? Où serait-il allé si je n’avais pas été là pour le recevoir ? Depuis son arrivée, bien que j’ai pris la peine de rentrer en contact avec le SPIP et le juge de l’application des peines de Périgueux, dont dépendait cet homme, ainsi que celui de Castres dont il est censé dépendre à ce jour, il n’a vu personne alors qu’il est soumis à des obligations découlant d’une mise à l’épreuve. C’est le grand silence, le grand vide ! J’ai la très désagréable impression que l’institution se décharge sur des personnes privées de bonne volonté, comme moimême, des obligations qui sont les siennes. Cette situation, somme toute assez banale, est à elle seule facteur
de récidive. Vous conviendrez avec moi que cette situation est inacceptable et source de découragement, aussi bien pour l’ex-détenu que pour la personne ou la structure le recevant. J’espère, Madame la garde des Sceaux, que les réformes promises ne resteront pas lettre morte, comme le furent les propositions de la Commission d’enquête parlementaire de l’affaire dite “d’Outreau”. »
3 « Chaque fois que je demandais mon ordinateur, on me répondait que je l’aurai à la fin de la semaine. »
Personne incarcérée en maison d’arrêt, juillet 2007. « Suite à un transfert, l’ordinateur que j’avais acheté dans une précédente maison d’arrêt a été retenu à la fouille. On m’a dit qu’il me serait rendu après vérification de la conformité de ses composants. Ne voyant rien venir, j’ai adressé plusieurs réclamations. Une partie du matériel m’a finalement été rendu, mais pas l’unité centrale. On m’a précisé qu’elle me serait remise dans les jours suivants. Depuis, plusieurs semaines se sont écoulées. Chaque fois que je demandais, on me répondait que je l’aurai à la fin de la semaine. À ce jour, il reste pourtant toujours bloqué. On vient de m’informer qu’il y resterait au motif que deux composants ne figurent pas dans la liste du matériel autorisé. Lors de son achat, un devis, comportant la liste détaillée des composants informatiques, avait pourtant été contrôlé par l’administration pénitentiaire. »
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OIP/ La Découverte, 2005, 288 p., 20 (hors frais de port)
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la série 2001 (du 23 au 28) la série 2002 (du 29 au 34) la série 2003 (du 35 au 40) la série 2004 (du 41 au 46) la série 2005 (du 47 au 52) la série 2006 (du 53 au 58-59)
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le guide du prisonnier, OIP/ La Découverte, 2004, 576 p., 24 (hors frais de port)
le guide du sortant OIP/ La Découverte, 2006, 416 p., 22 (hors frais de port)
Dedans dehors n°61
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Bulletin à renvoyer à OIP, section française, 31 rue des Lilas 75019 Paris
Nom .................................................................................... Prénom ....................................................... Profession ........................................................... Organisme ..................................................... Adresse ................................................................................................................... Code postal . ......................... Ville . ....................................................................................................................................... Tél. ................................................................... Fax .................................................................. e-mail ........................................................................................................................................................................... Je suis membre du groupe local de ....................................................................................... Je vous adresse un chèque de .............................. € à l’ordre de l’OIP-SF
ADRESSES
Pour tout renseignement sur les activités de l’OIP en France : OIP section française 31, rue des lilas 75019 Paris tel : 01 44 52 87 90 fax : 01 44 52 88 09 e-mail : contact@oip.org site : www.oip.org
Pour témoigner et alerter sur les conditions de détention en France : Permanence juridique Julien Nève : 01 44 52 87 96, julien.neve@oip.org ou Marie Crétenot : 01 44 52 87 94, marie.cretenot@oip.org 31, rue des lilas 75019 Paris
L’OIP en région Les coordinations régionales mènent leur action d’observation et d’alerte au sujet de tous les établissements pénitentiaires de la région concernée, en lien avec les groupes et correspondants locaux présents : Pour contacter les coordinations régionales : Région Ile-de-France François Bès 31, rue des Lilas 75019 Paris 01 44 52 87 95 fax : 01 44 52 88 09 francois.bes@oip.org
Région Nord-Pas-de-Calais Anne Chereul 70, rue d’Arcole BP 211 59018 Lille Cedex 06 63 52 10 10 anne.chereul@oip.org
Région Poitou-Charentes Barbara Liaras Adresse provisoire 31, rue des Lilas 75019 Paris 06 50 87 43 69 barbara.liaras@oip.org
Région Rhône-Alpes Lionel Perrin Adresse provisoire 31 rue des Lilas 75019 Paris 06 50 73 29 04 lionel.perrin@oip.org
Les groupes et correspondants locaux assurent l’observation et l’alerte de la (les) prison(s) présente(s) dans leur ville, en lien avec les coordinations régionales et le secrétariat national : Pour les contacter vous pouvez joindre le secrétariat national : contact@oip.org ou 01 44 52 87 90 Aix-en-Provence, Agen (Eysses), Aiton, Amiens, Angoulême, Arras, Avignon, Bapaume, Bayonne, Bédenac, Béthune, Bois d’Arcy, Bonneville, Bourg-en-Bresse, Chambéry, Douai, Dunkerque, Fleury-Mérogis, Fresnes, Grenoble (Varces), Laon, Le Puy-en-Velay, Lille, Longuenesse, Lyon, Marseille, Maubeuge, Meaux, Melun, Metz,Nancy, Nanterre, Nîmes, Niort, Osny, Paris La Santé, Poissy, Poitiers, Privas, Rennes, Rochefort, Saintes, Saint-Etienne SaintMartin-de-Ré, Saint-Quentin-Fallavier, Toulon,Toulouse (Seysses), Valence,Valencienne, Versailles, Villefranche-sur-Saône, Villepinte.
Qu’est-ce que l’OIP ? Considérant que l’emprisonnement est une atteinte à la dignité de la personne, la section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), juridiquement créée en janvier 1996, agit pour la défense des droits fondamentaux et des libertés individuelles des personnes détenues. Que fait l’OIP ? Concrètement, l’OIP dresse et fait connaître l’état des conditions de détention des personnes incarcérées, alerte l’opinion, les pouvoirs publics, les organismes et les organisations concernées sur l’ensemble des manquements observés ; informe les personnes détenues de leurs droits et soutient leurs démarches pour les faire valoir ; favorise l’adoption de lois, règlements et autres mesures propres à garantir la défense de la personne et le respect des droits des détenus ; favorise la diminution du nombre de personnes détenues, la limitation du recours à l’incarcération, la réduction de l’échelle des peines, le développement d’alternatives aux poursuites pénales et de substituts aux sanctions privatives de liberté. Comment agit l’OIP ? Organisation indépendante des pouvoirs publics, l’OIP ne sollicite aucun mandat ou subvention du ministère de la Justice, s’interdit de prendre part à l’action d’aucun gouvernement, de soutenir aucun parti politique ou de prendre position à l’occasion de toute consultation électorale. Pour faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, l’Observatoire suscite la création de coordinations régionales et de groupes locaux en charge de l’observation d’un lieu de détention et composés exclusivement de membres de l’OIP.